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Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du Rapport public annuel 2016
mercredi 10 février 2016
Mesdames, Messieurs,
La présentation du rapport public annuel est un
moment important pour les juridictions
financières et, nous en sommes convaincus, pour le débat autour de la bonne gestion
publique
. Avec ses deux tomes, il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’une collection d’anecdotes
ni d’un florilège d’observations circonstancielles. Ce rapport est guidé et structuré par une
préoccupation centrale : formuler des pistes de réforme, contribuer à la modernisation des
services publics, en expliquant ce qui fonctionne bien et ce qui pourrait progresser, et
encourager les décideurs à s’intéresser davantage aux résultats de leur action, de l’action
publique. C’est l’occasion pour la Cour d’illustrer ses recommandations par des exemples
concrets, qui touchent le quotidien de nos concitoyens.
Pour vous présenter ce travail, je suis entouré d’Henri Paul, président de chambre et
rapporteur général du comité du rapport public et des programmes, ainsi que des présidents
des sept chambres de la Cour.
Je remercie
les rapporteurs, nombreux. Seuls certains
d’entre eux se trouvent derrière moi ce matin. Je veux exprimer ma reconnaissance à toutes
celles et ceux qui ont contribué à ce travail, au sein des formations collégiales, du Parquet
général, et dans les services de la Cour et des chambres régionales et territoriales des
comptes. Je tiens à saluer particulièrement le rapporteur général, ainsi que son équipe, dont
l’action est essentielle à l’élaboration et à la publication de ce document.
Ce rapport est, plus que les années précédentes, accompagné d’illustrations et de données
valorisées : la Cour, dans le cadre de sa
politique d’
Open data
, mettra en ligne les données
publiques correspondant aux tableaux et graphiques figurant dans ce rapport. Ces jeux de
données, à la disposition de toutes celles et tous ceux qui veulent les utiliser, complèteront
les infographies qui figurent dans votre dossier.
Les
messages portés par le rapport de la Cour
sont au nombre de trois :
Premièrement, la
situation des finances publiques
s’améliore. Cette amélioration
est toutefois lente, fragile, limitée. La situation reste en conséquence source de
préoccupations, voire d’inquiétudes.
Deuxièmement, l’urgence de moderniser les services publics appelle
des choix
déterminés et une mise en oeuvre méthodique
.
Troisièmement et enfin, nos contrôles mettent en évidence la nécessité d’une plus
grande
clarté
, d’une plus grande
sélectivité
dans les choix, d’une plus grande
efficacité
et d’une plus grande
efficience
de l’action publique, aussi attendues par
nos concitoyens.
Seul le prononcé fait foi
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Avant d’entrer dans le détail de ces messages, je veux consacrer mon propos liminaire à la
manière dont la Cour et les chambres régionales et territoriales s’efforcent de contribuer, par
leur action, à l’amélioration de la gestion publique. J’en profite pour saluer les collègues des
chambres régionales et territoriales dans lesquelles cette conférence de presse est
retransmise en direct. Leurs travaux tiennent en effet une place importante dans ce rapport.
*
Je veux tout d’abord insister sur
l’unité et la cohérence du rapport public annuel
, dont
l’histoire est directement liée à celle de notre démocratie. Créé en 1832, le rapport annuel de
la Cour des comptes est rendu public depuis 1938. Systématiquement publié depuis 1946, il
s’adresse à la fois aux pouvoirs publics et à l’ensemble des citoyens.
Le premier tome
comporte les observations de la Cour et des chambres régionales et
territoriales des comptes. Il s’intéresse plus précisément à la situation d’ensemble des
finances publiques au vu des dernières données disponibles, ainsi qu’à plusieurs politiques
publiques et à différentes problématiques de gestion publique. Il illustre la diversité des
travaux menés par les juridictions financières l’année passée. Il fournit des exemples de
réformes qu’elles préconisent de conduire.
Le second tome
met sur la table le bilan de l’activité de la Cour et des chambres régionales,
ainsi que les suites données par les pouvoirs publics à leurs recommandations. Il donne
ainsi à voir contribution des juridictions financières au débat public, et permet d’apprécier la
part qu’elles prennent dans l’amélioration
de la gestion publique. Les codes couleur des
chapitres de ce second tome sont désormais bien connus de vous : «
la Cour constate des
progrès
» (en vert), «
la Cour insiste
» (en orange), «
la Cour alerte
» (en rouge). Je veux
notamment citer plusieurs cas où la Cour constate des progrès, dont certains sont très
directement liés aux recommandations qu’elle a pu formuler dans le passé.
