COUR DES COMPTES
Dépôt du Rapport public annuel devant l’Assemblée nationale
7 février 2007
___
Intervention de M. Philippe SÉGUIN,
Premier président de la Cour des comptes
___
Monsieur le Président,
En application de l’article L 136-1 du code des juridictions financières, j’ai l’honneur de
remettre à l’Assemblée nationale le rapport public annuel de la Cour des comptes que je viens
de présenter à Monsieur le Président de la République.
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des finances,
Monsieur le Rapporteur Général,
Monsieur le Président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
Mesdames, Messieurs les députés,
C’est la troisième fois que me revient l’honneur de vous présenter ce rapport annuel, dont
vous savez qu’il fête cette année, comme la Cour, son bicentenaire.
L’exercice pourra donc paraître rituel.
Mais ce geste conserve un sens. Il rappelle que cette
communication, apparemment banale, est l’aboutissement d’un long combat et le signe d’une
victoire : celle du Parlement.
*
Car si le rapport annuel a deux cents ans, le principe de sa communication aux assemblées
n’en a que 175.
Le Parlement avait déjà définitivement conquis, dès 1817, le pouvoir de voter le budget, puis,
dans les années suivantes, d’en contrôler l’exécution, conquête fondatrice s’il en est.
Mais il fallut attendre 1832 pour qu’il obtienne de pouvoir prendre connaissance du rapport
annuel initialement réservé au seul souverain.
Cette transmission fut le point d’orgue de l’avènement du pouvoir parlementaire.
La fonction d’assistance au Parlement, ainsi implicitement reconnue à la Cour, n’a cessé,
depuis, de s’élargir, avant d’être à nouveau consacrée et amplifiée par la LOLF.
Aujourd’hui, ce n’est plus seulement un
rapport annuel que nous vous remettons.
1
Depuis 2002, ce sont 188 référés, 167 rapports particuliers, cinq rapports sur l’exécution
budgétaire, cinq rapports sur la Sécurité sociale, quatre rapports préliminaires, 44 rapports
établis à sa demande sur la base des articles 58-2 de la LOLF
1
et 14 de la loi organique de
2005 relative aux lois de financement de la Sécurité sociale, qui ont été remis au Parlement.
Pour la seule année 2006, nous vous avons ainsi remis 34 rapports particuliers, 31 référés et
huit rapports réalisés à votre demande portant notamment sur la gestion de la prime pour
l’emploi, le financement des régimes spéciaux de retraite ou sur le financement des
établissements de santé publics et privés pour n’en citer que quelques-uns, ainsi qu’un rapport
réalisé à la demande de la mission d’étude et de contrôle de la Sécurité sociale sur la réforme
de la tarification des établissements de santé.
La dynamique s’est donc radicalement accélérée. En 2002, nous consacrions un quart de notre
temps de travail à ces travaux. En 2006, la proportion avait doublé et elle est, selon toute
vraisemblance, appelée à s’accroître.
Et encore me suis-je abstenu de prendre en compte les rapports publics thématiques et autres
travaux qui ne relèvent pas directement de notre mission d’assistance mais qui vous sont
également communiqués.
Le fait est trop souvent ignoré et je voudrais le souligner : il est peu de parlements au monde
qui reçoivent autant de « substance » de leur institution supérieure de contrôle que le
Parlement français.
Je ne saurais mieux rappeler que nous sommes à votre disposition. A votre disposition pour
assister dans ses travaux d’évaluation et de contrôle la commission des finances. A votre
disposition pour assister la commission des affaires culturelles, familiales et sociales dans ses
travaux relatifs aux lois de financement de la Sécurité sociale. Je viens moi-même
régulièrement m’exprimer devant elles et répondre, par ailleurs, aux questions des missions
d’évaluation et de contrôle. Nous sommes à votre disposition, enfin, pour mener les enquêtes
sur les sujets que vous jugez utiles.
Reste, de manière pragmatique, à faire en sorte que notre contribution soit toujours plus
fructueuse.
C’est pourquoi, comme je l’ai annoncé à l’occasion de la séance solennelle de la Cour, nous
tiendrons désormais l'ensemble des parlementaires régulièrement informés de la liste de nos
communications. Par ailleurs, nous assortirons désormais la transmission de nos référés et
rapports particuliers de synthèses explicatives.
La Cour entend en outre se donner les moyens d'une plus grande réactivité. Nous savons que
nous devons nous adapter au rythme de vos travaux. C’est pourquoi nous demanderons la
réduction des délais de contradiction – avec les organismes contrôlés – qui expliquent pour
une bonne part un décalage trop fréquent entre le temps de la Cour et celui du Parlement. Et
nous ramènerons le délai moyen de réponses à vos demandes d’enquêtes à la durée habituelle
des
commissions
d'enquête
parlementaire.
Dans
certaines
circonstances,
une
note
d'information pourra même être communiquée dans des délais encore plus courts.
1
18 à l’assemblée nationale et 25 au Sénat
2
Nous nous sommes par ailleurs et d’ores et déjà mis en situation d’assumer celles de nos
nouvelles compétences qui prennent effet cette année. Nous vous remettrons au printemps
prochain quatre documents : deux sont déjà connus de vous : le rapport sur les résultats, lequel
sera enrichi cette année, pour la première fois,
des commentaires de la Cour sur les
performances obtenues pour une vingtaine de programmes, et le rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques qui actualisera et approfondira l’analyse contenue dans le
présent rapport annuel. Le 3
ème
document sera l’expression de notre opinion sur les comptes
de l’Etat, rédigée au terme du processus de certification, et qui viendra en lieu et place du
rapport sur les comptes réalisé l’an dernier. Nous vous remettrons enfin un 4° document dans
lequel nous exprimerons notre opinion sur les comptes du régime général de la Sécurité
sociale. Pour autant, comme les années passées, nous vous remettrons, à l’automne, le
traditionnel rapport sur l’application de la loi de financement de la Sécurité sociale.
A propos de la certification, je voudrais encore une fois rappeler ici que nous ne concevons
pas nos nouvelles missions comme des armes de censure ou de sanction d’une politique,
encore moins d’un gouvernement. Nous nous contenterons de nous prononcer sur la
conformité et la fidélité des états comptables au référentiel que l’Etat s’est donné.
De façon plus générale, nous avons bien conscience que les réformes comptable et budgétaire
qu’impose la LOLF sont lourdes et très ambitieuses. Les administrations, je leur en donne
bien volontiers acte, ont déjà fourni un effort énorme pour répondre à ces nouvelles exigences
et nous n’avons pas manqué de souligner les progrès déjà réalisés. Nous travaillons en outre
dans une logique de partenariat et d’accompagnement de la réforme plus que de sanction ou
de censure. Les rencontres et les échanges avec les ministères sont plus nombreux que jamais
et nous veillons à répondre à leurs propres attentes.
Nous avons ainsi nous-mêmes engagé de profondes réformes internes pour nous adapter aux
enjeux de la LOLF.
Conformément aux préconisations du rapport de MM. Lambert et Migaud, nous avons
spécialisé nos équipes ; nous distinguons mieux les différents types de contrôle : le
juridictionnel, la certification, et l’examen de la gestion font l’objet de méthodologies, de
contrôles, de rapports et de délibérés distincts.
De la même façon, nous souhaitons vous apporter le soutien que vous jugerez nécessaire pour
assumer les nouveaux pouvoirs que vous confère la LOLF.
Afin que nous soyons en mesure de répondre totalement à votre attente, il nous reste à trouver
la procédure de concertation la plus appropriée pour nous permettre, s’agissant de l’évaluation
de la performance, programme par programme, de nous engager sur les travaux dont vous
aurez vous-mêmes signalé la priorité. Il serait absurde de procéder autrement : notre vocation
est de vous assister. C’est à vous de dire vos besoins. Nous saurons adapter nos programmes
en conséquence.
*
Vous l’aurez compris : nous voulons vous être réellement utiles comme nous souhaitons
l’être, également, au Gouvernement et aux citoyens. Et le rapport public que nous vous
remettons ce jour et que je présenterai demain à la presse, leur est également adressé.
3
Mettre à la disposition des citoyens une expertise impartiale sur le fonctionnement de
l’administration, mettre au jour ses faiblesses et les améliorations nécessaires, mais aussi ses
succès, c’est contribuer au débat démocratique. Et il est symptomatique de se souvenir que le
seul régime qui ait douté de l’utilité du rapport annuel au point de le supprimer fut le régime
de Vichy.
