Sort by *
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation du Rapport public annuel 2018
Conférence de presse
Mercredi 7 février 2018
Mesdames, Messieurs,
Comme elle le fait chaque année depuis 1946, la Cour présente ce matin son rapport public
annuel.
À mes côtés se trouvent Henri Paul, président de chambre et rapporteur général, à qui je
tiens à adresser un salut et un remerciement chaleureux pour son rôle très actif dans la
préparation de ce rapport de même
qu’à son éq
uipe, ainsi que les six présidents des
chambres de la Cour et ceux des chambres régionales des comptes présents. Je veux
exprimer une reconnaissance particulière à toutes celles et ceux qui ont contribué à ce
travail collectif par excellence au sein des équipes de contrôle, du Parquet général, ainsi que
dans les services de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes.
Certains sont présents par visio-conférence.
Le rapport public annuel est structuré en trois tomes.
Le premier contient des observations nouvelles sur la performance de quinze politiques ou
organismes publics.
Le deuxième présente les suites données par les gestionnaires aux recommandations
formulées les années précédentes et permet donc aux juridictions financières
Cour et
chambres régionales des comptes
de rendre compte de leur contribution à l’amélioration
de l’action publique.
Enfin, le troisième tome présente notre organisation et nos missions.
Au total, c’est à la fois un rapport d’activité des juridictions
financières et une véritable
« radiographie
» annuelle d’une partie de l’action publique que propose ce rapport. La
diversité des exemples cités dans les deux premiers tomes permet en effet de distinguer de
façon objective les évolutions, progrès et réuss
ites à l’œuvre au sein d’un échantillon de
politiques et d’organismes, mais aussi de cerner les risques à maîtriser et les efforts à
engager ou à poursuivre pour en augmenter l’efficacité et l’efficience.
Avant de vous présenter les quelques idées-forces de notre rapport, je voudrais insister sur
un point et sur quelques données
clés relatives à l’activité des juridictions financières.
Nous avons
souhaité qu’un accent fort soit mis cette année sur le suivi de la mise en œuvre
de nos recommandations. C’es
t en particulier la première fois que nous présentons le bilan
2
de la mise en œuvre de celles qui sont émi
ses par les chambres régionales, conformément à
la loi du 7 août 2015.
Il apparaît ainsi, d’une part, que près de 73 % des 1
647 recommandations émises et suivies
au cours des trois dernières années par la Cour ont été mises en œuvre au moins
partiellement. Pour les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), cette
proportion s’élève à 79
%. Par ailleurs, seules 24 % des recommandations de la Cour et
39,5 % de celles des chambres régionales ont été totalement appliquées.
Parmi elles, certaines ont entraîné des économies substantielles. Je me contenterai de citer
l’exemple du programme budgétaire de l’É
tat destiné au financement des majorations de
rentes, c’est
-à-
dire des remboursements aux compagnies d’assurances et aux mutuelles de
coûts liés à leurs obligations en matière d’indexation des rentes sur le coût de la vie.
Constatant le caractère largement obsolète de ce dispositif datant de 1948, la Cour en a
recommandé la suppression dans un référé de 2017. Cette mesure, introduite dans la loi de
finances pour 2018, entraînera des économies annuelles de l’ordre de 140
M€ à partir
de
2019 et d’1,8 Md€ au total.
Ce que révèlent les données relatives à l’utilisation de nos travaux, c’est à la fois que les
juridictions financières participent au quotidien à la transformation de l’action publique et, en
creux, que leurs rapports pourraient encore bien davantage être utilisés. Étant entendu que
nous ne confondons pas notre rôle avec celui des pouvoirs politiques, qui demeurent
entièrement libres d’arbitrer entre les chemins d’amélioration que nous leur proposons et de
décide
r de leur mise en œuvre.
Trois idées forces traversent le rapport public annuel.
Premièrement, en matière de finances publiques, l’amélioration constatée ne sera
durable qu’au prix d’un accroissement de la maîtrise des dépenses et de l’efficacité et
l’ef
ficience des politiques publiques.
