Cour
des
comptes
Le Premier président
Réf. : S 2016-0336-1
à
Monsieur Manuel Valls
Premier ministre
Le
1 8 FEV
.
2016
Objet
:
Les interceptions judiciaires et
la
Plateforme nationale des interceptions judiciaires
(PNIJ)
En
application des dispositions de l'article
L.
111
-3
du
code des juridictions financières,
la
Cour des comptes a contrôlé la gestion, par l'État, des interceptions par voie
de
communications électroniques dans
le
cadre de procédures judiciaires.
À
ce
titre, elle a
examiné les conditions de mise en place de
la
Plateforme nationale des
in
tercep
ti
ons
judiciaires (PNIJ)
au
terme de dix années d'une préparation
pa
rt
iculièrement laborieuse.
À
l'issue de son contrôle, et après contradiction et auditions,
la
Cour m'a demandé,
en
application des dispositions de l'article
R.
143-1
du
même code, d'appeler votre attention sur
les observations suivantes.
***
Outil d'enquête pénale nécessaire à
la
résolution des crimes et délits, l'interception des
communications électroniques entendues au sens large -
communications téléphoniques,
textos, courriels, factures détaillées,
géolocalisation, etc. -
constitue
une activité
particulièrement coûteuse, impliquant
un
grand nombre d'acteurs. Les interceptions
judiciaires ont représenté pour l'État une dépense de 122,55 M€ en 2015, dont 110,27 M€
sur frais de justice, catégorie particulière au sein
du
programme 166
Justice ju
di
ci
ai
re
qui a
déjà fait l'objet d'observations critiques de
la
Cour
1
,
et 12,28
M€
au
titre des
in
vestissements
nécessaires aux interceptions, qui relèvent d'
un
budget différe
nt2
.
1
Cour des co
mp
tes.
Les frais de justice depuis 2011
:
comm
un
ication
à
la commissi
on
des
fi
nances, de l'économie générale et
du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale. Septembre
201
4,
74
p., disponible
surwww
.ccomptes.fr .
2
Investissements des opérateurs de communication électronique (hors PNIJ) pris en charge par l'État
à
travers le programme
218 de
la
mission
Gestion des finances publiques
et
des ressources humaines
ra
ttachée au
sec
rétaire général des ministères
économiques et financiers.
13
ru
e Cambon •
751
OO
PARIS CEDEX
01
• T +33 1 42 98 95 OO· www.ccomptes
.f
r
Cour des comptes -
Référé n° S 2016-0336
-1
2 / 10
Le déploiement de
la
Plateforme nationale des interceptions judiciaires qui, au début de
2016, n'était pas encore achevé, devrait moderniser en profondeur
la
réalisation des
interceptions judiciaires
et
leur gestion, pour un coût final (environ 100
M€
) en principe
rapidement amorti, avec un temps de retour prévu inférieur
à
trois ans. Cette avancée ne
dispense toutefois pas
de
mettre en place, enfin, une réforme d'ensemble -
pilotage,
financement, anticipation technique -
dans ce domaine crucial pour les enquêtes judici
ai
res
et
sensible au regard des libertés publiques.
La mise en service
de
la PNIJ, dont
le
retard a été préjudiciable
à
l'État, doit aujourd'hui aller
de
pair avec la restauration d'une autorité interministérielle claire en matière d'interceptions
judiciaires.
Par ailleurs, les circuits de
la
dépense doivent être radicalement simplifiés.
Enfin, parallèlement
à
la mise en service de la PNIJ, l'État doit, dans ce domaine
techniquement évolutif des interceptions, renforcer dès
à
présent ses capacités d'anticipation
et
préparer l'internalisation de la PNIJ, aujourd'hui située dans les locaux de la société
Thales,
et
prévoir son évolution, afin de satisfaire complètement les besoins actuels et futurs
des enquêteurs judiciaires.
* * *
1 - Les interceptions judicaires et leurs prestations annexes :
un
dispositif juridique et
technique complexe qui doit être réformé pour en améliorer l'efficacité et contenir
l'évolution des coûts
Si l'enjeu financier des interceptions judiciaires n'est pas négligeable (dépense cumulée
de 1 Md€
sur
les
dix
dernières années), cette activité régalienne
est
surtout triplement
sensible : les interceptions présentent d'abord un enjeu pour
la
protection des libertés
individuelles
et
doivent donc pouvoir être contrôlées par
le
juge et garantir
la
protection du
secret de l'instruction ; elles sont ensuite devenues un outil indispensable pour l'identification
des auteurs des crimes
et
des délits, ce qui répond
à
une demande forte et constante des
citoyens ; enfin, elles font appel
à
des techniques· sensibles, proches
de
celles utilisées par
les services
de
renseignement, ce qui requiert des précautions particulières de protection du
secret.
Les interceptions judiciaires combinent deux activités :
•
d'un côté, les opérateurs de communication électronique (OCE), qui acheminent les
communications téléphoniques
et
autres prestations
de
communication (textos, MMS,
etc.), doivent mettre en place des équipements techniques et consacrer des moyens
humains pour collecter des informations sur les communications de leurs clients et
intercepter les données formant les communications vocales ou les messages
électroniques ;
•
d'un autre côté, l'État -
en l'espèce plusieurs milliers d'officiers de police judiciaire
relevant
de
magistrats dispersés sur tout
le
territoire -
do
it disposer d'équipements
permettant
de
recevoir
et
de décoder ces données, aujourd'hui en majorité numériques,
et
de moyens humains pour les exploiter.
L'ensemble
de
ces activités complémentaires doit être organisé pour que les prestations
fournies aux enquêteurs
le
soient de la manière
la
plus rapide, la plus fiable et
la
plus
complète possible, et au moindre coût pour les finances publiques.
13
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PARIS CEDEX 01 • T +33 1 42 98
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des comptes -
Référé n° S 2016-0336-1
3 /
10
1.
Une
organisation de l'État inadaptée face aux enjeux croissants des
interceptions judiciaires
Le
double saut du début des années 2000
À
cette période,
la
généralisation
du
téléphone portable a constitué un double saut qualitatif
et quantitatif car elle a entraîné une augmentation spectaculaire des besoins d'intercepti
ons
et de recueil de données de connexions (prestations annexes). Des investissements auraient
alors été nécessaires, mais l'État n'a pas élaboré de réponse stratégique
à
la
hauteur des
besoins,
ce
qui eût été d'autant plus indispensable qu'en 2000,
le
Conseil constitutionnel
avait censuré une disposition législative visant
à
mettre
à
la
charge des opérateurs de
communication électronique les coûts liés aux interceptions et a consacré
le
principe de leur
juste rémunération
3
.
Si l'État a
su
, pour les interceptions administratives, dites de sécurité, réagir assez
promptement aux évolutions techniques,
la
création, pour les interceptions judiciaires, d'u
ne
structure nationale pour recevoir puis acheminer vers les enquêteurs les données des
opérateurs dans les meilleures conditions
de
sécurité et de traçabilité, envisagée dès 2000
et préconisée par
un
rapport d'inspection remis
au
Premier ministre
en
2004
4
,
n'a été
décidée qu'en 2005.
Dix ans plus tard, au début de 2016,
la
Plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui
en constitue
la
principale réalisation, n'est pas encore complètement opérationnelle ; en
attendant, l'État a
dû
faire appel
à
des prestataires privés pour
la
transmissi
on
et
l'exploitation technique des interceptions.
La
lente réaction de l'État face aux évolutions techniques et
à
l'envolée des dépenses
Faute de réforme globale et d'organisation adaptée,
le
ministère de
la
justice
a,
sur les
quinze dernières années, subi plus qu'anticipé chaque évolution technique.
En
raison des
paiements
à
l'acte des services rendus par les OCE et les prestataires privés d'ap
pu
i
technique aux interceptions, imputés sur les frais de justic
e,
il a été confronté
à
une
augmentation spectaculaire des charges de gestion, qui a conduit les greffes des tribuna
ux
au
bord de l'asphyxie, entraînant des retards de paiement et des contentieux qui
se
sont
soldés par des transactions financières avec ses créanciers ; en outre, les pr
ix
pa
yés pour
les prestations ont
été,
depuis des années, très largement supérieurs aux coûts supportés
par les prestataires techniques et aussi, pendant certaines périodes, par les OCE.
Les différentes réformes engagées par
le
ministère de
la
justice, comme
la
création
de
tarifs
pour les prestations des OCE
à
partir de 2007
ou
la
mise en place d'un circuit
ce
ntralisé et
simplifié pour
le
paiement de cette catégorie de frais de justice
à
partir de 2012, n'ont été
que des remèdes provisoires : elles n'ont pas permis de redresser entièrement une situation
profondément dégradée, du fait de l'inadaptation de ces procédures budgétaires
à
ce
type
d'opérations.
3
Alors
qu
e d'autres pays européens ont fait des choix différents et que la gratuité prévaut, au moins partielleme
nt.
Au
demeu
ra
nt, en France, certaines prestations s
im
i
la
ires
re
ndues par les opérateurs de communication électr
oniq
ue sont
payantes lorsqu'e
ll
es
répondent
à
une réquisition judiciaire et
pe
uvent être gratuites
en
dehors
du
champ judiciaire ;
pa
r
exemple,
la
production de factures détaillées
de
téléphonie
à
l
'a
dministrat
ion
fiscale n'est pas remboursée par l'
État,
conformément
à
la jurisp
rud
en
ce
du
Co
n
se
il
d'Ét
at.
4
Rapport remis par l'IGA
(Ph
ilippe Debrosse), l'I
GF
(Jean-Cl
au
de Hirel), le CGTI (Dominique Varenne et Emmanuel Sartori
us)
et l'IGSJ (Dominique Lott
in
)
su
r
les interceptions
de
cor
respondances émises
par
voie de télécommunications,
c
it
é
en
général
so
us le nom de rapport Hirel. Décembre 2004.
13 rue Cambon • 751
OO
PARIS
CEDEX
01
• T +33 1 42
98
95
OO
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Référé n° S 2016-0336-1
4 / 10
Les graves insuffisances du dispositif encore largement
en
vigueur en 2015
Depuis l'essor de
la
téléphonie mobile et jusqu'à aujourd'
hui
,
la
gestion des intercepti
ons
judiciaires est donc restée
peu
satisfaisante, tant
en
'
Ce
qui concerne l
'o
btention rapide de
données fiables pour les enquêteurs judiciaires que quant à
la
sécurité
du
dispositif et à
son
coût global, qui a progressé
de
89
,
78
M€
en
2005 à 109,27 M€ en 2014 pour atteindre
122,55
M€5
en
2015:
•
d'une façon générale, la faible traçabilité des réquisitions et des réponses apportées par
les OCE tout comme
la
place prise par les sociétés privées d'appui technique aux
interceptions ont soulevé,
au
moins jusqu'en 2015, des interrogations quant à
la
faculté
pour
les
juges d'exercer
le
contrôle qui leur incombe et quant aux garanties de protection
du secret de l'instruction ;
la
PNIJ
devrait lever en grande partie ces interrogations ;
•
les officiers de police judiciaire (OPJ) de
la
police nationale, de
la
gendarmerie nationale
et des douanes
se
plaignent des insuffisances d'un dispositif dont
la
partie concernant
les obligations légales des OCE leur échappe ; ils
ne
sont par ailleurs pas
responsabilisés sur les conséquences financières de leurs réquisitions, prises
en
charge
par d'autres ministères que le leur
Uustice
et économie) ;
•
le
ministère de
la
justice, en raison
du
lien établi, en France, entre
la
nature judiciaire de
l'enquête et l'imputation de
la
dépense, prend en charge une partie importante des frais
des interceptions, sans
en
avoir toutefois réellement la maîtri
se
:
la
délégation aux
interceptions judiciaires (DIJ) est sous-dimensionnée, dépourvue
de
délégué
en
titre
depuis sa création et sans véritable autorité interministérielle ; les procédures
budgétaires de
la
direction des services judiciaires (DSJ) sont inadaptées ;
la
PNIJ
rendra possible
le
contrôle des réquisitions des enquêteurs et permettra de grandement
simplifier celui des facturations des OCE ;
•
en sus de leurs prestations payées
à
l'acte par le ministè
re
de
la
justice, l
es
OCE
font
payer
à
l'État ceux de leurs investissements nécessaires aux interceptions tant judiciaires
que de sécurité, par
un
budget créé
en
2007
et
géré, sous l'égide du Sec
ré
tariat général
de
la
défense et de
la
sécurité nationale (SGDSN), par
le
Commissariat aux
communications électroniques de défense (CCED).