Utiles nous le serons en restant impartiaux. Utiles nous le serons en
restant à l’écoute et au
service des uns et des autres, du Parlement, du Gouvernement et des citoyens. Comme le
rappelait le Président de la République à l’occasion de notre séance solennelle de rentrée,
«
gardons nous de remettre en cause ce principe d’équilibre».
*
C’est dans cet esprit en tout cas, en souhaitant répondre à vos attentes et à celles de nos
différents interlocuteurs, que nous avons élaboré ce millésime du rapport annuel.
Il s’ouvre, comme l’an dernier, sur une analyse de la situation des finances publiques. Les
chiffres sont encore provisoires mais mettent en évidence une amélioration sensible. Je
n’entre pas dans le détail puisque, comme je vous l’ai dit, nous consacrerons à ce sujet un
rapport spécifique au printemps, et ce sur des chiffres définitifs.
Je soulignerai simplement que certains des facteurs de cette amélioration sont conjoncturels.
C’est dire que l’effort accompli reste à compléter pour améliorer encore la maîtrise de la
dépense publique, seule vraie garantie du caractère pérenne des résultats obtenus et à obtenir.
Le rapport annuel 2007 est tout cas l’occasion d’illustrer par des exemples variés et concrets
les voies envisageables pour atteindre cet objectif général et, j’ai cru le comprendre,
consensuel.
Le premier tome contient cette année 20 analyses de ce type portant sur des secteurs très
divers.
Nous examinons notamment plusieurs dispositifs d’aide,
aides agricoles et aides à
l’entreprise
. Et vous le verrez, nos conclusions convergent : les aides foisonnent mais leurs
conditions d’attribution ne sont que très imparfaitement contrôlées et leur efficacité très
partiellement mesurée ce qui ne donne pas de garantie décisive sur leur utilité.
De même, l’insertion sur les
aides personnelles au logement
permet de revenir sur une
observation récurrente de la Cour : dans un contexte budgétaire très contraint, il est
indispensable de mieux cibler les aides. Sans cela, leur niveau par bénéficiaire risque de
demeurer insuffisant, voire de l’être toujours davantage.
Nous revenons également sur le régime
d’indemnisation des intermittents du spectacle
.
Notre conclusion est claire : la réforme de 2003 n’a pas encore réglé le problème qui est tout à
la fois un problème financier et un problème d’équité.
En matière de santé et de Sécurité sociale, nous abordons successivement la question des
urgences et celle des soins palliatifs
. Je n’entrerai pas dans le détail mais soulignerai
simplement que dans les deux cas, le problème est moins un problème de moyens qu’un
problème de comportements et d’organisation de l’offre de soins.
4
Nous consacrons également, vous le verrez, des développements à la recherche en matière de
sciences et techniques de l’information et de la communication
ainsi qu’à
l’autonomie de
gestion des établissements d’enseignement du secondaire
. Vous trouverez aussi dans le
rapport une insertion consacrée aux
centres de rétention administrative
et plusieurs
insertions portant sur la
gestion locale
, réalisées avec l’aide des chambres régionales et
territoriales des comptes.
*
Mais ce n’est pas tout.
Nous consacrons cette année un deuxième tome presque aussi important que le premier à
l’examen des suites données à nos précédents contrôles ; d’une part pour tordre le cou à un
préjugé coriace qui voudrait que la Cour prêche la bonne parole dans le vide ; d’autre part
pour sortir de la trop vieille habitude de la juridiction de ne parler que de ce qui va mal.
A ce titre, le rapport montre que la Cour a été incontestablement suivie dans nombre de ses
recommandations portant sur la régularité et l’efficience de la gestion des organismes qu’elle
contrôle.
Et il apparaît très clairement que c’est lorsque nous revenons régulièrement dans un
organisme ou sur une politique donnée, lorsque nous faisons état précisément et régulièrement
des suites données à nos observations que nous obtenons les résultats les plus probants.
Je ne veux pas me lancer ici dans un recensement exhaustif de nos travaux de suivi mais
j’appelle votre attention sur quelques exemples très encourageants.
