Critiques formulées dans l’ouvrage de Stéphane HOREL,
Les Médicamenteurs
, Editions du
moment, Paris, 2010.
46
Disponible sur le site
http://tiny.cc/kq0ry
.
25
Au demeurant, les conclusions de la commission d’enquête parlementaire du Sénat
47
couvrent déjà la question des experts, tant pour l’OMS que pour la France.
Au delà de l’apparente complexité et des niveaux de gestion, dont on voit
qu’ils diffèrent légèrement entre la gestion ministérielle et interministérielle, la
coopération directe entre services a permis d’assurer la complémentarité des deux
organisations ministérielles de crise ainsi qu’en témoignent les liens entre la DGS
et la DPSN, la DSC et le DUS ou le COGIC et le CCS.
L’effort administratif et humain de gestion de cette longue crise a été
considérable et souvent double. Une répartition plus claire des compétences entre
les ministères de l’intérieur et de la santé à tous les niveaux de la gestion de crise
pourrait
permettre
d’optimiser
les
efforts
consentis
par
les
services,
particulièrement dans l’hypothèse de crises qui se prolongent.
3.
Le bilan du travail interministériel au cours de la crise
Le travail interministériel tel qu’il ressort des comptes-rendus de la CIC a connu
deux temps.
Pendant la première période, de fin avril à début juillet, l’organisation du travail
interministériel n’est pas encore mature : la fréquence des réunions de la CIC est élevée,
les décisions prises sont entérinées par des réunions interministérielle (RIM) fréquentes
qui se déroulent peu de temps après les réunions des CIC, le niveau de représentation
est variable. Le bilan de cette première phase n’est pas satisfaisant : les grandes
décisions structurantes pour la campagne que sont le volume et les modalités d’achat
des vaccins ainsi que la détermination de la stratégie vaccinale ne sont pas prises en CIC
qui est seulement informée de la réflexion sur celle-ci et sur l’avancée des négociations
avec les groupes pharmaceutiques. Il s’agit de décisions prises par le Premier ministre
sur proposition de la ministre de la santé.
La seconde période du travail interministériel commence début juillet : la CIC se
réunit désormais au niveau des directeurs de cabinet, à une fréquence hebdomadaire, les
RIM se font plus rares et se concentrent sur des points d’arbitrage spécifiques n’ayant
pas pu être résolus en CIC ou des éléments de communication, les délais de validation
des décisions se stabilisent entre trois et cinq jours. Cette nouvelle approche du travail
interministériel est plus efficace, même si tous les défauts préalablement constatés ne
disparaissent pas. Ainsi, les sujets continuent d’être abordés successivement, sans ordre
stratégique apparent : après avoir consacré des réunions entières aux masques et aux
transports, la CIC se penche sur les plans de continuité d’activité en juillet, puis sur la
définition des publics prioritaires en août. Au lieu de devenir un lieu d’impulsion et
d’anticipation, elle demeure un lieu de réaction aux difficultés de l’heure.
La CIC a produit de très nombreux textes : quarante-trois circulaires, parfois du
même jour, dont plus de la moitié relatives à la campagne de vaccination, sept arrêtés
48
et un décret
49
. Les services territoriaux de l’Etat, dont la charge est d’appliquer ces
47
Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans le
gestion par le gouvernement de la grippe A(H1N1)v, déposé le 29 juillet 2010.
48
Dont l’arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la
grippe A (H1N1) 2009, donnant un cadre juridique à la campagne de vaccination.
49
Décret n° 2009-1522 du 9 décembre 2009 relatif à l’indemnité exceptionnelle versée aux
agents publics de l’Etat exerçant des tâches médicales ou paramédicales dans le cadre de la campagne de
vaccination contre la grippe A (H1N1).
26
circulaires dans un contexte de crise, ont été dépassés par le rythme de production
normative de la CIC et l’accumulation des textes.
Au-delà des inerties, des décisions trop tardives qui reflètent des manques dans
l’anticipation
50
, le travail interministériel de la CIC-décision a connu un véritable échec
de coordination au sujet du double système de remontées statistiques, au CCS via les
DDASS et au COGIC via les préfectures : les EOD et les personnels des préfectures
devaient envoyer les chiffres des personnes vaccinées en double, à des heures
différentes, travail lourd, fastidieux et sans valeur ajoutée.
La première expérience de la nouvelle organisation interministérielle de
gestion de crise a été un apprentissage précieux pour les crises à venir. Pour être
efficace, le travail interministériel a besoin de régularité, de vision stratégique
permettant d’anticiper les sujets difficiles avant qu’ils deviennent urgents et d’être
attentif à la réception des décisions qu’il impose de mettre en oeuvre
51
. A cet égard,
les contraintes de travail des services déconcentrés n’ont pas été suffisamment
prises en compte, tant dans les délais de mise en oeuvre attendus que dans la clarté
et la lisibilité des mesures qu’il leur a été demandé d’appliquer.
4.
Une gestion ou coordination européenne de la crise très limitée
Une coordination européenne de la gestion de crise était pleinement justifiée par
les enjeux et les mesures à adopter en matière de transports, de fermeture des frontières
ou de promotion des gestes barrières dans les régions transfrontalières par exemple. Si
la crise avait été plus grave, de nombreux risques auraient pu alors être évités : ceux liés
aux réflexes nationaux dans la production des vaccins
52
ou même dans leur
administration par exemple, ou encore les risques d’asymétrie d’information entre les
groupes pharmaceutiques et des gouvernements désunis.
L’outil existant n’a jamais été utilisé : les
crisis coordination arrangements
(CCA), outils de coordination stratégique et politique des Etats-membres de l’Union
Européenne en cas de crise à la fois transnationale et multisectorielle mis en place par la
présidence britannique de l’UE en 2006. Les CCA s’appuient sur une structure
permanente, le Centre de situation (SitCen) placé auprès du secrétariat général du
Conseil de l’UE, et sur des procédures adaptées à la gravité de la situation (les
standard
operating procedures
ou SOP). Sa fonction principale est de partager l’information et
de diffuser des éléments de communication communs.
Pour la grippe A (H1N1)v, le ministère de l’intérieur relève «
l’inadaptation des
outils existant au niveau européen. Les structures politiques informelles telles le groupe
des amis de la présidence sont trop faibles pour fédérer un processus de coopération
50
Particulièrement en matière financière : les textes fixant les régimes indemnitaires et les
mesures de remboursement ou de compensation des volontaires et réquisitionnés ont été très tardifs,
paraissant à partir de décembre, alors même que le principe de l’utilisation de volontaires dans les centres
de vaccination était acquis depuis des mois.
51
La crise née de l’éruption du volcan Eyjafjöll n’a pas conduit à renforcer cette première
expérience : la CIC, qui dispose désormais en outre de locaux neufs et adaptés, n’a pas été activée à cette
occasion
.
52
Ainsi, l’Italie, la France ou l’Allemagne, lieux principaux de production des vaccins
commandés en Europe, auraient pu réquisitionner la production des usines sises sur leur territoire.
27
véritable
»
53
. Ceci a notamment eu pour conséquence d’offrir aux groupes
pharmaceutiques l’opportunité de mettre en concurrence les Etats pour l’achat de
vaccins et d’obtenir ainsi des conditions plus favorables (cf.
infra
).
5.
L'organisation de la communication gouvernementale
La communication gouvernementale a fait l’objet de nombreux commentaires, la
plupart du temps négatifs, tout au long de la campagne. L’efficacité de la
communication gouvernementale, c’est-à-dire sa capacité à atteindre les objectifs fixés
d’information ou de conviction des citoyens, dépend en grande partie – certainement
davantage que d’autres volets de l’action publique – des circonstances médiatiques et
sociales de relais et de réception. Les médias nationaux ont offert en abondance des
exemples de résistance à la communication gouvernementale, ce que Didier Tabuteau
appelle «
une sorte de sursaut face aux tentatives d’imposer une solution que l’on ne
comprend pas
»
54
. Dans l’esprit des Français, la grippe A (H1N1)v a été exagérément
médiatisée : en février 2010, ils étaient 73 % à estimer que les journalistes s’étaient trop
exprimés sur le sujet, contre 47 % en mai 2009
55
. Cet aspect n’est pas abordé plus avant
dans le présent rapport. Au-delà, Internet a été au coeur de la diffusion des messages
contraires ou hostiles à la communication du gouvernement que ce dernier, malgré une
organisation de communication de crise performante, n’a pas suffisamment su anticiper
et contredire au moyen par exemple d’argumentaires pré-rédigés.
La communication publique sur la pandémie de grippe A (H1N1)v a été un
assemblage de plusieurs types et vecteurs de communication. Elle a ainsi rassemblé
l’information nationale de la population, les relais locaux d’information sollicités
pendant la campagne de vaccination, les informations spécifiques à certaines
populations (professionnels de santé, personnes prioritaires), la communication des
ministres, la communication par les experts gouvernementaux ou encore la
communication de réaction. Les analyses qui suivent distinguent entre les différentes
communications afin de mieux en évaluer les efficacités respectives. Dans le temps, la
communication gouvernementale a visé tout d’abord à sensibiliser la population aux
mesures permettant de limiter la progression du virus, puis ensuite à l’inviter à se
protéger en se faisant vacciner.
a.
Un rôle restreint dans la planification et la gestion de crise
Depuis les débuts de la réflexion intergouvernementale sur le plan national
« pandémie grippale » et la nomination d’un DILGA, la communication y a toujours été
mentionnée, notamment au travers des « infogrippes », réunions hebdomadaires de
travail qui depuis 2005 regroupent autour du DILGA/DGS plusieurs services de
communication, au premier rang desquels la délégation à l’information et à la
communication (DICOM) du ministère de la santé et le service d’information du
gouvernement (SIG). Le caractère homogène et interministériel de l’information est
assuré depuis cinq ans à ce rythme hebdomadaire : en cas de crise, la solidité de cette
53
Réponse du ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Note – La
coordination politique des situations de crise au niveau de l’Union Européenne.
54
Didier Tabuteau, Audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la
manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A
(H1N1), mardi 13 avril 2010, compte-rendu, p. 5.
55
« Synthèse de la perception des trois campagnes de communication réalisées par l’Inpes »,
février 2010.
28
base de coopération des services de communication des ministères concernés peut
s’avérer utile.
Le plan « pandémie grippale » ne prévoit, pour sa part, aucune mesure ni
procédure de définition ou de validation d’une stratégie de communication, ni même
une liste d’outils essentiels dont il faut disposer en interministériel. Il faut par exemple
attendre la réunion CIC-Com du 6 janvier 2010 pour trouver la mention d’un site
collaboratif ministériel «
visant à simplifier les échanges du réseau CIC-Com
», mais
l’intégralité de la production de la CIC-Com n’était pas consultable en un endroit
unique accessible à tous les services chargés de la communication avant la mi-janvier,
ce qui a été trop tardif
56
. De même, un bulletin général d’information de crise et un
bulletin général d’information sur l’expression publique et la pression médiatique ne
sont présentés à la CIC-Com que le 30 décembre, alors même qu’il s’agit d’outils
essentiels
57
. Surtout, la CIC « décision » avait mandaté au milieu du mois de juin la
CIC-Com afin qu’elle élabore de manière anticipatrice une stratégie de communication,
notamment dans la perspective d’une campagne de vaccination. Ce travail n’a pas été
réalisé.
La création de la cellule interministérielle de crise sous la responsabilité de la
direction de la planification de sécurité nationale (DPSN) prévoit une formation
« communication » de cette CIC, en complément de la CIC « décision » et de la CIC
« situation », comme décrit précédemment. La communication est de ce fait intégrée
dans la gestion de crise, mais au second rang et sans approche exhaustive ni stratégique.
L’utilisation qui a été faite de la structure préexistante « Infogrippe » dans le cadre de la
campagne de lutte contre la grippe A (H1N1)v est à cet égard éclairante : le compte-
rendu de la CIC-Com du 9 décembre 2009 mentionne «
l’introduction d’un
représentant du DILGA dans la CIC-Com en vue d’augmenter la concertation entre les
deux cellules
»
58
, soit huit mois après le début de la crise.
b.
Les organes et services chargés de la communication ministérielle et
gouvernementale
Ces structures ont été associées à la gestion de la crise dès le départ, sans
toutefois participer suffisamment aux décisions et sans stratégie de communication.
La CIC communication a offert un cadre d’échange d’information et de coordination
des actions à entreprendre, sans jouer de rôle stratégique.
Alors que la cellule interministérielle de crise (CIC) dans ses composantes
« décision » et « situation » avait été formellement activée le 30 avril 2009, la CIC
« communication » (CIC – Com) ne l’a été que deux jours plus tard, le 2 mai. Ce délai,
certes minime, révèle une mobilisation différente de la communication et son
appartenance à des priorités alors identifiées comme inférieures
59
.
56
Compte-rendu, CIC – Communication, 6 janvier 2010.
57
Compte-rendu, CIC – Communication, 30 décembre 2009.
58
Compte-rendu, CIC – Communication, 9 décembre 2009.
59
Le rapport précédemment cité sur le retour d’expérience du ministère de l’intérieur relève
d’ailleurs qu’il aurait mieux valu activer la CIC-Com en parallèle des deux autres, à une période où
l’opinion publique découvrait la grippe A (H1N1).
29
La CIC-Com a pour charge d’élaborer la stratégie de communication associée
aux décisions prises par la CIC-Décision, de coordonner l’information et les actions de
communication des ministères et des services territoriaux, et d’assurer une veille médias
intergouvernementale. Elle est animée et pilotée par la délégation à l’information et à la
communication (DICOM) et le porte-parole du ministère de l’intérieur, dont ce fut la
tâche principale, en étroite coopération avec le service d’information du gouvernement
(SIG) placé auprès du Premier ministre. Ce dernier, conformément à son rôle
interministériel renforcé, aurait pu intervenir davantage, particulièrement en termes
d’animation et de pilotage. En effet, il a notamment pour missions
60
«
d'entreprendre
des actions d'information d'intérêt général à caractère interministériel sur le plan
national et, en liaison avec les préfets et les ambassadeurs, dans le cadre des services
déconcentrés de l'Etat
», ainsi que «
d'apporter une assistance technique aux
administrations publiques et de coordonner la politique de communication de celles-ci,
en particulier en matière de campagnes d'information et d'études d'opinion
». Ces deux
missions correspondent parfaitement aux actions de communication à entreprendre en
période de crise.
La CIC-Com est composée des communicants du service d’information du
gouvernement (SIG) et des différents ministères impliqués dans la crise, notamment
ceux en charge de la santé, de l’économie, de l’éducation nationale et des affaires
étrangères. A l’instar de la CIC-Décision, elle s’est d’abord réunie sur une base
quotidienne puis hebdomadaire à partir de la mi-mai. Ses réunions faisaient l’objet de
comptes-rendus.
Les décisions qui ont été prises en CIC communication ont surtout relevé de la
coordination et de la diffusion d’éléments de langage harmonisés et de messages
identiques, laissant cette enceinte à l’écart des grands choix de communication
61
.
La
CIC-Com a eu pour fonction centrale d’assurer la communication coordonnée des
décisions prises, sans avoir participé à leur élaboration. De ce point de vue, son
rôle de conseil en amont des décisions pourrait être utilement renforcé à l’avenir.
Le retour d’expérience sur la gestion de la crise mené par le ministère de l’intérieur
regrette que «
le volet communication des réunions de la cellule décision n’ait pu
s’imposer dans les ordres du jour comme éléments structurant des débats » : « la
cellule Communication a donc essentiellement agi en fonction des orientations fixées en
cellule Décision, plutôt qu’en anticipation
»
62
.
Une communication sanitaire répartie entre les services du ministère de la santé et les
agences sanitaires
Dès le 24 avril 2009 et l’annonce des premiers cas de grippe A(H1N1)v au
Mexique et aux Etats-Unis, le ministère de la santé a eu la charge de la partie
strictement sanitaire de la communication, à destination du grand public et des publics
spécifiques (groupes à risque, professionnels de santé).
60
Décret n° 2000-1027 du 18 octobre 2000 relatif au service d'information du Gouvernement.
61
Par exemple, les spots TV retenus n’ont pas été débattus en CIC-Com.
62
Rapport sur le retour d’expérience sur la gestion de la crise liée à la pandémie de grippe A
(H1N1), ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, mars 2010.
30
Les services du ministère ont piloté la communication sanitaire, dont les acteurs
étaient les directions concernées du ministère (direction générale de la santé et
délégation à l’information et à la communication) et certaines agences sanitaires
(INPES, InVS, AFSSaPS, EPRUS), en fonction de leurs attributions.
La direction générale de la santé (DGS) était présente dans les CIC-Com. A
l’instar de son rôle général au cours de la crise, elle a assuré le pilotage et la
coordination de la communication sanitaire. Elle a aussi rédigé de nombreux contenus,
destinés à des sites internet grand public, aux professionnels de santé, et des fiches pour
différents publics
63
. Elle a en outre assuré avec la délégation à l’information et à la
communication du ministère chargé de la santé (DICOM) le fonctionnement de la
plateforme téléphonique, qu’elle a financée
64
.
La DICOM a eu pour tâches essentielles d’organiser les conférences de presse
de la ministre ou de la DGS, d’actualiser le site Internet du ministère et de préparer et
financer plusieurs annonces et insertions (presse professionnelle, communications aux
professionnels de santé).
L’Institut national de prévention et d’éducation de la santé (INPES) a eu le rôle
central de la mise en oeuvre et du financement des vagues successives de
communication
grand
public
comportant
des
spots
télévisuels,
des
spots
radiophoniques, des affiches, des annonces dans la presse ainsi que plusieurs études
menées pour évaluer l’impact des sports télévisuels
65
.
L’Institut national de veille sanitaire (InVS) a été en charge de la communication
sur la situation épidémiologique : le bulletin grippe A (H1N1)v, publié et mis en ligne à
un rythme quotidien puis hebdomadaire, en était la réalisation principale. Tout au long
de la pandémie, l’InVS a publié les données disponibles sur la situation
épidémiologique ainsi que ses analyses. Son site Internet contenait dès le début de la
pandémie un dossier rassemblant tous les documents publiés à ce sujet, près de 350 au
total. En outre, des communiqués de presse reflétaient régulièrement toute évolution
épidémiologique constatée. Enfin, la directrice générale de l’InVS a participé à presque
toutes les conférences de presse du ministère de la santé, ou conjointes avec le ministère
de l’intérieur, dont elle assurait la partie « situation épidémiologique ».
L’AFSSaPS a apporté son expertise scientifique sur les produits de santé utilisés
dans le cadre de la pandémie de grippe A (H1N1)v
66
, et a tenu à jour les informations
disponibles à ce sujet. Un espace dédié à la grippe A (H1N1)v sur son site Internet
rassemblant l’ensemble des recommandations et des stratégies de prescription et
d’utilisation des antiviraux et des vaccins pandémiques, de même que les résumés des
63
Comme par exemple des affiches pour les établissements pénitentiaires ou des dépliants pour
les pèlerins à destination de la Mecque – source DGS.
64
Pour un montant de 2 985 000 € – source DGS.
65
La ministre de la santé a organisé avec le conseil supérieur de l’audiovisuel des diffusions à
titre gracieux des messages d’urgence sanitaire sur la télévision hertzienne et sur les stations de Radio
France. Courrier de la ministre de la santé au président du Comité supérieur de l’audiovisuel (CSA),
2 mai 2009. Thierry Saussez, directeur du SIG, évalue ces réquisitions gratuites à « entre 20 et 30 M€
bruts sur l’ensemble de la période » - audition par la commission d’enquête sur la manière dont a été
programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1), 5 mai 2010.
66
Les antiviraux, les vaccins pandémiques, les médicaments et dispositifs médicaux dont
l’approvisionnement devait être maintenu en cas de pandémie, les tests de détection, les masques et les
solutions hydroalcooliques.
31
caractéristiques de produits (RCP) destinés aux professionnels de santé et les notices et
questions-réponses destinées aux patients. Les AMM accordées aux vaccins
pandémiques ainsi que le suivi de leurs effets indésirables ont aussi fait l’objet d’une
mise à jour régulière.
Le rôle du Service d’information du Gouvernement
Le SIG a principalement mené des analyses sur l’état de l’opinion publique au
travers d’une veille médias et internet ainsi qu’au moyen de sondages. Les 57 notes
d’alerte adressées aux services ministériels et préfectoraux au cours de la crise ont
permis de mieux adapter la parole publique à l’état de l’opinion. En revanche, les
sondages ont été exploités de manière très insuffisante. Outre la rédaction de tels
messages et d’éléments de langage dans le cadre de la CIC-Com et la surveillance de la
cohérence d’ensemble, le SIG a assuré la gestion administrative et éditoriale du site
pandemie-grippale.gouv.fr.
c.
Le site pandémie-grippale.gouv.fr, un outil complet à l’usage du grand public
et des professionnels
Le site internet « pandemie-grippale.gouv.fr » a été un des vecteurs principaux
de la communication gouvernementale et de l’information du grand public tout au long
de la campagne de lutte contre la grippe A (H1N1)v. Géré techniquement par les
équipes du SIG, ses contenus étaient fournis tant par les ministères que par différents
éléments de langage arbitrés au cours des réunions de la CIC-com. Le site pandémie-
grippale.gouv.fr a profondément évolué au cours de l’année 2009. Conçu au début
comme un site d’information de la population sur les bons réflexes à adopter, il est
devenu, grâce à la richesse des contenus et la publication de bulletins quotidiens, le
support de référence de la communication gouvernementale et le point de distribution
des internautes, en particulier les professionnels de santé, vers les autres sites plus
spécialisés (Afssaps, InVS). Il a par ailleurs vocation à rester le site Internet de
référence en cas d’une éventuelle nouvelle pandémie grippale.
Enfin, dès le début de la campagne de vaccination, un système de renvois
permettait de consulter ce site depuis le site Internet des préfectures, et à l’inverse
d’obtenir des informations locales depuis le site pandémie-grippale.gouv.fr. Malgré la
qualité du site et son bon référencement, sa fréquentation, le 30 novembre, jour du pic
de fréquentation du site, n’a pas dépassé 148 000 internautes
67
. Néanmoins, tout au long
de la crise, ce site a accueilli environ 4,5 millions de visiteurs uniques
68
, soit un
internaute sur 10.
d.
La difficile cohésion des abondantes communications ministérielles
Le ministre de l’intérieur a essentiellement communiqué sur la campagne de
vaccination, sous la forme de conférences de presse : entre juillet et décembre 2009, six
conférences de presse ont été organisées, dont quatre avec les deux ministres de la santé
et de l’intérieur, et deux élargies à d’autres membres du gouvernement, notamment au
ministre de l’éducation nationale. A partir du lancement de la campagne, des rendez-
67
Ce qui correspond à la fréquentation moyenne quotidienne du site rfi.fr ou arte.tv, soit la
moitié de sport 24.com. – source SIG, OJD.com.
68
Cette notion vise à comptabiliser les visiteurs en éliminant du total des visites mesurées les
visites effectuées depuis le même ordinateur, celles-ci ne comptant que pour un visiteur unique.
32
vous avec la presse ont été régulièrement organisés par le ministère, associant le porte-
parole du ministère et le directeur général de la santé
69
.
Le ministère de la santé a organisé, tout au long de la campagne de lutte contre
la grippe A (H1N1)v, trente-quatre conférences de presse au niveau de la ministre ou du
DGS.
Le ministère de l’éducation nationale a, lui aussi, organisé des conférences de
presse, en particulier en juin et autour de la rentrée scolaire.
Cette quantité d’information ministérielle, qui ne tient pas compte d’autres
contributions médiatiques, tout aussi nombreuses et abondantes, a eu pour conséquence
naturelle, outre l’impression de « bruit médiatique » permanent
70
, une certaine
confusion des messages adressés aux Français. Ainsi, «
l’annonce par le ministère de
l’éducation nationale qu’il était prêt à fermer les écoles a suscité un […] décalage en se
plaçant dans un esprit différent de celui de la circulaire de référence […], et en
dramatisant l’enjeu au regard de la réalité épidémiologique constatée par l’opinion
publique,
il
a
contribué
à
l’affaiblissement
de
la
crédibilité
du
discours
gouvernemental
»
71
.
C.
L
ES PREMIERES MESURES DE PREVENTION ET D
’
ORGANISATION DES SOINS
antiviraux et les masques ont pu être utilisés pour le traitement des personnes grippées.
1.
té permettait d’orienter les cas possibles d’infection
vers les
r
l’arrivée de la vague épidémique, en particulier en comparaison avec le Royaume-Uni.
Aussi longtemps que le vaccin n'a pas été disponible, seuls les médicaments
Le traitement hospitalier des premiers cas
Dès les premiers cas constatés sur le territoire français, confirmés par l’InVS le
2 mai 2009, il a été décidé de confier au système hospitalier le traitement des cas de
grippe A (H1N1)v supposés. Quelques jours auparavant, un message DGS-Urgent
72
adressé aux professionnels de san
établissements de santé.
Au début du mois de mai, les cas importés traités à l’hôpital étaient confinés. En
effet, face à un virus nouveau dont la gravité était inconnue, pouvant se transmettre très
rapidement du fait de l'absence d'immunisation de la population, il importait de mettre
en place un environnement aussi hermétique que possible autour des cas supposés. Les
mesures prises ont pu paraître excessives, telles le port de combinaisons scaphandre à
l'hôpital ou encore le transport en ambulance des échantillons soumis aux tests de
dépistage qui étaient, à l'origine, systématiques. Ces dispositions étaient coûteuses et
incommodantes pour les patients concernés, mais il n’est pas à exclure que cette
politique de confinement, maintenue jusqu’à la mi-juillet, ait pu contribuer à retarde
69
Onze au total au mois de décembre.
70
57 % des Français estiment que les pouvoirs publics se sont trop exprimés sur le sujet de la
grippe A (H1N1) – source : « Synthèse de la perception des trois campagnes de communication réalisées
par l’Inpes », février 2010.
71
Rapport sur le retour d’expérience sur la gestion de la crise liée à la pandémie de grippe A
(H1N1), MIOMCT, mars 2010.
72
DGS-urgent 2009-INF-05 -"signalement des cas possibles d’infection au nouveau virus grippal
H1N1" – 30 avril 2009.
33
La question s’est rapidement posée de passer à une prise en charge par la
médecine de ville. Dès le 14 mai, la CIC-Décision s’interroge sur cette éventualité mais
décide la semaine suivante de maintenir une prise en charge hospitalière, qui va être
progressivement étendue à d’autres établissements de santé.
Le 16 juin la CIC-décision prépare la prise en charge progressive des cas de
grippe A (H1N1)v par la médecine de ville. Dans les établissements de santé siège de
SAMU/Centre 15 (108 au total) est mise en place sur instruction du ministère de la
santé une consultation dédiée à la grippe A (H1N1)v, afin de séparer les malades de plus
en plus nombreux de la grippe A (H1N1)v des autres patients. «
Les cas bénins ou
faiblement symptomatiques seront orientés vers un renvoi à domicile sous contrôle de
l’hôpital
», ils seront dotés «
des traitements et masques nécessaires » et « leur médecin
traitant sera averti, par le praticien hospitalier, de cette situation
»
73
. Les cas graves
demeureront à l’hôpital. En parallèle, 330 établissements supplémentaires susceptibles
d’ouvrir des consultations dédiées aux cas de grippe A (H1N1)v sont identifiés par les
agences régionales d’hospitalisation (ARH)
74
. L’objectif est, sous réserve de la
sensibilisation préalable des médecins libéraux, de leur transférer la prise en charge
initiale des cas de grippe sans complication
75
pour la fin juillet. Ce sera fait le 23 juillet,
cette décision s’accompagnant de mesures d’information des professionnels de santé
76
,
et de recommandations de prescriptions
77
.
Enfin, la dernière alerte du système hospitalier a lieu à la mi-septembre, quand la
situation épidémiologique et hospitalière observée dans l’hémisphère Sud incite à la
plus grande prudence : l’acquisition de respirateurs et de dispositifs d’oxygénation
extra-corporelle sur membrane (ECMO) est décidée
78
, et le ministère invite les
directeurs d’établissements de soins à se préparer à déprogrammer certaines
interventions en cas de saturation de leur établissement du fait de l’affluence de patients
grippés
79
.
Contrairement à ce qui avait été anticipé et préparé, le système hospitalier n’a
pas subi de tensions au cours de l’épidémie de grippe A (H1N1)v mais a prouvé sa
qualité dans le traitement des formes graves, grâce notamment à un équipement
parfaitement adapté.
73
CIC-Décision, Compte-rendu, 16 juin 2009.
74
Ils ont reçu les équipements et consommables nécessaires dans la semaine du 26 juin, cf. -
infra.
75
DGS-urgent 2009-INF-09 - "Actualisation des modalités de prise en charge de la grippe
A/H1N1", 26 juin 2009.
76
Fiches mémo sur le site pandémie-grippale.gouv.fr, message DGS-urgent 2009-INF-10 -
"Courrier de la ministre de la Santé et des Sports sur la grippe A/H1N1".
77
Les modalités de prescription des antiviraux sont restreintes aux formes sévères de la maladie
ou aux patients présentant des risques de complications :
http://tiny.cc/05wyb
.
78
100 respirateurs, 34 ECMO, commandés et réceptionnés par l’EPRUS, avant déploiement dans
les zones de défense.
79
Instruction de la directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins en date du
24 septembre 2009 aux directeurs d’ARH, aux directeurs d’établissements de santé et aux préfets.
34
2.
L’utilisation des stocks préexistants de masques et d’antiviraux
La disponibilité de masques et d’antiviraux dont les stocks préexistaient à la
pandémie a permis de prendre rapidement les premières mesures de prévention et de
protection de la population.
a.
La doctrine d’emploi des masques et les stocks existants en 2009
Depuis 2003-2004 et l’apparition de la menace d’une pandémie de grippe aviaire
(H5N1), l’utilisation de masques comme équipement empêchant la diffusion du virus
dans la population est considérée comme une solution efficace en l’absence de vaccins
et de quantités suffisantes d’antiviraux. Ainsi, aussi bien les autorités sanitaires
françaises que mondiales ont depuis plusieurs années conseillé l’adoption de masques
FFP2 (
Filtering facepiece particles – type 2
appelés communément « bec de canard »)
pour éviter la contamination du porteur sain du masque
80
. En complément, les masques
anti-projections dits « chirurgicaux », plus légers, doivent être portés par les sujets
infectés afin de diminuer la transmission du virus
81
.
Des stocks de masques ont été constitués. En avril 2009, ils représentaient un
milliard de masques « chirurgicaux » et 305 millions de masques FFP2 (sans compter
258 M en cours de commande et 216 M périmés faisant l’objet d’une étude visant à
l’extension de leur durée de vie). Ces stocks sont entièrement gérés par l’Etablissement
de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).
Leur doctrine d’utilisation en cas de pandémie est définie à la fiche C4
(« mesures barrières sanitaires »
82
) annexée au plan « pandémie grippale ». Les mesures
prévues par la fiche ont été examinées et adaptées à la situation pandémique par la CIC,
qui a défini les conditions d’emploi des masques FFP2 par les agents de l’Etat
83
ou
encore décidé des dotations des établissements de santé en masques
84
. Les masques ont
été largement distribués, comme décrit plus bas, dans les établissements de soins et dans
des plates-formes logistiques centralisant leur réception au niveau départemental.
b.
Les stocks d’antiviraux et l’évolution de leur utilisation
Dans le cadre identique de la préparation à une pandémie grippale, un stock
d’antiviraux permettant de traiter curativement les malades mais aussi préventivement
les personnes à risque ou dans l’entourage de malades a progressivement été constitué.
Sur les 33 millions de traitements qu’il représente, le stock est composé de 7 millions de
80
Avis du 13 mars 2003 du Conseil supérieur d’hygiène publique en France ; recommandations
de l’OMS contre la grippe aviaire (fiche E5).
81
Il faut préciser que le port collectif et généralisé de masques chirurgicaux, moins
incommodants que les masques FFP2, par exemple dans les transports, aboutit à assurer une protection
individuelle au porteur qui est équivalente au port du masque FFP2. Cela suppose une discipline
collective rigide car l’arrivée d’une personne sans masque supprime l’effet protecteur de tous ceux qui
portent le masque. Pour ces raisons, le gouvernement a choisi, après quelques hésitations, de simplifier la
doctrine de l’usage des masques en associant d’une part le FFP2 à la protection individuelle du porteur et
d’autre part, pour un sujet grippé, le masque chirurgical à la protection altruiste des autres.
82
Les autres mesures barrières sont : le lavage des mains, l’utilisation de mouchoirs et la
« distance sanitaire de protection d’au moins un mètre ».
83
Instruction du 7 octobre 2009 relative aux conditions d’emploi des masques FFP2 pour les
agents de l’Etat en situation de pandémie grippale (H1N1).
84
Circulaire DPSN/DGS/DGAS du 13 octobre 2009.
35
boîtes de Tamiflu® 75mg en gélules, soit 7 millions de traitements, de 17 tonnes de
poudre d’Oseltamivir
85
, soit 17 millions de traitements, et de 9 millions de traitements
de Relenza®.
La fiche C5 annexée au plan national « pandémie grippale » présente la doctrine
d’utilisation des antiviraux. Elle a été modifiée deux fois en 2009, pour introduire des
recommandations d’utilisation spécifiques à certaines populations en pandémie (enfants
de moins de un an, femmes enceintes) et une actualisation de la stratégie d’utilisation
entre traitement curatif et préventif ou prophylactique.
Surtout, la doctrine d’utilisation a été revue par la CIC sur des recommandations
formulées par le comité de lutte contre la grippe (CLCG). Au tout début de la crise, le
CLCG recommande de mettre précocement sous antiviraux tous les cas possibles ainsi
que leurs contacts
86
. Pendant l’épidémie, l’augmentation du nombre de formes graves a
conduit le CLCG à recommander la mise sous traitement antiviral curatif de tous les
sujets suspects de grippe et la prescription d’un traitement préemptif (préventif, de
durée courte, mais à doses curatives) aux personnes en contact étroit des malades et
ayant des facteurs de risque
87
. Ces recommandations, en vigueur du 10 décembre 2009
au 2 février 2010, précédaient de quelques jours la mise à disposition en officine des
stocks nationaux de Tamiflu le 21 décembre.
3.
La gestion logistique des antiviraux et des masques tout au long de la
campagne de lutte contre la pandémie grippale
La stratégie de lutte contre la pandémie H1N1 définie par les pouvoirs publics
faisait reposer sur l’établissement pharmaceutique de l’EPRUS l’essentiel de la
responsabilité logistique de mobilisation et de distribution nationale des stocks de
produits sanitaires qu’elle requérait. Cette responsabilité impliquait notamment :
•
la mobilisation de stocks préconstitués dans le cadre du plan pandémie grippale
(grippe aviaire) : antiviraux, masques, moyens d’injection et collecteurs pour
aiguilles ou seringues usagées ;
•
la réception et le stockage des commandes ou fabrications
88
additionnelles de ces
mêmes produits ;
•
la distribution des antiviraux, masques, et autres produits ou matériels
notamment aux établissements de santé et grossistes répartiteurs, à la fois en
France métropolitaine et outre-mer ;
•
l’organisation de la « remontée » en bon ordre des produits inutilisés ou devant
être détruits.
85
L’
Oseltamivir
est stocké sous la forme de poudre par la pharmacie centrale des armées afin de
constituer un stock aisément transformable en comprimés sécables d’
Oseltamivir
30 mg destinés aux
enfants. Ces comprimés, à la forme pharmaceutique différente des gélules, ont dû faire l’objet d’une étude
de bioéquivalence dont les résultats ont conduit la commission d’AMM de AFSSaPS à émettre un avis
favorable : l’AMM a été accordée par une décision du 24 novembre 2009.
86
CLCG, comptes-rendus du 25 et du 28 avril 2009.
87
Message DGS – Urgent, « Grippe A(H1N1) Nouvelles recommandations de prescription des
antiviraux et livraison des stocks d'Etat d'antiviraux en officines », 10 décembre 2009.
88
Dans le cas de l’
Oseltamivir
.
36
a.
Les choix d’organisation logistique
Les opérations logistiques ainsi mises à la charge de l’EPRUS ont concerné
l’ensemble du territoire national (métropole et outre-mer) ainsi que les représentations
diplomatiques et les ressortissants français de l’étranger et, selon les articles et la
période, avaient pour destinataires les établissements de santé, les centres de
vaccination, les professionnels de santé (médecine de ville et officines), les organismes
et administrations diverses relevant d’autres ministères (défense, intérieur…).
Les acquisitions effectuées au titre de la campagne de vaccination ont été livrées
par les fournisseurs au fil des commandes sur les divers sites de stockage de l’EPRUS
ou sur les plateformes zonales alors constituées par celui-ci. Les transports les plus
sensibles, en particulier les vaccins, étaient assurés sous escorte de gendarmerie ou de
police. Cette particularité des livraisons de vaccins sous escorte est l’exception à la
pratique générale de l’EPRUS qui a utilisé la même logistique de distribution pour tous
les produits.
Pour la bonne gestion de tels flux, l’établissement a anticipé la mise en oeuvre
d’une stratégie que formalisera son futur plan de stockage et qui entend s’appuyer sur
l’existence d’un acteur logistique de distribution à compétence régionale demeurant
dans
le
périmètre
de
gestion
EPRUS
et
permettant
le
regroupement
des
approvisionnements issus des achats ou des stocks centralisés et leur distribution « au
détail ».
Dès le mois de mai 2009, des plateformes zonales ont ainsi été créées dans
chaque zone de défense en métropole, un contrat de mise à disposition de sites de
stockage, de magasinage et de distribution (quelque 3 000 palettes par site) étant conclu
à cet effet avec deux opérateurs logistiques (GEODIS et AEXXDIS) disposant du statut
de dépositaire pharmaceutique.
b.
La distribution des produits
Ces plateformes, approvisionnées à partir des stocks centraux ont assuré le
ravitaillement en produits et articles de santé relevant de la lutte contre la pandémie
selon des schémas adaptés aux divers cadres d’emploi des produits ou matériels comme
à la diversité de ceux-ci : médicaments, dispositifs médicaux, masques. La
responsabilité de l’EPRUS sur ces produits cessait à partir de leur livraison aux
plateformes départementales, placées sous l’autorité du préfet, aux établissements de
santé et aux répartiteurs pharmaceutiques
89
. Ces flux concernaient :
•
à compter du mois de mai 2009, les masques FFP2, masques chirurgicaux et
produits antiviraux, destinés aux centres hospitaliers (108 sièges de SAMU dans
un premier temps) ;
•
à partir de juin 2009, les masques FFP2 et chirurgicaux livrés à des plateformes
départementales de distribution mises en place par les préfectures pour assurer
l’approvisionnement des professionnels de santé du secteur libéral (médecins,
infirmiers, kinésithérapeutes). Les demandes d’approvisionnement concernant
les masques et les antiviraux en provenance des établissements de santé et les
demandes de masques émanant des plateformes logistiques départementales
devaient, en principe, être adressées à la DGS qui, après validation, les
89
L’EPRUS conservait cependant un suivi des quantités de vaccins en place chez ces mêmes
répartiteurs.
37
transmettait à l’EPRUS qui les faisait honorer par la plateforme logistique
zonale compétente. Cette procédure centralisée ayant conduit à une rapide
saturation, elle a été abandonnée par la suite ;
•
entre le 20 juin et le 3 juillet 2009, le dispositif logistique de ravitaillement en
produits de santé a été étendu pour approvisionner les 330 établissements
hospitaliers supplémentaires ayant ouvert des consultations dédiées à la grippe
conformément à une liste établie et tenue à jour par les ARH et validée par le
centre de crise du ministère de la santé. Aux mêmes dates, sur saisine de la DGS,
l’EPRUS a procédé à la répartition via ses plateformes zonales de Tamiflu
formes pédiatriques (45 et 30 mg) sur l’ensemble des établissements de soins
dédiés à la grippe. Ces stocks ont dû être complétés par des achats, jusqu’à
obtention de l’autorisation de mise sur le marché de l’Oseltamivir PG 30 mg
fabriqué par la Pharmacie centrale des armées (24 novembre 2009) ;
•
le 23 juillet 2009, le ministre de la santé ayant décidé de faire appel aux officines
pour distribuer les masques chirurgicaux du stock Etat prescrits aux malades
grippés en accompagnement du traitement antiviral, les plateformes zonales ont
assuré l’approvisionnement des établissements de répartition pharmaceutique de
métropole et d’outre-mer (environ 200 établissements qui, à leur tour, ont
desservi les 23 000 officines pharmaceutiques du pays). La participation des
pharmaciens grossistes-répartiteurs et des pharmaciens officinaux à la
distribution des antiviraux et des masques a fait l’objet de conventions préparées
par la DGS dans le cadre du plan pandémie grippale, mais qui ont été finalisées
par l’EPRUS avec la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, d’une
part, et les syndicats de pharmaciens officinaux, d’autre part ;
•
dès l’ouverture de la campagne vaccinale pour les personnels soignants à la mi-
octobre, les plateformes zonales ont également assuré la distribution des articles
consommables, dispositifs
médicaux et produits de santé nécessaires au
fonctionnement des 1 200 centres de vaccination ;
•
le 21 décembre 2009, la mise à disposition des traitements antiviraux du stock
Etat dans les officines (Tamiflu 75 mg gélules, Relenza, Oseltamivir PG 30 mg
comprimés) a utilisé le circuit de distribution des plateformes zonales et
grossistes répartiteurs selon le même schéma que celui retenu en juillet pour la
distribution des masques chirurgicaux via les officines.
c.
Mise en place et « remontée » des antiviraux et des masques
L’établissement a assuré la mise en place d’importantes quantités d’antiviraux et
de masques de protection :
•
3,4 millions de boîtes d’antiviraux, dont 1,1 de Tamiflu (périmé en 2012),
0,3 million de Relenza (périmé en 2011) et 2 millions d’Oseltamivir (périmé en
2011)
•
243 millions de masques chirurgicaux (sans date de péremption) et 180 millions
de masques FFP2 (périmés entre 2010 et 2013).
La « remontée » vers l’EPRUS des antiviraux et des masques antérieurement
mis en place était achevée pour l’essentiel à la mi-septembre
90
. Les sorties nettes des
90
Aucune décision concernant des retours de stocks non utilisés mis en place outre-mer n’ayant à
ce jour été communiquée à l’EPRUS, la totalité des quantités mises en place sont considérées comme
38
reprises de stocks sont, au total, de 850 000 boîtes environs pour les antiviraux. Le
nombre des masques non repris en stocks à ce jour reste de près de 162 millions de
masques chirurgicaux et de 48 millions de masques FFP2.
L’acquisition d’importantes quantités de masques et d’antiviraux, dont la
majeure partie des stocks était constituée avant 2009, s’est avérée pertinente. Le
déploiement de ces produits n’a pas rencontré de difficulté majeure et ce n’est que
parce que la grippe s’est révélée peu grave qu’ils ont si peu été utilisés.
4.
Pendant les premières phases de la crise, une communication efficace
centrée sur l’information des différents publics
La communication correspondant aux premiers jours de la crise fut une
communication sanitaire exclusivement confiée au ministère de la santé, jusqu’à
l’activation de la CIC-Com le 2 mai 2009. Pendant toute une première phase, l’accent a
été tout particulièrement mis sur l’information de la population, afin de «
sensibiliser les
catégories de population les plus à risques (femmes enceintes, nourrissons, personnes
fragiles, professionnels de santé …) tout en indiquant que des personnes sans facteurs
de risque pouvaient aussi développer une forme grave de la grippe A(H1N1)v
»
91
.
Pendant toute la première phase, jusqu’en août 2009, la priorité a été de diffuser
un message de promotion des gestes barrière à destination des professionnels de santé,
du grand public et des voyageurs, afin de limiter la transmission du virus. Ce premier
volet comportait une réédition de la campagne de prévention et de promotion des gestes
barrières (TV, radio, affichage public et presse) diffusée depuis 2007 et conçue dans le
cadre de la préparation de la population à la grippe aviaire (H5N1) une invitation à
destination des professionnels de santé (presse et Internet) pour s’inscrire à la liste de
diffusion DGS-Urgent et pour se rendre sur le site web du ministère de la santé
92
, ainsi
que la promotion des gestes barrière à destination des voyageurs.
Du 25 août au 25 septembre, autour de la rentrée scolaire, a été menée une
campagne actualisée de promotion de la prévention auprès du grand public, avec un spot
TV et des spots radio actualisés portant sur le lavage des mains ou encore le port du
masque, complétée à destination des professionnels de santé par des modèles d’affiches
à utiliser dans leur environnement professionnel.
D’après les études menées par l’INPES sur les messages diffusés
93
,
particulièrement les spots TV et radio, l’opinion a généralement identifié et retenu les
messages, qui ont fait l’objet d’une diffusion suffisante. Ainsi «
57 % des Français ont
été capables de citer les messages évoqués dans ce dispositif d’informations
» et «
la
reconnaissance des spots TV a été largement au-dessus des standards INPES
»
93
.
sorties. En outre, une partie minime des quantités restituées sont encore en cours de tri avant reprise en
stock.
91
Réponse DGS au questionnaire de la Cour des comptes.
92
Où se trouvaient, dans une partie consacrée aux professionnels de santé, un dossier spécifique
et des fiches techniques opérationnelles de conduite à tenir.
93
« Synthèse de la perception des trois campagnes de communication réalisées par l’Inpes »,
février 2010.
39
D.
L’
ELABORATION DE LA STRATEGIE VACCINALE
Dès l'origine de la crise, la question de la vaccination a été abordée. En effet,
celle-ci constitue toujours la meilleure forme de protection individuelle et collective
contre une pandémie virale.
La tentation serait forte, par un raisonnement a posteriori, de critiquer les
décisions prises au début du mois de juillet 2009 en matière d'achat de vaccins. Les
comparaisons entre Etats conduisent en tout état de cause, à modérer ces critiques, car la
majorité de ceux dont les moyens financiers permettaient l'acquisition de vaccins ont
adopté des stratégies comparables à celle de la France.
Surtout, même si la stratégie vaccinale n'a pas été élaborée sans ambigüités, les
choix retenus doivent être resitués dans le contexte du début de la pandémie, marqué par
de nombreuses incertitudes, une réelle inquiétude et la nécessité de prendre des
décisions dans un délai très court. Mais cette difficulté à évaluer la menace aurait
précisément dû inciter le gouvernement à prévoir des dispositifs souples et des
stratégies de repli, tant dans les négociations d’achat de vaccins que dans l’organisation
d’une campagne de vaccination de masse.
1.
Un premier engagement sous contrainte de temps
Dans un contexte de concurrence entre Etats pour l’accès au vaccin pandémique,
le ministère de la santé a cherché, à partir de la qualification de la menace qu'il a
adoptée, à définir les objectifs de la vaccination, à dimensionner une quantité de vaccins
à acquérir et à mobiliser les industriels afin de garantir à la France un accès aux vaccins
dans les meilleurs délais. Mais ces différentes tâches ne se sont pas déroulées dans cet
ordre logique. Ainsi, la difficile négociation avec les laboratoires, comprenant l'envoi
d'une lettre de réservation à GSK pour 50 millions de doses dès le 12 mai, s'est engagée
avant et pendant la définition de la stratégie vaccinale. En effet, dès les premiers jours
de mai, suite à la décision de l’OMS le 30 avril de passer en phase 5 de son plan (puis
en phase 6 le 11 juin), les entreprises pharmaceutiques ont commencé à mettre les Etats
en concurrence pour l'accès aux vaccins.
40
41
Tableau n° 3 :
Comparaison internationale des achats de vaccins et des résultats de la vaccination
Allemagne
Pays-Bas
Espagne
Grèce
Danemark
Belgique
Canada
France
Italie
Japon
Mexique
R.-Uni
Suède
Etats-Unis
Total des doses
commandées
50 M
34 M
37 M
8 M
3,1 M
12,6 M
51 M
94 M
24 M
54 M
30 M
130 M
18 M
251 M
Vaccinations
fin 2009
8 M
5,37 M
2 M
?
0,7 M
15 M
6 M
2.4 M
?
4.9 M
5 M
6 M
61 M
Total de la
population
82 M
16,6 M
46,6 M
11,3 M
5,5 M
10,6 M
34 M
64 M
60 M
127 M
110 M
61 M
9,2 M
300 M
Fraction de la
population couverte
par les achats de
vaccins (2 doses)
30 %
100 %
40 %
35 %
28 %
60 %
75 %
78 %
20 %
21 %
14 %
106 %
66 %
42 %
Fraction de la
population vaccinée
(majorant)
94
9,7 %
32 %
4,2 %
?
?
6,6 %
44 %
9,3 %
4 %
?
4 %
8 %
65 %
20 %
Source : DGS et rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale
94
Ce calcul ne prend pas en compte le schéma à deux doses, compte tenu du fait qu’un faible nombre de personnes a été vacciné ainsi. Les pourcentages affichés sont
donc supérieurs aux pourcentages réels.
42
Le délai offert par GSK pour réserver 50 millions de doses – cette offre revêtait
une importance stratégique pour la France (cf. infra) – courait jusqu'au 12 mai, soit
pendant un temps trop court pour que le gouvernement puisse s'appuyer sur le Haut
Conseil de la santé publique et le comité technique des vaccinations. Ceux-ci n’ont en
fait été saisis que le 11 juin par le directeur général de la santé. Ainsi sommé de donner
une réponse rapide aux propositions des entreprises pharmaceutiques, le ministère de la
santé ne pouvait s'appuyer que sur les premières projections épidémiologiques de
l’InVS, très incertaines, et sur l’avis du comité de lutte contre la grippe (CLCG) qui
avait commencé à se réunir très fréquemment dès le 25 avril. Sollicité en urgence
95
le
10 mai, le comité s'est réuni sous la forme usuelle d'une conférence téléphonique. Ne
disposant pas du temps nécessaire à une réflexion approfondie, il s'est appuyé sur les
réflexions menées en 2008 sur une pré-vaccination pandémique contre un virus très
virulent, le H5N1, pour recommander
« une stratégie d'acquisition progressive d'un
stock de vaccins prépandémiques, [...] tant que la vaccination contre le virus est
envisagée dans une phase prépandémique
» et affirme
« qu'une grande partie de la
réponse est apportée par le rapport du comité de décembre 2008. Les recommandations
du groupe étaient d'avoir du vaccin pour toute la population et, à défaut, de vacciner
certaines tranches de la population en fonction de l'efficacité, estimée par la
modélisation, de cette stratégie sur l'évolution de la pandémie
».
Le lendemain, 11 mai, veille de l'expiration de la proposition de GSK, le
directeur général de la santé présente le contexte ainsi :
« Si des interrogations
subsistent encore, notamment du fait du manque de connaissance sur le virus et sur les
orientations de l'OMS, la capacité de production mondiale étant limitée et de nombreux
Etats voulant acheter des vaccins, il est nécessaire de prendre des décisions rapidement
en matière de stratégie d'acquisition afin d'obtenir une bonne place dans le calendrier
de livraison
». S’appuyant sur l’avis, non public, du CLCG de la veille, il recommande
l'achat d'un nombre important de vaccins :
« Si, dans l'état actuel, l'épidémie paraît
naissante et peu virulente, la survenue d'une importante vague épidémique au cours des
prochains mois est à craindre. Par référence aux pandémies grippales du vingtième
siècle et à la dynamique des épidémies de grippe saisonnière, il serait donc utile de
pouvoir procéder à la vaccination d'une part importante de la vaccination le plus tôt
possible à l'automne
». Le surlendemain, le comité de lutte contre la grippe,
« parce
qu'il était assez inconfortable d'avoir discuté de cela d'une manière aussi rapide »
selon
les mots de son président
96
,
« revient sur le premier avis temporaire et pris sous
pression. Il propose d'attendre le retour interministériel de la note du 11 mai précitée
pour effectuer une nouvelle reformulation des recommandations émises le 10 mai en
fonction des informations disponibles. Mais nous n'avons jamais eu à procéder à cette
reformulation sur la stratégie vaccinale et l'acquisition de doses ».
Le 14 mai, le
gouvernement acceptait l'offre de réservation de GSK.
95
Le président de ce comité, M. Jean-Claude Manuguerra, affirmait lors de son audition par
l'Assemblée Nationale le 2 juin 2010 :
« Bien sûr, nous étions sous pression lors de la réunion du
[dimanche] 10 mai. Nous nous étions déjà réunis le week-end précédent et, à mon départ pour le
Mexique, j'avais souhaité qu'une réunion soit organisée la semaine même de manière à ce que l'on puisse
laisser trois jours de repos à notre comité, sachant que, par ailleurs, les membres étaient largement
occupés, notamment en laboratoire comme moi. Effectivement, il y a eu une saisine le [vendredi] 8 mai,
suivi d'une réunion le 10 mai pour en discuter. C'est un peu regrettable. Je pense que nous aurions pu
attendre un peu, mais les pressions, extérieures au comité, étaient fortes ».
96
Audition précitée du 2 juin.
Même si, à partir de cette date, le gouvernement était désormais engagé, il a
initié une réflexion plus approfondie au cours du mois de juin sur les principes de la
stratégie vaccinale. Cette démarche a abouti à la décision du Premier ministre le 4 juillet
de signer des commandes fermes pour 94 millions de doses auprès de quatre entreprises
pharmaceutiques.
2.
Les objectifs de la vaccination
a.
Une menace qualifiée de majeure par la ministre de la santé
Pour évaluer la menace, le gouvernement s'est appuyé sur les données et les
projections fournies par l'InVS
97
. Celui-ci envisageait, à ce stade, que la grippe A
(H1N1)v pourrait toucher de 8 à 20 millions de personnes, soit environ 40 % de la
population française (taux d'attaque). Conjuguée avec un taux de létalité évalué, compte
tenu des données disponibles, à 2 pour mille
98
, soit le double de la grippe saisonnière,
elle pouvait provoquer de 16 000 à 40 000 décès directs
99
. Les autres pays ont évalué
ces décès potentiels de la même manière : le rapport au président des Etats-Unis fait état
de 30 000 à 90 000 décès possibles
100
. En comparaison, la grippe saisonnière est
responsable de 6 000 décès, à la fois directs et indirects. En outre, la grippe A (H1N1)v
vise des personnes bien plus jeunes que la grippe saisonnière et peut entraîner des cas
graves chez des personnes sans facteur de risque. Ces considérations, marquées par le
pessimisme, ont conduit la ministre de la santé à qualifier la menace sanitaire de
majeure.
En France comme dans de nombreux autres pays, la perspective qu'un nombre
aussi important de décès puisse résulter d'un scénario de forte circulation et de létalité
modérée, qui semblait réaliste, a beaucoup joué dans la qualification de la menace. En
effet, un virus dont la gravité est modérée peut constituer une menace globale forte,
dans la mesure où un effet de masse joue. Selon une note adressée par le cabinet du
ministère de la santé aux conseillers du Président de la République et du Premier
ministre, le 10 juillet,
«
[L'émergence de la première pandémie de grippe du XXIe
siècle]
est liée à l'émergence d'un virus de la grippe d'un type nouveau (A/H1N1),
auquel l'espèce humaine n'a, jusqu'à présent, jamais fait face, ce qui constitue en soi un
risque, indépendamment de toute notion de virulence du virus (effet "masse")
».
97
Point de l'InVS du 20 mai 2009. L'InVS n'a pas eu pour rôle de fournir des prévisions,
impossibles compte tenu de la forte incertitude en début d'épidémie, mais d'élaborer des scénarii et
d'évaluer la menace.
98
L'origine précise de ce chiffre n'a pas pu être identifiée. Le 4 mai, l'InVS écrivait «
au mieux,
on peut faire l'hypothèse que ces données disponibles [...] sont compatibles avec une gravité au moins
équivalente ou supérieure à la grippe saisonnière
». L'InVS a revu son évaluation de la menace au cours
du mois de mai, lorsque les données en provenance du Mexique ont été revues à la baisse. Elle écrit, le
20 mai, qu'«
on ne dispose pas d’estimation fiable de la létalité observée hors Mexique. Le ratio décès /
cas confirmés déclarés suggère, pour le moment qu’elle n’est pas supérieure à celle observée pour la
grippe saisonnière
».
99
Note du directeur de cabinet de la ministre de la santé aux conseillers sociaux du Président de
la République et du Premier ministre du 18 juin 2009. En comparaison la létalité de la grippe H5N1 est de
600 pour mille (60 %), mais ce virus n'a pas de transmission interhumaine. H5N1 et H1N1 ont donc des
caractéristiques très opposées.
100
Source : audition de la directrice de l'InVS par la commission d'enquête de l’Assemblée
Nationale le 6 avril.
43
Une estimation solide de la létalité, c'est à dire du rapport du nombre de décès au
nombre de cas, même provisoire, n'a jamais été possible au cours de la crise. En effet, il
était difficile d'évaluer le nombre de décès, correspondant au numérateur, et surtout le
nombre de cas de grippe A (H1N1)v correspondant au dénominateur. Tout au long de la
crise, la sous-évaluation de ce dernier chiffre, car certains cas n'entraînaient pas de
consultation, a conduit à surévaluer la létalité. En outre, le comité de lutte contre la
grippe relève que
« l'évaluation initiale de la gravité d'une pandémie est complexe du
fait de son évolution progressive dans le temps.
»
101
. Le 11 juin, le comité d’urgence de
l’OMS élève le niveau d’alerte à la phase 6 et déclare : «
Nous avons de bonnes raisons
de penser que cette pandémie, du moins dans ses premiers jours, sera de gravité
modérée. Comme nous le savons par expérience, la gravité peut varier d’un pays à
l’autre en fonction de différents facteurs
». Le lendemain, une note de la direction
générale de la santé indique qu’au vu des données disponibles, la létalité due au
nouveau virus pourrait être de 5,4 pour mille soit cinq fois plus que la grippe
saisonnière
102
. La comptabilisation des décès directs, sur laquelle les autorités se sont
appuyées, faute d'autre données, peut cependant conduire à une fausse perception de la
gravité. En effet, il existe aussi une mortalité indirecte qui peut substantiellement
modifier le tableau d’ensemble de la gravité d’une grippe. Dans le cas traditionnel de la
grippe saisonnière, une méthode de mesure différente donne accès à la somme des
mortalités directe et indirecte, à travers la mesure de la ‘surmortalité’ dans la population
observée au cours d’un hiver. Les autorités ont donc dû tenter de comparer une
évaluation fragile de la létalité directe de la grippe A, surestimée par la mauvaise
connaissance du nombre réel de cas, à la mortalité globale de la grippe saisonnière
mesurée par une méthode bien différente. D'autres indicateurs de gravité existent en
complément de la létalité : taux d'absentéisme professionnel, taux d'hospitalisation, taux
de soins hospitaliers intensifs, taux de formes graves. Dans son avis du 26 juin 2009, le
Haut Conseil de la santé publique qualifie, en l'état des connaissances, la létalité de la
grippe A (H1N1)v de «
modérée, proche de celle de la grippe saisonnière
». Il affirme
que de grandes incertitudes pèsent sur l'évolution de la pandémie, sur l'éventualité d'une
seconde vague et sur une augmentation de la virulence du virus, à l'instar de 1918.
Ainsi, tant la faible robustesse des indicateurs de gravité d’une pandémie que
l’incertitude sur son évolution, à l’occasion de mutations ou de recombinaisons
génétiques du virus, ont conduit le ministère de la santé à devoir qualifier la menace
sans disposer des moyens de l’étayer par des arguments précis et définitifs. Cette
difficulté explique aussi la réticence du gouvernement à réduire la qualification de la
menace, qui est demeurée ‘majeure’ tout au long de la crise. Le tableau suivant illustre
que cette situation n’était pas propre à la France.
101
Avis du CLCG du 22 juin 2009.
102
Compte rendu de la réunion au cabinet de la ministre de la santé du 11 juin 2009.
44
Tableau n° 4 : Hypothèses de planification établies en Europe
avant le 28 septembre 2009
Pays
Royaume Uni
Norvège
Europe
Source
HPA
HPA
Ministère santé
ECDC
ECDC
Date
16 juillet 2009
3 septembre
septembre
29 juillet
16 septembre
Taux d’attaque
global
30%
Jusqu’à 30%
20%
20 à 30%
Jusqu’à 30%
Taux d’attaque
hebdomadaire au
moment du pic
6,5% (national)
4,5% à 8% (local)
Jusqu’à 6,5%
4,5% à 8% (local)
Taux de
complications
cliniques
15%
Jusqu’à 15%
Jusqu’à 15%
Taux
d’hospitalisation
dont soins
intensifs
2%
Jusqu’à 1%
dont 25%
0,6%
dont 20%
1 à 2%
Jusqu’à 1%
dont 20 à 25%
Létalité
0,1 à 0,35%
Jusqu’à 0,1%
0,05%
0,1 à 0,2%
Jusqu’à 0,1%
Pic hebdomadaire
d’absentéisme
12%
Jusqu’à 12%
12%
Jusqu’à 12%
Source : DGS
b.
Intérêts et limites de la vaccination anti-grippale
Un vaccin procure une immunité contre un virus analogue à celle qu'obtient une
personne qui a contracté la maladie. Sa mémoire immunitaire lui permet d'être résistante
à ce virus pendant une durée qui peut varier selon les caractéristiques du virus et du
vaccin. Historiquement, les vaccins ont pu combattre avec beaucoup d'efficacité des
virus peu évolutifs, tels la variole. A l'inverse, le développement de vaccins contre des
virus trop complexes et instables comme le VIH rencontre pour le moment de
nombreuses difficultés. La mise en oeuvre d'une vaccination anti-grippale se heurte aux
propriétés spécifiques du virus de la grippe qui est sa forte capacité à évoluer, parfois de
manière brutale (recombinaisons génétiques), par exemple lors de l'émergence en avril
du nouveau virus H1N1 en Californie, ou de manière limitée (mutation). Cette
évolutivité du virus empêche de poser un diagnostic définitif sur sa sévérité, une petite
mutation pouvant entraîner une hausse importante de la virulence, de la vitesse et des
modes de transmission du virus, ou induire une résistance plus forte aux médicaments
antiviraux. Une mutation peut aussi limiter l'efficacité d'un vaccin élaboré contre une
forme précise du virus, car un vaccin n’est capable de conférer qu'une protection contre
une forme précise du virus ou des formes proches. Ainsi, d’éventuelles et imprévisibles
mutations du virus peuvent conduire à réviser le contenu de la stratégie vaccinale.
45
L'utilisation d'adjuvants dans le vaccin, outre ses avantages en termes d'accélération du
débit de la production des vaccins, permet d'élargir la couverture vaccinale des
individus contre un plus grand spectre d'évolutions du virus.
L’objectif sanitaire d’une campagne de vaccination peut être double :
•
maîtriser la dynamique épidémique par la vaccination d'une grande partie
de la population. Le but est d’obtenir par la vaccination un taux
d’immunisation de la population suffisant
103
. Ceci représente l’intérêt
collectif de la vaccination. On parle d'effet barrière de la vaccination ;
•
réduire le risque de formes graves et de décès par la vaccination des
personnes vulnérables et exposées. Ceci représente l’intérêt individuel de
la vaccination.
Il faut relever que la première stratégie, à caractère collectif, concourt à la
réalisation de la seconde : une couverture vaccinale large contribue à la protection des
personnes les plus vulnérables. Selon l’objectif retenu, les modalités d’organisation de
la vaccination qui en découlent sont différentes comme l’illustre schématiquement le
tableau suivant :
Tableau n° 5 : Les deux objectifs sanitaires de la vaccination
Objectif
Type de
protection de la
population
Personnes
concernées
Valeur
éthique
dominante
Caractère
Efficacité
Diminuer le
taux
d’attaque et
limiter la
diffusion de la
pandémie
Protection
collective
Toute la
population
Solidarité pour
la population
générale, acte
civique
Davantage
obligatoire
N’est efficace que si
la mise en oeuvre
intervient avant ou
dans les 30 jours
suivant le début de
la pandémie
Réduire les
formes graves
et les décès
Protection
individuelle et
de l’entourage
Personnes
vulnérables
et leur
entourage,
personnes
exposées
Autonomie et
solidarité pour
l’entourage
Davantage
facultative
Tout au long de la
pandémie
Source : Cour des comptes
Il peut être ajouté à ces objectifs sanitaires un objectif de nature socio-
économique : limiter l'impact de la pandémie sur l'activité économique et sociale du
pays. L'absentéisme lié à la grippe contribue à affaiblir le pays de ses forces vives et à
réduire sa production et sa croissance. Les premières analyses du ministère de la santé
estimaient, dans le cas où le taux d'attaque de la grippe atteindrait 30 % de la population
incluant des formes symptomatiques, avec un taux
d'hospitalisation de 3,5 % (données
inspirées des Etats-Unis pour le mois de juin), que le coût pour l'assurance maladie
serait de 4 à 5 Md€, essentiellement sous formes de consommation de lits et de soins à
l'hôpital (3 Md€) et d'indemnités journalières pour arrêt de travail. La perte de PIB
103
Ce taux dépend des caractéristiques du virus et du vaccin et est débattu, les estimations allant
de 30 à 70 %.
46
associée aux jours non travaillés était estimée, de manière très peu robuste, à 6 à
7 Md€
104
.
c.
L’absence très probable d’un intérêt collectif de la vaccination était avérée
dès le mois de juin.
Le développement d'un vaccin est habituellement un processus long durant
plusieurs mois. Une souche virale pertinente doit en premier lieu être identifiée par
l'OMS et diffusée aux industriels, suivie par un processus de culture, puis le lancement
de tests cliniques. Parallèlement se déroulent les processus de fabrication en série et de
conditionnement. Le vaccin doit enfin obtenir une autorisation de mise sur le marché
(AMM) accordée par les autorités européennes (EMEA) ou françaises (AFSSaPS) du
médicament, en fonction des résultats des tests cliniques, afin d'évaluer si les bénéfices
individuels et collectifs attendus de l'utilisation du vaccin sont supérieurs ou non aux
risques.
Dans le cas du virus A (H1N1)v, la remise rapide de souches virales aux
industriels par l’OMS dès le 27 mai et l’approche de la trêve estivale dans l’hémisphère
Nord ont permis d’envisager l’hypothèse que le vaccin puisse être livré et que la
vaccination ait commencé avant la survenue de la première vague épidémique. Qualifiée
d’heureuse surprise, cette hypothèse aurait permis d’envisager l’enrayement ou une
substantielle limitation de la vague épidémique attendue en France.
Ce n’est que le 11 juin qu’un avis du Haut Conseil de la santé publique sur la
pertinence de la vaccination pandémique a été sollicité par le directeur général de la
santé. Les travaux du Haut Conseil ont été préparés par le Comité technique des
vaccinations (CTV), qui s’est lui-même appuyé sur le comité de lutte contre la grippe
qui a fonctionné comme groupe de travail du CTV (cf
supra
). Dans l’avis du 22 juin du
comité de lutte contre la grippe, préparatoire à l’avis du Haut Conseil, le recours à la
vaccination apparaît justifié en toute circonstance pandémique : «
Le vaccin est le
meilleur moyen de prévention contre la grippe, en termes d’efficacité et de coût. Il
apparaît essentiel de disposer d’un vaccin pandémique le plus rapidement possible et
en quantité aussi importante que possible, la couverture de l’ensemble de la population
étant souhaitable dès la déclaration d’une pandémie
». Cet avis particulièrement
engagé rappelle par son contenu celui du 10 mai précité et met en avant l’efficacité
d’une vaccination précoce de la population, préalablement à la circulation active du
virus, afin d’enrayer sa diffusion. Il s’appuie sur un modèle issu de la recherche
(INSERM) et élaboré fin 2008 pour le H5N1, non publié
105
. Il serait possible d’obtenir
un effet-barrière très satisfaisant, la proportion de personnes touchées diminuant de
43 % à 12 % dans le meilleur des scénarii de vaccination
106
.
Les hypothèses sous-jacentes à ces modèles supposaient toutefois la vaccination
des deux tiers de la population dans des délais allant de 15 jours à 45 jours, ce qui est
peu réaliste en pratique, sauf en cas d’une gravité extrême du virus suscitant une très
forte adhésion de la population et dans le cadre d’une campagne obligatoire. Une grande
104
Note du directeur général de la santé à la ministre de la santé et des sports du 26 mai 2009.
105
I. Bonmarin, D. Lévy-Bruhl (InVS/DMI) et Fabrice Carrat (Inserm/U707) « Modélisation de
l’impact de la pré-vaccination pandémique sur la pandémie grippale », décembre 2008.
106
Dans ce cas, l'utilisation de 5 vaccins permettrait d'éviter au mieux un cas.
47
campagne de vaccination aurait alors été organisée, sur le modèle du plan variole avec
des centres de vaccination dédiés, simples et de proximité, en mesure de vacciner très
rapidement la population.
Il est remarquable que ces études n’aient pas pris en compte en amont l'adhésion
de la population à une campagne de vaccination, alors que le caractère préventif des
scénarii envisagés - le virus ne circulant pas encore sur le territoire - rendait cette
adhésion plus complexe à obtenir. L’explication réside dans le fait que ces études
avaient été réalisées pour le virus H5N1 beaucoup plus virulent et donc davantage
susceptible de créer de l'adhésion. Les comités d'experts les ont repris tels quels pour le
H1N1, sans que soit envisagée leur adaptation à un virus dont la moindre gravité était
déjà connue.
En somme, à supposer qu'une partie significative de la population l'accepte et
qu'une campagne de masse puisse être organisée, la vaccination se révèle très efficace
sur le plan collectif avant la survenance de l'épidémie. Ainsi, tant que l'épidémie n'était
pas arrivée sur le territoire, les autorités ont jugé que la rapidité de la mise à disposition
des vaccins était un élément fondamental de la stratégie vaccinale, afin de tenter de
pouvoir obtenir une protection collective de la population
107
.
Pourtant, au même moment, au cours du mois de juin, des indices laissaient
entendre que la vaccination ne pourrait certainement pas atteindre un objectif de
protection générale de la population. Telle était d’ailleurs l’analyse faite a priori par le
plan "pandémie grippale" pour lequel la première vague épidémique doit être combattue
avec des moyens non vaccinaux. Le directeur général de la santé affirmait, après la
crise, que «
L'éventualité, en cas de pandémie, de pouvoir proposer une vaccination
avant la première vague était jugée hautement improbable
»
108
. Devant le constat de la
rapidité de la diffusion du virus à l’échelle mondiale, en particulier au Royaume-Uni,
l’InVS évoquait au début du mois de juin la possibilité d’une survenance de la vague
épidémique dès l’été, avant la mise en place d’une stratégie vaccinale. Le 17 juin, le
directeur général de la santé écrivait à la ministre de la santé : «
Il est fort probable que
les vaccins attendus ne seront disponibles qu’en période de vague pandémique
». Ce ne
sont donc pas les seuls retards constatés ultérieurement dans la livraison des vaccins qui
ont expliqué l’impossibilité de démarrer la campagne de vaccination avant l’arrivée de
la vague épidémique, car les autorités savaient d’emblée que l’hypothèse inverse était
très peu probable.
Les travaux du comité de lutte contre la grippe ont permis une mise à jour du
modèle de l’INSERM pour étudier les effets d’une vaccination pratiquée en phase
épidémique. La note du 17 juin précitée présente les résultats de cette modélisation et
évoque, en cas de vaccination prioritaire des enfants, une baisse limitée du taux
d’attaque du virus dans la population de 44 % à 31 %, ce taux ne pouvant que
faiblement diminuer en ajoutant la vaccination consécutive des adultes. Le Haut Conseil
de la santé publique estime, dans son avis du 26 juin 2009, que «
la mise en place d’une
vaccination au-delà de 30 jours suivant le début de la circulation active du virus en
107
Le comité de lutte contre la grippe écrit, dans son avis du 22 juin, qu' «
un élément important
conditionnant l'impact des mesures de lutte contre la pandémie
[antiviraux, masques et vaccins]
est la
rapidité de mise en place de chacune des stratégies
».
108
Audition du directeur général de la santé par la commission d'enquête de l'Assemblée
Nationale le 6 avril 2010.
48
France aurait un impact très limité sur l’évolution de la vague pandémique en cours en
France, quelle que soit la population ciblée
109
».
Par ailleurs, une éventuelle vaccination précoce pose inévitablement la question
d’une éventuelle utilisation de vaccins déjà livrés, mais n’ayant pas reçu les
autorisations de mise sur le marché (AMM), délivrées selon les cas par l’EMEA
(Europe) ou par l’AFSSaPS (France). Ces autorisations supposent la réalisation de tests
cliniques durant au mieux deux ou trois mois. L’article L. 3131-1 du code de la santé
publique donne le pouvoir à l’Etat de mettre à la disposition de populations un vaccin
n’ayant pas reçu d’AMM, dans la mesure où le caractère de menace grave est établi et
où les mesures prises sont proportionnées aux risques encourus. Le recours à cette
disposition était peu envisageable pour la pandémie de la grippe A (H1N1)v car la
gravité de celle-ci est restée modérée. En outre, l’opinion aurait difficilement accepté le
principe d’une vaccination de masse sans AMM pour une pandémie modérée, que des
essais cliniques aient été ou non réalisés, même s'il était démontré que cette vaccination
aurait pu éviter un nombre significatif de décès.
Dès lors, la nécessité d’attendre les autorisations de mise sur le marché,
conjuguée avec une arrivée de l’épidémie avant le début de la vaccination conduisait le
directeur général de la santé à envisager, toujours dans sa note du 17 juin, que, dans
cette hypothèse, «
la vaccination ne ciblera, éventuellement, qu’une deuxième vague et
une résurgence épidémique lors de l’hiver 2010-2011
».
Le comité de lutte contre la grippe confirme cette position dans son avis du
22 juin 2009 : «
La mise à disposition de vaccins pandémiques interviendra
vraisemblablement alors que la pandémie grippale sera largement installée. Dès lors,
cette mesure apparaîtra davantage comme une mesure de protection individuelle plutôt
que comme une mesure de santé publique destinée à enrayer la pandémie
».
Sans
relever de paradoxe, le même avis recommandait l'achat du plus grand nombre de
vaccins le plus rapidement possible (cf.
supra
), ce qui a orienté les décisions du
gouvernement. Même à l’automne, lorsque l’épidémie est arrivée en France sans que la
campagne de vaccination ait commencé, la communication s’est axée sur le double
caractère de protection individuelle et d’acte altruiste de la vaccination.
En définitive, il apparaît qu’au milieu du mois de juin 2009, le scénario le
plus probable était que la vaccination ne puisse avoir d'effet protecteur général de
la population et ne puisse parvenir à limiter la diffusion du virus, point de vue
cohérent avec l'annonce d'un virus nouveau circulant dans le monde avec une
extrême rapidité. La vaccination, tout en demeurant pertinente, ne présentait plus
sur le plan sanitaire qu’un intérêt individuel.
109
Quelques jours avant, le comité de lutte contre la grippe écrivait, le 22 juin 2009, qu'une telle
vaccination n'aurait aucun impact sur l'évolution de la pandémie.
49
De nombreux aspects de la stratégie vaccinale et de la communication
autour de celle-ci ont pourtant été imprégnés, non sans ambigüité, de l'idée qu'une
protection collective faisant barrière au virus pouvait être obtenue
110
, notamment
la volonté de vacciner la plus grande part possible de la population, alors qu'il ne
s'agissait que d'une protection individuelle
111
, ou celle d’un proche vulnérable
112
.
Sans doute, pouvait-on faire également valoir l’objectif civique d’éviter d'être
malades et de surcharger le système de santé, mais cet argument était peu
susceptible d’avoir un fort impact sur les comportements individuels
113
.
d.
L’objectif économique et social de la vaccination.
Il était légitime de relever que la vaccination d'une fraction importante de la
population pourrait limiter le risque d'un affaiblissement des forces vives du pays, en
particulier dans un contexte de crise économique. La crainte d'une désorganisation du
pays a contribué à mobiliser le gouvernement. Cependant, en appui des propositions
d'arbitrage soumis au Premier ministre, un calcul avait été réalisé visant à comparer le
coût de la vaccination d'une fraction importante de la population - sans se soucier de son
adhésion - à la dépense publique résultant de la prise en charge des cas et des
indemnités journalières de congés maladie en cas de non vaccination. Cette
comparaison, qui plaidait nettement en faveur de la vaccination, n'était pas réaliste. En
effet, les déterminants individuels de la vaccination, dont l'importance est primordiale
s'agissant d'une campagne facultative, sont de nature sanitaire et n'intègrent pas cet
objectif socio-économique, quand bien même il serait fait appel au sens de l'intérêt
général de chacun. Inavouable, l'objectif économique a été parfois l'objet de rumeurs
publiques au cours de la campagne de vaccination, avec une connotation péjorative. En
tout état de cause, du fait de sa perception dans l’opinion, cet argument se serait révélé
inopérant pour assurer, à côtés des arguments de nature médicale, la réussite d’une
campagne de vaccination facultative.
110
Le directeur général de la santé affirmait devant la commission d’enquête de l'Assemblée
nationale : «
S’agissant de l’acquisition des vaccins, deux stratégies se présentaient à nous : une stratégie
« santé publique
»
consistant à vacciner de façon suffisamment large pour bloquer l’épidémie avant
qu’elle ne survienne, ce qui était assez peu probable compte tenu de ce que l’on pouvait craindre de la
cinétique de celle-ci ; une stratégie de protection individuelle consistant à encourager les personnes à se
faire vacciner. Chacune des options conduisait à dimensionner un stock de vaccins, qu’il fallait acquérir
suffisamment tôt. La décision politique la plus importante a été celle du 3 juillet, lorsque le Premier
ministre a validé l’acquisition de 94 millions de doses
». En fait, si l'on suit ce raisonnement, l'option
retenue par le gouvernement relève davantage de la première option que de la seconde.
111
Chaque personne vaccinée, même en cours d'épidémie, contribue à ralentir la propagation du
virus, mais dans de très faibles proportions (cf.
supra
). L'intérêt collectif, sans être rigoureusement nul,
n'a une importance que résiduelle.
112
Le cabinet de la ministre de la santé précise que la note interne relative à la communication
sur la campagne de vaccination «
rappellera le caractère altruiste comme axe crucial de la campagne de
vaccination
». Source : Compte rendu de la réunion hebdomadaire du 26 août 2009.
113
Le professeur Antoine Flahault, directeur de l'École des hautes études en santé publique,
affirmait lors d'un colloque organisée à l'Assemblée Nationale le 1
er
décembre :
« Je ne m’associe pas à
l’idée que la vaccination soit un geste civique et collectif. Aucun élément de preuve ne permet de
l’affirmer. [...] Cependant, le rapport bénéfices/risques de la vaccination est très en faveur du vaccin ».
50
3.
Le choix d'acheter des vaccins et le dimensionnement de la commande
Acquérir les vaccins et les utiliser sont deux décisions différentes. La première
décision doit être prise au plus vite. Elle est marquée par le principe de précaution face à
une menace inconnue et évolutive : il s'agit de garder la possibilité de mettre en oeuvre
une stratégie vaccinale au cas où le pire scénario viendrait à se confirmer. Lorsque
l'action précède l'évaluation de la menace, le raisonnement rationnel conduit à envisager
de tels scénarii et des actions maximalistes. La ministre de la santé écrivait au Premier
ministre le 3 juillet :
« S'il pourrait être reproché, à l'automne, au gouvernement d'avoir
dépensé des montants très importants pour des vaccins rendus inutiles par
l'affaiblissement de la menace sanitaire, ce risque ne semble pas comparable à la
responsabilité qui serait celle de l'autorité publique si elle ne prenait pas, aujourd'hui,
toutes les mesures nécessaires à la protection de notre population dans la perspective
d'une épidémie qui pourrait s'avérer plus mortifère que prévu ».
a.
Le choix de pouvoir offrir la vaccination à toute la population a davantage
reposé sur des considérations de précaution et d’ordre éthique que sur une
analyse sanitaire.
La précaution et des considérations éthiques ont conduit au choix, de nature
politique, de proposer la vaccination gratuitement à l'ensemble de la population, et donc
de se donner les moyens de commander un nombre de doses calculé en conséquence.
Cette décision n'a pas soulevé de débat. Elle avait été recommandée par le Comité
consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dans un
avis du 5 février 2009
114
. Même en l’absence d’un intérêt collectif à la vaccination, due
à une survenance trop précoce de la vague épidémique, la nécessité de pouvoir offrir
une protection individuelle aux volontaires, quelle que soit leur vulnérabilité, ainsi que
les incertitudes sur une augmentation de la virulence du virus, par analogie avec 1918,
ont expliqué le choix du gouvernement. Le directeur général de la santé affirmait après
la crise :
« Nous devions être en mesure de proposer la vaccination à l’ensemble de la
population, notamment si la survenue de formes graves en grand nombre avait incité les
Français à se faire vacciner »
115
.
114
Le Haut Conseil de la santé publique s'est gardé, au mois de juin, de recommander le volume
des achats de vaccins, et n'a pas repris à son compte l'avis du comité d'éthique. Ce n'est que dans son avis
du 7 septembre qu'il prend explicitement cette position :
« In fine, toutes les personnes qui désirent être
vaccinées devraient pouvoir l'être ».
Son président affirmait lors de son audition devant l'Assemblée
Nationale le 11 mai 2010 que
« Le Haut conseil n'a pas participé à la décision de procéder à une
vaccination de masse et d'acheter des vaccins à cet effet. Il ne lui appartient pas de prendre des décisions
de cet ordre. [Il est] intervenu en "seconde main". Une fois les vaccins commandés, le gouvernement l'a
consulté sur la manière de distribuer ceux-ci ».
Cette prudence, peut-être excessive, des experts sanitaires
renforce le sentiment que la décision de protéger la plus grande partie de la population était davantage
motivée par des considérations éthiques que sanitaires. Le docteur Jean-Marie Cohen, coordinateur
national des groupes régionaux d'observation de la grippe s'interrogeait lors de son audition du 26 mai
2010 :
« Etait-il absurde de nourrir le dessein de vacciner tout le monde ? Sur un plan médical, ce n'était
pas cohérent mais sur un plan politique, c'était la seule solution possible. Les autorités ne pouvaient pas
dire que le vaccin serait réservé à certaines catégories de population ».
115
Audition du directeur général de la santé devant la commission d'enquête de l'Assemblée
Nationale le 6 avril 2010.
51
En outre, la difficulté d’identifier les populations les plus vulnérables était réelle,
car les cas graves concernaient des sujets jeunes et parfois sans facteur de risque. A la
différence de la vaccination contre la grippe saisonnière pour laquelle la population
vulnérable est bien identifiée, celle de la grippe H1N1 concernait potentiellement toute
la population, à l'exception des plus âgés. A posteriori, pour la direction générale de la
santé, «
il apparaissait que, globalement, aucun groupe de population n’étant à l’abri
de l’infection grippale et de ses complications, l’ensemble de la population devrait
pouvoir disposer des moyens de prévention, de traitement et de prévention
». Face à
tout virus nouveau, contre lequel la population entière ne dispose pas d’immunité,
même si sa gravité n’est à ce stade que modérée, il conviendrait en conséquence
d’acquérir des stocks permettant de couvrir toute la population. Il s’agit en fait d’un
choix politique, faisant référence à des convictions éthiques, aboutissant à une
massification d’une logique de protection individuelle, quel que soit son coût. A
l’inverse, une approche de santé publique stricte s’efforcerait d’évaluer le seuil
d’atteinte d’une protection collective de la population, le nombre de décès et de cas
graves évités et à mettre en regard ces bénéfices et le coût d’acquisition des vaccins, en
comparaison avec d’autres politiques de prévention en santé publique, même si de telles
comparaisons sont par nature difficiles à effectuer sur le plan méthodologique.
b.
Le besoin de vaccins a été évalué à 90 millions de doses.
La vive concurrence entre pays pour mobiliser les capacités de production
limitées des laboratoires et obtenir les doses au plus vite, la vigueur des alertes de
l'OMS, la faiblesse des moyens alternatifs de combattre la maladie (antiviraux) a
conduit à une surenchère à laquelle se sont livrés les différents pays. Le très faible
nombre de pays qui a refusé d'entrer dans cette concurrence, tels la Pologne, l'a
essentiellement fait pour des raisons financières.
La nécessité de vacciner deux fois une personne à trois semaines d’intervalle
pour l’immuniser contre le virus, élément tout à fait déterminant dans l’appréciation des
quantités nécessaires, n’a guère été mise en débat : au vu de l’expérience du virus
H5N1, il a été considéré comme à la fois plus probable et plus prudent du point de vue
sanitaire, le fait que pour conférer une immunité envers un virus supposé entièrement
nouveau, deux doses seraient nécessaires. Selon la procédure dite
mock up
, plusieurs
des éléments des dossiers d’autorisation de mise sur le marché des vaccins H1N1 devait
être déduits de ceux des vaccins H5N1, notamment la stratégie vaccinale qui pour ces
derniers vaccins prévoyait deux doses
116
. Pour autant, elle pouvait être révisée par la
suite au vu de tests cliniques propres au virus H1N1. Pour couvrir la population
française, 130 millions de doses étaient a priori nécessaires. Le fait que les personnes de
plus de 65 ans aient fréquemment rencontré des virus apparentés à la grippe espagnole
de 1918, et que la grippe A (H1N1)v de 2009 appartenait à la même famille de virus, a
permis de considérer qu'une seule dose suffirait pour immuniser cette catégorie de
population. Le nombre de doses nécessaire pouvait donc être réduit de 130 millions à
119 millions.
116
Extrait d’un communiqué de l’EMEA sur la filière Mock-up : “
All mock-up vaccines have
been prepared with an H5N1 strain of flu virus that needs to be changed now to the H1N1 strain that is
causing the current pandemic.”(Tous les vaccins de type mock-up ont été développés à partir d'une
souche virale H5N1 qui doit maintenant être remplacée par la souche H1N1à l'origine de cette
pandémie).
Cette procédure ne peut être mise en oeuvre qu’en cas de déclaration de pandémie par l’OMS
(phase 6 de son plan).
52
Les autorités ont aussi pris en compte le fait qu'une fraction de la population
serait rétive à la vaccination, indépendamment du degré de gravité du virus. Pour
évaluer ce taux de non-adhésion absolue, une analogie a été faite avec la campagne
locale de vaccination menée dans 7 cantons de la Seine-Maritime et de la Somme contre
le méningocoque. Devant une menace grave, proche des personnes, 15 % des parents
ont refusé de faire vacciner leur enfant. De même, 10 % des parents refusent la
vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) qui leur est
systématiquement proposée. Le taux de non adhésion retenu a été 25 %. Il ne s'agissait
pas de prendre en compte l'adhésion de la population dans le cas particulier de la grippe
A (H1N1)v compte tenu de sa gravité modérée, mais de prendre en compte, dans la pire
des éventualités, la fraction de la population refusant le principe des vaccinations dans
le cadre des politiques sanitaires. Cette prise en compte conduisait au chiffre de
90 millions de doses, retenu par l'arbitrage du Premier ministre le 3 juillet.
4.
Le caractère facultatif de la vaccination
Cette question avait fait l’objet d’une réflexion théorique au sein du Comité
consultatif national d’éthique, dans l’avis précité, sur laquelle le gouvernement s’est
appuyé.
Le principe de l’autonomie d’une personne vis-à-vis de sa propre santé a fait des
progrès considérables, notamment au travers de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du système de santé
117
. La faculté de pouvoir refuser une
vaccination participe naturellement de cette autonomie. Parallèlement, un recul des
obligations vaccinales a pu être observé ces dernières années
118
. Cependant, les
préoccupations de santé publique, en particulier en cas de pandémie, peuvent conduire à
remettre en cause cette autonomie pour des exigences de solidarité. Ainsi, le CCNE
écrit que «
dans une pandémie grippale, une autonomie mal comprise qui se traduirait
par un refus de soin, dont l’effet serait de favoriser la propagation de la maladie, serait
difficilement acceptable par l’ensemble du corps social. Elle devrait s’effacer au nom
de l’exigence de solidarité
».
La vaccination contre la grippe A (H1N1)v n'a été rendue obligatoire dans aucun
cas. Cette décision a été prise lors de la réunion de la cellule interministérielle de crise
du 15 juillet, sur proposition du ministère de la santé. De manière générale, les comités
d'experts n'y étaient pas favorables, en particulier le comité de lutte contre la grippe.
S'agissant de la population générale, ce choix semblait cohérent avec l'abandon
implicite de l'objectif de limiter la diffusion épidémique par la vaccination. Les
arguments invoqués par le ministère de la santé à l'appui de cette décision, qui n’ont pas
été rendus publics, ne sont pas de nature à emporter la conviction. Ils auraient même pu
faire transparaître des doutes sur la pertinence de la stratégie vaccinale.
•
Il s'agit en premier lieu d'éviter qu'en cas de vaccination de masse
obligatoire, la responsabilité d'effets secondaires graves soit reportée sur
l'Etat. Or, il en va de même pour la vaccination facultative, l’Etat ayant
choisi de placer les personnels vaccinateurs sous réquisition ; le
117
Loi n° 2002- 303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de
santé.
118
Désormais, le seul vaccin obligatoire est le DTPolio tétravalent.
53
gouvernement ne souhaitait manifestement pas vacciner le moins de
personnes possible afin d'éviter cette forme de responsabilité ;
•
le deuxième argument est que la vaccination de 50 % de la population
suffit à enrayer une pandémie ;
•
le troisième est de respecter la volonté de ceux qui sont hostiles au
principe de la vaccination.
Il est possible que le choix de rendre la campagne de vaccination facultative ait
en fait résulté d’une application du principe de précaution relative aux vaccins
pandémiques. En effet, le Haut conseil de la santé publique proposait une telle position
dans son avis du 26 juin 2009 :
« Du fait de l’impossibilité à évaluer la balance
bénéfice/risque de la vaccination (incertitude sur la gravité de la maladie, aucune
donnée d’efficacité et de tolérance)
[le Haut Conseil]
estime inopportun, dans l’état
actuel des connaissances, que les vaccins pandémiques fassent l’objet d’une obligation
vaccinale, tant en population générale que pour les personnes fragilisées ou les
personnels de santé ».
Cet avis fournit une explication au fait que la vaccination des professionnels de
santé, figurant parmi les personnes les plus exposées à l'épidémie et rendus prioritaires à
ce titre, n'ait pas été rendue obligatoire. Cependant, leur exposition générale aux risques
épidémiques les soumet à plusieurs obligations vaccinales. En particulier, ceux
travaillant dans la plupart des établissements du secteur sanitaire ou médico-social
doivent être vaccinés contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la
grippe
119
. Il aurait donc été techniquement possible et socialement acceptable de créer
une obligation de vaccination contre la grippe A (H1N1)v. Le choix de ne pas le faire,
même s'il était justifié par des arguments de fond ou relatifs à la liberté individuelle des
professionnels de santé, a véhiculé un message peu motivant pour la population
générale, laissant imaginer dès ce stade que l'épidémie n'était donc pas si grave.
Le choix d’une vaccination facultative contre un virus de gravité modérée
n’a pas été pleinement cohérent avec l'achat d'un nombre très important de doses
de vaccin en préparation d'une campagne de vaccination de masse.
5.
La question de la priorisation
La question éthique la plus délicate a été le choix de fixer un ordre de priorité
entre différentes catégories de population. En effet, le comité d'éthique avait anticipé le
fait que la disponibilité d’un vaccin pandémique serait postérieure au début de
l’épidémie et en des quantités limitées, rendant inévitable la fixation de priorités. Cette
décision, bien anticipée par le ministère de la santé, n'a pas eu d'écho particulier dans
l'opinion. Cependant, en cas d'aggravation de la maladie, elle aurait pu se révéler
périlleuse. Les publics prioritaires peuvent relever de trois catégories :
•
les personnes particulièrement vulnérables (PPV), c'est-à-dire les plus
susceptibles de complications ;
•
les personnes particulièrement exposées aux malades (PPE) ;
119
Cette dernière obligation a été suspendue par le décret n° 2006-1260 du 14 octobre 2006.
54
•
les personnes à rôle critique en pandémie (PARCEP) qui jouent un rôle
indispensable à la continuité des activités essentielles du pays comme la
sécurité, les transports, la production d’énergie. Il s'agit d'un critère
socio-économique et non sanitaire.
La fixation des critères de priorisation s’avère délicate. Il peut s’agir :
•
de réduire le nombre total de décès ;
•
de préserver l’espérance de vie la plus longue pour la population,
conduisant à renforcer la priorité des plus jeunes ;
•
d’assurer la plus grande efficacité du vaccin en visant des populations
ayant la plus grande capacité d'infecter les autres. Par exemple, les
enfants constituent un des vecteurs de propagation les plus efficaces d'un
virus dans une société, leur vaccination est donc particulièrement
efficace, indépendamment de leur vulnérabilité intrinsèque au virus ;
•
de protéger le fonctionnement de la société.
La
définition
détaillée
et
hiérarchisée
des
catégories
de
personnes
particulièrement exposées et vulnérables, compte tenu du profil du virus, a fait l’objet
d’une proposition par le Haut Conseil de la santé publique dans un avis rendu à
l’unanimité le 7 septembre, après un examen de comparaisons internationales. Le virus
touchant particulièrement les femmes enceintes, elles étaient en haut de la liste des
priorités
120
. La proposition du HCSP a été reprise par la cellule interministérielle de
crise à une modification près
121
et a fait l’objet d’une validation par le Premier ministre.
Le HCSP ne s’est pas estimé compétent pour déterminer les personnes à rôle
critique en pandémie (PARCEP). Un travail interministériel lourd a été mis en place au
cours de l'été et en septembre pour que chaque ministère identifie ses PARCEP et
qu'une harmonisation des critères se fasse. Cette opération a soulevé de nombreuses
questions pratiques complexes : comment prendre en compte les PARCEP des
collectivités territoriales et du secteur privé (opérateurs téléphoniques, production et
distribution d'électricité, d'eau potable), comment hiérarchiser les différentes activités
essentielles entre elles et les insérer parmi les autres populations prioritaires sur des
critères sanitaires ? La définition des PARCEP a été abandonnée pour des raisons de
simplicité et du fait que le virus semblait induire une faible désorganisation de la vie
économique, ainsi que le prouvaient des observations effectuées en juillet et en août
dans l’hémisphère Sud. Surtout, cette notion aurait pu soulever de vives interrogations
dans une société très attachée à l'égalité devant la santé. Elle devrait ne plus figurer dans
les plans de pandémie que pour des cas de gravité extrême, pour des catégories de
personnes très limitées et afin d'assurer une continuité minimale de l'Etat.
120
Le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
déposé le 24 juin 2010 sur la "Mutation des virus et la gestion des pandémies" critique le fait que les
éleveurs de porcs n'aient pas été retenus parmi les personnes prioritaires, afin de limiter les risques de
réassortiment du virus au contact des animaux. Cependant, le HCSP a écarté cette solution dans son avis
du 7 septembre, car le virus, en dépit de son appellation initiale, ne circule pas dans la population porcine.
121
La vaccination de l'entourage des nourrissons de moins de 6 mois est passée avant celle des
nourrissons de 6 à 23 mois.
55
Une seule catégorie de population a été rendue prioritaire sur des critères non
sanitaires, ainsi que l'avait suggéré le Comité d'éthique dans son avis du 15 février
2009 : «
du fait de la promiscuité et des mauvaises conditions sanitaires dans lesquelles
elles vivent, certaines populations, en particulier les détenus, risquent de subir des taux
d’attaque et de complications de la grippe très élevés. Ces populations doivent faire
l’objet de mesures spécifiques dans les plans de lutte, sous peine de risque de graves
atteintes à l’ordre public
».
Ainsi, l'ordre de priorité retenu par l'arbitrage du Premier ministre le
24 septembre est le suivant :
Tableau n° 6 : Ordre de priorité
Source : Cour des comptes à partir de documents DGS
6.
Les modalités de financement du vaccin par les assurés
Les vaccins ont été acquis par l'EPRUS pour le compte de l'Etat et de
l'Assurance maladie, chacun contribuant à parité. En effet la loi attribue à
l'établissement la mission, "
à la demande du ministre chargé de la santé, d’acquérir, de
fabriquer, d’importer, de distribuer et d’exporter des produits et services nécessaires à
la protection de la population face aux menaces sanitaires graves
" ; il "
peut également
financer des actions de prévention des risques sanitaires majeurs
"
122
. L'acquisition de
vaccins est entrée dans ce cadre pour lequel la loi prévoit un financement à parité entre
l'Etat et l'Assurance maladie.
La participation directe des assurés au financement des vaccins a été exclue
immédiatement, s'agissant d'une politique de prévention. En effet, une telle option
induirait un biais social et donnerait le sentiment que la menace n'est pas assez grave
pour qu'une solidarité nationale complète puisse prévaloir. Par ailleurs, le financement
de droit commun pour les soins apportés aux premiers cas de grippe A (H1N1)v,
incluant le forfait hospitalier à la charge du patient, avait été mal accepté. En revanche,
122
Loi n° 2007-294 du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces
sanitaires de grande ampleur.
56
la participation des organismes complémentaires, qui avait été nulle pour les antiviraux
et les masques acquis par l'Etat, pouvait être justifiée par analogie avec la grippe
saisonnière et par l'argument que les complémentaires doivent de manière générale
contribuer au financement des politiques de prévention de santé. En outre, les
organismes complémentaires étaient volontaires pour contribuer à l'acquisition des
vaccins.
Deux options s'offraient pour réaliser la gratuité du point de vue de l'assuré :
•
délivrer le vaccin aux assurés en tiers payant intégral comme pour le
vaccin grippal saisonnier. Cette formule suppose d'utiliser le système
carte vitale ou feuille de soins traditionnel pour chaque acte de
vaccination et complique considérablement la logistique de la campagne.
Elle présente a contrario l'avantage de rendre aisée l'introduction d'une
contribution des organismes complémentaires.
•
mettre gratuitement le vaccin à la disposition des unités de vaccination
sans délivrance individuelle du vaccin par l'assurance maladie. Simple
sur le plan pratique, cette solution rend plus complexe la mise en oeuvre
d'une contribution des organismes complémentaires.
La deuxième option a été retenue par le Premier ministre le 3 juillet. La
contribution des organismes complémentaires serait introduite sous la forme d'une taxe
temporaire introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010
(cf.
infra
).
7.
Le choix d’une vaccination collective en centres de vaccinations ad hoc
L’objectif de la vaccination est demeuré celui de protéger individuellement un
maximum de Français volontaires par une campagne de masse, invitant les personnes à
se présenter dans les centres avec un ordre de priorité en fonction du calendrier de
livraison des vaccins. Il s'agissait aussi pour les autorités de réduire l'impact
économique et social de l'épidémie.
L'organisation de la vaccination a été très variable selon les pays, certains
comme la France ont fait le choix de centres de vaccination ad hoc (Italie, Suède, Etats-
Unis, Canada), d'autres se sont appuyés sur les centres de soins locaux ou la médecine