Le premier exemple concerne le dispositif des
certificats d’économies d’énergie
. Ce
dispositif, je le rappelle, a pour objet d’inciter les fournisseurs d’énergie à promouvoir
l’efficacité énergétique auprès de leurs clients, en leur imposant de réaliser des économies.
Dans le fil des recommandations formulées par la Cour en 2013, le dispositif a gagné en
efficacité, grâce à son actualisation périodique, à la simplification des procédures, à
l’optimisation des programmes en cours, et à un meilleur ciblage. Cet effort doit être
maintenu.
Le deuxième exemple a trait à la politique française d’incorporation des
biocarburants
dans
les carburants. Il y a quatre ans, la Cour avait conclu que cette politique avait été
modérément efficace sur le plan agricole, sur le plan de l’indépendance énergétique et sur le
plan de la réduction des émissions de gaz à effets de serre. La juridiction avait préconisé
l’examen rigoureux des conditions d’une poursuite du soutien de l’État. Depuis 2013, des
améliorations ont été observées. Les résultats d’incorporation ont progressé, avec des cibles
plus réalistes, malgré des artifices de comptage discutables. Les lois de finances récentes
ont procédé à des ajustements utiles, conformes aux recommandations de la Cour, comme
la fin de mesures de défiscalisations que nous avions jugé incohérentes ou l’inclusion du
gazole non routier dans l’assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (la TGAP).
Ces efforts doivent bien sûr être poursuivis, notamment pour renforcer la transparence vis-à-
vis du consommateur.
Seul le prononcé fait foi
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Le troisième exemple est celui consacré au
financement de la défense nationale
. En 2009,
le Gouvernement avait souhaité compenser le manque de crédits programmés en mobilisant
des ressources exceptionnelles : les produits de cessions d’actifs publics, et des crédits
budgétaires de programmes d’investissement public à caractère exceptionnel, comme les
programmes d’investissements d’avenir. La Cour avait rapidement identifié le risque,
effectivement survenu, d’une évaluation optimiste des montants et des calendriers de
disponibilité de ces ressources. Les dérives observées ont été interrompues en tenant
compte de nos recommandations. Des crédits budgétaires ont été substitués, dans la loi de
programmation militaire, à la
quasi
-totalité des ressources exceptionnelles. Cette clarification
doit être menée à son terme, et surtout confirmée dans le temps, mais elle est d’ores et déjà
bienvenue.
Le quatrième exemple, bien connu de vous, concerne
la gestion de l’extinction de Dexia
,
dont la chute et le démantèlement constituent le plus grave sinistre bancaire survenu en
France depuis le début des années 2000. La Cour a observé une mise en oeuvre du plan de
résolution conforme aux engagements pris, même si les résultats sont fragiles. La
renégociation des emprunts toxiques, lente, tend depuis peu à s’accélérer. Toutefois, trop
peu d’enseignements ont été tirés jusqu’à récemment sur les responsabilités à engager en
cas de sinistre financier. À cet égard, et on peut s’en réjouir, lors du débat parlementaire sur
le projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires, le Gouvernement a déposé un
amendement, directement inspiré du rapport de la Cour et voté par le Sénat, qui porte sur ce
que l’on appelle les «
parachutes dorés
» : un fonctionnaire ayant exercé des fonctions de
dirigeant dans un organisme public ou bénéficiant de concours public ne pourra pas
réintégrer son administration d’origine et percevoir en même temps de cet organisme des
indemnités liées à la cessation de ses fonctions. Cette avancée, qui ne vaut pas seulement
en cas de sinistre et qui doit encore être confirmée dans le texte finalement adopté, est tout
à fait bienvenue, quand on sait que la chute de Dexia a coûté, à ce stade, 6,6 Md€ aux
finances publiques.
Dans son rapport public 2016, la Cour fait le point sur l’une de ses compétences : le contrôle
des
organismes bénéficiant de la générosité publique
. Au cours des vingt dernières
années, elle a publié 43 rapports sur 34 organismes, ainsi que plusieurs rapports
transversaux. Elle a développé une doctrine constante, qui s’appuie sur le contrôle du
respect de la volonté du donateur, cela est rappelé dans le rapport.
Autre compétence dévalue à la Cour, la plus récente, l’
évaluation
découle de la révision
constitutionnelle de 2008. En 2015, la Cour a conduit plusieurs évaluations. À la demande de
l’Assemblée nationale, elle s’est notamment intéressée à l’action de la Douane, aux
politiques de lutte contre la pollution de l’air et aux services publics numériques.
*
J’en viens maintenant au premier message de la Cour : la
situation des finances
publiques
s’améliore. Cette amélioration est encore lente, fragile, limitée. La situation
reste en conséquence source de préoccupations, voire d’inquiétudes
.
La Cour relève la difficulté rencontrée pour redresser cette situation plus nettement et plus
durablement, malgré les efforts entrepris. Selon les dernières prévisions du Gouvernement,
les objectifs de réduction des déficits publics auraient été tenus l’année dernière, sous
réserve de confirmation. Les résultats devraient même être meilleurs que prévu. Pour autant,
cette baisse est restée lente et limitée.
Seul le prononcé fait foi
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La prévision gouvernementale de maîtrise des déficits pour 2016 est plus ambitieuse qu’en
2015.
La réalisation de cet objectif reste encore malgré tout incertaine
, ne serait-ce que
pour trois raisons :
d’une part, les hypothèses d’inflation et de hausse de la masse salariale du secteur
privé – donc les prévisions de
recettes
fiscales et sociales – paraissent surestimées ;
les prévisions toutes récentes de la Commission européenne viennent d’ailleurs de
confirmer ce risque ;
d’autre part, le choix de sous-estimer dans la programmation budgétaire initiale
certaines
dépenses de l’État
, comme les opérations extérieures ou l’hébergement
d’urgence, fait peser des risques de dépassement ; des urgences prévisibles en
cours d’année, comme le plan pour l’emploi et la formation annoncé par le
Gouvernement ces dernières semaines, sont susceptibles d’accentuer ces risques ;
enfin, l’objectif retenu pour la croissance des
dépenses sociales
sera également
difficile à tenir ; une partie des économies attendues en matière de régimes de
retraite complémentaire et d’assurance-chômage (1,8 Md€ au total) pourrait ne pas
être au rendez-vous cette année.
La Cour se réjouit évidemment de
la perspective d’un retour à des conditions
économiques un peu plus favorables
, mais la prudence reste de mise. En 2016, le déficit
public devrait rester supérieur à 3 points de PIB. La dette publique approcherait 100 points
de PIB. Cette situation
n’autorise aucun relâchement des efforts
. La réduction des déficits
publics ne peut en effet pas seulement reposer sur l’amélioration des recettes permise par
une amélioration conjoncturelle. Elle doit aussi résulter d’une action résolue sur le besoin de
financement structurel de toutes les administrations publiques : État, collectivités territoriales,
sécurité sociale. Dans ce dernier cas, nous ne pouvons collectivement pas nous satisfaire
d’un déficit durable des comptes sociaux, destiné uniquement à financer de la dépense
courante !
Une fois de plus, la question n’est pas, pour la Cour, de tenir une position dogmatique, ni de
recommander à toute force de réduire les crédits nécessaires à l’exercice de missions
prioritaires. La question qui se pose est celle de l’efficacité, de l’efficience de la dépense
publique, et de la pertinence de crédits alloués à des missions ou des structures dont l’utilité
n’est plus aussi démontrée. Il faut mettre en regard les moyens consacrés et les résultats
effectivement obtenus, avant de décider d’un éventuel maintien, voire d’un abondement de
ces moyens. L’augmentation des dépenses ne doit pas être la principale, voire la seule
réponse, à chaque fois qu’un problème est identifié, au risque de perdre de vue l’exigence
d’efficacité et d’efficience de l’action publique.
Au total, la maîtrise des déficits et du poids de la dette publique doit être poursuivie
avec vigueur
. Dans le cas contraire, la France risquerait d’être à l’avenir encore plus
contrainte dans l’utilisation de l’instrument budgétaire. Il y a un mois, lors de notre audience
solennelle, j’évoquais la capacité de la France à procéder à des choix souverains de
politique publique, sa capacité à dégager des marges de manoeuvre pour faire face aux
priorités du temps. Cette capacité reste entravée par la situation des finances publiques.
Plusieurs insertions de ce rapport annuel 2016 illustrent parfaitement la difficulté parfois
rencontrée dans la répartition des moyens consacrés à des missions régaliennes. Je veux
notamment citer
le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire
exercés par le préfet sur
Seul le prononcé fait foi
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les actes des collectivités territoriales et de leurs groupements. La large enquête de terrain
conduite par la Cour a mis en évidence l’efficacité insuffisante des contrôles effectués. Cet
exemple démontre aussi les limites de la «
technique du rabot
». Sans modernisation de
l’organisation et des modes de fonctionnement, la réduction uniforme des moyens est
inefficace. Plus grave encore, elle peut fragiliser, voire remettre en cause l’exercice de
certaines missions pourtant essentielles.
