La consommation de produits dangereux représente en France un coût social élevé, qui s’élèverait à 8,9 Md€ par an pour l’ensemble des drogues illicites. L’offre de stupéfiants plus concentrés, plus dangereux et plus accessibles s’est très largement diversifiée. 600 000 personnes disent avoir consommé de la cocaïne et 400 000 des drogues de synthèse au moins une fois au cours de l’année 2022. On constate également une très forte augmentation de la consommation de cocaïne et d'amphétamines (type ecstasy), qui a été multipliée par 9 en 30 ans. Le trafic connait également une expansion territoriale rapide, y compris dans les zones rurales. En 2016, des faits d’usage ou de trafic de stupéfiants étaient identifiés par la police ou la gendarmerie dans 54 % des communes. Ce chiffre s’élève à 79% en 2022.
Coexistent désormais des organisations criminelles étrangères qui agissent sur le territoire national par l’intermédiaire des réseaux locaux structurés, et des réseaux de moindre envergure ayant à leur tête des petits trafiquants devenus chefs de réseau. Au niveau local, les gains générés par les trafics alimentent une guerre de territoires marquée par des règlements de compte, qui se produisent dans des territoires jusque-là préservés. Le pouvoir financier de ces organisations criminelles alimente la corruption et les activités de blanchiment, nécessitant une coopération étroite des polices concernées au niveau national, européen et international.
Succédant à l’office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) dont les pratiques avaient été critiquées, l’office antistupéfiants (Ofast) a été créé par un décret du 26 décembre 2019 afin d’insuffler une nouvelle dynamique dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, y compris dans ses dimensions internationales. Depuis sa création l’Ofast a vu son budget augmenter de près de 51 % et ses effectifs doubler. Il a noué des partenariats avec les pays impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. L’office a également mis en place des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) dans chaque département, ainsi que des antennes et détachements Ofast, ce qui a permis l’émergence d’un réseau d’action et de partage d’informations. Toutefois, la coordination par l’Ofast central de ses services locaux doit être renforcée : il doit les piloter plus efficacement, tant sur le plan opérationnel qu’en termes de ressources humaines, et disposer d’un système de remontée automatique d’informations complet et efficace.
Au niveau local, le dispositif de lutte antistupéfiants peut s’appuyer sur le concours technique de plusieurs services parmi lesquels des brigades de recherche et d’intervention (BRI) ou des groupes d’observation et de surveillance (GOS) pour la gendarmerie nationale. De même, les groupes interministériels de recherche (GIR) disposent d’une réelle capacité d’entrave administrative. Ils sont composés de gendarmes, de policiers, d’agents des douanes, des impôts, de l’Urssaf et de l’inspection du travail.
Le suivi du plan de lutte contre le trafic de drogue 2019-2024 n’est plus assuré au plus haut niveau depuis l’été 2022 et certaines de ses priorités ont été insuffisamment mises en œuvre : le nombre d’enquêteurs anti-blanchiment n’a que faiblement augmenté ; le volet financier du narcotrafic est insuffisamment investi et les GIR n’y sont pas assez associés ; le nombre de cyber enquêteurs reste lui aussi trop faible face à l’importance des nouvelles modalités de vente de stupéfiants (37 % des achats se faisant via internet et les réseaux sociaux).
Les annonces récentes d’un nouvel ensemble de mesures indiquent la prise de conscience d’une nécessaire adaptation du dispositif répressif à l’évolution du trafic. Parmi celles-ci, la sécurisation des enceintes portuaires et la lutte anti-blanchiment devraient être mises en œuvre rapidement. Dans ce cadre, la lutte contre l’intimidation et la corruption de basse et haute intensité, qui peuvent s’exercer tant sur des dirigeants que sur des agents de terrain qu’ils soient privés (dockers) ou publics (douanes, forces de sécurité, magistrats, fonctionnaires judiciaires et pénitentiaires, personnels municipaux) est une priorité.
Alors que les saisies et le nombre de mis en cause n’ont cessé d’augmenter, témoignant de l’activité des forces de sécurité intérieure mais aussi de l’emprise du narcotrafic et des méthodes violentes qu’il génère, la lutte antistupéfiants peut s’appuyer sur un dispositif consolidé par la création de l’Ofast et l’apport de compétences transversales. Mais celui-ci doit être renforcé et adapté à l’évolution rapide du trafic. Une stratégie doit donc être rapidement formalisée dans un nouveau plan de lutte contre le trafic de stupéfiants dont l’ampleur grandissante appelle un renforcement du pilotage stratégique du même niveau que celui mis en œuvre au cours des dernières années en matière de lutte anti-terroriste.
“Le plan anti-stupéfiants de 2019 et la création de l’Ofast début 2020 ont incontestablement insufflé une nouvelle dynamique dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et un renforcement des moyens. Pour autant, le suivi de la mise en œuvre de ce plan s’est arrêté en 2022 et le narco-trafic concerne une part de plus en plus large du territoire national. La lutte contre ce phénomène criminel de grande ampleur appelle un renforcement du pilotage stratégique du même niveau que celui mis en œuvre en matière de lutte anti-terroriste. C’est pourquoi la Cour recommande l’établissement d’un plan formalisé de mesures et un suivi au niveau politique de sa mise en œuvre”, souligne Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes".