L’innovation
de défense, un outil
d’indépendance
stratégique
et économique
à renforcer
PRÉSENTATION ________________________________________________
Après un quart de siècle de décroissance depuis la fin de la
guerre froide, la montée des menaces a conduit les pouvoirs publics à
engager une augmentation de l’effort de défense de la France à partir
de 2015. Cette relance s'accompagne d'une volonté de porter au plus
haut niveau l’innovation
dans ce domaine, afin que les forces françaises
puissent disposer de matériels au meilleur niveau mondial.
Au-delà
des
aspects
opérationnels,
cette
politique
vise
également à améliorer les processus de production
et d’exploitation des
équipements, afin de réduire le coût des matériels tout au long de leur
durée
de
vie.
Elle
permet
également
de
garantir
l’avance
technologique de la base industrielle et technologique de défense,
dans un contexte marqué à la fois par
l’entrée de nouveaux acteurs sur
les marchés
à l’
exportation et par les conséquences de la crise de la
covid 19, qui a un impact très marqué sur les activités civiles de
nombreuses entreprises de défense.
Au cœur de ce dispositif
se trouvent les études amont (EA), d'un
montant de 821 M
€
en 2020. Elles servent à financer des recherches et
des études appliquées à la défense. La loi de programmation militaire
(LPM) 2019-2025 a prévu de porter ce chiffre à 1
Md€ par an d’ici à 2022.
Au-delà de cet effort budgétaire, le ministère des armées a
entrepris des réformes importantes pour stimuler l’innovation, notamment
en créant, en 2019, l’Agence de l’innovation de défense (AID), service à
compétence nationale rattaché au délégué général pour l’armement.
Pièce maîtresse de cette politique, son rôle consiste à animer et à
coordonner la politique ministérielle d’innovation de défense.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
50
En s’appuyant sur de nombreux contrôles dans le domaine de
l’armement, la Cour des comptes examine successivement les difficultés
rencontrées par le ministère des armées pour intégrer les innovations (I), la
nécessité de faire évoluer les études amont vers une logique de préparation
de l’avenir en exploitant leur potentiel de relance économique
(II) et
l’importance de poursuivre les réformes pour mieux mobiliser l’ensemble des
moyens pouvant contribuer à l’innovation de défense
(III).
Définition des principaux agrégats concentriques du graphique n° 1
L’agrégat
« études amont (EA) » comprend principalement les études passées
par la directi
on générale de l’armement (DGA) à l’industrie à des fins de recherches
en sciences et technologies et d’études appliquées utiles pour la défense.
L’agrégat
« recherche et technologie (R&T) » comprend, en sus du
précédent, les subventions versées aux instituts de recherche travaillant sur des
problématiques connexes à celles traitées dans les études amont : Office national
d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) et Institut franco
-allemand de
recherches de Saint-Louis (ISL).
L’agrégat des
« études de défense »
correspond à l’intégralité des travaux
prospectifs touchant à la défense, sans être spécifiquement centrés sur le
développement de technologies innovantes.
Enfin, l’agrégat
« recherche et développement (R&D) de défense » ajoute à
l’agrégat
préc
édent les dépenses de développement des programmes
d’armement, qui visent un développement à court
terme des matériels.
Graphique n° 1 :
la R&D de défense en 2020
Source : Dossier de présentation PLF 2020
–
Ministère des armées
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
51
I -
Une innovation de défense
indispensable qui reste à mieux intégrer
dans les programmes d’armement
A -
L'innovation de défense plus nécessaire
que jamais
Le
maintien
du
haut
niveau
d’excellence
de
l’industrie
d’armement française est une condition nécessaire à l’autonomie
stratégique
nationale
pour
l’ap
provisionnement des armées en
matériels de guerre du meilleur niveau mondial. La France compte
aujourd’hui de grands groupes industriels de taille mondiale (Airbus,
Thales, Safran, Dassault Aviation, etc.) qui remportent des marchés à
l’exportation (les exportations d’armement ont augmenté de 72
% entre
la période 2010-2014 et la période 2015-2019, plaçant la France au
troisième rang mondial).
Reflétant le haut niveau technologique de nos armements, le
bilan 2019 des exportations fait apparaître que, pour la première fois,
l'Europe a été leur principale destination ; ce résultat est dû en particulier
au succès en Belgique du programme de blindés SCORPION, dont le
système d’information est l’un des plus avancés au niveau mondial pour
la numérisation du champ de bataille terrestre.
Néanmoins, la pérennité de cette situation n’est pas acquise du
fait des efforts importants des autres puissances dans le cadre d'une
compétition stratégique intensifiée qui concerne aussi l’innovation, où
se signalent de nouveaux exportateurs mondiaux, à commencer par la
Chine. En outre, certains de ces groupes sont fragilisés par les
conséquences de la crise sanitaire de la covid 19 sur leur activité civile.
Dans ce contexte, il est d’autant plus important d’identifier, afin de les
surmonter, les rigidités qui freinent la prise en compte de l’innovation
dans les programmes d’armement.
Cet
impératif
s'inscrit
dans
un
contexte
marqué
par
l'intensification de la compétition mondiale entre les principales grandes
puissances (États-Unis et Chine en particulier) qui favorise l'accélération
technologique. Par ailleurs, comme le montre le tableau ci-après, les
moyens déployés par la France et l'Europe sont encore largement
inférieurs à ceux des États-Unis. La création du Fonds européen de la
défense constitue une tentative de réponse à cette situation, avec
7
Md€ de crédits européens sur la période 2021
-2027, dont une partie
financera la recherche de défense.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
52
Tableau n° 1 :
évolution des budgets de recherche de défense
En M€
2015
2016
2017
2018
France
910
850
870
850
Royaume-
Uni
830
690
610
560
Allemagne
350
370
450
330
Italie
60
50
50
50
Total pays
Européens
2 150
1 960
1 980
1 790
États-Unis
10 600
11 700
12 200
11 300
Source
: Agence de l’innovation de défense (périmètre correspondant aux
études amont du programme budgétaire 144 et aux subventions aux organismes
de recherche de la défense)
B -
Une conduite des programmes qui intègre
difficilement les innovations non anticipées
Au cours des contrôles qu’elle a conduit
s ces dernières années sur
de nombre
ux programmes d’armement majeurs, la Cour des comptes
a relevé plusieurs difficultés pour intégrer l’innovation dans les matériels
destinés aux forces.
La principale difficulté est celle de l’intégration dans
le cycle de vie d’un programme d’une innovation
qui n’a pas été
prévue lors de son lancement.
1 -
Une planification rigide visant d’abord à réduire
les risques
La cond
uite des programmes d’armement obéit à un objectif fort
de limitation des risques et des aléas. Cela se justifie par la complexité
des prog
rammes, qui s’étalent souvent
sur plusieurs décennies et
nécessitent plusieurs dizaines de milliard
s d’euros d’investissement. Toute
erreur grave risque de provoquer l’échec du projet,
faute de ressources
suffisantes pour relancer un programme de même envergure. Aussi,
l’instruction ministérielle de conduite des programmes d’armement du
26 mars 2010 prévoyait-elle des responsabilités bien établies dans le
cadre d'une planification stricte, ainsi que des documents détaillés
servant à justifier les décisions prises à toutes les étapes.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
53
Ce cadre rigoureux, voire rigide, s’avère peu propice à
l’intégration
d’innovations
technologiques,
par
définition
non
programmables, en particulier dans un environnement marqué par
l’accélération
des cycles technologiques et la continuité croissante
entre technologies civiles et militaires. Par rapport à ces méthodes,
l
’innovation
risque d'être perçue comme un élément perturbateur et
une source de risques.
À
titre d’exemple, l’aéronautique de combat est marquée par
une accélération technologique dans de nombreux domaines
(motorisation, furtivité, numérique, intelligence artificielle, etc.). Si
l’évolution par développements techniques successifs de l’avion de
combat RAFALE a permis d’intégrer un grand nombre d’innovations
technologiques, celles qui nécessiteraient de modifier substantiellement
l’architecture de la plateforme conçue dans les années 1970 devront
attendre le prochain programme d’avion de combat.
2 -
Des cycles programmatiques trop longs
Outre la rigidité des procédures, la contrainte budgétaire a
conduit à étaler les programmes sur un temps anormalement long. La
réduction des moyens budgétaires disponibles a systématiquement
cond
uit, lors de l’exécution des lois de programmation militaire
précédentes, à des étalements de calendriers de livraison et à des
reports de lancement de programmes, augmentant ainsi leur durée.
Le programme d
’hélicoptère de combat TIGRE
en est un bon
exemple : cinq décennies se sont en effet écoulées entre les premières
discussions franco-allemandes au début des années 1970 et la livraison
du dernier appareil reconfiguré
à l’armée f
rançaise au début des
années 2020. Or, non seulement le contexte stratégique a radicalement
changé entretemps, mais les évolutions technologiques se sont
également accélérées, rendant complexe et coûteuse
l’intégration des
innovations survenues en cours de programme.
Les mutualisations européennes, si elles sont souvent bénéfiques
par la mutualisation des coûts de développement qu'elles permettent
29
,
peuvent aussi contribuer à allonger les délais nécessaires à la
coordination entre partenaires. Il en est allé ainsi de l’avion de
transport
A400M : les partenaires ont additionné des besoins opérationnels
différents, aboutissant ainsi à un cahier des charges nécessitant
d’i
mportants
développements
technologiques
et
dont,
contractuellement, l’ensemble des risques devaient être portés par
l’industriel. Ce montage a rendu chaque aléa extrêmement difficile à
résoudre, faute de marges calendaires et budgétaires suffisantes, à tel
point que le programme a fait l’objet de renégociations contractuelles
très lourdes en 2009 et en 2017.
29
Cf. Cour des comptes,
La coopération européenne en matière d'armement
,
rapport public thématique, La Documentation française, avril 2018.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
54
Au total, le cadre actuel se prête peu à des échanges souples
entre les différentes parties prenantes des programmes, indispensables
à la prise en compte rapide de l'innovation. L'approche juridiquement
très rigoureuse
de l’exécution des contrats
, entre la direction générale
de l'armement et les industriels,
n’incite pas à aller au
-delà de ce qui est
explicitement prévu en termes d’innovation
, alors que le cadre
contractuel pénalise les retards et les échecs.
3 -
Des choix qui compliquent la diffusion de l'innovation
L’un des enjeux
-
clés dans la prise en compte de l’innovation dans
les programmes de défense réside dans le «
passage à l’échelle
»,
c’est
- à-dire dans la diffusion des innovations développées au niveau de
tout ou partie des parcs de matériels en service. Or, trop souvent, les
innovations ne vont pas jusqu'au stade du prototype. Quand ce cap est
franchi, le déploiement des innovations sur un parc constitué de
nombreux matériels se heurte également à des difficultés d’ordre
budgétaire ou industriel, notamment là où, comme dans l’armée de terre,
la taille de certains parcs dépasse rapidement la centaine d’engins.
Seuls 50 % des nouveaux blindés GRIFFON ont ainsi été équipés de
tourelleaux téléopérés
30
, faute de crédits suffisants. Le passage à
l’échelle peut aussi impliquer des retours fréquents de matériels en usine
pour leur remise à niveau. Ces situations aboutissent à des parcs
hétérogènes et donc plus onéreux et compliqués à entretenir.
Enfin, les priorités entre la direction générale de l'armement et les
armées ne coïncident pas spontanément sur ce sujet. Au-delà des débats
habituels sur le choix du programme budgétaire qui financera les
innovations non prévues au départ, les armées ont logiquement
tendance à privilégier les besoins opérationnels des forces à court terme,
tandis que la direction générale de l'armement doit aussi veiller au
développement des compétences de l’industrie à moyen et lo
ng terme.
C -
Un cadre réglementaire récemment assoupli
1 -
Une instruction ministérielle plus propice à l’innovation
La
nouvelle
instruction
ministérielle
d’avril
2019
remédie
partiellement à ces difficultés.
Concernant tout d’abord la phase de
conception
et
de
développement
des
nouveaux
armements,
l’instruction encourage
à une meilleure collaboration entre la direction
30
Un tourelleau téléopéré est une tourelle capable de pointer automatiquement
sans intervention d’un opérateur, ce qui lui permet de traiter plus rapidement une
grande multiplicité de cibles.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
55
générale de l'armement, les armées et les industriels. Elle préconise
également le recours aux architectures ouvertes
et aux évolutions
incrémenta
les de façon à favoriser l’innovation sans reprendre les
travaux d’ensemble. Ce concept
a été notamment appliqué aux
missiles balistiques et aux torpilles lourdes.
Pour la phase de production, ensuite, les étapes d
’ava
ncement
doivent désormais être déterminées en fonction des capacités
opérationnelles atteintes, afin de replacer les besoins opérationnels des
utilisateurs au centre du jeu. Cette évolution présente l’avantage de
concentrer l’attention sur les
interfaces avec les autres programmes ainsi
que s
ur les enjeux d’
infrastructure. Elle
s’inspire notamment de
l’expérience acquise
dans le domaine de la dissuasion nucléaire.
2 -
Une innovation à utiliser davantage pour réduire
le coût des matériels tout au long de leur durée de vie
Les phases de production et de service opérationnel des
matériels doivent également être prises en compte car une production
simplifiée et optimisée sera de nature à favoriser la fabrication en série,
tandis qu’une maintenance facilitée permettra de garantir un bon
niveau de disponibilité des matériels. Cela est particulièrement
important pour des matériels qui doivent pouvoir être renouvelés en
grand nombre à un coût soutenable, comme les blindés et les
hélicoptères, fortement exposés en opération.
Le cas des blindés de transport de troupes GRIFFON démontre
ainsi
que l’effort d’innovation peut être utilisé à bon escient pour faciliter
les phases de production et d’emploi des matériels. Le fait d’avoir prévu,
dès
l’origine du programme
, un coût maximal par engin, a sans doute
incité à limiter le coût de production. Mais,
surtout, l’utilisation des études
amont pour développer un concept de blindé modulable a permis des
avancées importantes, telles que la simplicité de dépose du bloc
moteur-propulsion, qui rendra plus aisée la maintenance ultérieure des
engins et diminuera ainsi son coût.
3 -
Une attention accrue aux innovations de rupture
qui devra aller de pair avec un changement de culture
La logique prévalant actuellement pour la préparation de l’avenir
consiste à diriger l’effort de
recherche vers le développement de
briques
technologiques
nécessaires
aux
futurs
programmes
d’armement. Cela conduit à privilégier la logique de remplacement sur
celle de rupture.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
56
Le cas des drones, déjà mentionné par la Cour dans son rapport
public annuel 2020
31
, est illustratif d’une rupture technologique mal
conduite. Cet échec a conduit, en l’absence de solution nationale ou
européenne immédiate, à acheter en 2012 du matériel américain
« sur étagère
» pour répondre aux besoins opérationnels. Le cas d’Isr
aël,
qui a développé une politique ambitieuse et réussie en matière de drones,
démontre pourtant que cette rupture technologique était accessible sans
pour autant disposer de moyens budgétaires considérables, dès lors
qu'une vision claire et une bonne anticipation des potentialités d'une
innovation allaient de pair avec la capacité de procéder au bon moment
à des investissements limités mais d'effet décisif.
Une meilleure prise en compte de l’innovation dans la conduite
des programmes d’armement suppose don
c un changement de
paradigme : une approche plus partenariale avec les industriels, une
meilleure anticipation et une prise en compte plus rapide des besoins
opérationnels des armées. Dans ce cadre, il conviendrait de développer
un mode de contractualisation plus souple permettant la prise de risques
par les industriels sur les projets les plus innovants.
La difficulté à cet égard réside dans l'équilibre nouveau à trouver
pour les équipes de la DGA, qui avaient pour mission de réduire au
maximum la prise de risque entre le maintien de procédures
contractuelles rigoureuses et la prise en compte de la part de risque que
suppose nécessairement l'incorporation de l'innovation dans des
programmes en cours. Cela suppose des changements d’habitude que
pourrait favoriser la fertilisation croisée de profils différents, émanant
notamment de l'industrie.
II -
Des études amont à réorienter
vers la préparation de l’avenir
Longtemps utilisée
s pour soutenir les principaux bureaux d’études
de l’industrie nationale d’armement
, les études amont (EA) doivent être
réorientées
vers la préparation de l’avenir
. Pour ce faire, elles doivent
exploiter les innovations de rupture et les innovations ouvertes (issues du
secteur civil). Elles doivent pouvoir bénéficier des crédits affectés aux
secteurs fortement touchés par la crise de la covid 19, tels que
l’aéronautique ou le spatial. Une partie de cet effort budgétaire public
pourrait s’inscrire dans le cadre de l’actualisation de la loi de
programmation militaire 2019-2025 prévue en 2021.
31
Cf. Cour des comptes, « Les drones aériens militaires : une rupture stratégique
mal gérée », in
Le rapport public annuel 2020
, La Documentation française,
février 2020.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
57
A -
Des investissements tournés vers les grands
groupes industriels et les programmes majeurs
1 -
Un mode de financement plus proche
de la subvention que de l'investissement
Les études amont constituent un ensemble de recherches de
sciences et technologies et d’ét
udes appliquées contribuant à maîtriser,
entretenir ou développer la base industrielle et technologique de
défense (BITD)
32
et l’expertise technique étatique nécessaires à la
réalisation des objectifs capacitaires de la loi de programmation
militaire. Elles sont aussi destinées à accompagner la montée en
maturité des innovations ou technologies de rupture issues du monde
civil ou militaire. Leur enveloppe budgétaire annuelle est de 821
M€
en 2020.
Concourant à la mission d
e préparation de l’avenir
de la direction
générale de l'armement, les études amont étaient orientées
jusqu’à
2014 vers le développement des capacités opérationnelles. La révision
à la baisse de la trajec
toire des crédits d’équipement,
actée dans les
lois de programmation militaire (LPM) 2009-2014 et 2014-2019,
n’a pas
été sans conséquence sur
le maintien des compétences de l’industrie
de défense. Le ministère de la défense a alors décidé de considérer
prioritairement les études amont dans une perspective de pérennité des
bureaux d’étu
des des entreprises de la BITD. La répartition des crédits
d’études amont
est cohérente avec cette évolution : 70 % de ces
financements sont ainsi attribués aux grands groupes de défense
33
et
cette proportion est quasiment constante entre 2013 et 2018. La
répartition entre ces mêmes grands groupes demeure régulière au cours
du temps : Thales reste le principal bénéficiaire des
crédits d’études
amont avec 27 % attribués en moyenne entre 2013 et 2018. Viennent
ensuite les grands
maîtres d’œuvre industriels de l’aérona
utique (Airbus,
Arianegroup, Dassault Aviation, MBDA et Safran) avec un peu moins de
10 % chacun.
32
La BITD regroupe l’ensemble des bureaux d’études et des unités de production
des industries d’armement présents sur le territoire national dont le maintien est
nécessaire à l’autonomie stratégique des forces pour leur approvisi
onnement en
matériel de guerre.