*
J’en arrive maintenant au deuxième message de la Cour, qui constitue un fil rouge du
rapport.
L’urgence de moderniser les services publics
appelle des
choix déterminés
et
une
mise en oeuvre méthodique
. Cette méthode repose sur des
principes de bon sens
:
une réforme réussie repose sur une bonne anticipation des besoins, une identification
correcte des investissements pertinents, une conduite rigoureuse et un accompagnement du
changement selon le calendrier approprié, c’est-à-dire sans précipitation mais sans
immobilisme.
Le cas des
transports ferroviaires en Île-de-France
illustre tout à fait la nécessité, pour les
organismes publics, de hiérarchiser et de choisir avec rigueur les investissements à
consentir. La Cour avait identifié, en 2010, d’importants risques liés au vieillissement des
infrastructures. Cinq ans plus tard, le bilan est en demi-teinte. Les exploitants (RATP et
SNCF) ont réalisé d’indéniables progrès, avec l’ouverture ou le prolongement de lignes de
tram et de métro. Le point de vue du voyageur est mieux pris en considération dans les
contrats d’exploitation. Pourtant, la situation reste préoccupante, à plusieurs égards. Outre
les problématiques d’offre de service, de régularité et de ponctualité, qui entament la
satisfaction des usagers, et même si le matériel roulant a été modernisé, beaucoup
d’infrastructures du réseau sont vétustes : certaines caténaires du RER C ont plus de
90 ans ! Les perspectives d’améliorations paraissent incertaines, compte tenu du coût
démesuré des projets d’investissement au regard des ressources disponibles.
Le deuxième cas concerne
la politique de maintenance des
centrales nucléaires
, qu’EDF
a remises à niveau, permettant au parc de répondre aux besoins du pays, dans des
conditions satisfaisantes de production et de sûreté. L’exploitation de l’ensemble du parc
nucléaire d’EDF jusqu’en 2030 nécessite un budget de maintenance estimé à près de
100 Md€. Or le projet d’EDF est soumis à de fortes incertitudes, à la fois liées aux difficultés
de recrutement dans certains métiers, aux évolutions possibles du référentiel de sûreté, et
aux conséquences de la loi relative à la transition énergétique. À cet égard, l’entreprise
publique est tributaire des choix de l’État concernant la part du nucléaire dans le «
mix
»
énergétique. La Cour recommande d’identifier, dans la programmation pluriannuelle de
l’énergie en cours de définition, les conséquences industrielles et financières de la loi relative
à la transition énergétique sur le programme de maintenance des réacteurs nucléaires.
Lorsque je présente les travaux des juridictions financières, je suis souvent amené à évoquer
la question de la pertinence des investissements. En effet, contrairement à une idée reçue,
une dépense d’investissement n’est pas vertueuse par principe
. L’investissement est
vertueux quand il répond à un besoin collectif, lorsqu’il est produit avec le souci de l’efficacité
et de l’efficience, et dès lors que les dépenses de fonctionnement qu’il entraîne ont été
correctement anticipées. Or le rapport public 2016 offre de nouvelles illustrations
d’investissements dont la pertinence n’est pas démontrée.
Seul le prononcé fait foi
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L’un des cas les plus frappants, cette année, est sans doute celui de
la piste de ski
intérieure d’Amnéville
. Construite dans le bassin sidérurgique lorrain, à proximité de Metz,
inaugurée en 2005, elle est sous-utilisée. La situation financière de l’équipement est très
dégradée, en partie masquée dans les documents financiers présentés par la régie
municipale. Cette situation risque de perdurer, dans la mesure où les perspectives de
croissance des recettes sont réduites et où les dépenses sont, pour une grande part,
incompressibles. La Cour recommande de cesser l’exploitation de cette piste dans les plus
brefs délais !
Vous l’avez compris : une mauvaise idée fait le plus souvent une mauvaise réforme. Mais
une idée qui n’est pas mauvaise en soi ne fait pas nécessairement une bonne réforme.
