Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation du rapport
« Gérer les enseignants autrement : une réforme qui reste à faire »
Conférence de presse
Mercredi 4 octobre 2017
Mesdames, Messieurs,
La Cour des compt
es rend aujourd’hui public un rapport intitulé « Gérer les enseignants
autrement, une réforme qui reste à faire ».
Pour vous présenter ce travail, j’ai auprès de moi Sophie Moati, présidente de la troisième
chambre chargée de sa préparation, Henri Paul, président de chambre et rapporteur général
de la Cour,
Géraud Guibert, qui a mené l’instruction
, et André Barbé, qui a assuré le contre-
rapport.
Le rapport publié aujourd’hui a pour objectif d’analyser le degré de mise en œuvre des
recommandations formulée
s par la Cour en mai 2013 dans un premier travail d’envergure
sur la gestion des enseignants.
Si nous avons décidé de nous repencher rapidement sur ce sujet, c’est évidemment parce
qu’
il présente des enjeux majeurs.
Ces enjeux peuvent être appréhendés par quelques chiffres-clés que je voudrais rappeler.
La gestion des enseignants par l’État a pour objectif premier d’assurer l’instruction de plus de
12 millions d’élèves (6,8 millions dans le premier degré et 5,6 millions dans le second degré),
grâce à la
formation, l’affectation et la rémunération de 874 800 enseignants. Ces derniers
représentent 36 % des effectifs de la fonction publique et les trois quarts des agents de
catégorie A de l’État.
Avec un projet de
budget de 68,4 Mds€ en 2017, l’enseignement scolaire hors enseignement
agricole correspond de très loin au premier poste de dépenses de l’État.
À ces enjeux quantitatifs s’ajoutent de enjeux qualitatifs évidents.
La gestion des enseignants, acteurs centraux du système éducatif, constitue un facteur
majeur de la réussite des élèves, dont les critères ont été fixés par des lois successives
depuis 1989. Le dernier texte, la loi pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013, a confirmé
l’objectif qui dem
eure en vigueur : la maîtrise par tous les élèves du socle commun de
connaissances, de compétences et de culture à la fin de la scolarité obligatoire.
Jusque dans les années 2000, la gestion des enseignants par l’État a permis de relever les
défis du doub
lement du nombre d’élèves entre 1960 et 1985 et de l’élévation du niveau de
diplôme des générations scolarisées.
Seul le prononcé fait foi
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Mais, vous le savez, des exercices successifs de comparaison internationale ont récemment
mis en évidence plusieurs tendances inquiétantes, qu
’il s’agisse de la dégradation des
performances des élèves dans les matières scientifiques ou de la difficulté croissante du
système à résorber les inégalités scolaires.
Cette situation est à mettre en regard de l’effort budgétaire considérable effectué par l’Éta
t
au cours des années récentes.
Au total, la masse salariale des enseignants du secteur public a cru de 7,5 % entre 2012 et
2016 (à hauteur de 3,6 Md€) contre une augmentation de 2,5
% pour l’ensemble de la
fonction publique d’État. Près de 60
% d
e cette hausse est due à l’accroissement des
effectifs, la part restante ayant permis de revaloriser les salaires des enseignants.
Dans ce contexte, la Cour a cherché à répondre à la question suivante : cet effort budgétaire
massif a-t-il été de pair avec une réforme structurelle de la gestion des enseignants,
identifiée dans le rapport de 2013 comme un levier majeur de l’amélioration de la
performance du système scolaire ?
Pour répondre à cette question, notre institution a procédé à une revue de l’ense
mble des
mesures prises au cours de la période 2012 à 2016. Elle a par ailleurs élargi son analyse sur
plusieurs points, notamment la gestion des directeurs d’écoles et des chefs d’établissements
et celle du remplacement des enseignants. Enfin, elle a port
é une appréciation d’ensemble
sur les mesures prises en matière d’effectifs, de rémunérations et de temps de travail, et sur
leur impact budgétaire global.
De cette analyse, la Cour a tiré trois constats principaux :
t
out d’abord, le cadre d’exercice du
métier d’enseignant demeure en décalage avec
les objectifs qui leur sont assignés et les attentes qui s’expriment à leur égard, bien
que des efforts importants aient été engagés sur le plan de la formation initiale ;
e
nsuite, le système d’affectation des
enseignants reste insuffisamment adapté aux
contextes locaux, aux profils des élèves et à la difficulté des postes ;
enfin, les pilotages des effectifs, des rémunérations et du temps de travail des
enseignants font l’objet de décisions multiples et décon
nectées, sans cohérence
d’ensemble ni mise en pe
rspective pluriannuelle.
Je vais revenir brièvement sur chacun de ces constats.
*
*
*
La Cour constate en premier lieu que, bien que des efforts notables aient été entrepris dans
le champ de la formation i
nitiale, le cadre d’exercice du métier demeure en décalage avec
les objectifs assignés aux enseignants.
Autrement dit : leurs modalités de formation, d’organisation et d’évaluation ne constituent
pas encore un cadre propice à la bonne réalisation de leurs missions.
Seul le prononcé fait foi
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La qualité de la formation initiale et professionnelle des enseignants constitue tout d’abord
un facteur majeur de performance du système éducatif, et le rapport de la Cour de 2013 leur
avait fait une large part.
En ce qui concerne la formation initiale, la Cour salue les efforts conséquents qui ont été
entrepris au cours des dernières années.
La loi du 8 juillet 2013 a créé les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE)
au sein des universités. Ces dernières offrent la possibilité de suivre un master consacré aux
« métiers de l’enseignement, de l’
éducation et de la formation » et de préparer les concours
de recrutement de la fonction publique, passés à la fin du M1. La seconde année est
consacrée à une formation en alternance, ce qui a permis de répondre efficacement au
manque de formation sur le terrain qui résultait de la réforme précédente, entrée en vigueur
en 2010.
Une étape très positive a donc été franchie.
Pour progresser encore dans la professionnalisation des futurs enseignants, plusieurs
actions pourraient encore être entreprises. Les comparaisons internationales nous
enseignent que, comparé aux autres grands pays développés, notre pays professionnalise
tardivement ses enseignants, après la licence.
Pourtant, débuter la professionnalisation plus tôt dans le parcours universitaire éviterait des
erreurs d’orientation et permettrait de répondre à certaines difficultés du parcours de
formation actuel, qui peine à articuler les concours et la formation sur le terrain.
C’est d’ailleurs l’objectif des dispositifs spécifiques mis en place récemment par le ministère,
qui permettent de « pré-recruter » des étudiants dès la deuxième ou la troisième année de
licence (les « étudiants apprentis professeurs »). Mais les cohortes demeurent limitées, avec
950 postes pourvus en 2016-2017.
Par ailleurs, la Cour souligne que l’offre de formation des universités pourrait mieux tenir
compte en amont des besoins du système scolaire, par exemple en créant un plus grand
nombre de licences bivalentes, qui permettraient notamment une diversification de la
formation des professeurs des écoles.
Des progrès plus importants encore demeurent à faire en matière de formation
professionnelle continue des enseignants.
La loi de 2013 que j’évo
quais à
l’instant dispose que «
chaque enseignant est encouragé à
se former régulièrement
». La formation continue est un droit pour l’ensemble des
enseignants, mais elle n’est une obligation que pour ceux du premier degré, à hauteur de
trois jours par an. Par ai
lleurs, contrairement au reste de la fonction publique, il n’existe pas
d’entretien annuel de formation pour les enseignants.
Cela place la France en net décalage par rapport aux autres pays européens, dans lesquels
la formation continue constitue une obl
igation professionnelle et une condition à l’obtention
d’une promotion.
Les conséquences de ce manque d’ambition sont claires : les enseignants français sont
moins nombreux à participer à la formation continue que dans la moyenne des pays
européens, et pour des durées plus courtes.
Seul le prononcé fait foi
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La Cour relève une prise de conscience, par le ministère, des limites du système. Elle a
donné lieu à la création d’une mission ministérielle et à des mesures utiles de formation de
formateurs, notamment dans le cadre de la réf
orme du collège et de celle de l’éducation
prioritaire. Néanmoins, l’investissement des ESPE, qui sont les opérateurs
-pivots de la
formation continue, demeure très variable
–
un tiers seulement d’entre elles s’étant
réellement impliqué.
En définitive, beaucoup reste à faire pour intégrer véritablement la formation continue et ses
bénéfices à la gestion des carrières des enseignants.
Après la formation, la Cour s’est penchée sur la deuxième composante majeur du cadre
d’exercice du métier d’enseignant : la
fixation de leurs obligations de service.
À ce sujet, la Cour avait formulé en 2013 des recommandations fortes visant à rendre les
obligations de service :
d’une part
,
plus souples pour les enseignants comme pour les chefs d’étab
lissement,
notamment grâ
ce à l’
« annualisation » des heures ;
d’autre part
,
plus fidèles à la réalité de leur travail, à travers l’intégration dans les
obligations de service de toutes les activités effectuées en dehors de la classe ;
et enfin, plus incitatives au travail collectif.
Le rapport relève toutefois que la réforme engagée en 2014 n’a eu qu’une portée et des
résultats limités.
Je rappelle que le temps de travail des enseignants est défini et quantifié en vertu d’un
régime dérogatoire au sein de la fonction publique
d’État. Leurs obligations réglementaires
de service ont été pendant longtemps circonscrites au temps passé devant les élèves.
Ces dispositions ont été modifiées en 2008 pour les enseignants du premier degré et en
2014 pour ceux du second degré. Cette dernière réforme a permis un recensement et une
reconnaissance de plusieurs missions liées directement au service d’enseignement
effectuées hors de la classe, ce qui va dans le sens des recommandations émises par la
Cour en 2013.
L’amélioration est toutefois
limitée :
en effet, le nombre et le rythme hebdomadaire des heures obligatoires devant les
élèves n’ont pas été modifiées. Aucune souplesse nouvelle n’a donc été
introduite
dans le dispositif ;
par ailleurs, les missions désormais reconnues aux enseignants du secondaire ne
font pas l’objet d’un forfa
it horaire précis et annualisé ;
enfin, plusieurs activités essentielles, comme la formation continue et le
remplacement, ne sont toujours pas prises en compte.
Seul le prononcé fait foi
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Dans ces conditions, les effets de cette réf
orme sur l’organisation du temps de travail des
enseignants et leur présence effective au sein des établissements sont peu tangibles.
La Cour ne peut donc que réitérer et compléter ses recommandations de 2013.
Le troisième versant du métier d’enseignant
passé en revue par la Cour est celui des
conditions concrètes d’exercice de leur métier, notamment de leurs modalités d’organisation
et d’évaluation.
L’évaluation, tout d’abord, représente potentiellement un outil de gestion de la carrière des
enseignant
s et l’occasion d’un soutien pédagogique individualisé. Pourtant, le dispositif
demeure insuffisamment organisé pour constituer un réel soutien pour les enseignants.
Plusieurs éléments viennent à l’appui de ce constat : aucune articulation n’existe entre
le
repérage des enseignants en difficulté et l’organisation des inspections pédagogiques qui les
évaluent, sauf pour les enseignants débutants, à l’occasion de leur titularisation. En outre,
aucun standard n’est défini pour le déroulement des inspections.
Enfin, pour un même
enseignant, le suivi entre deux rapports d’inspection successifs n’est pas assuré.
La Cour a bien entendu noté qu’un nouveau dispositif d’évaluation des enseignants était
entré en vigueur à la rentrée 2017, qui a pour objectif de rationaliser les conditions
d’évaluation. Sans que nous ne puissions nous prononcer sur ses effets à ce stade, nous
relevons que ce système nouveau ne modifie pas les fondements du dispositif actuel. Il
n’incorpore par exemple pas d’éléments tenant aux résultat
s des élèves, ce qui demeure
atypique au plan international
–
c
omme si les résultats des élèves n’étaient pas intéressants.
Après l’évaluation, la Cour s’est penchée sur l’organisation concrète du travail enseignant.
Elle a observé en particulier sa dimension collective.
Il résulte de son analyse que si de nombreux dispositifs éducatifs exigent un mode de travail
plus collectif, comme par exemple le dispositif « plus de maître que de classes » au primaire
ou celui des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) au collège, le travail collectif
n’est pas encore suffisamment inscrit dans la culture professionnelle enseignante. En
témoigne le fait que l’évaluation collective de la performance reste très marginale par rapport
à la notation individuelle. Cause ou conséquence de cette situation, les prérogatives
concrètes dont disposent
les chefs d’établissements pour organiser le travail collect
if
demeure limitées.
En règle générale, la Cour a d’ailleurs relevé que les responsables d’établissement
demeuraient dans un positionnement ambigu vis-à-vis des enseignants, qui ne leur
permettait pas de disposer de marges de manœuvre suffisantes pour adapter au plus près
l’organisation de l’enseignement aux besoins des élèves, alors même qu’ils sont les mieux
placés pour le faire.
Dans le premier degré, le directeur d’école organise les emplois du temps et affecte les
enseignants aux classes, mais il n’a pas autorité sur eux. Il ne joue donc aucun rôle dans
leur évaluation et ne peut moduler la répartition du temps de service que sur la base du
volontariat et non en fonction des besoins.
Dans le second degré, le chef d’établissement a en théorie autorité sur les personnels de
l’établissement et participe à leur notation. Mais il ne participe pas aux décisions d’af
fectation
Seul le prononcé fait foi
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et ne peut mobiliser les enseignants pour organiser le remplacement qu’en vertu d’un
protocole ayant obtenu l’accord des enseignants.
Pourtant, le remplacement des enseignants absents représente un défi considérable pour les
établissements, en particulier du second degré.
Je voudrais rappeler que les absences des enseignants de l’enseignement public
représentaient 13,6 millions de journées en 2014-
2015. Bien entendu, l’ampleur et la nature
de cet absentéisme sont délicates à apprécier par rapport au reste de la fonction publique,
en raison des conditions d’exercice du métier. À titre d’exemple, les absences dites
«
institutionnelles », dues au fonctionnement même de l’institution scolaire (formations,
participations à des examens ou concours), représentent 20 à 40 % des besoins de
remplacement court dans le second degré.
Si les taux de remplacement sont élevés dans le premier degré (80,2 % en 2016) et pour les
absences longues dans le second degré, notamment grâce au recrutement de non-titulaires
par de nombreuses académies, les difficultés sont très fortes pour les remplacements de
moins de 15 jours dans le second degré.
À la lumière de ces éléments, la Cour souligne la nécessité de clarifier la position des
directeurs d’école et des chefs d’ét
ablissement.
Dans le premier degré, les directeurs d’école pourraient être associés à l’évaluation des
enseignants par l’inspection de l’éducation nationale. Dans le second degré, des marges de
manœuvre plus étendues pourraient être conférées aux chefs d’établissement pour moduler
la répartition des heures de service devant la classe en fonction des postes occupés et des
besoins des élèves, ainsi que pour la création et l’affectation des postes dits « à profil ».
La création d’un véritable continuum entre l’école et le collège pâtit lui aussi d’un manque de
souplesse évident. L’importance de ce continuum pour la consolidation du « socle commun
de connaissances, de compétences et de culture » a pourtant été affirmée à plusieurs
reprises par la loi depuis 2005, et son renforcement aurait dû entraîner des adaptations
importantes de la gestion des enseignants.
Or les mesures prises sont de faible portée. À ce jour, il n’existe pas d’instruments
statutaires pour faciliter les passerelles entre les professeurs des écoles et les enseignants
du second degré. La spécialisation et la monovalence disciplinaire des enseignants de
second degré limitent en particulier les échanges avec le primaire, dont les enseignants sont
polyvalents.
Dans ces conditions, la Cour n
e peut qu’appeler à un effort plus vigoureux d’adaptation
statutaire, pour répondre à l’objectif de maîtrise d’un socle commun recouvrant à la
fois le
primaire et le collège.
Elle recommande en particulier d’instituer, dès la formation initiale, la possib
ilité de bivalence
ou de polyvalence disciplinaire pour les enseignants du second degré intervenant au collège,
et d’ouvrir la possibilité, pour les enseignants déjà en fonction et présentant les compétences
requises, d’opter pour l’ens
eignement de deux disciplines.
Après le cadre d’exercice du métier d’enseignant, la Cour a examiné leurs modalités de
répartition, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives. Elle a mis en évidence la nécessité
Seul le prononcé fait foi
7
d’une adaptation bien plus forte du système aux contextes loc
aux, aux profils des élèves et à
la difficulté des postes. C’est le deuxième grand constat du rapport.
La performance du système scolaire suppose de pouvoir répartir quantitativement les
enseignants de manière différenciée en fonction des situations, notamment économiques et
sociales, comme le prévoit d’ailleurs le code de l’éducation. Toutefois, cette logique se
heurte à une difficulté méthodologique majeure : le manque de connaissances précises de
ces besoins.
Aucune mesure fine des situations scolaires
n’est en effet utilisable à ce jour pour fonder les
décisions d’allocation des moyens. Les évaluations existantes sont établies selon des
méthodologies trop hétérogènes pour être exploitables. Par ailleurs, même lorsque le
ministère produit des indicateurs de performance relative des établissement (par exemple, la
valeur ajoutée des lycées), il n’en prévoit pas l’utilisation dans le cadre du pro
cessus
d’allocation des moyens.
La carte répartissant les moyens de l’éducation prioritaire, revue en 2014, cons
titue une
exception à cette situation dans la mesure où elle intègre mieux la réalité des difficultés des
élèves. Ainsi, 87 % des collèges en éducation prioritaire (834 sur 963 hors DOM) sont situés
dans les quartiers de la politique de la ville. Néanmoins, sa portée concrète demeure limitée,
dans la mesure où l’affectation des moyens enseignants n’y est pas significativement plus
élevée dans le reste du territoire national. Le nombre d’élè
ves par classe en 2016 en
« REP+
» et pour l’ensemble de l’éducation
prioritaire est en effet respectivement de 22,3 et
22,5, par rapport à une moyenne nationale de 24,6. Les mesures prises récemment visent à
essayer d’
améliorer cette situation.
En l’absence d’une répartition géographiquement différenciée des moyens, l’Ét
at a toutefois
amorcé, au cours des dernières années, un rééquilibrage quantitatif bienvenu en faveur de
l’en
seignement primaire en général.
Les nouveaux moyens enseignants se sont ainsi élevés entre 2012 et 2016 à 17 134
équivalents temps plein (ETP) dans le primaire (public et privé), contre 14 504 dans le
second degré (public et privé). Le dispositif « plus de maîtres que de classes », qui devra le
moment venu faire l’objet d’une évaluation à part entière, a bénéficié quant à lui de 3 220
postes à la re
ntrée 2016, dont environ les trois quarts en réseau d’éducation prioritaire.
La scolarisation des moins de 3 ans, autre priorité de la loi de refondation de l’école de 2013,
s’est vu consacrer un nombre limité de nouveaux emplois (1 275 en 2016 pour un ob
jectif
initial de 3 000). Cela explique que le taux de scolarisation des enfants de moins de trois
ans, passé de 35 % au début des années 2000 à 11,2 % en 2012, soit resté pratiquement au
même niveau depuis cette date (11,9 % en 2016, soit 96 600 enfants).
Pour ce qui est à présent de la répartition qualitative, individuelle, des enseignants, la Cour
met en lumière une méthode d’affectation trop rigide et prenant insuffisamment en co
mpte
les difficultés du métier.
En effet, celle-ci continue à être dominé
e par un barème d’application automatique qui ne
tient pas compte des besoins de l’éducation nationale autres que de nature quantitative, et
n’intègre pas les compétences spécifiques des enseignants.
L’adéquation entre leur profil et le poste qu’ils sont
amenés à occuper
est ainsi loin d’être
garantie. Et ce d’autant plus que l’utilisation du dispositif le plus souple pour l’administration,
Seul le prononcé fait foi
8
celui des postes dits « à profil », demeure limitée et ne prévoit pas la participation des chefs
d’établissement.
En
définitive, l’organisation du service des enseignants reste déterminée par des logiques de
corps indifférentes aux conditions réelles d’exercice, ce qui est source d’inégalités e
ntre les
enseignants eux-mêmes.
En témoigne l’affectation massive et croissante d’enseignants en début de carrière et de
remplaçants contractuels dans les postes les plus exigeants. Le nombre de néo-titulaires
affectés en établissements réputés « difficiles » a en effet fortement augmenté depuis 2011,
passant de 1 738 en 2011 à 3 185 en 2016, et la proportion des néo-titulaires affectés dans
ce type d’établissements a crû corrélativement, passant de 20 % en 2011 à 23,6 % en 2016.
Outre le manque d’expérience pédagogique de ces enseignants, cette pratique a pour
inconvénient d’accroître l’instabilité des équipes pédagogiques dans les établissements qui
connaissent la plus grande difficulté scolaire.
À cet égard, les efforts réels qui ont été effectués pour accroître l’attractivité de certains
postes, principalement au sein de l’éduc
ation prioritaire, demeurent de trop faibles palliatifs.
La Cour suggère l’utilisation de plusieurs outils de gestion, qui permettrait notamment de
différencier les conditions de travail et de rémunération en fonction de la difficulté effective
des tâches.
*
*
*
Enfin, et c’est le troisième et dernier constat de la Cour : les pilotages des effectifs, des
rémunérations et du temps de travail des enseignants sont menés de façon séparée, sans
mise en cohérence apparente ni mise en perspective pluriannuelle. Une stratégie
d’ensemble devrait être élaborée, limitant des à
-coups dommageables en termes de
recrutements et liant les réformes structurelles aux efforts budgétaires en termes d
’effectifs
et de rémunérations.
Le débat sur l’efficacité du système scolaire visait jusqu’à présent à résoudre une équation à
une inconnue : celle du nombre d’enseignants. C’est sur cette variable qu’ont principalement
reposé les principales politiques des années récentes. Au non-remplacement des départs en
retraite appliqué de 2007 à
2012 a ainsi succédé une politique d’accroissement des effectifs
de 2013 à 2017, qui a globalement atteint ses objectifs.
Ce que constate la Cour dans son rapport, c’est une déconnexion progressive, sur longue
période, de l’évolution du nombre d’en
seignants et de celle des élèves, en particulier dans le
second degré. Depuis une vingtaine d’années, le nombre des enseignants a en effet cru
(+3 %) tandis que la population scolarisée, elle, diminuait légèrement (-1,4 %).
Cette déconnexion, traduite dans les faits par un pilotage heurté des effectifs, nuit à la
lisibilité et l’attractivité déjà entamées des carrières dans l’enseignement. L’effet mécanique
est en effet simple : la diminution des postes ouverts entre 2009 et 2013 a pu empêcher des
étudiant
s de se projeter dans des carrières d’enseignants et aggraver quelques années plus
tard les conditions de recrutement dans certaines académies ou certaines disciplines, au
moment même où un nombre important de postes était ouvert.
Seul le prononcé fait foi
9
Au total, dans le premier
degré, 1 232 postes ouverts n’ont pas été pourvus entre 2008 et
2015, ce qui a provoqué le recours à des enseignants contractuels pour la première fois. Le
taux de présents aux concours est passé de 5,4 en 2012 à 2,6 en 2015.
Dans le second degré, plusi
eurs
disciplines
souffrent
d’un
manque
d’attractivité
particulièrement fort et croissant : il s’agit de l’allemand, de l’anglais, de l’éducation musicale,
des lettres classiques, des lettres modernes et des mathématiques.
S’agissant des deux paramètres de
régulation majeurs que constituent les rémunérations et
le temps de travail, la Cour observe qu’ils sont actuellement gérés de faç
on déconnectée.
La période 2012-2017 a été marquée par une revalorisation salariale significative.
Comme je l’évoquais en
introduction, entre 2012 et 2016, la masse salariale des enseignants
du secteur public a augmenté d’une façon sensiblement plus importante que celle de
l’ensemble de la fonction publique d’État.
Sur un
e hausse totale de 3,6 Md€, 2,1 Md€ proviennent de l’accroissement des effectifs. Le
reste a permis de financer une revalorisation salariale qui a rapproché la rémunération des
enseignants français de la rémunération moy
enne des enseignants de l’OCDE.
Cet
te revalorisation devrait constituer un soutien bienvenu à l’attractivité de la profession.
Pour autant, la Cour ne peut que souligner que cet effort budgétaire n’a été accompagné
d’aucune véritable contrepartie en termes d’assouplissement du ca
dre de gestion des
enseignants.
En particulier, l’opportunité n’a pas été saisie de réinterroger les dispositions relatives aux
obligations de service et donc au temps de travail des enseignants, dont j’ai souligné les
limites dans la première partie de mon propos.
Les questions de l’annualisation du service
ou de l’assouplissement du régime des heures supplémentai
res auraient pourtant pu être
« mises sur la table ».
Et faire l’objet de concertation et d’échanges.
Cette déconnexion entre les leviers de la rémunération et du temps de travail conduit à une
situation doublement désavantageuse : d’un côté, le coût du système d’éducation s’accroît
sans que sa performance n’en soit nécessairement améliorée
–
au contraire, on a pu
constater qu’elle pouvait se dégrader
- ;
de l’autre, les marges de manœuvre sont de plus en
plus limitées en termes budgétaires pour accompagner les réformes souhaitables.
*
*
*
En définitive, vous l’avez
compris, la Cour constate que les recommandations
qu’elle avait
formulées dans son rapport
de 2013 ont été peu suivies d’effets. Elle relève des efforts
importants sur certains plans, en particulier la formation initiale des enseignants, mais
souligne que jusqu’à présent, tout s’est passé comme si la gestion des enseignants ne
pouvait être adap
tée qu’à la marge. Comme si les ambitions en la matière ne pouvaient être
que limitées.
Pourtant, l’objectif de réussite de tous les élèves exige, pour être atteint, un effort de
transformation profonde de notre système scolaire. Celui-ci est confronté à trois défis
Seul le prononcé fait foi
10
principaux : l’amélioration des résultats globaux des élèves, l’équité pour assurer la réussite
de tous et le renforcement de l’efficacité d’une dépense publique en constante augmentation.
Pour relever ces défis, notre système scolaire dispos
e d’un atout formidable : l’engagement
des enseignants, qui exercent un métier très exigeant dans des conditions dont la difficulté
est peu reconnue.
Les enseignants le soulignent souvent eux-mêmes : le cadre dans lequel ils exercent ce
métier leur permet de moins en moins de remplir leurs missions de façon satisfaisante.
Le caractère insuffisant de la formation continue, l’inadéquation entre le cadre trop rigide et
tronqué des obligations de service et ce que recouvre vraiment leur activité à l’intérieu
r et en
dehors de la classe, ou encore la déconnexion entre leurs profils et leur affectation sont
autant de freins à l’exercice de leur mét
ier dans de bonnes conditions.
Dans ce contexte, la Cour appelle à une réforme structurelle de la gestion des enseignants
qui emporte des améliorations notables pour l’ensemble des acteurs du système. Elle
propose que cette réforme soit guidée par trois principes :
l
’adéquation entre l’évolution des effectifs et la démarche globale d’amélioration du
système scolaire, pour sortir de la gestion des effectifs « par à-coups » et donner de
la lisibilité aux étudiants susceptibles d
e s’engager dans l’enseignement
;
l
’adaptation des moyens d’enseignement et des conditions d’exercice du métier aux
besoins des élèves les plus en difficulté ;
la cohérence entre la gestion des effectifs, des rémunérations et du temps de travail
au travers d’une log
ique négociée de contreparties.
Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats qui
m’entourent, pour répondre à vos questions.