Deuxièmement, pour répondre toujours plus efficacement aux grands enjeux actuels,
les juridictions financières appellent à concentrer les efforts, en clarifiant et ciblant
parfois les objectifs de certaines politiques présentées dans le rapport.
Troisièmement, pour réussir la mise en œuvre des projets de modernisation et en
tirer tout le bénéfice à long terme, les juridictions financières s’attachent à mettre en
lumière les conditions opérationnelles à réunir.
*
*
*
J’en viens maintenant à mon premier message, qui concerne la situation de nos finances
publiques, appréciée au regard des derniers éléments disponibles.
En 2017, le déficit public devrait passer sous le seuil des 3 points de PIB, sous réserve
notamment d
u traitement en comptabilité nationale du coût de l’invalidation, par le Conseil
constitutionnel, de la taxe à 3 % sur les dividendes
traitement qui sera connu seulement au
mois de mars. Si la prévision du Gouvernement d’un déficit public à 2,9 points de
PIB se
vérifiait, cela devrait enfin permettre, après près de 10 années, de sortir en 2018 de la
procédu
re de déficit excessif de l’Union européenne.
3
Ce résultat serait obtenu en grand partie grâce à l’amélioration de la conjoncture, qui a
provoqué un important surcroît de recettes, et, dans une moindre part, aux mesures de
freinage de la dépense prises l’été dernier. Le tout aura permis de compenser la sous
-
estimation des dépe
nses de l’État mise en évidence par l’audit des finances publiques que
j’ai re
mis au Premier ministre en juin 2017.
L’amélioration est donc réelle, et la Cour des comptes ne peut que la souligner et s’en
réjouir.
Pour qu’elle devienne structurelle et donc durable, je veux toutefois souligner qu’aucun
relâchement n’est possible.
Même avec un déficit ramené sous la barre des 3 %, la France continue de présenter une
situation financière plus dégradée que celle de la quasi-totalité de ses partenaires de la zone
euro
avec notamment un budget de l’État dont je veux rappeler qu’il a
été continûment
déficitaire depuis 1974. Parmi les pays dont la dette dépasse le seuil des 60 points de PIB, la
France est celui dont l’endettement croît le plus en 2017, tandis que la dette publique
moyenne de la zone euro rapportée au PIB diminue, elle, de 1,8 point sur la même période.
Dans ce contexte, deux constats conduisent la Cour à appeler à la vigilance.
D’une part, même si l’amélioration de la conjoncture se poursuit et entraîne mécaniquement
une amélioration des comptes publics, cela ne doit
pas pour autant faire l’effet d’un
anesthésiant.
Trop souvent par le passé, les périodes de conjoncture favorable n’ont pas été mises à profit
pour réduire le déficit structurel et retrouver de véritables marges de manœuvre budgétaires,
nécessaires pour faire face à une éventuelle dégradation du contexte économique.
La question de fond de l’efficacité de la dépense publique, c’est
-à-
dire de l’utilité de chaque
euro dépensé, n’est pas réglée. En témoignent de nombreux exemples relevés dans les
travaux des juridictions financières.
D’autre part, les conditions à réunir pour atteindre les objectifs fixés pour les années à venir
par la loi de programmation sont loin d’être d’acquises.
Pour 2018, la loi de finances ne prévoit qu’un recul faible du déficit
, et le poids de la dette
publique devrait encore légèrement augmenter.
Au-delà de 2018, la loi de programmation des finances publiques prévoit une concentration
de l’effort de réduction des déficits sur les années 2020 à 2022. Elle repose sur l’hypothès
e,
par nature incertaine, du maintien du rythme actuel de croissance sur toute la période, et sur
des hypothèses d’économies qui doivent être affermies et se concrétiser.
Pour l’État, il s’agit de réformes dont les contours et les périmètres restent encor
e à définir et
à préciser. Pour les collectivités territoriales, les cibles prévues pour les dépenses de
fonctionnement et les excédents apparaissent très ambitieuses, à un niveau en tout cas
jamais observé dans les cinquante dernières années. Pour la sécurité sociale enfin, les
économies attendues supposent un effort soutenu de maîtrise des dépenses de santé.
L’effectivité de l’amélioration en 2018 et au
-
delà requerra donc qu’en matière de maîtrise des
dépenses, les ambitions du Gouvernement tiennent toutes leurs promesses et que des
4
réformes d’ampleur structurelle soient mises en œuvre sans retard, notamment dans le
cadre des travaux de la démarche « Action publique 2022 ».
Voilà pour le cadre général dans lequel les décideurs publics sont contraints de penser leur
action s’ils souhaitent atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés.
Pour les appuyer dans leurs efforts, les juridictions financières ont analysé, dans le rapport
présenté aujourd’hui, une grande série de cas concrets de politiques et de di
spositifs publics,
et relevé des réussites et des améliorations nécessaires. S’il faut, bien entendu, se garder de
généraliser à outrance les constats particuliers, ce travail permet d’aborder les grands enjeux
de l’action publique par l’angle du réel, du
terrain.
Je voudrais évoquer ce matin sept de ces grands enjeux. Face à eux, il apparaît clairement
que les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs. Mais
, pour qu’ils puissent
répondre plus
efficacement encore à ces grands enjeux, des progrès importants restent à accomplir.
Premier grand enjeu traité dans le rapport : la modernisation numérique de l’action publique.
Depu
is 2011, l’État s’est doté d’une structure de gouvernance de son système d’information
dotée de compétences reconnues, en charge
d’appuyer les ministères pour faire profiter le
service public des opportunités offertes par les nouvelles technologies. Il a mis en place une
stratégie reposant sur une mutualisation des investissements, une optimisation des
ressources existantes à travers le partage des méthodes, des codes et des données et la
diffusion des innovations. Des jalons importants ont donc été posés et la Cour s’en réjouit.
Au regard des bénéfices attendus, elle appelle encore à une amplification de cette démarche
et formule deux orientations et quatre recommandations concrètes, parmi lesquelles : le
déploiem
ent accéléré de la stratégie d’É
tat-plateforme ; le renfo
rcement de l’attractivité de
l’É
tat comme employeur pour recruter et fidéliser les talents qui lui manquent dans certains
domaines précis ; la création d’un programme budgétaire supportant les dépenses
numériques et informatiques à vocation transversale.
En matière de santé, le développement des services publics numériques constitue une
opportunité et, surtout, une condition de la création de parcours de soins coordonnés entre
les différents professionnels de santé. Des progrès importants ont été enregistrés depuis
cinq ans, avec notamment la poursuite du déploiement d’ameli.fr, le portail des se
rvices en
ligne de l’as
surance m
aladie, et la relance récente par la Caisse nationale d’assurance
maladie du projet phare du dossier médical partagé. Les pouvoirs publics doivent désormais
afficher pour ambition d’ancrer ces nouveaux services dans les usages et de leur permettre
de contribuer à l’évolution des pratiques médicales. Ils doivent pour cela régler rapidement
plusieurs prérequis identifiés par la Cour, mais également enrichir, mieux exploiter les
données de santé afin de tirer pleinement profit de leur potentiel majeur.
Même si la dématérialisation des procédures ne représente qu’un pan des efforts de
modernisation numérique, elle constitue un défi de taille pour les administrations. Le rapport
public annuel présente un exemple de défi relevé par la police et la gendarmerie nationales
et presque entièrement relevé par les polices municipales : celui de la dématérialisation de la
gestion des amendes de circulation et de stationnement. Le remplacement du carnet à
souches par le procès-verbal électronique a emporté de nombreux avantages, comme la fin
des erreurs liées aux ressaisies, l’accélération des délais ou la réduction des coûts.
Plusieurs marges d’amélioration demeurent pour assurer l’efficacité de cette politique –
c’est
-
à-dire ses effets en faveur de la sécurité ro
utière. Il s’agit notamment d’augmenter la qualité
du fichier des immatriculations et celle de l’identification des véhicules non immatriculés en
France. Il s’agit également de faire croître le taux de paiement des amendes, en particulier
5
celles qui sont i
ssues des constats d’infractions liées aux radars. L’insertion montre qu’il y a
des marges de progrès.
Deuxième grand enjeu, qui change « la donne » pour plusieurs services et dispositifs
publics : le réchauffement climatique et la nécessité qui en décou
le d’accompag
ner la
transition énergétique.
L’exemple des aides pour l’électrification rurale, créées en 1936 et reposant sur un système
de péréquation entre territoires urbains et ruraux, est particulièrement éclairant. Si celles-ci
doivent désormais évo
luer, c’est notamment pour relever des défis nouveaux ou s’adapter
aux enjeux croissants, comme la transition énergétique dans les territoires ruraux et les
besoins spécifiques des espaces ultramarins.
La réforme de la gestion des domaines skiables par les communes des Alpes du Nord relève
de la même urgence. L’évolution du climat et de la demande rendent inévitables des choix
stratégiques concertés entre communes et un nouveau mode de gestion des concessions.
Enfin, il est impératif que l’installation d’ici à 2024 de près de 39 millions de compteurs
communicants Linky par Enedis, filiale à 100
% d’EDF, emporte de réels progrès dans
l’optimisation de notre consommation individuelle et globale d’électricité. Le rapport de la
Cour souligne les défis qui s’
annoncent pour que cette opération chiffrée à 5,7
Md€
permette
réellement de « transformer l’essai
» au bénéfice des utilisateurs, c
e qui n’est pas encore le
cas aujourd’hui.
Le troisième grand enjeu traité dans le rapport public annuel est celui de l’em
ploi.
Destinés initialement à faciliter l’insertion professionnelle, les contrats aidés ont été
largement mobilisés pour réduire le chômage à court terme et favoriser la cohésion sociale
et territoriale, au prix de dérapages financiers importants, d’effets d’aubaines notables et
d’un accompagnement insuffisant. Pour garantir l’efficacité et la soutenabilité du dispositif, la
Cour appelle à le recentrer sur les publics pour lesquels il est le mieux adapté, c’est
-à-dire
pour ceux qu’il n’est pas possible d’
orienter vers des dispositifs de formation plus intensifs et
qui ne requièrent pas pour autant un accompagnement global. Certaines orientations
annoncées par le Gouvernement vont dans le sens de ces propositions
la Cour sera
attentive à en analyser la portée et les résultats.
Les juridictions financières se sont également penchées sur la santé publique, à travers le
cas de la politique vaccinale. La fragilité constatée de certaines couvertures vaccinales
apparaît comme le résultat d’une hésitation croiss
ante et particulièrement forte de la part des
Français, dans un contexte marqué depuis vingt ans par de multiples crises sanitaires et par
des controverses voire des campagnes de désinformation relayées sur internet et les
réseaux sociaux. Face à cette situation, la mobilisation des pouvoirs publics a été tardive et
trop timide pour permettre d’inverser véritablement la tendance. Pour rétablir une confiance
durable dans la vaccination, c’est
-à-dire dans une action publique de santé parmi les plus
efficaces tout en étant peu coûteuse, la Cour recommande des actions vigoureuses. Elles
passent notamment par la simplification et la facilitation des parcours de vaccination, et par
le déploiement d’une communication active.
L’enjeu de la prise en charge des pers
onnes âgées dépendantes et des personnes en
situation de handicap est abordé, quant à lui, à travers l’exemple de la gestion de la Caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie. Créée en 2004, cette dernière con
sacre tous les ans
plus de 23 Md
€ aux politiques d’aide à l’autonomie de ces publics. Nous constatons qu’elle a
6
su prendre en charge avec efficacité les missions de plus en plus larges qui lui étaient
confiées, et a fait des progrès notables, notamment en matière de systèmes d’informatio
n et
d’articulation de son rôle avec celui des département
s. La Cour appelle à consolider,
poursuivre ces évolutions positives en revoyant les modalités de la répartition des crédits
aux agences régionales de santé et de l’attribution des aides individuell
es, afin de réduire les
fortes disparités territoriales qui sont encore constatées.
Le sixième enjeu que j’évoquerai est celui de la sécurité publique, illustré par l’exemple de la
régulation des activités privées de sécurité. Ces dernières contribuent de manière croissante
à la sécurité des Français, et leurs effectifs représentent désormais l’équivalent de plus de la
moitié des forces de sécurité publique.
Face à cette situation nouv
elle, la Cour a constaté que l’É
tat ne jouait pas encore pleinement
le rôle de pilote nécessaire pour définir clairement les critères de recours aux sociétés
privées et leurs modalités de coopération avec les forces de l’ordre, lorsqu’elles interviennent
dans l’espace public. Par ailleurs, les résultats obtenus par le Consei
l national des activités
privées
de
sécurité
(Cnaps
),
l’autorité
de
régulation
chargée
de
moraliser
et
professionnaliser le secteur, ne sont pas à la hauteur des attentes.
Le contrôle de la moralité des demandeurs de titres autorisant l’exercice d’une ac
tivité privée
de sécurité apparaît en effet inégal et, de façon générale, trop indulgent. Il conduit à délivrer
des cartes et autorisations à des personnes ayant des antécédents judiciaires relatifs à des
faits parfois graves et manifestement incompatibles
avec l’exercice d’une activité privée de
sécurité. En outre, les sanctions prononcées par le Cnaps, dans le cadre de sa mission
disciplinaire, apparaissent insuffisamment effectives et dissuasives.
Sur la question glob
ale du rôle de régulateur de l’É
tat dans un contexte de gouvernance
partagée, je vous invite par ailleurs à prendre connaissance du chapitre portant sur ses
relations avec le mouvement sportif
. Dans ce domaine également, l’É
tat devrait mettre en
place une régulation plus étroite des fédérations, pour mieux convenir des termes de leur
contribution aux objectifs de la politique nationale du sport et pour leur imposer enfin
l’obligation de respecter des règles de gouvernance et de gestion, mais aussi des règles
éthiques.
Enfin, le dernier enj
eu que je citerai est de nature transversale : c’est celui de la gestion de la
dette des organismes publics. Deux chapitres du rapport annuel soulignent que l’
État a bien
pris la mesure des risques considérables
sur le plan financier mais aussi et surtout, in fine,
pour la continuité de l’action publique –
que peut revêtir un pilotage mal avisé de
l’endettement public.
Le premier est consacré à la sortie des emprunts à risque des collectivités locales
sortie
dont le coût global pour les finances publiq
ues de l’
État et des collectivités locales a été
estimé par la Cour à environ 3 Md€, dont 2,6 Md€ d’aides distribuées aux collectivités
locales. C’est à ce prix que les risques financiers et juridiques liés aux emprunts les plus
toxiques ont été maîtrisés, dans le cadr
e d’une démarche globale enclenchée par l’
État
début 2013 et mise en œuvre avec rigueur et réussite.
Le deuxième chapitre a trait à la dette des hôpitaux, dont le montant a été stabilisé dans les
années récentes grâce à une meilleure maîtrise des dépenses
d’investissement, à la mise
en place d’un fonds de soutien destinés aux établissements ayant contracté des emprunts
structurés et à la création d’une procédure de validation interministérielle des projets
d’investissement les plus importants. Cette procéd
ure comporte toutefois des limites : je
7
pense notamment au fait que les projets validés n’englobent pas toujours l’intégralité des
dépenses liées à l’investissement envisagé, et qu’un traitement différencié soit réservé aux
investissements de l’Assistance
publique
Hôpitaux de Paris (AP-HP).
La vigilance la plus étroite demeure de mise, au regard de l’érosion de la capacité
d’autofinancement
des
hôpitaux
et
du
financement
incertain
du
nouveau
plan
d’investissement lancé récemment par le Gouvernement pour
la période 2018 à 2022.
L’exemple de la situation de l’hôpital de Longué
-Jumelles, dans le Maine-et-Loire illustre
d’ailleurs de façon très concrète les conséquences d’un pilotage risqué,
opaque de la gestion
et du refus de s’inscrire dans une offre de s
oins cohérente au niveau du territoire.
En définitive, être à la hauteur des grands défis actuels suppose que les objectifs de certains
dispositifs publics spécifiques soient adaptés aux grands enjeux finaux de l’action publique.
Au prix parfois d’une clarification ou d’un ciblage accru.
Cela suppose, parallèlement, nécessairement, que soient remis en question certains
objectifs historiques et parfois dépassés. C’est la raison pour laquelle nous appelons
notamment à resserrer les missions de la douane en matière fiscale, en supprimant les taxes
obsolètes dont les coûts de gestion apparaissent disproportionnés, comme les taxes sur les
farines et les céréales, en simplifiant nettement la collecte de certaines autres taxes et en
déchargeant cette administration de la gestion des droits de port et de la totalité de ses
activités de recouvrement fiscal.
C’est également pour cela que la Cour appelle à une révision profonde du régime des aides
à la presse écrite, qui souffre d’un ciblage insuffisant, d’une coh
érence approximative et
d’une transparence limitée. Elle formule des recommandations destinées notamment à
permettre aux pouvoirs publics de s’emparer des nombreux défis nouveaux ouverts en ce
domaine par les évolutions numériques.
Enfin, je voudrais évoquer les conditions opérationnelles à réunir pour réussir la mise en
œuvre des projets de modernisation et en tirer tout le bénéfice à long terme.
À travers les
exemples traités dans le rapport public, les juridictions financières ont passé plus
particulièr
ement en revue trois aspects concrets de cette mise en œuvre, et formulent à leur
sujet des recommandations précises.
Tout d’abord, le rapport met l’accent sur la nécessité d’accorder une attention très étroite à
l’organisation institutionnelle d’un proje
t, pour garantir un partage clair des responsabilités et
des tâches.
C’est pourquoi il recommande de repenser l’organisation institutionnelle de l’alimentation en
eau potable du Grand Paris en en confiant complètement la compétence à la métropole et
non,
comme c’est le cas actuellement, aux 12 établissements publics territoriaux qui la
composent. En cohérence avec les autres recommandations formulées par les juridictions
financières au sujet de la métropole, dans le cadre d’un référé adressé au Premier min
istre
en octobre 2017, cela permettrait d’optimiser l’utilisation des installations de production et de
gérer de façon coordonnée les ressources.
C’est également la raison pour laquelle nous proposons que les communes concernées
évaluent la pertinence de transférer aux intercommunalités les équipements structurellement
déficitaires que sont les piscines et les centres aquatiques. La mutualisation des moyens
8
techniques, juridiques et financiers qui en résulterait garantirait à la fois une rationalisation
de
l’offre et une gestion plus rigoureuse des équipements.
L’exemple de la politique du tourisme dans l’ancienne région Languedoc
-Roussillon,
désormais partie intégrante de la région Occitanie, est particulièrement révélateur, lui aussi,
des progrès qui restent à accomplir pour rendre cohérent le partage des tâches locales. Les
actions en faveur du développement touristique du Languedoc-Roussillon sont en effet
éclatées entre plus de 130 offices de tourisme et structures départementales, avec des
démarches au mieux redondantes et, au pire, concurrentes. Les juridictions financières
appellent donc à un effort important de coordination et de planification par la nouvelle région.
L
a création de l’É
cole nationale supérieure maritime visait, quant à elle, à concentrer les
moyens consacrés à la formation maritime et à en améliorer l’attractivité par une réforme
pédagogique et la délivrance du titre d’ingénieur. Mais elle a pâti d’un manque évident de
préparation, notamment en ce qui concerne la stratégie d’implan
tation immobilière,
dispersée aujourd’hui entre quatre villes. La Cour appelle donc, entre autres, à une révision
rapide des
modalités de gouvernance de l’É
cole et à la rationalisation de ses implantations
territoriales, qui pourraient être concentrées sur un seul site, ou sur les deux sites de
Marseille et du Havre.
Deuxième modalité concrète de mise en œuvre observée cette année par la Cour : les
efforts de rationalisation et donc de mutualisation des moyens, notamment immobiliers.
Dans ce domaine comme dans les autres, les juridictions financières rappellent que
l’achèvement des projets ne signifie pas l’achèvement des efforts. Un pilotage étroit et au
long cours doit prendre le relais pour que tous les bénéfices des investissements souvent
massifs soient retirés. Je donnerai trois exemples.
Le premier est celui du « projet Balard », c’est
-à-
dire du regroupement de l’administration
centrale du ministère des Armées dans un bâtiment unique construit sur le fondement d’un
partenariat public-privé. La Cou
r met en évidence trois points. D’abord, même si le choix
d’un partenariat public
-
privé s’est imposé avant tout à cause du manque de ressources
budgétaires publiques disponibles, il s’est avéré adapté dans ce cas d’espèce, du fait de la
complexité de la co
nstruction d’un bâtiment sécurisé à tous points de vue et de l’exigence
des prestations. Ensuite, le projet a été mené à bien dans les temps, pour un résultat à la
hauteur des attentes de ses usagers
: il constitue aujourd’hui une réussite opérationnelle.
En
revanche, son plan de financement à long terme, qui était gagé sur la réalisation
d’économies importantes et qui ne se sont pas concrétisées, ne sera sans doute pas atteint.
Surtout, la Cour appelle à un renforcement du pilotage de la gestion de ce contrat de long
terme, crucial pour éviter un dérapage supplémentaire des coûts et faire respecter ses
obligations par le partenaire privé.
Deuxième exemple : le regroupement des services centraux des ministères chargés de
l’équipement, de l’environnement et
du logement. Achevé au premier semestre 2017, il a
permis de faciliter le fonctionnement quotidien des services, de rationaliser l’espace
disponible et d’améliorer la performance environnementale des bâtiments. Le bilan
budgétaire et financier de l’opération montre que les dépenses d’investissement ont été
maîtrisées et les dépenses à caractère exceptionnel financées en partie par des économies
internes. Mais il révèle également des surcoûts évitables, dus à des montages juridiques
complexes et à la mobilisation de financements privés. Pour maximiser les bénéfices
attendus de ce projet, la Cour appelle notamment à optimiser l’utilisation des surfaces
demeurées vacantes à l’issue des déménagements.
9
Troisième exemple : la rénovation de 15 % de la surface globale des bâtiments
universitaires, engagée en 2007 dans le cadre de l’opération Campus. La mise en œuvre de
cette opération s’est éloignée progressivement de ses principes d’origine, s’agissant
notamment de la sélection des projets et des modalités de financement. Son bilan apparaît
en demi-
teinte, parce qu’un quart seulement des opérations a été livré dix ans après son
lancement, et parce qu’elle n’a pas été articulée avec une démarche d’accompagnement des
universités vers l’autonomie dans la gestion de leur patrimoine. L’urgence est désormais de
ne pas perdre le bénéfice des importants investissements consentis en organisant dans la
durée la gestion et l’entretien du nouveau patrimoine immobilier, en tirant tout le parti des
compétences acquises au ministère et dans les universités, en prévoyant un plan de
stratégie patrimoniale dans tous les contrats pluriannuels conclus entre ces dernières et
l’É
tat.
Enfin, et c’est un message réitéré des juridictions financières, le succès final des démarches
de modernisation dépend de la capacité des gestionnaires à prêter une attention très étroite
aux résultats de leur action pour les usagers des services publics. Les politiques publiques
n’ont de sen
s que si elles sont efficaces.
C’est pourquoi nous appelons si souvent à mettre en place dès la création d’un dispositif les
modalités de son contrôle
interne et externe
et les remontées d’information nécessaires
à son évaluation.
C’est l’un des messages du chapitre relatif au service civique et à l’agence chargée
de son
déploiement. Créé en 2010, le service civique a fait l’objet d’une montée en charge réussie,
grâce
à la grande mobilisation de l’État à tous les niveaux. D’environ 35 000 en 2014, les
effectifs de bénéficiaires approchaient 140 000 fin 2017. Étant donné son coût, entièrement à
la charge de l’É
tat, il est désormais nécessaire de veiller au respect systématique des
principes fondateurs du service civique, et éviter ainsi que les missions offertes ne
s’assimilent à des emplois, des stages ou des foncti
ons de bénévoles déguisés, mais
correspondent bien à un engagement personnel du jeune dans une mission d’intérêt général.
Une évaluation globale des effets du dispositif, tant pour les jeunes volontaires que pour les
bénéficiaires de leurs actions, pourrait aussi utilement être menée.
Autre exemple : celui des dispositifs de remise et de transaction en matière fiscale, qui
permettent de procéder à des diminutions voire à des abandons d’impôt pour tenir compte
des situations spécifiques des contribuables, p
our un montant de 526 M€ par an en
moyenne. 36
% de l’ensemble des demandes de remise gracieuse sur la période 2011
-2016
concernaient la taxe d’habitation. En raison de disparités particulières en matière d’assiette
et de taux, cet impôt peut en effet atteindre des niveaux élevés au regard des capacités des
contribuables. La marge d’appréciation laissée à l’administration fiscale dans l’utilisation des
remises et transactions suppose, en contrepartie, des dispositifs de contrôle interne et de
restitution sa
ns faille, afin notamment d’assurer l’homogénéité des pratiques sur l’ensemble
du territoire. Or, la Cour a pu constater
, entre autres, que l’égalité de traitement des
contribuables sur tout le territoire national n’est pas suffisamment garantie par les mo
dalités
actuelles de suivi des pratiques des différents services des impôts.
La lutte contre la fraude aux cotisations sociales apparaît enfin comme une politique à
relancer, notamment face au développement des nouvelles formes de travail. Le nombre de
contrôles
et d’actions de lutte
contre cette fraude diminue en effet dans les Urssaf, tandis
que le montant total des redressements stagne et que celui des recouvrements afférents
recule. En particulier, certains prélèvements ou dispositifs sociaux font l’objet de contrôles
10
très limités et des milliards ne sont pas contrôlés, comme les cotisations aux régimes de
retraite complémentaire des salariés du secteur privé, le crédit
d’impôt « compétitivité
emploi » (CICE) ou les cotisations des travailleurs indépendants. La Cour formule plusieurs
recommandations de nature à permettre d’inverser ces tendances.
Mesdames, messieurs,
Même s’il ne m’a pas
été possible de faire état de nos observations de manière exhaustive,
j’espère que vous
comprenez
qu’au
-delà des critiques que nous formulons parfois, nous
saluons aussi les efforts engagés et les réussites obtenues par de nombreux gestionnaires,
dans tou
s les domaines de l’action publique.
Mais nous le disons, nous le répétons, il ne faut pas « se voiler la face » pour autant. Des
progrès substantiels restent à faire dans de nombreux domaines. Il s’agit non seulement de
mobiliser des marges importantes pour augmenter la performance des politiques publiques,
mais aussi de mener les réformes structurelles qui seules permettront à la France de
respecter, dans le long terme, sa trajectoire de finances publiques.
Je vous remercie pour votre attention.
Je me tiens à votre disposition pour répondre à quelques-unes de vos questions. Sachez
qu’un temps d’échange
avec les présidents de chambre concernés par les différents
chapitres a été prévu à l’issue de cette conférence de presse, afin de répondre plus en
détails aux interrogations que vous pourriez avoir.