La Cour analyse ainsi les raisons de l’échec du
contrat de génération
. Il s’agit
a priori
d’une
bonne idée, celle d’un dispositif destiné à favoriser la transmission et le renouvellement des
compétences. Elle a été accueillie très favorablement par les partenaires sociaux, l’accord
national interprofessionnel correspondant ayant même été adopté à l’unanimité fin 2012.
Mais à cet objectif initial ont été adjoints deux autres objectifs : lutter contre le chômage des
jeunes et favoriser le maintien dans l’emploi des seniors. Au lieu de prendre la forme d’une
aide ou d’une incitation simple, un instrument hybride a été mis en place, qui allie incitation
financière au recrutement de jeunes, obligation de négociation entre les partenaires sociaux,
et pénalité en l’absence d’accord collectif. Les entreprises l’ont dès lors perçu comme une
contrainte supplémentaire, et ne l’ont pas vraiment adopté. Fin 2015, 40 300 contrats
assortis d’une aide avaient été conclus, contre 220 000 attendus à cette date, soit 18 % de
l’objectif. Les 500 000 contrats évoqués à l’origine à l’échéance 2017 ne seront pas atteints,
loin s’en faut.
La fusion entre Transdev et Véolia Transport
constitue une autre opération mal conçue,
dont l’impact financier pèse
in fine
sur la Caisse des dépôts et consignations. La fusion est le
fruit d’une décision précipitée de cette institution, prise sans analyse comparative rigoureuse
entre les candidatures présentées, et sans le soutien de sa commission de surveillance, ce
qui soulève à nouveau la question de la gouvernance de la Caisse. En dépit d’un délai de
près de deux ans entre la décision de principe et la réalisation de l’opération, celle-ci a
rencontré de nombreuses difficultés sur le plan opérationnel
.
Au total, le bilan est très négatif
à court terme pour la Caisse des dépôts, qui a affiché des pertes de 554 M€ entre 2011 et
2013 au titre de sa participation dans Transdev. Le choix stratégique de la Caisse devra bien
sûr être apprécié sur le long terme. Un redressement s’amorce, avec un retour à l’équilibre
en 2014. Mais il faudrait des résultats très supérieurs à la moyenne du secteur pendant
plusieurs années pour compenser les pertes engrangées.
Les juridictions financières sont conduites, dans leurs travaux, à étudier la capacité des
gestionnaires publics à mener à terme les projets ambitieux décidés, jusqu’au bout de la
logique de réforme qui les sous-tend.
Ce constat concerne par exemple
les facteurs
. Riche en particularités et en traditions, leur
profession fait face au défi de la baisse sensible du courrier, dont le volume diminue plus vite
que les effectifs depuis 2011. Dans les dernières années, des efforts de productivité et de
qualité ont été consentis, avec la localisation des facteurs dans des plateformes de
distribution, l’automatisation du tri, l’organisation du travail en équipes et le recours à des
outils numériques efficaces. Pour autant, la chute de l’activité du courrier sera telle que les
efforts de la Poste, s’ils se maintiennent au niveau actuel, ne permettront pas d’éviter que le
modèle économique de l’entreprise soit fragilisé. La Cour appelle de ses voeux un débat
Seul le prononcé fait foi
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public sur les mutations nécessaires à la pérennité de ses missions, y compris la fourniture
de ce qu’on appelle le «
service universel
» postal.
Le cas de
la réorganisation de l’enseignement supérieur agricole
est illustratif de la
difficulté parfois rencontrée pour mener les réformes jusqu’au bout de leur logique. Lancée
en 2003, cette réorganisation a donné lieu à des fusions d’établissements purement
administratives, sans que des objectifs opérationnels soient clairement définis et sans
évolution des implantations géographiques. La greffe des centres de formation continue avec
les écoles d’ingénieur agronomes n’a pas pris. Le travail de la Cour met en évidence la
nécessité d’une remise à plat complète du dispositif de formation initiale et continue des
professeurs de l’enseignement technique agricole public.
Dans un tout autre domaine, la Cour est revenue sur la gestion de l’Institut d’études
politiques de Paris, plus connu sous le nom de
Sciences Po
. Elle constate et salue
d’importants efforts de correction des irrégularités de gestion et des dérives nées d’une
gouvernance défaillante. Des fragilités demeurent cependant. Même réformée, l’architecture
duale qui subsiste, avec une fondation et un institut, reste source d’incertitudes. Le projet de
développement à moyen terme repose sur des hypothèses volontaristes de progression des
ressources propres. Il intègre la perspective d’une opération immobilière d’ampleur, par
essence porteuse d’aléas. La vigilance de la direction de Sciences Po sera nécessaire pour
faire aboutir les orientations retenues.
Chacun connaît désormais les problèmes rencontrés depuis plusieurs années pour
le
versement de la solde des militaires
. Le logiciel Louvois souffre depuis son déploiement
en 2011 de dysfonctionnements graves et durables. Dès novembre 2012, le ministère de la
défense a lancé un plan d’urgence pour améliorer Louvois et décidé de remplacer ce
système par un nouveau calculateur «
Source solde
». Les efforts, sérieux, du ministère pour
pallier les dysfonctionnements de Louvois ont coûté et coûtent encore cher. Ils devront être
poursuivis bien au-delà du démarrage du nouveau calculateur en 2017. Les organisations
mises en place pour améliorer Louvois et préparer la future application de paie demeurent
complexes et imparfaitement coordonnées.
Toute réforme gagne à être menée rapidement et résolument. Faute d’un bon calendrier et
d’un bon rythme, le résultat est souvent éloigné de l’objectif fixé, et plus coûteux.
Lorsque des réformes ont été engagées, leur conduite suppose que le cap soit maintenu.
C’est notamment le cas de
la réforme des organismes payeurs des aides agricoles
.
Quatre ans après le premier bilan de la Cour sur la création de l’agence de services et de
paiement et sur la fusion de cinq offices agricoles au sein de FranceAgriMer, l’objectif
d’amélioration de l’organisation et de la gestion n’est que partiellement atteint. Des surcoûts
sont parfois apparus là où des économies étaient attendues, avec une hausse des
subventions de fonctionnement. La réforme engagée en 2009 doit dès lors être approfondie.
La Cour est revenue cette année sur
la politique d’archéologie préventive
, caractérisée
elle aussi par les retards de calendrier. Elle avait fait l’objet, en 2013, d’un référé adressé par
la Cour à la ministre de la culture. Depuis, l’État n’est pas encore parvenu à définir une
stratégie et des objectifs clairs, et l’Inrap à s’adapter à un contexte qui a changé. Il a mis
beaucoup trop de temps à réformer le financement des activités de service public, malgré
une situation dégradée.
Seul le prononcé fait foi
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La réforme de
l’inspection du travail
montre, par défaut, l’utilité des réflexes de bon sens
que j’ai rappelé tout à l’heure. Entre 2006 et 2010, le plan de modernisation de cette
inspection et sa fusion avec les inspections spécialisées des transports et de l’agriculture ont
abouti à une augmentation très importante des effectifs, sans évaluation préalable
suffisamment précise des besoins. Les gains de productivité attendus de la fusion n’ont pas
été au rendez-vous. Cet exemple illustre que, si l'organisation et les modes de
fonctionnement d’une administration ne sont pas adaptés aux besoins, l’augmentation des
moyens ne garantit nullement une amélioration du service rendu. Dans le cas de l'inspection
du travail, l'accroissement des effectifs a précédé la réforme en profondeur de l'organisation
territoriale, engagée seulement en 2014, alors qu'elle aurait dû être, selon nous, un
préalable. Il est sans doute regrettable que l'inspection du travail ait connu dix ans de
réorientations successives, dont les finalités n'ont été que progressivement définies. Le
climat de travail et les résultats en ont été affectés. La Cour recommande que ce processus
soit désormais mené à son terme rapidement.
*
Nos contrôles mettent en évidence la nécessité d’une plus grande
clarté
, d’une plus grande
sélectivité
, d’une plus grande
efficacité
et d’une plus grande
efficience
de l’action
publique. Nous insistons souvent là-dessus mais c’est aussi attendu par nos concitoyens.
C’est mon troisième et dernier message.
Pour répondre à ces attentes, les pouvoirs publics doivent envisager la suppression des
structures qui ne démontrent plus leur utilité, clarifier les orientations des politiques publiques
qu’ils lancent en s’y tenant, et susciter un sursaut de responsabilité individuelle et collective.
Deux structures publiques font tout d’abord l’objet d’une analyse dans le rapport annuel
2016, qui conclut à la nécessité de programmer leur extinction.
Le premier est
l’Institut français du cheval et de l’équitation
, créé en 2010 par la fusion
des Haras nationaux et de l’École nationale d’équitation de Saumur, au moment où l’État a
décidé de mettre fin à l’étalonnage public. L’intervention de l’État n’a pas permis d’atteindre
les objectifs de cette fusion. Cinq ans après sa création, l’institut est en difficulté, avec une
détérioration continue de sa situation financière. Sa création est une énième illustration de
réforme mal conçue, mal préparée, mal conduite, caractérisée par un grave manque
d’anticipation et l’insuffisance des mesures d’adaptation nécessaires. Dès lors que son utilité
n’est plus démontrée, la Cour recommande son démantèlement, la réaffectation de ses
effectifs et la cession de son patrimoine immobilier.
Le deuxième exemple est
le Fonds de solidarité
, opérateur de l’État créé en 1982 pour
collecter la contribution de solidarité de 1 % prélevée sur les rémunérations des
fonctionnaires et agents publics. Son rôle était de financer ainsi le régime de solidarité
nationale à destination des travailleurs privés d’emploi qui ne peuvent bénéficier de
l’assurance chômage. En réalité, le Fonds de solidarité ne dispose pas des moyens lui
permettant de contrôler efficacement le recouvrement de la contribution de solidarité. Son
faible poids institutionnel est tel que ses missions gagneraient à être transférées à un réseau
de recouvrement tel que celui de la direction générale des finances publiques ou de l’Acoss.
La Cour recommande la suppression sans délai de cet opérateur.
Ensuite, plusieurs politiques publiques pâtissent du manque de clarté des orientations
retenues, voire de la difficulté à s’y tenir. Je veux citer à cet égard cinq exemples.
Seul le prononcé fait foi
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Premièrement, alors qu’ils représentent des scènes d’excellence du spectacle vivant
français, les
théâtres nationaux
sont aujourd’hui des institutions fragilisées, faute de
politique publique clairement affichée. La Cour a étudié quatre théâtres nationaux : la
Comédie Française, le théâtre national de l’Odéon, le théâtre national de la Colline et le
théâtre national de Strasbourg. Ils ne disposent pas d’un cadre commun définissant leur rôle
dans le paysage dramatique national, dont ils constituent pourtant la tête de réseau. Le suivi
que le ministère de la culture est censé assurer est très distendu : les objectifs assignés à
leurs dirigeants ne sont pas toujours définis. La taille et la similitude des besoins des
théâtres pourraient pourtant justifier la mutualisation de certaines de leurs ressources et une
organisation partagée de certaines fonctions, notamment en matière de comptabilité et
d’achat public.
Deuxièmement, en 2012, la Cour dressait un constat d’absence de définition d’une stratégie
de
lutte contre le tabagisme
. Dans le prolongement de plusieurs recommandations alors
formulées, des progrès notables ont été réalisés. Un programme national de réduction du
tabagisme, véritable stratégie construite et volontariste, a été publié en 2014, avec un
objectif ambitieux : ramener en 2024 à moins de 20 % de la population le nombre de
fumeurs quotidiens, contre près d’un tiers aujourd’hui. Des mesures fortes ont été ainsi
portées par la loi de modernisation de notre système de santé, notamment le paquet neutre
dont la Cour avait recommandé l’adoption. Pour autant, les évolutions récentes de la
prévalence et des ventes sont particulièrement préoccupantes si elles se confirment dans la
durée. La consommation est repartie à la hausse sur les huit premiers mois de 2015, avec
un gel, depuis deux ans, de la fiscalité sur le tabac, qui se prolongera en 2016. Les coûts
sociaux du tabac sont de leur côté encore plus importants qu’estimés jusqu’alors, même si
leur évaluation reste fragile. Dans ce contexte, une prévention plus active, une mobilisation
beaucoup plus forte des professionnels de santé et une politique de relèvement soutenu des
prix sont nécessaires pour atteindre les objectifs que se sont fixés les pouvoirs publics.
Troisième exemple,
la politique de la ville,
dont les priorités, malgré un cadre rénové,
restent à préciser. En 2012, la Cour observait que cette politique peinait à attendre ses
objectifs. Depuis, les pouvoirs publics ont davantage procédé à des ajustements, nombreux,
qu’à une réforme d’ensemble. L’articulation de cette politique avec les autres politiques
publiques – rénovation urbaine, éducation et emploi notamment – est insuffisante.
En quatrième lieu, je veux évoquer
les éco-organismes
, qui prennent en charge les déchets
issus de la fin de vie des produits. Les insuffisances de gouvernance interne révélées par un
scandale financier à la fin des années 2000 ont été surmontées. Le dispositif présente
globalement des résultats positifs. Néanmoins, les objectifs fixés par la réglementation
française ne sont, la plupart du temps, pas atteints, sans que l’État ait jamais prononcé de
sanction. La Cour recommande un effort de maîtrise des dépenses de personnel et une plus
grande efficience dans la communication auprès du grand public.
Cinquième et dernier exemple : le
centre national de la fonction publique territoriale
(CNFPT
). Sa gestion est encore insuffisamment économe et échappe jusqu’à présent
largement à l’effort demandé aux autres administrations publiques. Il a par ailleurs reporté
sur les collectivités l’essentiel des répercussions de la baisse de la cotisation intervenue en
2012. Le CNFPT fonctionne comme un établissement public sans tutelle. Le Parlement
pourrait être fondé à adapter le niveau de ses ressources en fonction de son activité et des
conditions de leur emploi. En ce sens, la baisse du plafond de la cotisation incluse dans la loi
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de finances pour 2016 est une incitation forte à améliorer son efficience, eu égard aux
marges de manoeuvre dont il dispose.
L’esprit de réforme, que les citoyens attendent des gestionnaires publics, suppose bin sûr un
esprit de responsabilité individuel et collectif. Les services publics et les agents publics sont
tenus à l’exemplarité. Le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires devrait
accentuer encore cette exigence. Dans le même temps, deux chapitres du rapport public
2016 rappellent chacune et chacun d’entre nous, citoyens, contribuables, usagers des
services publics, à sa responsabilité individuelle en tant que membre de la communauté
nationale.
Le premier traite de
la lutte contre la fraude dans les transports urbains en Île-de-
France
, préoccupation croissante des deux entreprises publiques de transport qui se
partagent ces réseaux, la RATP et la SNCF. La Cour met en lumière le développement du
phénomène de fraude, en augmentation depuis 2008, malgré les différentes stratégies de
lutte mises en place par les entreprises. Le taux de fraude en Île-de-France est supérieur à
celui des autres réseaux comparables. Elle souligne les fragilités de la répression et du
recouvrement des amendes, ainsi que l’enjeu économique croissant que représentent la
fraude et la lutte contre la fraude, de l’ordre de 365 M€ en 2013.
Le second chapitre concerne
la lutte contre la fraude fiscale
. À plusieurs reprises dans un
passé récent, la Cour a souligné les lacunes de cette politique et a appelé à un renforcement
de la législation et des moyens d’actions de l’administration. Depuis le début de la crise
financière, le dispositif français de lutte contre la fraude a connu des évolutions significatives,
en termes de législation, de coopération administrative et d’organisation du contrôle fiscal.
Des moyens importants sont déployés en conséquence par l’administration fiscale, pour
tenter de dissuader les contribuables de frauder mais également pour détecter et réprimer la
fraude.
Ces
évolutions,
parfois
encore
expérimentales,
sont
conformes
aux
recommandations formulées par la Cour entre 2010 et 2013. Leur efficacité reste encore
incertaine car elles ne se sont pas encore traduites par une amélioration du rendement
budgétaire des contrôles fiscaux. Des marges de progrès subsistent encore dans
l’organisation du contrôle fiscal, notamment pour unifier son pilotage dans les services
déconcentrés et assurer une meilleure répartition de moyens alloués.
Mesdames, messieurs,
Pour conclure, ce que le rapport de la Cour met en évidence peut se résumer en trois
phrases – qui ne remplacent évidemment pas sa lecture, d’autant que je n’en ai pas abordé
tous les chapitres dans cet exposé.
Premièrement, des efforts de réforme sont encore nécessaires, si l’on souhaite que la
France garde la maîtrise de ses choix souverains.
Deuxièmement, ces efforts doivent s’appuyer sur des décisions assumées et mises en
oeuvre avec rigueur.
Troisièmement, des voies possibles de réforme structurelle existent, à la portée des
décideurs publics, à condition de faire preuve de détermination dans la conduite du
changement, d’accorder davantage d’attention aux résultats, et de viser une plus grande
efficience et une plus grande clarté de l’action publique.
Seul le prononcé fait foi
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Les ministres en conviennent eux-mêmes le plus souvent, dans les réponses qu’ils nous
adressent et qui figurent après chaque chapitre du rapport : ils contestent peu nos constats
et nos recommandations. Il appartient donc au Gouvernement et au Parlement de s’inspirer,
s’ils le veulent, de nos contributions et de reprendre nos recommandations, pour conduire les
réformes qu’ils considèrent comme prioritaires.
Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent, à votre
disposition pour répondre à vos questions.