Ce
commissariat dispose d'une
compétence technique rare
au
sein de l'État dans
le
domaine des télécommunications,
mais
il
est sous-dimensionné et aujourd'
hui
mal positionné car
il
relève, pour des raisons
historiques mais désormais insatisfaisantes, du secrétariat général des ministères
économiques et financiers ;
il
ne
gère qu'une partie des obligations légales des OCE,
celles relatives aux interceptions judiciaires
ou
de sécurité, qui pourtant concernent
également d'autres utilisateurs que
le
ministère de
la
justice, (la Haute auto
ri
té pour
la
diffusion des oeuvres et
la
protection des droits sur internet - HADOPI, l'
adm
inistration
fiscale, etc.) ; son budget
ne
couvre que les investissements liés aux interception
s,
à
l'exclusion des frais de fonctionnement des services d'obligations légales, financés par le
ministère de
la
justice sur frais de justice. L'État, qui présente deux interlocuteurs
différents en face des opérateurs, s'
en
trouve affaibli :
il
ne peut négocier, dans les
meilleures conditions, sur les investissements et les prestations
à
fournir par les
OCE
et
leur prix
(61,
15
M€
au
total
en
2015) ;
il
peine à en mieux dé
fi
nir les obligations légales
et
à en bien contrôler
le
respect.
5
Ce
ch
iffre comprend les dé
pen
ses d'investissement hors PNIJ (12,28 M€
en
2015
au
titre des inter
ce
ptions
ju
dic
iai
res,
sur la
base d'un partage de
80
% pour les interceptions judiciaires et 20 % pour les interceptions de sécurité), les frais de
ju
sti
ce
versés aux prestataires techniques d'appui aux interceptions (61,4 M
€)
ainsi que les frais
de
justice compensant
le
traitement
des réquisitions par
le
s OCE (48,
87
M€
su
r 2015,
si
l
'o
n inclut 19,2 M€ de c
ha
rges transférées sur l'exercice 2016).
13 rue Cambo
n•
75100 PARIS CEDEX
01
• T +33 1
42
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Réfé
ré
n° S 2016-0336-1
5 / 10
2.
La nécessité
d'une
réforme
globale
du
pilotage
et
du
financement des
interceptions
judicaires
Forte de ces constats,
la
Cour recommande de réformer
rad
icalement le dispositif selon
deux ax
es
.
2.1.
Instituer
un
pilotage interministériel, d'ailleurs décidé
en
2005 mais jamais
installé, en clarifiant
au
pl
us vite les attributions des administrations compétentes et en
comblant les insuffisances actuelles du dispositif,
ce
qui nécessite essentiellement
le
renforcement des deux services qui structurent
la
gestion, par l'État, des interceptions
judiciaires.
•
Le
Commissariat
au
x communications électroniques de défense (CCED) devrait
se
voir
confier une compétence générale et interministérielle sur toutes les obligations légales
des opérateurs de communication électronique en matière d
'i
nterceptions et de
prestations annex
es
, au-delà des seuls investissements liés
au
x interceptions.
Le
CCED
devrait également être renforcé dans ses compétences techniques pour assurer
une
foncti
on
de prospective et de réaction rapide face
au
x évolutions techniques. Afin
d'asseoir
la
vocation interministérielle du CCED,
ce
dernier devrait être nommé
pa
r
le
Premier ministre et relever
du
SGDSN.
•
La
délégation aux interceptions judiciaires (
DIJ
),
devenue
un
simple service
du
secrétariat général du ministère de la justi
ce
, a progressivement
pe
rdu
sa
vocation
interministérielle.
Le
caractère interministéri
el
de ses missions devrait être juridiquement
formalisé et
la
nomination du délégué prononcée, comme prévu initialement, par
le
Premier ministre.
Elle
devrait
se
voir attribuer
la
gestion de l'ensemble des questions
liées
au
x interceptions judiciaires hors relations avec les OCE, c'est-à-dire, outre
le
projet
PNIJ,
la
passation de marchés avec les prestataires privés dont
le
concours devrait
rester nécessai
re
, même apr
ès
complet achèvement de
la
PNIJ, ainsi que l'anticipation -
avec
le
CCED -
des évolutions techniques et juridiques à venir. Parallèlement,
le
Comité
d'orientation des interceptions judiciaires (COIJ
),
qui ne remplit
pas
son rôle de
coordination interministérielle, devrait être renforcé et relever d'
un
décret
du
Pr
em
ier
ministre.
La
DIJ
, dont les moyens humains seraient impérativement à renforcer,
le
cas
échéant par redéploiement d'emplois, pourrait être érigée
en
service à compétence
na
tionale.
2.2.
Rationaliser
substantiellement
le dispositif, en
particulier
sur
le plan
financier, en cohérence avec les orientations de l'axe précéden
t.
La
gesti
on
, y compris financière, des prestataires privés d'appui technique
au
x interceptions,
subsistant parallèlement à
la
PNIJ, devrait relever de
la
délégation
au
x interceptions
judiciaires (DIJ)
et
non
de
la
direction des services judiciaires (DSJ) ;
le
recours à ces
prestataires devrait être fortement encadré dans
le
cadre de marchés et ne plus donner lieu
à des paiements à l'acte.
Par ailleurs, l'automatisati
on
d'un grand nombre de prestations grâce à
la
PNIJ devrait
condui
re
à négocier globalement à
la
baisse et sans délai les remboursements
fa
i
ts
aux
OCE par l'État ; cette négociation devrait être menée par le seul CCED,
au
nom
de
l'État
dans son ensemble, et
fa
i
re
l'objet de marchés (à
pri
x forfaitaires) incluant des objectifs de
qualité et de sécurité et mutualisant toutes les prestations commandées par l'Etat
(
in
terceptions judiciaires, interceptions de sécurité et autres prestations
6
) .
Une telle réforme,
qui compléterait les effets positifs engendrés par
la
PNIJ, devrait permettre très rapidement
d
'i
mportantes économi
es
budgétaires.
La
Cour considère que, si une telle réorganisation avait été mise
en
place dix ans plus tôt,
elle aurait permis à l'État d'économiser entre
un
tiers et
la
moitié des dépenses effectuées
depuis
di
x ans, soit entre 350 et 480 M€.
6
De nombreuses aut
res
admi
ni
strations disposent légalement du droit de demander des renseignements aux OCE, comme
des factures détaillées, le blocage
de
sites internet, e
tc
. : l'administration fiscale, l'HADO
PI
, etc.
13 rue Cambon • 75100 PARIS CEDEX 01 • T +33 1 42 98 95
OO
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Cour des comptes -
Référé n° S 2016-0336-1
6 /
10
* * *
Il -
La
PNIJ : un outil nécessaire qui a connu
un
retard important, préjudiciable
à
la
fois pour les enquêtes judiciaires et pour les finances publiques, et dont l'avenir doit
être anticipé sans attendre
Face
au
constat d'une organisation insuffisamment performante des interceptions judiciaires
et d'un coût non maîtrisé, le rapport d'inspection précité rendu
en
2004 avait proposé les
jalons d'une refonte du système. Cette réforme d'ensemble, validée par une réunion
interministérielle
au
printemps
2005,
se
fondait
sur
deux
choix
structurants
complémentaires : premièrement,
la
création d'un service interministériel dédié aux
interceptions judiciaires qui a pris la forme de la DIJ ; deuxièmement, la mise en place d'
un
centre de gestion des interceptions propre à l'administration, c'est-à-dire une plateforme
technique permettant d'améliorer
la
qualité et
la
sécurité du système tout en contenant les
coûts.
Dix ans plus tard, ces choix demeurent pertinents, alors qu'ils n'ont été que partiellement mis
en oeuvre.
En
particulier, le projet de plateforme a pris beaucoup de retard et n'est toujours
pas,
au
début de 2016, entièrement opérationnel. Conçue
en
2005, annoncée pour la
première fois officiellement en 2006, la plateforme devait être opérationnelle à la fin de 2007
ou
au
début de 2008 ; le marché passé pour sa conception et
sa
réalisation n'a été notifié
au
titulaire qu'en
2010;
commencé en 2011, il
ne
devrait se terminer qu'à la fin de 2016.
Le
retard de la PNIJ a été préjudiciable aux intérêts, notamment financiers, de l'État
Ce retard, de près de sept ans, par rapport à l'ambition initiale de 2005, a plusieurs causes :
•
la
complexité technique du projet qui avait été initialement sous-estimée ;
•
la faiblesse, déjà signalée, d'une délégation aux interceptions judiciaires (DIJ)
sous-dimensionnée pour un projet aussi important et complexe, affectée de surcroît par
des crises de gouvernance internes au ministère de la justice ;
•
les freins extérieurs nombreux, allant de l'opposition des sociétés privées d'appui
technique aux interceptions, qui ont été écartées du marché visant à créer
la
Plateforme
nationale, jusqu'aux difficultés de coopération entre les ministères concernés ;
•
le
pilotage interministériel insuffisant, résultat de choix organiques défaillants, notamment
l'absence de légitimité de la DIJ et
la
rareté des interventions
au
niveau des services du
Premier ministre, qui ne se sont manifestées que trois fois : une première, en 2008, pour
encadrer
le
choix du titulaire du marché ; une deuxième, en 2010, et
au
plus haut niveau
de l'État, pour sauver
in extremis
un projet qui, à force de blocages, a bien failli ne pas se
faire du tout ; une dernière, en 2015, pour répondre aux observations provisoires de la
Cour des comptes.
La
principale conséquence négative du retard pris par la PNIJ est d'avoir fait perdurer un
système à maints égards peu satisfaisant et de plus
en
plus coûteux, empêchant de surcroît
la réalisation d'économies : chaque année de retard de la PNIJ a empêché l'État de faire
environ 65 M€ d'économies brutes
7
.
Le choix de l'hébergement de la Plateforme hors des infrastructures de l'État est critiquable
Compte tenu de
la
sensibilité toute particulière des techniques d'interception,
la
décision de
classer«
confidentiel
défense»
le marché PNIJ, prise à
la
demande du SGDSN de l'époque,
et le choix de mettre
en
oeuvre des exceptions prévues par
le
code des marchés publics
n'appellent pas de critique ; des exemples étrangers montrent d'ailleurs combien ces
dispositifs d'interception sont sensibles et peuvent engager directement
la
souveraineté
7
Hors dépenses de rém
un
ération
des
agents de l'État; il conviendra d'en déduire le coût de fonctionnement et d'évol
ut
ion de la
PNIJ, ainsi que les dépenses associées (réseau
x,
etc.), soit des économies nettes estimées
à
40 M€ en année plei
ne.
13
rue Camb
on
• 75100 PARIS CEDEX 01 • T +33 1 42 98 95
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Cour des
co
mptes -
Référé n° S 2016-03
36
-1
7 / 10
nationale. L'indépendance dans
ce
domaine constitue plus que jamais
un
objectif pertinent,
même
si
elle a
un
prix.
En
revanche, le choix de faire héberger
la
PNIJ, non par l'État, mais par
un
prestataire privé
suscite des interrogations auxquelles la Cour,
à
l'issue de
son
contrôle, n'a pas
pu
obtenir de
réponse.
En
particulier, elle n'a pas
pu
déterminer avec certitude les raisons qui ont conduit
le ministère de l'intérieur
à
refuser d'installer
la
Plateforme dans l'
un
de
ses
sites
informatiques sécurisés, alors même que des études conduites préalablement avaient
formulé des recommandations en
ce
sens. Face
à
une décision aussi importante,
le
ministère de
la
justice, avant de confier l'hébergement
à
une
société privée, aurait dû
solliciter une décision interministérielle afin de trouver
une
solution plus conforme aux
intérêts sécuritaires et financiers
à
moyen terme de l'État.
Le coût de la PNIJ devrait rapidement être compensé par des économies sensibles
Le coût final de
la
PNIJ -
hors maintien
en
condition opérationnelle
à
partir de 2017 -
pourrait dépasser
à
la
fin de 2016 les 100 M€
8
.
Si
les estimations initiales de 2005-2006 avançaient des montants autour de 17 M€, elles
ne
sont pas comparables aux dépenses aujourd'hui engagées : d'une part, elles étaient
peu
réalistes et, d'autre part, les fonctionnalités de
la
PNIJ ont été accrues depuis.
Néanmoins, le surcoût est réel :
le
prix
du
seul marché
au
sens strict s'élève
à
65,07 M€
à
la
fin de 2015 et devrait atteindre 82,67 M€
à
terminaison,
à
la
fin
de 2016, soit
un
doublement
par rapport
au
marché initial (42, 1
M€)
.
Ce
montant doit certes être mis en regard, d'une part, des dépenses annuelles pour les
interceptions judiciaires hors PNIJ (122 M€ en 2015) et, d'autre part, des économies
immédiates que la PNIJ devrait apporter (65
M€
bruts
en
année pleine).
En
dépit du coût de
la
PNIJ et des coûts
à
venir (fonctionnement et évolution), cet investissement devrait donc
être rapidement amorti (40 M€ d'économies nettes par an),
si
ces hypothèses
se
confirment.
Il
est cependant difficile d'anticiper l'impact des évolutions techniques
à
court et moyen
terme sur
la
permanence de ces économies, car ces évolutions nécessiteront une adaptation
continue de
la
Plateforme ainsi que
la
perpétuation
du
recours, même limité,
à
d'autres
prestataires techniques, en-dehors de la PNIJ, pour des produits nouveau
x.
Plus que
le
coût global net du projet PNIJ, c'est donc
le
retard dans
son
déploiement qui est
avant tout regrettable.
