La SEML Te Ora No Ananahi a été créée en 2008 sous l’impulsion de la commune de Papeete pour répondre à l’objectif général de traiter une partie des eaux usées de la ville par un équipement collectif public. Par l’intermédiaire d’un contrat de concession de service public signé le 13 juin 2008, la commune a confié à la SEML pour une durée de 30 ans, la mise en place et la gestion du service de l’assainissement collectif des eaux usées sur toute ou partie du territoire de la commune, le périmètre variant selon les missions.
Gouvernance et rôle de la SEML
Le capital de la SEML est réparti entre la Ville de Papeete qui en détient la part maximale autorisée (85%), et deux entreprises locales, la Polynésienne des eaux (6,98%), et la société polynésienne de l’eau, de l’électricité et des déchets – SPEED (7,98%). Le reste appartient à des actionnaires individuels dont le président et le directeur général de la SPEED, et le directeur général adjoint de la Polynésienne des eaux.
Cet actionnariat n’est pas sans soulever des interrogations.
Les sociétés actionnaires sont aussi parfois prestataires de la SEML. L’une d’entre elle a ainsi été retenue sans mise en concurrence (prestation 2008-2016 de gestion de la zone 0 – station et réseau du quartier du marché municipal). Plus généralement, la Chambre s’interroge sur la motivation de ces entreprises car, faute de résultat financier positif enregistré par la SEML, elles n’ont jamais reçu de dividendes.
La SEML parait davantage assimilable à un service déconcentré de la Ville de Papeete qu’à une société engagée dans le jeu normal du marché :
Au regard de la délégation de service public reçue par la Ville sans mise en concurrence en 2008, de l’étendue des missions qu’elle a sous-traitées à des entreprises (241 MF CFP de prestations entre 2014 et 2019), de la délégation donnée au Pays pour assurer la maîtrise d’ouvrage d’une tranche de travaux (2,2 Mrds F CFP), des subventions d’exploitation perçues de la Ville (194 MF CFP entre 2016 et 2021), de la prééminence de la Ville dans la gouvernance (85% du capital, rôle dans les instances dirigeantes, direction générale exercée par le 1er adjoint), et du conflit de missions dans laquelle la SEML s’est placée, en étant à la fois concepteur du schéma directeur de l’assainissement des eaux usées municipal (SDAEU), et opérateur chargé de sa mise en œuvre via la concession, la Chambre estime que le choix de créer une SEML est pour le moins ambigu, et sa valeur ajoutée incertaine.
La SEML et la commune qui ont porté dans les faits conjointement le SDAEU, ont enregistré un doublement du coût des travaux. Initialement prévu à hauteur de
4 Mrds F CFP, le budget de la zone 1 qui correspond au périmètre des travaux de la concession, devrait atteindre près de 8 Mrds de francs CFP une fois ceux-ci achevés.
Enfin, la SEML ne s’est pas distinguée jusqu’à ce jour par la qualité de son pilotage financier. Ses méthodes de gestion interne sont perfectibles, faute de contrôle de gestion et d’outils de mesure de la performance adéquats. Et pourtant, le développement de ces méthodes aurait été opportun, le modèle économique et la situation financière de la société étant préoccupants.
Un modèle économique fragile, construit à partir d’hypothèses erronées
La SEML agit suivant les prescriptions de la délégation du service public de l’assainissement à titre exclusif que lui a confiée la commune de Papeete signée le 13 juin 2008. Le 8 septembre 2008, la convention précitée a été complétée par l’avenant n°1, qui contient notamment un plan moyen terme (PMT). Il s’agit d’un compte financier prévisionnel de 2008 à 2037. Or, la SEML a indiqué que par la suite, elle n’a jamais tenu compte du PMT, arguant que celui-ci était si éloigné de la réalité, que d’emblée il n’était pas viable.
En 2009, la SEML a remis à la Ville le SDAEU, qui contient également des hypothèses techniques et économiques prévisionnelles. Les scénarii qui y sont envisagés sont tous loin du compte, lorsque sont considérées les variables essentielles que sont les volumes d’eau à traiter (dimensionnement des équipements mais aussi les recettes), et les montants à investir (dépenses). Il en résulte que les coûts de revient constatés sont éloignés des prévisions. Chaque m3 traité par la station de la Papeava a coûté 837 F CFP en 2019, contre 233 F CFP inscrits dans le SDAEU (+ 259 %).
La SEML est ainsi confrontée à un effet ciseau préoccupant, les recettes étant insuffisantes et les dépenses plus élevées que prévues.
Par ailleurs, le dépassement du budget d’investissement est important. Ainsi, la station de la Papeava enregistre un surcoût de 50%, soit 1,5 Mrd F CFP pour 3500 m3/jour contre une prévision de 1 Mrd F CFP pour 8000 m3/jour. L’écart du prix moyen au mètre linéaire de conduite posée est de +162% (262 117 F CFP contre 100 000 F CFP le mètre).
La société a indiqué que fin 2020, elle a pu construire 70 % du réseau des abonnés raccordables de la zone 1. Or, la station de la Papeava n’obtient qu’un taux de charge de 27 % de sa capacité nominale. Cette faible performance s’expliquerait selon la SEML par une diminution des volumes d’eau consommés, et donc rejetés, suite à une réforme tarifaire de l’eau potable en 2013. La baisse des volumes n’a été que partiellement compensée par une majoration des prix de l’assainissement, restés du ressort du conseil municipal de Papeete. La SEML estime que dans ce domaine les marges de manœuvre à la hausse sont faibles.
Dans ces conditions, la SEML n’a pas d’autre choix que d’augmenter les volumes traités. Dans l’hypothèse où l’intégralité des usagers du périmètre de la concession de service public sont raccordés, la Chambre estime que, en retenant les résultats comptables de 2019, le chiffre d’affaires atteindrait près de 200 MF CFP. Or, ce niveau d’activité futur ne parvient toujours pas à couvrir les charges d’exploitation qui sont de 259 MF CFP en 2019, même en y ajoutant la subvention annuelle d’exploitation de 27 MF CFP versée entre 2016 et 2019 par la commune de Papeete. Il en résulte que la SEML, pour augmenter suffisamment les volumes, doit poursuivre l’extension de son réseau de collecte au-delà du périmètre actuel de la concession, ce qui supposera une nouvelle délégation de la part de la commune.
Face à des opportunités de subventions moindres depuis 2016, la SEML doit tendre vers une politique active mais raisonnée d’endettement pour poursuivre son programme de travaux, et, éventuellement, s’engager vers une coopération avec les communes voisines. Sur ce dernier aspect, le syndicat de l’assainissement Pirae et Arue (SIVU) a confirmé témoigner d’un intérêt certain, sans que les élus des deux parties, pourtant en contacts depuis août 2015, soient parvenus à s’entendre sur les modalités financières et techniques mutuelles. La clarification rapide de cet accord est une étape indispensable pour Papeete et pour le SIVU, afin de leur permettre notamment de disposer chacun d’un schéma directeur et d’un plan de financement fiables.