LA FILIÈRE EPR
Rapport public thématique
La filière EPR
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Sommaire
Procédures et méthodes
................................................................................
5
Délibéré
..........................................................................................................
9
Synthèse
........................................................................................................
11
Récapitulatif des recommandations
...........................................................
17
Introduction
..................................................................................................
19
Chapitre I
La construction de l’EPR de Flamanville : un échec
opérationnel, des dérives de coûts et de délais considérables
...................
25
I - Une gouvernance et un pilotage défaillants
...............................................
26
A - Un projet conçu dans des conditions défavorables
.........................................
26
B - Des difficultés de réalisation de l’EPR sous-estimées
....................................
27
C - Une conduite de projet défaillante par EDF et un suivi insuffisant par
l’État
.....................................................................................................................
33
II - Une succession de défauts mettant en cause la culture de la qualité
de la filière industrielle
..................................................................................
42
A - Une absence préjudiciable de dialogue technique entre EDF et ses
prestataires et de trop nombreuses modifications apportées en cours de
chantier
.................................................................................................................
42
B - Les anomalies de la cuve du réacteur ayant nécessité une décision de
l’ASN
...................................................................................................................
46
C - Un dysfonctionnement grave dans la gestion du chantier : la question
des soudures mal réalisées
....................................................................................
50
D - Des contentieux affectant la situation financière d’entreprises dont le
capital est détenu majoritairement par l’État
........................................................
57
III - Des conséquences financières lourdes, une rentabilité affectée
..............
63
A - Un retard supérieur à onze ans, un coût qui a plus que triplé par rapport
à l’estimation initiale
............................................................................................
63
B - Une estimation des coûts complémentaires au coût de construction
...............
65
C - Un coût de production de l’électricité de l’EPR de Flamanville qui
n’est plus calculé depuis plus de dix ans
...............................................................
69
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COUR DES COMPTES
4
Chapitre II
Une stratégie internationale prise en défaut et la
perspective d’un EPR « optimisé » à confirmer
........................................
73
I - À l’international, des déboires pour l’ex-Areva et des risques
financiers élevés pour EDF
............................................................................
74
A - En Finlande, le réacteur d’Olkiluoto 3 : un projet pénalisant pour
Areva
....................................................................................................................
74
B - En Chine, les réacteurs de Taishan 1 et 2 : des travaux achevés avec
succès, mais une rentabilité encore insuffisante
...................................................
79
C - Au Royaume-Uni, les réacteurs d’Hinkley Point 1 et 2 : un risque
financier élevé pour EDF
......................................................................................
83
D - Les autres projets d’EDF au Royaume-Uni
....................................................
89
E - Des projets incertains en Inde
.........................................................................
90
II - La construction d’une série d’EPR2 en France : un choix
technologique, économique et de politique énergétique
................................
93
A - Un objectif de réduction du coût de construction à confirmer
........................
93
B - Le financement de nouveaux réacteurs EPR et leur place dans le mix
électrique à long terme à préciser
.......................................................................
103
Annexes
.......................................................................................................
113
Réponses des administrations et organismes concernés
.........................
135
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Procédures et méthodes
En application de l’article L. 143-6 du code des juridictions
financières, la Cour des comptes publie, chaque année, un rapport public
annuel et des rapports publics thématiques.
Au sein de la Cour, ces travaux et leurs suites, notamment la
préparation des projets de texte destinés à un rapport public, sont réalisés
par l’une des six chambres que comprend la Cour ou par une formation
associant plusieurs chambres.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité
de la Cour, ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes,
et donc aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que
l’élaboration des rapports publics : l’indépendance, la contradiction et la
collégialité.
L’
indépendance
institutionnelle des juridictions financières et
statutaire de leurs membres garantit que les contrôles effectués et les
conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique que toutes les constatations et
appréciations ressortant d’un contrôle ou d’une enquête, de même que
toutes les observations et recommandations formulées ensuite, sont
systématiquement soumises aux responsables des administrations ou
organismes concernés ; elles ne peuvent être rendues définitives qu’après
prise en compte des réponses reçues et, s’il y a lieu, après audition des
responsables concernés.
La
collégialité
intervient pour conclure les principales étapes des
procédures de contrôle et de publication.
Tout contrôle ou enquête est confié à un ou plusieurs rapporteurs.
Leur rapport d’instruction, comme leurs projets ultérieurs d’observations et
de recommandations, provisoires et définitives, sont examinés et délibérés
de façon collégiale, par une chambre ou une autre formation comprenant au
moins trois magistrats. L’un des magistrats assure le rôle de contre-
rapporteur et veille à la qualité des contrôles.
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COUR DES COMPTES
6
La présente enquête a été notifiée en février puis avril 2019 à dix-
sept administrations et organismes, dont huit entreprises (Autorité de sûreté
nucléaire, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, Haut comité
pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, secrétariat
général du ministère de la transition écologique et solidaire, direction
générale de l’énergie et du climat, agence des participations de l’État,
direction générale des entreprises, Commissariat à l’énergie atomique et aux
énergies alternatives, Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie,
EDF,
RTE,
Framatome,
Areva
SA,
Orano,
Edvance,
TechnicAtome, Bouygues Travaux publics).
Les échanges avec ces administrations et organismes ont débuté à
cette date et se sont déroulés tout au long de l’enquête. De nombreux
entretiens ont par ailleurs été conduits entre mai et octobre 2019 avec des
experts
scientifiques,
des
associations,
des
organisations
non
gouvernementales et des syndicats de salariés. Au total, cette enquête a
donné lieu à des échanges avec près de 80 personnes.
Des visites des chantiers de l’EPR de Flamanville 3 et des réacteurs EPR
de Hinkley Point (Royaume-Uni) ont été organisées en juin et octobre 2019.
Un rapport d’observations provisoires, délibéré par la deuxième
chambre le 4 décembre 2019, a été contredit avec les administrations et
organismes contrôlés en janvier et février 2020. À la suite de cette
contradiction, la deuxième chambre a pris l’initiative d’auditionner, les 27
et 28 février 2020, les responsables des principaux organismes et
administrations concernés (le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, le
Commissaire aux participations de l’État, le directeur général de l’énergie
et du climat, le président-directeur général d’Électricité de France, le
président du directoire et
Chief Executive Officer
de Framatome, ainsi que
le directeur-général d’Areva SA).
Le projet de rapport soumis à la chambre du conseil a été délibéré le
25 mars 2020, par la deuxième chambre, présidée par Mme Podeur,
présidente de chambre, et composée de MM. Dahan, Levionnois, conseillers
maîtres, M. Albertini, président de section, conseiller maître, ainsi que, en
tant que rapporteurs, M. Collin, conseiller maître, Mme Oltra-Oro,
conseillère référendaire et M. Mary, rapporteur extérieur, et, en tant que
contre rapporteur, M. Guéroult, conseiller maître.
Il a été examiné et approuvé, le 28 avril 2020 par le comité du rapport
public et des programmes de la Cour des comptes, composé de Mme Moati,
doyenne des présidents de chambre, faisant fonction de Première présidente,
M. Morin, Mme Pappalardo, rapporteure générale du comité, MM. Andréani,
Terrien, Mme Podeur et M. Charpy, présidents de chambre, M. Barbé,
président de section, représentant la présidente de la troisième chambre, et
Mme Hirsch de Kersauson, Procureure générale, entendue en ses avis.
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PROCÉDURES ET MÉTHODES
7
*
Les rapports publics de la Cour sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr. Ils sont diffusés par
La Documentation Française
.
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Délibéré
La Cour des comptes, délibérant en chambre du conseil en
formation ordinaire, a adopté le rapport relatif à
La filière EPR.
Elle a arrêté ses positions au vu du projet communiqué au préalable
au Premier ministre et aux organismes concernés et des réponses adressées
en retour à la Cour. Des exemplaires ont été adressés pour information à la
ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de l’économie
et des finances et au ministre de l’action et des comptes publics.
Les réponses sont publiées à la suite du rapport. Elles engagent la
seule responsabilité de leurs auteurs.
Ont participé au délibéré : M. Moscovici, Premier président,
Mme Moati, MM. Andréani, Terrien, Mme Podeur, M. Charpy, présidents
de chambre, M. Durrleman, président de chambre maintenu en activité,
Mme Darragon, MM.
Courtois, Diricq, Thornary, Mme Bouygard,
MM. Feller, Clément, Glimet, De Nicolay, Rolland, Chatelain, Appia,
Mmes Mondoloni, Riou-Canals, Lemmet-Severino, M. Vallet, conseillers
maîtres, M. Bouvier, Mme Prost, M. Richier, conseillers maîtres en service
extraordinaire.
Ont été entendus :
-
en sa présentation, Mme Podeur, présidente de la chambre chargée des
travaux sur lesquels le rapport est fondé et la préparation du rapport ;
-
en son rapport, Monsieur Barbé, conseiller maître, rapporteur désigné
du projet devant la chambre du conseil, assisté de M. Collin, conseiller
maitre
en
service
extraordinaire,
Mme
Oltra-Oro,
conseillère
référendaire, et de M. Mary, rapporteur extérieur, rapporteurs de la
chambre chargée de le préparer, et de M. Guéroult conseiller maître,
contre-rapporteur devant cette même formation ;
-
en ses conclusions, sans avoir pris part au délibéré, Mme Hirsch
de
Kersauson, Procureure générale, accompagnée de Mme Camby,
Première avocate générale et de M. Barichard, avocat général.
M. Serre, secrétaire général adjoint, assurait le secrétariat de la
chambre du conseil.
Fait à la Cour, le 29 juin 2020.
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Synthèse
Un projet de réacteur EPR conçu
dans des conditions défavorables
C’est en 1989 que le groupe français Framatome et l’allemand
Siemens ont commencé à concevoir un nouveau réacteur nucléaire
dénommé, en 1992, «
European Pressurized Water Reactor
» (EPR). Il
s’agissait de tirer profit du retour d’expérience de plusieurs décennies de
production électronucléaire mais aussi de répondre à des exigences accrues
de sûreté après les accidents de Three Mile Island, aux États-Unis, en 1979,
et de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986. Les gouvernements français et
allemand ont apporté leur soutien à ce projet de réacteur franco-allemand
dès son commencement, et les électriciens des deux pays s’y sont joints en
1992, sans partager pour autant les mêmes objectifs. L’ingénierie
allemande entendait faire évoluer le réacteur « Konvoï » équipant le parc
outre-Rhin, tandis qu’EDF souhaitait une évolution du palier N4, le dernier
modèle de réacteurs alors en construction. Après la décision allemande de
se retirer du nucléaire, en 1998, la France s’est retrouvée seule à porter ce
projet, dont l’acronyme prend le sens de «
Evolutionary Pressurized
Reactor
» (EPR). Cependant, les grandes options de conception définies
conjointement entre les ingénieries des deux pays, bien que sources de
complexité, ne furent pas remises en cause.
À partir de 2001, le groupe Areva, nouvellement constitué,
développa une stratégie de vente d’EPR « clé en main », s’opposant ainsi
à celle d’EDF qui entendait demeurer chef de file du développement du
« nouveau nucléaire », en France comme à l’étranger. Les rivalités entre
les deux groupes publics nationaux, non arbitrées par les autorités
politiques de l’époque, se sont traduites par une surenchère dangereuse
pour la filière nucléaire française.
C’est dans ces conditions qu’Areva a signé en 2003 un contrat de
vente d’un EPR à l’électricien finlandais TVO et qu’EDF a lancé, dès 2004,
la construction du premier EPR en France, à Flamanville. Cette course
entre les deux entreprises françaises a conduit au lancement précipité des
chantiers de construction de ces deux premiers EPR, sur la base de
références techniques erronées et d’études détaillées insuffisantes. Cette
impréparation a également conduit à sous-estimer les difficultés de
construction des EPR. La filière nucléaire a fait preuve d’une trop grande
confiance en elle, inspirée par la construction et l’exploitation réussies d’un
parc de 58 réacteurs.
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12
La construction de l’EPR de Flamanville :
un échec opérationnel aux causes multiples
À la date de publication du rapport, la multiplication par 3,3 du coût
de construction et par au moins 3,5 du délai de mise en service de l’EPR
de Flamanville par rapport aux prévisions initiales constitue une dérive
considérable, même pour un réacteur « tête de série ».
Cette évolution résulte, en premier lieu, d’une estimation initiale
irréaliste de la durée et du coût de construction de l’EPR de Flamanville 3.
Alors que le temps moyen de construction d’un réacteur dans le monde
avait été de 121 mois entre 1996 et 2000, la durée initiale de construction
retenue pour l’EPR de Flamanville était de 54 mois – soit six mois de plus
que la durée initialement prévue pour la construction du réacteur finlandais
d’Olkiluoto 3. Cette sous-estimation flagrante de la durée de construction
a conduit à une forte pression pour tenter de tenir des délais très contraints.
La durée de construction de l’EPR de Flamanville est aujourd’hui estimée
à 187 mois, avant prise en compte de l’impact de l’épidémie de covid-19
qui fait naître un risque d’allongement de ce délai.
Les besoins en ingénierie de construction étaient estimés à
5 millions d’heures de travail ; il en faudra 22 millions. Près de 4 500
modifications ont été apportées depuis le début de la construction,
entraînant régulièrement l’arrêt du chantier pour laisser le temps à
l’ingénierie de traiter les difficultés rencontrées.
Cette dérive résulte, en outre, d’un défaut d’organisation du suivi du
projet par EDF et d’un manque de vigilance des autorités de tutelle. Le conseil
d’administration n’a pas délibéré de manière régulière sur ce projet
stratégique, ne s’est pas saisi des messages d’alerte du comité d’audit et s’est
contenté des informations qui lui étaient communiquées sans prendre de
mesures correctrices. L’entreprise n’était pas organisée pour réaliser un projet
de cette ampleur : le concept « d’architecte ensemblier » dissimulait une
confusion entre les fonctions respectives du maître d’ouvrage et du maître
d’
œ
uvre. Jusqu’en 2015, le projet n’a pas été piloté par une véritable équipe
projet. Les relations contractuelles ont aggravé la faiblesse du pilotage
technique du projet puisque les contrats n’intégraient, à leur signature, ni les
aléas – pourtant prévisibles compte-tenu du caractère de « tête de série » du
réacteur – ni des mécanismes incitatifs qui auraient permis de prendre en
compte le caractère incomplet du design. Onze des douze principaux contrats
de l’EPR de Flamanville ont ainsi connu des augmentations de coûts
comprises entre 100 % à 700 %. L’entreprise s’est organisée tardivement
pour piloter financièrement ce projet : ce n’est qu’à partir de 2012 qu’elle a
suivi les dépenses et de 2015 qu’elle a évalué le coût de construction à
terminaison, désormais estimé à 12,4 Md
€
exprimé en euros 2015.
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SYNTHÈSE
13
En outre, les administrations concernées n’ont pas rempli leur rôle.
Alors que les estimations initiales de la durée de construction et du coût de
l’EPR de Flamanville 3 étaient manifestement sous-évaluées, elles n’ont
réalisé ni évaluation de la rentabilité socio-économique du projet, ni
analyse propre de l’impact des problèmes successifs rencontrés dans sa
réalisation. Elles n’ont pas davantage alerté les ministres sur l’importance
des aléas des chantiers d’Olkiluoto 3 et de Flamanville 3 et leurs
conséquences. Le Gouvernement a été contraint de procéder à une
restructuration coûteuse de la filière nucléaire, sans que des signaux
d’alarme n’aient été envoyés en temps utile.
La perte de compétences techniques et de culture qualité de la filière
nucléaire est aujourd’hui volontiers mise en avant pour expliquer les
problèmes de construction de l’EPR. Mais les acteurs n’en avaient pas
conscience au début des années 2000 et ce diagnostic n’a été effectué
qu’avec retard, face aux difficultés, et ce nonobstant l’écart d’une
quinzaine d’années entre les lancements des chantiers de Civaux 2
(réacteur français en service le plus récent) et de Flamanville 3. EDF a
annoncé, en décembre 2019, la mise en
œ
uvre d’un plan d’actions visant à
rétablir le niveau de compétences techniques et la culture de qualité
nécessaires. Il n’a donc pas été procédé à cet examen avant de prendre la
décision de lancer la construction d’un nouveau type de réacteur.
EDF a décidé de concevoir certains éléments du réacteur dans une
démarche dite d’exclusion de rupture, qui suppose un renforcement des
exigences techniques dans la conception, la fabrication et le suivi en service
de ces équipements afin de rendre leur rupture extrêmement improbable.
L’ex Areva NP et ses sous-traitants ne sont pas parvenus à réaliser un
certain nombre de pièces et de soudures en respectant ce haut degré
d’exigence. EDF n’a informé l’autorité de sûreté nucléaire de l’existence
d’un écart au référentiel d’exclusion de rupture pour les soudures de
traversées qu’en 2017, alors que ces éléments étaient connus depuis
octobre 2013. La transmission tardive à l’autorité de sûreté de ces éléments
pourtant fondamentaux pour la sûreté traduit un manque de fluidité entre
les acteurs du secteur et leur autorité de sûreté.
Les conséquences financières de ces insuffisances techniques et
organisationnelles sont lourdes. La seule réparation des soudures de
traversée entraîne un surcoût de construction de l’ordre de 1,5 Md
€
2015
. Le
temps passé par EDF, entre 2015 et 2019, à essayer de convaincre l’autorité
de sûreté nucléaire que les écarts entre les exigences techniques et ce qui
avait été réalisé pouvaient être considérés comme acceptables, a conduit à
un arrêt du chantier, et par suite, renchéri le coût du projet.
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14
Des conséquences graves pour l’ensemble de la filière
Des risques pèsent sur la situation financière de certaines entreprises
qui ont bénéficié récemment d’une recapitalisation des pouvoirs publics.
L’État a mobilisé 4,5 Md
€
pour doter en capital Areva SA (2 Md
€
) et
Orano (2,5 Md
€
) à l’issue de la restructuration d’Areva. EDF a bénéficié
d’un apport en capital de 3 Md
€
qui lui a permis de prendre le contrôle de
l’activité réacteurs de l’ex-Areva NP, devenue Framatome.
Du fait de l’ampleur des réclamations en cours ou potentielles
d’EDF à l’encontre d’Areva SA, le risque de défaillance financière de cette
société détenue à 100 % par l’État, ne peut être totalement écarté. Les
risques de contentieux portés par EDF à l’encontre de sa filiale Framatome
sont également susceptibles de fragiliser cette société. L’État doit donc
suivre avec la plus grande vigilance les résultats des contentieux en cours
ou à venir entre ces sociétés dont il est le principal actionnaire. La stratégie
de l’État actionnaire dans cette filière mériterait d’être affirmée.
Les conséquences de ces dérives pèsent évidemment sur les coûts et
la rentabilité de l’EPR de Flamanville. Son coût de construction est estimé
par EDF à 12,4 Md
€
2015
, auxquels s’ajouteront des coûts complémentaires
qui pourraient atteindre près de 6,7 Md
€
2015
à la mise en service du
réacteur, toujours prévue mi 2023, dont environ 4,2 Md
€
de frais de
financiers. Dans ces conditions, il est regrettable que ni EDF ni les autorités
publiques concernées n’aient calculé la rentabilité prévisionnelle de l’EPR
de Flamanville 3, considérant apparemment comme normal qu’elle soit
diluée dans la moyenne de celle de l’ensemble des réacteurs du parc
électronucléaire. En l’absence de données produites par l’entreprise, la
Cour a estimé, sur la base d’hypothèses exposées dans le rapport, que le
coût de l’électricité produite par l’EPR de Flamanville pourrait se situer
entre 110 et 120
€
/MWh.
Une stratégie internationale qui ne peut être poursuivie
dans les mêmes conditions
Le chantier d’Olkiluoto, en Finlande, a été lancé en 2005 par Areva,
avec une mise en service prévue en 2009. Il a connu des déboires, retards
et surcoûts qui ont contribué à la disparition de l’ancien groupe Areva. La
réception provisoire du chantier était, en mars 2020, prévue pour la fin mai
2021, mais des incertitudes persistent et sont, selon une annonce récente de
l’électricien TVO, acquéreur de la centrale, accrues par les conséquences
probables de la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 sur les travaux
encore nécessaires. Le coût de la construction atteindrait 8,2 Md
€
(en euros
courants) pour la partie assurée par Areva, sans prendre en compte celui de
la turbine (684 M
€
), selon les informations fournies par Areva SA, soit près
de 4 fois le montant prévu au contrat initial (2,28 Md
€
pour le consortium
associant Areva et Siemens).
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SYNTHÈSE
15
Les investissements du groupe EDF au Royaume-Uni et le chantier
de Hinkley Point sont des opérations à risque élevé. EDF a décaissé
15,7 Md
€
pour l’acquisition de British Energy et devra débourser
16 à 17 Md
€
pour la construction des deux réacteurs d’Hinkley Point C
(HPC), s’il n’y a pas de nouvelles dérives de coûts. Des risques demeurent,
après l’annonce d’une augmentation de 3 Md£ du coût de construction et
de l’allongement des délais de construction des réacteurs, en 2019. La
rentabilité du projet Hinkley Point a été revue à la baisse plusieurs fois
depuis le lancement du projet Le financement en est assuré par EDF, à
concurrence de sa participation au capital de la société de projet, ce qui
pèse lourdement sur sa situation financière.
Les réacteurs EPR de Taishan 1 et Taishan 2 ont été mis en service
avec succès en Chine en 2018 et 2019, mais avec un retard de cinq ans sur
le calendrier prévu lors de la commande et un surcoût de 60 % par rapport
au budget prévisionnel. Des interrogations demeurent quant à la fixation
du tarif d’achat de l’électricité produite par ces réacteurs et sur la rentabilité
du projet pour EDF.
Les
autres
projets
d’exportation
d’EPR
sont
empreints
d’incertitudes. Malgré les efforts commerciaux d’EDF et ceux consentis
par le Gouvernement français pour proposer à l’Inde des conditions
financières très favorables, les négociations, engagées depuis longtemps,
ne progressent guère. Quant aux projets de construction de réacteurs EPR
à Sizewell au Royaume-Uni, leur réalisation est subordonnée à la
possibilité d’en assurer le financement, EDF n’en ayant plus les capacités.
La construction d’une série d’EPR2 en France :
un choix technologique, économique et de politique énergétique
Tirant les leçons des difficultés rencontrées pour construire les
réacteurs EPR, mais conforté par le bon fonctionnement de ceux de Taishan,
qui valide ce choix technologique, EDF propose à l’ASN et aux autorités
administratives un nouveau modèle d’EPR, dit « EPR2 » présenté comme
plus simple et moins cher à construire.
En faisant ce choix, EDF s’éloigne de la démarche d’optimisation
de la technologie de l’EPR appuyée sur le retour d’expérience et permettant
de profiter de l’effet d’apprentissage. Les chantiers d’Olkiluoto 3 et de
Flamanville 3 ont montré que privilégier l’innovation à l’expérience
cumulée présente des risques et que le coût de cette innovation ne doit pas
être sous-estimé. Or, on ne peut pas établir avec un degré raisonnable de
certitude que les économies de construction de futurs EPR2 par rapport au
coût de construction d’EPR de type Flamanville se matérialiseront.
Pourtant, la seule hypothèse actuellement mise à l’étude par les pouvoirs
publics en matière de nouveau nucléaire est celle de la construction de six
réacteurs de type EPR2, par paires.
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COUR DES COMPTES
16
L’enjeu financier est majeur : le coût de construction de trois paires
d’EPR2 est estimé à 46 Md
€
2018
. La décision de construire ou non de futurs
EPR aura des conséquences jusqu’au 22
ème
siècle. Elle doit donc être prise
sur la base d’un retour d’expérience qui ne soit pas conduit qu’en interne à
EDF, mais associe l’ensemble des acteurs concernés par la construction de
l’ensemble des réacteurs EPR réalisés ou en cours de construction, afin que
toutes les parties prenantes tirent les mêmes leçons de la manière dont les
chantiers de construction des EPR se sont déroulés.
De nouveaux modes de financement des réacteurs électronucléaires
devront, dans cette hypothèse, être mis en place. EDF ne peut financer seul
la construction de nouveaux réacteurs, et ne pourra plus s’engager sans
garanties sur le revenu que lui procurera l’exploitation de ces réacteurs.
Aucun nouveau projet ne saurait être lancé sans une forme de garantie
publique, quel que soit le dispositif retenu. Mais la charge ainsi transférée
au consommateur ou au contribuable ne trouverait sa justification que si
l’électricité produite par les nouveaux réacteurs électronucléaires s’avérait
suffisamment compétitive vis-à-vis des autres modes de production
d’électricité, renouvelables en particulier, ou si d’autres considérations
justifiaient le maintien du nucléaire dans le mix électrique.
C’est pourquoi une analyse complète du mix électrique à l’horizon
2050, présentant les enjeux et les solutions en termes de sécurité
d’approvisionnement, d’adaptation des réseaux de transport et de
distribution
d’électricité,
de
gestion
des
déchets
radioactifs,
de
démantèlement des centrales aujourd’hui en fonctionnement, et bien sûr de
coût de fonctionnement du système électrique devrait être conduite avant
toute prise de décision concernant le développement d’un nouveau parc de
réacteurs électronucléaires.
Cette décision étant renvoyée par le Gouvernement postérieurement
à la mise en service du réacteur de Flamanville 3, soit mi-2023 au plus tôt,
il est possible de conduire, d’ici-là, à la fois le retour d’expérience complet
sur la construction des EPR et l’exercice de planification à long terme du
mix électrique recommandés par la Cour.
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Récapitulatif des recommandations
Recommandations relatives à la conduite des grands chantiers
1.
Reconsidérer la notion d’architecte ensemblier en séparant les
fonctions de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’
œ
uvre (
EDF, 2020
).
2.
Intégrer aux contrats des dispositions partageant le risque de
construction entre le maître d’ouvrage et les prestataires et les
intéressant à la tenue du planning de réalisation des travaux (
EDF,
2020
).
3.
Assurer une revue semestrielle des projets stratégiques et des risques
qui y sont associés, au sein du conseil d’administration d’EDF (
EDF,
MTES, MEF, 2020
).
4.
S’assurer que les responsables de grands projets aient autorité sur les
moyens, notamment d’ingénierie, nécessaires à leur réalisation (
EDF,
2020
).
5.
Décliner dans un référentiel commun les modalités d’application du
principe d’exclusion de rupture afin de clarifier les conséquences
industrielles des spécifications concernées (
EDF, Framatome,
immédiat
).
Recommandations relatives à la préparation des décisions à venir
6.
Calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et
de l’EPR2 et en assurer le suivi (
EDF, 2020
).
7.
Définir, avant l’engagement des projets internationaux, leurs niveaux
de risques et de rentabilité attendue ainsi que leurs conditions de
financement et s’y conformer (
APE, DG Trésor, EDF, 2020
).
8.
Conduire un exercice de retour d’expérience complet sur tous les EPR
construits ou en construction en France et à l’étranger, avec l’ensemble
des acteurs concernés, préalablement au lancement d’un éventuel
chantier de nouveaux réacteurs électronucléaires (
EDF, MTES, MEF,
2020
).
9.
Prolonger jusqu’en 2050, la planification du mix électrique
préalablement à la décision de lancement d’un éventuel chantier de
nouveaux réacteurs électronucléaires (
EDF, RTE, MTES, MEF, 2020
).
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Introduction
L’achèvement de la construction des réacteurs de Chooz et de Civaux,
entre 1996 et 1999, et leur raccordement au réseau électrique en 2000 et
2002, ont marqué la fin d’un cycle de construction de 58 réacteurs nucléaires
en France. Après les accidents survenus à Three Mile Island, aux États-Unis,
en 1979 et à Tchernobyl, en Ukraine, en 1986, et anticipant une reprise de la
demande mondiale de construction de capacités nucléaires, notamment pour
remplacer les réacteurs en fin de vie, les électriciens français et allemands et
les fabricants d’équipements nucléaires ont travaillé à partir du début des
années 90 à la conception d’un réacteur offrant des garanties de sûreté
renforcées et des performances techniques améliorées. L’EPR (pour
European Pressurized Water Reactor
puis
Evolutionary Pressurized
Reactor
) est le fruit de cette collaboration. Ce réacteur, dit de « troisième
génération », est qualifié « d’évolutionnaire » par ses concepteurs.
Schéma n° 1 : vue générale du réacteur EPR
Source : IRSN
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COUR DES COMPTES
20
Il vise un niveau de sûreté plus élevé (réduction de la probabilité de
fusion du c
œ
ur d’un facteur 10 selon l’ASN) et présente des garanties de
sûreté plus importantes que la génération précédente grâce à un
récupérateur de corium en cas de fusion du c
œ
ur, à sa protection contre la
chute d’un avion militaire ou commercial, à une protection renforcée contre
le risque sismique et à une redondance des systèmes de sauvegarde. Il est
aussi plus puissant (1 650 MWe) que les réacteurs de la génération
précédente (1 450 MWe). Les EPR sont, dans leur principe de conception,
des réacteurs à eau pressurisée semblables à leurs prédécesseurs. Mais les
dirigeants d’EDF considéraient en 2004 qu’ils lançaient le programme EPR
pour assurer le remplacement des réacteurs existants, en attendant les
réacteurs dits de « quatrième génération »
1
. La confirmation, à la fin du
mois d’août 2019, du report à la seconde moitié du siècle du travail de
développement du projet « Astrid », renvoie cette perspective à un avenir
lointain et incertain.
1
Cf. Cour des comptes,
Les coûts de la filière électronucléaire
, Rapport public
thématique, Cour des comptes, janvier 2012,
Le coût de production de l’électricité
nucléaire (actualisation 2014)
, rapport public thématique, mai 2014 et Cour des
comptes,
L’aval du cycle du combustible nucléaire, les matières et déchets radioactifs,
de la sortie du réacteur au stockage
, Rapport public thématique, juillet 2019.
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INTRODUCTION
21
Schéma n° 2 : vue de la cuve et du bâtiment du réacteur EPR
(dont récupérateur de corium situé sous la cuve)
Source : IRSN
La décision prise par l’Allemagne en 1998 d’arrêter la construction
de réacteurs nucléaires, puis de les démanteler de façon accélérée, la crise
économique mondiale de 2008-09, l’accident majeur de Fukushima en
mars 2011, les évolutions du prix des énergies concurrentes ont
profondément modifié les perspectives de croissance de ce secteur. À la
date de parution de ce rapport, deux réacteurs de type EPR sont en
fonctionnement en Chine, depuis juin 2018 pour Taishan 1 et mai 2019
pour Taishan 2. Leur mise en service et leurs premiers mois de
fonctionnement ont démontré la viabilité de cette technologie.
Quatre réacteurs EPR sont en construction, un en Finlande,
Olkiluoto 3 (OL3), un en France, Flamanville 3 (FLA3), et deux autres au
Royaume-Uni, à Hinkley Point (HPC).
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22
Les réacteurs de troisième génération concurrents de l’EPR
- États-Unis : AP 1000 (
Advanced Passive Plant
- Puissance électrique
d’environ 1 100 MW) construit par Westinghouse Electric Company
LLC. Réacteur à eau pressurisée qui ne requiert pas d’alimentation
électrique pendant 72 heures en cas de panne. Quatre réacteurs de ce type
sont en exploitation en Chine depuis 2018. La construction de deux
réacteurs AP 1000 à Virgil C. Summer (Caroline du Sud), a commencé en
2013 et a été abandonnée en 2018. La construction de deux autres
réacteurs AP 1000 a débuté en 2013, à Vogtle (Géorgie) et se poursuit
avec difficultés. Le constructeur a été placé sous la protection de la loi
américaine sur les faillites en mars 2017, et en est sorti l’année suivante
lorsque la majorité du capital a été cédée par le groupe Toshiba au fonds
d’investissement Brookfield Business Partners LP. Le ministère fédéral
de l’énergie (DOE) a garanti, en mars 2019, un prêt supplémentaire de
1,67 Md$ à Georgia Power, l’acquéreur des réacteurs, afin de permettre la
poursuite du chantier.
- Russie : Rosatom propose le réacteur à eau sous pression VVER-1200,
conçu pour une durée de vie de conception de 60 ans avec une capacité de
1200 MW. Quatre réacteurs de ce type sont en construction en Turquie,
deux en Biélorussie et deux en Inde. Deux sont en service et un en
construction en Russie.
- Chine : CGNPC et CNCC ont développé le Hualong One (1100
mégawatts). Le premier réacteur de ce type doit être raccordé au réseau
chinois d’électricité en 2020. Des projets de construction existent en Chine
et en Grande-Bretagne.
- Corée du Sud : Korea Hydro and Nuclear Power Co. fabriquent l’APR-
1400.
- Japon : le réacteur à eau bouillante ABWR d’Hitachi/Toshiba et General
Electric Nuclear Energy Ltd. est en service au Japon et des projets qui
existent au Royaume-Uni. L’ABWR est certifié pour les États-Unis.
Dans tous les cas, la construction des réacteurs a été beaucoup plus
longue et coûteuse que ce qui avait été annoncé par les constructeurs. Les
pertes enregistrées par Areva en Finlande et le caractère particulièrement
optimiste de son plan stratégique de développement ont contribué à une
situation de quasi faillite et à son démantèlement. EDF n’a toujours pas
achevé le chantier de la construction de Flamanville 3, décidé en 2004,
commencé en 2007 et dont la date de mise en service (mi-2023 selon les
dernières
annonces
de
l’exploitant)
et
le
coût
de
construction
(12,4 Md
€
2015
) restent prévisionnels.
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INTRODUCTION
23
Les difficultés rencontrées par Areva en Finlande ont été mises sur
le compte de son inexpérience de la maîtrise d’ouvrage d’un projet
complexe, articulant la construction d’un îlot nucléaire avec l’ensemble des
autres bâtiments de production d’énergie, d’exploitation et de contrôle.
Cependant, en dépit de son savoir-faire avéré dans la construction nucléaire
et dans l’exploitation de réacteurs, EDF n’est pas parvenu à construire plus
vite et à moindre coût l’EPR de Flamanville 3. Les chantiers chinois et
britanniques ont également connu des retards et des dérives de coûts, certes
plus réduits en ce qui concerne les réacteurs de Taishan.
En même temps que la Cour a conduit ses travaux, l’agence des
participations de l’État (APE) et la direction générale de l’énergie et du
climat (DGEC) ont demandé un audit du projet « EPR2 », tandis que
M. Jean-Martin Folz remettait au PDG d’EDF et au ministre de
l’économie, à la fin du mois d’octobre 2019, un rapport analysant les
problèmes industriels rencontrés par l’entreprise dans la construction du
réacteur de Flamanville 3. EDF a annoncé, en décembre 2019, un plan
destiné à permettre à la filière nucléaire « d'atteindre le plus haut niveau de
rigueur, de qualité et d'excellence ».
Ces travaux sont conduits alors que la part relative de l’électricité
électronucléaire dans la production mondiale d’électricité décroît sur les
vingt dernières années.
La place de l’électricité électronucléaire dans la production
mondiale d’électricité
2
La consommation d’électricité mondiale a augmenté de 75 % de
2000 à 2018. Pour répondre à cette augmentation de la consommation, la
production a augmenté dans le même temps de :
-
137 % pour l’électricité renouvelable ;
-
122 % pour l’électricité produite à partir de gaz naturel ;
-
68,8 % pour l’électricité produite par des centrales à charbon ;
-
0,05 % pour l’électricité d’origine nucléaire.
La part de l’électricité nucléaire dans la production d’électricité
mondiale est passée de 17 % à 10,15 % entre 2000 et 2018.
437 réacteurs étaient en fonctionnement en 2000 contre 417 en 2019.
2
Cf. rapport 2019 de l’Agence internationale de l’énergie et
World Nuclear Industry
Status Report
NR 2019
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COUR DES COMPTES
24
La moyenne d’âge des réacteurs en fonctionnement était en 2019 de
30,1 ans ; 80 réacteurs fonctionnaient depuis 40 ans et plus ; 192 réacteurs
avaient entre 31 et 40 ans, 52 entre 21 et 30 ans, 32 entre 11 à 20 ans, 61
avaient moins de 10 ans.
En 2019, 46 réacteurs étaient en construction, dont 10 en Chine, 7 en
Inde, 5 en Russie 4 en Corée du Sud, et 1 dans la plupart des autres pays
dans lesquels un projet était en cours de réalisation, dont la France.
Le présent rapport analyse les difficultés rencontrées dans la
construction des réacteurs EPR en cherchant à en présenter les raisons
(partie I.1) et les conséquences, industrielles (partie I.2) et financières
(partie I.3). Il présente les projets à l’étranger et leurs risques (partie II.1),
examine les réponses apportées aux difficultés de l’EPR par le projet
« EPR2 » et souligne la nécessité de disposer d’une vision à long terme du
mix de production électrique avant de décider du lancement de la
construction de nouveaux réacteurs nucléaires (partie II.2).
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Chapitre I
La construction de l’EPR
de Flamanville : un échec opérationnel,
des dérives de coûts
et de délais considérables
EDF a décidé en 2004 de la construction, à Flamanville, d’un
nouveau type de réacteur, l’EPR, plus sûr et plus puissant que les réacteurs
de la génération précédente. Il devait être mis en service en juin 2012. Il ne
le sera, au plus tôt, que mi-2023, pour un coût de construction 3,3 fois
supérieur à son évaluation initiale. Le contexte dans lequel le projet a été
lancé, puis les défaillances dans sa gouvernance et son pilotage (partie 1)
ont conduit à sous-estimer nettement et à mal anticiper les difficultés de ce
chantier. Les conséquences industrielles (partie 2) et financières (partie 3)
de ces défaillances pèsent lourdement sur l’équilibre financier des
entreprises concernées.
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26
I - Une gouvernance et un pilotage défaillants
A - Un projet conçu dans des conditions défavorables
1 - Un projet franco-allemand avorté
Les groupes Framatome et Siemens créèrent le 13 avril 1989 une
filiale commune baptisée NPI (
Nuclear Power Internationa
l) pour
concevoir et développer l’îlot nucléaire d’un réacteur à eau sous pression
de nouvelle génération. Il s’agissait de concevoir un réacteur présentant un
niveau de sûreté très substantiellement supérieur à celui des réacteurs de la
génération précédente, après les accidents survenus à Three Mile Island,
aux États-Unis, en 1979 et à Tchernobyl, en Ukraine, en 1986, et de tirer
profit du retour d’expérience de plusieurs décennies de production
électronucléaire. Au mois de juin 1989, les gouvernements allemand et
français exprimèrent leur soutien à la coopération engagée par Framatome
et Siemens et un groupe de travail rassemblant les autorités de sûreté des
deux pays a été constitué. À partir du 14 janvier 1992, les électriciens
français et allemands et
Nuclear Power International
décidèrent de
travailler à un projet commun auquel ils donnèrent le nom d’EPR
(
European Pressurized Water Reactor
). Le «
basic design
» de l’EPR fût
achevé en 1997, après que les partenaires y ont consacré environ 1 million
d’heures d’ingénierie.
L’Allemagne
décida
d’abandonner
la
production
d’énergie
nucléaire et se retira du projet en 1998, mais les grandes options de
conception définies conjointement au cours de la période précédente ne
furent pas remises en cause. Cet empilement d’ingénieries d’inspirations
différentes et d’exigences de sûreté ne convergeant pas toujours est une des
sources des difficultés de réalisation de l’EPR.
2 - La rivalité non arbitrée entre EDF et Areva
L’organisation de la filière nucléaire française a été profondément
modifiée par la constitution de la société Areva en 2001 (regroupement de
la COGEMA, de CEA industrie et de Framatome). La stratégie de la
nouvelle société était de vendre « clé en main », en France et à l’étranger,
des centrales électronucléaires de type EPR. La présidente d’Areva
précisait que les bénéfices réalisés par la société ne seraient pas tirés
principalement de la vente des réacteurs mais de celle du combustible et du
service après-vente, stratégie désignée comme le « modèle Nespresso ».
Elle la concrétisa en vendant un EPR à l’électricien finlandais TVO en
2003, dans des conditions qui se révèleront désastreuses pour Areva.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
27
Cette stratégie se heurtait frontalement à celle d’EDF. L’électricien
français voulait rester « l’architecte-ensemblier » de la construction de ses
centrales nucléaires et promouvoir le même modèle industriel à l’export,
refusant l’idée d’acquérir des centrales « clé en main ».
Le gouvernement français n’a pas tranché entre les deux stratégies
opposées d’entreprises dont l’État était pourtant l’actionnaire principal.
En avril 2004, le Gouvernement a donné son accord au lancement
de la construction d’un réacteur nucléaire de troisième génération en
France. Le 22 juin 2004, malgré ses réserves sur l’EPR qu’il considérait
comme un produit intermédiaire dans l’attente de la construction de
centrales nucléaires de conception véritablement nouvelle, le président
d’EDF a fait approuver par le conseil d’administration d’EDF la décision
de lancer la construction du premier EPR en France, affirmant ainsi la place
d’EDF dans la construction de nouveaux réacteurs face à Areva
3
.
Le Conseil d’administration d’EDF approuva à l’unanimité, en juin
2004, la décision de lancement de ce qui devait devenir l’EPR de
Flamanville 3.
B - Des difficultés de réalisation de l’EPR sous-estimées
1 - Une référence technique au palier N4 non pertinente
Malgré un long travail réalisé sur l’avant-projet sommaire
(«
preliminary design
») dans l’attente d’une décision politique sur la
construction d’un réacteur EPR
4
, les principaux contrats de construction de
Flamanville 3 ont été passés alors que seulement 10 à 40 % des études
nécessaires avaient été réalisées, selon les lots. En conséquence, les
contrats reposaient sur des spécifications techniques incomplètes qui ont
fortement évolué durant le chantier, conduisant à de nombreux retards de
3
Lors de la séance du Conseil d’administration d’EDF du 22 juin 2004, le président
d’EDF déclare : « Les Finlandais ont lancé leur EPR avec des modalités clé en main et
devraient couler leur premier béton début 2005, avec deux ans d’avance sur EDF (…) il
n’est pas souhaitable, vis-à-vis notamment d’Areva et des industriels qui fourniront les
lots conventionnels, de laisser se creuser un trop grand écart entre la réalisation d’un
EPR clé en main en Finlande et la réalisation d’un EPR selon le modèle d’architecte
ensemblier en France ».
4
Le coût des études de développement de l’avant-projet de l’EPR de Flamanville 3 est
évalué à 530 M
€
2015
.
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28
réalisation et des surcoûts importants. Dans un document interne de mai
2015, EDF reconnaît que le « projet prototype [a été] démarré en 2005 sur
la base d’études insuffisamment avancées
5
».
L’autorité de sûreté nucléaire (ASN) a souligné, dans le cadre du
présent contrôle, que le niveau de détail de la conception et de la
démonstration de sûreté du réacteur transmis par EDF était insuffisant au
stade de la demande d’autorisation de création. Notamment, des sujets
aussi fondamentaux que la conception du système de contrôle-commande,
les exigences de justification et de contrôle des équipements placés en
« exclusion de rupture »
6
ou les études d’accidents n’ont fait l’objet d’une
expertise détaillée de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN) pour le compte de l’ASN qu’après l’autorisation de création de
l’EPR.
L’insuffisance des études d’avant-projet détaillé au moment du
lancement du projet est responsable de nombreuses difficultés rencontrées
sur le chantier de construction de l’EPR de Flamanville 3 et de la sous-
évaluation des moyens à mobiliser.
L’ingénierie d’EDF a estimé ces moyens en extrapolant à partir de
ceux mis en
œ
uvre pour la construction des derniers réacteurs construits en
France (de type N4). Cette référence s’est révélée, comme en convient
EDF, « non pertinente et sous-évaluée, tant en termes de nombre
d’équipements (béton, ferraillage, tuyauteries, câbles), de difficulté de
réalisation sur site que de volume d'études et d’ingénierie
7
». Elle a conduit
l’exploitant, selon ses propres termes, à « sous-estimer très largement les
quantités réelles, la difficulté de réalisation due à la compacité accrue de
l’installation et à la structure renforcée du génie civil, et le volume
d’ingénierie nécessaire pour réaliser le dossier de sûreté et les études
détaillées
8
».
5
Document préparatoire au comité des engagements, EDF/DIPNN, 11 mai 2015.
6
L’exclusion de rupture est un très haut standard de qualité qui va au-delà de la
réglementation relative aux équipements sous pression nucléaires (ESPN). Comme
l’indique l’ASN, elle « implique un renforcement des exigences de conception, de
fabrication et de suivi en service de certains matériels. Ce renforcement doit être
suffisant pour considérer que la rupture de ces matériels est extrêmement improbable.
Il permet à l’exploitant de ne pas étudier intégralement les conséquences d’une rupture
de ces tuyauteries dans la démonstration de sûreté de l’installation » (cf.
infra
).
7
Compte-rendu du Conseil d’administration d’EDF, séance du 18 décembre 2012.
8
Ibid.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
29
Découvrant en cours de chantier l’ampleur des travaux à mener,
notamment en matière de génie civil, l’exploitant a été conduit
ponctuellement à les arrêter pour laisser à l’ingénierie le temps nécessaire
au traitement des difficultés rencontrées. L’augmentation des volumes de
matériaux entre les modèles N4 et EPR, est élevée : x 1,8 pour le volume
de béton, x 3,5 pour le tonnage d’acier, x 1,7 pour la longueur de la
tuyauterie et x 1,1 pour le volume des bâtiments. Les contrats passés par
EDF avec ses fournisseurs ne constituaient pas un cadre favorable à la
négociation des conditions de prise en charge des travaux supplémentaires
et des aléas. Pourtant, ceux-ci allaient prendre une importance dont on peut
mesurer l’ampleur en considérant les heures d’ingénierie consacrées au
projet, évaluées à 5 millions lors du lancement alors que 22 millions
d’heures seront finalement nécessaires.
Les conséquences du renforcement des exigences de sûreté et de
l’augmentation de la puissance de l’EPR (1 650 MW) sur la construction
du réacteur par rapport à ses prédécesseurs ont été sous-estimées : près de
4 500 modifications ont dû être apportées en cours de réalisation.
2 - Une durée initiale de construction irréaliste
La durée prévisionnelle de construction, entre le premier béton et la
mise en service de Flamanville 3, de 54 mois, était inférieure à la durée
moyenne de construction des réacteurs du parc français en exploitation.
Cette prévision était d’autant moins réaliste que l’EPR de Flamanville 3
était une tête de série et que la durée de construction de chacune des têtes
de série du parc électronucléaire français a été systématiquement
supérieure à la durée moyenne de construction des réacteurs suivants de la
même série. Le besoin d’apprentissage, ou de « réapprentissage » avancé
par EDF pour expliquer les dérives de planning du chantier, était
manifestement absent des réflexions des dirigeants de l’entreprise lors du
lancement du projet, alors qu’il aurait dû être anticipé et pris en compte
dans le calendrier prévisionnel de construction du réacteur,
a fortiori
s’agissant d’un réacteur dit de nouvelle génération.
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30
Graphique n° 1 : durée de construction des réacteurs têtes de série
(en mois)
Source : Cour des comptes d’après données EDF
Le temps de construction médian d’un réacteur dans le monde, sur
la période 1996 - 2000 a été de 121 mois et n’a jamais été inférieur, de 1986
à 1996, à 59 mois
9
. Cette sous-estimation patente de la durée de
construction du réacteur de Flamanville 3 n’est sans doute pas étrangère à
la volonté d’EDF d’afficher un temps de construction qui ne soit pas
significativement supérieur à celui qui était annoncé par Areva pour OL3.
Il s’agissait aussi de convaincre les pouvoirs publics et l’opinion publique
que la mise en service d’un premier EPR en France en 2012, permettrait de
lancer la construction d’EPR en série à partir de 2015 pour de premières
connexions au réseau en 2020, date à laquelle les centrales françaises les
plus anciennes atteindraient les quarante ans de durée de fonctionnement
prévus à leur conception. Ce raisonnement est exposé par le président
d’EDF dans une réunion du conseil d’administration d’octobre 2004, dans
laquelle il souligne que l’entreprise « doit tout mettre en
œ
uvre pour
procéder à cette construction dans les délais les plus courts
10
». Cette
volonté d’aller vite aura finalement contribué aux dérives du chantier.
9
Nuclear Power Reactors in the World
, Agence Internationale de l’Energie Atomique
(AIEA), 2018.
10
Compte-rendu du Conseil d’administration d’EDF, séance du 21 octobre 2004.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
31
Toutes les grandes étapes de construction du réacteur ont connu du
retard. Les difficultés du génie civil ont affecté le projet très tôt dans le processus
de construction, avec un impact sur l’ensemble du planning du projet
11
.
3 - Une prise de conscience tardive de la perte de compétences
techniques et de culture de qualité des industriels du secteur
Près des trois quarts des réacteurs nucléaires du parc français ont été
construits dans les années quatre-vingt. En 1981, pas moins de huit réacteurs
ont été raccordés au réseau. La filière industrielle s’est structurée en réalisant
plusieurs paliers de réacteurs caractérisés par leur homogénéité de
conception, tous construits à partir de la technologie américaine
Westinghouse de réacteurs à eau pressurisée (34 réacteurs de 900 MW,
20 réacteurs de 1 300 MW et quatre réacteurs de 1 450 MW). L’importance
des capacités installées pendant cette période, de même que la surestimation
de la demande électrique alors que l’économie française connaissait une
croissance plus faible qu’anticipée, expliquent le ralentissement puis l’arrêt
des constructions neuves au début des années 2000.
Le premier béton du réacteur français en service le plus récent
(Civaux 2) a été coulé en 1991. Ce réacteur a été raccordé au réseau en
décembre 1999 et mis en service industriel en 2002. Le premier béton du
réacteur de Flamanville 3 a été coulé en décembre 2007, soit 16 ans après
celui de Civaux 2 et 8 ans après l’achèvement de sa construction. La
construction d’Olkiluoto 3 a commencé en 2005, celle de Flamanville 3 en
2007, avant celles de Taishan 1 et 2, en 2009 et 2010. Seule la construction
des réacteurs chinois est aujourd’hui achevée.
11
La réalisation du radier a été reportée de près d’un an par rapport aux premières
estimations réalisées en juin 2004. La pose du dôme, qui devait intervenir en juillet
2009, est intervenue en juillet 2013. L’introduction de la cuve dans le bâtiment réacteur,
qui devait intervenir en janvier 2010, est intervenue en janvier 2014. Les essais à chaud,
dont le lancement était prévu initialement en juin 2011, ont débuté en février 2019.
Compte-tenu de la réparation des soudures de traversée envisagée, il est prévu que le
chargement du combustible (qui marque le passage du réacteur en phase d’exploitation
nucléaire), initialement prévu en octobre 2011, intervienne fin 2022, que le premier
couplage du réacteur au réseau et la production d’électricité commence dans les mois
suivants et que l’atteinte de 100 % de puissance nominale du réacteur, initialement
attendue en juin 2012, soit effective à l’été 2023 au plus tôt. Le délai de chargement du
combustible prévu par le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de
l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur
nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville (Manche) a été reporté à avril 2024 au
plus tard par le décret 2020-336 du 25 mars 2020.
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32
Si l’exploitation et la maintenance du parc en activité fournissent de
l’activité aux entreprises du secteur, les compétences mobilisées ne
recouvriraient que partiellement, selon EDF, celles nécessaires à la
construction de nouveaux réacteurs, tant pour la conception que la
fabrication. Même les travaux de « Grand carénage
12
» ne suffiraient pas à
maintenir les compétences nécessaires à la réalisation de nouveaux
réacteurs nucléaires, les problèmes posés par la conduite des grands
chantiers de construction et leur technicité étant très différents des chantiers
de maintenance.
Le diagnostic de la faiblesse des capacités industrielles de la filière
n’a été fait que tardivement
13
. Le besoin de requalifier les entreprises a fait
l’objet d’une insuffisante vigilance. Il aurait nécessité davantage
d’attention sur la qualification des procédés spéciaux à mettre en
œ
uvre,
compte-tenu des évolutions technologiques, et davantage de rigueur pour
s’assurer que les entreprises mandatées étaient bien en mesure de faire ce
qui était attendu d’elles.
Pour expliquer les déboires du chantier de Flamanville 3, EDF met
en avant la perte de compétences de ses sous-traitants et a indiqué, dans le
cadre du présent contrôle, que : « le choix fait de confier des contrats
d’ensemblier importants à certains fournisseurs (Areva NP,
General
Electric
) a mis en évidence la perte de compétence de ces acteurs dans la
conduite d’ensemble d’un tel lot, en matière de planning et de coordination
d’une part, en matière de maîtrise d’une vaste chaîne de sous-traitance
d’autre part
14
». Le maître d’ouvrage note également que « les entreprises
de la
supply chain
impliquées dans le chantier avaient perdu les
compétences nécessaires dans plusieurs domaines : la qualification
technique pour réaliser des activités à haut degré de technicité dans le
domaine de la fabrication comme dans celui du montage), la capacité à
12
Programme industriel de renforcement des installations de production d'électricité
nucléaire, visant à allonger la durée d'exploitation des centrales nucléaires au-delà de
quarante ans et à prendre en compte les dispositions de sûreté dites
post Fukushima
.
13
Le comité stratégique de la filière nucléaire a réalisé une enquête en 2014, publiée en
2016, dans laquelle les entreprises de la filière faisaient état de leur crainte de perdre
des compétences en raison du départ à la retraite de salariés, malgré un faible
turn-over
du personnel, de 3,7 % en moyenne (quatre fois et demie inférieur au taux de rotation
de la main d’
œ
uvre observé dans l’ensemble des entreprises françaises et 6,7 % dans
les grandes entreprises du secteur). Cette crainte était partagée par près de 78 % des
grandes entreprises et plus de 52 % des entreprises de taille intermédiaire. Cette même
enquête faisait état de difficultés de recrutement dans l’électronucléaire, les trois quarts
des grandes entreprises et grands groupes, y compris les entreprises exploitantes, ayant
des difficultés à recruter pour certaines spécialités, principalement pour trois d’entre-
elles : la robinetterie-chaudronnerie, la sûreté nucléaire et la mécanique.
14
Éléments produits par EDF dans le cadre du présent contrôle.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
33
maîtriser l’ensemble des processus de traçabilité des exigences requises par
la sûreté nucléaire, la perte globale de la culture de sûreté dans les domaines
qui avaient été peu utilisés pour la maintenance du parc en exploitation ».
En insistant sur la perte de compétence de ses prestataires et leurs
sous-traitants, EDF minimise ses propres responsabilités en tant que maître
d’ouvrage et maître d’
œ
uvre de Flamanville 3. Car, au-delà de la perte de
compétences techniques de certaines entreprises du secteur, c’est aussi la
capacité d’EDF à organiser et à contrôler des chantiers de cette ampleur
qui a fait défaut (cf.
infra
).
Dans le but de prévenir la répétition de ces difficultés, EDF a
présenté, en décembre 2019, un plan baptisé « Excell », destiné à
« permettre à la filière nucléaire d’atteindre le plus haut niveau de rigueur,
de qualité et d’excellence ». Ce plan repose sur le renforcement de la
qualité industrielle, des compétences et de la gouvernance des grands
projets nucléaires. Plusieurs de ses actions, comme « la révision en
profondeur de la relation clients - fournisseurs », « le suivi régulier des
projets en conseil d’administration », ou encore « le renforcement de la
qualification des procédés de fabrication et des outils de traçabilité pour les
opérations les plus sensibles
15
», font écho aux recommandations de la
Cour.
C - Une conduite de projet défaillante par EDF
et un suivi insuffisant par l’État
1 - Au sein d’EDF : un contrôle interne
et une organisation inadaptés
a) Le suivi défaillant du conseil d’administration d’EDF
Les décisions d’investissement d’EDF font intervenir, notamment,
le président-directeur général, le Comité exécutif (Comex), le Conseil
d’administration (CA) et le Comité des Engagements du Comité Exécutif
du Groupe (CECEG) qui est une émanation du Comex. Le président
dispose de très larges compétences puisqu’il a, sauf cas particulier,
compétence pour passer des marchés dont le montant est inférieur ou égal
à 350 millions d’euros.
15
Communiqué de presse relatif à la présentation du plan Excell, EDF, 13 décembre
2019.
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COUR DES COMPTES
34
Si le rôle du conseil d’administration n’est pas de se substituer au
comité exécutif de l’entreprise, il lui revient de définir la stratégie du
groupe, de décider des principaux projets qui en découlent, de veiller à leur
mise en
œ
uvre et de régler, par ses délibérations, la bonne marche de
l’entreprise. Il doit également apprécier les risques opérationnels auxquels
l’entreprise est exposée.
Or, ce projet majeur a été rarement mis à l’ordre du jour du conseil
d’administration de l’entreprise. Ce dernier n’a été sollicité qu’au cours des
trois premières années du projet. Ensuite, il n’a plus été qu’informé, de
manière très irrégulière, du déroulement du chantier. En de rares occasions,
il a été appelé à délibérer sur des avenants à des marchés. L’EPR de
Flamanville 3 est évoqué une à deux fois par an, au plus, pendant ces quinze
dernières années. Il n’est inscrit en tant que tel à l’ordre du jour d’aucune
des réunions du conseil d’administration en 2011 et 2015. Le conseil
d’administration n’a été informé des augmentations successives du coût à
terminaison de la centrale qu’après que celles-ci ont été décidées ou
enregistrées et rendues publiques
16
. Il n’est pas appelé à les autoriser, sauf
pour quelques avenants à des marchés, et ne sollicite à aucun moment un
contrôle plus resserré, sauf une fois, le 5 novembre 2009, où le conseil
d’administration,
à
l’initiative
du
représentant
de
l’Agence
des
participations de l’État, imposera des conditions à la renégociation du
contrat avec Bouygues, entreprise chargée du génie civil. Les délais de
réalisation, passés de 54 mois à 187 mois, n’ont pas donné lieu à davantage
de débats. Les reports successifs de la date d’achèvement sont qualifiés par
la direction d’EDF « d’aléas normaux sur un chantier de ce type consistant
à réaliser une tête de série
17
». Cette explication semble suffire aux
administrateurs qui auraient pourtant pu demander des éclaircissements sur
la dérive des coûts de construction de la centrale, à défaut d’information
spontanée de la part de la direction.
16
Le conseil d’administration ne sera qu’informé des réévaluations du coût à
terminaison de la centrale les 29 juillet 2010, 18 décembre 2012, 21 novembre 2014 et
21 juin 2016. Les procès-verbaux ne font pas état de débats au sein du conseil
d’administration à l’occasion de ces informations successives qui porteront pourtant le
coût à terminaison de 3 milliards d’euros en 2004 et à plus de 12 milliards d’euros en
2019. Le 2 mai 2018, le conseil est informé d’un écart constaté sur les soudures du
circuit secondaire, parmi d’autres sujets, dans une déclaration d’ouverture de la réunion,
sans débat spécifique sur ce sujet. Le 25 juillet 2018, un communiqué de presse annonce
la réévaluation du coût du projet à 10,86 Md
€
. Le sujet est abordé brièvement en conseil
d’administration, le 30 juillet 2018. Il porte essentiellement sur les moyens d’éviter
qu’EDF ne supporte seule le surcoût constaté.
17
Compte-rendu du Conseil d’administration d’EDF, séance du 5 novembre 2009.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
35
b) Des messages d’alerte du comité d’audit à partir de 2008
non pris en compte par le conseil d’administration
Le comité d’audit, un des comités spécialisés émanant du conseil
d’administration d’EDF, signale, le 12 décembre 2008, un risque de dérive
des coûts et des délais, risque passé en zone rouge depuis le second
semestre 2007. Aux questions posées par le président du comité, la
direction répond que « la réalisation l’EPR a rencontré les aléas classiques
de tout grand projet complexe, réalisé qui plus est après un quasi moratoire
d’une quinzaine d’années. À ce titre ce n’est pas le chiffrage actuel
intégrant les résultats de l’analyse des risques, mais le maintien trop
prolongé de l’estimation initiale qui serait questionnable
18
».
La réunion du comité d’audit du 13 avril 2010 (portant sur le second
semestre 2009) clôt un « audit flash » avec réserves, après la décision de
l’ASN demandant d’arrêter le coulage du béton du chantier FLA3. Le
comité constate que les recommandations consécutives à l’audit ont été
mises en
œ
uvre (formation des personnels EDF et Bouygues à la culture de
sûreté, listage et suivi des activités concernées par la qualité sur le site,
renforcement de la surveillance exercée par EDF, amélioration du
traitement des fiches de non-conformité des prestataires) mais que
« toutefois, les difficultés perdurent malgré les mesures mises en
œ
uvre,
dans le cas présent sur la salle des machines
19
». Un retard de l’ordre de
18 mois est envisagé.
Ces messages d’alarme, lancés par le comité d’audit, ne donneront
pas lieu à débats au sein du conseil d’administration, ni à l’adoption de
mesures correctrices.
c) Un pilotage financier inadapté à l’ampleur du projet
Le projet fait l’objet de discussions régulières au sein du Comité
d’Engagements du Comité Exécutif (CECEG).
Les relevés de décisions du comité des engagements ne permettent
pas de reconstituer de manière claire les augmentations successives du coût
de construction de Flamanville 3. Les données sont exprimées, dans un
même tableau, et selon les postes de dépenses et les marchés, en euros
courants et en euros constants. Comme l’indiquent ces documents, « les
sommes des contrats en « M
€
base marché » sont indicatives car elles
additionnent des monnaies en base économique différente » ou encore « le
chiffre est indicatif car il repose sur une base monétaire non commune ».
En outre, le coût à terminaison détaillé par principaux marchés soumis au
18
Compte-rendu du Conseil d’administration d’EDF, séance du 12 décembre 2008.
19
Compte-rendu du Comité d’audit d’EDF, séance du 13 avril 2010.
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COUR DES COMPTES
36
comité d’engagement ne porte que sur les contrats de plus de 50 M
€
; il ne
correspond pas au coût à terminaison « total », comprenant l’ensemble des
contrats, supérieurs et inférieurs à 50 M
€
. Durant la plus grande partie du
chantier, l’entreprise informe les membres du comité d’engagement (et
ceux du conseil d’administration) sur les coûts de FLA3 « par différence »,
sans donner une vision consolidée historique de ces évolutions. Il faut
attendre fin 2012 pour que l’entreprise estime les coûts sur la base du
« reste à faire », chiffre encore différent du coût à terminaison, car il ne
comprend ni les provisions pour aléas majeurs (ceux conduisant par
exemple à un allongement significatif du planning), ni les demandes
d’indemnisation et les réclamations. Durant les cinq premières années de
construction de l’EPR, les dépenses sont donc compilées, sans vision du
coût final. Ce n’est qu’à partir des réorganisations de l’organisation projet
de 2011, et surtout de 2015
20
, qu’un suivi plus régulier des dépenses du
chantier, de l’estimation du reste à faire selon les indicateurs d’avancement
physique (à partir de 2013), et une gestion centralisée des achats et des
contrats, ont été progressivement mis en place.
Dans ces conditions, le secrétaire général d’EDF déclarait en
novembre 2011 que « les contrats Areva et Bouygues présentent encore des
risques pouvant impacter les coûts du projet », et ajoutait que « les autres
contrats comportent aussi des risques mais qui ne sont pas de nature à
impacter les coûts globaux du projet
21
», alors même que ces « autres
contrats » ont connu, depuis, une augmentation de plus de 2,5 Md
€
2015
,
principalement due aux dérives de planning.
d) Des relations contractuelles qui aggravent la faiblesse
du pilotage technique du projet
EDF a conclu, pour la construction de FLA3, un nombre
significativement moindre de contrats que pour la réalisation des chantiers
précédents, de 700 à 750 contrats environ pour les réacteurs de 1 450 MW
du palier N4, à 150 contrats pour FLA3, dont 20 représentaient 80 % du
coût du projet lors de son lancement. Cette réduction du nombre de contrats
devait constituer pour EDF un facteur de simplification et d’économies.
Elle s’est accompagnée d’un accroissement du périmètre de responsabilité
de ses fournisseurs, sans pour autant diminuer le nombre d’intervenants,
20
À partir de cette date, le comité des engagements d’EDF examine les chiffres en euros
courants et constants avec un coût à terminaison exprimés en euros 2015 et les risques.
21
Relevé des décisions du comité d’engagement, EDF, 22 novembre 2011.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
37
sous-traitants de second, troisième voire quatrième rang, non liés
contractuellement avec EDF et que l’entreprise ne pouvait contrôler
22
.
Les contrats n’intégraient, à la signature, ni les aléas – pourtant
prévisibles compte-tenu du caractère de « tête de série » du réacteur – ni
les mécanismes incitatifs qui auraient permis de prendre en compte le
caractère incomplet du design. Sur ce point, EDF reconnaît, dans le cadre
du présent contrôle, que « les spécifications techniques et les principaux
contrats du projet Flamanville 3 ont été passés alors que les études
détaillées n’étaient pas encore réalisées, en privilégiant une base forfaitaire
(qu’elle soit par « bordereau de prix unitaire » ou globale) qui n’était pas
encore définie à l’époque ». La passation de contrats à durée fixe ou
déterminée, au forfait ou avec des bordereaux de prix unitaires, avec une
date butoir non corrélée à l'achèvement des prestations définies, faisait
supporter les risques au titulaire du marché, ce dernier étant considéré
comme « sachant technique ». Mais cette protection d’EDF s’est révélée
illusoire, même si les contrats précisaient que le titulaire « reconnaît avoir
pris connaissance des contraintes de toute nature à prendre en compte pour
l'exécution de ses travaux, et reconnaît les avoir intégrées sans restriction
dans ses prix forfaitaires et dans son planning » ou encore qu’ « il ne peut
en aucun cas prétendre à un supplément de prix par suite, soit
d’insuffisance de description, soit de difficulté d’accès ou d’organisation
dues aux particularités de la prestation ». Les fournisseurs n’ont pas, en
effet, été en mesure d’évaluer, en phase d’appel d’offres, l’ensemble des
22
Depuis 2017, le code de l’environnement prévoit, à ses articles R. 593-10 et suivants,
que pour garantir la maîtrise de la réalisation des activités importantes pour la protection
(AIP), l'exploitant d’une installation nucléaire de base limite, autant que possible, le
nombre de niveaux de sous-traitance. Les prestations de service ou de travaux définis à
l'article R. 593-13 du code de l’environnement ne peuvent être réalisées que par des
sous-traitants de premier ou de deuxième rang. Mais, alors que la notion d’exploitation
d’une installation nucléaire de base couvre toutes les activités relevant de l’exploitant
depuis la conception et la construction de l’installation, jusqu’à sa mise à l’arrêt définitif
et son démantèlement, en passant par son fonctionnement, et alors que les dispositions
législatives ou réglementaires relatives au recours à des prestataires et à la sous-
traitance en matière nucléaire sont en général applicables durant toute l’exploitation, la
limitation à deux du nombre de niveaux de sous-traitance est explicitement exclue pour
ce qui concerne les installations avant leur mise en service. La limitation juridique de
la « profondeur » de la sous-traitance à deux niveaux, spécifique au domaine nucléaire,
ne concerne donc pas la construction des réacteurs.
La filière EPR
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COUR DES COMPTES
38
risques dans la mesure où la réponse aux appels d’offres s’est effectuée sur
des études insuffisamment détaillées
23
.
EDF convient s’être « trouvé dans l’obligation de notifier des
avenants successifs aux principaux contrats, au fur et à mesure du
déroulement des études, afin de traiter notamment les modifications de
périmètre, de quantités, la mise en
œ
uvre de modes opératoires spécifiques
et les études complémentaires
24
. ». L’ampleur des évolutions du projet a
contraint l’entreprise à renégocier avec ses fournisseurs, faute de quoi le
chantier se serait interrompu. Cette renégociation a parfois comporté des
dispositions liant plus étroitement la rémunération du fournisseur aux
conditions d’exécution du contrat. Ce fut le cas de l’avenant au contrat
passé avec Bouygues Construction en novembre 2009
25
. Le résultat fut
cependant limité au regard de l’augmentation du coût de ce contrat
(+ 871,5 M
€
, sur la base de sept avenants). Les mécanismes destinés à
appliquer une matrice des risques commune au client et au fournisseur,
dans le respect des règles de la commande publique, n’ont pas été mis en
œ
uvre
26
.
EDF a surestimé ses compétences de pilotage de chantier et ne s’est
organisée que très tardivement pour y faire face. L’ingénierie du projet a
été dispersée notamment entre le CNEN (Centre National d’Équipement
Nucléaire), SOFINEL (dont le capital est détenu à 55 % par EDF et 45 %
par Framatome), le CNEPE (Centre National d’Équipement et de
Production d’électricité). EDF, qui se définit comme architecte ensemblier,
n’a pas organisé en son sein de façon claire la distinction entre les fonctions
de maître d’ouvrage et de maître d’
œ
uvre. Aucune instance ne se trouvait
donc chargée de veiller au respect des objectifs et du cadre technique et
financier du projet. Ce n’est qu’en 2015 qu’est constituée une équipe projet
dédiée dirigeant le chantier
in situ
et séparant la responsabilité du projet de
l’ingénierie. Dans son rapport sur la construction de l’EPR de Flamanville,
23
Selon l’entreprise Bouygues Construction, la réponse à l’appel d’offre sur le génie
civil principal s’est faite sur la base de plans guides pour lesquels le
detail design
du
ferraillage n’était pas réalisé (il a été réalisé par le prestataire lui-même), pas plus que
celui de la pose des platines, et le
detail design
du coffrage était réalisé à 10 % à 15 %.
24
Document préparatoire au comité des engagements, EDF/DIPNN, 11 mai 2015.
25
Le plafond des pénalités est passé de 10 % pour le contrat initial (325 M
€
) à 14 % du
montant projeté en 2009 (580 M
€
) et le plafond absolu de pénalités est passé de 54 à
80 M
€
.
26
Dans une note sur les difficultés résultant des pratiques contractuelles appliquées aux
marchés associés à la filière nucléaire, l’entreprise Bouygues Construction recense
quatre méthodes de partage équilibré des risques et des gains entre commanditaire et
prestataire, dont certaines sont, selon elle, utilisées pour des contrats du Grand Paris.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
39
M. Jean-Martin Folz relève d’ailleurs que « ce n’est que très
progressivement que l’équipe en charge du projet a été dotée de moyens et
de méthodes cohérents avec l’ampleur de la tâche
27
», ce que la Cour a
également constaté.
2 - Des réactions des administrations tardives,
rares et par trop rassurantes
Aucune des notes produites par l’agence des participations de l’État
entre 2004 et 2019 ne fait état d’inquiétude ou de questionnement de l’APE
sur le projet, son coût, ses dérives successives et les risques qu’il comporte
pour EDF et par voie de conséquence pour l’État. Le réalisme de
l’évaluation des coûts et des délais du projet n’a pas été mis en doute ni
évalué, pas plus que les dérives successives n’ont fait l’objet d’analyses
internes à l’APE. Les procès-verbaux du conseil d’administration d’EDF
ne font état que d’une seule intervention du gestionnaire des participations
de l’État sur ce projet, à propos du premier avenant au contrat passé avec
Bouygues. Par la suite, les dérives successives du coût à terminaison du
projet ne susciteront plus aucune réaction des représentants de l’APE au
conseil d’administration d’EDF. Y compris sur les questions de défauts de
qualité, l’actionnaire apparaît comme un spectateur d’événements dont il
ne semble avoir connaissance que par voie de presse. Et si le commissaire
aux participations de l’État est intervenu lors d’une réunion du conseil
d’administration d’EDF suite à la décision de l’ASN sur les soudures de
traversée
28
, ce n’est que tardivement au regard des dérives successives
rencontrées sur le chantier. L’agence des participations de l’État affirme
vouloir désormais être attentive au suivi de la mise en
œ
uvre des actions
d’EDF pour répondre aux exigences de qualité et de gestion des projets.
Elle indique également exiger des rapports plus fréquents sur le
déroulement des projets EPR.
27
Rapport au président-directeur général d’EDF, « La construction de l’EPR de
Flamanville », M. Jean-Martin FOLZ, octobre 2019.
28
Lors du conseil d’administration du 20 juin 2019, le commissaire général aux
participations de l’État a souligné la gravité de la situation et les impacts majeurs d’un
nouveau retard pour l’ensemble de la filière nucléaire française.
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COUR DES COMPTES
40
Les notes de la direction générale chargée de l’énergie
29
, dont
l’organisation, le rattachement ministériel et les conditions de participation
au conseil d’administration
30
ont été modifiés après le lancement du projet
de Flamanville, ne comportent pas davantage de signaux d’alerte à
l’intention des ministres, ou d’analyses critiques de la conduite du chantier
de Flamanville 3 par EDF. Interrogée sur le fondement de son avis
favorable à la construction de l’EPR, la DGEC fait valoir que, dans la
mesure où la construction de Flamanville 3 était conforme à l’orientation
de la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique
énergétique,
31
elle y était favorable, et s’en était remise à l’évaluation
technique et économique de l’entreprise publique.
De même, dans une note du 9 décembre 2008, le directeur général
de l’énergie et du climat reprend à son compte les perspectives de
construction des industriels, sans prise de distance
32
. Dans cette même
note, il indique qu’« un glissement du coût de l’EPR n’est pas
nécessairement le révélateur d’un dérapage de chantier mais peut résulter
d’une offre commerciale mal estimée. » Il ajoute que « les difficultés
rencontrées à Olkiluoto et à Flamanville ne sont ainsi pas aberrantes alors
qu’il s’agit d’un nouveau réacteur dans un secteur qui a connu près d’une
décennie d’absence d’activité de chantier ».
Il ne prend pas davantage la mesure des problèmes un an plus tard,
puisqu’il indique, dans une note datée du 25 novembre 2009 consacrée aux
multiples difficultés rencontrées dans la conduite du chantier de
Flamanville 3, que : « l’administration ne peut apporter des éléments
complémentaires à ceux apportés par EDF, qui reste le seul porteur du
projet. L’enjeu majeur pour l’entreprise est celui de la communication,
adressée en premier lieu au marché, les informations et les prévisions
relatives à l’avancement et au coût du chantier. La marge d’ambiguïté
29
La direction générale de l’énergie et des matières premières (DGEMP) relevait du
Ministre chargé de l’industrie. En 2008, lui a succédé la direction générale de l’énergie
et du climat (DGEC), qui relève du Ministre chargé de l’énergie (MTES actuellement).
30
La direction générale chargée de l’énergie a d’abord disposé du statut de représentant
de l’État en tant qu’administrateur tout en ayant un rôle de contrôle de l’activité
nucléaire d’EDF et de mise en
œ
uvre de la politique énergétique. C’est en 2012 qu’elle
a bénéficié d’un poste de commissaire du gouvernement au sein du CA d’EDF.
31
À savoir, disposer, vers 2015, d'un réacteur nucléaire de nouvelle génération
opérationnel permettant d'opter pour le remplacement de l'actuelle génération.
32
Il évoque, pour le groupe Areva, la prise de commande de 48 EPR et 13 ATMEA (il
s’agit de réacteurs de 1 000 MW issus de la collaboration avec Mitsubishi) « avant
2020 » et pour EDF, l’exploitation « de 10 EPR » à cette même date. En réalité, sur les
52 réacteurs envisagés, Areva n’aura vendu qu’un seul EPR, lequel n’est pas encore en
service.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
41
qu’EDF a souhaité conserver, notamment sur les délais, ne peut être remise
en cause, au-delà des doutes que chacun peut concevoir, que par
l’entreprise elle-même ». Il conclut que « les nombreux aléas qui ont été
rencontrés, ce qui est d’ailleurs naturel sur un chantier de cette ampleur,
ont conduit à des réactions adaptées de la part d’EDF qui ont permis de
garder la maîtrise du projet ».
De son côté, la direction générale du Trésor a indiqué à la Cour
n’avoir pas réalisé d’évaluation de l’intérêt économique du projet. Les
notes qu’elle a produites pendant l’instruction portent exclusivement sur le
soutien proposé par les autorités françaises, sous forme de garantie de
crédit, aux projets d’exportation de l’EPR (il en est rendu compte
infra)
.
Des décisions du pouvoir politique insuffisamment éclairées
par les administrations de tutelle
Les principales décisions relatives au nucléaire civil et militaire sont
prises par le Président de la République, depuis le début de la cinquième
République. Elles sont normalement préparées par le Conseil stratégique de
la filière nucléaire, qui rassemble tous les acteurs de la filière, et sont prises
au sein du Conseil de politique nucléaire, créé par un décret du 21 avril 2008
dans le but d’affirmer l’ambition internationale du secteur nucléaire français
et l’appui politique dont il bénéficie.
En réalité, les réunions de ce Conseil sont assez rares et servent
surtout à officialiser des décisions. Notamment, le 8 février 2012, le Conseil
de politique nucléaire a décidé la prorogation de la durée de vie des centrales
françaises au-delà de 40 ans et la construction d’un deuxième EPR à Penly
(Seine-Maritime). Le 28 septembre 2012, il a décidé que seul l’EPR de
Flamanville serait mis en service pendant le quinquennat, en même temps
qu’il confirmait la fermeture de la centrale de Fessenheim et la réduction de
la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité en 2025.
Dans ce contexte, il n’est pas établi que les administrations de tutelle
réalisent un travail d’instruction technique suffisamment approfondi pour
éclairer les décideurs politiques.
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COUR DES COMPTES
42
II - Une succession de défauts mettant en cause
la culture de la qualité de la filière industrielle
A - Une absence préjudiciable de dialogue technique
entre EDF et ses prestataires et de trop nombreuses
modifications apportées en cours de chantier
1 - Un manque de comportements collaboratifs
La qualité insuffisante du dialogue technique entre EDF et ses
prestataires explique une partie des difficultés rencontrées. Une
communication déficiente entre les équipes d’EDF et celles de ses
sous-traitants a nui à la conduite d’un chantier qui suppose une forte
imbrication des activités et des prestations des uns et des autres.
M. Jean-Martin
Folz
évoque
dans
son
rapport
des
« relations
insatisfaisantes » entre EDF et les entreprises et un manque d’« atmosphère
collaborative ». Les relations entre EDF et ses fournisseurs ont été
dysfonctionnelles et ont eu des conséquences importantes.
La rivalité entre Areva et EDF a contribué à une mauvaise
transmission
de
certaines
spécifications
techniques
relatives
aux
équipements sous pression nucléaire. Par la suite, l’hostilité larvée ou
déclarée entre les équipes d’Areva NP et d’EDF n’a pas permis la
résolution rapide des difficultés rencontrées sur les soudures de traversées
(voir
infra
).
2 - Les difficultés de réalisation du génie civil
a) Une relation contractuelle compliquée entre EDF
et la société Bouygues TP
La relation contractuelle a été compliquée avec la société Bouygues
TP chargée des travaux du génie civil
33
. L’insuffisance des études
détaillées au début du chantier, puis le dialogue altéré avec Bouygues ont
entraîné une augmentation de la durée de réalisation du génie civil ainsi
33
L’entreprise Bouygues TP a été la société titulaire du marché de génie civil principal
(contrat YR2201). La signature du marché est intervenue en septembre 2006.
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43
qu’un fort dépassement du budget de départ. Eu égard à la durée des
prestations (10 ans) et aux difficultés rencontrées sur le chantier, la
direction du projet de Flamanville a d’ailleurs décidé de formaliser un
retour d’expérience
34
avec l’entreprise en septembre 2017.
En raison de la sous-estimation initiale des travaux à réaliser, les
opérations ont nécessité un réajustement complexe des calculs de
dimensionnement d’équipements.
Il en est résulté une augmentation corrélative du nombre de
personnels exécutants et compagnons devant être mobilisés par la société.
Il a fallu recruter en cours de chantier de la main d’
œ
uvre en volume
suffisant, notamment pour monter les armatures, du fait du très fort
accroissement des ratios de ferraillage (la densité de ferraillage est passée
de 180 kg par m
3
à 255 kg par m
3
).
Au total, la durée de réalisation du génie civil, qui devait être de
20 mois, a été de 70 mois
35
. EDF a partiellement réussi à limiter l’impact
de ces retards sur la durée globale de réalisation du projet en faisant
démarrer les travaux électromécaniques en parallèle à ceux du génie civil
et en accélérant d’autres activités venant en aval du génie civil.
b) Des alertes en termes de qualité industrielle
Les difficultés n’ont pas été seulement économiques, mais
également industrielles. Dès avril 2008, des fissures ont été constatées dans
le radier de l’îlot nucléaire
36
. En juin 2008, l’ASN a demandé à EDF de
suspendre les opérations de coulage de béton des ouvrages importants pour
la sûreté ; la reprise conditionnelle a été autorisée à la fin du mois. En
janvier 2010, l’autorité de sûreté a demandé que les méthodes de traitement
du bétonnage fassent l’objet d’une qualification complète. En juillet 2011,
une inspection de l’autorité de sûreté a permis de constater que le
remplissage en béton des coffrages des parois de la piscine du bâtiment
combustibles n’était que partiel, laissant apparaître des nids de cailloux et
des cavités en plusieurs endroits. Ces écarts de qualité ont ensuite été
résorbés, et finalement la qualité des opérations réalisées n’a pas été remise
en cause par EDF ou par l’ASN.
34
Le retour d’expérience comporte un compte-rendu des échanges entre EDF et
Bouygues TP, qui se sont tenus les 26 et 27 septembre 2017.
35
La durée de mise en
œ
uvre du chantier entre le bétonnage du radier et le pose du
dôme s’est étalée sur 68 mois.
36
La coulée avait été réalisée du 3 au 5 décembre 2007.
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COUR DES COMPTES
44
c) Des exigences redondantes et incohérentes
Les prévisions faites par EDF au moment des études détaillées ont
été établies par rapport à une référence antérieure avec 50 % de béton de
plus que pour la tranche N4. Elles se sont avérées insuffisantes. Cette erreur
initiale n’a pas permis une bonne prise en compte par EDF comme
Bouygues de la complexité et de la spécificité de la construction d’un
EPR
37
. Une préparation plus fine des études détaillées aurait dû conduire
les deux entreprises à prévoir dès le départ des moyens plus importants, des
ressources humaines et techniques plus conséquentes et une mobilisation
plus rapide des moyens de levage.
3 - De trop nombreuses modifications apportées
en cours de chantier
En construction depuis septembre 2007, l’EPR 3 de Flamanville a
connu de nombreux déboires, ralentissant le cadencement normal des
différentes étapes industrielles du chantier, et obligeant, dans certains cas,
à l’arrêter, pour des raisons industrielles, techniques et/ou réglementaires
38
.
a) Le défaut de conception initiale du système de contrôle-commande
Le système de contrôle-commande est constitué de l’ensemble des
systèmes qui, dans une installation nucléaire, permettent d’effectuer
automatiquement des mesures et d’assurer des fonctions de régulation ou
de protection. Celui du réacteur de Flamanville 3 comprend deux plates-
formes associées
39
.
37
Une fois les erreurs des études initiales identifiées puis corrigées, les opérations de
génie civil ont finalement permis le respect de ce très haut niveau d’exigence.
38
Le cadre réglementaire applicable en France est essentiellement défini par l’arrêté
INB du 7 février 2012, définissant un référentiel d’exigences applicables aux
installations nucléaires de base s’inspirant des standards émis par l’AIEA et des niveaux
de référence WENRA. À ces exigences s’ajoutent celles de directives européennes
transcrites en droit français, telles que l’arrêté relatif aux équipements sous pression
nucléaires (ESPN). Les équipements des réacteurs à eau sous pression (REP) français
sont conçus, fabriqués et exploités à partir des codes édités par l’association AFCEN :
le RCC-M pour les matériels mécaniques ou le RCC-E pour les matériels électriques.
Les codes de l’AFCEN sont rédigés à partir de normes et exigences de la réglementation
technique générale et prennent en compte la bonne pratique industrielle. L’ASN suit la
conformité aux exigences réglementaires des codes de l’AFCEN.
39
Il s’agit de la plateforme Téléperm XS spécifiquement développée pour l’industrie
nucléaire et dédiée aux fonctions de protection du réacteur en situation d’incidents ou
d’accidents et de la plateforme SPPA T2000 d’origine industrielle classique, utilisée
pour des fonctions liées au fonctionnement normal du réacteur et pour certaines
fonctions de protection du réacteur, en situations d’incidents ou d’accidents.
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45
Le 15 octobre 2009, l’ASN a indiqué à EDF que la sûreté de la
plateforme SPPA T2000 n’était pas démontrée, l’autorité de sûreté
demandant
à
EDF
d’apporter
des
éléments
de
justification
complémentaires. Le 22 octobre 2009, les trois autorités de sûreté nucléaire
de Finlande (STUK), de France (ASN) et du Royaume-Uni (ONR,
anciennement HSE) ont rendu publique une déclaration concernant le
réacteur EPR et demandant aux exploitants (EDF en France) et au fabricant
(Areva) de revoir le système de contrôle-commande du réacteur de l’EPR.
La critique portait sur l’absence d’indépendance des deux systèmes chargés
d’assurer, d’une part, le contrôle (c’est à dire le bon fonctionnement du
réacteur en situation normale) et, d’autre part, la sûreté (c’est-à-dire le
maintien du contrôle du réacteur en situation anormale ou accidentelle).
Le système de sûreté doit pouvoir pallier une défaillance du système
de contrôle et doit être, par conséquent, totalement indépendant de celui-ci.
Les trois autorités ont considéré que l’EPR ne satisfaisait pas à cette
exigence d’indépendance entre les deux systèmes. Le sujet a été abordé lors
d’une réunion du CA d’EDF le 5 novembre 2009. EDF a finalement mis
en
œ
uvre la modification de l’architecture du contrôle-commande
demandée par l’ASN visant à en améliorer la robustesse, en avril 2012,
après qu’EDF et l’ASN sont parvenues à un accord sur un nouveau système
de contrôle
40
.
b) Les défauts de fabrication du pont polaire
En décembre 2011, des défauts ont été constatés sur les consoles du
pont polaire qui domine le bâtiment réacteur et permet de manipuler toutes
les charges lourdes. L’importance des défauts constatés, après l’installation
de la totalité des consoles dans le bâtiment, conduira EDF à les faire
déposer et à en fabriquer de nouvelles
41
.
40
La présentation faite en conseil d’administration ne rendait compte que très
imparfaitement des difficultés réelles rencontrées par l’entreprise dans la réalisation de
cet élément essentiel du fonctionnement de l’EPR (voir développements plus haut dans
le présent rapport sur le rôle du CA).
41
D’autres difficultés sont apparues en cours de chantier s’agissant du pont polaire. En
octobre 2013, à l’occasion d’un essai du chariot de 320 tonnes qui circule sur le pont
polaire du bâtiment réacteur, la chute d’une pièce a ainsi entraîné la dégradation du liner
qui recouvre la paroi de la première enceinte du bâtiment réacteur.
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COUR DES COMPTES
46
B - Les anomalies de la cuve du réacteur ayant nécessité
une décision de l’ASN
1 - Les défauts détectés
La cuve
42
, qui contient le réacteur et le combustible nucléaire, est
bien sûr un élément essentiel de l’EPR. Elle constitue également la
deuxième barrière de confinement des éléments radioactifs
43
. Son intégrité
doit donc être assurée et justifiée dans toutes les situations de
fonctionnement normal, « incidentel » et accidentel du réacteur, pour toute
la durée de son exploitation.
a) La réglementation applicable
La question de la réglementation applicable revêt une importance
majeure pour les différents acteurs industriels au premier rang desquels EDF,
Framatome et ses sous-traitants, qui doivent respecter des codes et règles
stricts en matière de fabrication des équipements sous pression nucléaire.
Framatome a notamment insisté auprès de la Cour sur la difficulté technique
qui a découlé de changements de réglementation en ce domaine.
S’agissant de la cuve, les données étaient les suivantes : la cuve est
un équipement de niveau N1, soit le plus important pour la sécurité. Au
moment de sa fabrication, la réglementation applicable était constituée :
du décret du 13 décembre 1999 relatif aux équipements sous pression,
42
La cuve est constituée de deux types de pièces : les viroles, qui constituent la partie
cylindrique de la cuve et les calottes, qui en forment les parties inférieures (le fond) et
supérieures (le couvercle). Les calottes sont des pièces bombées de forte épaisseur.
Contrairement à d’autres équipements du circuit primaire, comme les générateurs de
vapeur ou les couvercles de cuve, le remplacement d’un corps de cuve n’est pas une
opération qui peut être envisagée par l’exploitant après la mise en service du réacteur.
La durée de fonctionnement de la cuve conditionne donc directement celle de
l’installation toute entière.
43
La première est la gaine des assemblages de combustibles et la troisième l’enceinte
de confinement.
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47
de l’arrêté du 12 décembre 2005
44
relatif aux équipements sous pression
nucléaires, dit « arrêté ESPN » (arrêté relatif aux équipements sous
pression nucléaire)
45
.
Depuis 2005, la réglementation a renforcé les exigences de contrôle
et de justification adressées aux fabricants d’équipements sous pression
nucléaires, et les analyses de risques, les méthodes de qualification et les
contrôles ont été étendus. Ce n’est toutefois qu’en 2009 puis 2011 que le
processus de qualification technique au sens de l’arrêté ESPN de 2005 a
été clarifié entre l’ASN et le fabricant. Mais, comme le font remarquer à la
fois l’ASN et Framatome dans le cadre du présent contrôle, la conformité
de la cuve du réacteur a été évaluée en application de nouveaux textes
46
,
dont l’arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pression
nucléaires, lequel comporte un article 9 qui a introduit une possibilité de
dérogation en cas d’écart, inexistante auparavant.
b) La constatation d’écarts en termes de qualité
En l’occurrence, des zones de ségrégation carbone excessive
conduisant à des valeurs de résilience inférieures à 60 Joules (valeur de
référence de l’arrêté ESPN) ont été détectées dans le couvercle de la cuve
du réacteur de Flamanville 3. Ces zones de concentration excessive de
carbone réduisent la résistance de l’acier aux sollicitations thermiques et
mécaniques auxquelles il est exposé.
Un débat technique et juridique s’est noué autour de cette question.
44
L’arrêté du 12 décembre 2005 comportait des dispositions transitoires au titre
desquelles l’arrêté du 26 février 1974, relatif à la construction du circuit primaire
principal des chaudières nucléaires à eau, aurait pu s’appliquer à la fabrication de la
cuve du réacteur EPR mais l’exploitant et le fabricant ont décidé d’appliquer les
dispositions de cet arrêté de 2005.
45
Selon cet arrêté, la cuve est un équipement de niveau N1, le matériau doit être
suffisamment ductile et tenace. Ces exigences sont respectées si le matériau présente
les propriétés suivantes : pour ce qui concerne la ductilité, une valeur d’allongement au
moins égale à 20 % à une température de 20°C après rupture dans un test de traction ;
pour ce qui concerne la résilience : une énergie de flexion par choc au moins égale à
60 Joules à 0 °C.
46
La section 12 du chapitre VII du titre V du livre V du code de l’environnement et
l’arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pression nucléaires qui a
remplacé l’arrêté précité de 2005 pour la partie relative à la fabrication de nouveaux
équipements.
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48
En 2014, Areva a mené des essais sur un couvercle similaire à celui
de l’EPR de Flamanville 3. Les résultats confirmèrent la présence d’une
zone présentant une concentration importante en carbone conduisant à des
valeurs de résilience métallique plus faibles qu’attendues.
L’ASN a rendu publique le 7 avril 2015 une anomalie de la
composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la
cuve, après avoir été informée, par Areva, de résultats d’essais mécaniques
réalisés sur une calotte, issue de la même pièce ayant permis de forger le
couvercle de cuve du réacteur EPR de Flamanville, inférieurs à la valeur
de référence mentionnée par la réglementation.
Dans sa lettre du 14 décembre 2015 au président d’Areva, le
Président de l’ASN écrit que le dossier de qualification technique présenté
pour les calottes du fond et du couvercle de la cuve montre que « le risque
d’hétérogénéité dû aux ségrégations majeures positives résiduelles,
phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et ses conséquences
mal quantifiées. » Il considère que « l’exigence de qualification technique
n’est pas respectée (pour le couvercle et le fond de la cuve) et que [EDF]
n’a pas fait le choix de la meilleure technique. » De leur côté, les équipes
d’EDF semblent considérer, à ce moment-là, qu’il ne peut y avoir de
véritable « plan B » et que le démarrage du réacteur étant prévu pour 2018,
il sera impossible de retirer ces pièces ou de les remplacer.
2 - L’application d’un régime dérogatoire pour sortir
d’une situation difficile
Le décret du 1
er
juillet 2015 (décret n° 2015-799) et son arrêté
d’application du 30 décembre 2015 publié le 3 janvier 2016 relatif aux
équipements sous pression nucléaires, dont font partie les cuves des
réacteurs, ont créé un régime dérogatoire à l’application des règles de
conformité des équipements sous pression nucléaires. L’article 9 de l’arrêté
dispose
qu’en
application
de
l’article
L. 557-1-3
du
code
de
l’environnement, en cas de « difficulté particulière », et sur demande
dûment justifiée, assurant notamment que les risques sont suffisamment
prévenus ou limités, l’ASN peut, par décision prise après avis de la
Commission centrale des appareils à pression, autoriser l’installation, la
mise en service, l’utilisation et le transfert d’un équipement sous pression
nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des
exigences des articles L. 557-4 et L. 557-5 du code de l’environnement, du
chapitre VII du titre V de la partie réglementaire du code de
l’environnement et du présent arrêté.
Sans ce régime dérogatoire, il n’aurait pas été possible à l’ASN
d’autoriser la mise en service du couvercle de cette cuve.
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49
Le 9 octobre 2018, l’ASN a autorisé la mise en service et l’utilisation
de la cuve du réacteur de Flamanville, sous réserve de la réalisation d’un
programme d’essais de suivi du vieillissement thermique sur l’acier de la
ségrégation majeure positive résiduelle du carbone et de contrôles
spécifiques lors de l’exploitation de l’installation
47
. Si les résultats de ce
programme d’essai ne sont pas satisfaisants, EDF devra changer le
couvercle de la cuve d’ici la fin de 2024.
La fixation de cette échéance s’explique par le délai nécessaire à la
réalisation d’un nouveau couvercle, l’ASN ayant considéré que le maintien
transitoire du couvercle de la cuve pendant cette période n’affectait pas la
sûreté du fonctionnement du réacteur
48
.
À cet effet, l’ASN a vérifié et fait vérifier
a posteriori
la qualité
métallurgique des pièces concernées. Elle a, ce faisant, dû entrer dans un
processus de discussions avec l’exploitant, inhabituel pour une autorité de
sûreté puisque cela l’a conduit à valider une situation de non-conformité à
la réglementation initiale.
Enfin, après la découverte de défauts sur le couvercle et le fond de
la cuve du réacteur, l’ASN a demandé l’examen de tous les composants
forgés par Creusot Forge destinés à l’EPR de Flamanville, ce qui a abouti
à la découvertes de dossiers de contrôle à ce jour contestés
49
.
47
La faisabilité de ces contrôles n’est pas aujourd’hui acquise pour le couvercle en l’état
des connaissances actuelles. Seuls des robots pourraient éventuellement permettre
d’effectuer des tests au milieu de la « forêt » qui occupe la partie supérieure du
couvercle. Pour cette raison l’ASN a limité à fin 2024 l’utilisation du couvercle
actuellement installé.
48
Compte-tenu de l’incertitude sur la date du démarrage du réacteur, l’ASN aurait pu
fixer un délai correspondant non à une date limite mais à un délai maximal
d’exploitation, mais elle a considéré que dès qu’un nouveau couvercle pouvait être
installé, il convenait d’y procéder sans délai.
49
L’ASN a demandé que la période de vérification remonte davantage dans le temps
afin d’avoir une vision exhaustive de la situation. Les dossiers de contrôle de 20 pièces
forgées par Creusot Forge et destinées à l’EPR de Flamanville font actuellement l’objet
d’une information judiciaire ouverte en 2019 par le parquet de Paris pour plusieurs
infractions, visant notamment la mise à disposition sur le marché, l'installation et la
mise en service d'un équipement à risques ne satisfaisant pas aux exigences essentielles
de sécurité, l’usage de faux en écriture et la mise en danger d’autrui.
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COUR DES COMPTES
50
C - Un dysfonctionnement grave dans la gestion
du chantier : la question des soudures mal réalisées
1 - Un choix du constructeur EDF : le principe d’exclusion
de rupture pour certaines tuyauteries
L’exclusion de rupture correspond à un renforcement apporté par le
fabricant dans la conception, la fabrication et le suivi en service de
matériels visant à rendre extrêmement improbable leur rupture. Cette
démarche a conduit à des demandes de spécifications techniques allant
au-delà du code de construction RCC-M sur lequel le fabricant s’appuie
pour démontrer le respect de ces règles.
Si elle a pris une grande importance dans le cas du chantier de l’EPR
de Flamanville, cette notion n’est pas nouvelle : une démarche équivalente
à celle de l’exclusion de rupture est appliquée depuis plusieurs dizaines
d’années sur une partie des lignes vapeur principale extérieures à l’enceinte
des réacteurs à eau sous pression (démarche dite de tronçons protégés) : les
ruptures sur ces tronçons sont
a priori
exclues dans la démonstration de
sûreté, compte tenu de l’impossibilité de définir des dispositions
permettant d’en gérer l’occurrence. Il en va de même de la cuve du réacteur.
Le choix de la mise en
œ
uvre du principe d’exclusion de rupture
pour certaines tuyauteries a été retenu par EDF pour le chantier de l’EPR
de Flamanville, mais n’a pas été fait par Areva s’agissant du chantier
d’OL3 en Finlande. Ceci explique la présence à Olkiluoto de systèmes
anti-débattements qui correspondent à la notion de fuite avant rupture (la
rupture est dans ce cas une hypothèse qui n’est pas écartée et le fabricant
cherche à en limiter les effets néfastes en termes de sûreté).
L’ASN définit l’exclusion de rupture comme « un renforcement des
exigences de conception, de fabrication et de suivi en service de certains
matériels. Ce renforcement doit être suffisant pour considérer que la
rupture de ces matériels est extrêmement improbable ». En conséquence,
l’exploitant a le droit « de ne pas étudier intégralement les conséquences
d’une rupture de ces tuyauteries dans la démonstration de sûreté de
l’installation. » La conséquence est que l’exploitant peut alors s’exonérer
de certaines études de sûreté qui seraient longues et coûteuses.
Quant à l’IRSN, il définit la notion de composants dits « non
ruptibles » dans les termes suivants : « Si des dispositions peuvent être mises
en place afin de limiter les conséquences de la plupart des ruptures, dans
l’état actuel des connaissances et des techniques disponibles, la rupture de
certains récipients ne peut pas faire l’objet de dispositions, raisonnables et
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51
dont l’efficacité peut être démontrée, de limitation des conséquences qui
permettraient de rendre ces conséquences compatibles avec les objectifs de
sûreté retenus pour les installations correspondantes. L'effort porte alors sur
l'amélioration de la prévention des événements correspondants pour,
in fine
,
permettre de les « exclure ». Il apparaît nécessaire que la rupture soit rendue
extrêmement improbable avec un haut degré de confiance moyennant le
respect d’exigences renforcées de conception, de fabrication et de
surveillance » (IRSN démarche de sûreté 2019).
Les expressions « extrêmement improbable » et « haut degré de
confiance » sont susceptibles de donner lieu à d’éventuelles divergences
d’interprétation. C’est pourquoi il importe que la traduction scientifique et
technique du concept d’exclusion de rupture soit consignée dans des guides
et des référentiels précis et incontestables.
Pour que cette démarche soit acceptable, il importe en outre que la
qualité des contrôles sur le « haut degré de confiance » pouvant être
accordé aux installations soit également irréprochable. La difficulté
potentielle résulte d’un hiatus entre des exigences extrêmement élevées
« sur le papier » et une réalisation de moindre qualité, conduisant en
définitive à un processus de négociations entre l’exploitant et l’autorité de
sûreté, peu satisfaisant sur le plan des principes.
2 - Une information tardive par EDF des anomalies constatées
sur les soudures
a) Les tuyauteries en cause
Les lignes principales d’évacuation de la vapeur (« lignes vapeurs
principales ») sont des tuyauteries transportant la vapeur sous pression,
produite dans les générateurs de vapeur, vers la turbine
50
. Il s’agit
d’équipements soumis à la réglementation des équipements sous pression
nucléaires. EDF a mis en
œ
uvre sur ces tuyauteries une démarche
d’exclusion de rupture.
50
Sur un réacteur de type EPR, elles sont au nombre de quatre. Une partie de ces lignes
est située à l’intérieur de l’enceinte de confinement. Ces tuyauteries sont essentielles au
refroidissement par les générateurs de vapeur de l’eau du circuit primaire, et donc du
combustible nucléaire contenu dans la cuve du réacteur.
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52
Schéma n° 3 : éléments de tuyauterie concernés par la démarche
d’exclusion de rupture
Source : IRSN
Note : la double paroi présentée sur le schéma est celle du bâtiment du
réacteur. Cf. schéma n°2 pour une vue générale du bâtiment réacteur.
b) Divers écarts de qualité, détectés en plusieurs étapes
Les exigences d’exclusion de rupture ont été appliquées au stade de
la conception, mais n’ont pas été correctement intégrées dans la réalisation
des soudures. EDF a indiqué dans ses réponses à la Cour que « le
non-respect
de
ces exigences n’implique pas nécessairement la
non-conformité à la réglementation des équipements sous pression
nucléaire. » Pourtant, l’ASN a démontré que certaines soudures ne
répondaient ni au référentiel d’exclusion de rupture ni à celui de la
réglementation applicable relative aux équipements sous pression nucléaire
et a ordonné que certaines soudures soient refaites. On peut donc relever
que :
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53
le contrat, signé en 2008 entre Areva et le groupement chargé de réaliser
les soudures, chargé de réaliser les soudures, ne précisait pas le contenu
de l’exigence d’exclusion de rupture ;
un écart portant sur le non-respect des valeurs de résilience vis-à-vis des
exigences du code de construction (code RCC-M) sur un assemblage
témoin relatif aux soudures de traversée de l’enceinte de confinement a
été détecté dès octobre 2013 par le sous-traitant du fabricant Framatome.
Dans ses réponses à la Cour, EDF indique qu’un écart de qualité a été
initialement identifié à l’été 2015. À cette date, la fabrication des
traversées en usine était achevée ; elles avaient déjà été acheminées sur
le site et les premières opérations de montage avaient débuté.
Le chantier a alors été interrompu par Areva NP, le temps de s’assurer
de la conformité des soudures aux exigences du rapport de sûreté. Areva
NP et EDF ont cependant considéré que le chantier pouvait reprendre en
septembre 2015. EDF a indiqué dans ses réponses à la Cour que « le
chantier reprend ensuite, mais toujours sans contractualisation des
exigences d’exclusion de rupture mais en préconisant l’utilisation de
procédés de soudage présentant de bonne résiliences. Cette préconisation
n’a pas suffi à garantir le respect de l’exigence définie par Framatome
de résilience à -20°C, ce qui a conduit à déclarer un écart également sur
les soudures réalisées sur site ».
Suite à un contrôle réalisé par ultra-sons, EDF a déclaré le 10 avril 2018
51
à l’ASN, un événement significatif relatif à la détection d’écarts dans la
réalisation de ces soudures.
EDF a engagé au deuxième trimestre 2018 un nouveau contrôle de
l’ensemble des 150 soudures concernées du circuit secondaire principal.
51
Cf. communiqué de EDF du 10 avril 2018 « EDF détecte des écarts de qualité sur
certaines soudures du circuit secondaire principal de l’EPR de Flamanville et lance des
contrôles complémentaires ».
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54
Schéma n° 4 : les huit soudures situées dans les traversées
de l’enceinte de confinement du réacteur devant être reprises
suite à la décision de l’ASN
Source : IRSN
c) Un délai anormalement long d’information de l’ASN
mettant en cause une chaîne de responsabilités
Il ressort des échanges entre l’ASN et EDF qu’un écart portant sur
le non-respect des valeurs de résilience vis-à-vis des exigences du code de
construction (code RCC-M) sur un assemblage témoin relatif aux soudures
de traversées avait été détecté dès octobre 2013 par le sous-traitant du
fabricant Framatome.
EDF a indiqué que des échanges techniques entre ses services et ceux
de Framatome dans le cadre de l’instruction de ce premier écart ont conduit
à identifier en juillet 2015 l’écart au référentiel d’exclusion de rupture
concernant les soudures de traversées. Le traitement de cet écart a d’ailleurs
eu pour conséquence un arrêt du chantier entre août et novembre 2015.
L’entreprise a repris les activités de fabrication sur site en novembre
2015, sans que l’écart au référentiel d’exclusion de rupture pour les
soudures de traversées n’ait été résorbé. Cette reprise des activités a
contribué à rendre plus compliquées d’éventuelles opérations de réparation
ou de remplacement ultérieures de ces soudures.
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55
D’après les explications données par EDF à la Cour, « il n’y a pas
eu de volonté de cacher l’écart à l’ASN. Ces fabrications faisaient l’objet,
au titre de la réglementation ESPN, d’un suivi par un organisme notifié
mandaté par l’ASN. L’écart a été partagé de façon transparente et dès son
émergence avec l’organisme notifié. Il y a eu en revanche un défaut de
communication interne au sein de la direction de projet, si bien que les
personnes chargées de la communication avec l’ASN n’ont eu
connaissance que tardivement de l’écart. »
Il est regrettable que l’ASN n’ait été informée qu’en 2017 par EDF
de l’existence d’un écart au référentiel d’exclusion de rupture pour les
soudures de traversées. La non-transmission à l’ASN de ces éléments
pourtant connus depuis octobre 2013 traduit un manque de fluidité entre
les acteurs du secteur et leur autorité de sûreté.
3 - L’impérieuse nécessité de renforcer les actions de surveillance
sur le chantier
L’ASN a mené un certain nombre d’inspections sur place. Le
compte-rendu de l’inspection menée le 10 avril 2018 sur les contrôles non
destructifs de fin de fabrication des soudures du circuit secondaire principal
(CSP)
52
indique que l’organisation et les conditions de travail lors des
contrôles de fin de fabrication avaient globalement nuit à la qualité des
contrôles. Par ailleurs, selon l’autorité de sûreté, une surveillance inadaptée
de ces prestations par EDF, exploitant de l’installation, et Framatome,
constructeur, n’a pas permis d’identifier et de remédier aux difficultés
rencontrées par les intervenants. Seulement cinq actions de surveillance
avaient été réalisées sur l’ensemble des soudures des lignes vapeur
principales (VVP) classées en exclusion de rupture depuis début 2017. La
surveillance réalisée par Framatome avait été quantitativement plus
significative (une vingtaine de contrôles depuis début 2017).
52
Les premiers examens non destructifs réalisés pour le compte d’EDF dans le cadre
de la visite complète initiale (VCI) avait mis en évidence la présence d’indications qui
n’avaient pas été décelées lors des contrôles non destructifs (CND) de fin de fabrication.
L’inspection avait pour but d’étudier les circonstances qui ont pu contribuer à l’absence
de détection de ces indications lors des CND de fin de fabrication et d’examiner le plan
d’actions mis en place par EDF suite à la découverte de cette anomalie de détection.
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56
En définitive, c’est une défaillance de l’ensemble de la maîtrise de
la réalisation de ces activités de soudage
53
qui doit être relevée, tant en
termes de ressources techniques et de gestion des compétences des
intervenants
qu’en
termes
d’organisation,
d’encadrement
et
de
surveillance.
Le renforcement des actions de surveillance constitue, par
conséquent, une impérieuse nécessité.
4 - L’avis de l’ASN de juin 2019 et ses suites
Dans son avis du 11 avril 2019, le groupe permanent d’experts pour
les équipements sous pression nucléaire de l’ASN a, contrairement à ce que
proposait EDF, considéré que la nature et le nombre important des écarts
survenus lors de la conception et la fabrication de ces soudures
constituaient des obstacles majeurs à l’application d’une démarche
d’exclusion de rupture. Suite à cet avis, EDF a sollicité le 7 juin 2019
l’ASN sur la possibilité de réparer ces soudures vers 2024, soit après la
mise en service du réacteur. Par courrier du 19 juin 2019, l’ASN a informé
EDF que les soudures de traversées de l’EPR de Flamanville devaient être
réparées.
Dès le lendemain, le PDG d’EDF indiquait que la reprise de ces
soudures entraînerait de nouveaux retards dans la mise en service du
réacteur.
En définitive, les déboires d’EDF portant sur ces soudures, dont on
sait aujourd’hui qu’elles devront être refaites, afin que l’ASN puisse
autoriser la mise en service de l’EPR de Flamanville, posent la question de
la bonne application du concept d’exclusion de rupture. Cette notion ne se
conçoit que si elle est accompagnée d’un dispositif de sanction à la hauteur
des enjeux de sûreté. La question se pose de savoir si une pièce ne
répondant pas aux exigences ainsi définies ne devrait pas être rejetée, sans
qu’une négociation
a posteriori
ne soit possible. Au cas d’espèce, des
considérations autres que purement techniques, comme des motifs de
nature économique, des délais, dont on comprend bien qu’ils revêtent une
53
Pour respecter le référentiel d’exclusion de rupture, le fabricant a spécifié des valeurs
de résilience à basses températures pour les soudures des lignes VVP en exclusion de
rupture : KVmoy (0 °C) ≥ 100 J et KVindiv (-20 °C) ≥ 47 J. La démarche d’exclusion
de rupture a fait l’objet d’un avis de la Section permanente nucléaire (SPN) de la
Commission centrale des appareils à pression le 21 juin 2005. La lettre de suite en
référence qui en découle reprend le rapport présenté par l’ASN, qui précise qu’il est
attendu un décalage de la température de transition fragile/ductile du matériau de l’ordre
de +15 °C.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
57
importance majeure dans la conduite d’un chantier comme celui d’un EPR,
ont conduit à un processus de démonstrations
a posteriori
. Même s’il est
naturel qu’un dialogue approfondi entre l’autorité de sûreté et l’exploitant
existe, la situation relative à ces soudures a montré les limites de cet
exercice ; en cas de défauts rédhibitoires, il n’existe guère d’autres options
que la reprise des éléments défectueux. Les anomalies détectées relatives à
la cuve de l’EPR ou à ces soudures ainsi que les modalités de résolution
qui ont pu être trouvées montrent que l’application du principe d’exclusion
de rupture peut donner lieu à des interprétations différentes entre les
acteurs, sur ce qui est acceptable ou non en termes de sûreté, sachant que
le dernier mot revient à l’autorité de sûreté.
Un retour d’expérience sur les difficultés d’application de ce
principe pourrait opportunément être réalisé afin que les différents acteurs
industriels (fabricants et prestataires) s’assurent qu’ils partagent bien le
même référentiel, à appliquer ou faire respecter, ce que la Cour
recommande.
D - Des contentieux affectant la situation financière
d’entreprises dont le capital est détenu majoritairement
par l’État
Les difficultés devant être surmontées afin d’assurer la bonne fin de
chantier sont de plusieurs ordres : i) juridiques car les défauts de qualité,
affectant notamment les soudures en cause, sont de nature à nourrir des
réclamations, des contentieux ou des demandes d’arbitrage entre les
entreprises concernées ; ii) scientifiques et administratives car la solution
technique complexe retenue par EDF pour reprendre ces soudures doit
encore être certifiée et validée par l’ASN, avant d’être opérationnelle.
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COUR DES COMPTES
58
Schéma n° 5 : relations entre les acteurs industriels concernés
par la filière et engagés dans des contentieux
*Entreprises hors du champ du rapport.
Note : La répartition du capital des différentes sociétés est la suivante :
- Pour Framatome : le capital est détenu à 75 % par EDF, 19,5 % par Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et 5 %
par Assystem
- Pour Areva SA : le capital est détenu à 100 % par l’État
- Pour EDF : le capital est détenu à 83,6 % par l’État, 12,9 % par des actionnaires institutionnels, 2 % par des
actionnaires individuels et 1,3 % par des actionnaires salariés (le reliquat en actions auto-détenues).
Source : Cour des comptes, avril 2020.
1 - Des contentieux qui déstabilisent à court terme une filière
dont les pouvoirs publics ont récemment assuré le sauvetage
Le secteur nucléaire civil a bénéficié d’une aide publique importante
suite au démantèlement du groupe Areva, avec 4,5 Md
€
pour les seules
dotations en capital versées par l’État, 2 Md
€
pour Areva SA et 2,5 Md
€
pour Orano. Dans le même temps, EDF a bénéficié d’un apport en capital
de 3 Md
€
, ce qui lui a permis de prendre le contrôle de l’activité réacteurs
de l’ex-Areva NP, pour environ 2,5 Md
€
.
Aujourd’hui, du fait de l’ampleur des réclamations en cours ou
potentielles d’EDF à son encontre, le risque de défaillance financière
d’Areva SA (détenue à 100 % par l’État) ne peut être totalement écarté ; or
tout nouveau soutien public est en principe exclu jusqu’en 2029, en
application du principe de droit communautaire de non-récurrence des
aides d’État. Certes Areva SA pourrait procéder à la cession à EDF des
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OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
59
actions Orano qu’elle détient, à horizon fin 2022, mais le sens industriel et
capitalistique d’une telle opération soulève des questions et il s’agirait d’un
nouveau transfert d’actif appartenant à l’État à EDF. Quant à Framatome,
il s’agit d’une société qui doit encore consolider ses perspectives à moyen
terme ; les menaces de contentieux à son encontre sont également
susceptibles de fragiliser cette filiale d’EDF. Pour l’ensemble de ces
raisons, il importe que la puissance publique suive avec la plus grande
vigilance les résultats des contentieux en cours ou à venir.
a) À propos des soudures défectueuses, des responsabilités
à déterminer
Areva NP a signé un contrat en 2007 avec le groupement
d’entreprises solidaires pour réaliser les travaux d’ingénierie, de
préfabrication et d’installation d’équipements de tuyauterie secondaire et
auxiliaire. La découverte des défauts de qualité des soudures a ouvert un
champ important de contentieux possibles entre diverses sociétés : EDF
pouvant se retourner contre Framatome ou l’actuelle société Areva NP,
filiale d’Areva SA ; Framatome pouvant, de son côté, se retourner contre
ses sous-traitants.
Face au problème de la réparation des soudures défectueuses, les
entreprises concernées ont réussi à mettre en place deux protocoles
permettant la poursuite du chantier d’un point de vue industriel et
financier : l’un entre Framatome et ses sous-traitants, l’autre entre EDF et
Framatome. Ces protocoles ont eu le mérite de permettre la poursuite du
chantier, qui nécessite, pour la reprises des soudures, que le groupement de
d’industriels choisis pour les réaliser continue ses prestations ; il semble en
effet que cette entreprise soit la seule en France à pouvoir réaliser ce type
de soudures sur un EPR.
Les défauts majeurs de qualité industrielle, et notamment ceux
relatifs à la réalisation des soudures des traversées, sont susceptibles de se
traduire, au plan juridique, par la multiplication de contentieux aussi longs
qu’onéreux pour l’ensemble des acteurs concernés. En effet, la question de
savoir comment les spécifications d’exclusion de rupture ont été
transmises, contractualisées puis explicitées sur le terrain, entre EDF et
Framatome, d’une part, et entre Framatome et ses sous-traitants, d’autre
part, est complexe et peut donner lieu à des divergences d’interprétations.
Un quatrième acteur est potentiellement concerné : il s’agit d’Areva SA,
qui a repris, depuis le démantèlement du groupe, une partie des risques de
défaut qualité d’Areva NP.
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COUR DES COMPTES
60
b) Les réclamations d’EDF à l’encontre d’Areva SA et Framatome
Les réclamations d’EDF à l’encontre d’Areva SA, en dehors même
de la question des soudures défectueuses, faisant l’objet d’un arbitrage à la
date de dépôt du présent rapport atteignent déjà un montant considérable
au point que cette menace fait peser un risque sur la viabilité de la structure
Areva SA. À celles-ci pourraient s’ajouter de nouvelles réclamations, si
EDF prétendait se faire indemniser du coût relatif à la reprise des soudures
de traversées mal réalisées par les sous-traitants de Framatome.
Se pose la question de savoir si le dommage subi par EDF au titre
de la non-conformité des soudures des traversées au référentiel d’exclusion
de rupture pourrait faire partie des garanties dites « spécifiques », aux
termes du contrat de cession, ou n’être couvert que par des garanties
« générales » ou bien encore n’être pas couvert à raison de la connaissance
par l’acheteur de la non-conformité au moment de la cession.
Outre que cette question de mise en
œ
uvre des garanties resterait à
trancher sur le plan juridique, une nouvelle réclamation d’EDF pourrait
entraîner une difficulté financière importante pour Areva SA, qui est
supposée mener à terme la fin du chantier d’OL3. Or une partie de la
crédibilité de la filière française, dont EDF est désormais chef de file
incontesté, se joue dans la mise en service prochaine de cet EPR en Finlande.
Si EDF se retournait contre Framatome, qui est désormais sa filiale,
elle pourrait fragiliser fortement cette société, et donc,
in fine
, remettre en
cause la pertinence de l’investissement fait lorsqu’elle l’a rachetée en 2018.
c) Les conséquences financières potentielles pour l’État
Les dirigeants des trois entreprises – EDF, Areva SA et Framatome
– engagées dans ces arbitrages ont certes vocation à défendre, chacun pour
ce qui les concernent, l’intérêt social de leur société. Si cet aspect n’est pas
critiquable, le risque que ces arbitrages où l’État n’est pas partie prenante
et qu’il a laissé se dérouler sans intervention de sa part, n’aboutissent
in
fine
à des solutions contraires à ses intérêts patrimoniaux, alors qu’il est
actionnaire majoritaire de toutes ces sociétés, existe et doit être pris en
compte, particulièrement par l’Agence des participations de l’État. Dans sa
récente communication au Sénat sur l’arrêt et le démantèlement des
installations nucléaires
54
, la Cour a d’ailleurs souligné la position difficile
54
Cour des comptes,
L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires
,
Communication à la commission des finances du Sénat, février 2020, disponible sur
www.ccomptes.fr.
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61
de l’État et de ses représentants obligés de se déporter vis-à-vis d’EDF
lorsque l’intérêt social de l’entreprise ne coïncide pas avec celui de l’État.
L’État actionnaire ne saurait se désintéresser des procédures
arbitrales, qu’elles soient en cours ou potentielles
55
, eu égard à
l’importance des montants mobilisés entre 2016 et 2018 pour sauver la
filière nucléaire civile. Dans ce contexte, la Cour recommande que les
administrations concernées (APE, DGEC notamment) établissent une
analyse poussée des conséquences des différends pendants entre EDF,
Framatome et Areva SA.
Une stratégie claire de l’État actionnaire s’impose désormais. La
situation actuelle, où le représentant de l’État au sein des conseils
d’administration d’EDF ou Areva SA ne prend pas part aux votes dès que
la question des contentieux est abordée et s’abstient de toute intervention
pour éviter d’éventuels conflits d’intérêts, n’est pas satisfaisante.
Si du fait d’arbitrages non maîtrisés l’une des sociétés aidées,
notamment Areva SA, se retrouvait en grande difficulté deux ans après
avoir été recapitalisée, sans avoir pu achever le chantier d’OL3 en
Finlande, c’est l’ensemble du dispositif de sauvetage qui serait mis à mal,
remettant en cause le bien-fondé des aides précédemment évoquées. Areva
SA est en effet chargée de mener à bonne fin le chantier de cet EPR dont
la réception définitive était, en mars 2020, prévue pour mars 2023. Des
incertitudes demeurent quant à ces prévisions d’autant plus que la crise
sanitaire née de l’épidémie de covid-19 est susceptible de rallonger encore
les délais des opérations de fin de chantier
56
. Le danger d’une fragilisation
à court terme de la trajectoire financière de cette structure doit être évitée.
55
Ainsi, les entreprises concernées (EDF, Framatome, Areva SA), dont l’État est
directement ou indirectement majoritairement actionnaire, sont susceptibles de se
retrouver à nouveau confrontées à des risques de contentieux importants, mettant en
cause, pour certaines d’entre elles, leur viabilité, du fait de l’application des clauses de
garanties prévues notamment dans les accords de rachat par EDF de new Areva NP
fin 2017
56
L'électricien finlandais TVO a annoncé le 8 avril 2020, dans un communiqué, que le
chantier d’Olkiluoto 3, avait pris un retard supplémentaire dû au nouveau coronavirus :
« La pandémie de coronavirus pourrait avoir considérablement accru l'incertitude quant
à l'avancement du projet (…) le combustible ne sera pas chargé dans le réacteur comme
prévu en juin 2020, et il est possible que la production régulière d'électricité soit
retardée ».
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62
2 - La mise en
œ
uvre du scénario retenu pour la réparation
de soudures du circuit primaire secondaire
Le scénario de reprise des soudures de traversées privilégié par
EDF, parmi trois scenarii envisagés, est l’utilisation de robots télé-opérés
conçus pour mener des opérations de grande précision à l’intérieur des
tuyauteries concernées. Cette technologie a été développée pour le parc en
exploitation et doit être encore qualifiée pour ces opérations. « L’objectif
est que la qualification de ce scénario et sa validation par l’ASN puissent
intervenir au plus tard à la fin de l’année 2020, date à laquelle EDF pourra
engager les travaux. » De manière prudente, EDF ajoute qu’un second
scénario existe, fondé sur « l’extraction et la remise à niveau dans les
bâtiments auxiliaires de sauvegarde
57
» des soudures de traversée. Cette
option est conservée « à ce stade à titre de solution de repli ».
Dans un courrier
58
au directeur du projet, en date du 4 octobre 2019,
l’autorité de sûreté propose à EDF des « échanges techniques » qui
pourraient jalonner « les étapes-clés » des travaux d’EDF. Ces échanges
permettent de poursuivre l’identification de difficultés, en amont de la
constitution du dossier de réparation lui-même, puis tout au long du
processus. Le conseil d’administration d’EDF réuni le 8 octobre 2019, a
approuvé la poursuite du chantier de l’EPR.
La Cour n’a pas à se prononcer sur la pertinence du scénario retenu ;
elle constate néanmoins que cette option de robot soudeur n’avait pas été
proposée comme une option possible à l’ASN lorsqu’EDF pensait pouvoir
prouver que la réparation de ces soudures était de fait quasi impossible. Ce
n’est que lorsque l’ASN a indiqué que cette réparation était indispensable
pour permettre l’autorisation de mise en service future de l’EPR que cette
option a émergé. Or le procédé de robot soudeur fait partie des technologies
déjà éprouvées et notamment utilisées par Westinghouse. Il aurait donc pu
faire partie des options mises à l’étude dès que le problème des soudures
est apparu. Il est regrettable qu’EDF ait attendu d’être dans une impasse
pour commencer à travailler à une option crédible de réparation.
57
Communiqué de presse, EDF, 9 octobre 2019.
58
Réf. : CODEP-DEP-2019-040779.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
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63
III - Des conséquences financières lourdes,
une rentabilité affectée
A - Un retard supérieur à onze ans, un coût
qui a plus que triplé par rapport à l’estimation initiale
La durée initiale de construction du réacteur de Flamanville était
estimée à 54 mois au lancement du projet. Elle est aujourd’hui évaluée à
187 mois environ, avant prise en compte d’un éventuel impact de la crise
sanitaire née de l’épidémie de covid-19
59
.
La décision de principe de construire une tête de série EPR en
France a été prise en juin 2004, sur la base d’un coût de construction
overnight
60
estimé à 2,8 Md
€
2001
(3,48 Md
€
2015
) et d’une durée de
construction du réacteur de 57 ou 67 mois entre le premier béton et la mise
en service industrielle
61
. Ce coût a été actualisé en octobre 2004 à
3 Md
€
2004
(3,51 Md
€
2015
). Une nouvelle estimation du coût de construction
a été réalisée au printemps 2006 sur la base des réponses reçues, au cours
des 18 mois précédents, aux appels d’offres lancés sur les principaux lots
du chantier. Si l’estimation des volumes d’heures de travail ou de béton
était proche des estimations du maître d’ouvrage, les prix ont dû être revus
en raison de la hausse du cours des matières premières intervenue entre le
lancement des appels d’offres et le printemps 2006 (+ 20 % sur l’acier non
allié, + 13 % sur l’acier inoxydable, + 400 % sur le titane notamment). EDF
retenait à cette date un coût de 3,3 Md
€
2005
(3,79 Md
€
2015
) dont 2,8 Md
€
2005
de construction et 0,5 Md
€
2005
d’ingénierie
62
.
59
EDF a confirmé, dans un communiqué daté du 14 avril 2020, que la crise sanitaire
née de l’épidémie de covid-19 induisait des répercussions importantes sur de
nombreuses activités du groupe, dont les chantiers, sans donner à ce stade de précision
quant à l’impact sur le chantier de construction de Flamanville 3.
60
Le coût de construction
overnight
correspond au coût de construction formé sur
l’hypothèse qu’aucun délai de réalisation de l’investissement n’intervient dans ce coût
(comme si la construction s’était faite « en une nuit »), il ne comprend donc pas de coût
de financement (intérêts intercalaires). Le coût de construction de l’EPR de Flamanville
comprend les contrats de construction, les coûts d’ingénierie (y compris les coûts
internes) et les provisions pour aléas, d’abord comprises dans les contrats de
construction puis identifiées de manière spécifique.
61
Compte-rendu du Conseil d’administration d’EDF, séance du 22 juin 2004.
62
Pour mémoire : respectivement 2 795,5 M
€
et 504,5 M
€
, comité des engagements
EDF du 7 mai 2007.
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64
Le coût prévisionnel de construction de l’EPR de Flamanville, hors
intérêts intercalaires, a été réévalué à la hausse à sept reprises entre 2006 et
2019 :
4 Md
€
2008
(4,35 Md
€
2015
) en décembre 2008 (problèmes de génie civil),
5 Md
€
2008
(5,44 Md
€
2015
) en juillet 2010 (problèmes de génie civil sur le
radier et le liner),
6 Md
€
2008
(6,52 Md
€
2015
) en juillet 2011 (retard suite à l’arrêt du
chantier, tests de résistance réalisés suite à la catastrophe de Fukushima),
8,5 Md
€
2012
(8,70 Md
€
2015
) en décembre 2012 (soudures du pont polaire
affectées de défauts, difficultés de qualification des soupapes du
pressuriseur notamment),
10,5 Md
€
2015
en septembre 2015 (problèmes sur le couvercle de la cuve
notamment),
10,9 Md
€
2015
en juillet 2018 (réparation de soudures hors traversée
notamment),
12,4 Md
€
2015
en octobre 2019 (réparation des soudures de traversée).
À la date de rédaction du rapport, et en euros 2015
63
, ce coût a été
multiplié par 3,3 par rapport aux prévisions initiales.
Graphique n° 2 : évolution du coût de construction de Flamanville 3
entre 2006 et 2019 (Md
€
2015)
Source : Cour des comptes d’après données EDF
63
Depuis l’actualisation des coûts du projet réalisée en septembre 2015
(cf. communiqué de presse du 3 septembre 2015), EDF communique sur les coûts de
construction de l’EPR de Flamanville en euros base 2015.
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OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
65
Les principaux contrats de l’EPR ont été affectés d’augmentations
très substantielles.
Graphique n° 3 : évolution des principaux contrats de l’EPR
de Flamanville (en %) entre le montant initial et le montant estimé
à terminaison de 10,9 Md
€
2015
en 2018
Source : EDF, notes des comités des engagements du comité exécutif Groupe
Le coût prévisionnel du réacteur et de la durée de construction
évoluent presque parallèlement.
B - Une estimation des coûts complémentaires
au coût de construction
Par souci de cohérence avec les informations rendues publiques par
EDF et pour faciliter la lecture du rapport, les développements qui suivent
sur le coût à terminaison de l’EPR de Flamanville sont exprimés en euros
2015, y compris pour les dépenses à venir jusqu’en 2023, date
prévisionnelle de mise en service de l’équipement. À mesure que se
rapprochera cette échéance, les coûts de construction devront alors être
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COUR DES COMPTES
66
exprimés en tenant compte de la séquence effective des décaissements et
de l’inflation réellement constatée au cours de la période
64
.
Le coût de construction à terminaison de l’EPR de Flamanville est
estimé par EDF, en octobre 2019, à 12,4 Md
€
2015
65
, soit 10,9 Md
€
2015
d’estimation arrêtée en 2018, auxquels s’ajoutent les dépenses relatives aux
réparations des soudures de traversée (0,5 Md
€
2015
), les coûts de décalage
du planning de mise en service liés à ces réparations (0,9 Md
€
2015
, dont des
provisions pour risques) et 0,1 Md
€
2015
de dépenses d’anticipation du
premier arrêt de tranche. EDF précise que le scénario de réparation
privilégié de reprise des soudures devra être confirmé à l’automne 2020,
« dans le cas contraire, un scénario de repli impliquerait un coût
supplémentaire estimé à environ 400 M
€
et un délai supplémentaire
d’environ un an
66
».
L’estimation, au 1
er
mai 2020, du montant prévisionnel de
12,4 Md
€
2015
n’est pas contestée par la Cour. Elle comprend le coût des
contrats nécessaires au démarrage de l’EPR (dont les coûts des avenants
successifs aux contrats avec les fournisseurs) et les coûts résultant des
règlements de litiges entre EDF et ses fournisseurs, relatifs à ces contrats
et liés aux difficultés rencontrées sur le chantier. Il inclut en outre le coût
du contrat d’assurance Tous Risques Chantier (63 M
€
2015
67
), une provision
pour risques fondée sur l’analyse à date des risques identifiés, de 200 M
€
,
ainsi que l’ensemble des coûts de maîtrise d’
œ
uvre depuis 2001, y compris
les dépenses de pilotage de la construction (dont celles relatives aux
effectifs EDF au sein des unités d’ingénierie du groupe) et les dépenses de
développement et d’études postérieures à 2004. Ces coûts sont imputés sur
le seul EPR de Flamanville compte-tenu de l’absence de série pour ce type
de réacteur.
64
Lorsque EDF établira une nouvelle estimation du coût de construction de l’EPR, sera
alors enregistrée mécaniquement une hausse résultant du passage en euros 2015 à des
euros courants ; l’estimation en euros courants n’est pas actuellement disponible et un
calcul fiable supposerait de nombreuses précautions méthodologiques.
65
Communiqué de presse d’EDF du 9 octobre 2019.
66
Présentation « Chiffre d’affaires et faits marquants 2019 – troisième trimestre,
annexes », EDF, 14 novembre 2019.
67
Comité engagements 4 février 2016, augmentation de 19,2 M
€
2015
du coût à
terminaison de la police tous risques chantiers.
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OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
67
Cette estimation intègre les coûts de reprise des écarts de soudures
sur le circuit secondaire principal (CSP) pour ce qui concerne les soudures
de traversée et hors soudures de traversées
68
mais pas l’éventuel surcoût
qui résulterait d’une intervention sur les générateurs de vapeur de l’EPR,
hypothèse dont la probabilité est faible à la date de publication du rapport.
Le coût complet d’investissement d’un réacteur comprend d’autres
coûts en plus du seul coût de construction. Conformément à la norme
comptable IAS 23 sur les coûts d’emprunt
69
, les coûts du portage financier
(frais financiers intercalaires) sont incorporés dans le coût de l’EPR, sous
la forme d’immobilisations en cours à financer. Par ailleurs, dans une note
sur les coûts de production du nouveau nucléaire, la Société française
d’énergie nucléaire
70
précise que, outre le coût de construction et
d’ingénierie
overnight
, les différents coûts à comptabiliser dans le coût
complet d’investissement d’un réacteur nucléaire sont « tous les autres
coûts intervenant avant la mise en service industrielle, comme les
«
owner’s costs
» (principalement les pièces de rechange, les frais de
pré- exploitation, les procédures administratives et de fiscalité, premier
c
œ
ur et coût d’acquisition du site le cas échéant) [et] les intérêts
intercalaires, qui prennent en compte l’actualisation de l’échéancier du
coût de construction
«
overnight
»
sur sa durée totale
71
».
Ces coûts complémentaires au coût de construction, tels qu’EDF les
déclare dans son dossier de référence, s’élèvent, au 31 décembre 2019, à
plus de 4,2 Md
€
72
(dont 3 Md
€
pour les seuls frais financiers intercalaires).
68
Ce chiffre prend en compte le coût du scénario A retenu par EDF pour réparer les
soudures de traversée. Dans l’hypothèse où ce scénario ne serait pas retenu, le
scénario B présenterait un coût et un délai supérieurs. Les coûts de reprise des écarts de
soudures sur le circuit secondaire principal (CSP) pour ce qui concerne les soudures
hors soudures de traversées, sont estimées, en fonction des scénarios de réparation,
entre 255 M
€
2015
et 326 M
€
2015
sur le seul contrat Framatome Chaudière.
69
Cf. Règlement (CE) n° 1126/2008 de la Commission du 3 novembre 2008 portant
adoption de certaines normes comptables internationales conformément au règlement
(CE) n°1606/2002 du Parlement européen.
70
Association datant de 1973, qui regroupe 3 600 professionnels du nucléaire,
actuellement présidée par le directeur exécutif en charge de la direction ingénierie et
projets « nouveau nucléaire » d’EDF.
71
« Les coûts de production du nouveau nucléaire français, contribution de la Société
française d’énergie nucléaire à la programmation pluriannuelle de l’énergie », mars
2018.
72
EDF, Comptes consolidés au 31 décembre 2019.
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COUR DES COMPTES
68
Au 1
er
juillet 2023
73
, dernière date prévisionnelle de mise en service
du réacteur de Flamanville 3, ces coûts complémentaires pourraient ainsi
atteindre environ 6,7 Md
€
2015
, dont :
4,22 Md
€
2015
de frais financiers intercalaires. Une mise en service du
réacteur mi 2012, comme initialement prévu, aurait conduit à des frais
financiers d’environ 1,22 Md
€
. Le « surcoût » de financement du projet
dû au retard de construction peut être estimé à 3 Md
€
;
0,92 Md
€
2015
de frais de pré-exploitation et d’autres actifs corporels liés
au projet (0,6 Md
€
2015
au 31 décembre 2019) ;
0,6 Md
€
2015
de dépenses connexes d’aménagement et de stock de pièces
détachées (420 M
€
2015
au 31 décembre 2019) ;
0,25 Md
€
2015
de charges fiscales avant la mise en service du réacteur
(comprenant les taxes principales sur les installations nucléaires de base
et les taxes additionnelles destinées au financement du projet de stockage
souterrain des déchets radioactifs Cigéo)
74
;
0,16 Md
€
2015
de coût du premier c
œ
ur de combustible (estimation à dire
d’expert) ;
0,23 Md
€
2015
de provisions pour déconstruction ;
0,33 Md
€
2015
de coûts de préparation de la visite complète initiale et de
maintien en condition opérationnelle.
Dans cette hypothèse, le coût de construction proprement dit, soit
12,4 Md
€
2015,
représenterait
près
des
deux
tiers
du
coût
total
d’investissement à terminaison de l’EPR de Flamanville estimé à
19,1 Md
€
2015
, et son coût de financement plus de 20 % de ce coût total.
Conformément à la méthodologie exposée
supra
, ne sont pas
compris dans les coûts complémentaires au coût de construction :
les coûts de développement antérieurs à 2004, estimés à 393 M
€
2015
, sur
la base d’une recherche rendue difficile par l’ancienneté de certaines
données datant du début des années 1990 ;
73
Compte-tenu d’une date de chargement du combustible du réacteur de Flamanville 3
annoncée fin 2022 par EDF, et sur la base de l’hypothèse d’une durée de six mois entre
le chargement du combustible et la mise en service du réacteur. Cette date est la dernière
dont a fait publiquement état EDF. Elle ne tient pas compte d’un éventuel impact de la
crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.
74
Le total des charges fiscales aurait dû s’élever, si le calendrier initial de construction
avait été respecté, à environ 70,5 M
€
.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
69
le coût complet de la réalisation de la ligne de Très Haute Tension
Cotentin-Maine, de 460 M
€
2013
75
, rendue nécessaire par la perspective
de la mise en service du réacteur de Flamanville 3. Ce coût ne doit pas
être ajouté au coût d’investissement du réacteur, puisque, d’une part,
cette ligne est utilisée également pour d’autres moyens de production et
que, d’autre part, le coût des moyens de transport n’est habituellement
pas retenu dans le calcul du coût de réalisation des moyens de
production.
C - Un coût de production de l’électricité de l’EPR de
Flamanville qui n’est plus calculé depuis plus de dix ans
En 2004, au lancement du projet, le coût de production de
l’électricité par l’EPR était estimé par EDF entre 36,2 et 41,1
€
2001
/MWh
pour une tête de série (Flamanville 3), et entre 29,2 et 31,7
€
2001
/MWh pour
une tranche moyenne, en faisant l’hypothèse de la construction de dix
tranches (tête de série comprise). Ces hypothèses plaçaient la production
électronucléaire de l’EPR dans une position très compétitive par rapport
aux autres moyens de production d’électricité. Le coût de production de
l’électricité par l’EPR de Flamanville a été estimé par EDF, durant les
premières années du projet, à 46
€
2005
/MWh pour un coût de construction
de 3,3 Md
€
2005
, puis à 54
€
2008
/MWh pour un coût de construction de
4,15 Md
€
2008
, soit environ 61
€
2018
/MWh.
Mais, depuis décembre 2008, EDF ne procède plus à cette estimation.
L’entreprise justifie cette absence de suivi par l’évolution des coûts de
construction du réacteur, la difficulté d’une évaluation prévisionnelle de la
première réalisation en France d’un nouveau type de réacteur nucléaire et le
fait que la méthode généralement adoptée, dite de « coûts de référence », ne
reflète pas la réalité des coûts du point de vue d’un industriel. L’entreprise
calcule pourtant le taux de rentabilité prévisionnelle (TRI) des réacteurs
d’Hinkley Point C, qu’elle estimait, en septembre 2019, entre 7,6 et 7,8 %
76
.
Elle justifie ce suivi différent entre les deux projets par le fait qu’en France,
contrairement au projet britannique, l’actif entre dans une gestion intégrée de
portefeuille, pour lequel l’entreprise calcule une rentabilité globale des
capitaux investis dans le nucléaire, depuis 2019, à la demande de l’agence
des participations de l’État.
75
Ce coût comprend le coût de construction de la ligne proprement dite (350 M
€
2013
) et
le coût de divers équipements connexes.
76
Cf. Communiqué de presse « Précisions sur le projet Hinkley Point C », EDF,
25 septembre 2019.
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COUR DES COMPTES
70
Compte-tenu du fait que l’ensemble des réacteurs d’EDF font l’objet
d’une seule unité génératrice de trésorerie (UGT) dans la comptabilité de
l’entreprise, il ne sera pas possible de disposer d’information sur la
rentabilité de l’EPR postérieurement à sa mise en service.
Dans son rapport de 2014, la Cour soulignait que les estimations sur
le coût de construction n’étaient « pas suffisantes pour en déduire les coûts
de production de l’EPR de Flamanville
77
», et rappelait que son rapport de
2012 « indiquait que le coût de production futur de Flamanville était à
l’époque estimé entre 70 et 90
€
/MWh, pour une durée de fonctionnement
de 60 ans ; mais la Cour ne valid[ait] pas ces chiffrages, ce qu’elle ne
pourra faire que lorsque l’EPR fonctionnera, sur la base des résultats et des
comptes
78
».
En l’absence de données calculées ou produites par EDF ou par les
autorités de tutelle sur les coûts prévisionnels d’exploitation et de
maintenance de Flamanville 3, la Cour a procédé par estimations pour
approcher le coût de production de l’EPR de Flamanville 3. Ces
estimations doivent être considérées avec prudence pour plusieurs raisons.
D’abord, l’EPR de Flamanville 3, tout comme celui d’Olkiluoto 3, sont des
têtes de série et leur coût de production ne peut être extrapolé pour
l’ensemble des éventuels réacteurs d’une série. Ensuite, la comparaison
directe des coûts de production reste difficile car conditionnée à des critères
propres à chaque projet : conditions de financement et impacts en cas de
retards dans la construction, retours sur investissements envisagés, cycle
du combustible associé, notamment. En outre, en l’absence de coût de
construction connu à terminaison, le coût de production de l’EPR de
Flamanville ne peut être qu’approché, sous forme d’hypothèse. Enfin, le
coût de production d’un investissement de cette nature n’épuise pas la
question de la valeur de l’investissement, à la fois démonstrateur d’une
technologie nouvelle et « vitrine » pour l’exportation.
Plusieurs hypothèses peuvent être retenues pour approcher le coût
de production de l’EPR de Flamanville, s’agissant du coût complet de
l’EPR comprenant coût de construction et «
owner's cost
», du taux
d’actualisation, ou encore du taux de disponibilité du réacteur. Sur la base
d’un coût de construction de 12,4 Md
€
2015
, de coûts complémentaires de
77
« Le coût de la production de l’électricité nucléaire, actualisation 2014 »,
Communication à la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale, Cour des
comptes, mai 2014.
78
Cour des comptes,
Les coûts de la filière électronucléaire
, Rapport public thématique,
Cour des comptes, janvier 2012, disponible sur www.ccomptes.fr.
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LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE : UN ÉCHEC
OPÉRATIONNEL, DES DÉRIVES DE COÛTS ET DE DÉLAIS CONSIDÉRABLES
71
6,7 Md
€
2015
, d’un coût d’exploitation et de maintenance de 30
€
/MWh,
extrapolé des travaux de la Cour de 2012 et 2014, d’un coût de combustible
et de gestion des déchets de 7
€
/MWh, retenu par la société française
d’énergie nucléaire, d’une durée d’exploitation du réacteur de 60 ans et
d’un taux d’actualisation de 8 % sur les trente premières années puis de
3 %, recommandé par la DGEC
79
, le coût de production de l’électricité
produite par l’EPR de Flamanville s’établirait entre 110
€
2015
/MWh pour
un taux de disponibilité de 90 % (escompté par EDF pour ce qui concerne
l’EPR de Flamanville) et 120
€
2015
/MWh, pour un taux de disponibilité de
80 %, plus proche de celui du parc actuel (71 %).
Ces estimations, qui permettent d’approcher le coût de production
de l’EPR de Flamanville, sans prétendre, pour les raisons évoquées
ci-dessus, le déterminer avec précision, sont globalement cohérentes avec
le prix de vente garanti par le gouvernement britannique pour l’électricité
produite par les EPR d’Hinkley Point, sur une période de 35 ans (soit
117
€
2015
/MWh).
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La coopération franco-allemande avortée qui a produit le design initial
de l’EPR a été une source de complexité pour la construction des premiers
exemplaires de cette nouvelle génération de réacteurs. La rivalité entre Areva
et EDF, que l’État n’a pas arbitrée, s’est transformée en surenchère et a
conduit au lancement des deux chantiers d’Olkiluoto et de Flamanville sans
que les études préalables aient été suffisamment approfondies.
Le projet de Flamanville 3 dont les délais et les coûts de
construction étaient sous-estimés, a été mal piloté par un maître d’ouvrage
qui n’était pas organisé pour le faire, sans que les administrations ne
réagissent lorsque cela eût été nécessaire. EDF aussi bien que les
administrations de tutelle n’avaient pas conscience de la perte de
compétence technique des industriels de la filière. Il en est résulté des
adaptations très nombreuses du projet au fur et à mesure des problèmes
rencontrés, de graves défauts de construction rendant nécessaire la reprise
de l’ouvrage, des délais et des coûts supplémentaires. Le maître d’ouvrage
a parfois cherché à justifier les écarts auprès de l’autorité de sûreté plutôt
79
Le rapport de l’agence nucléaire de l’énergie de l’OCDE de 2015 sur les coûts des
différents moyens de production électrique dans différents contextes montre que le coût
du MWh d’énergie nucléaire est le plus sensible aux différences de taux d’actualisation,
ce qui s’explique par le délai de réalisation des centrales entraînant une immobilisation
des capitaux particulièrement longue avant la première rentrée de revenus.
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72
qu’à les faire disparaître en refaisant le travail. Cette démarche a entraîné
un allongement considérable des délais de traitement des soudures
défectueuses sur le circuit principal secondaire.
Le coût de construction, estimé à 12,4 Md
€
2015
, et les coûts
complémentaires au coût de construction, estimés à terminaison à environ
6,7 Md
€
2015
, pèsent sur la rentabilité de cet investissement. Le coût de
production de l’électricité de l’EPR de Flamanville peut être estimé, sur la
base d’hypothèses ne permettant que de l’approcher sans pouvoir le
déterminer avec certitude, entre 110 et 120
€
2015
/MWh).
Des risques élevés pèsent sur la situation financière d’entreprises
qui ont fait l’objet d’un sauvetage et d’une restructuration par les pouvoirs
publics en 2015. Les réclamations d’EDF à l’encontre d’Areva pourraient
mettre en cause sa trajectoire financière. Les menaces de contentieux entre
EDF et sa filiale Framatome sont également susceptibles de fragiliser cette
société. La puissance publique doit suivre avec la plus grande vigilance les
contentieux en cours ou à venir entre des sociétés dont il est, directement
ou indirectement, l’actionnaire principal.
Ces éléments conduisent la Cour à formuler les recommandations
suivantes :
1.
reconsidérer la notion d’architecte ensemblier en séparant les
fonctions de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’
œ
uvre (EDF, 2020) ;
2.
intégrer aux contrats des dispositions partageant le risque de
construction entre le maître d’ouvrage et les prestataires et les
intéressant à la tenue du planning de réalisation des travaux (EDF,
2020) ;
3.
assurer une revue semestrielle des projets stratégiques et des risques
qui y sont associés, au sein du conseil d’administration d’EDF (EDF,
MTES, MEF, 2020) ;
4.
s’assurer que les responsables de grands projets aient autorité sur les
moyens, notamment d’ingénierie, nécessaires à leur réalisation (EDF,
2020) ;
5.
décliner dans un référentiel commun les modalités d’application du
principe d’exclusion de rupture afin de clarifier les conséquences
industrielles des spécifications concernées (EDF, Framatome,
immédiat).
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Chapitre II
Une stratégie internationale prise
en défaut et la perspective d’un EPR
« optimisé » à confirmer
La filière nucléaire française affiche sa volonté de participer à la
construction d’EPR à l’étranger et de construire en France des paires
d’EPR « optimisés », dits EPR2.
Cependant, la réalisation de ces perspectives n’est pas assurée. Les
projets internationaux conduits par EDF, même lorsqu’ils ont été menés à
bien avec succès, comme en Chine, sont peu rentables et pèsent sur sa
situation financière. Olkiluoto a été un fardeau pour Areva. Quant au
lancement de la construction d’un nouveau programme de réacteurs EPR
en France, il ne peut pas être envisagé sans lever des incertitudes relatives
au nouveau modèle d’EPR, à ses modes de financement et à la place de la
production électronucléaire dans le mix électrique de demain.
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74
I - À l’international, des déboires
pour l’ex-Areva et des risques financiers
élevés pour EDF
A - En Finlande, le réacteur d’Olkiluoto 3 :
un projet pénalisant pour Areva
1 - Comme pour l’EPR de Flamanville, de nombreux déboires
mais quelques différences notables
C’est le 18 décembre 2003 qu’a été signé le contrat « clé en main »
entre le consortium mené par l’ancien groupe Areva (et incluant Areva NP
et Siemens) et l’électricien finlandais TVO (
Teollisuuden Voima Oy
). Au
début des années 2000 en effet, la partie finlandaise a souhaité lancer la
construction d’une nouvelle centrale nucléaire, sous l’impulsion des
industriels électro-intensifs (les papetiers notamment). Après un appel
d’offres, elle a opté pour la construction d’un EPR sur le site d’Olkiluoto
qui accueille déjà deux réacteurs nucléaires.
Le chantier a débuté en septembre 2005 pour une mise en service
initialement prévue mi-2009. À la suite de déboires liés à des problèmes de
fabrication (quelques difficultés avec le coulage du béton), de certification
administrative et du fait, surtout, d’une relation client – fournisseur
d’emblée conflictuelle, la mise en service prévisionnelle a été retardée à
2011, puis à fin 2013, puis en 2014, puis au-delà.
Le chantier d’Olkiluoto (OL3) a connu, tout comme celui de
Flamanville 3, de multiples difficultés même si les deux dossiers ne
peuvent être assimilés, les déboires n’étant pas les mêmes dans les deux
cas. Le coût de construction annoncé au départ et les délais prévus pour la
réalisation du chantier ont été également sous-estimés. Mais, dans le cas
d’OL3, c’est la rédaction du contrat entre le client TVO et Areva qui est à
l’origine de très nombreuses difficultés et qui a constitué dès l’origine une
faiblesse structurelle de ce projet pour la partie française.
Les retards et surcoûts de ce chantier ont fortement contribué aux
graves difficultés rencontrées par l’ancien groupe Areva, lequel s’est
retrouvé en quasi faillite en 2014, avant de faire l’objet d’un
démantèlement et d’une recapitalisation de grande ampleur
80
. D’autres
80
La Cour a mené une enquête (non publiée) sur les restructurations des entreprises
publiques du secteur nucléaire civil et a examiné les causes et conséquences de ce
démantèlement de grande ampleur.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
75
facteurs avaient affaibli le groupe et dégradé ses perspectives de marché et
sa situation financière : l’accident de Fukushima du 11 mars 2011, la baisse
des cours de l’uranium, et les déboires financiers et judiciaires liés à
l’opération
Uramin
.
Aujourd’hui, c’est la société holding Areva SA qui a la charge de
mener à bien la fin de ce chantier d’OL3. Sa trajectoire financière doit lui
permettre de prendre en charge les éventuelles demandes d’indemnisation
suite aux défauts de fabrication imputables à la gestion d’Areva NP, de
financer la fin de ce chantier et les éventuels
malus
pouvant découler de
nouveaux retards pris dans son déroulement. La détention par Areva SA
d’actions d’Orano est supposée lui permettre de solder l’ensemble des
dossiers industriels et contentieux en cours, à l’horizon de la fin 2022.
Tableau n° 1 : évolution du coût de construction de l’EPR OL3
entre des estimations initiales très basses et un coût global
à terminaison à horizon 2023
Nature des coûts en euros
courants (en M
€
)
Estimation
initiale
Au 31
décembre
2018
(réel) **
Coût
à
terminaison
(31 mars
2023) ***
Management du projet
94
381
454
Ingénierie
220
1 287
1 355
Achats
614
1 310
1 379
Génie civil
274
1 650
1 652
Construction
289
1 803
1 929
Mise en service
10
429
949
Sous-total exécution
1 501
6 860
7 718
Total des coûts y compris
amortissements, assurance et
risques opérationnels
1 665
6 397
7 454
Soulte versée à TVO*
-
328
450
Pénalités encourues
-
-
318
Total des coûts de la partie Areva
1 665
6 725
8 222
Total des coûts
(incluant la partie de Siemens)
2 280
7 340
8 837
Source : Cour des comptes, mars 2020, à partir des éléments fournis par Areva SA
* La soulte est payable à TVO en plusieurs versements en vertu de l’accord global de médiation.
La totalité soit 450 M
€
aura été versée au moment de la réception du chantier.
** Dépenses en euros courants
*** Dans l’hypothèse d’une réception du chantier au 31 mars 2023
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COUR DES COMPTES
76
Les coûts initiaux de 1,665 Md
€
(en euros 2013) correspondent au
prix de vente (marge zéro) dans le budget initial d’OL3, pour ce qui
correspond à la partie imputable à Areva
81
. Ces montants correspondent
aux travaux nécessaires pour l’îlot nucléaire et le génie civil, à l’exclusion
de la partie Siemens qui était chargée de la turbine, sachant que le montant
du prix contractuel pour la partie turbine est de 615 millions d’euros. Le
total du prix de vente initial pour le consortium s’établissait donc à
2,28 Md
€
d’euros. Il est à noter qu’Areva SA ne suit depuis le début du
chantier que les coûts de construction puis les coûts consécutifs aux
accords de médiation, mais ne calcule pas l’ensemble des coûts
susceptibles d’être imputés à ce projet
82
.
2 - Un chantier dont l’achèvement n’est toujours pas acquis
Après de longues années de paralysie du chantier et de contentieux
entre les parties, donnant lieu à des pré-sentences du tribunal arbitral
international, la situation a semblé se débloquer. Areva SA, Siemens et
TVO engagèrent formellement, le 25 juin 2017, une procédure de
médiation confidentielle ayant pour objet de mettre fin de manière
définitive à l’ensemble des contentieux liés au chantier OL3 et notamment
à la procédure d’arbitrage qui les opposait. Parallèlement à cette procédure
de médiation, deux procédures de conciliation furent initiées sous l’égide
du mandataire
ad hoc
désigné par le Président du tribunal de commerce de
Nanterre le 1
er
décembre 2016
83
, incluant Siemens et les partenaires
bancaires d’Areva SA.
Le 22 décembre 2017 Areva SA, Siemens et TVO ont signé un
protocole (
term sheet
) définissant les termes d’un accord transactionnel
global de médiation, transformé en accord transactionnel global entré en
vigueur le 29 mars 2018. Il prévoyait notamment le paiement par Areva SA
d’une indemnité de 450 M
€
à TVO et l’abandon de l’arbitrage par les
parties.
81
Certains postes de dépenses ont été largement sous-estimés, comme celui relatif à la
mise en service.
82
Le coût complet devrait intégrer les coûts d’études, d’ingénierie et les coûts relatifs
aux intérêts intercalaires.
83
Un entretien a eu lieu avec le médiateur, dans le cadre de l’instruction ayant conduit
au présent rapport. Le médiateur choisi a eu pour mission d’assister Areva SA
« dans
ses discussions avec les partenaires, notamment bancaires »
et
« avec son client TVO
et/ou son partenaire Siemens dans le cadre de la bonne fin du projet OL3 ».