Par exemple, lors d’un nouveau contrôle de la
Banque de France
, dont nous avions
sévèrement critiqué certains aspects de la gestion en 2005, nous avons constaté des avancées
majeures : le réseau a été drastiquement réduit, les effectifs diminués et des gains de
productivité importants ont été réalisés.
Certes, nos recommandations sur la nécessaire refonte de la gestion des ressources humaines
et de l’action sociale gardent toute leur actualité. Mais l’établissement s’est engagé sur la
bonne voie.
Autre exemple pour
Météo France
: suite à nos recommandations, la tenue de la comptabilité
a été améliorée, une comptabilité analytique a été mise en place et les procédures de gestion
interne ont fait l’objet d’une meilleure formalisation.
Les résultats de notre contrôle de suivi sur
EDF
sont également encourageants: comme nous
le recommandions, l’électricien a recentré son activité internationale sur des participations
stratégiques et abandonné les autres.
Et je pourrais multiplier les exemples. Vous en trouverez de nombreux dans le corps de ce
rapport.
Mais je mentirais par omission si je me contentais de dresser un tableau exclusivement positif.
5
Il est des domaines où les progrès sont lents. C’est le cas notamment de la
gestion des
ressources humaines
et des rémunérations. Dans nombre des établissements que nous avons
à nouveau contrôlés,
nous avons retrouvé inchangées des pratiques critiquables… Concernant
plus particulièrement les
pensions des fonctionnaire
s par exemple, si la loi de 2003 a
consacré des avancées majeures, force est de constater néanmoins que certains dispositifs très
coûteux et très contestables d’indemnités servies aux pensionnés résidant outre-mer ou de
bonifications de dépaysement accordées aux fonctionnaires ayant exercé à l’étranger et dans
les DOM-TOM n’ont pas été remis en cause ou à tout le moins adaptés à la réalité des
situations.
Vous verrez également que nous revenons sur un certain nombre de travaux d’évaluation de
politiques publiques : politique pour les personnes handicapées, politique de lutte contre
l’alcoolisme ou politique d’accueil des immigrants notamment.
Dans ces domaines, souvent gérés par une multiplicité d’intervenants - que nous déplorons -
et cruellement dépourvus de moyens de suivi statistique et de pilotage, les résultats obtenus
sont moins évidents.
C’est à plus long terme que nous pouvons espérer des changements plus convaincants.
*
Un mot enfin sur le rapport d’activité de la Cour de discipline budgétaire et financière.
Comme l’an dernier, il fait l’objet d’une publication séparée et annexée au rapport annuel de
la Cour des Comptes. C’est désormais d’ailleurs bien plus qu’un
simple rapport d’activité.
Nous avons voulu en faire un vecteur privilégié de communication pour mieux faire connaître
la Cour de discipline budgétaire et financière, son rôle et sa jurisprudence. Ce rapport a
également pour objectif de constituer un outil de référence pour les praticiens et les autorités
habilitées à saisir la CDBF dont, Monsieur le Président, je n’oublie pas que vous faites partie.
En 2005 les moyens d’instruction et de jugement de la Cour ont été renforcés, le
fonctionnement interne amélioré et les délais de traitement des affaires réduits.
La CDBF traite un nombre croissant de saisines et peut en traiter plus encore. Il ne faut donc
pas hésiter à la saisir.
Vous le savez, nous souhaiterions voir le rôle de la CDBF encore renforcé par une réforme
législative d’ampleur. Je suis convaincu que tout le monde aurait à y gagner car nous
pourrions ainsi contribuer à limiter le risque de pénalisation de l’action publique.
Nous travaillons en tout cas dans ce sens et nous espérons que nos efforts pourront porter
leurs fruits.
*
Tels sont, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, les quelques
observations dont je voulais vous faire part.
J’espère que nos travaux vous apporteront, encore une fois, des analyses et une expertise
susceptibles d’éclairer vos débats.
6
C’est dans cet esprit en tout cas que nous avons travaillé et que nous continuerons à travailler
pour vous.
Et en cette année d’anniversaire, nous n’oublions pas que pour être ancienne, notre vocation à
vos côtés est aujourd’hui radicalement confortée et revivifiée. Nous savons donc où est le
chemin.
Je vous remercie de votre attention.
*
7