Paris, le 4 mars 2011
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COMMUNIQUE DE PRESSE
Les prélèvements fiscaux et sociaux
en France et en Allemagne
La Cour des comptes a engagé en septembre 2010 un travail visant à dresser un état des lieux comparé des
systèmes fiscaux français et allemand, donnant ainsi suite à un souhait exprimé par le Président de la République.
La France et l’Allemagne ont des systèmes proches, qui révèlent toutefois des
différences et des divergences.
Les prélèvements obligatoires se situent dans les deux pays à des niveaux sensiblement supérieurs à ceux de
la zone euro ou de l’OCDE. La
concurrence fiscale entre les deux pays ne joue guère
.
L’attractivité économique des deux pays repose essentiellement sur des facteurs non fiscaux
(infrastructures, niveau des services publics, qualification de la main d’oeuvre). La France et l’Allemagne partagent
un
niveau de protection sociale élevé dont le financement repose largement sur les cotisations sociales
.
Les
systèmes fiscaux français et allemand reposent sur des impôts souvent très proches
, qu’il s’agisse
de la TVA (dont le taux normal est de 19,6 % en France contre 19 % en Allemagne), de l’IR (le taux marginal
supérieur est de 41 % en France, 45 % en Allemagne) ou même de l’IS (33,3 % en France, entre 30 % et 35 % en
Allemagne une fois pris en compte l’impôt local sur les bénéfices.
L’état des lieux comparé a toutefois révélé
l’existence de différences, souvent anciennes, et de
divergences récentes en matière de politique fiscale
:
- concernant les
différences
, on relève essentiellement les points suivants : un
pilotage plus intégré en
Allemagne
des politiques de prélèvements,
l’autonomie financière des Länder ne reposant pas sur la notion de
ressources fiscales propres et l’Allemagne n’ayant pas de fiscalité affectée à la protection sociale
;
l’existence en France de nombreux impôts et taxes grevant les coûts de production
qui n’ont pas leur
équivalent en Allemagne (
dont 26,5 Md€ assis sur les salaires
) ; le poids accru des cotisations sociales en France,
où
la politique familiale repose pour une part importante sur les salaires
; un
écart substantiel en matière de
taxation du patrimoine dû, en large part à une imposition plus forte du foncier
;
- concernant les
divergences
ayant caractérisé les politiques menées depuis une dizaine d’années, trois sont
à relever
: la
moindre priorité donnée en France à la maîtrise des déficits, en particulier ceux des comptes
sociaux
; le
développement plus rapide des dépenses fiscales et sociales en France
au cours des années
2000 ; la grande
continuité de la politique fiscale allemande dans le sens de la réduction des déficits et la
restauration de la compétitivité
.
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La France et l’Allemagne ont connu des tendances économiques divergentes.
Le partage de la valeur ajoutée a évolué différemment au cours des années 2000
. La part des salaires est
restée stable en France. Elle a reculé de 5 points en Allemagne, partant d’un niveau plus élevé. La compétitivité de
la France et celle de l’Allemagne ont suivi des voies divergentes, cette dernière se distinguant dans l’Union
européenne. Si
les niveaux de coûts dans l’industrie peuvent être considérés comme proches
,
l’évolution des
coûts salariaux horaires a été défavorable à la compétitivité de la France sur la période 2000-2008
, l’avantage
dont elle disposait en ce domaine au début des années 2000 a disparu.
L’Allemagne se distingue par une priorité plus forte donnée au respect de l’équilibre budgétaire
.
L’Allemagne a profité de la période de croissance relativement forte qui a précédé la récession pour réduire son
déficit public. En 2008, la France abordait la crise avec un déficit de 3,3 % de PIB quand l’Allemagne présentait un
excédent de 0,1 % du PIB.
Le déficit structurel français est aujourd’hui supérieur de plus de trois points à
celui estimé pour l’Allemagne
. L’écart entre les situations budgétaires allemande et française s’explique en grande
partie par la dynamique de la dépense publique. Entre 2000 et 2008, l’Allemagne a ralenti l’évolution de sa dépense
publique (ramenée de 45,1 à 43,8 points de PIB), ce qui n’a pas été le cas de la France.
France et Allemagne se caractérisent par un
système de protection sociale large
et se comparent
favorablement au regard du reste de l’Union européenne en matière d’inégalités. Une analyse plus fouillée fait
toutefois apparaître que le système français de protection sociale obligatoire est plus large, cependant que, dans la
période récente,
certains indicateurs permettant de mesurer les inégalités et les taux de pauvreté ont eu
tendance à se détériorer en Allemagne, à la différence de la France
.
Des différences existent aussi dans la structure et au sein de chaque prélèvement
La France a réduit les prélèvements obligatoires assis sur la consommation. L’Allemagne a suivi une
tendance inverse
. Désormais, les recettes de TVA pèsent le même poids rapporté au PIB dans les deux pays (7%).
Mais
la part de la TVA dans le total des recettes fiscales est aujourd’hui plus élevée en Allemagne
(18 % des
recettes fiscales) qu’en France (16,4 % des recettes fiscales).
La France fait un plus large recours que
l’Allemagne aux taux réduits de TVA
.
Les taux d’imposition des revenus du travail sont voisins dans les deux pays
, à un niveau supérieur à
celui de l’Union européenne. Le
taux d’imposition est stable en France depuis 1995
, autour de 42 %.
L’Allemagne s’est, au contraire, engagée depuis 2004 dans une baisse des prélèvements assis sur le travail
afin d’améliorer la compétitivité de ses entreprises.
Le
taux d’imposition du capital en Allemagne, qui a fortement diminué depuis 2000, se situe
aujourd’hui nettement en dessous de la moyenne de l’Union européenne à 25. La France se place
significativement au-dessus
. Le produit de l’imposition des revenus du capital est comparable dans les deux pays.
L'essentiel de l'écart de taxation du stock de capital entre les deux pays tient d'une part aux prélèvements
qui n'existent qu'en France
(taxe professionnelle, ISF, mutations mobilières à titre onéreux, C3S, taxe d'habitation),
d'autre part à des prélèvements sensiblement plus lourds côté français
(
taxe foncière
, mutations à titre
gratuit).
Les
recettes de la fiscalité environnementales sont plus faibles en France
.
Le
poids de l’impôt sur le revenu est plus de trois fois plus élevé en Allemagne qu’en France
(9,6 % du
PIB allemand en 2008 contre 2,6 % du PIB en France).
Le taux marginal supérieur de cet impôt est plus élevé en
Allemagne qu’en France.
Les
cotisations sociales s’établissent à un niveau significativement supérieur en France
: 15 % du PIB
en France, contre 12,6 % du PIB en Allemagne.
Les dispositifs d’exonérations de cotisations sociales sont beaucoup
plus importants en France.
En Allemagne comme en France, les sociétés sont soumises à une imposition à deux niveaux. A l’impôt sur
les sociétés s’ajoute ainsi une
imposition locale sur les entreprises, plus lourde en Allemagne
. En 2008, les
recettes de taxe professionnelle représentaient 1,01 % du PIB en France contre 1,65 % pour la taxe commerciale en
Allemagne.
Depuis la fin des années 1990,
le taux de l’impôt sur les sociétés en Allemagne a fortement
diminué
pour atteindre 15 % en 2008. Au cours de la même période, l’impôt sur les sociétés français a moins
évolué. De ce fait,
le poids des recettes d’impôt sur les sociétés est devenu très différent dans les deux pays
:
0,64 % du PIB en Allemagne et 2,53 % du PIB en France.
La part exceptionnellement faible des recettes d’IS en
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Allemagne s’explique aussi par le fait que 83 % des entreprises allemandes sont des sociétés de personnes
assujetties à l’impôt sur le revenu
.
La fiscalité française prévoit un certain nombre de taxes sur les entreprises
dont les principales sont la
taxe sur les salaires, acquittée essentiellement par les banques et les assurances en contrepartie de leur non
assujettissement à la TVA et le versement transports. Ces taxes représentent, pour celles qui sont assises sur la
masse salariale un
prélèvement qui a représenté 1,2 point de PIB en 2008 et qui n’a pas d’équivalent en
Allemagne
.
Les principaux enseignements de cette comparaison
Ce qui rassemble les deux pays est bien plus important que ce qui les sépare. Néanmoins, la Cour a identifié
des divergences préoccupantes.
La principale est
l’écart de déficit structurel, supérieur à trois points de PIB
. L’impératif absolu de
redressement des finances publiques implique une maîtrise stricte et durable des dépenses publiques, sans exclure
l’utilisation du levier de la recette. Toute réflexion sur l’évolution de notre fiscalité doit donc s’opérer à rendements
constants immédiats.
La politique fiscale allemande identifie mieux un objectif prioritaire pour chaque catégorie d’imposition.
La
politique fiscale allemande privilégie plus clairement pour chaque impôt la neutralité économique. Ainsi,
la hausse
de 3 points de la TVA a-t-elle été essentiellement justifiée par la nécessité de redressement des comptes
publics
. Les
réformes de l’impôt sur les sociétés de 2000 et de 2008 ont visé un objectif général
d’amélioration de la compétitivité des entreprises
et d’attractivité du territoire allemand, et
l’impôt sur le revenu
a un rôle de redistribution clairement réaffirmé par la création en 2008 d’une tranche supplémentaire
au taux
marginal de 45 % pour les revenus supérieurs à 250 000 € annuels (47,5% après surtaxe de solidarité).
Les évolutions divergentes des coûts salariaux unitaires dans les deux pays au cours des dix dernières
années obligent à considérer comme
prioritaire la question de l’allègement relatif de la taxation portant sur le
travail
.
En ce qui concerne la
taxation du patrimoine, l’Allemagne se situe à un niveau très faible
parmi les pays
de l’OCDE en termes de niveau global de taxation. Elle
ne peut constituer une référence à privilégier pour la
France
. La suspension de l’imposition globale de la fortune, en Allemagne et dans d’autres pays, tient pour une part
à la fragilité juridique et politique des bases cadastrales utilisées pour le calcul de la partie immobilière de l’assiette.
A cet égard,
l’ISF français, qui repose sur les valeurs vénales, apparaît plus robuste. Il souffre, en revanche,
de deux faiblesses intrinsèques : une assiette étroite et des taux progressifs élevés
eu égard aux taux actuels
d’inflation et de rendement des placements financiers.
Concernant
l’imposition des sociétés, si le niveau global d’imposition entre les deux pays est
comparable, l’Allemagne
a, au cours des années 2000, fait évoluer ses règles dans le sens d’un
élargissement de
l’assiette et d’une baisse des taux
.
La comparaison a permis d’identifier
trois marges de manoeuvre :
le
réexamen des niches
,
la taxation de
la consommation, avec le périmètre et le niveau du taux réduit de TVA, enfin la fiscalité environnementale
(taxation des produits énergétiques et des véhicules particuliers). Les deux utilisations possibles des marges de
manoeuvre sont la
réduction des déficits publics ou l’amélioration de la compétitivité
par l’allègement de la
taxation du travail et des coûts de production des entreprises.
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La Cour suggère plusieurs orientations
Les travaux de la Cour ont mis en évidence quatre orientations générales portant sur la politique fiscale,
tendant à :
-
procéder à un
réexamen systématique du bien-fondé de chacun des prélèvements grevant
, au-delà
des cotisations légales de sécurité sociale,
les coûts de production des entreprises
, en portant une attention
particulière aux
prélèvements assis sur les salaires
;
-
amplifier la réduction des niches fiscales et sociales
comme la Cour et le Conseil des prélèvements
obligatoires l’ont recommandé notamment dans leurs récents rapports publics ;
-
élaborer une stratégie fiscale de moyen terme
, et ce faisant fournir à l’ensemble des acteurs un cadre
prévisible et suffisamment stable ;
-
dans le cadre de cette stratégie de moyen terme
qui doit nécessairement viser à réduire les déficits et
à améliorer la compétitivité
:
•
engager un processus de
substitution progressive d’un financement à caractère universel à un
financement professionnel, assis sur les salaires, pour des politiques publiques sans rapport direct avec
l’entreprise
;
•
mobiliser à cette fin, en particulier, les marges de manoeuvre tirées de la réduction des niches fiscales et
sociales, ainsi que de celles mises en évidence en matière de taxation de la consommation et de fiscalité
environnementale ;
•
analyser
leurs
conséquences
redistributives
et
envisager,
le
cas
échéant,
les
dispositifs
d’accompagnement nécessaires, en particulier par
l’aménagement de prestations sociales ou la progressivité
des impositions
.
La comparaison a conduit également à formuler deux orientations sur les travaux entre la France et
l’Allemagne :
-
achever, entre les administrations, l’approfondissement technique en matière
d’assiette de l’impôt sur
les sociétés, dans la perspective d’une harmonisation progressive
;
-
intégrer les orientations de politique fiscale dans la coordination des politiques économiques
française et allemande
, dont le Conseil économique franco-allemand est le pivot naturel.
La comparaison réalisée a enfin confirmé le bien fondé d’orientations précédemment énoncées par la Cour et
visant à
assurer un pilotage plus cohérent des finances publiques
.
Ce pilotage exige que la stratégie d’ensemble qui aura été définie soit inscrite dans une
loi de
programmation des finances publiques
juridiquement contraignante à l’égard des lois de finances et des lois
de financement
de la sécurité sociale
et intégrant,
s’agissant des comptes sociaux, le refus de principe de
tout déficit
.
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