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
77
Un bonus de 150 M
€
aurait pu être versé par TVO à Areva si la
réception provisoire («
provisional take over
» ou « PTO ») était
intervenue avant le 30 juin 2019. Les équipes d’Areva SA pensaient en
2018 que cette cible était atteignable, elle ne l’a pas été. Le bonus a diminué
de 25 M
€
par mois après le 30 juin 2019, jusqu’à extinction de celui-ci le
31 décembre 2019. Depuis cette date, Areva SA encourt une pénalité
mensuelle croissante jusqu’à un montant maximal de 400 M
€
au 30 juin
2021
84
. Au 1
er
mai 2020, la date prévisionnelle de la réception provisoire
de chantier était reportée au 31 mars 2021
85
.
Dans le cadre de l’accord transactionnel global de médiation conclu
avec TVO et Siemens en mars 2018, deux nouvelles procédures de suivi
contractuel de l’évolution du chantier ont été mises en place :
un comité
86
, dont le rôle est de régler dans les meilleurs délais tout
différend éventuel entre les parties qui ne pourrait pas être réglé au
niveau des directions de projet ;
un autre groupe de travail
87
, dont le rôle est de vérifier l’adéquation entre
l’avancement physique global du projet et la courbe de trésorerie.
Ces deux nouvelles procédures étaient supposées favoriser une
approche plus collaborative des relations entre les parties prenantes, en
mettant l’accent sur la mise en cohérence opérationnelle du projet, et ainsi
permettre la fluidité et l’efficacité du transfert progressif de responsabilité
à l’exploitant TVO à mesure de l’avancement du projet.
3 - Des incertitudes persistantes
Le programme de travaux a avancé « trop lentement au premier
semestre 2019 » d’après les équipes d’Areva SA, mais depuis l’été 2019,
l’avancement du projet serait « en ligne avec le plan pour certains éléments
(comme le «
commissionning
» ou autorisation de mise en service) et en
retrait pour d’autres (la phase des tests) ».
Il reste un certain nombre d’incertitudes liées pour l’essentiel :
à des actions de base « jugées longtemps secondaires et laissées en
souffrance » qu’il convient à présent de traiter « à marche forcée »,
84
Les montants de 150 et 400 M
€
ont été rendus publics par TVO dans un communiqué
de presse de mars 2018.
85
Cette date a été annoncée avant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.
86
«
Pending work board
» (« PWB »)
87
«
Reconciliation meeting
»
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78
comme la maintenance des systèmes auxiliaires ou les générateurs de
secours diesel ;
au phénomène de vieillissement des équipements qu’il faut maintenant
remplacer du fait de la durée particulièrement longue du projet.
À ceci s’ajoute ce qu’Areva SA qualifie de « rigidité du client
TVO » qui ne s’impliquerait, selon elle, pas assez dans le chantier qui lui a
été vendu comme un projet clé en main tout en se montrant sourcilleux sur
les détails de l’exécution.
Dans un document relatif à l’information financière et à
l’avancement du projet OL3, fourni aux banques fin septembre 2019, il est
écrit que le nouveau calendrier « a été élaboré conjointement avec les
équipes de TVO et pour la première fois dans l’histoire du projet, le client
a apporté son soutien à ce calendrier. » D’après le dernier calendrier en date
(fourni à la Cour en mars 2020), la réception provisoire (PTO) en mars
2021.
La date de la réception provisoire (PTO), précédemment fixée au
20 juillet 2020 selon la trajectoire actualisée en juillet 2019
88
, a, en décembre
de la même année, été décalée à mars 2021 (avant prise en compte de la crise
sanitaire née de l’épidémie de covid-19). La date de la réception définitive
se déduit de celle de PTO puisqu’elle a lieu, en principe, 24 mois après (mars
2023 selon les dernières prévisions, avant prise en compte de l’épidémie de
covid-19). Il faut noter qu’il ne s’agit pas d’une obligation. Comme l’indique
Areva SA dans ses réponses à la Cour, « le client peut très bien demander un
report de sa décision. Les 24 mois correspondent à une durée minimale pour
satisfaire à la période de calcul de certaines garanties (notamment de
disponibilité), mais cela n’est pas un plafond ».
Quant à la trajectoire financière d’Areva SA, dans ce contexte
mouvant, elle reste incertaine, ce que l’APE a confirmé à la Cour
89
. Le
règlement des grandes échéances (le remboursement des emprunts, le
paiement d’éventuelles dettes résultant d’arbitrages défavorables suite à
des demandes d’indemnisations d’EDF) est renvoyé à la fin 2022, date à
laquelle l’actif principal de la structure, à savoir sa participation dans
Orano, devra pouvoir être mobilisé. Si les dates de fin de chantier de l’EPR
finlandais étaient à nouveau repoussées, augmentant ainsi les indemnités
dues au client TVO, et que simultanément, Areva SA se voyait contrainte
d’indemniser EDF pour des sommes très importantes au titre des défauts
88
TVO a publié à le 8 novembre 2019 un communiqué indiquant que le chargement du
combustible aurait lieu six semaines plus tard que prévu.
89
Lors de l’entretien de fin de contrôle en date du 12 novembre 2019 et lors de l’audition
du commissaire général aux participations de l’État le 28 février 2020 à la Cour.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
79
de fabrication de l’ancienne Areva NP fin 2022, la question de la trajectoire
financière d’Areva SA avant sa disparition se poserait.
B - En Chine, les réacteurs de Taishan 1 et 2 :
des travaux achevés avec succès,
mais une rentabilité encore insuffisante
La relation entre EDF et ses partenaires chinois s’est développée
avec les projets Daya Bay
90
, Taishan et les projets communs avec CGN au
Royaume-Uni.
1 - Les premiers réacteurs EPR mis en service commercial
au monde
Le contrat de construction de deux réacteurs nucléaires de type EPR
a été signé par CGN (
China general nuclear power corporation
) en
novembre 2007 ; la construction est assurée par
Taishan Nuclear Power
Joint-Venture Company limited
(TNPJVC), une joint-venture détenue à
51 % par CGN, 19 % par
Guangdong Yudean Group
(YUDEAN) et à 30 %
par EDF. Deux premiers EPR ont été mis en service en 2018 et 2019 et
constituent la première phase du projet Taishan dont le site était
initialement prévu pour accueillir six unités de production. Le 29 juin 2018,
Taishan 1 a été le premier réacteur à être couplé au réseau. EDF et CGN
ont annoncé le 14 décembre 2018 sa mise en service commercial. Celle du
deuxième réacteur date du 7 septembre 2019. La puissance de ces réacteurs
(1750 MW chacun) devrait leur permettre de fournir au réseau électrique
chinois jusqu’à 24 TWh d’électricité par an. Des adaptations techniques
ont été réalisées à Taishan par rapport à l’EPR de Flamanville, même s’il
existe des caractéristiques communes entre les deux types de constructions.
90
Daya Bay est la première coopération internationale réussie pour un grand projet de
centrale nucléaire au début de l’ouverture de la Chine. Aujourd’hui encore, ce projet
« reste emblématique de la coopération électronucléaire internationale » (cf. courrier du
PDG d’EDF au ministre et au vice-ministre de la NDRC le 15 janvier 2019).
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80
a) L’aboutissement d’une coopération franco-chinoise ancienne
Taishan
91
est la première centrale EPR mise en service commercial
au monde, avec un investissement direct d’EDF. Le PDG d’EDF écrit dans
son courrier du 15 janvier 2019 aux ministre et vice-ministre de la
NDRC
92
, « le transfert de technologie réalisé à cette occasion permet à
notre partenaire de poursuivre le développement en Chine du réacteur le
plus sûr et le plus puissant au monde. Il s’inscrit ainsi dans la décision
stratégique de la Chine de développer la « Génération 3 » pour réaliser sa
transition énergétique et son développement technologique ».
Le paradoxe est que ces EPR de Taishan ont été mis en service avec
succès, sur le plan technique du moins
93
, ce qui valide la technologie
française, même si la réussite relative de ce chantier, qui a tout de même
enregistré un surcoût de 60 % par rapport aux estimations initiales, n’est
guère mise au crédit de cette technologie. Pourtant, l’apport de la
technologie française à la réussite de ce projet est majeur. Le design des
équipements clés de la technologie EPR est, par exemple, la propriété
intellectuelle de Framatome.
b) La contribution majeure de la technologie française à cette réussite
À Taishan, une partie des équipements de haute technologie dans la
partie nucléaire des installations a été fabriquée par des entreprises
françaises ou européennes, et certains par des entreprises chinoises. Les
générateurs de vapeur et le pressuriseur de l’unité 1 ont été fabriqués en
France, par Framatome. En revanche, dans la partie conventionnelle (salle
des machines), la turbine
Arabell
e a été conçue par
General Electric
et
91
Le district de Taishan est situé sur la côte de la mer de Chine méridionale à 50 km au
sud de la ville de Taicheng et 120 km au sud-ouest de Hong Kong.
92
National development and reform commission
(commission nationale pour le
développement et la réforme), de la République populaire de Chine, qui a un rôle de
régulation entre les différents ministères.
93
Lors de sa réunion du 31 juillet 2008, le conseil d’administration d’EDF a validé le
chiffre de 60 Mds RMB pour la construction des deux réacteurs, tout en autorisant EDF
international à contribuer à un éventuel surcoût du projet à hauteur de 20 % par rapport
à cette estimation initiale. En réalité les deux EPR ont été construits en 110 et 113 mois
soit un dépassement de 5 ans du délai initialement annoncé, pour un coût d’environ 95
milliards de RMB (environ 12,3 Md
€
au taux de change au 16 juin 2020), soit 60 % de
plus que le budget prévu (données citées dans le rapport de M. Jean-Martin Folz). La
construction a démarré en octobre 2009 soit quatre ans après Olkiluoto et près de deux ans
après Flamanville. Elle a pu bénéficier pendant quelques années des études et du retour
d’expérience des chantiers précités. La construction simultanée de deux tranches sur le
même site a constitué un atout, sachant que plusieurs autres chantiers étaient en cours en
même temps sur le territoire chinois au moment de la construction des deux réacteurs de
Taishan.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
81
fabriquée conjointement avec l’équipementier chinois
Dong Fang Electric
(DEC). Le taux de localisation chinois des équipements est plus important
sur l’unité 2 que sur l’unité 1. Dans le cadre des contrats de sous-traitance
avec les équipementiers chinois sous la responsabilité de Framatome, les
générateurs de vapeur, le pressuriseur et la cuve ont été fabriqués en Chine.
Les opérations d’assemblage ont souvent été réalisées avec les sous-
composants importés de France (par exemple avec des pièces forgées du
Creusot), et avec l’assistance technique de Framatome. L’implication des
entreprises françaises concernées par le marché nucléaire chinois est
détaillée en annexe n° 4.
Si la mise en service des EPR est assurée, il n’est pas certain
néanmoins que leur exploitation se traduise pour EDF par un succès
économique.
2 - Des interrogations sur les conditions d’exploitation
de la joint-venture mise en place
a) La création d’une joint-venture dès 2009
Une
joint-venture
(JV) a été créée le 15 décembre 2009, pour une
durée de 50 ans (durée maximale octroyée par les autorités à cette date).
Elle expirera en 2059, soit environ 40 ans après le début de l’exploitation
des deux réacteurs. La durée de vie prévue à la conception de l’EPR étant
de 60 ans, les accords de JV prévoient qu’elle puisse être étendue pour être
mise en cohérence avec la durée d’exploitation des réacteurs. Cette
potentielle extension devra faire l’objet d’une validation à l’unanimité des
actionnaires et obtenir l’approbation des autorités chinoises. À l’expiration
de la JV, un calcul de la valeur terminale des actifs devra en principe être
réalisé. La trésorerie disponible devrait être distribuée vers les actionnaires
à hauteur de leur participation dans la société. À l’issue du processus, le
contrat de JV prévoit que les actifs soient transférés vers CGN.
Le 4 avril 2019, l’autorité de sûreté nucléaire chinoise (NNSA)
94
a
octroyé les permis d’exploitation des deux réacteurs de Taishan pour une
durée de 40 ans à compter du premier chargement. En conséquence, de
façon similaire à ce qui est observé en France, un réexamen de sûreté sera
nécessaire à l’issue des 40 premières années de fonctionnement pour
obtenir l’autorisation d’une prolongation d’exploitation.
94
National nuclear safety administration
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82
b) La distribution des dividendes
Le contrat de JV prévoit que la distribution des dividendes fasse
l’objet d’une validation annuelle par le conseil d’administration de la
société en respectant un principe de maximisation du versement des
bénéfices. Toutefois, la gouvernance de la JV ne garantit pas
spécifiquement de prix.
Le conseil d’administration de la JV est constitué de neuf
administrateurs, dont trois nommés par EDF. Il se réunit à fréquence
trimestrielle.
c) Les conditions de détermination du prix de l’électricité en Chine
Le prix de vente de l’électricité reste encore largement administré
en Chine. Il est établi sur le marché par la rencontre de l’offre des
producteurs thermiques et de la demande des clients éligibles. En 2013,
l’administration chinoise en charge des prix
95
a défini un tarif régulé
nucléaire de 430 RMB/MWh, applicable pour toutes les centrales mises en
exploitation à partir du 1
er
janvier 2013. Ce tarif est toujours en vigueur
aujourd’hui pour les centrales de 2
ème
génération et n’a pas été revu depuis
2013. Cette réglementation prévoyait également la possibilité pour les
centrales nucléaires utilisant une technologie importée et innovante de
bénéficier d’un tarif différent, sans en donner le montant.
Les projets de centrales de 3
ème
génération (Gen3), pour lesquels ce
principe avait été défini, ont chacun fait l’objet d’une demande à la NDRC
d’un tarif de vente supérieur au tarif régulé existant, en cohérence avec des
coûts de construction supérieurs pour les têtes de série des projets Gen3.
La NDRC a organisé des consultations avec l’ensemble des entreprises
responsables (actionnaires majoritaires : CGN, CNNC et SPIC) des projets
Gen3, et plusieurs autres parties prenantes (ministères et experts)
À l’issue de consultations qui ont duré plusieurs mois, la NDRC a
communiqué aux propriétaires des projets Gen3 sa décision, datée de mars
2019, fixant les tarifs régulés pour les trois projets têtes de série, valables
jusqu’à fin 2021. Ils sont applicables sur un volume d’heures de production
cohérent avec les études de conception des réacteurs.
95
La NDRC est la
National Development and Reform Commission.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
83
Tableau n° 2 : tarifs régulés des premiers projets Gen3
Projets
Province
Tarif régulé
Taishan
Guangdong
435 RMB/MWh
Sanmen
Zhejiang
420,3 RMB/MWh
Haiyang
Shandong
415,1 RMB/MWh
Source : EDF, octobre 2019
Les autorités chinoises ont fixé, le 28 mars 2019, le tarif d’achat de
l’électricité produite par les réacteurs 1 et 2 de centrale nucléaire EPR de
Taishan à 435 RMB/kWh (soit 58
€
/MWh avec un taux de change de
7,5 RMB/
€
).
Dans sa décision du 27 juin 2019, la province du Guangdong a
demandé au gestionnaire de réseau provincial de faire fonctionner la
centrale de Taishan à hauteur de 7 500 h annuelles (équivalent à un taux
d’appel de 85,6 %).
Pour des raisons liées au secret des affaires, engageant qui plus est
une partie étrangère, le présent rapport ne fait pas état du détail des calculs
de rentabilité pour la société française. Il reste que le niveau du tarif devrait
être ajusté pour assurer une rentabilité de ce projet compatible avec l’effort
d’investissement consenti et les risques industriels et financiers pris par
l’entreprise française EDF.
C - Au Royaume-Uni, les réacteurs d’Hinkley Point 1
et 2 : un risque financier élevé pour EDF
EDF a fait du Royaume-Uni une des principales cibles de sa
stratégie d’expansion internationale. Après avoir développé une activité
dans la distribution, EDF a acheté la compagnie britannique
British
Energy
, alors en difficultés, et entrepris la construction de deux réacteurs
EPR à Hinkley Point.
En 2009, EDF a payé 15,7 Md
€
pour acquérir
British Energy
, un
prix très élevé au regard de la valeur des actifs de cette société, dans
l’objectif de construire des EPR au Royaume-Uni, tout en prolongeant la
durée de vie des réacteurs exploités par
British Energ
y. Les conditions de
ce rachat ont été examinées par la Cour notamment dans un rapport
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84
particulier de novembre 2015 consacré à la stratégie internationale
d’EDF
96
.
1 - La construction de deux réacteurs à Hinkley Point
Le gouvernement britannique a fondé une partie de sa stratégie
énergétique sur le remplacement de ses centrales nucléaires obsolètes par
de nouveaux réacteurs nucléaires. Il a choisi de confier à EDF la
construction de deux réacteurs à Hinkley Point.
En novembre 2012, EDF a obtenu l’accord de l’autorité de sûreté
nucléaire britannique, l’
Office for Nuclear Regulation
(ONR), sur le
dossier de sûreté de l’EPR. En octobre 2015, l’entreprise
China General
Nuclear Power Corporation
(CGN) est devenue partenaire du projet,
devenant actionnaire de la société constituée pour construire et exploiter
les deux réacteurs, «
New Nuclear Build
», dont
EDF Energy
est
actionnaire à 66,5 %, et CGN à 33,5 %. En juillet 2016, le conseil
d’administration d’EDF a donné son feu vert au lancement du projet. Les
travaux ont débuté en 2017, pour une mise en service prévue en 2025.
Le gouvernement britannique ne souhaitant pas financer sur le
budget de l’État la construction des deux nouveaux réacteurs nucléaires et
ne trouvant pas d’investisseurs privés acceptant de la financer, a passé avec
EDF un accord comprenant les dispositions suivantes :
L’élément principal est un « contrat pour différence » qui garantit à
l’exploitant un prix de vente de l’électricité de 92,5£
2012
par MWh,
pendant 35 ans. L’exploitant recevra un versement complémentaire aux
prix obtenus sur le marché si celui-ci est inférieur au prix garanti. Ce
versement sera effectué via une société publique «
Low Carbon
Contracts Company
» (LCCC), qui se financera par un prélèvement du
montant correspondant sur les sociétés de distribution d’électricité
britannique, celles-ci répercutant au bout du compte ce coût sur le
consommateur final. À l’inverse, l’exploitant fera un versement à LCCC
si le prix de marché est supérieur au prix garanti.
Le gouvernement britannique a signé ce type de contrat avec 40 autres
producteurs d’électricité bas carbone (dans les secteurs de l’énergie
éolienne et solaire principalement), pour un total de capacités nouvelles
de production de 6,7 GW. Ces contrats ont généralement une durée de
15 ans et prévoient un prix garanti entre 80 et 150 £/MWh.
96
Cour des comptes,
La stratégie internationale d’EDF, exercices 2009 à 2013,
actualisation pour l’exercice 2014
, Rapport particulier S 2015-1442, novembre 2015.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
85
Le mécanisme retenu pour le financement de HPC est donc celui qui est
utilisé pour favoriser le développement des énergies renouvelables. Mais
le niveau de prix garanti retenu pour HPC est élevé. À titre d’exemple,
le prix garanti aux 11 lauréats de projets d’éoliennes en mer en 2017 est
de 70 £/MWh, pour des installations qui seront mises en service entre
2021 et 2023.
New Nuclear Build
devra constituer une provision de 7,3 Md£
2016
pour
couvrir les coûts de traitement et stockage des déchets nucléaires et de
démantèlement de la centrale en fin de vie.
Le Trésor britannique a offert une garantie d’emprunt jusqu’à 2 milliards
de livres qu’EDF a choisi de ne pas utiliser en raison de son coût.
Le gouvernement britannique garantit à la société de projet une
indemnité allant jusqu’à 22 Md£ si la stratégie énergétique de l’État
venait à changer au point de compromettre la construction et
l’exploitation de la centrale.
Lorsque le projet a été approuvé par le conseil d’administration
d’EDF, le coût total jusqu’à la mise en service était évalué à 18 Md£
2015
,
soit 23 Md
€
.
La construction du bâtiment a été confiée à une filiale de Bouygues
Construction, en groupement avec
Laing O'Rourke
. La chaudière est
réalisée par Framatome, la turbine par
General Electric
, la tuyauterie par
un groupement entre Boccard (France) et
Bilfinger
(Allemagne). Le
système de contrôle commande est réalisé par Framatome et Siemens.
2 - Un projet contesté au sein d’EDF et au Royaume-Uni
Le projet de construction de deux réacteurs nucléaires à Hinkley
Point s’est heurté à une contestation inhabituelle au sein de l’entreprise. Le
directeur financier d’EDF a démissionné en février 2016, considérant que
le risque était trop important pour le groupe alors que le chantier de
Flamanville était confronté à de nouvelles difficultés et que EDF devait
absorber la restructuration du secteur nucléaire français.
Les syndicats de l’entreprise, à l’exception de la CFDT, se sont
opposés au projet parce qu’il présentait à leurs yeux des risques élevés et
entraînait un endettement excessif de l’entreprise. Le comité central
d’entreprise (CCE), considérant que la direction d’EDF ne lui avait pas
fourni une information suffisante, a déposé un recours en 2016 devant la
Cour d’appel de Paris qui lui a donné raison par un arrêt du 7 septembre
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86
2016 enjoignant la direction d’EDF de convoquer à nouveau le CCE, en lui
donnant une information plus complète.
Au Royaume-Uni, la « commission aux comptes publics » de la
chambre des communes, s’appuyant sur un rapport du
National Audit
Office
, a considéré dans un rapport déposé en novembre 2017 que : « le
gouvernement a fait de graves erreurs stratégiques et doit maintenant
expliquer ce qu’il va faire pour qu’elles ne soient pas répétées
97
». La
commission considérait que de nouvelles technologies d’énergies
renouvelables sont désormais meilleur marché que le nucléaire et elle
proposait de geler tout nouveau projet de centrale en attendant la
réévaluation de la stratégie du gouvernement sur le nucléaire.
3 - Un projet dont les risques ont été identifiés par un rapport
qui n’a été transmis ni aux administrateurs, ni aux tutelles
En décembre 2015, un rapport préparé à la demande du président
d’EDF par un groupe de revue présidé par M. Yannick d’Escatha a évalué
les risques du projet HPC. Il considérait que :
les risques juridiques et politiques liés aux accords avec le gouvernement
britannique et le partenaire chinois restaient élevés pour l’économie du
projet et l’équation financière du groupe EDF ;
l’organisation et la gouvernance n’étaient pas assez efficaces pour
garantir la maîtrise des risques du projet dans cette nouvelle phase
d’exécution ;
il y avait de nombreux risques techniques, au premier rang desquels la
Supply
Chain
:
Areva
présente
des
faiblesses
industrielles
préoccupantes ; de nombreux fournisseurs n’ont pas fait de construction
nucléaire depuis longtemps ;
la stratégie de planification étant limitée à un planning de mise en tension
des acteurs, le projet ne disposait pas d’un planning réaliste de nature à
éclairer les décideurs.
En outre, le rapport ne mentionne pas le risque de change ; pourtant
le rapport annuel d’EDF 2018 indique « En termes de devises, il est
important de noter qu’environ 1/3 des coûts du projet sont libellés en euros.
Ceci expose tant le projet que le groupe EDF au taux de change
euro/livre ». Il ne mentionne pas non plus le risque que les travaux de sol
s’avèrent plus difficiles à réaliser que prévu.
97
Hinkley Point C,
National Audit Office
, juin 2017.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
87
Le rapport présente de nombreuses préconisations, en particulier
une modification profonde de l’organisation et de la gouvernance du projet,
des actions vigoureuses d’accompagnement des fournisseurs et l’adoption
d’un planning plus réaliste. Les éléments transmis à la Cour ne permettent
pas de rendre compte de la mise en
œ
uvre de ces préconisations.
Le Président d’EDF a refusé de transmettre l’intégralité de ce
rapport aux administrations de tutelle et aux administrateurs d’EDF,
considérant qu’il lui était destiné. Seule une synthèse en sera présentée au
conseil d’administration et aux autorités de tutelle. En revanche, la
direction d’EDF a été tenue, par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en
date du 7 septembre 2018
98
, de remettre ce rapport dans son intégralité au
Comité central d’entreprise.
Enfin, le rapport s’abstient de formuler des recommandations
concernant le risque juridico-politique. On peut considérer cependant que
la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pourrait avoir des
conséquences sur la conduite du projet, en particulier sur les délais
d’approvisionnement et sur la possibilité de recourir à des travailleurs
détachés présents en grand nombre sur le chantier.
4 - Un projet qui connaît à son tour des surcoûts et des retards
Le projet Hinkley Point bénéficie du retour d’expérience des
réacteurs construits auparavant. L’organisation de la responsabilité du
projet semble plus claire ; le responsable du projet s’appuie sur un
responsable des fonctions support (RH, finances, juridique), une
responsable du design qui fait l’interface avec les équipes en France, un
responsable technique chargé de faire l’interface avec l’autorité de sûreté
et de s’assurer de son acceptation du design (
licensing
).
La construction a formellement démarré en 2019 avec la coulée du
radier de l’îlot nucléaire du premier réacteur.
98
Arrêt du 7 septembre 2018 de la Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 1, n° RG
16/22821, faisant suite à l’appel interjeté le 10 novembre 2016 par le comité central
d’entreprise contre l’ordonnance rendue le 27 octobre 2016 par le président du tribunal
de grande instance de Paris.
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88
EDF a communiqué le 25 septembre 2019 sur un risque accentué de
retard de construction qui pourrait être de 15 mois pour le premier réacteur
(durée de construction prévue 72 mois à compter du premier béton) et neuf
mois pour le second réacteur
99
.
L’entreprise a indiqué en même temps que le coût du projet était
réévalué à un montant compris entre 21,5 Md£
2015
et 22,5 Md£
2015
.
La rentabilité des capitaux investis serait désormais, selon le
communiqué de presse d’EDF, de 7,6 % à 7,8 %, au lieu de 9 % annoncés
au conseil d’administration lorsqu’il avait donné son accord au projet.
Deux raisons principales expliquent l’augmentation du coût du
chantier et l’allongement vraisemblable des délais de livraison.
La nature des sols et les évolutions du design des bâtiments ont
conduit à un volume de terrassement très supérieur à ce qui avait été
calculé, pour un coût supplémentaire d’environ 450 M£.
L’exigence de l’ONR, l’autorité de sûreté britannique, de doubler le
système de contrôle commande numérique assurant la sûreté des deux
réacteurs par un système analogique a entraîné une révision profonde du
design de l’EPR. La nécessité de faire passer des câbles en grand nombre,
d’assurer le refroidissement de la chaleur qu’ils génèrent, d’installer les
équipements de commande dédiés ont conduit à revoir l’architecture des
bâtiments de contrôle, leur ventilation, leur intégration dans l’architecture
d’ensemble. Là se trouve la raison principale de la révision à la hausse des
coûts de construction. La prise en compte des exigences de l’ONR a
conduit à revoir le design fonctionnel du projet, au-delà du travail sur les
seuls dispositifs de contrôle commande.
Le rapport présenté par la commission présidée par M. Yannick
d’Escatha, constatait le volume très important de modifications apportées
au projet et les points qui restaient ouverts avec l’ONR, notamment relatifs
au système de ventilation, au remplacement des systèmes calorifuges dans
le bâtiment réacteur, à l’ajout de moyens de décompression de l’enceinte
en cas d’accident grave. Les rapporteurs invitaient le management de projet
à identifier et traiter plus rapidement les points ouverts pour endiguer le
flux des modifications.
99
Ces dates ne prennent pas en compte les conséquences probables de la crise sanitaire
née de l’épidémie de covid-19. EDF Energy a annoncé, le 24 mars 2020, qu’elle
réduisait de moitié ses effectifs sur le chantier du réacteur nucléaire Hinkley Point C.
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89
Si l’expérience de Flamanville 3 et de Taishan a permis de
surmonter certaines difficultés, par exemple en réalisant le radier du
premier réacteur dans les délais, il reste une part d’incertitude liée au fait
qu’il ne s’agit pas de construire exactement les mêmes EPR à Hinkley
Point, ce qui limite le gain du retour d’expérience. Les coûts de design de
HPC sont évalués à 2 milliards de livres.
Le financement de ce projet pèse lourdement sur le bilan d’EDF. Un
peu plus de 8 Md£
2015
ont déjà été dépensés, et plus de 80 % du montant
total des dépenses ont été engagés, soit entre 21,5 Md£
2015
et 22,5 Md£
2015
.
Les dépenses sont couvertes par des injections de cash des deux
actionnaires sous forme de prêt d’actionnaires à la société de projet,
Nuclear New Building
.
À plus long terme, EDF cherchera à réduire son exposition sur le
projet et à lever de l’emprunt, mais ceci ne sera possible que si les risques
liés à cette installation diminuent et deviennent acceptables pour des
investisseurs privés.
Dans l’attente d’une telle évolution, EDF reste exposée aux résultats
de la société de projet à hauteur de sa part dans le capital, soit 63,5 %. On
peut craindre que cette situation ne perdure car la baisse du taux de
rentabilité interne du projet rend très difficile, sinon impossible, un
co-financement par de nouveaux investisseurs privés.
D - Les autres projets d’EDF au Royaume-Uni
Depuis 2008, la construction de réacteurs à Hinkley Point est
présentée comme une première étape dans la réalisation par EDF d’au
moins cinq réacteurs EPR au Royaume-Uni. EDF précise dans son rapport
annuel que « la société de projet
Nuclear New EDF
développe également,
dans le cadre du partenariat avec CGN, deux projets de construction
nucléaire au Royaume-Uni : Sizewell C et Bradwell B ».
Le responsable du projet a indiqué à la Cour qu’EDF entend
répliquer à Sizewell ce qui aura été construit à HPC et que cela permettra
d’abaisser le coût de la construction d’environ 20 %. Même dans ces
conditions, il indiquait que le prix de l’électricité produite ne serait pas
compétitif, cela n’étant possible que si le coût du financement pouvait être
considérablement réduit. Le gouvernement britannique a par ailleurs
indiqué qu’il ne pourra pas offrir une garantie de prix d’achat de
l’électricité semblable à celle dont a bénéficié le projet HPC, en raison des
critiques adressées à ce dispositif par le
National audit Office
et par la
chambre des communes. C’est pourquoi il étudie la possibilité de financer
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90
la construction de centrales électronucléaires comme celle d’un actif de
base régulé. Le gouvernement britannique a utilisé ce mécanisme pour
financer des infrastructures de transport, en assurant aux constructeurs un
financement dès le début des travaux et non lors de la mise en service de
l’équipement.
E - Des projets incertains en Inde
Alors que certains prospects n’ont pas abouti, comme en Italie où
EDF envisageait de construire avec
Enel
des réacteurs de type EPR, des
projets demeurent en Inde. Dans ce cas, les entreprises françaises ont
vocation à jouer un rôle de fournisseur et non d’investisseur.
L’Inde affiche, de longue date, une volonté de développer son parc
nucléaire – actuellement constitué de 22 réacteurs en fonctionnement et de
8 en construction – qui ne se concrétise pas.
Depuis 2008, la France et l’Inde ont signé de nombreux accords de
coopération dans le domaine nucléaire, prévoyant la construction de
réacteurs de type EPR sur le territoire indien dont :
un accord intergouvernemental finalisé et paraphé lors de la visite
présidentielle du 30 janvier 2008 à New Delhi et signé à Paris à
l’occasion du sommet France - Inde du 30 septembre 2008 ;
un accord de coopération entre Areva et
Nuclear Power Corporation of
India Limited
(NPCIL), signé à l’occasion d’une visite du secrétaire
d’État chargé du commerce extérieur français en Inde, en février 2009.
L’accord portait sur la construction de 6 réacteurs nucléaires de
1 600 MW à Jaitapur, au sud de Bombay.
un accord-cadre entre EDF et NPCIL portant sur la construction de
6 réacteurs EPR à Jaitapur signé à l’occasion de la visite du président
français en Inde, en mars 2018.
EDF a remis une offre technico-commerciale complète le
14 décembre 2018
100
. Le Président de la République française et le Premier
ministre indien ont confirmé, lors d’une rencontre le 22 août 2019, leur
volonté d’avancer rapidement sur le projet.
100
L’offre remise était conditionnée au respect de trois conditions : i) la convergence
technique sur un certain nombre de points ouverts, ii) la mise en place d’un régime de
Responsabilité Civile Nucléaire offrant une protection équivalente aux standards
internationaux, iii) la mise en place d’une stratégie de financement.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
91
1 - Des promesses de soutien financier public important
du gouvernement français pour faire aboutir ces ventes
Dès la signature du protocole d’accord entre Areva et NPCIL en
2009, le gouvernement français s’est montré disposé à accorder un crédit
export, garanti par la Coface (aujourd’hui Bpifrance Assurance Export),
pour 70 % du montant des contrats français (Areva, ALSTOM) aux
conditions économiques de l’époque, soit environ 5 milliards d’euros pour
deux réacteurs. Les 30 % restant devant être apportés par NPCIL
101
.
Depuis lors, la proposition des autorités françaises a été encore
améliorée, en particulier grâce à la création, en 2013, de la SFIL (Société
de Financement Local), banque publique de développement française, qui
depuis 2015 est autorisée à refinancer les crédits export jusqu’à 75 % du
montant du crédit bancaire garanti.
La partie indienne souhaite une offre de financement portant sur les
six unités, la direction générale du Trésor estimant « qu’à ce stade de la
discussion, un montant de crédit export entre 10 et 15 milliards d’euros
pourrait être indiqué ». Ce montant est à rapprocher de l’encours total
d’assurance-crédit actuel, soit environ 70 milliards d’euros. Les durées
proposées pourraient aller jusqu’à 10 ans de tirage et 18 ans de
remboursement. La garantie souveraine du gouvernement indien, dont le
principe a été acté dans le cadre du comité franco-indien sur le financement
de projet Jaitapur, est nécessaire, de sorte que le risque pris serait un risque
souverain sur l’Inde classé en catégorie 3 sur 7, sachant que l’encours
souverain sur l’Inde au titre d’autres projets, au 31 décembre 2018, était
déjà de 8,9 milliards d’euros.
La combinaison du crédit export garanti et du refinancement par la
SFIL rapprocherait le financement français des conditions d’un
financement d’État à État.
Les autorités françaises sont donc prêtes à mettre en place des
conditions de financements extrêmement favorables à l’acheteur indien et
à accorder une garantie publique à des crédits d’un montant considérable,
101
La mise en place d’un financement de ce type était subordonné au respect des règles
de l’OCDE en matière de taux d’intérêt et de durée du crédit, à l’octroi d’une garantie
souveraine par le ministère indien des finances (qui a pour politique de ne pas accorder
ce type de garantie pour un crédit acheteur considéré comme un emprunt commercial) ;
à un accord bilatéral exonérant les fournisseurs de responsabilité civile en cas
d’accident nucléaire ; des accords portant sur le respect de la propriété intellectuelle et
l’échange d’informations classifiées ; à la réalisation d’une étude environnementale sur
l’impact du projet et, bien sûr, à la signature d’un accord commercial.
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92
sur des durées très longues qui rendent le risque pris d’autant plus
important.
2 - Des négociations qui n’aboutissent pas
Bien que le projet de Jaitapur figure à l’agenda de toutes les
rencontres bilatérales depuis 2008 et en dépit des conditions très favorables
proposées par les pouvoirs publics français, les négociations avec l’Inde ne
progressent pas depuis 2008.
Plusieurs conditions, nécessaires pour permettre la mise en place
d’un crédit export, ne sont pas encore remplies :
le gouvernement indien s’est dit prêt à accorder une garantie souveraine
au projet et a envoyé en ce sens un premier document à la direction
générale du Trésor, mais les modalités de mise en place d’une telle
garantie ainsi que sa rédaction restent à négocier ;
une étude environnementale et sociale a été commandée à des
consultants indépendants choisis par Bpifrance et un
pool
de banques
internationales. Ces consultants ont rendu des rapports préliminaires en
2018 dans lesquels ils relevaient plusieurs points d’attention qui ont été
discutés avec NPCIL en 2019. Un nouveau rapport doit être rendu
prochainement suite à une visite sur le site envisagé pour la construction.
À noter qu’un tremblement de terre a eu lieu le 14 novembre 2009 à
90 kilomètres du lieu d’implantation prévu et qu’un rapport publié en
septembre 2019 par l’Autorité nationale de gestion des catastrophes
(NDMA) et l’Institut international des technologies de l’informations
d’Hyderabad confirme le risque sismique dans la région.
La négociation achoppe sur d’autres points.
La convergence technique : la persistance de certains points techniques
ouverts et pourtant structurants pour la technologie EPR ont conduit
NPCIL et Areva à signer un contrat d’études afin d’étudier la
« licenciabilité » du produit EPR en Inde.
La mise en place d’un régime de responsabilité civile nucléaire : les
autorités indiennes ont communiqué à EDF une version révisée du
document explicatif du régime de RCN dans lequel sont précisées
certaines modalités d’interprétation de la loi indienne sans pour autant
parvenir à ce jour à un cadre totalement satisfaisant pour les intervenants
sur le projet.
La négociation commerciale n’a jamais été conclue malgré les
rabais toujours plus importants consentis par Areva.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
93
On peut s’interroger sur la possibilité de rentabiliser un projet de ce
type en Inde. Une note de la Direction générale du Trésor, du 10 décembre
2010 (n° GIN 2010/03904), indique que « le coût de base unitaire de
l’électricité exprimée en roupies par kilowattheure est considéré par les
Indiens comme l’indicateur central pour les EPR. Après plusieurs mois de
négociations, Areva et NPCIL sont tombés d’accord sur une proposition
entrant dans les limites du plafond indien, soit un coût du kilowattheure
inférieur à 4 roupies. Il n’est pas précisé de combien le prix aurait été
inférieur à 4 roupies. En septembre 2019, 1 roupie indienne (INR) =
0,0126
€
. Dans le cadre de cet accord, un kWh d’électricité aurait donc été
vendu à un tarif inférieur à 0,0504
€
. Le prix était de 0,0817 HT en France
au même moment.
On voit mal comment un prix de vente aussi bas pourrait être
pratiqué alors que l’offre remise par EDF repose sur les hypothèses
suivantes : « le coût total de ce projet de six réacteurs EPR a été estimé à
environ 26,6 milliards d’euros 2016, dont 10,5 milliards d’euros 2016 pour
la première paire de réacteurs ».
En Inde, le «
Levelized Cost Of Energy
» (LCOE) moyen des
nouveaux projets de centrales photovoltaïques en 2018 avoisine 63
€
/MWh
selon l'
International Renewable Energy Agency
(Irena). Si l’on prend
comme référence le prix garanti accordé par le gouvernement britannique
au projet Hinkley Point, soit 120
€
/MWh, on constate que le principal
problème auquel se heurte le projet de Jaitapur est son manque de
compétitivité.
II - La construction d’une série d’EPR2
en France : un choix technologique,
économique et de politique énergétique
A - Un objectif de réduction du coût de construction
à confirmer
EDF a fait le choix de proposer à l’ASN et aux autorités
administratives un nouveau modèle d’EPR, « optimisé », présenté comme
plus simple et moins cher à construire en France : l’EPR2.
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94
1 - Une optimisation et une organisation pensées à partir
du retour d’expérience interne à EDF de la construction des EPR
a) Un EPR « optimisé »
Début 2015, EDF et Areva ont lancé en commun le projet EPR
« nouveau modèle » (EPR NM), qui intégrait le retour d’expérience réalisé
par EDF sans y associer toutes les parties prenantes, de la construction des
premiers réacteurs EPR et était axé sur trois vecteurs d’optimisation du
coût et de la durée de construction : la simplification du design,
l’industrialisation du produit et l’amélioration de l’ingénierie. L’EPR NM
comprenait plusieurs innovations par rapport à l’EPR, présentées dans
leurs grandes lignes à l’ASN dès octobre 2015
102
, dont : le passage d’une
enceinte de confinement à double paroi avec liner à une enceinte à simple
paroi avec liner, la suppression d’un train de sauvegarde dédié à la
maintenance, l’augmentation de la puissance (1 750 MWe net contre
1 670 MWe net pour l’EPR de type Taishan) ou, encore, la simplification
de la conception du récupérateur de corium et réduction de la surface
d’étalement.
À l’issue de plusieurs revues stratégiques et d’échanges avec l’IRSN
et l’ASN, une nouvelle configuration technique de l’EPR NM, intitulée
EPR2, a été adoptée par EDF en octobre 2017. La configuration du projet
de réacteur EPR2 reprend globalement le projet de réacteur EPR NM,
hormis en ce qui concerne le niveau de puissance, ramené au niveau de
l’EPR actuel (1 650 MW), et les assemblages de combustible, le type de
grappes de contrôle et l’instrumentation du c
œ
ur de référence et de
protection, qui seront identiques à ceux du réacteur EPR de Flamanville 3.
De manière simplifiée, le modèle EPR2 se présente comme un modèle
hybride entre l’EPR, pour ce qui concerne la chaudière (cuve et générateur
de vapeur), et l’EPR NM, pour ce qui concerne les bâtiments et les
systèmes de sûreté, optimisés par rapport à l’EPR.
Dans sa volonté d’optimisation, EDF entend veiller à ce que les
enjeux de construction et d’exploitation soient inclus dans les phases amont
du projet, en anticipant les conditions d’intervention et en simplifiant la
« constructibilité » du réacteur, notamment en associant les principaux
constructeurs au design. L’EPR2 est conçu, depuis l’origine, dans une
approche entièrement numérique, ce qui n’a pas été le cas de l’EPR. EDF
souhaite engager des efforts pour l’industrialisation de l’EPR2, avec une
102
Document de présentation, « Rencontre entre l’ASN et le projet EPR NM »,
16 octobre 2015.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
95
standardisation des équipements. Les simplifications envisagées par
rapport à l’EPR sont valorisées dans le planning prévisionnel de
construction de l’EPR2, fixé en avant-projet détaillé, à 86 mois entre le
premier béton et la mise en service industrielle (MSI). Pour mémoire, la
durée de construction entre le premier béton et la mise en service
industrielle de l’EPR de Flamanville, est aujourd’hui d’au moins 187 mois
et celle des deux EPR de Taishan a été de 110 et 113 mois.
b) Une organisation interne plus solide que pour l’EPR
Instruite par les difficultés rencontrées lors du chantier de l’EPR de
Flamanville,
EDF
s’organise
pour
maîtriser
le
programme
de
développement de l’EPR2 : contrairement à ce qu’elle a fait pour le
chantier de Flamanville, l’entreprise a prévu de centraliser les données tout
au long des études et du chantier. Elle entend n’engager le chantier de
l’EPR2, que si 70 % des études de détail sont réalisées (contre 10 à 40 %
au moment du lancement du chantier de l’EPR de Flamanville, selon les
lots, cf.
supra
) mais cet exercice est rendu complexe par le fait que, comme
le souligne une note d’EDF de 2019, « l’accès aux données planning est
difficile d’accès et il n’y a pas eu d’effort d’enregistrement et de
publication des données de retour d’expérience pour les projets futurs
103
».
Par ailleurs, EDF souligne la nécessité de disposer de référentiels
stables et partagés avec les autorités, au moins pendant toute la réalisation
du projet portant sur une paire de réacteurs. Ce point apparaît crucial,
notamment dans le domaine de la sûreté et de la sécurité, et
particulièrement pour ce qui concerne les équipements sous pression, pour
éviter les difficultés rencontrées sur le chantier de Flamanville 3.
En outre, EDF entend adapter l’allotissement contractuel aux
besoins du chantier et aux capacités du tissu industriel. L’entreprise
envisage de constituer environ 200 lots, soit davantage que pour l’EPR de
Flamanville. Si elle est louable, cette volonté de mieux maîtriser le champ
et les niveaux de sous-traitance ne ressort cependant pas clairement du
marché de génie civil des EPR2, tel qu’envisagé dans l’avis publié en
septembre 2019 par EDF, qui couvre un périmètre similaire au marché de
génie civil de l’EPR de Flamanville.
103
Note « Inter-comparaison des plannings de construction des EPR OL3-FA3-TSN1-
TSN2 tel que réalisé », EDF, référence D305119000545, 2009.
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96
Enfin, l’entreprise s’organise en direction de projet pour piloter le
chantier sur place, en y concentrant les centres de décision, en associant
entreprises et acteurs économiques autour d’un planning partagé, ce qui
n’était pas le cas pour la construction de l’EPR de Flamanville.
La construction de la première paire d’EPR2 préparée dès 2019
EDF a publié, à l’été 2019, plusieurs avis de marchés au Journal
officiel de l’Union européenne relatifs à la construction d’une paire
d’EPR2
104
. Dans ces avis, EDF précise qu’aucun site n’est actuellement
désigné pour accueillir des EPR2. La seule certitude est que cette
construction, si elle est décidée, se fera sur des sites existants. Plusieurs
régions ont exprimé leur souhait d’accueillir ces nouveaux réacteurs. Le site
de Penly, sur lequel la construction d’un EPR a failli être lancée au début
des années 2010 est régulièrement évoqué
105
. Ces avis sont destinés à
alimenter le dossier qu’EDF doit rendre au gouvernement concernant la
construction de nouveaux réacteurs EPR en France et notamment chiffrer le
coût de construction des EPR2. Si le calendrier de publication de ces avis
peut conduire à s’interroger, alors que le design de l’EPR2 n’est pas stabilisé
et la décision politique de construire ces réacteurs n’est pas prise, ce
processus vise à apporter les précisions sur les estimations de coûts jusqu’à
un niveau permettant un engagement. Le relevé de décisions du comité des
engagements de juillet 2019
106
au cours duquel a été décidée la publication
de ces avis mentionne explicitement le fait que ces appels d’offres « ne
devront en aucune manière engager financièrement le groupe EDF et que
l’accord préalable du comité des engagements et le cas échéant du conseil
d’administration (en fonction de leur montant) est requis avant la signature
des contrats ».
104
Avis de marché – secteurs spéciaux – Services 2019/S 140-346202, publié le
23 juillet 2019, JOUE, Avis de marché – fournitures – 2019/S 151-373645 publié le
7 août 2019 et avis rectificatif 2019/S 166-407510 publié le 29 août 2019, JOUE et Avis
de marché – secteurs spéciaux – Travaux, Travaux de construction de centrales
nucléaires 2019/S 182-444320, publié le 20 septembre 2019, JOUE.
105
Le site de Penly est retenu comme site de découplage pour les données d’entrées
nécessaires au déroulement des études de
“basic design”
du réacteur EPR2 (document
« proposition de plan d’exécution pour un programme de trois paires EPR2 », EDF,
29 mars 2019). Les régions Hauts-de-France, en juin 2018, et Normandie et
Rhône-Alpes-Auvergne, en mars 2019, ont présenté, par l’intermédiaire de leurs
présidents, leur candidature pour accueillir des chantiers EPR.
106
Comité des engagements, relevé de décisions, projet EPR2, EDF, 11 juillet 2019.
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D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
97
2 - Des questions sur l’intérêt d’un nouveau modèle de réacteur
EPR pour un gain financier incertain à ce stade
En faisant le choix de concevoir l’EPR2, EDF s’est éloigné de la
démarche d’optimisation de l’EPR appuyée sur le retour d’expérience.
Pourtant, les chantiers d’Olkiluoto et de Flamanville montrent que
privilégier l’innovation à l’expérience cumulée présente des risques et que
le coût de cette innovation ne doit pas être sous-estimé
107
.
a) Des questions en termes de sûreté
Dans un avis relatif au dossier d’options de sûreté du réacteur
EPR NM et de son évolution EPR2, de juillet 2019, l’ASN considère que
« le référentiel de sûreté retenu est globalement satisfaisant, notamment au
regard de la réglementation, du guide de juillet 2017 relatif à la conception
des
réacteurs
à
eau
sous
pression,
et
des
recommandations
internationales
108
». Cependant, l’avis de l’ASN identifie plusieurs sujets à
approfondir en vue d’une éventuelle demande d’autorisation de création
d’un réacteur. Des justifications complémentaires sont notamment
attendues sur la démarche d’exclusion de rupture des tuyauteries primaires
et secondaires principales et sur la chute accidentelle d’un avion militaire,
deux sujets à l’issue incertaine et de nature à impacter significativement le
design et les coûts de l’EPR2 en cas de décision défavorable à EDF.
b) Un gain financier potentiellement limité par rapport à un EPR
de type Flamanville « bien construit »
Une analyse conduite en fonction de l’expertise de 2016-2017
réalisée par le cabinet d’ingénierie Experconnect, appliquée sur la base du
coût de Flamanville connu en juillet 2018 (10,9 Md
€
2015
), considère que le
107
La comparaison avec le secteur de l’aéronautique, où la sûreté occupe également une
place importante, dans lequel toute innovation qui ne serait pas indispensable est évitée,
est intéressante ; aujourd’hui, Boeing paye cher le prix de son éloignement de cette
démarche.
108
Avis n° 2019-AV-0329 de l’Autorité de sûreté nucléaire du 16 juillet 2019 relatif au
dossier d’options de sûreté présenté par EDF pour le projet de réacteur EPR nouveau
modèle (EPR NM) et à son évolution de configuration EPR2. L’ASN note que la
majorité des options de l’EPR2 sont similaires à celle du projet EPR NM et qu’à ce titre
les observations qu’elle formule dans son avis sur l’EPR NM sont pour la plupart
transposables au projet de réacteur EPR2.
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98
coût de construction d’un EPR (modèle Flamanville) qui aurait été réalisé
sans connaître les aléas du chantier normand, serait d’environ 7,2 Md
€
2018
.
À périmètre comparable, le coût d’un EPR2 est estimé, en avant-projet, à
300 M
€
2018
de moins
109
.
La durée de construction d’un EPR modèle
Flamanville (72 mois entre le premier béton et 100 % de puissance
nominale) serait inférieure à celle de l’EPR2 (86 mois). L’écart entre cette
estimation du coût de construction d’une nouvelle tranche EPR virtuelle
« FLA3 reconductible », à supposer qu’elle soit fiable, et celle d’un EPR2
serait compris dans les marges d’incertitudes techniques et économiques
de l’EPR2, au stade de l’avant-projet
110
.
La justification de la démarche d’EDF devrait reposer sur la
certitude que l’EPR2 sera construit plus vite et moins cher que l’EPR, dans
une situation où, du point de vue de l’ASN, aucun obstacle en matière de
sûreté n’existe
a priori
à ce qu’un autre EPR de type Flamanville puisse
être construit en France, sous réserve de quelques ajustements, plus limités
que les évolutions envisagées pour l’EPR2.
3 - Une estimation du coût de construction de l’EPR2
reposant sur des hypothèses à affermir
a) Un coût prévisionnel estimé par EDF à 46 Md
€
2018
pour trois paires de réacteurs
En mars 2019, le coût de développement du programme EPR2 a été
estimé par EDF à 2,32 Md
€
2017
111
. Il a été actualisé à 2,5 Md
€
2018,
pour trois
paires d’EPR2, dans les éléments présentés au Conseil d’administration
d’EDF le 25 juillet 2019. Les dépenses de développement de l’EPR2
s’élevaient, au 31 décembre 2018, à 370 M
€
2018
112
. Selon les prévisions
d’EDF, elles pourraient atteindre 995,2 M
€
2018
fin 2021.
109
Une fois retraitées les données présentées au Conseil d’administration d’EDF dans
sa séance du 25 juillet 2019, dans le document « Nouveau nucléaire France ».
110
Guideline - Uncertainty Estimate for EPR2 Product Cost
, EDF, juin 2018.
111
Dont 1,93 Md
€
2017
de coût de développement du programme proprement dit,
0,1 M
€
2017
de provisions pour incertitudes et 0,29 M
€
2017
de provision pour risques et
opportunités.
112
Dont 214 M
€
2018
d’ingénierie interne et 97 M
€
2018
de provisions pour risques qui
concernent les dépenses prévisionnelles et non les dépenses réalisées.
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99
Le coût
overnight
113
de la réalisation de la première paire d’EPR2,
dans l’hypothèse où elle serait construite en France sur un site en bord de
mer dit « non contraint », est estimé à 15,27 Md
€
2018
, dont 13,03 Md
€
2018
de coût de construction incluant des provisions pour risques, 334 M
€
2018
de
coût spécifique lié au site, 508 M
€
2018
de provisions pour incertitudes
114
,
400 M
€
2018
de provisions pour démantèlement et 1 Md
€
2018
de coût de
développement de palier
115
.
Le coût de réalisation de la deuxième paire d’EPR2 est estimé, pour
le même périmètre de dépenses, à 15,4 Md
€
2018
et celui de la troisième
paire à 15,1 Md
€
2018
. Ces estimations préliminaires ne font pas apparaître
de gain notable par rapport à la première paire, les éventuels gains sur
l’effet « série » étant susceptibles d’être compensés par des surcoûts liés à
une implantation plus complexe de ces réacteurs, ce qui peut expliquer que
le coût estimé de la deuxième paire soit plus élevé que celui de la
première
116
. EDF note que « concernant les plannings de réalisation des
paires 2 et 3, il n’a pas encore été mené d’analyse détaillée permettant
d’étayer l’hypothèse d’une durée de construction plus courte que celle de
la première paire
117
».
Le coût
overnight
de trois paires d’EPR2, construites sur une
vingtaine d’années, est donc estimé à près de 46 Md
€
2018
. Ce coût ne
représente pas le coût complet d’investissement à terminaison des
réacteurs, puisqu’il n’intègre notamment ni les coûts de financement ni les
charges fiscales à supporter avant la mise en service.
113
Cf. note de bas de page n° 60.
114
Pour mémoire, dans les documents produits par EDF en mars 2019, le montant des
provisions pour incertitudes de la première tranche d’EPR2 s’élevait à 520 M
€
2017
.
115
La répartition entre coût de développement (2,3 Md
€
2017
) et coût de construction
(13,9 Md
€
2017
) demeure provisoire, mais il peut être observé que le coût de
développement du programme est identifié pour l’EPR2 dès l’origine du projet, alors
qu’il n’a pas été possible de le reconstituer avec précision pour l’EPR.
116
Les réflexions sur les potentiels lieux d’implantation de futurs réacteurs nucléaires
intègrent, compte-tenu des échelles de temps long, les problématiques du réchauffement
climatique.
117
Guideline - Uncertainty Estimate for EPR2 Product Cost
, EDF, juin 2018.
La filière EPR
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COUR DES COMPTES
100
b) Une estimation reposant encore sur des données partielles
Afin de consolider son estimation des coûts de l’EPR2, EDF
s’appuie sur une méthodologie solide :
une structure de répartition des coûts décomposant les coûts des travaux,
y compris les travaux ou services réalisés par les sous-traitants, conçue
pour être utilisée pour comparer en permanence les coûts réels avec le
budget et pour s'intégrer au système de contrôle des coûts
118
;
une méthode de calcul d’actualisation des incertitudes commune à
l’ensemble des entités contributrices à l’évaluation des coûts du
projet
119
;
une terminologie des coûts
120
définissant le coût du programme EPR2
comme la somme d’un coût de développement de palier (études
d’ingénierie, de développement, de conception, qualification des
matériels) et des coûts de réalisation de chaque paire de tranches du
programme (coûts de construction de la paire, adaptations au site
concerné incluses).
Cependant, à ce stade du projet, EDF convient que « les hypothèses
de coût de l’EPR2 reposent sur les éléments de design du réacteur portant
essentiellement sur la description des évolutions par rapport à l’EPR, et
leurs fondements, telles qu’issues du processus de prise en compte du
retour d’expérience
121
». Plusieurs points restent à instruire concernant le
coût d’un programme de trois paires d’EPR2, dont le périmètre « produit »
(bâtiments, systèmes procédé et hors procédé), la maintenance, les
plannings de réalisation des trois paires de tranches, l’analyse des facteurs
des risques et des facteurs exogènes, et leurs modalités de prise en compte,
les garanties, assurances, impôts et taxes. Ni les chroniques de
décaissement, ni la politique industrielle, ni la stratégie d’achats du
programme ne peuvent par conséquent être précisées avant fin 2020
122
.
118
Note
« Principes
de
structuration
de
la
Cost
breakdown
structure
»,
réf. PD-0009989B, mars 2019, EDF.
119
Soit la direction de projet EPR2, le centre national d’équipement de production
d’électricité, Edvance et Framatome. Cf. note « Méthode d’estimation des incertitudes
sur le projet EPR2 », réf. PD-00009990A, novembre 2018, EDF.
120
Note « Terminologie des coûts du projet EPR2 », réf. PD-00010589A, janvier 2019,
EDF.
121
Note « Proposition de plan d’exécution pour un programme de 3 paires EPR2 »,
réf. PPPPPP-0010586, mars 2019, EDF.
122
Note « Plan de travail du pôle offre du projet EPR2 », réf. PD-0010214A, EDF.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
101
Les estimations de coût sont encore préliminaires : le coût de
développement du programme, de 2,5 Md
€
2018
, ne comprend pas le coût
des études de détail des fournisseurs, à l’exception des coûts de
Framatome. Les estimations comportent des parts de couverture contre les
risques et contre les incertitudes qui ne pourront être précisées qu’au fil de
la progression du projet. L’estimation du coût de réalisation comporte, à ce
stade, une part de coût des bâtiments basée sur l’analyse des données de
Flamanville 3, mais pas sur une estimation exhaustive des bâtiments de
tranche et communs aux deux tranches
123
.
c) Une estimation reposant sur des hypothèses à préciser
Les éléments de coût de l’EPR2 reposent sur des hypothèses
techniques, de délais, de risques, de politique industrielle et de stratégie
d’achats, qui restent à confirmer par des études de conception et de
préparation.
La principale hypothèse, présentée par EDF comme une condition
industrielle fondamentale à la performance du projet, réside dans la
construction de six réacteurs, sous la forme de trois paires dont la
construction serait espacée de quatre ans, et sur le fait que l’ensemble des
coûts de développement, de qualification, d’apprentissage des procédés de
fabrication et de montage, et de sélection des trois sites, soient portés par
un programme de développement commun aux six réacteurs. Cette option,
produite par EDF, est reprise comme seule hypothèse de travail par les
ministres de la transition écologique et solidaire et de l’économie et des
finances dans un courrier adressé le 12 septembre 2019 au président-
directeur général d’EDF sur les contributions attendues de l’entreprise
publique à la décision du gouvernement concernant la construction de
nouveaux réacteurs nucléaires
124
.
On notera cependant que le planning envisagé de réalisation de la
première tranche d’EPR2 n’est pas encore, à ce stade, adossé à une analyse
capacitaire portant sur les ressources d’ingénierie ou sur les ressources
industrielles. Il est fondé sur le retour d’expérience partiel des projets EPR
et sur les propositions formulées par les entreprises de génie civil qui ont
travaillé sur le projet en 2017 et 2018. Il repose sur un dépôt de demande
123
Note « Liste des bâtiments de tranche et communs aux deux tranches »,
réf. INS-0000131B, EDF.
124
Lettre de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de
l’économie et de finances au président-directeur général d’EDF, 12 septembre 2019.
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COUR DES COMPTES
102
d’autorisation de construction au 1
er
janvier 2021, jalon rendu caduc par le
calendrier fixé en 2018 par le Président de la République de disposer
d’éléments mi-2021, et plus encore par les propos oraux tenus
publiquement par des membres du Gouvernement visant à renvoyer cette
décision postérieurement à la mise en service de l’EPR de Flamanville
125
.
EDF convient par ailleurs que « dans ce planning, plusieurs équipements
sont critiques, dont le Groupe Turbo Alternateur (GTA) qui ne comporte
aucune marge vis-à-vis de la date de choix du fournisseur et les
équipements du circuit primaire de la chaudière dont la disponibilité à
temps pour les besoins de la construction n’est pas encore confirmée par
Framatome (marge négative de l’ordre de l’année)
126
». Il ne s’agit pas
d’éléments accessoires, puisque le coût du groupe turbo-alternateur est
estimé par EDF entre 800 et 850 M
€
2017
et les équipements du circuit
primaire de la chaudière à 1,9 Md
€
2017
. Des incertitudes pèsent sur le
calendrier de décision d’engagement.
En outre, le choix qui serait fait d’investir dans trois paires de
réacteurs, mis en service entre 2035 et le début des années 2040, d’une
durée d’exploitation de soixante ans, implique des conséquences jusqu’à la
fin du siècle, qui ne peuvent se réduire au seul coût de construction desdits
réacteurs, mais doivent être complétés d’investissements, y compris par
d’autres acteurs qu’EDF, à prévoir dans l’ensemble du tissu industriel,
s’agissant de la construction mais aussi de la maintenance, du
démantèlement des réacteurs et de la gestion des déchets. Le coût de trois
paires de réacteurs EPR2 ne résume donc pas tous les investissements
nécessaires au déploiement d’un nouveau parc de réacteurs en France.
125
«
Est-ce qu’il faut construire de nouveaux EPR ? (…) La sagesse recommande déjà
d’attendre que l’EPR de Flamanville soit achevé avant de prendre des décisions.
»,
M. Bruno Le Maire, Ministre des finances et de l’économie, le 30 août 2018. « (…)
il
n’y aura pas de décision sur des nouveaux réacteurs avant la mise en service de
Flamanville, on veut d’abord des explications
», Mme Élisabeth Borne, Ministre de la
transition écologique et solidaire, 21 octobre 2019.
126
Note « Proposition de plan d’exécution pour un programme de 3 paires EPR2 »,
réf. PPPPPP-0010586, mars 2019, EDF.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
103
B - Le financement de nouveaux réacteurs EPR
et leur place dans le mix électrique à long terme
à préciser
1 - La question primordiale du financement
EDF ne pourra pas financer, dans les mêmes conditions qu’il l’a fait
pour Flamanville 3, un programme de construction de six réacteurs de type
EPR. De nouvelles modalités de financement sont une condition préalable
à de nouveaux projets.
L’augmentation des risques techniques et financiers inhérents à la
construction d’un nouveau réacteur (délai et coût notamment
127
) et des
risques liés à la libéralisation
128
du marché de l’électricité, compliquent le
financement de la construction de réacteurs électronucléaires. Or, plus un
projet est risqué, plus le taux de rentabilité attendu par les investisseurs est
élevé. Cette situation est décrite dans une note de la société française
d’énergie nucléaire comme un cercle vicieux : « plus le risque perçu est
élevé, plus le WACC [coût moyen pondéré du capital] augmente et le
financement de l’investissement est coûteux, plus le coût total du projet
augmente et plus le risque de marché augmente (…) Ainsi, à titre
d’exemple, le coût du kWh produit à Hinkley Point, au Royaume-Uni, est-il
multiplié par deux quand le taux d’actualisation passe de 3 % à 10 %
129
».
Le mode de financement détermine donc en grande partie le coût du
kWh produit.
La construction de nouveaux réacteurs, en dehors des pays organisés
autour d’une intervention forte de l’État dans l’économie
130
, se heurte
notamment à la difficulté de susciter l’intérêt d’investisseurs privés pour le
financement de projets dont ils considèrent le niveau de risques élevé et la
rentabilité incertaine.
127
On observe que les coûts projetés pour la construction de nouveaux réacteurs, palier
par palier, se sont toujours révélés nettement inférieurs aux coûts effectifs de réalisation.
Cf. notamment « Les coûts de la filière électronucléaire », Rapport public thématique,
Cour des comptes, janvier 2012. Dès 2000, les travaux de la mission d’évaluation
économique de la filière nucléaire pour le Premier ministre mettaient ce phénomène en
évidence.
128
Les prix de gros sur le marché européen ont considérablement varié ces dernières
années (70
€
/MWh en 2008, 35
€
/MWh en 2014, 50
€
/MWh 2018).
129
Note « Les coûts de production du nouveau nucléaire français », société française
d’énergie nucléaire, mars 2018.
130
Neuf réacteurs ont été mis en service en 2018, dont sept en Chine et deux en Russie.
En 2019, six nouvelles tranches nucléaires ont été mises en service commercial, dont
trois en Russie (dont les tranches 1 et 2 de l’Akademik-Lomonosov, centrale nucléaire
flottante), deux en Chine et une en Corée du Sud.
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COUR DES COMPTES
104
EDF a cherché à partager le financement de l’EPR de Flamanville 3
avec la société italienne ENEL, mais cette dernière s’est retirée de l’accord,
en recevant d’ailleurs une indemnité, laissant EDF supporter seule le coût
du projet.
En Grande-Bretagne, EDF a négocié un partenariat stratégique avec
l’entreprise Centrica, mais si celle-ci a racheté une partie du capital de
British Energy à EDF, elle a refusé de participer au financement du projet
d’Hinkley Point, malgré le « contrat pour différence » qui garantit un prix
de rachat élevé, au regard des prix actuels de marché en Grande-Bretagne,
de l’électricité produite pendant 35 ans, limitant sa participation au
nucléaire existant. C’est finalement l’électricien chinois CGN qui est
devenu partenaire d’EDF, avec l’objectif de vendre au Royaume-Uni sa
propre technologie après la construction d’Hinkley Point.
La situation d’EDF, entreprise cotée en bourse et déjà endettée, est
incompatible avec les besoins massifs d'investissement
auxquels
l’entreprise devra faire face en cas de déploiement de nouveaux réacteurs.
Aux coûts de production envisagés de 60 à 70
€
/MWh, il apparaît
improbable qu’investir dans les EPR puisse être suffisamment rentable
sans un cadre de régulation portant sur un soutien au financement assurant
un partage de risques entre l’investisseur et la puissance publique et une
garantie de revenus.
Les pouvoirs publics ont lancé, le 17 janvier 2020, une consultation
sur la nouvelle régulation économique du nucléaire existant
131
. Y est
envisagé, pour succéder à l’Arenh
132
, la mise en place d’une régulation qui
couvrirait l’ensemble du parc nucléaire existant – y compris Flamanville 3
– sous la forme d’un corridor de prix supposé protéger tant le producteur
que le consommateur final. La façon dont ce mécanisme concernerait, dans
le futur, le financement de nouveaux réacteurs électronucléaires devra être
précisée. Elle pourrait s’inspirer des réflexions actuellement conduites au
Royaume-Uni.
Le gouvernement britannique a en effet apporté une première
réponse aux difficultés de financement avec le « contrat pour différence »
accordé au projet Hinkley Point. Mais cette solution a été critiquée par le
131
Nouvelle régulation économique du nucléaire existant, cf. Document de
consultation, Ministère de la transition écologique et solidaire, janvier 2020.
132
Accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce dispositif permet aux
fournisseurs alternatifs, depuis le 1er juillet 2011 et jusqu’au 31 décembre 2025,
d’accéder à un prix régulé, à l’électricité produite par les centrales nucléaires historiques
d’EDF situées sur le territoire national et mises en service avant le 8 décembre 2010.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
105
National Audit Office
133
. Ce dernier considère que la solution retenue par
le gouvernement britannique est la plus coûteuse pour le consommateur
final d’électricité comparée à celle d’un financement dans le cadre d’un
partenariat public-privé. Le gouvernement britannique étudie la possibilité
de financer la construction des prochains réacteurs électronucléaires en les
considérant comme des actifs régulés.
EDF négocie avec le gouvernement britannique le financement
possible dans ce nouveau cadre juridique du projet de construction de deux
EPR à Sizewell (cf.
supra
). Mais à la date de publication de ce rapport, les
mesures législatives nécessaires restent à prendre.
Le projet britannique pour financer de nouveaux réacteurs
électronucléaires
Dans la perspective de construction d’autres réacteurs nucléaires au
Royaume-Uni, le ministère de l’industrie britannique a lancé, le 14 octobre
2019, une consultation sur « un modèle d’actifs de base régulés pour le
secteur nucléaire avec partage de risques ».
Le gouvernement réaffirme sa volonté de construire de nouvelles
centrales nucléaires, pour atteindre ses objectifs de réduction d’émissions
de gaz à effet de serre. Il constate qu’il existe peu d’investisseurs privés
capables de prendre en charge le risque de construction et d’exploitation de
centrales nucléaires et rappelle que le gouvernement britannique a proposé
à Hitachi un partenariat public-privé pour construire une centrale nucléaire
à Wylfa Newydd, pour trouver une alternative au « contrat pour différence »
de HPC. Mais Hitachi a décidé de se retirer du projet, malgré la prise en
charge d’une partie du risque de construction par le gouvernement.
Pour surmonter cette difficulté, le gouvernement britannique
propose de financer les futurs réacteurs nucléaires comme des actifs régulés,
à l’instar de ce qui se pratique pour les infrastructures de réseau d’électricité
ou d’eau. Le dispositif serait le suivant :
133
Hinkley Point C,
National Audit Office
, juin 2017.
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COUR DES COMPTES
106
- une licence serait accordée par un régulateur à l’opérateur de la future
centrale nucléaire. Grâce à cette licence, l’opérateur de la centrale
nucléaire pourrait percevoir un prix fixé par l’autorité de régulation de
l’énergie britannique, pour la vente de sa production, lorsque la centrale
serait raccordée au réseau. En contrepartie, l’opérateur serait soumis à des
contraintes spécifiques de quantité, de disponibilité de l’énergie, etc.
- le gouvernement couvrirait les risques de dépassement du coût de la
construction (au-delà d’un coût maximum de construction de la centrale
fixé par le régulateur), ainsi que les risques de crash financier et les risques
politiques, en prenant des parts au capital de la société de construction ;
- le revenu global accordé à la compagnie titulaire de la licence au travers
du prix de vente de l’électricité serait déterminé par le régulateur (il serait
égal au retour sur investissement + dépréciation + coûts opérationnels +
taxes + coûts d’accès au réseau + coûts de démantèlement + bonus ou
pénalités) ;
- en pratique, ce revenu serait assuré au titulaire de la licence de
construction par une redevance prélevée par les fournisseurs d’électricité
auprès des consommateurs finaux, au prorata de leur consommation ;
- cette redevance pourrait être demandée aux fournisseurs d’électricité dès
la phase de construction de la centrale, avant que celle-ci ne soit raccordée
au réseau, de façon à limiter le coût du financement pour le constructeur.
En effet, l’importance de la charge de financement qui doit être supportée
par le constructeur avant d’encaisser un revenu de l’activité de la centrale
constitue actuellement une des barrières à l’engagement de capitaux privés
compte-tenu de la durée de construction d’une centrale.
La rémunération du capital investi serait calculée sur la disponibilité
offerte par la centrale et non sur la production appelée.
Ce mode de financement donnerait au constructeur l’avantage d’un
préfinancement, en déconnectant le revenu tiré de la redevance de celui qui
proviendrait de la vente d’électricité sur le marché.
2 - Un enjeu de compétitivité entre systèmes électriques
Le délai entre la décision de construction d’un EPR2 et sa mise en
service est de l’ordre de 12 à 15 ans ; la durée prévisionnelle de leur
fonctionnement est de 60 ans. Cela signifie qu’une décision prise en 2023
conduirait à une mise en service entre 2035 et 2038, pour un
fonctionnement jusqu’au début du siècle suivant, et un démantèlement
dans la première moitié du 22
ème
siècle.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
107
Sur une période aussi longue, les technologies de production et de
stockage d’électricité connaîtront des évolutions importantes. Il convient
donc de comparer la compétitivité relative des différents moyens de
production en essayant d’appréhender ces possibles évolutions, de
comparer les coûts de production entre sources d’énergie décarbonées,
mais aussi les coûts de différents systèmes électriques mettant en
œ
uvre
différents mix électriques.
Selon le
World Nuclear Industry Status Report
d’octobre 2019, les
coûts
de
production
de
l’électricité
d’origine
nucléaire
seraient
actuellement, dans le monde, environ trois fois plus élevés que ceux des
énergies renouvelables. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les
coûts de production moyens de l’électricité nucléaire dans l’Union
européenne seraient environ 25 % plus élevés que ceux des énergies
renouvelables. En France, le coût de production de l’électricité par des
installations photovoltaïques de grande taille peut atteindre 50
€
/MWh
134
.
Dans une étude récente sur l’évolution du mix électrique français à
long terme
135
, réalisée avec l’appui du cabinet Artelys, l’ADEME conclut
que le développement d’une filière EPR ne serait pas compétitif et que la
construction d’une filière industrielle EPR (24 GW en 2060) représenterait
un surcoût de 39 Md
€
136
sur la période 2020-2060 par rapport à un scénario
dit de référence, avec prolongation des centrales nucléaires existantes mais
sans nouveau nucléaire. Dans cette étude, les EPR n’apparaissent dans
aucun des dix scénarios d’optimisation économique testés, si leur
apparition n’est pas « forcée » dans le modèle utilisé, même avec des coûts
de production retenus par la société française d’énergie nucléaire, soit
85
€
/MWh pour les trois premiers réacteurs puis 70
€
/MWh pour les
réacteurs suivants.
Les comparaisons des données relatives aux coûts de production des
différentes sources d’énergie électrique doivent être considérées avec
précaution car les « coûts » comparés sont des coûts moyens de l’énergie ;
ils ne prennent pas toujours en compte le caractère non contrôlable de
l’éolien ou du solaire, et ne reflètent pas les contraintes physiques du
développement à grande échelle des énergies renouvelables, ni l’effet de
134
Rapport sur
les coûts et rentabilités du grand photovoltaïque en métropole
continentale
, Commission de régulation de l’énergie, février 2019.
135
ADEME, Artelys, 2019, Trajectoires d’évolution du mix électrique 2020-2060 -
analyses complémentaires. Auteurs (Artelys) : Ghita Kassara, Gaspard Peña Verrier,
Maxime Chammas, Laurent Fournié. L’étude a été publiée en deux temps, en décembre
2018 puis mai 2019.
136
Ce chiffre correspond à la somme des surcoûts actualisés à 2,5 %. Sans actualisation,
le surcoût est de 85 Md
€
.
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COUR DES COMPTES
108
« cannibalisation » de leur valeur
137
. En comparant les coûts de production
des différentes sources d’énergie, on ne compare pas deux systèmes
électriques complets mais deux moyens de production.
Des décisions de long terme comme celle de la construction d’un
nouveau parc de réacteurs électronucléaires doivent être fondées sur une
vision partagée de la compétitivité des différents mix électriques possibles
et de la consommation d’électricité.
3 - La nécessité d’une vision à long terme du mix électrique
a) Une vision aujourd’hui absente
La loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au
climat
138
fixe à 2035, contre 2025 dans la loi relative à la transition
énergétique pour la croissance verte, l’objectif de réduire la part du
nucléaire dans la production d’électricité à 50 %. Il faudrait probablement
pour y parvenir mettre à l’arrêt définitif douze réacteurs de 900 MW, en
sus de la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, entre 2027 (voire
dès 2025) et 2035, à l’échéance de leur cinquième visite décennale
139
.
Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2023 et
2024-2028, le Gouvernement entend que soit expertisés plusieurs scénarios
« allant d’un scénario 100 % renouvelables à un scénario où le nucléaire
reste durablement une source de production d’électricité intégrée dans le
mix électrique pour des raisons de pilotage de la production et de
compétitivité ». La décision de construire de nouveaux réacteurs nucléaires
pour assurer l’équilibre offre-demande de long-terme du système
électrique, que le Gouvernement et l’ensemble de la filière conduisent
actuellement, devrait intervenir postérieurement à la mise en service du
réacteur de Flamanville 3.
137
Lorsque de grandes quantités de production non pilotables similaires sont installées,
il existe un risque dit de « cannibalisation » : les moyens produisent globalement au
même moment, les prix baissent pendant cette période et le prix capté diminue. Cet effet
conduirait à une différence entre le coût de production et la valeur de cette production.
138
Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.
139
Programmation pluriannuelle de l’énergie, 2019-2023 2024-2028 adoptée par décret
n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie pour
la métropole continentale.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
109
Y compris à l’échéance de 2035, relativement proche, la PPE
souligne qu’il n’est pas possible de déterminer avec certitude les
technologies les plus compétitives pour assurer le mix électrique entre le
nucléaire et les énergies renouvelables associées à du stockage et d’autres
solutions de flexibilité.
Ni la programmation pluriannuelle de l’énergie ni la stratégie
nationale bas-carbone ne présentent de trajectoires détaillées sur
l’évolution du mix électrique à l’horizon 2050.
b) Une vision nécessaire avant de décider
La Cour a recommandé dans un rapport récent sur l’arrêt et le
démantèlement des installations nucléaires
140
, que l’horizon prescriptif de
la programmation pluriannuelle de l’énergie soit porté à 15 ans et que la
stratégie nationale bas carbone se prononce sur l’évolution à plus long
terme du mix électrique.
Cette planification à long terme de l’évolution du mix électrique
devrait présenter les enjeux et les solutions en termes de sécurité
d’approvisionnement, d’adaptation des réseaux de transport et de
distribution d’électricité, de gestion des déchets radioactifs
141
, de
démantèlement des centrales aujourd’hui en fonctionnement
142
, et bien sûr
des coûts de fonctionnement du système électrique. L’anticipation des
décisions est d’autant plus nécessaire que le poids de la filière industrielle
nucléaire dans l’économie française est important
143
.
140
Cour des comptes,
L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires
,
Communication à la commission des finances du Sénat, février 2020, notamment pages
57et s. et recommandation n° 3, disponible sur www.ccomptes.fr.
141
Aucune solution n’est actuellement envisagée pour stocker les déchets radioactifs
qui seraient produits par un « nouveau » parc de réacteurs. Sur ce point, cf. Cour des
comptes,
L’aval du cycle du combustible nucléaire, les matières et déchets radioactifs,
de la sortie du réacteur au stockage
, Rapport Public Thématique, Juillet 2019,
disponible sur www.ccomptes.fr.
142
Cour des comptes,
L’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires
,
Communication à la commission des finances du Sénat, février 2020, disponible sur
www.ccomptes.fr.
143
Le nucléaire est la troisième filière industrielle française, derrière l’aéronautique et
l’automobile. Elle compte, selon la filière, plus de 3 000 entreprises, employant, de
manière directe et indirecte, environ 220 000 personnes, soit près de 7 % des emplois
industriels en France (cartographie de la filière nucléaire réalisée en 2019, rendue
publique le 26 mars 2020 par le Groupement des industriels française de l’énergie
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COUR DES COMPTES
110
Ce n’est qu’une fois cet exercice réalisé que la décision éventuelle
de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires devrait être prise.
Ce travail préalable permettrait d’éviter de prendre une décision précipitée,
telle que celle prise pour la construction du réacteur de Flamanville 3, et
d’éclairer une décision aux enjeux majeurs
144
. Il apparaît compatible avec
une prise de décision en 2023.
Pour répondre à une partie de ces enjeux, RTE élabore actuellement,
pour la première fois, dans le cadre du bilan prévisionnel offre-demande,
des scénarios de mix jusqu’à l’horizon 2050. Le document de travail sur
les principes de construction de ces scénarios de mix électrique
145
prévoit
que quatre paramètres principaux soient analysés (fonctionnement
technique du système, enjeux sociétaux et acceptabilité, enjeux
environnementaux et analyse économique). Chaque scénario sera
considéré selon le choix, ouvert ou fermé, de l’option sur le nouveau
nucléaire, conformément aux orientations du projet de Stratégie nationale
bas carbone actualisé en janvier 2020, soit «
un scénario 100 %
renouvelables
[et]
un scénario où le nucléaire reste durablement une
source de production intégrée dans le mix énergétique
». Les deux types
de scénarios devraient être rendus publics au premier semestre 2021.
Dans le cadre de ces travaux, RTE a prévu de réaliser une étude pour
préciser les évolutions du réseau les plus acceptables d’un point de vue
technico-économique et sociétal. Selon le gestionnaire du réseau de
transport, «
cette étude permettra d’éclairer le gouvernement sur les
conséquences pour le réseau du développement d’un programme de
construction de nouveaux réacteurs nucléaires
».
nucléaire et le Comité stratégique de la filière nucléaire). L’essentiel de ses emplois
sont localisés en France et deux tiers d’entre eux sont qualifiés ou hautement qualifiés
(cadres ou employés, techniciens et agents de maîtrise).
144
En 2050, dans l’hypothèse d’une consommation électrique stable et d’une part de la
production électronucléaire de 50 %, ce ne sont pas trois paires d’EPR2 qui devraient
être mises en service à cette date mais douze paires de réacteurs.
145
« Groupe de travail scénarisation – les principes de construction des scénarios pour
étudier le système électrique à l’horizon 2050 », RTE.
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UNE STRATÉGIE INTERNATIONALE PRISE EN DÉFAUT ET LA PERSPECTIVE
D’UN EPR « OPTIMISÉ » À CONFIRMER
111
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La construction de l’EPR d’Olkiluoto en Finlande a contribué au
démantèlement de l’ex-groupe Areva et pour partie causé une coûteuse
restructuration de la filière nucléaire par le gouvernement en 2015.
La construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point pèse
lourdement sur les finances d’EDF et la rentabilité de cet investissement a
été plusieurs fois revue à la baisse.
Les deux réacteurs de Taishan, mis en service avec succès en 2018
et 2019, n’assurent pas encore à EDF une rentabilité satisfaisante.
La construction de nouveaux réacteurs électronucléaires reste très
dépendante du soutien des États. Les projets développés à l’étranger par
EDF ont bénéficié d’un financement par le constructeur qu’il ne pourra
plus consentir à l’avenir. Les projets nucléaires présentent des risques
élevés et une rentabilité insuffisante pour parvenir à attirer les
investisseurs privés dans ces conditions.
EDF ne peut plus financer seul la construction de nouveaux
réacteurs. Cette construction ne se fera donc pas sans soutien public sous
une forme ou sous une autre. La charge qui serait ainsi transférée au
consommateur et/ou au contribuable ne pourrait être acceptée que si
l’énergie nucléaire, dans le respect des objectifs nationaux en termes de
lutte contre le changement climatique et de sécurité d’approvisionnement,
est suffisamment compétitive par rapport aux autres modes de production
d’électricité, renouvelables en particulier.
Les enjeux financiers sont majeurs (le coût de construction de trois
paires d’EPR2 est estimé à 46 Md
€
2018
) et la décision de construire ou non
de futurs EPR aura des conséquences jusqu’au 22ème siècle. C’est
pourquoi elle doit être précédée d’un retour d’expérience qui associe
l’ensemble des acteurs concernés par la construction achevée ou en cours
des réacteurs EPR, pour que toutes les parties prenantes tirent les mêmes
leçons de la manière dont les chantiers se sont déroulés. Ce retour
d’expérience doit aller plus loin que celui déjà conduit en interne par EDF.
Les décisions relatives au mix électrique du futur doivent s’appuyer
sur une planification à long terme prenant en compte l’évolution de la
compétitivité relative des différents modes de production de l’électricité, le
coût des différents systèmes électriques induits par ces derniers, et de celui
d’une garantie de sécurité d’approvisionnement et des bénéfices
écologiques et sociaux attendus.
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112
La Cour formule les recommandations suivantes :
6.
calculer la rentabilité prévisionnelle du réacteur de Flamanville 3 et
de l’EPR2 et en assurer le suivi (EDF, 2020) ;
7.
définir, avant l’engagement des projets internationaux, leurs niveaux
de risques et de rentabilité attendue ainsi que leurs conditions de
financement et s’y conformer (APE, DG Trésor, EDF, 2020) ;
8.
conduire un exercice de retour d’expérience complet sur tous les EPR
construits ou en construction en France et à l’étranger, avec
l’ensemble des acteurs concernés, préalablement au lancement d’un
éventuel chantier de nouveaux réacteurs électronucléaires (EDF,
MTES, MEF, 2020) ;
9.
prolonger jusqu’en 2050, la planification du mix électrique
préalablement à la décision de lancement d’un éventuel chantier de
nouveaux réacteurs électronucléaires (EDF, RTE, MTES, MEF,
2020).
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Annexes
Annexe n° 1 :
glossaire
...........................................................................
114
Annexe n° 2 :
présentation du projet
European Pressurized water
Reactor
(EPR)
..................................................................
117
Annexe n° 3 :
les soudures de traversées
................................................
120
Annexe n° 4 :
les deux EPR de Taishan
.................................................
130
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114
Annexe n° 1 : glossaire
Les quelques définitions qui suivent sont tirées du glossaire très
complet établi par l’ASN.
Accident grave
: accident conduisant à la fusion au moins partielle du
c
œ
ur d'un réacteur nucléaire.
ARE
: alimentation normale des générateurs de vapeur (REP)
AP1000
: réacteur nucléaire de type REP fabriqué par Westinghouse
Electric Corporation (États-Unis) dont la puissance est de 1154 MWe.
Cigéo
: projet de centre de stockage de déchets radioactifs en couche
géologique profonde porté par l’ANDRA. « Cigéo » est conçu et
dimensionné par l’ANDRA pour stocker les déchets radioactifs dits de
« haute activité » et de « moyenne activité » à « vie longue »
(HA-MAVL).
Circuit primaire
: le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de
l’eau sous pression. Cette eau s'échauffe dans la cuve du réacteur au
contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle
cède la chaleur acquise à l'eau du circuit secondaire pour produire la
vapeur destinée à entrainer le groupe turboalternateur. L'eau du circuit
primaire est mise en mouvement par trois pompes dites "pompes
primaires". Plusieurs circuits hydrauliques annexes sont branchés sur le
circuit primaire principal ; ces circuits sont munis de vannes
man
œ
uvrables à partir de la salle de commande. Un programme d'essais
périodiques est destiné à s'assurer du bon fonctionnement de ces vannes.
Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la
cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs
de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du
circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage
après rechargement en combustible. La température du circuit primaire
principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans
un état sûr des installations en cas d’accident.
Circuit secondaire
: circuit fermé dans lequel la vapeur produite dans
le générateur de vapeur est conduite à la turbine, qui transforme son
énergie en énergie mécanique. Il comprend : la partie secondaire des
générateurs de vapeur, la turbine, le condenseur, les systèmes
d'extraction et de réchauffage de l'eau condensée jusqu'au retour au
générateur de vapeur, ainsi que les tuyauteries associées
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ANNEXES
115
Contrôle-commande
: il est constitué de l’ensemble des systèmes qui,
dans une installation nucléaire, effectuent automatiquement des mesures
et assurent des fonctions de régulation ou de protection. La complexité
de ces systèmes s’est considérablement développée au cours des
dernières décennies. Ils répondent aux besoins croissants des industriels
d’un pilotage plus aisé et plus sûr de leur installation ; ils doivent
également permettre d'assurer une surveillance accrue des installations,
et par là même favoriser le retour d’expérience issu de l’exploitation. La
poursuite de ces objectifs a conduit au recours de plus en plus fréquent à
des logiciels dans les systèmes de contrôle-commande.
Corium
: amas de combustibles et d’éléments de structure du c
œ
ur d’un
réacteur nucléaire fondus et mélangés, pouvant se former en cas
d’accident grave.
Durée de vie
: la durée de vie d'une installation nucléaire n'a pas de
définition légale. On emploie généralement ce terme pour désigner la
durée calendaire d'exploitation d'un réacteur nucléaire du début de
fonctionnement à sa mise à l'arrêt définitif. La durée utile de
fonctionnement du réacteur serait plus pertinente pour mesurer son
vieillissement.
ESPN
: Équipements Sous Pression Nucléaires.
HCTIST
: Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la
Sécurité Nucléaire (créé par la loi du 13 juin 2006)
Joule
: unité légale de l'énergie. Son symbole est J. Le joule traduit une
quantité d'énergie assez petite ; c'est pourquoi on utilise très souvent les
multiples de cette unité : kJ (le kilojoule est égal à 1000 joules), MJ (le
mégajoule est égal à un million de joules). Cette unité a longtemps été
exprimée en calorie avec l'équivalence d'une calorie égale à 4,18 joules
Mélox
: l’usine MELOX, située sur le site de Marcoule dans le Gard,
fabrique des assemblages de combustibles MOX (mélange d’oxyde
d’uranium et de plutonium) destinés aux réacteurs électronucléaires à
eau légère. Elle est aujourd'hui la seule installation nucléaire française
de production de combustible MOX, combustible constitué d'un
mélange de plutonium et d’uranium appauvri.
Pont polaire
: pont de manutention situé sous le dôme du bâtiment
réacteur. Il repose sur des consoles fixées à la structure du bâtiment
réacteur. Il permet la manutention de charges lourdes au-dessus du
réacteur, il fait donc l’objet de contrôles approfondis d'oxydes d'uranium
et de plutonium.
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116
Piscines du réacteur
: la piscine du bâtiment du réacteur comporte deux
bassins séparés par une cloison amovible, appelée batardeau. Le premier
bassin contient la cuve du réacteur et le deuxième des éléments internes
à la cuve qui y sont déposés lors des arrêts du réacteur. Ces bassins
peuvent être remplis ou vidés indépendamment l'un de l'autre. En période
de rechargement, elle est remplie d'eau borée dès que le couvercle de la
cuve est retiré, ce qui permet d'effectuer la manutention des assemblages
combustibles et d'y stocker, en attente, les composants internes à la cuve
REP
: réacteur utilisant de l'eau légère à la fois comme modérateur (pour
abaisser l'énergie des neutrons à un niveau qui augmente le rendement
de la fission) et comme caloporteur (pour transférer la chaleur du c
œ
ur
vers le générateur de vapeur). Le programme électronucléaire français
repose essentiellement sur le développement de cette filière (avec des
réacteurs de 900 MWe, 1 300 MWe et 1 450 MWe) qui compte
également le plus grand nombre d'unités en service dans le monde.
VCI
: Visite Complète Initiale.
Viroles
: la virole (ou "jupe") enveloppe le faisceau de tubes d'échange
de chaleur et a pour fonction de canaliser l'eau d'alimentation à l'intérieur
du générateur de vapeur (GV). L'eau d'alimentation, en provenance du
condenseur, s'écoule vers le bas de l'appareil entre la virole et l'enveloppe
externe du générateur de vapeur. Elle remonte ensuite le long du faisceau
tubulaire où elle extrait la chaleur de l'eau primaire. La vapeur produite
le long des tubes alimente la turbine. La virole est maintenue
verticalement par six blocs supports.
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ANNEXES
117
Annexe n° 2 : présentation du projet
European
Pressurized water Reactor
(EPR)
Framatome et Siemens créèrent le 13 avril 1989 une filiale
commune baptisée NPI (
Nuclear Power International
) afin de concevoir et
développer l’îlot nucléaire d’un réacteur à eau sous pression de nouvelle
génération.
Au mois de juin de la même année, les gouvernements allemands et
français exprimèrent leur soutien à la coopération engagée par Framatome
et Siemens qu’ils concrétisèrent en créant un groupe de travail rassemblant
les autorités de sûreté des deux pays.
Jusqu’en 1992, NPI travailla à la réalisation de ce projet, tandis que
les électriciens français et allemands poursuivaient leurs propres projets de
développement à partir de la dernière génération de réacteurs qu’ils avaient
mis en service. EDF cherchait à développer un réacteur dérivé du N4 et les
électriciens allemands concevaient un produit dérivé du Konvoï.
La convergence des efforts a été organisée à partir du 14 janvier
1992, les électriciens français et allemands et NPI décidant de coordonner
leur travail autour d’un projet commun auquel ils donnèrent le nom d’EPR
(
European Pressurized Water Reactor
).
En 1993, la définition des objectifs généraux de sûreté du projet était
achevée. Ils furent présentés par EDF à l’IRSN et au GRS, avant d’être
examinés par le groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires.
Les principaux objectifs de sûreté sont de réduire les doses
individuelles et collectives reçues par les travailleurs en fonctionnement
normal et lors des incidents d’exploitation ; de réduire le nombre des
incidents significatifs pour réduire les possibilités de situations
accidentelles ; de réduire significativement la fréquence de fusion du c
œ
ur
et les rejets radioactifs pouvant résulter de toutes les situations d’accident
concevables.
Le 23 février 1995, Framatome, Siemens, NPI, EDF et neuf
électriciens allemands décidèrent de réaliser l’avant-projet détaillé de
l’EPR, en précisant dans le contrat qui les liait que les électriciens
allemands et EDF maintiendraient leur organisation industrielle respective
pour la construction des centrales, EDF gardant son rôle d’architecte
ensemblier, les électriciens allemands commandant la centrale complète à
Siemens.
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118
Le «
basic design
» de l’EPR fût achevé en 1997, après que les
partenaires y ont consacré environ 1 million d’heures d’ingénierie. Il fût
alors soumis aux autorités de sûreté allemande et française.
L’Allemagne se retira du projet en 1998. Pourtant, les grandes
options de conception définies conjointement au cours de la période
précédente ne furent pas remises en cause. La genèse du projet, issu de
l’ingénierie de Siemens, Framatome et EDF, en détermina durablement
certaines caractéristiques : l’existence de quatre voies indépendantes de
sécurité, une organisation complexe des bâtiments d’exploitation, etc. Cet
empilement d’ingénieries d’inspirations différentes et d’exigences de
sûreté ne convergeant pas toujours, est souvent présenté comme une des
sources des difficultés de réalisation de l’EPR.
En 1999, les activités nucléaires de Framatome et de Siemens ont
été fusionnées dans une nouvelle société appelée Framatome ANP.
L’EPR est présenté, par ses concepteurs, comme un réacteur
évolutionnaire intégrant beaucoup d’éléments de la technologie des
réacteurs N4 et Konvoï, auxquels ont été ajoutés des éléments nouveaux
qui permettent d’en renforcer la sûreté.
Les principales améliorations apportées par rapport aux réacteurs de
la deuxième génération de réacteurs nucléaires sont les suivantes :
les principaux systèmes de sûreté ainsi que leurs systèmes support
(alimentation électrique, circuit de refroidissement, contrôle commande)
comportent quatre voies indépendantes et géographiquement séparées,
alors que les réacteurs en fonctionnement n’en comportent que deux ;
l’alimentation électrique des systèmes de sûreté est assurée par quatre
groupes électrogènes principaux et par deux groupes électrogènes de
conception différente, permettant de faire face à la perte de
l’alimentation électrique normale et à l’indisponibilité des quatre
groupes électrogènes principaux ;
la réserve d’eau pour refroidir le c
œ
ur en cas de brèche sur le circuit
primaire est située à l’intérieur du bâtiment du réacteur ;
le bâtiment du réacteur, le bâtiment d’entreposage des assemblages
combustibles usés ainsi que deux des quatre bâtiments abritant le
système de sauvegarde sont protégés d’une éventuelle chute d’avion par
une structure en béton (double coque). La sécurité contre des agressions
internes comme l’incendie ou d’explosion est également renforcée ;
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119
la source d’eau utilisée pour le refroidissement des systèmes de
l’installation comporte quatre voies identiques et séparées. En
complément 2 voies utilisant des technologies différentes permettent de
faire face à une perte des quatre voies utilisées en mode commun ;
des vannes de dépressurisation ultime permettent de limiter le risque
d’une fusion du c
œ
ur alors que le circuit primaire serait encore en
pression ;
un récupérateur de Corium permet de récupérer et refroidir le c
œ
ur fondu
en cas d’accident grave ;
c’est un réacteur de forte puissance (1 650 MWe contre 1 450 MWe pour
les N4) ;
il peut fonctionner avec du combustible MOX (ce qui ne sera pas le cas
pour FLA3 cependant) ;
le rendement annoncé est de 37 % contre 33 % pour les réacteurs de la
génération précédente. Ce gain s’explique par une augmentation de la
pression du circuit secondaire (78 bar au lieu de 65 environ) et donc de
sa température ;
la durée de vie prévue pour l’EPR est de 60 ans pour les éléments non
remplaçables, contre 40 ans initialement pour les réacteurs actuels.
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120
Annexe n° 3 : les soudures de traversées
A. Les échanges entre EDF et l’ASN à propos des soudures de
traversées
EDF a informé l’ASN début 2017 de l’existence de « fiches de
non-conformités qui concernent les exigences du référentiel exclusion de
rupture » pour huit soudures sur les traversées de l’enceinte de confinement
du réacteur EPR de Flamanville, soudures qui avaient été réalisées en usine.
EDF a alors précisé que ces exigences n’avaient pas été spécifiées au
sous-traitant en charge de la réalisation de ces soudures. Une inspection de
l’ASN le 21 février 2017 a permis de constater que, pour les autres soudures
des tuyauteries VVP, réalisées sur site, ces exigences spécifiques au
référentiel d’exclusion de rupture n’étaient pas non plus connues par les
intervenants.
L’ASN a en conséquence adressé dans la lettre de suite de cette
inspection plusieurs demandes portant notamment sur les exigences
spécifiques associées à la démarche d’exclusion de rupture.
Le 19 octobre 2017, EDF a présenté à l’ASN la démarche initiée à
la suite de la détection de différents écarts aux exigences du référentiel
d’exclusion de rupture. L’ASN a signifié par courrier du 2 février 2018 que
cette démarche n’était pas acceptable en l’état et a demandé de la compléter
notamment par l’analyse de la possibilité de remise en conformité des
soudures.
EDF a ensuite informé l’ASN, en mars 2018, de la présence de
défauts qui n’avaient pas été détectés lors des contrôles de fin de fabrication
de certaines soudures des tuyauteries des circuits secondaires principaux.
Ce constat a conduit à réaliser une campagne de nouveaux contrôles sur les
150 soudures concernées, dont font partie les 66 soudures des tuyauteries
VVP en exclusion de rupture.
L’entreprise a proposé de déposer une demande de modification non
substantielle du rapport préliminaire de sûreté pour modifier le domaine de
température d’application de l’exclusion de rupture sur ces lignes. Elle a
informé l’ASN, par un courrier du 23 juillet 2018, renoncer à cette
démarche. EDF présentait, dans ce même courrier, la nouvelle démarche
de traitement des écarts qu’elle souhaitait mettre en
œ
uvre et qui
comprenait le maintien en l’état de certaines soudures des lignes VVP en
exclusion de rupture, en particulier les soudures des traversées de
l’enceinte de confinement, qui auraient pu être traitées « en écart au
référentiel exclusion de rupture ».
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ANNEXES
121
L’ASN a noté favorablement qu’EDF privilégiait, pour certaines
soudures des lignes VVP en exclusion de rupture, une remise à niveau
permettant de respecter les spécifications définies par le fabricant pour
décliner les exigences du référentiel d’exclusion de rupture en matière de
résilience
146
.
L’ASN a indiqué également que la démarche de traitement soulevait
d’ores et déjà de nombreuses questions en ce qui concerne les soudures
maintenues en l’état. EDF a informé par ailleurs, d’évolutions de la démarche
en ce qui concerne le procédé de soudage TIG et électrodes enrobées.
B. Le courrier de l’ASN du 18 avril 2018
Ce courrier en date du 18 avril 2018 est signé de l’inspecteur en chef
de l’ASN et adressé au directeur de l’aménagement de Flamanville 3 à
propos du contrôle des installations nucléaires de base et des ESPN
(Chantier EPR Flamanville 3 – INB n°167- Inspection n° INSSN-CAE-
2018-0149 du 10/04/2018 - Contrôles non destructifs de fin de fabrication
des tronçons VVP et ARE).
Dans le cadre des attributions de l’ASN concernant le contrôle des
installations nucléaires de base et des ESPN en référence, une inspection a
eu lieu le 10 avril 2018 sur le chantier de construction du réacteur de
Flamanville 3 sur le thème des contrôles non destructifs de fin de
fabrication des soudures des tuyauteries des circuits VVP1 et ARE2.
Synthèse de l’inspection :
L’inspection du 10 avril 2018 concernait les contrôles non
destructifs de fin de fabrication des soudures du circuit secondaire principal
(CSP), les premiers examens non destructifs réalisés pour le compte d’EDF
dans le cadre de la visite complète initiale (VCI) ayant mis en évidence la
présence d’indications hors critères 3 qui n’avaient pas été décelées lors
des contrôles non destructifs (CND) de fin de fabrication.
Cette inspection avait pour but d’étudier les circonstances qui ont pu
contribuer à l’absence de détection de ces indications lors des CND de fin
de fabrication et d’examiner le plan d’actions mis en place par EDF suite à
la découverte de cette anomalie de détection.
146
Les premiers examens non destructifs réalisés pour le compte d’EDF dans le cadre
de la visite complète initiale (VCI) avait mis en évidence la présence d’indications qui
n’avaient pas été décelées lors des contrôles non destructifs (CND) de fin de fabrication.
L’inspection avait pour but d’étudier les circonstances qui ont pu contribuer à l’absence
de détection de ces indications lors des CND de fin de fabrication et d’examiner le plan
d’actions mis en place par EDF suite à la découverte de cette anomalie de détection.
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COUR DES COMPTES
122
Il ressort de cette inspection, réalisée par sondage et comprenant des
échanges avec quelques intervenants ayant participé aux CND de fin de
fabrication, que l’organisation et les conditions de travail lors des contrôles
de fin de fabrication ont globalement nui à la qualité des contrôles. Par
ailleurs une surveillance inadaptée de ces prestations par EDF, exploitant
de l’installation, et Framatome, constructeur, n’a pas permis d’identifier et
de remédier aux difficultés rencontrées par les intervenants.
Le cas de certaines soudures particulières mérite des investigations
supplémentaires pour comprendre les raisons de l’absence de détection des
défauts les affectant.
Les inspecteurs considèrent que les modalités de réalisation des
nouveaux contrôles de ces soudures par EDF sont appropriées. L’ASN
considère toutefois qu’EDF devra proposer une extension de ces contrôles
à d’autres circuits. L’ASN prendra position sur les actions correctives
proposées par EDF au vu notamment du bilan des contrôles qui lui sera
transmis le mois prochain.
Lors de la visite de terrain réalisée sur la boucle 3 du circuit ARE, les
inspecteurs ont constaté que les qualités d’accostage des composants ainsi
que l’état de surface, après préparation, des soudures n’étaient pas au niveau
attendu. Ceci conduit d’ailleurs fréquemment les contrôleurs à utiliser un
traducteur dit « sub-miniature » pour les contrôles en onde longitudinale 0°
afin d’assurer un contact correct entre le traducteur et la pièce à contrôler.
L’ASN demande de veiller à ce que la qualité de parachèvement des
soudures à contrôler par ultrasons (US) soit adaptée à la nature des
contrôles à réaliser. S’il s’avère que les exigences actuelles sont
insuffisantes pour atteindre la qualité attendue, l’ASN demande de
renforcer ces exigences.
Les entretiens conduits par les inspecteurs avec certains contrôleurs
ayant procédé aux CND de fin de fabrication ont mis en évidence des
pratiques non conformes en matière d’organisation (par exemple contrôle
simultané d’une soudure par deux contrôleurs, un seul signant en fin
d’intervention le procès-verbal de contrôle). Ils ont par ailleurs permis de
relever que le temps moyen de contrôle d’une soudure par le prestataire du
groupement momentané économique et solidaire (GMES) lors de ces CND
était significativement plus court que le temps moyen de contrôle mis en
œ
uvre par les contrôleurs d’EDF.
Tout en étant conscient que le temps de contrôle ne peut pas être un
indicateur fiable de la qualité des contrôles par ultrasons, mais compte tenu
du fait que ces contrôles sont le dernier moyen, avec l’épreuve hydraulique,
permettant de garantir la qualité finale des soudures et doivent donc à ce
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ANNEXES
123
titre faire l’objet d’une rigueur importante, je vous demande de mettre en
œ
uvre des indicateurs d’activité permettant d’interroger, au besoin, la
qualité de réalisation des contrôles effectivement mis en
œ
uvre. Par
ailleurs, l’ASN demande qu’EDF veille bien à ce que chaque contrôleur
puisse documenter les contrôles qu’il a effectivement réalisés.
Ces mêmes entretiens ont mis en évidence l’importance de la
présence sur site d’un contrôleur qualifié « COFREND niveau 3 », à même
de servir de référent technique pour les contrôleurs. L’organisation du
GMES a été récemment revue de manière à intégrer cette exigence.
L’ASN a demandé à EDF de veiller à l’avenir à intégrer cette
exigence dans les marchés relatifs au montage sur site d’éléments
importants pour la protection (EIP4).
L’analyse réalisée, confirmée par les entretiens qu’ont pu avoir les
inspecteurs, montre que certains accessoires indispensables à la réalisation
d’un contrôle de qualité (blocs de référence, par exemple) n’étaient pas
présents sur site en nombre suffisant. Ce type de difficultés avait déjà été
rencontrées sur des chantiers antérieurs.
L’examen par les inspecteurs de quelques dossiers de fin de
fabrication portés par le GMES a montré que la qualité de ces documents
n’était pas à la hauteur de ce qui est attendu pour des éléments importants
pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de
l'environnement. Outre des incohérences factuelles (erreurs d’indices de
procédures, mauvais placement des activités réalisées dans les plans
qualité), il était très difficile pour un lecteur externe de reconstituer
rapidement l’historique de l’équipement examiné. On voit ainsi apparaître
en bas de page des mentions manuscrites relatives à des fiches de constat
(FC4_4520 pour la soudure FW307) alors que toutes les phases du plan
qualité renseigné sont mentionnées conformes. Il sera donc très difficile
dans quelques années, alors que ceux qui ont participé au montage ne
seront plus présents, d’utiliser ces dossiers de manière efficace.
L’ASN demande à EDF d’engager un travail avec le GMES pour
que les dossiers de fin de fabrication soient d’une qualité irréprochable
pour pouvoir être utilisés de manière efficace durant toute la phase
d’exploitation de l’installation.
Les inspecteurs ont examiné lors de l’inspection la surveillance
réalisée par l’exploitant et le fabricant sur la mise en
œ
uvre des contrôles US
de fabrication. Il ressort de cet examen que cette surveillance est très limitée
avec par exemple seulement 5 actions de surveillance réalisées sur
l’ensemble des soudures VVP classées en exclusion de rupture depuis
début 2017. Les inspecteurs ont constaté une activité de surveillance
La filière EPR
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COUR DES COMPTES
124
semblable les années précédentes, et équivalente sur les soudures des
tuyauteries ARE. La surveillance réalisée par
Framatome a été
quantitativement plus significative (une vingtaine de contrôle depuis début
2017).
Si ces opérations de surveillance ont conduit à la détection de
quelques écarts dont celui relatif aux états de surface inapproprié pour la
réalisation de contrôle UT5 ou à l’absence des sens d’exploration du
faisceau d’ondes transversales, elles n’ont cependant été suivies que
d’actions correctives ponctuelles.
La terminologie standardisée pour les contrôles par ultrasons est
« contrôle UT », acronyme anglais pour
Ultrasonic Testing
mais non
proportionnées à l’enjeu de ces contrôles et à la nécessité d’en garantir la
qualité de réalisation.
Par ailleurs, les inspecteurs ont constaté par sondage que la
surveillance du fabricant Framatome s’exerçait par des sociétés prestataires
elles-mêmes impliquées dans la réalisation des opérations de contrôle de
fabrication par US.
Le manque d’implication et d’attitude interrogative de la part de
l’exploitant et du fabricant dans la mise en
œ
uvre des actions de
surveillance s’est traduit par une dérive de la réalisation de l’activité de
contrôle US de fabrication illustrée par de nombreux écarts.
À la suite de la découverte des anomalies de détection de défauts
lors des CND de fin de fabrication, EDF a élaboré un plan d’action
comprenant 5 lots, dont un portant sur l’amélioration de la surveillance
exercée sur ce type de prestation.
L’ASN demande de lui transmettre (Direction des équipements sous
pression, division de Caen) et de transmettre à l’IRSN les résultats des
travaux conduits dans ces différents lots au fur et à mesure de leur
achèvement.
Les inspecteurs ont examiné les dossiers de fin de fabrication de
plusieurs soudures comportant des indications hors critères qui n’avaient
pas été identifiées lors des CND de fin de fabrication.
La procédure de contrôle par ultrasons des soudures de production
n° 128001-0505 est passée à l’indice U le 9 avril 2018. Certaines soudures
ont fait l’objet d’un second contrôle de fin de fabrication dans le cadre de
votre plan d’action avec une version antérieure de cette procédure.
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ANNEXES
125
L’ASN demande qu’EDF confirme que tous les sens de tir UT
prescrits par le code RCC-M (règles de conception et de construction des
matériels mécaniques de l’îlot nucléaire des REP) ont bien été respectés
lors des recontrôles CND.
Elle demande par ailleurs à EDF de veiller, dans les rapports
d'examen, à préciser s’il existe des zones non contrôlables dans la zone de
couverture des contrôles (par exemple : présence d'un piquage gênant le
recul d'un traducteur ou perte locale de couplage due à une singularité
géométrique).
C. Le courrier d’octobre 2018 du Président de l’ASN au
directeur de chantier de Flamanville 3
Dans ce courrier au directeur du chantier, le Président de l’ASN
rappelle que pour le réacteur EPR de Flamanville 3, EDF a souhaité
soumettre les tuyauteries VVP1 à des exigences renforcées visant à
prévenir leur rupture avec un haut niveau de confiance, afin de ne pas
retenir la rupture de ces tuyauteries dans les événements initiateurs à
prendre en compte dans la démonstration de sûreté nucléaire du réacteur.
Le rapport préliminaire de sûreté transmis dans le cadre de la demande
d’EDF d’autorisation de création du réacteur EPR de Flamanville prévoit
ainsi une démarche d’exclusion de rupture des tuyauteries VVP de la sortie
du générateur de vapeur jusqu’au point fixe en aval de la vanne d’isolement
vapeur.
Le II-1 de l’article 2 du décret d’autorisation de création du 10 avril
2007 a encadré cette démarche, qui constitue un élément essentiel pour la
protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1 du code de
l’environnement : « Des dispositions sont prises pour garantir, tout au long
de la vie de l’installation, l’intégrité : [...] des tuyauteries primaires et
secondaires principales pour lesquelles la survenue d’une rupture
circonférentielle doublement débattue n’est pas retenue dans les conditions
de fonctionnement de référence étudiées dans le rapport de sûreté ».
Ces dispositions doivent couvrir l’ensemble des aspects suivants :
-
la qualité de la conception et la vérification associée ;
-
la qualité de la fabrication et les contrôles associés ;
-
le suivi en service devant rendre hautement improbables non
seulement l’apparition d’altérations de l’équipement remettant en
cause la prévention des différents modes d’endommagement mais
aussi l’absence de détection à temps de ces altérations si elles
survenaient néanmoins».
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COUR DES COMPTES
126
Cette démarche, en particulier les contreparties qu’elle nécessite, a
fait l’objet, sur la base du rapport en référence, d’un avis de la Section
permanente nucléaire (SPN) de la Commission centrale des appareils à
pression le 21 juin 2005 et de la lettre de suite en référence, qui définissent
les bases d’un référentiel technique d’exclusion de rupture.
EDF a informé l’ASN début 2017 de l’existence de « fiches de
non-conformités qui concernent les exigences du référentiel exclusion de
rupture » pour huit soudures sur les traversées de l’enceinte de confinement
du réacteur EPR de Flamanville 3, soudures qui avaient été réalisées en
usine. EDF a alors précisé que ces exigences n’avaient pas été spécifiées
au sous-traitant en charge de la réalisation de ces soudures. Une inspection
de l’ASN le 21 février 2017 a permis de constater que, pour les autres
soudures des tuyauteries VVP, réalisées sur site, ces exigences spécifiques
au référentiel d’exclusion de rupture n’étaient pas non plus connues par les
intervenants.
L’ASN a en conséquence adressé dans la lettre de suite de cette
inspection plusieurs demandes portant notamment sur les exigences
spécifiques associées à la démarche d’exclusion de rupture.
Le 19 octobre 2017, EDF a présenté à l’ASN la démarche initiée à
la suite de la détection de différents écarts aux exigences du référentiel
d’exclusion de rupture. L’ASN a signifié par courrier du 2 février 2018 que
cette démarche n’était pas acceptable en l’état et a demandé de la compléter
notamment par l’analyse de la possibilité de remise en conformité des
soudures.
EDF a ensuite informé l’ASN, en mars 2018, de la présence de
défauts qui n’avaient pas été détectés lors des contrôles de fin de fabrication
de certaines soudures des tuyauteries des circuits secondaires principaux.
Ce constat a conduit à réaliser une campagne de nouveaux contrôles sur les
150 soudures concernées, dont font partie les 66 soudures des tuyauteries
VVP en exclusion de rupture.
L’entreprise a proposé de déposer une demande de modification non
substantielle du rapport préliminaire de sûreté pour modifier le domaine de
température d’application de l’exclusion de rupture sur ces lignes. Elle a
informé l’ASN, par un courrier du 23 juillet 2018, renoncer à cette
démarche. EDF présentait, dans ce même courrier, la nouvelle démarche
de traitement des écarts qu’elle souhaitait mettre en
œ
uvre et qui comprend
le maintien en l’état de certaines soudures des lignes VVP en exclusion de
rupture, en particulier les soudures des traversées de l’enceinte de
confinement, qui seraient alors traitées « en écart au référentiel exclusion
de rupture ».
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ANNEXES
127
L’ASN a noté favorablement qu’EDF privilégiait, pour certaines
soudures des lignes VVP en exclusion de rupture, une remise à niveau
permettant de respecter les spécifications définies par le fabricant pour
décliner les exigences du référentiel d’exclusion de rupture en matière de
résilience. Elle a précisé également qu’étant donné les valeurs élevées de
résilience associées au procédé TIG orbital, la reprise de certaines activités
de soudage avec ce procédé était envisageable sous certaines conditions, et
cela sans attendre les résultats du programme d’essais permettant
« d’affiner le décalage de la courbe de transition fragile/ductile lié au
phénomène de vieillissement sous déformation pour le fil I1G utilisé avec
ce procédé ».
L’ASN a indiqué également que la démarche de traitement soulevait
d’ores et déjà de nombreuses questions en ce qui concerne les soudures
maintenues en l’état. EDF a informé par ailleurs, d’évolutions de la
démarche en ce qui concerne le procédé de soudage TIG et électrodes
enrobées.
D. Les inspections entreprises par l’ASN et le dialogue avec EDF
à partir de 2017 s’agissant de la qualité des soudures
À la suite d’une inspection réalisée le 21 février 2017, l’ASN a
relevé que les exigences renforcées de sûreté qui auraient dû être mises en
œ
uvre n’étaient pas prises en compte pour les soudures réalisées, à partir
de 2016, sur le site de Flamanville. Ce constat l’a conduit à formuler un
certain nombre de demandes dans sa lettre de suites d’inspection. EDF a
alors analysé cet écart et détecté que plusieurs de ces soudures ne
respectaient pas ces exigences renforcées. EDF a présenté un premier bilan
de ses investigations en octobre 2017. Elle a ensuite transmis à l’autorité
de sûreté en décembre 2017 une synthèse de sa démarche de traitement des
écarts détectés en usine et sur site.
L’instruction des premiers éléments transmis par EDF au cours de
l’année 2017 a conduit l’ASN à considérer que la démarche proposée par
l’entreprise devait être complétée sur plusieurs points. L’ASN a ainsi
demandé à EDF, en février 2018, de lui remettre un dossier détaillant,
d’une part, l’historique de la caractérisation de l’écart, d’autre part, les
différentes possibilités de traitement de cet écart. L’autorité de sûreté a, en
particulier, demandé à l’entreprise d’étudier les conséquences d’un
renoncement à la démarche d’exclusion de rupture sur la démonstration de
sûreté du réacteur, la possibilité de réparer les soudures ou de remplacer
les tuyauteries concernées et les mesures de suivi en service qui pourraient
être mises en place.
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COUR DES COMPTES
128
L’ASN a alors prévu de recueillir l’avis du groupe permanent
d’experts pour les équipements sous pression nucléaires (GP ESPN) sur ce
sujet au second semestre 2018.
Une inspection menée le 10 avril 2018 a concerné les contrôles non
destructifs de fin de fabrication des soudures du circuit secondaire principal
(CSP). Il ressort de cette inspection, réalisée par sondage, et comprenant
des échanges avec quelques intervenants ayant participé aux CND de fin
de fabrication, que l’organisation et les conditions de travail lors des
contrôles de fin de fabrication avaient globalement nui à la qualité des
contrôles. Par ailleurs, une surveillance inadaptée de ces prestations par
EDF, exploitant de l’installation, et Framatome, constructeur, n’avait pas
permis d’identifier et de remédier aux difficultés rencontrées par les
intervenants.
Les inspecteurs ont également examiné, lors de l’inspection, la
surveillance réalisée par l’exploitant et le fabricant sur la mise en
œ
uvre
des contrôles de fabrication. Il est ressorti de cet examen que cette
surveillance avait été très limitée. Seulement cinq actions de surveillance
furent réalisées sur l’ensemble des soudures VVP classées en exclusion de
rupture depuis début 2017. Les inspecteurs ont constaté une activité de
surveillance semblable les années précédentes, et équivalente sur les
soudures des tuyauteries ARE. La surveillance réalisée par Framatome
avait été quantitativement plus significative (une vingtaine de contrôle
depuis début 2017).
Les écarts de qualité constatés : le diagnostic posé par l’ASN
Sur la base des différentes informations fournies par EDF en 2018
et des inspections réalisées par l’ASN à partir de 2018, un certain nombre
d’écarts ont été relevés et ont mis en lumière :
-
une maîtrise insuffisante de la qualité de fabrication des soudures
VVP ;
-
l’emploi de procédés qui ne permettaient pas systématiquement
d’obtenir les hautes propriétés, notamment mécaniques, attendues
pour ces soudures en exclusion de rupture ;
-
une confiance insuffisante dans les propriétés effectivement obtenues
à la suite des contrôles et essais réalisés.
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ANNEXES
129
Une première erreur a concerné l’absence de transmission des
exigences du référentiel d’exclusion de rupture du fabricant vers son
fournisseur pour la réalisation des soudures. Cette méconnaissance des
exigences a notamment conduit à des choix de matériaux d’apport et de
procédés de soudage inadaptés. Ces choix de matériaux et de procédés
n’ont pas permis de respecter les valeurs de résilience attendues à basse
température pour de nombreuses soudures et notamment les huit soudures
de traversées de l’enceinte de confinement réalisées en usine (selon le
procédé de soudage fil/flux). Ils n’ont également pas permis de justifier de
la maîtrise du phénomène de vieillissement sous déformation. Par ailleurs,
les conditions de réalisation des soudures et la surveillance de ces
opérations n’ont pas été satisfaisantes, conduisant à la présence, pour
certains procédés de soudage, de défauts dans des proportions
inhabituelles.
En outre, les assemblages témoins de soudage n’ont pas été réalisés
et exploités dans de bonnes conditions : manque de matière disponible pour
les réaliser ou encore nombreux écarts relatifs à leurs délais de réalisation
et de dépouillement. Ces écarts ont remis en question notamment la
représentativité, vis-à-vis des soudures de production, de ces assemblages
témoins qui avaient pour objectif d’apporter des garanties quant à la
maîtrise dans le temps des procédés de soudage.
Enfin, les contrôles de fin de fabrication ont été défaillants et n’ont
pas permis de repérer l’ensemble des indications détectables présentes dans
les soudures. Pour les soudures VVP, ce sont ainsi près de 40 % d’entre
elles qui présentaient, après nouveau contrôle, des indications non
détectées en fin de fabrication.
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130
Annexe n° 4 : les deux EPR de Taishan
A. L’implication du tissu d’entreprises françaises concernées
par le marché nucléaire chinois
Sur la quarantaine d’entreprises françaises impliquées dans le projet
de Taishan, une vingtaine d’entre elles sont membres de PFCE –
Partenariat France Chine Électricité, l’association des industriels français
du nucléaire en Chine. Créée en 1997 à l’initiative d’EDF et plusieurs PME
et ETI, PFCE compte aujourd’hui une centaine de membres. Selon l’étude
2018 conduite par PFCE auprès de ses membres au sujet de leurs activités
en Chine, les entreprises françaises continuent d’être impliquées dans le
programme nucléaire chinois. À titre illustratif, les entreprises membres de
PFCE qui ont travaillé pour Taishan et ayant répondu à l’étude ont réalisé
dans le nucléaire chinois, un total annuel de 70 M
€
de chiffre d’affaires
entre 2016 et 2018 (les résultats d’EDF, Framatome et Orano n’ont pas été
inclus dans l’étude).
Plus généralement, entre 2016 et 2018, les 66 entreprises de PFCE
répondantes à l’étude ont généré un total annuel de 209 M
€
de chiffre
d’affaires dans le nucléaire en Chine. Les 3 principaux domaines
techniques concernés sont le domaine des pompes / robinetterie /
compresseurs / groupes de pompage, le domaine électrique (électricité,
instrumentation, contrôle commande) ainsi que la tuyauterie. Ces chiffres
sont en décroissance par rapport à ceux relevés pour la période 2014 - 2015,
notamment en raison de l’absence d’approbation de nouveaux projets
nucléaires en Chine entre 2016 et 2018 et une politique de localisation
chinoise plus prononcée.
L’étude 2018 a aussi mis en évidence le positionnement
technologique des entreprises françaises. Au-delà des réacteurs de
2
ème
génération qui ont continué à générer du chiffre d’affaires, les
entreprises sont également positionnées sur tous les projets de construction
de technologies de 3
ème
génération (EPR, Hualong et dans une moindre
mesure AP1000).
B. Les points communs entre les EPR de Flamanville 3 et de
Taishan 1 et 2
Les points communs entre l’EPR de Flamanville et les deux EPR de
Taishan sont nombreux. Dans tous les cas, on note :
-
quatre trains de sauvegarde, pour l’injection de sécurité moyenne et
basse pression ainsi que pour le circuit de recirculation pour
refroidissement ultime ;
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ANNEXES
131
-
quatre trains pour le circuit de refroidissement intermédiaire (RRI) et
source froide de sauvegarde (SEC) ;
-
quatre générateurs diesel de secours ;
-
une alimentation supplémentaire en cas de manque de tension
généralisé par deux générateurs diesel diversifiés par rapport aux
quatre diesels de secours : le Diesel Ultime secours (
Station Blackout
Diesel Generator
) ;
-
un système de sauvegarde d'alimentation en eau des générateurs de
vapeur (ASG) à quatre trains dont deux diversifiés (2 alimentés par les
diesels et 2 alimentés par les diesels d’ultime secours) ;
-
un système de borication de sécurité ;
-
un réservoir d'eau dans l'enceinte de confinement (IRWST) ;
-
une protection étendue contre le colmatage des puisards de
recirculation ;
-
trois soupapes de sûreté sur le pressuriseur ;
-
des vannes dédiées aux accidents graves (2 trains) ;
-
sur chaque ligne vapeur : deux soupapes principales plus une ligne de
décharge isolable ;
-
une double enceinte de confinement avec protection contre les
agressions externes (coque avion) ;
-
une enceinte interne en béton précontraint avec une peau d’étanchéité
métallique ;
-
une implantation en croix de l’îlot nucléaire à quatre bâtiments de
sauvegarde. Deux, abritant la salle de commande principale, avec
protection contre les agressions externes (coque avion). Deux autres
séparés de part et d’autre du bâtiment réacteur ;
-
un bâtiment combustible avec protection contre les agressions
externes (coque avion).
Des différences de design existent néanmoins entre les deux projets.
D’une manière générale, les différences induites dans les solutions
techniques retenues pour le design EPR construit dans des pays différents,
trouvent leurs origines dans les causes principales suivantes :
-
la réglementation nucléaire et non-nucléaire du pays ;
-
les conditions de site ; sismicité ; température et disponibilité de la
source froide ; température de l'air ;
-
les conditions météorologiques extrêmes (vents extrêmes, tornades,
inondations, glace, neige, tsunami, ...) ;
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132
-
les demandes spécifiques de l'exploitant ;
-
la volonté de localisation de la fabrication des équipements ;
-
les compétences et savoir-faire industriels du pays ;
-
les codes de fabrication (RCC-M, ASME, DIN, Eurocode, ...) et les
standards (niveaux de tension, unités métriques par rapport aux unités
impériales, ...) ;
-
les capacités des fournisseurs locaux et les technologies en évolution
s’agissant par exemple du contrôle commande numérique.
Ainsi, pour Taishan, les principaux éléments de différenciation avec
la centrale de référence Flamanville 3 sont liés aux conditions de site, à la
réglementation locale (traitement des effluents par exemple) au choix de
certains fournisseurs locaux.
Des spécificités de la réglementation et du tissu industriel ont été
prises en compte de manière efficace.
C. Les adaptations techniques entre FLA 3 et Taishan 1 et 2 :
des EPR « tropicalisés »
Des adaptations techniques ont été réalisées à Taishan par rapport à
l’EPR de Flamanville, même s’il existe des caractéristiques communes
entre les deux types de constructions. En effet, le design de Taishan est très
majoritairement basé sur celui de Flamanville 3, sa centrale de référence,
avec quelques éléments de conception d’Olkiluoto 3. On note des
caractéristiques de conception communes de l’ensemble des réacteurs EPR
concernés. Dans les deux cas, la durée de vie des EPR est de 60 ans. Les
composants primaires (cuve, internes de cuve, SG, pressuriseur,
tuyauteries primaires) ont des dimensions identiques et sont comparables.
Les spécificités des conditions de site ont été prises en
considération, ce qui fait dire qu’il s’agit EPR « tropicalisés ». À Taishan,
les conditions de site sont proches d’un climat tropical, avec des
températures eau de mer et air et un taux d’humidité plus élevés. La prise
en compte de ces conditions de site de Taishan, significativement
différentes de Flamanville 3, s’est principalement traduite par :
-
le choix d’une puissance thermique de chaque réacteur légèrement
supérieure à celle de Flamanville 3 (4 590 MWth vs 4 300 MWth à
FLA3) pour compenser la baisse de rendement ;
-
un élargissement des bâtiments HL (matériels électriques et
sauvegarde) de 3 m environ pour permettre l’installation d’échangeurs
RRI/SEC (réfrigération des circuits de l’îlot nucléaire) plus
volumineux ;
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133
-
une augmentation de puissance des groupes froids ayant nécessité
l’agrandissement du bâtiment HN (auxiliaires nucléaires) ;
-
une augmentation de puissance des groupes électrogènes de secours et
d’ultime secours ayant nécessité l’agrandissement des bâtiments HD
(diesels) ;
-
pour la source froide : une prise d’eau en mer à une distance de
plusieurs km, avec un bassin intermédiaire de prise d’eau au niveau de
la plateforme d’installation des tranches et une augmentation de la
capacité de la station de pompage.
Ces EPR ont été validés par l’autorité de sûreté chinoise.
D. L’application du concept d’exclusion de rupture et le cadre
réglementaire applicable en Chine
Il n’y a pas de différence notable dans la construction des réacteurs
de Taishan liée au circuit secondaire principal. En revanche les référentiels
sur lesquels l’autorité de sûreté chinoise travaillent ne sont pas exactement
les mêmes que ceux sur lesquels l’ASN appuie son expertise.
Les lignes principales VVP de l’EPR Taishan sont soumises à
l’application du même référentiel exclusion de rupture (EDR) que celui mis
en
œ
uvre sur l’EPR de Flamanville. L’application du référentiel EDR
permet de ne plus prendre en compte la rupture des tuyauteries rendue
extrêmement improbable par un renforcement des dispositions de
conception, de fabrication, de surveillance en exploitation et d’inspection
en service. Ces dispositions sont décrites dans la dernière version
disponible du rapport de sûreté et sont quasi-identiques à celles de l’EPR
de Flamanville.
Vis-à-vis de la qualité de réalisation des soudures, le métal de base
utilisé pour l’approvisionnement des tuyauteries VVP de l’EPR Taishan est
identique à celui utilisé sur l’EPR de Flamanville. Seuls des procédés de
soudage manuels ont été utilisés pour le montage des lignes VVP de l’EPR
Taishan. Les rapports de fin de fabrication des coupons témoins couvrant
la réalisation des soudures VVP ont fait l’objet d’une vérification et
présentent de bonnes caractéristiques mécaniques. Par ailleurs, des essais
destructifs ont également été réalisés sur des coupons représentatifs des
soudures EDR. L’ensemble de ces éléments a été versé dans un dossier
constitué, qui conclut que les exigences EDR sont respectées et a reçu
l’approbation de la NNSA (Autorité de Sûreté chinoise). Quant aux études
mécaniques, elles ont été menées de façon qui a convaincu l’autorité de
sûreté. Des dossiers de rupture brutale ont été réalisés par Framatome. Les
résultats obtenus pour les lignes VVP sont satisfaisants mais présentent des
marges faibles et ont parfois nécessité des analyses complémentaires.
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134
S’agissant de l’inspection en service, la fréquence des inspections a été
renforcée en passant de 10 ans à 5 ans. L’augmentation de cette fréquence
est liée aux résultats des études mécaniques dans le cadre de ses échanges
avec la NNSA.
Au cours du
licensing
, la NNSA a posé des questions sur le
référentiel EDR compte tenu, d’une part, que ce référentiel n’est pas
reconnu en Chine, d’autre part, que les démonstrations de sûreté des
réacteurs CPR1000 (GEN2) et Hualong (réacteur GEN3 de conception
domestique) s’appuient sur la démarche américaine
Leak Before Break
(LBB). Dans ce contexte, la NNSA a demandé à la joint-venture de
renforcer les dispositions associées à la détection de fuite déjà requises par
le référentiel EDR au titre de la défense en profondeur. Il est important de
noter toutefois que la détection de fuite conserve le statut de « disposition
complémentaire de défense en profondeur » et qu’elle n’est pas valorisée
dans la démonstration de sûreté Taishan (idem FA3). Ainsi, à l’intérieur de
l’enceinte, la détection de fuite sur les lignes VVP, sera renforcée au
premier arrêt de tranche par l’ajout de deux détecteurs de fuite dans des
puisards.
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Réponses des administrations
et organismes concernés
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Sommaire
Réponse du Premier ministre
..................................................................
139
Réponse du président-directeur général d'Électricité de France (EDF) .. 145
Destinataires n’ayant pas d’observation
Président de l’Autorité de s
û
reté nucléaire (ASN)
Directeur général d’AREVA SA
Président du directoire de Framatome
Président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE)
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RÉPONSE DU PREMIER MINISTRE
Je remercie la Cour pour la transmission du rapport public
thématique relatif à la filière EPR, qui a retenu toute mon attention. Je
partage une grande partie des recommandations émises, qui sont
d’ailleurs déjà mises en
œ
uvre pour une part, et souhaite apporter des
éléments d’éclairage sur plusieurs constats.
Le renforcement de la gouvernance des grands projets nucléaires
est une condition-clé de la maîtrise de la performance économique et
industrielle des projets EPR. A ce titre, je partage l’appréciation de la
Cour sur la nécessité d’assurer une meilleure séparation au sein d’EDF
entre les fonctions de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’
œ
uvre,
recommandation qui a d’ailleurs également été émise dans le cadre de
l’audit EPR2 mandaté en 2019 par le Gouvernement ainsi que dans le
cadre de l’audit conduit par M. Jean-Martin Folz, dont la mise en
œ
uvre
rigoureuse des recommandations fait l’objet d’un suivi attentif de la part
du Gouvernement. L’Etat sera également vigilant à la bonne prise en
compte par EDF des recommandations 2, 4 et 5 formulées par la Cour.
S’agissant de la situation d’Areva et du rôle rempli par les
administrations dans l’anticipation des difficultés rencontrées par cette
entreprise, comme je l’avais indiqué dans ma réponse à votre récent référé
relatif aux restructurations des entreprises publiques du secteur nucléaire
civil, les services de l’Etat ont, dès le début de l’année 2013, souligné la
dégradation de la situation financière du groupe Areva et engagé une
réflexion sur son évolution. L’opération de restructuration de la filière a
ainsi pu être menée avec une mobilisation totale des services de l’Etat. Je
souligne à cet égard que la maîtrise de la trajectoire financière d’Areva
fait l’objet d’une attention constante de la part des services de l’Etat, à
travers notamment une participation très active aux organes de
gouvernance de la société dont la fréquence de réunions est élevée. La
Cour évoque la perspective d’une cession à EDF de titres Orano détenus
par Areva ; si l’hypothèse d’une telle cession à EDF n’est pas aujourd’hui
sur la table, la monétisation partielle de la participation détenue par Areva
au capital d’Orano est en revanche envisagée, selon des modalités qui
restent à définir et en tout état de cause à des conditions de marché. La
Commission européenne a d’ailleurs expressément considéré, dans sa
décision du 10 janvier 2017 relative à la restructuration du groupe Areva,
que la cession de la participation d'Areva au capital d'Orano pourrait
constituer un moyen pour Areva de faire face à ses besoins de financement.
S’agissant du constat fait par la Cour d’un suivi défaillant des
projets EPR, il doit être replacé dans le contexte des imperfections de la
gouvernance des entreprises de la filière, dont le fonctionnement n’était
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140
COUR DES COMPTES
pas adapté au suivi de projets de cette ampleur. Le niveau d’information
des administrations de tutelle et de l’Etat actionnaire était insuffisant et
n’a pas permis à l’Etat d’exercer son devoir de vigilance dans des
conditions favorables. Les défaillances que la Cour souligne ont d’ores et
déjà donné lieu, à la demande de l’Etat, à un renforcement des mesures de
suivi des grands projets, en particulier au niveau du conseil
d’administration des entreprises concernées.
Il n’en reste pas moins que le coût de l’EPR a été clairement sous-
évalué lors de la prise de décision, ce qui explique une partie des surcoûts,
ce qui ne doit pas être occulté dans la prise de décision relative à un
éventuel nouveau nucléaire, de même que les enjeux liés à une meilleure
gouvernance de tels projets. Ces enjeux font l’objet d’une attention
particulière de l’Etat dans le cadre de l’étude de l’opportunité et de la
faisabilité d’un programme nouveau nucléaire, sur lequel je reviendrai.
S’agissant du renforcement du suivi des projets, la Cour
recommande que soit conduite une revue semestrielle des projets
stratégiques d’EDF, et des risques qui y sont associés, au sein du conseil
d’administration d’EDF. D’ores et déjà, l’Etat s’assure, à travers sa
représentation au conseil d’administration d’EDF, d’un suivi régulier de
l’avancement des projets EPR et de l’effectivité des plans d’actions
proposés. Compte tenu du risque spécifique identifié sur les projets FA3 et
HPC, et à la suite des recommandations exprimées par l’audit indépendant
de M. Folz, l’Etat a demandé, dans le cadre du conseil d’administration
d’EDF, que ce suivi soit désormais renforcé. Les ministres chargés de
l’économie et de l’énergie ont ainsi dressé la liste des principales
exigences qu’ils souhaitent voir mises en
œ
uvre afin de s’assurer que
l’entreprise et, sous son impulsion, l’ensemble de la filière nucléaire,
entreprennent dès maintenant les efforts nécessaires pour répondre aux
plus hautes exigences de qualité et de performance dans la conduite des
projets de construction de réacteurs nucléaires. Cette demande fera
prochainement l’objet d’un courrier conjoint des ministres chargés de
l’économie et de l’énergie.
Concernant les procédures contentieuses en cours entre Areva,
EDF et Framatome, je ne partage pas l’analyse de la Cour s’agissant du
niveau d’implication de l’Etat dans ces procédures. Les organes de
gouvernance des entreprises concernées sont garants du respect de leur
intérêt social respectif. Ils ont considéré, dans le cadre des discussions
intervenues en 2017 et en 2018, que le recours à des procédures
d’arbitrage spécifiques pour régler les différends concernés était en
mesure de garantir les droits des parties. Dans la mesure où l'Etat est
actionnaire d'EDF et d'Areva SA et pour éviter tout risque de conflit
d’intérêts, le représentant de l'Etat n'a pas pris part aux votes
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RÉPONSES DES ADMINISTRATIONS ET DES ORGANISMES CONCERNÉS
141
correspondants. Un comité spécialisé (dit "comité ad hoc"), composé de
deux administrateurs indépendants et du représentant du contrôle général
économique et financier, a été maintenu au sein de la gouvernance d'Areva
SA pour assurer un suivi régulier de ces procédures d'arbitrage. S’agissant
de Framatome, le comité des indépendants veille à la défense des intérêts
de la société, en étant saisi de toutes les questions relatives aux
conséquences financières des problèmes techniques rencontrés et de celles
relatives aux contentieux qui en découlent. L’Etat veillera, notamment par
sa représentation au sein des organes de gouvernance d’EDF, de
Framatome et d’Areva SA, à ce que l’intérêt de chacune des parties soit
préservé et qu’Areva SA dispose en particulier des moyens nécessaires
pour assurer la protection de ses intérêts de manière efficace, s’agissant
des interactions nécessaires avec les équipes de Framatome (désormais
intégrées au groupe EDF). Je souligne sur ce point que ces procédures
contentieuses, qui ont été portées devant des cours arbitrales, sont
soumises aux règles de confidentialité qui s’attachent à ces processus
d’arbitrage. Par ailleurs, s’agissant des problèmes rencontrés au Creusot,
une procédure pénale est en cours et il lui reviendra de qualifier la nature
des faits. Ces règles de confidentialité trouvent également à s’appliquer
aux différends relatifs aux soudures de Flamanville 3, dont le mode de
traitement juridique n’est pas encore déterminé.
Concernant les projets d’EPR à l’international, EDF et la filière
nucléaire française se mobilisent sur les projets de construction de
nouveaux réacteurs nucléaires à l’export, pour répondre aux demandes
des pays comptant sur l’énergie nucléaire pour décarboner leur économie
ou pour satisfaire leurs besoins en électricité. La France fait partie des
pays disposant d’une expertise de pointe et d’une offre complète qui sont
susceptibles d’intéresser ces pays. Les projets à l’export, y compris en
sous-traitance de fournisseurs de technologie étrangers, contribuent au
maintien des compétences de la filière française. Dans ce contexte, le
Gouvernement soutient de manière constante la filière industrielle
nucléaire à l’export, ce qui a notamment été rappelé en janvier 2019 par
la signature du contrat stratégique de filière.
Ce soutien doit toutefois s'accompagner d’une plus grande exigence
au niveau de l’amélioration des performances de l'industrie française et
d’une limitation des risques pris sur les projets futurs après les difficultés
connues sur les projets EPR récents. Je partage en effet la conclusion de
la Cour suivant laquelle la construction d’EPR à l’étranger est susceptible
de présenter des risques financiers très élevés et qu’à cet égard une
vigilance importante doit être exercée. EDF doit veiller à ce que les
nouveaux projets à l’export ne puissent être réalisés que dans des
conditions financières suffisamment favorables et seulement s’ils
présentent des risques limités pour l’entreprise. Cette exigence est majeure
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142
COUR DES COMPTES
au regard des difficultés connues notamment sur le projet OL3 en Finlande
et des conséquences financières qui en ont découlé.
Je tiens également à souligner les niveaux de sûreté exigés par
l’Etat pour les grands projets nucléaires d’EDF à l’international afin de
pouvoir mettre en place une solution de financement par crédit-export
assuré par Bpifrance Assurance Export, à savoir une garantie
suffisamment robuste, généralement une garantie souveraine, de la part du
porteur du projet et la sécurisation du niveau de rentabilité pour
l’investisseur.
Aussi, je partage la recommandation numéro 7 de la Cour visant à
« définir, avant l’engagement des projets internationaux, leurs niveaux de
risques et de rentabilité attendue ainsi que leurs conditions de financement
et s’y conformer ». Les prospects nucléaires à l’export font du reste déjà
l’objet d’un suivi très étroit de la part des services de l’Etat depuis
plusieurs années, réalisé en particulier par le Comité export nucléaire que
je préside. Des analyses des risques – notamment financiers – sont
systématiquement réalisées sur les projets majeurs préalablement à la
signature du contrat. Ce travail sera poursuivi et renforcé selon la
recommandation de la Cour, afin de définir en amont et de manière
transversale le niveau de rentabilité attendu, le niveau de risques
acceptable et les conditions de financement.
S’agissant de la rentabilité du projet EPR2, je partage
l’appréciation de la Cour selon laquelle la rentabilité prévisionnelle du
programme devra être appréciée eu égard aux risques portés par le
programme et aux coûts d’accès aux sources de financement, qu’elles
soient publiques ou privées. À cet égard, des travaux sont en cours sur les
modalités de financement d’un éventuel programme de nouveau nucléaire
afin de clarifier les cibles de retour sur investissement, compte tenu de la
répartition des risques entre EDF et l’Etat, de la structure de financement
et du modèle de régulation de l’actif. Ces travaux devront permettre
d’évaluer la rentabilité pour EDF d’un éventuel programme EPR2,
préalablement à toute décision d’investissement.
De manière plus générale concernant le sujet du nouveau nucléaire,
le Gouvernement partage les trois recommandations (n° 6, 8 et 9)
exprimées par la Cour, qui sont en cours de mise en
œ
uvre dans le cadre
du programme de travail gouvernemental relatif au nouveau nucléaire.
En effet, en application de la programmation pluriannuelle de
l’énergie, un programme de travail complet a été engagé, qui vise à
analyser les avantages et inconvénients d’une décision de construction de
nouveaux réacteurs, à définir le jalonnement du programme de
construction en cas de décision favorable ainsi que les conditions
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143
permettant d’encadrer ses risques le cas échéant. Ce programme de travail
est construit pour répondre aux questions structurantes que la perspective
du lancement éventuel d’un tel programme soulève : options envisageables
pour répondre aux besoins du système électrique à long terme ; dispositif
adéquat de financement, de régulation ; portage le plus adapté en cas de
décision de construction.
La question de la pertinence d’un nouveau modèle d’EPR est
également soulevée dans le cadre de ce programme. Ainsi, les pouvoirs
publics ont lancé en 2019 un audit destiné à évaluer la pertinence du
modèle EPR2 proposé par EDF, sur la base notamment d’un retour
d’expérience des chantiers EPR en France et à l’étranger, ses coût et
planning de construction prévisionnels, ainsi qu’à analyser les risques et
opportunités liés à un tel projet, et enfin à évaluer son coût de revient en
€
/MWh.
Dans le cadre de cet audit, près de 75 choix de conception ont été
analysés. En synthèse, l’audit conclut que l’EPR2 apparaît robuste dans
son ensemble et que de nombreux progrès sont observés par rapport à
l'EPR (constructibilité avec le retour à une simple enceinte et
l'agrandissement de certains bâtiments notamment), contribuant à
sécuriser le projet. Le retour à une puissance comparable à celle des EPR
de Taishan et à une architecture de la chaudière similaire à l'EPR
Flamanville minimise également les risques en termes d’autorisation par
rapport au concept étudié antérieurement (qui était davantage en rupture).
L’audit conclut également à une amélioration globale des modalités
de mise en
œ
uvre des exigences de sûreté (e.g. diversification des sources
froides pour les systèmes de sauvegarde, amélioration des performances
du système EVU d'évacuation de la chaleur, etc.), tout en soulignant deux
sujets qui devront faire l’objet d’une attention particulière, dont la
reconduction de l'exclusion de rupture (comme souligné dans la
recommandation n° 5 de la Cour).
Enfin, l’audit a noté un effort important d'intégration du retour
d'expérience des projets EPR (Flamanville 3, Hinkley Point C), en matière
de maîtrise de l'ingénierie, d'optimisation de la constructibilité,
d'amélioration de l'industrialisation, de sélection et de surveillance des
fournisseurs et de pilotage de projet.
Ces éléments sont de nature à conforter la confiance du
Gouvernement dans le nouveau modèle d’EPR proposé par EDF si une
décision de construction devait être prise.
S’agissant de l’estimation du coût de revient du nouveau nucléaire,
cette donnée a notamment vocation à alimenter les travaux menés par
ailleurs par RTE dans le cadre de son bilan prévisionnel à l’horizon 2050,
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144
COUR DES COMPTES
qui permettra d’instruire les enjeux de compétitivité du nouveau nucléaire
et de sa place dans le mix électrique de demain comme le recommande la
Cour.
Comme la Cour le relève, il conviendra d’être extrêmement
précautionneux dans l’analyse qui pourrait être faite de la compétitivité
économique (en
€
/MWh) du produit EPR2, en veillant à tenir compte du
coût global du système énergétique, y compris les coûts « système »,
notamment au titre du stockage des énergies intermittentes.
Cet audit sur le modèle EPR2 a été complété par un travail
d’analyse de la filière sur les actions à mettre en place afin de pouvoir
assurer une maîtrise des fabrications permettant de garantir la
construction potentielle de nouveaux réacteurs dans les délais et coûts
impartis. Les plans d’actions proposés par la filière doivent désormais
faire l’objet d’une analyse par les services de l’Etat, qui s’assureront de
leur suivi et des résultats obtenus.
Je souhaite par ailleurs souligner que le Gouvernement n’étudie pas
actuellement uniquement des scénarios à 6 EPR, mais envisage toutes les
possibilités, allant de configurations à 100 % d’énergies renouvelables à
des scénarios conservant une part importante de nucléaire.
Je souhaiterais également préciser que les négociations menées
actuellement par l’Etat français avec la Commission européenne portent à
ce stade sur la future régulation économique sur le parc nucléaire existant.
Pour finir, s’agissant du sujet complexe des soudures à exclusion de
rupture, que la Cour propose de traiter via un référentiel commun, il relève
de la responsabilité de l’Autorité de sûreté nucléaire et des exploitants. Ce
point apparaît d’autant plus sensible que la configuration technique de
l’EPR 2 prévoit de reconduire le principe d’exclusion de rupture pour le
circuit secondaire principal.
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145
RÉPONSE DU PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL
D'ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (EDF)
Ce rapport établit un diagnostic détaillé sur la mise en
œ
uvre de
cette filière depuis ses origines et met en exergue les difficultés
rencontrées. Il intervient au terme d’un processus d’instruction long et
approfondi, auquel les services d’EDF ont apporté un concours actif et
dans la plus grande transparence.
Dans le domaine de l’ingénierie industrielle, chacun ne peut
qu’adhérer aux observations formulées par la Cour sur les difficultés qui
ont entaché la construction des premiers EPR. Nous sommes loin de
l’ambition
d’excellence
que
visent
la
filière
nucléaire
et
plus
particulièrement toutes les équipes d’ingénierie d’EDF.
1 - Pour autant, ces observations ne doivent pas laisser à penser que
la technologie de l’EPR serait une solution industrielle sans lendemain. Le
design et les spécificités des réacteurs EPR, complexes et exigeants, leur
confèrent un niveau de sûreté et de performance jamais atteint jusqu’à
présent.
L’inventaire des problèmes observés au cours des deux dernières
décennies, aussi bien au plan technique que financier, qui portaient en
germe toute la série de difficultés apparues durant la construction des
premiers EPR, ne peut conduire à méconnaître la qualité du produit.
Il serait donc inadéquat, à mon sens, de tirer des conclusions
définitives sur l’intérêt de ce réacteur et de disqualifier par avance les
progrès attendus des performances de l’EPR 2, qui ont été engagés en
liaison étroite avec l’ingénierie de Framatome pour en améliorer le design.
Le bilan qui est fait aujourd’hui ne doit pas masquer la dynamique
d’amélioration dans laquelle toute la filière nucléaire est engagée.
Les deux EPR mis en service à Táishān fournissent de l’électricité
bas carbone à la province du Guangdong en Chine depuis deux ans ; ils
fonctionnent de manière satisfaisante et leurs performances témoignent
bien de la qualité et de la pertinence de ce nouveau réacteur.
De manière générale, le nucléaire n’échappe malheureusement pas
aux
problèmes
inhérents
à
tous
les
grands
projets
innovants
d’infrastructure ou de haute technologie, qui représentent bien souvent des
avancées dans l’histoire industrielle, et ce quels que soient les pays et les
entreprises qui les portent.
EDF, qui mesure le travail restant à accomplir, concentre toutes ses
énergies pour finaliser l’EPR de Flamanville et mener à bien le chantier
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146
COUR DES COMPTES
en cours à Hinkley Point, sous la supervision de l’ASN en France et de
l’ONR au Royaume-Uni.
En dépit des trop nombreux événements qui sont décrits dans le
rapport de la Cour, les acteurs de la filière nucléaire - et tout
particulièrement EDF - se sont mis en situation de progresser dans la
maîtrise des difficultés techniques non encore résolues sur les chantiers en
cours. Ils ont opéré, avec le soutien de l’État pour ce qui concerne AREVA
et EDF, une restructuration et un alignement de leurs organisations.
Les investissements réalisés dans la technologie EPR auront leur
contrepartie dans des actifs répondant de manière structurante aux besoins
en électricité d’un grand pays développé ; leur rentabilité se mesurera in
fine à l’aune de la quantité d’électricité décarbonée que cette technologie
aura permis de produire massivement sur le temps long. En effet, les EPR
sont conçus pour fonctionner pendant 60 ans au minimum.
2 - A l’heure où le réchauffement climatique menace la planète, ce
serait une décision grave de ne pas tirer maintenant, et plus encore pour
les générations futures, tout le profit de cet investissement technologique,
humain et financier.
Les économies d’émissions de CO2 permises par l’électricité
d’origine nucléaire sont massives : elles s’élèvent à 135 millions de tonnes
en 2018, à mettre en regard du montant total des émissions de la France
de 445 millions de tonnes. Elles permettent à la France d’avoir un temps
d’avance sur les pays voisins dans la trajectoire vers la neutralité carbone.
Grâce au grand carénage, la poursuite de l’exploitation du parc permettra
de
faire
perdurer
cette
avance
dans
les
prochaines
années,
concomitamment au développement des énergies renouvelables, auquel le
Groupe participe activement.
La Cour place, à juste titre, les décisions à prendre par le
Gouvernement sur les projets de nouveaux réacteurs en France dans une
perspective de détermination du mix électrique cible aux horizons 2030-
2050. Elle souligne que les choix à prendre seront fondés non seulement
sur les coûts au MWh comparés des différents moyens de production, mais
aussi sur la valeur des services apportés au système électrique (profil de
la production par rapport à celui de la demande, contribution à la sécurité
d’alimentation...) ainsi que sur leur impact respectif sur les réseaux de
transport et de distribution. Les performances réelles des moyens de
production devront être prises en considération, afin de mesurer
précisément leur capacité respective à satisfaire la demande totale
d’électricité, mais aussi la demande ponctuelle en fonction de sa
distribution journalière et saisonnière.
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147
En l’état actuel des technologies, aucun mode de production, qu’il
s’agisse du nucléaire, de l’hydraulique ou des autres énergies nouvelles,
ne pourra satisfaire à lui seul les besoins électriques de demain dans un
monde impérativement décarboné. La solution est à trouver dans une
répartition optimale entre tous les moyens de production disponibles. Le
nucléaire fait partie de la solution. Vous aurez noté que le GIEC, dans ses
simulations pour maintenir la hausse des températures sous la barre des
2°C, considère que la part du nucléaire au niveau mondial va augmenter.
Je veux également souligner la récente prise de position du
directeur général de l’Agence Internationale de l’Energie sur la nécessité,
pour la France, de miser à la fois sur les énergies renouvelables et sur le
nucléaire.
Enfin, dans les circonstances si particulières que nous connaissons,
où la France s’interroge sur le préjudice que représente pour elle la
disparition progressive au cours de ces trente dernières années d’une
partie de son outil industriel, en termes d’emplois et de souveraineté
nationale, il serait incompréhensible de ne pas dessiner d’avenir pour
toute une filière industrielle et un tissu d’entreprises qui participent à la
vitalité de nos territoires et jouissent d’une position compétitive dans le jeu
de nos économies mondialisées.
3 – La Cour recommande de « conduire un exercice de retour
d’expérience complet sur tous les EPR construits ou en cours de
construction ». Cet avis est partagé sans réticence. Mais la Cour ne peut
omettre qu’un tel exercice est déjà largement entamé et qu’il fonde le plan
Excell visant à reconstituer la capacité de la filière à construire de
nouveaux réacteurs nucléaires aux meilleurs standards de sûreté et de
performance.
La Cour a pris connaissance sans aucune restriction des rapports
extérieurs qui ont été établis en toute indépendance. Le rapport de Jean-
Martin Folz sur le chantier de l’EPR de Flamanville a préconisé les
progrès à réaliser pour rehausser les compétences et a plaidé pour une
reconstitution
des
capacités
industrielles
;
dans
sa
première
recommandation concernant la séparation des fonctions de maîtrise
d’ouvrage et de maîtrise d’
œ
uvre, la Cour s’en est d’ailleurs inspiré. Quant
à l’audit commandé par l’État à Roland Berger, cabinet de réputation
internationale sur les questions énergétiques, il apporte un diagnostic sur
les coûts d’une série de réacteurs de type EPR 2, qui conforte la pertinence
des actions entreprises pour limiter et maîtriser ces coûts.
Le plan Excell est la déclinaison par EDF de ces expertises et des
préconisations qui leur sont associées. Il est conduit sous la responsabilité
d’Alain Tranzer qui a rejoint récemment le comité exécutif d’EDF en tant
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COUR DES COMPTES
que délégué général à la Qualité industrielle et aux Compétences
nucléaires. Il s’agit d’un grand directeur de projets, issu de l’industrie
automobile, qui saura apporter, de par son expérience industrielle, le recul
et la vision nécessaires pour regagner la confiance de toutes les parties
prenantes.
Ce plan comporte trois axes d’amélioration : i) de la qualité
industrielle et de la relation avec les fournisseurs et prestataires, ii) des
compétences propres à l’industrie nucléaire, avec notamment un plan
soudage en liaison avec Framatome, iii) de la gouvernance des grands
projets.
L’entreprise a communiqué au Gouvernement à la fin de l’année
dernière un état des lieux de la filière nucléaire et un inventaire des
conditions à remplir pour mobiliser les capacités industrielles nécessaires.
Ces travaux ont été menés conjointement avec le Groupement des
Industriels Français de l’Energie Nucléaire (GIFEN) ; ils portent la
volonté de hisser le collectif au niveau attendu de qualité industrielle et de
performance opérationnelle.
En conclusion, EDF et, avec elle, toutes les entreprises de la filière,
sont mobilisées pour apporter à la France, et aussi à l’export, un réacteur
nucléaire capable de répondre, dans les conditions de sûreté les plus
éprouvées, aux besoins électriques de nos sociétés décarbonées. Les
vicissitudes de ces dernières années nous conduisent certes à revoir nos
organisations et nos méthodes ; mais les performances des EPR de
Táishān, le quasi-achèvement de celui de Flamanville, la confiance
renouvelée du gouvernement britannique confortent notre engagement
pour assurer le succès final de cette initiative industrielle si essentielle
pour notre avenir
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