Sort by *
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation du Rapport sur les finances publiques locales
Conférence de presse
Mercredi 11 octobre 2017
Mesdames, Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue ce matin à la Cour des comptes pour la présentation du
cinquième rapport annuel sur les finances publiques locales, qui est le fruit d’un travail
conjoint entre la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes.
Je salue d’ailleurs ceux qui, depuis les chambre
s régionales des comptes, assistent à la
retransmission de cette conférence de presse.
Pour vous présenter le rapport, j’ai à mes côtés Henri Paul, président de chambre et
rapporteur général de la Cour, Christian Martin, président de la formation inter juridictions
chargée d
e l’élaboration de ce rapport,
Perrine Tournade-Biéchy et André Pezziardi,
rapporteurs généraux auprès de cette formation. Je tiens à leur exprimer ma reconnaissance
pour le travail accompli, ainsi qu’aux autres membres de l’équipe de s
ynthèse : Anne-Céline
Imbaud, Yannick Cabaret, Frédéric Pichon, Yann Boukouya, Vladimir Dolique, Pierre
Genève, Paul Parent et Pierre Stefanizzi, ainsi que Ludivine Chauvet, qui les a épaulés.
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République prévoit que
ce rapport, destiné au Parlement et au Gouvernement, porte à la fois sur la situation
financière et la gestion des collectivités territoriales et des établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI).
Si la Cour s
e penche tous les ans sur ces deux aspects, c’est parce qu’ils revêtent des
enjeux majeurs :
d
’abord parce que les administrations publiques locales sont concernées, au même
titre que l’
État et les organismes de sécurité sociale, par le respect des engagements
européens de la France en matière de redressement des comptes publics. Elles le
sont à deux titres : pour le niveau de leurs dépenses et de leur dette, et du fait de
l’importance des transferts financiers de l’
État vers les collectivités territoriale
(101
Md€ en 2016)
;
Seul le prononcé fait foi
2
ensuite parce que les administrations publiques locales constituent une part
quantitativement importante de l’ensemble des dépenses publiques globales : elles
en représentent 18 %, avec des dépenses s’élevant à 248 Md€ en 2016, sel
on les
données de la comptabilité nationale.
Avec le rap
port annuel sur le budget de l’É
tat, remis en mai, et le rapport annuel sur la
sécurité sociale, publié en octobre, le rapport présenté aujourd’hui constitue donc la
troisième séquence et le troisième pilier des travaux de la Cour en matière de finances
publiques. Au même titre que les deux premiers, il nourrit le rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques globales, que la Cour remet en juin de chaque année.
La Cour formule cette année 5 constats principaux :
t
out d’abord, la situation financière des collectivités locales s’est globalement
améliorée en 2016, dans la continuité de ce que la Cour avait déjà pu constater en
2015 ;
deuxièmement, cette situation demeure cependant fragile et très hétérogène au sein
même de chaque catégorie de collectivités (régions, départements, bloc communal) ;
t
roisièmement, l’indispensable poursuite des efforts de gestion suppose que le
pilotage global des finances locales évolue dans le sens
d’une plus grande
concertation entre l’
État
et les collectivités et d’une réforme des dotations de l’É
tat ;
q
uatrième constat : la réforme territoriale récente n’a que partiellement simplifié
l’architecture institutionnelle locale et la répartition des co
mpétences entre les
collectivités, qui deme
urent d’une grande complexité ;
enfin, le rapport a approfondi son analyse selon deux angles spécifiques :
Seul le prononcé fait foi
3
o
un angle géographique, en se penchant sur la situation financière des
collectivités d’Outre
-mer ;
o
et un
angle thématique, en abordant l’impact des dépenses sociales sur
l’équili
bre financier des départements.
Je vais revenir brièvement sur chacun de ces points.
*
*
*
Tout d’abord, l’amélioration d’ensemble de la situation financière des collectivités loc
ales,
que nous avions déjà
constatée en 2015, s’est confirmée en 2016.
Trois données-clés témoignent de cette amélioration :
premièrement : en 2016, les dépenses des collectivités locales ont reculé de 1,1 %
tandis que leurs recettes, elles, progressaient de 0,2 % ;
ensuite, pour la deuxième année consécutive, les collectivités ont dégagé une
capacité d’autofinancement, dite aussi « épargne brute
». Cette capacité était de
1,1
Md€ en 2015 ; elle
s’est élevée à 4,2 Md€ en 2016
;
Seul le prononcé fait foi
4
e
nfin, c’est principalement sur les administrations publiques locales qu’a reposé
l’amélioration globale de 2,8 Md€ du solde public en 2016. Les organismes de
sécurité sociale y ont contribué dans une moindre mesure, tandis que le solde des
administrations publiques centrales, notamment de l’
État, se dégradait à hauteur de
2,1 Md€.
Si la situation s’est ainsi améliorée, c’est parce que les collectivités locales ont entrepris des
efforts de gestion importants, qui se sont traduits par une maîtrise accrue de leurs dépenses
de fonctionnement.
En e
ffet, je le disais à l’instant, les recettes des collectivités n’ont que légèrement progressé
en 2016, à hauteur de 0,2
%. De ce fait, leurs marges de manœuvre pour faire face à
l’évolution de leurs charges de fonctionnement a été beaucoup plus étroite qu’e
n 2015.
Deux raisons à cela :
t
out d’abord, même si la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF)
remise par l’
État
aux collectivités locales a été du même montant en 2016 qu’en 2015
(3,67 Md€), le montant global des transferts financiers de l’
État a davantage reculé
en 2016 que l’année précédente. Il s’est élevé à 101 Md€, y compris la fiscalité
transférée, en recul d
e 1,2 Md€ en 2016 et même de 2,2 Md€ hors contrepartie de
dégrèvements,
contre seulement 600 M€ en 2015
;
d
ans le même temps, la croissance de la fiscalité directe, c’est
-à-dire des impôts
locaux sur les ménages et les entreprises, s’est ralentie, à l’exc
eption de la taxe sur
le foncier bâti qui a connu une forte croissance au profit des départements.
Seul le prononcé fait foi
5
En définitive, c’est donc la poursuite des efforts de gestion engagés depuis 2014 qui a
permis aux collectivités de maîtriser davantage leurs dépenses de fonctionnement et
d’améliorer global
ement leur équilibre financier.
Cette maîtrise accrue s’est traduite par un ralentissement de la croissance de ces dépenses
pour le bloc communal, une stabilisation de cette croissance pour les départements et une
réduction du niveau des dépenses pour les régions.
Parmi les dépenses de fonctionnement, la masse salariale a connu une croissance faible
dans l’ensemble des collectivités,
à hauteur de +1,1 % dans le bloc communal et +0,9 %
dans les régions, voire une légère baisse dans les départements. Cela laisse entrevoir une
baisse des effectifs des agents territoriaux en 2016, qui devra toutefois être confirmée par
les données statistiques sur la fonction publique lorsqu’elles seront disponibles.
Par ailleurs, des économies sensibles ont été obtenues sur les autres postes de charges,
notamment les achats de biens et services dans les collectivités du bloc communal et les
départements.
Cette
amélioration d’ensemble que je viens de décrire ne doit pas masquer le caractère
globalement fragile et très hétérogène de la situation financière des collectivités territoriales.
C’est
le deuxième constat de la Cour.
Le rapport relève tout d’abord des facteurs de fragilité spécifiques à
chaque niveau de
collectivité :
en ce qui concerne le bloc communal, la Cour note une baisse sensible de
l’
autofinancement net (-
6 %), qui est préoccupante dans la perspective d’une reprise
des investissements de ces collectivités. On peut prév
oir qu’après avoir baissé de
23 % entre 2013 à 2016, ceux-
ci vont repartir à la hausse sous l’effet conjugué de
plusieurs facteurs favorables : le niveau élevé des fonds de roulement des
collectivités, la dynamique du cycle électoral à mi-mandat municipal, la montée en
puissance des fonds de soutien mis en place par l’État et le niveau propice de
s taux
d’intérêt
;
les dép
artements, dont la situation financière s’était beaucoup détériorée dans les
années récentes, ont bénéficié en 2016 de facteurs favorables dont la pérennité n’est
pas assurée, notamment le ralentissement des dépenses sociales ;
quant aux régions, leur endettem
ent a continué de s’alourdir (+
32 % de 2012 à 2016).
Même dans l’hypothèse d’économies nouvelles, l’inversion de cette tendance paraît
peu probable dans la mesure où se feront sentir à court terme les coûts de transition
induits par la réforme te
rritoriale. J’y reviendrai également.
A ces facteurs de fragilité spécifiques s’ajoutent des facteurs communs à toutes les
collectivités, les catégories de collectivités.
Premier facteur : même si l’amélioration de leur épargne n’a pas conduit les collec
tivités
locales à augmenter leurs investissements, elles ont choisi d’emprunter au
-delà de leur
besoin de financement et ainsi, je le disais, de reconstituer leurs fonds de roulement.
Seul le prononcé fait foi
6
Deuxième élément de fragilité commun : le risque qui continue de peser
sur l’évolution des
dépenses.
Je voudrais rappeler que bien qu’il soit réel, l’infléchissement des dépenses publiques
apparaît récent et limité lorsque l’on adopte une perspective de long terme. Il a en effet été
précédé d’une longue période de croissance
. Entre 1983 et 2013, les dépenses locales ont
progressé en moyenne de 5 % par an, passant de 8,6 à près de 12 points de PIB. La moitié
seulement de cette progression est imputable à la décentralisation, l’autre moitié étant due à
l’augmentation des charge
s de fonctionnement et tout particulièrement à celle des
rémunérations des agents territoriaux, du fait d’une forte croissance des effectifs.
De plus, les données disponibles laissent prévoir une reprise à la hausse des dépenses en
2017, pour deux raisons.
Tout d’abord, la contrainte financière à laquelle font face les collectivités locales prises dans
leur ensemble est moins forte en 2017 qu’en 2016, grâce à l’évolution dynamique de la
fiscalité directe (notamment la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
CVAE) et de
la fiscalité transférée par l’É
tat en contrepartie de transferts de compétences. Cette
croissance va atténuer l’impact de la baisse nouvelle de la DGF, baisse qui
, vous le savez, a
d’ailleurs été divisée par deux pour le bloc communal.
Par aille
urs, l’impact des « normes » nouvelles, c’est
-à-dire des décisions prises au niveau
national
qui affectent les dépenses locales, devrait être plus important en 2017 qu’en 2016,
de l’ordre de 1 Md€. Il s’agit notamment des mesures générales prises en matière de
rémunérations des agents publics, avec la revalorisation du point d’indice de la foncti
on
publique et l’entrée en application des p
remières mesures du protocole « Parcours
professionnels, carrières et rémunérations », que l
on a coutume d
appeler PPCR.
De plus, les coûts de transition liés à la mise en œuvre de la réforme territoriale, notamment
la fusion d’une partie
des anciennes régions et le resserrement de la carte des
intercommunalités, devraient commencer à se faire sentir en 2017.
Fragile globalement, la situation financière des collectivités est également très hétérogène.
Au sein d’une même catégorie de coll
ectivités, les trajectoires financières sont disparates,
comme l’illustrent de nombreux exem
ples présentés dans le rapport.
La contrainte exercée sur chaque collectivité par la baisse des concours financiers de l’État
est en effet très variable en fonction de ses niveaux respectifs de richesse et de charges.
Les marges de manœuvre budgétaire sont donc inégalement réparties, ce qui rend
nécessaire une réflexion sur la part que doivent prendre les différentes collectivités à l’effort
de redressement des comptes publics.
En définitive, la Cour souligne que la dynamique positive enclenchée en 2015 s’est
confirmée en 2016 mais que sa pérennité n’est pas acquise pour autant. Les efforts de
gestion doivent donc être prolongés et amplifiés. Selon nous, en ce domaine comme en tant
d’autres, «
une hirondelle ne fait pas le printemps ».
Ce que la Cour a constaté, c’est que pour susciter et accompagner ces efforts, le principe
d’une réduction des concours financiers instauré par l’É
tat en 2014 constitue une méthode
ef
ficace. S’il est aujourd’hui nécessaire de faire évoluer les concours financiers eux
-mêmes,
Seul le prononcé fait foi
7
comme je l’évoquerai dans un instant, l’utilisation par l’É
tat du levier que constituent ces
dispositifs conserve toute sa pertinence.
Réduire les concours financiers, cela ne signifie pas imposer unilatéralement une trajectoire
financière aux collectivités. Au contraire, pour que ces efforts de gestion puissent être
poursuivis et porter leurs fruits, la Cour a identifié une condition
sine qua non
: celle d’une
évol
ution du pilotage global des finances locales dans le sens d’une pl
us grande
concertation entre l’État et les collectivités et d’une révision de la politique des dotati
ons de
l’É
tat.
C’est le troisième constat du rapport.
En premier lieu
et ce n
est pas la première fois que la Cour fait cette observation
la
concertation entre l’État et les élus locaux sur la trajectoire financière des collecti
vités devrait
être approfondie.
Jusqu’à présent, les représentants des collectivités n’ont été consultés ni sur l’objectif
d’évolu
tion de la dépense locale (ODEDEL), arrêté en loi de programmation des finances
publiques ou en loi de finances initiale, ni sur l’élaboration du Programme de stabilité
transmis au printemps à la Commission européenne, qui pourtant les engage également.
L
a création de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales par la loi NOTRé
de 2015 peut faire progresser le partage des données et des études techniques.
Au-delà, une véritable concertation portant sur la trajectoire financière des collectivités
gagnerait à être organisée de manière méthodique, dans le cadre d’une instance spécialisée
composée de représentants des administrations compétentes et des différentes catégories
de collectivités.
Le dialogue entre l’État et les élus locaux reste
également insuffisant en ce qui concerne le
coût des « normes
», dont je rappelle qu’il s’agit des décisions nationales ayant des
conséquences pour les budgets locaux. D’une part, ces dernières pourraient faire l’objet de
davantage de consultation en amon
t par les ministères chargés de leur élaboration. D’autre
part, les travaux du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) présentent encore
d’importantes marges de progrès, au sujet desquels le rapport form
ule différentes
recommandations.
En second l
ieu, la réforme des concours financiers de l’État, qui a été programmée puis
différée, paraît plus que jamais nécessaire.
Son objectif central devra demeurer la poursuite de la contribution des collectivités
territoriales au redressement des comptes publics, grâce à une incitation à une maîtrise
toujours accrue de leurs dépenses.
Mais la baisse de la DGF, qui aura atteint 26 % de 2013 à 2017, ne peut plus être le vecteur
unique de cette politique. Certaines collectivités,
d’ailleurs
, ne perçoivent pratiquement plus
de DGF.
Le nouveau dispositif devrait reposer à la fois sur une réduction de la part des dotations
forfaitaires et un renforcement de celle des dotations de péréquation. Il devrait aussi tenir
Seul le prononcé fait foi
8
compte des efforts de gestion déjà consentis par les collectivités ou, à tout le moins, de leurs
niveaux respectifs de richesse et de charges.
Par ailleurs, toujours en ce qui concerne les recettes des collectivités locales, la Cour
rappelle l’importance qu’elle attache à la poursuite de la révision des valeurs locatives
cadastrales, qui a été menée à bien pour les locaux professionnels et doit maintenant
s’étendre aux locaux d’habitation. Cette réforme est indispensable pour rétablir l’équité des
impôts directs locaux, même si la taxe d’habitation doit faire l’objet d’un dé
grèvement
progressif dans les proportions qui ont été annoncées.
Après la situation financière et le cadre des relations des
collectivités locales et de l’É
tat, la
Cour a porté un premier regard sur l’état d’avancement de la dernière réforme territoriale,
emportée notamment par les lois MAPTAM de janvier 2014 et NOTRé d’août 2015. Il ne
s’agit pas d’un bilan de cette réforme –
il est beaucoup trop tôt pour cela car de nombreux
chantiers administratifs sont encore en cours au sein des collectivités
mais il s
agit là
d’une
photographie des évolutions les plus marquantes du paysage institutionnel local.
Cet « arrêt sur image
» révèle que la réforme territoriale n’a que partiellement simplifié
l’architecture institutionnelle locale et la répartition des compétences entre les coll
ectivités,
qui demeurent d’une grande complexité. Par ailleurs, son impact sur les dépenses locales,
délicat à évaluer, appelle une vigilance particulière. C’est l
e quatrième constat du rapport.
Premier point : l’architecture du paysage institutio
nnel local reste très complexe.
Certes, le nombre de collectivités locales a été réduit.
Le nombre de régions métropolitaines est passé de 22 à 13. Les nouvelles régions ne
peuvent toutefois toujours pas être comparées à leurs voisines européennes dont les
compétences sont beaucoup plus larges
il ne suffit pas de comparer les superficies. À titre
Seul le prononcé fait foi
9
d’exemple, le seul budget de la Bavière correspond au double du budget de l’ensemble des
régions françaises.
Ce n’est pas
du tout la même échelle.
La carte des intercommunalités a été sensiblement resserrée puisque le nombre des
établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre est passé de
2 062 à 1 266, soit une réduction de 39 %. L’idée sous
-jacente est que des groupements
intercommunaux de plus grande taille devraient avoir une gestion plus efficiente grâce aux
possibilités accrues de mutualisation de leurs services. Je vous rappelle que, dans ses
précédents rapports annuels, la Cour a recommandé le renforcement des mutualisations au
sein du bloc communal.
Néanmoins, il faut sans doute attendre un peu avant de mesurer si cet objectif sera atteint.
En particulier, les communautés de communes et les communautés d’agglomération, qui
couvrent désormais des territoires considérablement plus étendu
s (22 % d’EPCI de plus de
50 communes) et plus composites, vont devoir faire évoluer leurs modes de gouvernance
sans perdre leur relation de proximité avec les citoyens.
Par ailleurs, le rôle des métropoles a été affirmé
. Elles ont été dotées d’un nouvea
u statut.
Elles ont pour mission d’être des « locomotives » du développement régional, y compris
autour de leurs propres territoires. Leur nombre n’est pas encore stabilisé : de 15 avec la loi
MAPTAM, il pourrait atteindre 22 avec la loi de février 2017 relative au statut de Paris. Là
aussi, il est sage de se donner un peu de recul avant d’évaluer si l’affirmation de ces
nouvelles métropoles va se traduire par des gains d’efficacité et d’efficience dans l’exercice
de leurs compétences.
Nous aurons l’occasi
on de revenir, Cour et chambres régionales des comptes, sur ces sujets
(fusions des régions, mise en place des métropoles) dans nos prochains rapports annuels
sur les finances locales (2019 et 2020).
Seul le prononcé fait foi
10
Elle constate cependant d’ores et déjà que la réforme territoriale n’a pas remédié à la
complexité du paysage institutionnel local. Elle n’a pas touché à la superposition des niveaux
d’administration publique, le fameux « millefeuille territorial ». Le département, dont la
suppression avait été sérieusement envisagée au lancement de la réforme, est toujours en
place. Hormis sur le territoire de la métropole de Lyon, aucun échelon n’a été supprimé. Au
contraire, une nouvelle couche institutionnelle a été ajoutée sur les métropoles du Grand
Paris et d’Aix
-Marseille-Provence avec les établissements publics territoriaux.
Deuxième point : la réforme n’a emporté qu’une timide clarification des compétences de
chaque catégorie de collectivités.
L’objectif initial était, selon l’exposé des motifs de la loi NOTRé, d’aboutir à
une articulation
plus claire, plus efficace et moins coûteuse des interventions des différents niveaux de
collectivités.
Or, si la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions
représente une avancée
la Cour et les chambres régionales des comptes ont toujours
plaidé en ce sens
le mouvement de rationalisation reste inachevé.
En effet, l’ampleur des transferts des compétences des départements vers les régions et les
métropoles a été très faible au regard du projet de loi NOTRé, qui prévoyait d’en transférer
des pans entiers (au niveau de la voirie, des collèges, des transports).
Dans les faits, seuls les transports, essentiellement interurbains et scolaires, ont été
transférés des départements aux régions, pour un montant équivalent à 3,9 % des dépenses
de fonctionnement des départements.
Les transferts aux métropoles, laissés dans une large mesure à la discrétion des
collectivités, se sont faits a minima. Ils ne représentent que 160 M€, soit 0,3 % des dépenses
de fonctionnement des départements.
L’articulation de
s compétences reste compliquée.
Certes, la loi NOTRé a confié aux régions la « responsabilité » du développement
économique alors qu’elles en étaient jusqu’alors seulement les chefs de file. Elle a ainsi
retiré aux départements l’essentiel de leur compétence en la matière. Par ex
emple, ce sont
les régions qui fixent désormais le régime d’aides aux entreprises et
le régime adopté par les
régions
s’impose aux autres collectivités de leur territoire.
Mais des compétences partagées ont été maintenues dans plusieurs domaines (égalité
hommes-femmes, culture, sports, tourisme, langues régionales, éducation populaire). En
outre, la mission de solidarité territoriale reconnue aux départements leur laisse la capacité
de financer des opérations ne relevant pas strictement de leur champ de compétence.
La complexité de l’enchevêtrement des compétences reste telle qu’il a été nécessaire pour
l’administration de diffuser plusieurs textes de clarification à l’intention des préfets et des élus
locaux
c
est dire
dont deux instructions datées du 22 décembre 2015, joliment appelées
d
ailleurs « circulaires de Noël ».
Seul le prononcé fait foi
11
Au total, vous l’avez compris, le double objectif de rationalisation du paysage institutionnel
local et d’une meilleure répartition des compétences entre les collectivités n’est que
partiellement atteint.
Ces réformes sont encore largement en cours de mise en œuvre au sein des collectivités. La
transition sera longue et induira nécessairement des coûts.
Si la Cour appelle à la vigilance, c’est en raison des surcoûts pérennes qui risquent
d’apparaître, lié
s notamment, dans les régions fusionnées et les intercommunalités
regroupées, à l’harmonisation des régimes indemnitaires et du temps de travail et à la
convergence des politiques d’intervention.
Ces surcoûts pourraient prendre le pas sur les économies d’
échelle structurelles
recherchées. Pour que des gains nets puissent être trouvés, une démarche volontaire de
maîtrise de leurs dépenses par les exécutifs locaux paraît nécessaire.
Enfin, le rapport a approfondi son analyse selon deux angles spécifiques : un angle
géographique et un angle thématique. Je les évoquerai rapidement pour clore mon propos.
Le premier porte sur la situation financière des collectivités des départements d’Outre
-mer
(La Réunion, Guadeloupe, Guyane et Martinique), dont le rapport mo
ntre qu’elle est en
moyenne plus dégradée que celle des collectivités de métropole, alors même que les
besoins d’investissement public y sont plus élevés. La Cour avait déjà formulé cette
observation dans un rapport public thématique de 2011.
Sans entrer dans le détail des analyses très denses du rapport, je voudrais en souligner les
principales observations.
La situation financière des départements d’Outre
-mer tient pour une part au contexte
économique et social dans lequel elles évoluent. À cet égard, je voudrais simplement
rappeler que les niveaux de produit intérieur brut (PIB) par habitant de ces départements
sont très inférieurs à la moyenne nationale. En moyenne, le PIB par habitant dans les DOM
représentait 59 % du PIB par habitant métropolitain en 2013-2014.
Pour autant, le caractère dégradé des finances locales tient également à des défauts de
gestion observés de façon récurrente.
En effet, l’analyse de la Cour fait état d’un niveau élevé de recettes apportées aux
collectivités d’Outre
-mer, et ce malgré le caractère relativement plus limité des produits des
impôts directs locaux en raison de l’étroitesse des bases d’imposition. Le niveau élevé –
plus
élevé en tout cas qu
en métropole
des recettes est dû à la perception de recettes
spécifiques (l’octroi de mer et la taxe spéciale
sur les carburants) et à des mécanismes de
péréquation horizontaux et verticaux adaptés.
Pourtant, ce surcroît de recettes ne permet pas de répondre aux besoins d’équipements des
territoires, mais alimente des niveaux élevés de dépenses de fonctionnement, notamment de
charges de personnel. Le poids élevé de ces dernières résulte de la combinaison de deux
facteurs : la majoration de traitement des fonctionnaires et les sureffectifs.
Seul le prononcé fait foi
12
La loi du 26 janvier 1984 autorise en effet les collectivités territoriales ultramarines à
accorder une majoration de traitement à leurs agents titulaires, selon un principe de parité
avec les agents de l’É
tat. Cette « sur-rémunération » peut aller de 40 % (Guadeloupe,
Guyane, Martinique) à 54 % (La Réunion) du traitement brut de base. Le rapport souligne
que le niveau de ces majorations de traitement pèse lourdement sur l’équilibre des comptes
territoriaux, sans que les contraintes qu’elles ont destinées à compenser n’apparaissent
clairement.
Par ailleurs, les effectifs territoriaux sont supérieurs en Outre-
mer à ce que l’on constate en
métropole. De ce fait, le taux d’administration est d’un tiers plus élevé dans les collectivités
d’outre
-
mer : on compte en moyenne 25,1 agents pour mille habitants, soit 10 de plus qu’en
métropole.
Seul le prononcé fait foi
13
Conséquence de ces travers de gestion, les deux tiers des 136 collectivités des quatre
départements d’Outre
-mer connaissent une situation financière fragile, dégradée ou critique.
Ainsi, la moitié des communes de Martinique et de Guyane, et un tiers de celles de
Guadeloupe ont une « épargne brute », négative. Cela signifie que leurs dépenses de
fonctionnement sont supérieures à leurs recettes de fonctionnement. Les départements de
La Réunion et de la Guadeloupe ne parviennent à dégager qu’une f
aible épargne nette.
Seul le prononcé fait foi
14
Quant aux deux collectivités uniques créées en Martinique et en Guyane le 1
er
juillet 2016 et
rassemblant les conseils départementaux et régionaux, elles traversent aussi de graves
difficultés financières.
Celles-ci, couplées à des d
ifficultés d’exploitation d’ordre géographique et climatique, se
traduisent par une moindre qualité des services publics rendus aux citoyens, en particulier
dans les domaines de l’eau potable, de l’assainissement et des déchets. Les collectivités ne
sont e
n effet pas en mesure de financer les investissements d’extension et de
renouvellement des réseaux nécessaires.
Le redressement de cette situation financière, que la Cour qualifie de « très préoccupante »,
passera d’abord par un effort de rigueur dans la
gestion, de la part des collectivités locales
ultramarines. Elles disposent des leviers pour agir, d’autant plus que les services de l’État,
préfectures et directions des finances publiques, ainsi que l’Agence française du
développement (AFD) sont très présents auprès de ces collectivités.
Les recommandations de la Cour visent donc à susciter davantage d’efforts de gestion de la
part des collectivités locales en contrepartie d’un accompagnement plus étroit par l’État. Il
s’agirait pour cela de fixer des objectifs quantitatifs d’évaluation des bases fiscales, de
conditionner l’octroi des subventions et prêts bonifiés de l’État et
de
l’AFD au respect
d’objectifs chiffrés de redressement financier ou encore de réorienter une partie des recettes
spécifiques (nous pensons à l
octroi de mer ou à la taxe spéciale sur les carburants) du
fonctionnement vers l’investissement.
Enfin, la Cour s’est penchée sur les dépenses sociales des départements et leur impact sur
l’équilibre
financier de ces collectivités.
Ces dépenses sociales recouvrent les allocations individuelles de solidarité (le revenu de
solidarité active
RSA, l
alloca
tion personnalisée d’autonomie –
APA, la prestation de
compensation du handicap
PCH
) et le paiement de frais de séjour et d’hébergement au
titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de l’aide aux personnes âgées et aux personnes
handicapées. L’ensemble s’élevait à 32 Md€ en 2016.
De notre analyse, nous tirons trois grands constats.
Le premier, c’est que l’évolution des dépenses sociales a fortement contribué à la
dégradation de la situation financière de certains départements.
Seul le prononcé fait foi
15
Cela est dû d’abord à leur poids majeur et croissant dans les dépenses de fonctionnement
des départements : elles représentaient 55 % de ces dépenses en 2016. Entre 2010 et 2016,
elles ont cru de 25 %, la moitié de cette hausse étant due au RSA.
Je rappelle que les dépenses sociales des départements sont en partie couvertes par des
dotations de compensation octroyées par l’État, dont les montants ont été arrêtées, comme
le prévoient les textes, au moment où les transferts successifs des compétences sociales ont
été opérés. En outre, depuis 2013, le bénéfice du Fonds de solidarité en faveur des
départements (FSD) et de la dotation de compensation péréquée (DCP) s’ajoutent à ces
transferts. La loi de finances initiale pour 2014 a par ailleurs donné aux départements la
possibilité de relever le plafond du taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 3,8
à 4,5 %, ce qu’ils ont presque tous fait. Cette disposition leur a procuré un pro
duit
supplémentaire estimé à 1,2 Md€. Ce dernier n’était pas destiné à compenser
spécifiquement les dépenses sociales mais a néanmoins contribué à leur financement.
Seul le prononcé fait foi
16
Toutefois, une conjonction de facteurs économiques et sociaux, associée à des
revalorisations des montants des prestations, a entraîné un décrochage entre les dépenses
sociales et les financements spécifiques accordés par l
État. De 2010 à 2015, les premières
ont cru plus rapidement que les seconds.
En conséquence, la part de
s dépenses non couvertes par l’É
tat a progressé
de 3,1 Md€
entre 2011 et 2015, soit nettement plus que les autres recettes de fonctionnement des
départements (+
1,8 Md€). Une partie de cette différence a dégradé l’épargne brute de ces
derniers, qui a reculé de 25 % au cours de cette période.
Cette analyse globale ne doit pas masquer des situations très variables selon les
départements et leurs situations démographiques et socio-économiq
ues, ce qu’illustre le
rapport.
Le deuxième des trois constats, c’est que les départements disposent de différents moye
ns
pour maîtriser plus efficacement l’évolution de leurs dépenses sociales,
et ce dans les limites
juridiques qui encadrent l’exercice de leurs compétences.
Ainsi, en s’appuyant sur certaines bonnes pratiques relevées par les chambres régionales
des compt
es, le rapport montre que les départements disposent de leviers d’action qu’ils
pourraient davantage utiliser.
Seul le prononcé fait foi
17
D’une part, ils disposent d’un pouvoir de décision au moment de l’octroi de certaines
prestations sociales : par exemple, dans la définition de
s plans d’aide aux personnes âgées
ou aux personnes handicapées ; le choix des modes d’hébergement et la régulation de l’offre
et des tarifs des établissements d’hébergement.
Des marges de manœuvre existent, d’autre part, dans la gestion des services soc
iaux des
départements, à travers
l’adaptation de leurs effectifs
, de leur organisation territoriale, ainsi
que le développement de différents types de contrôles relatifs à la délivrance des
prestations : respect par les allocataires du RSA de leur obliga
tion d’entreprendre des
démarches d’insertion, vérification de l’effectivité des prestations réalisées par des t
iers et
lutte contre la fraude.
Enfin, le dernier constat porte sur la nécessaire révision à court terme des conditions de
financement des dépenses sociales des départements.
Les données disponibles laissent prévoir un ralentissement des dépenses de RSA mais une
accélération des dépenses d’APA. En tout état de cause, les dépenses sociales devraient
continuer de croître plus rapidement que les produits de fonctionnement des départements.
Dans ce contexte, le financement des dépenses sociales des départements ne peut être
assuré qu’à deux conditions.
Tout d’abord, les départements doivent approfondir les efforts de gestion déjà engagés en
2015 et 2016 pour mieux maîtriser leurs dépenses de fonctionnement, notamment leur
masse salariale.
Seul le prononcé fait foi
18
Sans cela, des simulations réalisées par la Cour montrent que leur situation financière
suivrait une trajectoire brutale de dégradation. La moitié d’entre eux entrerait dans une zone
de grande difficulté avec un taux d’épargne inférieur à 8 % en 2020.
La seconde condition est celle d’une répartition plus équitabl
e des ressources selon les
situations des départements, dont j’ai déjà souligné à que
l point elles sont hétérogènes.
Seul le prononcé fait foi
19
Certains départements se voient en effet affligés
d’une «
double peine
» : d’une part, un
faible niveau de recettes fiscales et, d’autre p
art, un montant élevé de dépenses sociales
non couvertes. D’autres départements, à l’inverse, disposent à la fois d’un faible « reste à
charge » et d’un niveau élevé de ressources fiscales.
C’est la raison pour laquelle la Cour recommande de renforcer sen
siblement la péréquation
« horizontale
» entre les départements. L’effort devrait porter principalement sur les
départements qui bénéficient des produits de droits de mutation à titre onéreux les plus
élevés grâce au dynamisme de leur marché immobilier, tout en étant les moins touchés par
la hausse des dépenses sociales.
À terme, la Cour souligne que le risque est réel de voir le financement des dépenses
sociales de moins en moins bien assuré.
Leurs dépenses sociales évoluant structurellement plus rapidement que leurs produits de
fonctionnement, le système de financement actuel exige des départements qu’ils réduisent
chaque année un peu plus les moyens affectés à l’exercice de leurs autres compét
ences (les
collèges, les routes, etc.).
Les économies supplémentaires seront de plus en plus difficiles à trouver, sauf à priver ces
collectivités territoriales des moyens d’exercer les compétences qui leur sont attribuées par
la loi.
À terme, le financement des dépenses sociales n’est donc pas
totalement assuré. Cela
pourrait conduire à mettre sur la table et réexaminer la réforme consistant par exemple à
recentraliser le financement du RSA.
*
*
*
Pour conclure, nous avons souhaité mettre
en évidence la poursuite de l’évolution positive
globale des finances locales, qu’elle avai
t déjà pu observer en 2015. Nous rappelons
toutefois que cette dynamique générale recouvre des situations extrêmement hétérogènes et
recèle des facteurs de fragilité qui doivent impérativement être pris en compte.
Ils doivent l’être, car l’amélioration d
e la situation des finances locales est nécessaire au
redressement de nos comptes publics. La contribution importante des collectivités locales à
l’amélioration du solde public en 2016 et les nombreux exemples de bonnes pratiques
locales mises en évidence par le rapport montrent à quel point les progrès sont possibles
dans la maîtrise des dépenses locales. Pour les amplifier et les rendre pérennes, il est vrai
que des efforts continus de la part des élus locaux paraissent nécessaires.
La Cour souligne que plusieurs conditions doivent aussi être réunies, qui portent notamment
sur les relations des collectivités territoriales
avec l’É
tat. Il semble en effet impératif en effet
que le pilotage global des finances locales puisse évoluer
désormais dans le sens d’une p
lus
grande concertation, seule à même de refléter la réalité du partage des responsabilités en
cette matière.
Je vous remercie de votre attention et suis à votre disposition, avec les magistrats qui
m’entourent,
pour répondre à vos questions.