Des mesures devraient être anticipées dès maintenant afin de garantir
la
performance des
interceptions judicaires dans l'avenir
Les principaux choix structurels de
la
PNIJ -
centralisation, contrôle et sécurité, protection
de
la souveraineté nationale -
paraissent pertinents ;
en
revanche,
le
projet appelle deux
observations :
•
une plus grande indépendance entre briques fonctionnelles
(transmission des
réquisitions aux opérateurs de communication électronique ; automatisation des
prestations annexes de type factures détaillées ; écoutes
au
sens strict ; géolocalisation
en temps réel, etc.) aurait sans doute permis d'étaler davantage
sa
mise
en
service,
en
proposant aux enquêteurs et aux magistrats certaines fonctionnalités plus tôt
(en
particulier,
la
transmission sécurisée des réquisitions),
ce
qui aurait permis
à
la
fois
de
produire des économies plus précocement et de rassurer des utilisateurs légitimement
soucieux de disposer d'un outil performant, indispensable aux enquêtes pénales ;
•
en acceptant
un
degré élevé de dépendance
à
l'égard de
la
société prestataire,
notamment en la chargeant d'héberger
la
Plateforme, en ignorant des possibilités
de
coopérations interministérielles pour l'hébergement et pour l'exploitation de
ce
système,
8
Au moins 102,7 M€ tout compris, comprenant
le
marché principal PNIJ (82,67 M€
à
terminaison fin 2016) ainsi que les
dépenses connexes pris sur différents budgets (marché d'assistance
à
maîtrise d'ouvrage, réseaux pris en charge par
le
CCED,
transaction conclue en 2014 avec le titulaire du marché principal, etc.).
13
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l'État s'est placé
en
position défavorable pour remettre en concurrence
à
court terme son
exploitation et sa maintenance,
ce
qui est a
priori
financièrement pénalisant.
Même
si
le déploiement de
la
PNIJ n'est pas encore achevé
au
début de 2016, l'État devrait
dès
à
présent mener des études en vue d'un plan d'action pluriannuel, doté des budgets
appropriés
à
dégager par redéploiements, pour :
•
internaliser la Plateforme, en cohérence avec le cycle de vie de la PNIJ (2018-2020),
c'est-à-dire, d'une part, prévoir et aménager un lieu appartenant à l'État pour accueillir la
PNIJ (ou les équipements de
la
génération suivante) et, d'autre part, acquérir une
maîtrise technique du système afin de faire jouer la concurrence pour son exploitation
ainsi que sa maintenance corrective et évolutive ;
•
renforcer les capacités humaines de
la
DIJ pour assurer une maît
ri
se d'ouvrage
permettant en particulier d'anticiper les évolutions nécessaires de la Plateforme. D'une
façon générale, l'État (DIJ et CCED) doit se mettre
en
situation de pouvoir réagir
rapidement, aux plans juridiques et techniques, pour répondre aux besoins des
enquêteurs judiciaires ;
•
établir un partenariat avec
le
secteur privé innovant, qui gardera une place parallèlement
à
la
PNIJ pour les produits nouveaux d'aide
à
l'enquête, et passer des marchés avec des
entreprises capables d'offrir les meilleurs outils aux enquêteurs,
au
moindre coût pour les
finances publiques, dans un cadre juridique plus adapté que la réquisiti
on
au coup par
coup;
•
renforcer, dans les limites imposées par les considérations de sécurité et de
confidentialité, les coopérations internes
à
l'État entre la délégation
au
x interceptions
judiciaires du ministère de la justice, le groupement interministériel de contrôle (GIC) et
le
ministère de l'intérieur.
L'année 2016, qui devrait voir la PNIJ se déployer entièrement, devrait être mise
à
profit pour
conduire les réformes préconisées dès 2005, c'est-à-dire renforcer le pilotage inte
rm
inistériel
des interceptions judiciaires, et consolider les deux acteurs principaux que sont le CCED et
la
DIJ et mener à bien les études permettant de s'adapter aux évoluti
on
s toujou
rs
plus
rapides des techniques de communication.
* * *
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
Sur
la
nécessaire amélioration de la gouvernance interministérielle des interceptions
judiciaires :
Recommandation n° 1
:
renforcer la délégation aux inte
rc
eptions j
udi
ciaires
(DIJ), en
la
dotant de compétences interministérielles affirmées : p
re
mièrement,
lui donner une assise réglementaire plus forte et lui faire prendre éventuellement
la forme d'un service
à
compétence nationale ; deuxièmement, nommer
un
délégué
au
x interceptions judiciaires par décret du Premier ministre, comme
prévu par
un
arrêté de 2006 ; troisièmement, confier
à
la DIJ
la
gestion de tous
les crédits qui,
au
sein des programmes budgétaires du ministère de la justice,
financent les interceptions, qu'il s'agisse des projets STIJ
9
et PNIJ
ou
des
marchés passés avec des prestataires techniques ; quatrièmement, renforcer,
le
cas échéant par redéploiement d'emplois, ses moyens humains ;
9
Système de
tr
ansmission des interceptions judiciaires.
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10
Recommandation
n°
2
:
renforcer
le
Commissariat
aux
communications
électroniques de défense (CCED) : premièrement, le transformer
en
délégation
interministérielle et charger
le
Premier ministre de nommer son délégué ;
deuxièmement,
le
placer sous l'autorité du secrétariat général de
la
défense et de
la
sécurité nationale (SGDSN) ; troisièmement,
lui
attribuer une mission claire de
chef de file pour tout
ce
qui concerne les obligations légales des opérateurs
de
communication électronique (OCE) et lui confier
la
gesti
on
de tous les crédits
finançant leur «juste rémunération
»
(investissement et fonctionnement) ;
quatrièmement, renforcer ses moyens humains,
le
cas échéant par redéploiement
d'emplois;
Recommandation
n°
3 : renforcer
le
rôle
et
la
composition
du Comité
d'orientation des interceptions judiciaires (COIJ) qui doit, tout comme
la
DIJ,
relever d'un décret du Premier ministre ;
Sur
la
rationalisation des dépenses liées aux interceptions judiciaires :
Recommandation
n°
4
:
faire prévaloir une interprétation cohérente
du
principe
constitutionnel de « juste rémunération
»
des OCE ; passer avec eux des
marchés en
la
forme dont les prix forfaitaires, globalement
à
la baisse,
couvriraient
les
réquisitions
de
toutes
les
administrations
ou
autorités
indépendantes concernées ;
Recommandation
n°
5
:
charger
la
DIJ
de passer des marchés
à
bons
de
commandes et
à
prix forfaitaires avec les prestataires privés d'appui technique
aux interceptions dont
le
concours resterait nécessaire, après
le
complet
achèvement de
la
PNIJ, pour les prestations assimilées
ou
connexes aux
interceptions judiciaires, selon les règles de
la
commande publique et non par des
commandes
au
coup par coup dans
le
cadre des frais de justice ;
Sur
la
Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) et l'antiCipation de l'avenir:
Recommandation n° 6
:
anticiper l'évolution de la PNIJ
à
moyen terme
(2018-2020) conformément au cycle de vie des matériels et des logiciels,
en
achevant avant
la
fin de 2016 les études relatives
à
l'avenir de
la
Plateforme,
en
arrêtant une programmation pluriannuelle des travaux et des budgets pour les
interceptions judiciaires, ainsi qu'en prévoyant l'hébergement et
la
maîtrise
technique par l'État des équipements de
la
prochaine génération ;
Recommandation
n°
7
:
explorer les possibilités de mutualisations et de
coopérations dans le domaine des interceptions, notamment avec
le
ministère de
l'intérieur et -
dans
le
respect des missions respectives de ces acteurs -
avec le
Groupement interministériel de contrôle (GIC).
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36-1
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Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu
à
l'article L. 143-5 du code des juridictions financières, la réponse
que
vous aurez donnée
à
la
présente communication
10
.
Je vous rappelle qu'en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances
et,
dans leur domaine
de
compétence, aux
autres
commissions
permanentes de l
'A
ssemblée nationale et du Sénat.
Il
sera accompagné de
votre réponse
si
elle est parvenue
à
la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse
leur sera transmise dès sa réception par
la
Cour (article
L.
143-5) ;
dans le respect des secrets protégés par
la
loi, la
Cour
pourra mettre en ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article
L.
143-1);
l'article
L.
143-10-1
prévoit que, en tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez
à
la
Cour un compte rendu des suites données
à
ses observations,
en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit
être adressé
à
la
Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle
et
votre administration.
10
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse sous forme dématérialisée via
Correspondance JF
l)
à
l'adresse électronique suivante : g
re
ffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 portant applica
ti
on du décret n°
20
15-146 du
10
février 2015
rel
atif
à
la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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