Sort by *
1
Allocution de Didier Migaud
,
Premier Président de la Cour des comptes
__________
Présentation à la presse
du
rapport sur la Sécurité sociale pour 2012
jeudi 13 septembre 2012
Mesdames et messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir ce matin à la Cour des comptes pour la présentation de son rapport
2012 sur la sécurité sociale. Il est élaboré, vous le savez, chaque année par la Cour en application de sa
mission constitutionnelle d’assistance au Parlement et au Gouvernement pour le contrôle de l’application des
lois de financement de la sécurité sociale. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement pour
2013 qui sera prochainement déposé sur le bureau des Assemblées.
J’ai à mes côtés Antoine Durrleman, président de la sixième c
hambre de la Cour, Jean-Marie Bertrand,
président de chambre et rapporteur général de la Cour, Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, rapporteur
général de ce rapport, ainsi que son adjointe, Delphine Champetier de Ribes
, auditrice, qui m’assisteront po
ur
répondre à vos questions.
*
Dans son rapport de l
’an dernier
, la Cour avait fait le constat
d’un déficit historiquement sans
précédent, aggravant encore une spirale de la dette sociale particulièrement dangereuse pour la pérennité
même de notre protection sociale, alors même que le déficit des comptes sociaux est en soi une anomalie et
une injustice pour les générations futures. Elle avait souligné la banalisation des déficits sociaux et
l’accoutumance à
la dette sociale. Cette dette est en fait devenue le poison de la sécurité sociale.
Le rapport sur la sécurité sociale de cette année montre que le déficit a commencé à diminuer quelque
peu. Mais il demeure à un niveau encore bien trop important : la dette continue toujours
de s’accroître. Le cas
des finances sociales illustre le propos plus général que la Cour a tenu en juillet dernier sur la situation et les
perspectives des finances publiques : la France se situe à un moment crucial dans la conduite du redressement
de ses comptes publics.
Elle s’
est engagé
e sur une trajectoire de retour à l’équilibre.
Il est essentiel que tout
soit mis en œuvre pour
la respecter. A cet égard, les déficits des comptes sociaux doivent être rapidement
éliminés. Cet impératif, le Président de la République
l’a fait sien
devant la Cour vendredi dernier.
Le rapport éclaire l’ampleur
de cet indispensable redressement. Il montre également que cet effort est
possible en identifiant de nouveaux exemples de marges de manœuvre, en maîtrise des dépenses comme en
réduction des niches sociales et fiscales. Il délivre ainsi quatre principaux messages :
malgré les mesures déjà arrêtées,
l’essentiel du chemin
reste à faire pour parvenir à
l’
équilibre
des comptes sociaux et mettre fin à l
’augmentation
de la dette sociale ;
2
les réformes
de structure et d’organisation
sont les gages les plus sûrs
d’un retour à l’équilibre
durable des finances sociales ;
une plus grande responsabilisation des acteurs pourrait permettre
d’obtenir une meilleure
efficacité de la protection sociale pour un moin
dre coût et d’exploiter les
importants gisements
de productivité qui existent à tous les niveaux ;
ces efforts de redressement fournissent l’opportunité de faire évoluer notre protection sociale
vers plus de justice et de solidarité, principes fondateurs de notre système de sécurité sociale.
Je reviens au premier message :
l
’essentiel du chemin
reste à faire
pour parvenir à l’indispensable
équilibre des comptes sociaux.
La situation financière des comptes sociaux reste extrêmement préoccupante même si le redressement
a été engagé en 2011.
Regardons
d’abord
cette année 2011.
En ce qui concerne les régimes obligatoires de base et le fonds de solidarité vieillesse (FSV), - c'est-à-
dire le périmètre le plus large d’organismes de sécurité sociale examiné par
la Cour incluant notamment le
régime général, la mutualité sociale agricole et ceux des travailleurs indépendants -, leur déficit a amorcé un
repli en 2011, tout en restant à un niveau exceptionnellement élevé de 23,1
Md€, après avoir atteint le niveau
sans précédent de 29,8
Md€ en 2010.
Concernant le périmètre plus restreint du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), le
déficit a atteint 20,9
Md€
en 2011, soit 1 % du PIB, contre 28
Md€ en 2010. Il
représente encore plus du double
de celui des années 2007-2008 qui précédaient la crise économique.
Les avis rendus par la Cour, conformément aux textes, sur la cohérence
des tableaux d’équilibre et du
tableau patrimonial, joints au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, sont positifs sous
réserve de diverses observations.
Pour autant, ces documents comptables attestent l’état dégradé des comptes
sociaux. Pour établir ces avis
sur la qualité de l’information procurée au Parlement,
la Cour
s’appuie
en
particulier sur ses travaux de certification des comptes du régime général, dont elle dresse par ailleurs un
premier bilan.
L’amorce d’amélioration constatée en 2011 est due avant tout à une bonne tenue de la masse salariale
et à l’appo
rt de ressources nouvelles. Une modération des dépenses y a aussi contribué, avec le respect pour
la deuxième année consécutive, et la troisième fois seulement depuis son institution, de l’objectif national des
dépenses d’assurance maladie (ONDAM).
Un pilotage plus fin et plus ferme de cet objectif, à travers la mise en
réserve de crédits en début d’exécution, l’annulation de certains en cours d’année
,
ainsi que l’absence de
mise
en œuvre de
diverses mesures nouvelles
et le suivi attentif des mesures d’écon
omies arrêtées, a conduit à ce
résultat appréciable. Y a également contribué un niveau de dépenses inférieur aux prévisions de
l’année
précédente, et la surestimation de la
base de construction de l’ONDAM qui en est résulté
.
Ce début de redressement ne doit pas masquer le constat essentiel : les déficits sociaux se
maintiennent à un niveau considérable. Le déficit 2011 du régime général est le troisième le plus élevé de son
histoire, après 2009 et 2010.
L’impact de l
a crise économique est souvent invoqué : il
n’
explique pourtant
qu’un
tiers de ce déficit en 2011. Les deux autres tiers, soit 0,6 point de PIB, ce qui représente 12
Md€,
ont un
caractère structurel et représentent la partie durable du déficit, dont la persistance depuis de nombreuses
années a entraîné la montée de la dette sociale. C’est ce déficit structurel qu’il convient d’éliminer par
d’ambitieuses réformes de
fond. Or, il se situe encore en 2011 au niveau de la moyenne de la dernière
décennie. Cela veut dire que
l’essentiel
reste à faire encore pour
s’attaquer aux racines des déficits sociaux.
3
Cette répétition, année après année, des déficits sociaux reste une spécificité française. Aucun de nos
voisins européens n’accepte un tel déséquilibre durable de ses comptes sociaux. L’ensemble du déficit social
français s’élève à 0,6 point de PIB en 2011, alors que la moyenne de ceux des pays de la zone euro est nulle.
Cet ensemble, appelé administrations de sécurité sociale, comprend non seulement la sécurité sociale mais
aussi les autres régimes de protection sociale obligatoire, c'est-à-dire notamment
l’assurance chômage et
les
régimes complémentaires de retraite. Sur les trois dernières années, dans toute la zone euro, seuls les Pays-
Bas affichent un déficit des administrations sociales supérieur à celui de la France : 2,9 points de PIB en cumul
sur les trois années contre 2,6 pour la France et 0,5 pour la moyenne de la zone euro.
L’Allemagne, elle,
dégage un excédent de 0,1 point de PIB sur ces mêmes années.
Les déficits des régimes de sécurité sociale étant une nouvelle fois supérieurs à la capacité
d’amortissement de la CADES, soit
11,2
Md€, la dette sociale a continué
d’augmenter. Son encours était
de
147,4
Md€ fin 2011
. Pour illustrer la longueur du chemin qui reste à parcourir, il suffit de rapprocher ces
presque 150
Md€
de dette sociale fin 2011 des 60
Md€ de
dette amortie par la CADES depuis sa création en
1996.
J
’en viens maintenant à l’année
2012 et aux années suivantes. La Cour a procédé à une actualisation
au 1
er
septembre des prévisions qu’elle a présentées début juillet en prenant notamment en compte les
nouvelles mesures en recettes adoptées cet été.
En 2012, le rythme de réduction des déficits sociaux marque le pas. Malgré les nouvelles ressources
apportées par la loi de finances rectificative du 16 août dernier, le déficit 2012 du régime général devrait être
supérieur de près d’1
Md€ aux objectifs fixés par la loi de financement pour 2012
, soit 14,7
Md€ contre
13,8
Md€
,
en l’état actuel des décisions prises
.
Une nouvelle reprise de dette apparaît
ainsi déjà indispensable dès la clôture de l’exercice 2012. En
effet, si le transfert à la CADES
jusqu’en 2018
des déficits prévisionnels de l’assurance vieillesse et
du FSV est
déjà organisé et financé, ce n’est pas le cas de ceux de la branche maladie et de la branche famille qui
devraient atteindre plus de 9
Md€
en 2012. Ce transfert inéluctable nécessitera un surcroît de ressources pour
la CADES
: si, comme la Cour l’a précédemment préconisé, il passait par un relèvement du taux de la CRDS,
ce dernier devrait alors passer de 0,50 % à 0,56 % en 2013.
Au-delà de 2012 persiste une spirale insoutenable des déficits sociaux si de nouvelles mesures de
redressement ne sont pas prises.
Sur la base d’hypothèses économiques prudentes et en intégrant les
mesures de recettes votées cet
été, le déficit de l’assurance vieillesse et du FSV perdurerait
après 2018 à un
niveau de l’ordre de 9
Md€ par an. La capacité de l’assurance maladie à retrouver un équilibre annuel
suppose
un effort continu sur la dépense, ainsi qu’un inévitable apport de recettes. Pour illustrer l’effort
sur la dépense,
la Cour met en évidence deux scénarios à prélèvements obligatoires constants. Le premier correspond à un
effort de maîtrise de l’ONDAM
pour limiter sa croissance annuelle à +2,35 %, permettant
un retour à l’équilibre
en 2017. Si ce taux augmentait davantage, de +2,7 %
, le déficit ne disparaîtrait qu’en
2019. Pour ce qui est de
la branche famille, confrontée à une diminution progressive de ses ressources, son déficit devrait
être de l’
ordre
de 2 M
d€ par an
,
en l’absence de mesures nouvelles, en dépenses comme en recettes
.
Sans mesures complémentaires de redressement, près de 60
Md€ de dettes sociales pourraient
ainsi
s’accumuler d’ici la fin de la décennie
, en plus des 62
Md€ que la loi a déjà pré
vu de transférer à la CADES au
titre de la branche vieillesse et du FSV de 2011 à 2018. Les ressources nouvelles qui pourraient être dégagées
risquent ainsi, si un effort exigeant de redressement n’était pas rapidement engagé, de devoir prioritairement
financer une dette sociale qui continue à croître
. Comme je l’ai déjà exprimé, la dette sociale
constitue une
anomalie profonde et ne peut continuer à être reportée davantage sur les générations futures. Le pays
consacre déjà plus de 15
Md€ de ressources publiques chaque année pour la rembourser et en payer les
4
intérêts. La faiblesse actuelle des tau
x d’intérêt,
exceptionnellement bas pour des raisons très conjoncturelles,
ne fait que masquer pour un temps
la réalité du coût d’une dette sociale croissante
. Elle ne saurait justifier en
aucune façon u
ne inflexion de la trajectoire de retour à l’équilibr
e des comptes sociaux ni les tentations de
différer les transferts de dettes à la CADES pour leur amortissement, lequel doit être financé, sous le contrôle
du Conseil constitutionnel, par des ressources suffisantes sans dégradation des conditions générales de
l’équilibre financier
de la sécurité sociale.
T
ous les leviers de l’action publique doivent être
ainsi mobilisés pour revenir rapidement et
effectivement à l’équilibre des comptes sociaux
selon un calendrier cohérent avec la trajectoire des finances
p
ubliques sur laquelle la France s’est engagée
.
Pour éclairer les choix, la Cour a examiné, dans les 18
différents sujets qu’elle aborde cette année,
80
Md€ de recettes et 40
Md€ de dépenses.
Cet examen conduit la
Cour à formuler un deuxième message.
Ce message est que l
es réformes de structure et d’organisation sont le gage le plus sûr d’un
retour à l’équilibre durable
des finances sociales.
La Cour a ainsi analysé
le financement de la sécurité sociale par l’impôt
. Elle constate qu’à côté
des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée (CSG), les impôts et taxes affectés constituent
désormais de facto le troisième pilier des ressources de la sécurité sociale. En effet, en 2011 cette ressource
représentait 12
% des recettes des régimes de base, c’est
-à-dire 54
Md€
, à comparer aux 16 % que constitue
la CSG. Ces impôts et taxes affectés ont enregistré une forte progression ces dernières années, en particulier
pour compenser le coût des allègements de charges sociales, et devrait atteindre environ 60
Md€ en 2013
.
Or, la Cour constate que ce mode de financement est instable, peu lisible et peu responsabilisant pour
l’ensemble des acteurs
: il est fondé sur
un foisonnement d’
impôts, -
plus d’une cinquantaine
-, avec des
assiettes différentes
essentiellement la consommation (49 % du produit total) et les rémunérations (26 %).
D’une manière générale, ces assiettes n’évoluent pas cependant de manière plus dynamique que la masse
salariale et on ne peut attendre de ce fait de l’évolution spontanée de ces impôts une co
ntribution significative
au retour à l’équilibre des comptes
La
répartition de cette ressource entre les différentes branches est d’une
grande complexité, rendant son pilotage malaisé. Le sujet du financement de la sécurité sociale est ainsi
devenu, en que
lques années, une affaire d’experts.
C’est pourquoi la Cour appelle à une réflexion d’ensemble sur la place de ces ressources
fiscales, afin
que le financement de la sécurité sociale redevienne un ensemble cohérent, transparent et stable. Cela passe
sans doute par une restructuration de ces impôts et taxes affectés
autour d’un nombre
bien plus réduit. Sans
jamais négliger la priorité absolue à la maîtrise de la dépense, et en raisonnant à niveau de ressources
constant pour la sécurité sociale, différentes voies devraient être examinées. La Cour évoque notamment une
augmentation de la fraction de TVA affectée à la sécurité sociale, le renforcement de la fiscalité
environnementale et l’affectation de son produit à la protection sociale
. Une discussion générale unique des
deux lois financières votées par le Parlement à l’automne, c'est
-à-dire la loi de finances et la loi de financement
de la sécurité sociale,
suivie d’un examen commun des recettes
devrait également permettre de mieux prendre
en compte la mesure
des enjeux et des voies d’action possibles
. En tout état de cause la stabilisation du
dispositif d’affectation de ces taxes pour compenser les exonérations de charges sociales devrait désormais
conduire à intégrer ces dernières dans le barème des cotisati
ons sociales de manière à mettre fin à l’affichage
d’un niveau de prélèvements sur les salaires supérieur à ce qu’il est en réalité et qui peut fausser l’appréciation
portée sur la compétitivité de notre pays.
L’examen d’une autre réforme structurelle,
celle des
régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de
la RATP
, conduit à constater
que l’aspect symbolique des changements survenus a été privilégié sur leur
contribution à l’équilibre des finances publiques. En effet, l’objectif d’harmonisation avec la fo
nction publique
5
poursuivi par les réformes entreprises en 2007-2008 a été en partie atteint, mais avec un décalage de mise en
œuvre
d
e certains ajustements qui se prolongera jusqu’en 2022
: ainsi notamment de l’augmentation de la
durée de service et d’âge
pour pouvoir partir en retraite. Surtout, de nombreuses mesures de compensation
conduisent à des surcoûts élevés pour les entreprises, particulièrement la SNCF. Les agents ont ainsi bénéficié
d’avantages appréciables et
, parfois, de réels «
effet d’aubaine
». Ni les salariés du secteur privé, ni les
fonctionnaires
n’ont bénéficié
de dispositions équivalentes dans le cadre des réformes respectives de leurs
régimes de retraite.
Sur le plan de l’équilibre financier des régimes, les résultats prévisibles sont
modestes et insuffisants
pour garantir leur soutenabilité et alléger la charge de l’
État qui verse près de 3,7
Md€ de subventions
d’équilibre aux deux caisses en 2012
, soit plus de la moitié de leurs ressources totales. Malgré la réforme et
selon les projections encore imprécises que les entreprises et leurs caisses ont été en mesure de réaliser, cette
subvention n
e devrait connaître qu’une diminution limitée au cours des prochaines années
pour la SNCF, et
même vraisemblablement augmenter pour la RATP. Le bilan global de la réforme serait encore négatif pour la
prochaine décennie et sans doute seulement légèrement positif pour les vingt ans qui viennent. Le « rendez
vous 2013 » prévu par la loi sur les retraites contribuera à éclairer plus largement les enjeux des réformes des
régimes de retraites. En tout état de cause, les contraintes pesant sur les finances publiq
ues et l’accentuation
des déséquilibres démographiques rendent nécessaires de nouvelles étapes, qui devront être mises
en œuvre
pour favoriser une meilleure équité du système de retraite.
Sur ce thème des réformes de fond, la Cour appelle en troisième lieu à une amélioration de la fluidité
du parcours de soins des patients bénéficiant de
soins de suite et de réadaptation (SSR)
, c'est-à-dire de
soins hospitaliers visant la rééducation et le réadaptation à la vie quotidienne, ainsi que la surveillance médicale
de la convalescence
.
Situé à la charnière de la médecine de ville, du court séjour hospitalier et des prises en
charge sociales ou médico-sociales, ce secteur
représente un enjeu important, mais encore méconnu,
conduisant à des dépenses pour l’assurance
maladie estimées à 7,8
Md€ en 2012.
Pourtant, il regroupe près
de 1 800 établissements, et accueille chaque année 900 000 patients.
L’enquête de terrain conduite par la Cour et 14 chambres régionales des comptes
montre que ces
activités ont connu une expansion rapide, largemen
t sous l’impulsion du
secteur privé à but lucratif, entraînant
une forte progression du financement de ces soins par l’assurance maladie. Mais cette croissance ne s’est pas
véritablement accompagnée d’une analyse des besoins. En outre, les patients peuvent
être confrontés à des
blocages, des délais et des orientations inadéquates et coûteuses dans leur entrée comme dans leur sortie de
ces services : de 10 à 20 % des places sont occupées par des patients qui devraient être pris en charge à
domicile ou dans l
e secteur médicosocial ou qui au contraire sont sortis trop tôt d’un établissement de court
séjour.
L
’amélioration
rapide du fonctionnement de la filière
et la réalisation de gains d’efficience
doivent être
une priorité pour les agences régionales de san
té avant même d’envisager le passage à une tarification à
l’activité de ce secteur qu’il serait prématuré de mettre en œuvre dès 2013
comme cela avait été prévu.
S
’agissant de
réformes d’o
rganisation, la Cour a étudié les conditions de mise en place des
26
agences régionales de santé
(ARS). La réussite de cette réforme devrait bénéficier autant aux patients,
avec une approche globale et cohérente de l’offre de soins
,
qu’
à la maîtrise des plus de 170
Md€ de dépenses
d’assurance maladie
. Ces agences ont été
créées en 2009 afin d’assurer
,
à l’échelon régional
, un pilotage
unifié du système de santé. La Cour observe qu’e
lles ont été installées rapidement et dans des conditions
satisfaisantes. Cependant, elles ne disposent pas encore
des marges de manœuvre suff
isantes vis-à-vis des
autres acteurs, qu’il s’agisse des
préfets
, de l’assurance maladie ou de l’administration centrale.
6
En outre, les ARS n
’ont
un véritable pouvoir de décision que sur moins de 2 % des dépenses de santé
de leur ressort, soit 3
Md€, malgré la création récente du Fonds d’intervention régional qui élargit quelque peu
leurs possibilités d’action.
Il est désormais urgent de les doter des différents leviers qui sont indispensables
pour leur permettre de mener à bien leurs missions en termes en particulier
de système d’information et
d’accès aux bases de données de l’assurance maladie
: il est très anormal que cette dernière ait manifesté
jusque récemment de la réticence à cet égard.
Par ailleurs, la Cour a étudié
l’incidence
de la création du
régime social des indépendants
(RSI)
en
2005. L’objectif était alors de simplifier la gestion de la protection sociale des artisans, commerçants et
professions libérales avec en particulier le transfert du recouvrement de leurs cotisations aux URSSAF et la
mise
en place en 2008 d’un
interlocuteur social unique
(ISU)
. Or cette réforme a aussitôt provoqué des
difficultés majeures pour nombre d’assurés, avec des risques de pertes de droits. A titre d’exemple, d
es assurés
n’ont pas pu bénéficier de re
mboursement de leurs soins faute de carte vitale, parfois sur des périodes longues de
plusieurs mois. Plus de 20
000 n’ont été immatriculés qu’avec deux ans de retard. A la mi
-2011, les droits à
retraite n’étaient pas à jour pour 25 à 40
% des comptes. La réforme a aussi entraîné des
défauts d’encaissement
de cotisations
d’au
moins 1 à 1,5
Md€ fin 2010
qui ont pesé sur les comptes sociaux, même si un bilan définitif
des pertes effectives ne peut être à ce stade déjà établi.
Certes, depuis fin 2011, de nombreux chantiers progressent pour remédier progressivement aux
difficultés. Mais l
e nouveau régime est encore aujourd’hui moins efficace et plus coûteux que les trois auxquels il
a succédé. Le rétablissement de la fonction de recouvrement
doit désormais être placé au tout premier rang des
priorités, surtout pour un régime structurellement déficitaire dont l’équilibre dépend d’un impôt qui lui est affecté.
La Cour formule des recommandations pour que les différents acteurs, État, branche recouvrement du régime
général et RSI ne se défaussent pas de leurs responsabilités les uns sur les autres, comme cela a été trop
longtemps le cas,
mais s’attellent ensemble à rétablir le fonctionnement efficient et efficace que les assurés
attendent à juste titre.
D’une
manière plus générale,
le troisième message de la Cour est qu’
une plus grande
responsabilisation des acteurs de la protection sociale est indispensable pour permettre de mobiliser
plus encore d
es marges d’efficience
Ainsi, la Cour a conduit une enquête détaillée sur les
transports de patients par les ambulances, les
VSL (véhicules sanitaire légers) et les taxis
, qui constituent une prestation de plus en plus indispensable au
bon fonctionnement du système de soins, en raison notamment du vieillissement de la population ou de la
progression des pathologies chroniques.
La prise en charge totale ou partielle de ces transports a bénéficié à
5
millions d’assurés en 2010, et a représenté un coût de 3,5
Md€ pour l’assurance maladie.
Cette dépense a
augmenté au rythme soutenu de 63 % sur les dix
dernières années et représente désormais à elle seule
l’équivalent de la moitié des remboursement
s des consultations de médecins généralistes en ville. Or, des
économies substantielles pourraient être dégagées par une plus grande responsabilisation des acteurs, ce dont
témoigne la très grande variabilité du recours aux transports sanitaires selon les départements, qui varie de 1 à
3. Par exemple en Haute-Savoie, on dénombre 0,3 trajet par habitant en 2010, mais près de 1 trajet par
habitant dans les Bouches-du-Rhône ou dans la Somme. La maîtrise de la dépense suppose de mettre en
œuvre un pilotage plus ferme des prescriptions, pour qu’elles respectent notamment plus
strictement la règle
de l’établissement approprié le plus proche
.
La Cour cite par exemple le cas d’un spécialiste qui continue à
adresser ses patients pour des traitements dans des établissements situés à près d’une centaine de kilomètres
de l’hôpital le
plus proche.
La Cour recommande que certaines modalités de prise en charge soit redéfinies de façon plus stricte,
et que le
contingentement de l’offre
de transport soit rendu plus efficace que le dispositif actuel. Ce dernier est
en effet facile à contourner et facilite un suréquipement considérable par remplacement de VSL par des taxis
7
dont le nombre n’est pas plafonné.
Pour les seules ambulances et VSL, le taux de dépassement atteint 123 %
dans la Somme, 100 % à la Réunion, 65
% dans l’Aisne, 54
% en Seine-Saint-Denis. La maîtrise des dépenses
passe aussi bien sûr par un contrôle plus rigoureux de ces dépenses, notamment celui de la facturation par les
transporteurs
, et un renforcement de la lutte contre la fraude, dont l’impact apparaît très sous évalué
et la
constatation parfois jamais sanctionnée comme dans les Bouches-du-Rhône. Au total, la Cour fait des
propositions détaillées qui pourraient
permettre d’
économiser 450
M€ par an, c’est
-à-dire 13 % de la dépense
totale
, sans fragiliser aucunement l’acc
ès aux soins.
Dans le même esprit, la Cour a analysé de façon approfondie
les indemnités journalières
pour
maladie
servies par le régime général. Là encore, une plus grande responsabilisation des acteurs doit être un
levier d’économies
sur une dépense qui
s’élève à
6,4
Md€ en 2011.
Très dynamique, elle a progressé de près
de 50 % sur la dernière décennie. Pourtant, les inégalités que la Cour a constatées en termes
de fréquence et
de durée des arrêts demeurent très largement inexpliquées
: d’un département à un autre, la
durée des
journées indemnisées par salarié peut être multipliée par cinq. A Paris en 2010, 2,7 journées par salarié ont été
indemnisées, contre 13 dans l’Ain ou le Var. Pour une opération de la cataracte, la durée moyenne d’arrêt de
travail varie de 6 à 34 jours, pour une durée moyenne de 21 jours. De plus, alors que le nombre moyen de
journées prescrites par médecin généraliste chaque année est de 2 700, les 10 % de médecins les plus actifs
en la matière en prescrivent trois fois plus (7 900). Actuellement, la gestion des indemnités journalières mobilise
près de 10
% des effectifs de l’assurance maladie,
soit 5 300 « équivalents temps plein », avec un coût élevé et
sans que la qualité de service soit satisfaisante : la Cour a ainsi observé des délais de règlements aux assurés
pouvant atteindre plusieurs centaines de jours.
Une véritable politique de régulation reste largement à construire
, afin d’améliorer l’efficience de cette
dépense. Cela suppose tout d’abord, au vu du faible nombre de fraudes détectées
, de redéfinir la politique des
contrôles, ainsi qu’un pilotage plus ferme et plus responsabilisant envers l’ensemble des acteurs
-les assurés
sociaux, les entreprises et le corps médical-. Enfin, de nouveaux efforts de simplification et de modernisation
sont urgents pour accroître la qualité du service rendu aux assurés, et diminuer les coûts de gestion.
Enfin, la Cour a examiné
les systèmes d’information de la branche famille
où des changements
s’imposent rapidement pour d’indispensables gains d’efficie
nce. La branche famille a versé près de 77
Md€ de
prestations en 2011 à plus de 11
millions d’allocataires
.
C’est dire l’importance essentielle de son système
d’information pour garantir une qualité de service satisfaisante, mais aussi pour améliorer sa pr
oductivité et
limiter les coûts de gestion.
La Cour met en lumière des priorités stratégiques floues, des retards dans la modernisation des
systèmes d’information et des insuffisances dans la gouvernance, aussi bien pour l’
État que pour la caisse
nationa
le d’allocations familiales. En raison de ces enjeux majeurs, il
indispensable que la négociation de la
prochaine convention d’objectif et de gestion qui lie la caisse nationale d’allocations familiales à l’
État permette
de redéfinir en profondeur ses objectifs et ses modalités de pilotage et de gestion.
Le dernier message de la Cour est que les efforts de redressement ne sont pas seulement
indispensables pour préserver l’avenir de notre système de protection sociale, ils fournissent
aussi
l’opportunité d
e le faire évoluer vers plus de justice et de solidarité, principe fondateurs de notre
système de sécurité sociale.
La question de l’accessibilité aux soins et des dépassements d’honoraires est
ainsi
au cœur de
l’analyse que fait la Cour des missions de
l
’ordre national des médecins
.
En effet, si la contribution de cette
institution est satisfaisante pour ce qui concerne le suivi de la profession, son rôle de contrôle du respect par
les médecins du tact et de la mesure
dans la détermination de leurs honoraires a une portée trop limitée. Les
saisines des instances disciplinaires sont rares, et les condamnations, quand elles ont lieu, sont généralement
8
peu sévères. Ainsi, sur les 61 condamnations prononcées les quatre dernières années, 12 se sont limitées à un
avertissement ou un blâme, et une seule radiation a été décidée.
Devant le constat de l’inefficacité de l’ordre,
l’assurance maladie a développé ses propres procédures. Il en résulte
de trop nombreux dispositifs
qu’il est
indispensable de rationaliser et de renforcer, pour que le système de santé fonctionne mieux, cela
dans l’intérêt
de la profession comme dans celui des patients.
La Cour a aussi analysé la
prise en charge par l’assurance maladie de certaines cotisations
sociales
des professionnels libéraux de santé
pour un coût de 2,2
Md€ par an. Il s’agit d’
une contribution
substantielle au revenu des professions de santé. Par exemple elles représentaient plus de 17 % des revenus
des généralistes du secteur 1 en 2008. Autrement dit, pour
chaque consultation d’un montant de 23
€, un
médecin perçoit en réalité près de 26
€ grâce à cette prise en charge de ses cotisations sans qu’il en soit
toujours conscient car aucun récapitulatif de cette participation financière de l’assurance maladie ne
lui est
adressé.
Ces dépenses en croissance continue devraient être beaucoup plus activement mises au service des
objectifs prioritaires de l’assurance maladie. En particulier, elles devraient contribuer à une meilleure répartition
des professions de santé sur les territoires notamment par une modulation généralisée pour tous les médecins
en fonction de leur zone d’implantation,
c'est-à-dire à une moindre prise en charge dans les régions déjà
surdotées et au contraire une prise en charge plus incitative dans les zones les moins denses. Ce système
pourrait aussi être mis à profit pour contribuer à la
limitation des dépassements d’honoraires, qui
représentent
près de 2,5
Md€ en 2011
.
La Cour a examiné aussi
la réalité contrastée et multiforme de la situation des retraités
. Elle a
analysé
d’une part
la couverture vieillesse des personnes âgées les plus pauvres,
d’autre part l’adéquation à la
situation des retraités des dispositifs fiscaux et sociaux adoptés
, à l’origine,
pour leur assurer une égalisation de
leur niveau de vie avec celui des actifs.
Avec près d’un million de personnes couvertes,
le
minimum vieillesse
conserve toujours
aujourd’hui
un rôle essentiel pour limiter le taux de pauvreté des retraités les plus modestes. Il représente une dépense de
plus de 3
Md€. Ses allocataires sont pour plus de 55
% des femmes, dont un quart a plus de 80 ans. La
généralisation, au sein des différents régimes de retraites, de pensions minimales
n’a pas fait disparaître ce
dispositif, et le nombre de bénéficiaires s’est même
stabilisé depuis 2007. Pour permettre au minimum
vieillesse de jouer plus efficacement son rôle, une information plus active et plus précoce des personnes
éligibles est nécessaire, car la population potentiellement concernée demeure encore pour partie méconnue.
Mais il est aussi impératif d’assurer un financement clair et soutenable de cette dépense de solidarité
par un
relèvement des ressources affectées au fonds de solidarité vieillesse qui la
finance aujourd’hui par la dette
.
Malgré la persistance ainsi de situations individuelles préoccupantes, il reste que, contrairement à une
idée reçue, les retraités sont
sous l’angle financier, dans une situation globale en moyenne légèrement plus
favorable que celle des actifs, notamment des plus jeunes. Cette situ
ation résulte pour une part de l’existence
de
nombreux dispositifs fiscaux et sociaux en leur faveur
.
La Cour a procédé à l’examen approfondi de certains d’entre eux, représentant un coût total de près de
12
Md€. Dans un contexte où la contrainte s’exerçant sur les comptes publics exige une évaluation
systématique des dépenses fiscales et des « niches » sociales
pour s’assurer qu’elles apportent bien un
soutien à ceux qui en ont le plus besoin,
il s’avère
nécessaire de reconsidérer cette accumulation de
mécanismes. Ceux-ci ont en effet, pour la plupart, été mis en place dans le but, désormais atteint, de réduire
l’écart de niveau de vie entre actifs et retraités.
La Cour recommande une démarche progressive et livre un
inventaire des options possibles qui permettent de dégager de substantielles ressources
, qu’il s’agisse
:
d’
un alignement du taux de CSG appliqué pour les pensions les plus élevées (6,6 %)
sur celui de l’ensemble des actifs
(7,5 %),
pour un gain d’1,2
Md€
;
9
de la suppression,
dans le calcul de l’impôt sur le revenu
,
de l’abattement de 10
% sur
les retraites, pour un gain de 2,7
Md€
;
ou de celle
de l’exonération
d’impôt sur le revenu
des majorations de pensions pour les
parents de trois enfants, pour un gain de 0,8
Md€
.
Ces deux dernières propositions doivent être bien comprises
: il s’agit de bien intégrer, dans le calcul
de l’impôt sur le rev
enu, certains revenus de pensions qui y échappent, et non de supprimer lesdits revenus.
Ces réformes nécessaires doivent être menées en préservant la situation des retraités les plus fragiles.
Cela suppose de demander un effort prioritaire de solidarité à ceux dont les ressources sont les plus élevées,
pour faire en sorte
qu’ils
contribuent au financement des besoins sociaux accrus qui se font jour en certains
domaines, qu’il s’agisse
de la prise en charge de
la perte d’autonomie
des plus âgés ou de
l’inse
rtion sociale et
professionnelle des jeunes,
et bien entendu qu’elles apportent également leur contribution à
l’effort de retour à
l’équilibre
des comptes publics.
Autre élément fondamental et souvent cité en exemple de notre modèle social, la politique familiale. La
Cour a cherché à apprécier dans quelle mesure les
prestations familiales conditionnées par les ressources
qui portent le plus expressément une finalité sociale et qui représentaient 13,3
Md€ en 2010
, contribuent
effectivement à réduire les inégalités de revenus entre les familles. C
ontrairement à ce que l’on aurait pu
attendre, leurs effets redistributifs sont moins marqués que ceux des prestations dites universelles, comme les
allocations
familiales. Cela s’explique en grande partie d’une part
par des plafonds de ressources trop élevés
pour la prestation d’accueil du jeune enfant,
c'est-à-
dire exerçant une sélection limitée selon le revenu, d’autre
part par des
modalités d’attribution du c
omplément du mode de garde - concrètement, le financement des
gardes à domicile - trop larges
. Ce dernier n’est en effet soumis à
aucune condition de ressources et peut se
cumuler avec des aides fiscales importantes. Les dispositions actuelles de cette prestation conduisent ainsi à
verser un même montant de 171
€ par mois pour
un enfant, que la famille dispose de 20 000 euros de revenus
mensuels ou qu’elle en ait 4
000. C
’est pourquoi la Cour recommande que cette pre
station soit soumise à une
stricte condition de ressources.
*
Ce rapport au champ très large aboutit à de nombreuses recommandations : 72 au total. Vous
constaterez à la lecture de l’annexe consacrée au
suivi des recommandations des trois derniers rapports de la
Cour sur la sécurité sociale que 65
% d’entre elles ont été suivies d’effet, soit qu’elles aient été totalement
suivies, soit qu’elles aient été mises en œuvre au moins partiellement.
Avant de répondre à vos questions et pour conclure, je fais
miens les propos qu’a prononcés le
nouveau Procureur général près la Cour des comptes, Gilles Johanet, devant le Président de la République, en
évoquant la protection sociale : « ce qui est déficitaire est précaire
». C’est l’inquiétude et la conviction qu
i
animent la Cour
: si le retour à l’équilibre des comptes ne pourra se faire sans l’apport de ressources nouvelles,
ce redressement ne pourra produire des effets durables que s’il s’accompagne de
progrès substantiels à tous
les niveaux dans l’efficience d
es dépenses sociales. Les obtenir est donc indispensable. Il y faut une démarche
volontaire, méthodique, rigoureuse et attentive au juste partage des efforts entre tous les acteurs. Plus
fortement elle sera engagée, plus vite sera rétabli l’équilibre des c
omptes sociaux, mieux et plus durablement
sera confortée notre sécurité sociale non seulement en termes financiers mais au regard des valeurs
essentielles de solidarité qui sont les siennes.