33
Airbus, Arianegroup, Dassault Aviation, MBDA, Naval group, Nexter, Safran,
Thales.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
58
2 -
Une programmation tournée vers le court terme
Graphique n°2
: exécution des crédits d’études amont par agrégat
(2019)
Source :
document de référence d’orientation de l’innovation de défense de 2020
La répartition des crédits d’études amont par agrégat reflète les
grandes priorités stratégiques de l’équipement des forces. La dissuasion
nucléaire
34
, l’aéronautique de combat et les missiles et bombes
absorbent plus de la moitié des crédits, comme le montre le graphique
ci-dessus.
34
La dissuasion est répartie principalement sur les agrégats « missiles balistiques »
et « missiles et bombes ».
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
59
L’agrégat le plus important, dédié à l’aéronautique de combat,
poursuit ainsi comme objectif premier
les évolutions de l’avion de
combat RAFALE avec la définition des standards postérieurs au standard
F4 et le système de combat aérien du futur (SCAF)
35
franco-allemand
destiné à lui succéder. L’agrégat « hélicoptères de combat et aéronefs
de transport » est concentré sur la finalisation des travaux relatifs au futur
standard de l’hélicoptè
re TIGRE.
L’agrégat « combat naval et lutte sous
la mer » part lui aussi des matériels existants pour en déduire la liste des
études amont à conduire.
Cette préférence pour l'utilisation de la recherche à des fins de
court terme est partiellement liée au fait que la fin de la décennie 2010
correspond au lancement ou à l’arrivée à maturité de plusieurs
programmes essentiels
pour l’équipement des forces
, comme le
programme de blindés SCORPION, les sous-
marins nucléaires d’attaque
BARRACUDA, les sous-marins nu
cléaires lanceurs d’engins de troisième
génération ou le système de combat aérien du futur (SCAF).
Cette logique met toutefois en évidence un décalage entre
l’objectif affiché des études amont
et leur positionnement réel, qui se
situe très en aval dans l
’
échelle de maturité des technologies
développées. Dès lors, les études amont apparaissent plus comme le
moyen de combler les impasses budgétaires du programme 146
d’équipement des forces
que comme un véritable outil de préparation
de l’avenir. Le document de référence d’orientation de l’innovation de
défense de 2020 (DROID) reste ainsi sur les mêmes grands équilibres que
précédemment, puisque le tiers des études amont prévues sur la durée
de la LPM 2019-2025 est destiné au domaine aéronautique et missiles.
35
Le système de combat aérien du futur (SCAF) est un programme international
pour le moment tripartite (Allemagne, France et Espagne) de systèmes d’armes
aériens connectés entre eux (avions de combat, drones de surveillance et drones
de combat, ravitailleurs, avions de commandement). Contrairement aux
programmes aériens précédents comme le RAFALE, il ne porte pas sur un avion
en tant que tel mais sur un système composé d’appareils existants ou futurs. Il
comportera néanmoins un avion de combat de nouvelle génération appelé à
remplacer à terme le RAFALE, mais ne prévoit pas à court terme la réalisation
d’un prototype de drone de combat, qui aurait été la suite logique du projet de
démonstrateur NEURON.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
60
B -
Évoluer vers une logique de préparation
de l’avenir
1 -
Mieux refléter les priorités de la loi
de programmation militaire
Les deux livres blancs sur la défense et la sécurité nationales, de
2008 et 2013, ainsi que la revue stratégique de 2017,
ont mis l’accent
sur
la nécessité de développer les capacités nationales de renseignement
et de cyberdéfense. Or,
l’évolution des parts
relatives des financements
des études amont
par agrégat ne traduit qu’imparfaitement cette
priorisation
: l’agrégat «
renseignement et surveillance » ne pèse ainsi
que 11
% du total des financements d’études am
ont en 2019, loin
derrière
l’aéronautique de combat
et les missiles.
Cette situation n’est
que
partiellement
infléchie
dans
le
document
de
référence
d’orientation de l’innovation de
défense 2020 dans lequel le domaine
d’innovation «
information et renseignement » représente 17 % des
études amont pour la période 2019-2025. La cyberdéfense ne
représente de son côté que 3 % des financements en 2019. L
’agrégat
relatif aux drones a quant à lui été supprimé. Un tel découplage entre
commande politique et exécution budgétaire conduit à s'interroger sur
la pertinence des mécanismes de programmation des études amont et
sur leur capacité à s’adapter aux impulsions décidées par les lois de
programmation militaires.
2 -
Mieux financer les innovations de rupture
Les innovations de rupture, par définition embryonnaires et plus
incertaines
dans
leurs
débouchés,
font
régulièrement
l’objet
d’arbitrages défavorables
, au profit du développement à court terme
des
programmes
existants
ou
de
la
préparation
des
grands
programmes. Tel fu
t notamment le cas de l’artillerie électrique
, qui
devait initialement être financée par les études amont dédiées au
secteur naval, mais dont les crédits ont été affectés aux études sur le
porte-avions de nouvelle génération.
Le
ministère des armées a commencé à s’organiser pour mieux
prendre en compte l’innovation de rupture,
mais des marges de progrès
demeurent,
en
matière
spatiale
notamment.
Les
ambitions
technologiques des étude
s amont en matière de satellites d’observation
et de communication, par exemple, sont en effet très grandes. Mais elles
restent centrées sur la plateforme spatiale au détriment du segment-sol,
alors même que l’émergence des nouvelles applications du spatia
l
(«
NewSpace
») et l’inclusion du spatial dans la nouvelle économie
numérique montrent que leur valeur ajoutée résidera de plus en plus
dans le traitement au sol des données collectées depuis l’espace.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
61
3 -
Faire place à l’innovation ouverte
L’innovation ouverte peut être définie comme l’innovation qui
n’a pas été planifiée dans le cadre des besoins identifiés pour les futurs
programmes d’armement. Jusqu’en 2019, ce type d’innovation n’était
financé qu’à hauteur d’environ 50
M€ par an sur les crédits des
études
amont (soit environ 6
% de l’enveloppe 2020), ce qui est insuffisant
.
En effet, la période où la recherche de défense avait un rôle
premier pour l’innovation en général est révolue. La France avait ainsi
pu s’appuyer s
ur ses développements dans le domaine des missiles
balistiques pour lancer la filière des lanceurs spatiaux Ariane. Désormais,
de nombreuses technologies sont issues du secteur civil et doivent
ensuite être adaptées aux besoins militaires. C’est particuliè
rement le
cas
dans
les
domaines
des
systèmes
d’information
et
de
communication, de l'intelligence artificielle, du numérique, de l’analyse
de données de masse, du cyber et des nouvelles applications du spatial,
comme le montre la réussite de la société américaine Space X. Il en
résulte qu'une bonne articulation entre la recherche civile et l'innovation
de défense est devenue une condition essentielle du maintien à haut
niveau de celle-ci, en particulier dans les domaines des sciences et
technologies de l'information et de la communication. La captation de
cette innovation nécessitera également une relation plus étroite avec
l'écosystème de start-up et de PME innovantes, particulièrement actif
dans ce domaine.
4 -
Soutenir les secteurs touchés par la crise sanitaire
Certains secteurs industriels, comme l’aéronautique et le spatial,
réunissent des activités civiles et militaires présentant entre elles des
synergies fortes, mais dont les cycles économiques sont différents. Dans
un contexte où les conséquences économiques de la crise sanitaire de
la covid 19 affectent durement les activités civiles des industriels du
secteur aéronautique, le soutien public à la recherche de défense peut
aider à maintenir les compétences et à amplifier l’effet contra
-cyclique
des activités de défense.
Les dépenses d’innovation militaire peuvent ainsi jouer un rôle
économique plus large que de soutenir la filière des équipements de
défense, en maintenant un effort d’innovation minimal dans un
contexte récessif où les entreprises tendent naturellement à trancher
dans leurs investissements de recherche.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
62
III -
Des réformes à poursuivre pour mieux
mobiliser les moyens
Le ministère des armées a ouvert plusieurs chantiers destinés à
mieux mobiliser les moyens disponibles en faveur de l’innovation
de
défense. De leur réussite dépend en partie l’équipement des forces à
l’horizon 2030
.
A -
Un effort budgétaire à soutenir dans la durée
1 -
Des crédits budgétaires dispersés
Tableau n° 2 :
la complexité budgétaire de la R&D de défense
Mission
Programme
Intitulé
RPROG
Dispositif R&D
Responsable
de gestion
effective
Crédits
(M€)
Défense
P144
Environnement et
prospective de la
politique de
défense
DGRIS
EA
DGA
821
EOTO
EMA
22,4
EPS
DGRIS
9,1
Subvention ONERA
DGA
105,7
Subvention ISL
DGA
19,3
Crédits PME/ETI
DGA
3
Dotation écoles
DGA
3,5
P146
Équipement des
forces
DGA / EMA Développement des
programmes
DGA
4 063
Simulation dissuasion
DGA
329,5
P178
Préparation
et emploi des
forces
EMA
Évaluations
tactiques
EMAT/
EMM
/EMAA
< 10
Recherche
et enseigne-
ment supérieur
P191
Recherche duale
civile
et militaire
DGA
Contribution CNES
DGA
130,2
Contribution CEA
DGA
23,8
P193
Recherche
spatiale
DGRI
(enseigne-
ment
supérieur &
recherche)
Subvention CNES
DGRI
1 982,5
TOTAL
hors P178 et P193
5 530,5
Source : loi de finances initiale de 2020 (crédits de paiement)
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
63
Comme le montre le tableau ci-avant, les crédits de R&D de
défense (5,53
Md€ en 2020
correspondant à la somme des cases
colorées du tableau ci-dessus) sont éclatés sur trois programmes
budgétaires relevant de deux missions budgétaires différentes. Il existe
par
ailleurs
d’autres
crédits
relevant
d’autres
programmes
qui
concourent directement à la R&D de défense, principalement ceux de
la recherche spatiale pour un montant de 1,98
Md€.
Cette
organisation budgétaire n’est pas ali
gnée sur la gestion
effective des crédits et ne permet donc pas la sanctuarisation financière
d’une politique pourtant présentée comme prioritaire par le ministère
des armées
. Ainsi, l’
A
gence de l’innovation de défense, créée en 2018,
n’apparaît pas dans l’organisation budgétaire
, bien que la plupart des
crédits d’innovation entrent dans son périmètre de responsabilités
.
2 -
Une coordination interministérielle insuffisante
La loi de programmation militaire 2019-2025, qui fait de
l’innovation un des quatre axes
prioritaires de la période, a logiquement
acté l’augmentation progressive des crédits des études amont pour
qu’ils atteignent 1
Md€ par an à partir de 2022.
Si cet effort est réel, il n’est pas cohérent avec la baisse parallèle
des crédits en matière de politique spatiale, puisque les crédits du
programme 191 de recherche duale
36
sont passés de 193
M€ à 154
M€
entre 2014 et 2020. Le plan de relance de septembre 2020 prévoit
d’ailleurs de corriger cela en allouant 127,7
M€ au programme
191 en
2021. Par ailleurs, les crédits du programme 193 de recherche spatiale,
orientés à la hausse, n’impliquent pas le ministère des armées, malgré la
forte dualité entre les applications civiles et militaires de la politique des
lanceurs spatiaux qu’il contribue à financer
37
.
Contrairement à ce qui existe en matière de défense, il n’existe
aucune
programmation
budgétaire
pluriannuelle,
validée
en
interministériel et par le Parlement, des crédits de la politique spatiale.
36
Dont 80 %
alimentent le centre national d’études spatiales (CNES)
.
37
La Cour des comptes avait insisté sur la dimension stratégique des lanceurs
spatiaux dans le chapitre du rapport public annuel 2019 consacré au sujet.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
64
3 -
Une performance mal mesurée
Alors que le ministère des armées
a érigé l’innovation en priorité,
il a accordé moins d’importance à rendre compte de ses résultats.
Le
seul indicateur de performance
contenu dans les documents
budgétaires se limite aux crédits des études amont du programme 144
et mesure le franchissement des niveaux de maturité technologique
(TRL) planifi
és au cours de l’année écoulée. Il n’existe
donc pas
d’indicateurs mesurant
la dépense d'innovation véritable, c'est-à-dire
comportant une prise de risque. Le ministère des armées ne dispose pas
non plus d’une méthodologie mesurant l’efficacité des projets financés
lui permettant de rendre compte au Parlement des résultats obtenus.
B -
Des réformes à approfondir dans la durée
1 -
Une A
gence de l’innovation de défense
tout juste lancée
La création de l
’Agence de l’innovation de défense (AID) au
1
er
septembre 2018 constitue une réforme majeure pour un ministère aux
structures historiquement bien installées. Service à compétence
nationale, rattaché au délégué général pour l’armement, l’AID doit
animer et
coordonner, avec un effectif d’une centaine de personnes,
la politique d’innovation du ministère des armées, soit un ensemble de
dispositifs représentant 1,11
Md€ (cf. graphique n°
1 dans la présentation
du chapitre).
En quelques mois, l’AID s’est mise en
ordre de marche, tout en
gagnant en visibilité interne et externe grâce à des actions de
communication remarquées telles que la prestation de «
l’homme
volant » sur les Champs-Élysées, le 14 juillet 2019
38
. Sur le fond, l’AID a été
la
cheville
ouvrière
de
l’élaboration
de
plusieurs
documents
d’orientation qui actent notamment la répartition des crédits des études
amont et l’intégration de bout en bout de l’ensemble des dispositifs
d’innovation du ministère.
38
Il s’agit d’une démonstration de plateforme volante autopropulsée effectuée
par Francky Zapata lors du défilé du 14 juillet 2019.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
65
Les principaux dispositifs d’innovation gérés par l’Agence
de l’innovation de défense
Les dispositifs concernés répondent à des objectifs différents :
-
le
financement
de
la
recherche
publique
:
il
s’agit
principalement des études amont et des subventions aux
organismes de recherche sous tutelle du ministère des armées
(ONERA et Institut de Saint-Louis) ;
-
le soutien aux entreprises innovantes : se trouvent dans cette
catégorie le dispositif RAPID de soutien aux petites et moyennes
entreprises innovantes et le fonds d’investissement DEFINVEST
;
-
le soutien à la recherche académique : figurent ici les dispositifs
ASTRID et ASTRID Maturation concourant aux financements de
thèses et de leurs applications pratiques ;
-
l’encouragement aux initiatives au sein du ministère des
armées : ce rôle est joué par la miss
ion de l’innovation
participative.
Toutefois, l’Agence de l’innovation de défense, malgré son nom,
n’est pas une agence au sens juridique du terme. Elle ne dispose ni de
l’autonomie juridique, ni des prérogatives budgétaires, ni de la capacité
autonome de recrutement qui caractérisent en général les agences.
Cette situation contraste avec celle de la DARPA américaine, souvent
citée en exemple. En tout état de cause, son efficacité devra être
appréciée dans la durée et elle pourrait d’ores et déjà œuvrer à
une
meilleure mesure de la performance de l’innovation de défense.
La DARPA américaine
Cette agence fédérale américaine, chargée de la R&D des
nouvelles technologies à usage militaire, est dotée d’un budget de
2,6
Md€ pour la seule innovation ouverte (50
M€ en France en 2019).
Son fonctionnement repose sur le lancement d’appels d’offres pour
des
projets de recherches, la plupart du temps sous-traités à des entreprises
ou des laboratoires universitaires.
Son rôle s’apparente donc plus à celui d’une centrale
d’achat qu'à celui d’un véritable organisme de recherche. Mais il lui
permet également
une plus grande ouverture de l’innovation à la
compétition, comme le montre par exemple le « DARPA Grand
Challenge » de 2004, mettant en compétition plusieurs véhicules
terrestres autonomes dans le désert avec un prix d’un million de
dollars à la clé pour le constructeur du véhicule ayant réalisé les
meilleures performances en matière d’autonomie.
Parmi les réalisations les plus symboliques pilotées par la
DARPA, il convient de signaler le projet ARPANET, ancêtre d’internet
développé dans les années 60, le système de positionnement GPS
ou encore le drone RQ1-Predator.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
66
2 -
Saisir
l’opportunité
du fonds européen de la défense
Même si les ambitions ont été réduites de 13
Md€ à 7
Md€ pour la
période 2021-2027 par le Conseil européen de juillet 2020, le fonds
européen de la défense représente une opportunité réelle pour
l’Union
européenne de devenir un acteur majeur de la recherche de
défense. C'est en effet la première fois que l'Union européenne
consacrera des budgets importants à la défense dans un domaine où
une mutualisation des dépenses de recherche et de développement
des États membres est susceptible de favoriser des économies d'échelle
au bénéfice de tous.
Il s'agit en outre d'un outil puissant de soutien à la compétitivité
des industries de défense européennes. La Commission européenne, qui
s’est dotée à cet effet d’une direction générale industrie de défense et
de l’espa
ce (DEFINS), a sélectionné les 16 premiers projets à financer
dans 24 États-
membres en juin 2020. L’année précédente, en 2019,
25 %
des crédits de l’action préparatoire au fonds européen de la
défense avait bénéficié aux entreprises françaises. Il est essentiel que le
ministère des armées, en coordination avec les autres ministères
concernés, accentue ses efforts pour développer une stratégie
d’influence vis
-à-
vis de l’Union
européenne. La France devra peser de
tout son poids pour que se développe une véritable autonomie
stratégique européenne dans certains domaines-
clés, tels que l’aviation
de combat, le renseignement ou la cyberdéfense.
3 -
Mieux utiliser le programme
d’investissements d’avenir
Depuis 2010, le programme d’investissement
s d
’avenir
(PIA) a
mobilisé 57
Md€ au profit d’investissements publics, dont
seuls 6,1
Md€
ont été alloués à des opérateurs relevant de la tutelle du ministère des
armées. La majeure partie (environ 4
Md€) a par ailleurs été investie
dans des projets civils sans lien direct avec la défense. Quant aux
2,1
Md€ de PIA
affectés à des projets liés à la défense, ils ont servi à
compenser pour 1,9
Md€
des baisses de crédits budgétaires sur des
programmes déjà lancés auparavant
39
. Les seuls projets de défense
financés par le PIA concernent le pro
totype de l’hélicoptère H160
et le
projet de moteur
d’hélicoptère
TS3000. Ainsi, le ministère des armées,
n’étant
parvenu à capter
qu’une très faible part du PIA, a utilisé
l’essentiel de ce
financement pour combler des impasses budgétaires.
39
Cette mauvaise utilisation a déjà été relevée par la Cour des comptes dans le
rapport public thématique de 2015 intitulé
Le programme d'investissements
d'avenir : une démarche exceptionnelle, des dérives à corriger
.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
67
Un scénario similaire s'est reproduit à l'été 2020 avec le plan de
relance dont l'opportunité n'a pas été saisie par le ministère des armées.
Malgré une dotation de 100
Md€, ce plan ne prévoit aucun
financement direct pour l’innovation de défense, à l’exception des
515
M€ du volet spatial du plan dont certains aspects peuvent
bénéficier à la défense.
4 -
Une coordination à renforcer entre R&D privée
et publique
L’
État est actionnaire de référence de grands groupes industriels
de défense qui disposent de budgets importants pour la R&D
autofinancée. Les trois plus importants en termes de chiffre d’affaires,
Airbus, Safran et Thales, ont investi à eux seuls 5,32
Md€ dans la R&D
autofinancée en 2018. Or,
force est de constater que l’
É
tat n’est pas en
mesure de connaître en détail la nature des projets de R&D financés et
encore moins de s’assurer de leur bonne coordination avec les projets
financés par crédits budgétaires. La situation la plus paradoxale est celle
du groupe Airbus, où l’
É
tat, bien qu’étant premier actionnaire au
x côtés
de ses partenaires allemands et espagnols, ne siège même pas au
conseil d’administration
, du fait des accords datant de la création
d’EADS. Là encore, cette situation ne saurait être considérée comme
satisfaisante eu égard à l’enjeu majeur que repr
ésente la coordination
entre recherches publique et privée. L'État doit donc s'organiser, en
coordination avec ses partenaires européens et industriels, pour mieux
connaître la R&D autofinancée par les grands groupes de défense et
favoriser une meilleure coordination avec l'effort de recherche financé
sur fonds publics.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ________________________
À l’approche de la révision d
e la loi de programmation militaire
2019-2025 prévue mi 2021,
la Cour des comptes attire l’attention sur
les trois défis principaux que le ministère des armées doit relever pour
tirer parti de sa politique d
’innovation et de l’eff
ort budgétaire
associé :
-
mieux intégrer les innovations aux futurs programmes d’armement,
en faisant évoluer une culture centrée sur la maîtrise des risques vers
une culture plus ouverte à l’innovation ;
-
réorienter les études amont vers une logique de préparation de
l’avenir et de maîtrise des technologies de rupture ;
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
68
-
s’appuyer sur le rôle moteur joué par l’innovation de défense dans
certains secteurs fortement touchés par la crise économique
(l’aéronautique en particulier), et plus généralement sur son
potentiel contra-cyclique, pour tirer un meilleur parti des ressources
acc
essibles en matière d’innovation de défense, notamment les
crédits du fonds européen de la défense, ainsi que la R&D
autofinancée des groupes industriels de défense au sein desquels
l’État est actionnaire de référence,
mais aussi les crédits publics qui
pourraient être mobilisés pour soutenir l’économie.
Dans
ce
contexte,
la
Cour
des
comptes
formule
cinq recommandations
à l’attention des pouvoirs publics :
1.
profiter de la croissance du budget des études amont pour
redéployer davantage de moyens en faveur des innovations
susceptibles de diminuer le coût de production et le coût de
maintenance des matériels (ministère des armées) ;
2.
recentrer les études amont sur les stades amont de la recherche de
défense, la recherche de technologies de rupture et l’adaptation
aux
besoins
militaires
de
l’innovation
ouverte
venant
du
civil (ministère des armées) ;
3.
sanctuariser l’effort de recherche en créant
, au sein de la mission
défense, un programme budgétaire d’innovation de défense
regroupant les crédits du programme 144 consacrés aux études
(études
amonts,
études
à
caractère
opérationnel
et
technico- opérationnel, études prospectives stratégiques) et aux
subventions des organismes de recherche, avec les crédits de
recherche duale du programme 191 (ministère des armées) ;
4.
mieux coordonner la recherche publique de défense avec la
recherche autofinancée p
ar les industriels, en s’appuyant sur la
position d’actionnaire de référence de l’
État dans de nombreuses
entreprises de défense
(ministère de l’économie, ministère des
armées) ;
5.
mettre en place au niveau de l'Agence de l'innovation de défense
une batterie d'indicateurs de performance permettant de rendre
compte des résultats du ministère des armées dans ce domaine
(ministère des armées).
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
Réponses
Réponse du Premier ministre
....................................................................
71
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
RÉPONSE DU PREMIER MINISTRE
Vous avez bien voulu me transmettre le chapitre du rapport
annuel de la Cour des Comptes relatif à « L’innovation de défense » dont
j’ai pris connaissance avec la plus grande attention. J’en partage la
plupart des constats, qui décrivent avec justesse les problématiques
liées à l’innovation de défense, et soulignent l’importance des
transformations en cours au sein du ministère des armées, ainsi que les
recommandations qui visent à poursuivre et approfondir cette
modernisation
La Cour constate la priorité assignée au soutien à l’innovation
dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2019
à 2025. Cette responsabilité qui incombe au ministère des armées
s’inscrit plus largement dans la politique
gouvernementale de soutien à
la recherche et à l’innovation, engagée depuis le début de la
mandature actuelle et qui s’inscrira sur le long terme, conformément à
la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030,
promulguée le 24 décembre dernier.
Cette priorité s’est concrétisée en premier lieu par la hausse des
moyens financiers consacrés à l’innovation de défense, passant de
730
millions d’euros en moyenne avant 2017 à plus de 900 millions
d’euros en 2021. Cette hausse sera poursuivie conformément à l’objectif
d’atteindre 1 milliard d’euros en 2022.
Au-
delà, le ministère des armées a mis en œuvre une
transformation profonde de sa gouvernance et de sa culture en matière
d’innovation qui répond largement à vos constats et qui sera poursui
vie
et approfondie, comme la Cour le recommande.
Elle s’est traduite en particulier par la création en 2018 de
l’agence de l’innovation de défense (AID) chargée de coordonner et
d’animer la politique d’innovation du ministère dans l’ensemble de ses
composa
ntes, et d’assurer une relation étroite avec les acteurs publics
et privés de l’innovation, afin d’en tirer le meilleur parti. Le choix d’un
statut de service à compétence nationale rattaché à la Direction
Générale de l’Armement, constitue la solution adap
tée et la plus
efficace sur le plan administratif pour identifier clairement cette fonction
nouvelle, tout en l’intégrant dans les processus de conduite des
opérations d’armement, et plus généralement dans l’ensemb
le des
activités du ministère.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
72
Comme le souligne la Cour, la nouvelle instruction sur la conduite
des opérations d’armement permet une meilleure prise en compte de
l’innovation, une plus grande agilité et une prise de risque plus
importante, ainsi qu’une approche partenariale avec les industriel
s.
La
Cour
note
justement
que les restrictions
budgétaires
appliquées sur les deux lois de programmation militaires précédentes,
avaient conduit à réduire l’effort de préparation de l’avenir, et à
recentrer les études amonts sur la maturation des technologies pour la
préparation des programmes, au détrime
nt de l’innovation de rupture.
L’effort
budgétaire
réalisé
dans
le
cadre
de
la
loi
de
programmation actuelle, mais aussi les arbitrages réalisés par le ministère
des armées, permettent de corriger cette situation. Cette nouvelle
politique favorisant la préparation de l’avenir et l’innovation de rupture
a été accentuée avec les orientations prises en 2020 dans le cadre du
nouveau document d’orientation des études amonts et sera poursuivie
dans la durée.
Cer
tains constats de la Cour sur l’allocation des crédits méri
tent
cependant d’être nuancés.
L’effort supplémentaire consacré à l’innovation a bien été fixé sur
la base des priorités politiques de la LPM. Ainsi par rapport à la LPM
précédente
les
crédits
con
sacrés
à
l’agrégat
Numérique/Spatial/Renseignement progressent de 130 %. Ceux relatifs
à la captation de l’innovation progressent de 73 %.
A contrario
, ceux relatifs à l’aviation de combat progressent de
20 %, compte tenu du fait qu’ils constituaient déjà
un socle important
dans la LPM précédente. Par ailleurs, l’importance de cet agrégat, que
la Cour semble déplorer, intègre des innovations de rupture et porte des
enjeux majeurs de préparation de l’avenir, s’agissant notamment du
système de combat aérien du futur.
En outre, le secteur de l’aéronautique est par nature très
fortement dual et cet effort du ministère des armées auprès des
industriels constitue un soutien important dans le contexte actuel de la
crise qu’ils subissent, soutien que la Cour invite
le Gouvernement à
intensifier.
S’agissant du programme Scorpion, l’arbitrage relatif à la part des
véhicules qui seront équipés en tourelleaux téléopérés, ne renvoie pas à
une problématique de passage à l’échelle ou d’incorporation de
l’innovation, mais à
une juste appréciation de l’équipement des
véhicules, au regard du besoin opérationnel et des ressources, donc à
un arbitrage capacitaire.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
L’INNOVATION DE DÉFENSE, UN OUTIL D’INDÉ
PENDANCE STRATÉGIQUE
ET ÉCONOMIQUE À RENFORCER
73
Pour l’hélicoptère Tigre, l’emploi de cet armement conserve toute
sa pertinence dans le cadre des engagements opérationnels actuels et
futurs, et ses évolutions doivent précisément lui permettre d’incorp
orer
de nouvelles technologies.
Enfin, les crédits d’études amonts consacrés à la cyberdéfense
progressent de 73 %. Cet indicateur n’est par ailleurs pas représentatif
de l’intensité de l’effort consacré par la LPM à l’innovation dans ce
domaine. En effet, celui-ci réside principalement dans les ressources
humaines internes au ministère des armées qui lui sont consacrées et qui
sont en très forte hausse dans le cadre de la LPM.
Le Ministère des armées s’attache par ailleurs à renforcer ses liens
avec les écosystèmes d’innovation, et en particulier les start
-up. Celles-
ci bénéficient fortement des nouveaux outils de soutien à l’innovation
mis en place par le ministère des armées, comme au niveau
interministériel.
La Cour souligne l’opportunité que constitue le fonds européen
de défense, dont la France a été l’un des initiateurs et qui permet pour
la première fois un investissement de l’Union européenne dans des
projets à vocation militaire. Les premiers résultats obtenus en 2019 par la
France dans le cadre de l’action préparatoire à ce fonds soulignent la
forte mobilisation de l’ensemble des ministère
s concernés et des
industriels.
S’agissant
du
programme
d’investissement
d’avenir,
la
mobilisation de crédits à hauteur de 2,1 Md€ évoquée par la Cour
correspondait effectivement à des insuffisances dans le financement de
la précédente loi de programmation militaire. Le PIA a toutefois été
mobilisé sur des projets d’innovation
en cohérence avec sa logique
d’intervention. La loi de programmation militaire 2019
-
2025 n’intègre pas
d’hypothèses de recettes exceptionnelles, ni de PIA, ce qui répond à
une exigence de sincérité budgétaire que la Cour a souligné dans ses
rapports sur l’
exécution des crédits du ministère des armées.
La coordination interministérielle en matière d’innovation dans le
domaine aéronautique et spatial, afin de tirer parti des dualités
particulièrement importantes dans ces secteurs est une réalité de
longue date, et continuera à être renforcée.
La recommandation de la Cour consistant à fusionner le
programme relatif à l’innovation de défense inclus dans la mission
Défense avec le programme Recherche Duale, qui appartient à la
mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur, me
semble présenter le risque d’affaiblir la composante duale, que la Cour
appelle par ailleurs à renforcer.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
COUR DES COMPTES
74
S’agissant de l’innovation autofinancée par les industriels, celle
-ci
fait l’objet d’un suivi dans le cadre de la nég
ociation des instruments de
soutien à l’innovation portés par le ministère, et par les commissaires du
Gouvernement placés auprès des industriels concernés. Des actions
permettant de renforcer la part de recherche ou de développement
autofinancée par les industriels ont été engagées. Par ailleurs, la
Direction Générale de l’armement et les administrations des autres
ministères concernés, soit au titre de la détention d’une participation,
soit au titre de la politique de soutien à l’innovation dans leur sect
eur de
compétence, entretiennent un dialogue régulier avec les entreprises sur
leurs actions en matière de recherche et développement, qui doit
certainement pouvoir encore être renforcé.
En revanche, l’État n’est pas en position, notamment lorsqu’il
détient une participation minoritaire dans des entreprises cotées,
implantées dans plusieurs pays, d’exercer un pilotage sur l’ensemble de
leur action en matière de recherche et développement. Il doit
également être précisé que le fruit de cette recherche peut être la
propriété de la société qui l’a financée, sans être nécessairement
accessible à l’État. L’État actionnaire, en particulier lorsqu’il est
minoritaire (Airbus, Thalès, Safran), ne peut se dérober à cette réalité.
Toutefois, les sociétés tiennent naturellement compte des besoins de
l’État, leur client, dans l’estimation de ses capacités et de ses bes
oins
d’autofinancement de R&D.
Enfin, en termes de suivi des résultats, je précise que le dispositif
d’évaluation de la performance en ce domaine est aujourd’hui articulé
autour d’un indicateur intitulé « taux de progression des technologies
spécifiques nécessaires à la défense », d’un document d’exécution de
l’innovation de défense (DEID) et, depuis 2020, d’un rapport d’activités
de l’innovation de défense
qui s’attache à illustrer les projets
d’innovation de rupture soutenus ainsi que les projets accompagnés
auprès de start-up ou de PME innovantes.
Rapport public annuel 2021 – Tome II
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes