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Le 16 janvier 2020
Le Premier président
à
Madame Jacqueline Gourault
Ministre de la cohésion des territoires
et des relations avec les collectivités territoriales
Monsieur Julien Denormandie
Ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les
collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement
Réf. : S2019-0001
Objet :
La contribution de la politique du logement à l’amélioration de la
situation de
l’emploi
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a réalisé une enquête sur la contribution de la politique du logement à la politique de
l’emploi.
Au terme de ces travaux, elle
m’a demandé, en application des dispositions de l’article
R. 143-11 du même code, d
appeler votre attention sur les observations et recommandations
suivantes.
La politique d
’aide a
u logement a été établie dans ses principes et son cadre législatif
il y a plusieurs décennies alors que la France connaissait une situation de relatif plein emploi.
C’est l’article L.
301-1 du code de la construction et de l
habitation (CCH),
issu d’une loi de
1977
1
et plusieurs fois modifié depuis, qui en fixe les grands objectifs. Malgré les évolutions
profondes du marché de l’emploi, cette disposition législative n’identifie toujours pas l’aide à
la mobilité des résidents comme l’un d
es objectifs
de la politique d’aide au logement, alors
même que cette mobilité semble détermin
ante pour l’emploi comme l’ont établi diverses
études récentes
2
.
1
Loi n° 77-
1 du 3 janvier 1977 relative au maintien des aides publiques à l’investissement malgré l’institution de
l’aide personnalisée au logement
.
2
Cf
. par exemple :
Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (
CREDOC),
La mobilité
professionnelle bridée par les problèmes de logement
, juillet 2011 ; Inspection générale des finances,
La mobilité
géographique des travailleurs
, janvier 2016.
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Il apparaît pourtant, au-delà des exigences de cohérence des politiques publiques
mises en œuvre par l’État,
que les difficultés de logement liées aux contraintes et exigences
du marché du travail pourraient être en partie corrigées si les besoins des actifs ou des
candidats à l
emploi étaient mieux pris en compte.
1.
EMPLOI
ET
LOGEMENT :
DES
ÉVOLUTIONS
DIVERGENTES
QUI
PÉNALISENT LE FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ DU TRAVAIL
Le marché du travail et la répartition sociale et spatiale des logements sur le territoire,
qui procèdent de déterminants largement autonomes, ont connu, au cours des cinquante
dernières années, des évolutions nettement différenciées.
Alors que l’on relève l’
inadéquation croissante entre la localisation des emplois et celle
d
une offre de logement abordable
3
, la difficulté d'accès à un logement proche d
un emploi
potentiel est régulièrement mise en avant comme un frein à l
appariement sur le marché du
travail.
1.1.
Emploi et logement ont connu des évolutions distinctes depuis
cinquante ans
1.1.1.
Les mutations du travail
Depuis le milieu des années 1970, le marché du travail a connu des évolutions
majeures, résultant tout à la fois du poids croissant du secteur des services, de la féminisation
de l’emploi, mais surtout du développement de formes d’emploi précaire.
La féminisation de l’emploi
(désormais près de 50
% de l’emploi global
) repose pour
partie sur la multiplication d’emplois à temps partiel, voi
re fragmentés, auxquels sont associés
des difficultés en terme de mobilité. Elle pose en outre avec plus d
acuité la question de la
localisation du logement et de sa distance au travail, afin de permettre un compromis entre les
contraintes de deux membres actifs
d’un ménage
. La bi-activité
d’un ménage
contribue par
ailleurs à freiner la mobilité, car elle impose de gérer deux évolutions et multiplie les contraintes
logistiques.
Depuis les années 1980, la progression de l
intérim et des contrats à durée
déterminée (CDD) a
conduit à une plus forte rotation de l’emploi et à la précarisation d’une
part croissante de travailleurs. Cette instabilité concerne également les contrats à durée
indéterminée (CDI), dont plus du tiers sont rompus avant un an et la moitié avant deux ans.
Le développement de mode et de temps de travail partiels, discontinus ou atypiques, accroît
la difficulté, particulièrement pour les jeunes, à accéder à une situation stable dans le
logement, tout en impliquant une mobilité quotidienne.
La prospective réalisée en 2015 par France Stratégie sur les métiers en 2022
4
suggère
la poursuite de ces tendances, notamment la flexibilisation du travail, choisie ou subie, et la
remise en cause, à des degrés divers, des éléments structurants du travail salarié tels que le
lieu ou le temps de travail.
S’agissant de la localisation des emplois, l
es recrutements se sont concentrés
progressivement
au cœur des métropoles, augmentant le nombre et la d
istance des trajets
pendulaires. Ils se sont en outre déplacés vers les régions du sud-est ou de la façade
atlantique, suscitant un appel à la mobilité géographique des salariés.
3
Qualifiée par les études économiques de « désajustement spatial » (
spatial mismatch
).
4
France Stratégie, Rapport du groupe Prospective des métiers et qualifications,
Les métiers en 2022
, avril 2015.
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Sur une longue durée, la dissociation entre les lieux de résidence et de travail s'est
ainsi accrue de façon nette, conduisant à un allongement de la distance entre l
habitat et le
lieu du travail et à une tension croissante pour accéder à un logement
dans les zones d’emploi
.
L
es nouveaux développements de l’organisation du travail
(télétravail, services à domicile),
dont l
ampleur réelle reste mal connue, ne tempèrent que partiellement la contrainte de
déplacement. Enfin, la modération de la progression des salaires, notamment dans le secteur
des services, accentue ces difficultés, malgré une progression des loyers contenue.
1.1.2.
Les évolutions inadaptées du parc de logements
Alors que le marché du travail s
est précarisé et concentré, l
offre de logement, malgré
des progrès quantitatifs et qualitatifs notables, reste mal adaptée aux besoins de mobilité des
actifs.
Outre
l’
inertie en matière de logement, inhérente à la nature des infrastructures en
cause et à la temporalité des politiques d’urbanisme, la dispersion de l’habitat dans le tissu
périurbain a accru la distance à l’emploi et
l
’occupation du
parc de logements des métropoles
souffre d’une insuffisance de fluidité
.
Alors qu’il compte
cinq millions de logements, le parc social représente près du quart
des résidences principales, mais sa saturation et son insuffisante fluidité, déjà relevée par la
Cour
5
, ne lui permettent pas de satisfaire au mieux les besoins de mobilité résidentielle vers
les zones d’emploi.
Dans les zones où il permet une plus grande proximité de l
emploi, les
délais d
attribution -
de l’ordre de plusieurs trimest
res, voire de plusieurs années - y sont
incompatibles avec les conditions d
accès à un nouvel emploi.
Outre
qu’elle justifie en partie
la faible propension à la mobilité des résidents, cette
situation restreint l’offre disponible pour les nouveaux entrants
sur le marché du travail dans
les zones d’emploi les plus dynamiques,
au sein desquelles
l’on constate de moindres taux de
vacance de logement.
Dans ces conditions, le parc privé constitue souvent la seule composante du parc
d’habitat
susceptible de satisfaire rapidement une demande de logement. Malgré une forte
concurrence d
autres usages, ce parc remplit dès lors un rôle important pour le logement des
actifs et pour les aider dans
l’accès à l’emploi, grâce notamment à la disponibilité de petites
surfaces, particulièrement recherchées.
Avec ses caractéristiques globalement adaptées à l
accueil de la mobilité, le parc privé
est cependant confronté à des tensions de marché, résultant aussi de conflits d'usage,
notamment avec les résidences secondaires ou la location de tourisme. Outre son effet sur
les prix, cette tension a pour conséquence
qu’
une sélection
s’opère
à l
entrée des locataires,
tendant à évincer les personnes ne pouvant justifier de revenus confortables
, d’un emploi
antérieur stable ou d
une caution solide.
Au sein du parc privé, la part de la location meublée a connu une forte croissance dans
les grandes villes,
en raison d’
un régime fiscal favorable et de règles locatives plus souples,
mais aussi de son adéquation à une demande de logements satisfaisant aux exigences de
mobilité.
C’est pourquoi l’analyse actuellement conduite par la direction de la législation fiscale
(DLF) des disparités de régime entre location nue et meublée doit être achevée et exploitée.
1.2.
Difficultés de logement et accès
à l’emploi
1.2.1.
Un obstacle important, notamment pour les jeunes
Bien que le volume des emplois non pourvus soit mal appréhendé en termes
statistiques et au plan géographique, les contraintes de la mobilité et ses déterminants rendent
difficile l’appariement
des offres et des demandes sur le marché du travail.
5
Cour des comptes,
Rapport public thématique
,
Le logement social face au défi de l’accès des publics modestes
et défavorisés
, février 2017.
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Les données statistiques disponibles
6
, sur les emplois vacants ou les offres non
pourvues, font apparaitre des niveaux élevés et croissants de difficultés
d’accès à l’emploi
au
sein des pôles métropolitains. Si l'incidence des difficultés
d’accès au logement n’est pas
documentée, elle ne fait pas de doute. Déjà identifié par plusieurs études et également relevé
dans des métropoles d’autres pays de l’
Union européenne, ce lien doit être mieux connu. Cette
préoccupation, partagée par la
direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages
comme
par la
délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle
et Pôle Emploi, doit
aboutir à ce que des données pertinentes soient disponibles pour mesurer le poids relatif des
différents freins à l’embauche
.
A contrario
, différents travaux laissent penser que la mobilité
favorise l’
accès à un
premier emploi ou à un emploi de meilleure qualité
. C’est notamment le cas d
es jeunes, que
la question du logement handicape pa
rticulièrement dans leur recherche d’emploi. Qu’ils
soient en CDD ou en période d’essai, ils ne sont en effet pas en mesure d’accéder à une
location dans le parc privé sans disposer d’un soutien familial, et encore moin
s d
espérer un
accès rapide au parc locatif social, compte tenu des files d
attente habituelles. De surcroît, le
passage du statut d
étudiant à celui de salarié peut se traduire par la perte du bénéfice de
l
aide personnelle au logement ou la réduction de son montant.
La difficulté est également cruciale pour les alternants, qui doivent souvent rechercher
une seconde résidence pour quelques mois seulement.
Plus généralement enfin, les jeunes en situation précaire sont dans l
impossibilité
d
accéder à un logement à proximité des lieux d'offres potentielles d'emploi.
1.2.2.
La distance à l’emploi
: une préoccupation croissante
Les emplois se sont concentrés dans les métropoles alors que dans le même temps,
la dispersion de l’habitat, motivée par un
coût du foncier plus faible et facilitée par le
développement des mobilités collectives ou individuelles, s
est accélérée.
Cette organisation de l’espace entre lieux d’activité et de résidence
atteint ses limites,
du fait de la saturation des réseaux de transport comme des enjeux de développement durable
et du renchérissement du coût des énergies fossiles. Si cette difficulté relève principalement,
de l’organisation des transports et de l'aménagement urbain,
réduire la distance du travail au
logement permet de fluidifier la mobilité pendulaire.
Cette question est en outre centrale pour les employeurs assurant des fonctions
essentielles au sein des métropoles, dont les plus importants gèrent historiquement un parc
de logement ou des dispositifs d’accompagnement (
Assistance publique-Hôpitaux de Paris
[AP-HP] en Île-de-France, SNCF, La
Poste…
). Elle dépasse le champ des services publics et
concerne
d’autres fonctions
essentielles, telles la maintenance ou la logistique, qui peinent à
recruter et à stabiliser leurs salariés.
De façon globale, la contrainte du transport pendulaire constitue un obstacle au
recrutement.
Selon l’
étude
récente d’un site
de recrutement sur internet, seuls un tiers des
personnes à la re
cherche d’emploi interrogé
es accepterait d
effectuer, chaque jour, un trajet
aller-retour de plus de 45 minutes.
Sans conduire à une concentration extrême du logement, l
’accès à l’emploi en zone
urbaine implique donc de renforcer la disponibilité de logements dans ces secteurs.
6
D
irection de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) ou Pôle Emploi
.
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2.
POUR UNE MEILLEURE PRISE EN
COMPTE DE L’EMPLOI
DANS LES
POLITIQUES DE LOGEMENT
Indépendamment des orientations générales d
aménagement du territoire, dont les
choix influent à long terme sur la localisation de l
emploi, de l
habitat et des infrastructures, il
est possible de jouer sur plusieurs leviers de la politique d
’aide a
u logement pour pallier ces
difficultés, sans remettre en cause ses fondements législatifs ou budgétaires.
À
moyen terme, l’
accroissement d
’une
offre abordable dans les zones métropolitaines
dynamiques, cohérente avec les objectifs de mixité et de lutte contre l
étalement urbain, parait
devoir être privilégiée.
À plus court terme, il importe de conforter les mesures visant à accompagner la mobilité
et à mieux prendre en compte
les critères d’accès à l’emploi pour l’attribution de logements
sociaux.
Enfin,
l’attribution des
aides personnelles au logement doit assurer une neutralité de
traitement lors des phases de retour à l
emploi, ce que devrait prévoir l
éventuelle intégration
de ces aides au sein du futur revenu universel d
activité.
2.1.
L’offre de logement
et l’accompagnement de la mobilité
L’action publique en matière
de logement doit viser à mieux satisfaire les besoins liés
à
l’activité
, en privilégiant une off
re ciblée au plus près des zones d’emploi
et en favorisant les
formules adaptées à la mobilité.
Pour chacune de ces orientations, les dispositifs ou réglementations en vigueur
présentent tous
des marges d’optimisation
.
2.1.1.
Accroitre l'offre en zone tendue
La concentration des créations d’emploi dans
certaines zones urbaines, jointe à la
nécessité de limiter les distances domicile-travail,
doit conduire à accroître l’
offre de logement
au cœur des métropoles ou au sein
d’un périmètre d’accessibilité. Ces acti
ons doivent
s’appuyer sur un ciblage plus précis des territoires
pour lesquels il est pertinent de densifier
l’habitat.
Les zonages géographiques traditionnels utilisés pour la politique d
’aide a
u logement
ne prennent qu’indirectement en compte le niveau de l’offre de travail
. Ainsi, le zonage en
lettres
7
, qui résulte d’une
cartographie de la tension
8
des marchés immobiliers locaux et permet
de déterminer des niveaux d’aide en conséquence,
est certes corrélé au dynamisme
économique, mais il
peut aussi résulter d’autres facteurs démographiques, résidentiels ou
touristiques. Ce zonage ne correspond pas exactement aux
zones d’emploi métropolitaine
s
les plus dynamiques, incluant notamment des secteurs littoraux en zone A ou des pôles peu
actifs en zone B.
Comme l
’avait
préconisé la Cour des comptes en 2017
9
, la gestion partenariale et une
approche plus territorialisée de la politique du logement permettraient de tenir compte au plus
près des préoccupations de tous les acteurs locaux, notamment des collectivités territoriales
et des employeurs, comme de la population active en recherche de mobilité.
7
Le zonage « lettres
» est utilisé pour le logement social, l’octroi de certains prêts (prêt à taux zéro
[PTZ], prêt
d’accession sociale) et le droit des bailleurs à une réduction d’impôt pour investissement locatif ou travaux
d’amélioration des logements
loués.
8
En matière de logement, la tension d’un marché immobilier local est définie par le niveau d’adéquation sur un
territoire entre la demande de logements et l‘offre de logements disponibles.
9
Cf. supra.
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À l'exception de l'Île-de-France et, dans une moindre mesure, de l
agglomération
lyonnaise, la disponibilité et le traitement des informations relatives à l
emploi, au logement et
à la mobilité dans les métropoles en développement doivent être améliorées. Il importe de
mettre en relation les données détenues par les différents acteurs (Action Logement, Pôle
Emploi, Institut national de la statistique et des études économiques [INSEE], caisses
d’allocations familiales, opérateurs de mobilité, agences d’urbanisme…
). En prenant en
compte des éléments de prospective locale,
ce qu’autorise
depuis peu
l’application
OTELO
10
,
en complément des données démographiques de l’INSEE,
la prise en compte des besoins liés
à la dynamique de l’emplo
i pourrait être améliorée.
Il importe de rendre prioritaire l
a densification d’une offre
de logements abordables au
cœur ou à proximité imméd
iate des agglomérations, en poursuivant le dispositif mis en place
par
l’article 55 de
la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU)
11
. S
’il vise en
premier lieu à la mixité sociale, ce mécanisme concourt dans le même temps à la satisfaction
des besoins au
cœur
de bassins d
emploi.
Quelques grandes opérations d’intérêt national
(OIN) visent également, dans de
grandes métropoles, à renforcer activement une offre centrale et abordable de logements,
associée au développement d’activités économiques.
La
production
en
vente
en
l
état
futur
d
achèvement
(VEFA)
et
l
acquisition-amélioration, qui se sont développées depuis les années 2000, dans un objectif
de mixité, et sous la contrainte de raréfaction du foncier en zone tendue, contribuent de façon
significative à la production de logements sociaux au cœur des agglomérations, notamment
parisienne.
En revanche,
comme la Cour l’a récemment
mis en évidence
12
,
l’efficacité
des
différents dispositifs de défiscalisation destinés à la production de logement est moins
probante. La différenciation géographique, basée sur le zonage « lettres »,
n’est pas assez
discriminante au profit des secteurs les plus tendus. La quantité de logements produits est
globalement faible et elle concerne surtout le parc intermédiaire à plafond de loyers élevés,
avec un effet limité dans le temps. Le nombre de ces logements accessibles à loyer encadré
est en outre difficile à déterminer, du fait de la sortie progressive de cet engagement au terme
des délais prévus.
La nécessaire mobilisation de la ressource foncière au profit du logement accessible a
donné lieu à des mesures nouvelles, fondées sur la dissociation du foncier et du bâti, ouvrant
des perspectives favorables qui doivent être poursuivies.
Les biens immobiliers vacants constituent également une ressource susceptible
d’améliorer l’offre en zone urbaine
. Une étude de
l’I
nspection générale des finances
13
évalue
à un peu plus de 100 000 le nombre de logements vacants mobilisables et habitables en zone
tendue, dont 55 000 pour les zones A et A bis.
S’agissant des bureaux vacants, le même
rapport indique qu’à l’exception de l’
Île-de-France, «
il n’y a nulle part en
France de bonne
connaissance du parc de bureaux
». S’appuyant sur les
quelques estimations disponibles, il
considère que, si le taux de cette vacance est de faible ampleur, elle représente des surfaces
significatives en Île-de-France. Mais transformer des bureaux en logements est complexe,
notamment en raison de coûts équivalents, voire supérieurs à la construction brute, comme
de la compétence des collectivités locales sur les changements d’usage ou de destination et
les modalités de compensation. Même si cette conversion en logements est délicate, le
potentiel serait de 1 000 à 2 000 transfor
mations par an à l’horizon 2030, encouragé par le
bonus de constructibilité prévu par la loi du 23 novembre 2018
14
.
10
Outil pour la territorialisation de la production de logements.
11
Loi n° 20-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).
12
Cour des comptes,
Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle
budgétaire de l’Assemblée nationale,
La gestion des dépenses fiscales en faveur du logem
ent, mars 2019.
13
Inspection générale des finances (IGF) et
Conseil général de l’environnement et du développement durable
(CGEDD),
Évaluation de politique publique,
Mobilisation des logements et des bureaux vacants
, janvier 2016.
14
Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l
aménagement et du numérique (dite
loi Élan).
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S’agissant du parc social, l’amélioration de la rota
tion, encouragée également par la loi
précitée
, doit permettre de dynamiser une offre en cohérence avec les besoins liés à l’accès
à l’emploi.
Le réexamen triennal des attributions, la mise en œuvre de bourses d’échange ou
l’ouverture à la colocation const
ituent des dispositions qui visent à améliorer la rotation au sein
du parc social. Enfin, et plus largement, le regroupement en cours des bailleurs sociaux, tel
que prévu par la loi du 23 novembre 2018 précitée, offre une opportunité pour faciliter la
mobilité au sein d
un parc social aux contours redessinés.
2.1.2.
Promouvoir une offre adaptée à la mobilité
La pénurie de logements dans les centres urbains conduit au développement de
formules collectives, de la simple colocation d’appartement au co
-habitat dans des ensembles
plus importants.
Des bailleurs privés proposent ainsi des formules de « vivre ensemble » (« coliving »).
Destiné en premier lieu aux jeunes, cette formule repose sur des résidences gérées avec des
studios privatifs meublés et des espaces communs en partage pour les loisirs, les services,
mais aussi le travail.
Des outils comparables sont prévus par le
code de la construction et de l’habitation
,
mais ils sont insuffisamment développés ou accessibles, tels que les foyers de jeunes
travailleurs (FJT) et les résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS), ou encore les anciens
foyers de travailleurs gérés par la société Adoma et reconvertis. Ces dispositifs ont connu une
évolution de leur vocation, et de leur image, qui ne répond que partiellement aux besoins de
mobilité actuels.
Si ces dispositifs concourent néanmoins, comme le souligne la DHUP,
à l’
offre de
résidences services, celle-ci demeure limitée, contrastant ainsi avec
l’essor de l’offre privée
.
La réalité de la demande en ce sens, que traduit également le développement de la
location meublée ou de la colocation, doit inciter à étudier rapidement les moyens
d’encourager l’offre privée
et à promouvoir une offre sociale modernisée.
Une telle étude pourra
s’ap
puyer sur une analyse des avantages fiscaux comparés de
la location nue ou meublée, dont les déterminants ne procèdent pas, en premier lieu, des
objectifs de politique du logement ou de l’emploi.
2.2.
L’accompagnement de la mobilité
2.2.1.
Minorer les coûts induits par la mobilité
Au-delà de la question de la disponibilité de logements, différents obstacles résultant
des coûts associés ou de la modulation des aides individuelles freinent la mobilité.
L
’accès
au logement est souvent rendu difficile par les exigences des bailleurs et par
les frais d’ent
rée liés au dépôt de garantie ou au déménagement. Différents dispositifs ont été
mis en place pour
accompagner l’accès au logement et
favoriser la mobilité. Malgré des débuts
hésitants et difficiles
, l’action d
u groupe Ac
tion Logement, avec l’offre
Visale, progresse au
profit de salariés comme d’étudiants.
Les résultats atteints demeurent toutefois insuffisants par rapport aux enjeux et à une
demande forte, également identifiée par le rapport «
Louer en confiance »
15
, remis en juin 2019
par M. Nogal, député. Ce dernier suggère
d’inclure
, dans tous les mandats de gestion locative,
la garantie de paiement des loyers au bailleur, et leur couverture par voie assurantielle.
15
Nogal Mickaël, Rapport au Premier ministre,
Louer en confiance
37 propositions pour un développement
équilibré et conforme à l’
intérêt général du parc locatif privé
, juin 2019.
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Dans le cadre de son plan d'investissement volontaire présenté en avril 2019, Action
Logement a mobilisé une enveloppe de 100
M€
afin de verser des primes de 1 000
aux
salariés ou aux titulaires d
une promesse d
embauche, qui déménagent pour rapprocher leur
domicile de leur lieu de travail.
Si ces actions sont de m
ise en œuvre
récente, elles visent à satisfaire un besoin réel
et leur évaluation rapide permettrait
d’en optimiser la portée.
S’agissant des aides à la personne, l
eurs critères et leurs règles peuvent se révéler
défavorables en situation de retour à l
emploi comme l
ont montré la Cour
16
en 2015 ainsi que
différents travaux statistiques. Cette pénalisation devrait être atténuée ou disparaître avec la
mise en œuvre de la
contemporanéité de ces aides. Plus largement, la perspective de mise
en
œuvre
d’un
revenu universel d'activité (RUA) débouchera, dans l
hypothèse de l
intégration
des aides au logement dans ce dispositif, sur des modalités de calcul propres à ce revenu de
transfert.
Une prise en compte spécifique des situations de mobilité professionnelle pourrait
accompagner, temporairement, les charges associées à ces transitions vers l'emploi, de façon
à ce qu
elles ne soient pas pénalisantes.
2.2.2.
Les
modalités d’
attributions de logement sociaux
Dans son évaluation précitée sur le logement social, la Cour avait relevé
«
la complexité du système des réservations et de l’existence de critères de priorité
s multiples
et non hiérarchisés
».
De ses origines historiques, le logement social conserve une gestion paritaire d
une
large partie du parc et
l’existence
de quotas réservataires des employeurs en contrepartie de
leur participation à l’effort de construction (
PEEC). Mais l
attribution des logements
correspondants vise à répondre à des demandes généralement faites par des salariés déjà en
fonction et non à celles potentielles de nouveaux entrants.
Plus généralement l
es modalités d’attribution de logement social
ne prennent en
compte que de façon secondaire, voire marginale, la situation par rapport à
l’emploi dans le
secteur géographique considéré. Les occupants du parc social ne bénéficient ainsi
d’
aucune
facilité pour accéder à un nouveau logement aidé à proximité d
’un
nouvel emploi.
Parmi les
critères d’octroi prioritaires visés à l’article L.
441 du CCH, un seul vise
l’emploi, au titre de la reprise d’activité après une période de chômage d
e longue durée. Si cet
article législatif
retient bien qu’il doit être tenu compte de l’
éloignement des lieux de travail et
de la mobilité géographique liée à l’
emploi, les dispositions réglementaires renvoient à la seule
prise en compte au plan local de ce critèr
e par les commissions d’attribution ou les conférences
intercommunales du logement. Or, le très récent décret du 17 décembre 2019 relatif à la
cotation de la demande de logement social
17
laisse toute latitude aux instances locales pour
pondérer les critères.
Enfin, le système
national d’enregistrement (SNE)
des demandes de logement social
n
intègre aucune précision quant à la situation d'emploi, notamment à
l’exigence
de mobilité.
L
examen par la Cour du traitement des demandes a également mis en lumière que celles
déposées par voie numérique se voyaient moins favorablement prises en considération que
celles déposées à un guichet local, pénalisant ainsi les demandes émanant de candidats à
une mobilité entrante.
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Cour des comptes,
Communication à la commission des finances du Sénat,
Les aides personnelles au logement
,
juillet 2015.
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Décret n° 2019-1378 du 17 décembre 2019 relatif à la cotation de la demande de logement social.
Cour des comptes - Référé S2019-0001
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13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Pour tous ces sujets, renforcer les liens et les échanges d
informations entre Pôle
Emploi et les acteurs de la politique du logement permettrait de mieux prendre en compte les
situations à l’égard de l’
emploi, en intégrant notamment les perspectives du marché du travail
dans la gestion des parcs de logements. Des démarches en ce sens ont été engagées avec
des partenariats entre Pôle Emploi et Action Logement, dans le cadre de la récente convention
tripartite fixant les orientations stratégiques de l
opérateur pour la période 2019-2022. Elles
doivent être
encouragées et étendues à d’autres acteurs.
Ces divers ajustements de la politique d
’aide au
logement
, s’ils sont mis en œuvre,
amélioreront la
situation au regard de l’emploi de nombreux français
.
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes :
Recommandation 1 :
améliorer la connaissance au plan local des difficultés de recrutement
en analysant leurs caractéristiques et leurs déterminants et en mesurant la part liée aux
difficultés de logement ;
Recommandation 2 :
renforcer, dans la définition des actions en faveur du logement, la prise
en compte des considérations liées aux objectifs de la politique de l’emploi
;
Recommandation 3 :
densifier l
offre abordable de logements au
cœur
des agglomérations
connaissant des difficultés de recrutement ou à proximité des
nœuds
de communications, en
soutenant la production de logements à loyer maîtrisé, en incitant à la mobilisation des locaux
vacants et en facilitant la mobilité au sein du parc social ;
Recommandation 4 :
sur la base de l
analyse en cours des disparités fiscales entre locations
nues et meublées, examiner leurs effets induits sur l
offre en milieu urbain et rechercher les
possibles inflexions en faveur du logement des salariés ;
Recommandation 5 :
favoriser le développement d
une offre de résidences services à
vocation temporaire, y compris au sein du parc social ;
Recommandation 6 :
veiller, lors
de l’attribution de logements sociaux
, à une prise en compte
minimale au niveau des établissements publics de coopération intercommunale d
un critère
favorisant les rapprochements entre domicile et lieu de travail.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
18
.
18
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes
de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous
fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue
de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé
à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue
entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud