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Les forces de police à Marseille

COUR DES COMPTES

Marseille, la deuxième ville de France, fait face à une importante délinquance, particulièrement dans les quartiers nord, le centre-ville, et certaines cités du sud où le trafic de stupéfiants est prédominant. La géographie de la délinquance à Marseille rejoint largement celle de la précarité. Plus d’un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté et près de 10 % des actifs sont en recherche d’emploi, des taux bien au - dessus de la moyenne nationale. En réponse, le plan Marseille en Grand a été lancé en 2021 pour renforcer les moyens en termes de sécurité. La Cour des comptes a réalisé un contrôle pour évaluer l’action des forces de police à Marseille et, notamment, l'impact de ce plan en matière de sécurité.

L’ampleur des enjeux de sécurité à Marseille a justifié la mise en place d’une gouvernance spécifique, incarnée par une autorité préfectorale consacrée. Dès les années 1970, un préfet délégué chargé des questions de sécurité est ainsi créé à Marseille. Ce modèle évolue en 2012, avec l’institution de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône, indépendante de la préfecture de département. Les compétences du préfet de police sont néanmoins limitées et il n’a pas l’autorité hiérarchique sur les effectifs de police. La coexistence de deux préfets de plein exercice a entraîné des frictions et des conflits de compétence. Sauf à revenir à un modèle plus classique où le préfet de police est placé sous l’autorité du préfet de département, la Cour recommande d’ajuster et de clarifier la répartition des compétences entre eux.

Les forces de la police nationale à Marseille comptent 4 100 agents dans les filières de sécurité publique, police judiciaire, et police aux frontières, répartis en trois divisions (nord, centre, sud) et l’échelon départemental. Le nombre de policiers par habitant est plus élevé dans le nord et le centre, qui concentrent l’essentiel de la délinquance. Depuis janvier 2024, la réforme de la police nationale a créé une organisation territoriale instituant un directeur unique et visant à améliorer la cohérence et le décloisonnement des services, mais elle a suscité des inquiétudes en interne.
La police nationale agit en partenariat avec la gendarmerie, essentiellement pour les événements exceptionnels. Les relations avec la police municipale, qui comptait plus de 500 agents fin 2023 (et devrait atteindre 800 en 2026), ont été renforcées. Elles sont précisées par une convention de coordination à portée opérationnelle, signée en 2022.
La police à Marseille rencontre des problématiques de ressources humaines reflétant les tendances nationales. Le cycle de travail dit « binaire » (un jour sur deux travaillé en moyenne) a conduit à une augmentation des heures supplémentaires et de l'absentéisme, notamment dans la police aux frontières où les heures supplémentaires ont quadruplé depuis 2016 et les jours d'arrêt maladie ont augmenté de 34 %. La police judiciaire a aussi vu une multiplication par quatre des jours d'arrêt maladie. De manière générale, la hausse soutenue des congés longue durée et après accident du travail, tout comme l’intensité des mouvements sociaux (2022 et 2023), témoignent d’un climat social tendu.

La ville souffre d'une faible attractivité pour les policiers en raison des problèmes de logement et des conditions de travail, avec des primes mal ciblées et des aides à l’installation insuffisantes. Le secteur de l'investigation fait face à des difficultés de recrutement et à des départs fréquents. Les missions périphériques représentent plus de 11 % du temps de travail des agents. Une révision des missions et une meilleure coordination des primes et aides pourraient améliorer la situation.

Dans le cadre du plan « Marseille en Grand » annoncé en septembre 2021, la ville a reçu des moyens importants, incluant plus de 400 agents de police, deux compagnies républicaines de sécurité, et des équipements (200 véhicules, 2 000 caméras piétons, et 5 000 terminaux téléphoniques). Les annonces du plan sont en grande partie mises en œuvre. Malgré ces renforts, qui n’ont pas comblé les départs, le déficit d'effectifs reste élevé, et leur niveau est inférieur à celui de 2017. En outre, seules 90 des 500 caméras de vidéoprotection prévues étaient opérationnelles au 30 juin 2024.

À Marseille, les forces de police se concentrent sur la lutte contre le trafic de stupéfiants et la délinquance de proximité, dans le cadre de la « police de sécurité du quotidien ». La mobilisation accrue des services de l’État contre les réseaux de narcotrafic s’incarne par une cellule de renseignements et une taskforce administrative interministérielle. Si 40 % des points de deal ont été démantelés et plusieurs têtes de réseaux interpellées, les résultats devront être évalués dans la durée. Cette mobilisation permanente restreint les moyens consacrés à d’autres missions, notamment la délinquance économique et financière et le blanchiment.

La présence visible des policiers à Marseille est essentielle pour le sentiment de sécurité des habitants et une coopération opérationnelle approfondie avec la police municipale doit y contribuer. Parallèlement la lutte contre le trafic de stupéfiants – facteur majeur d’insécurité – doit bénéficier d’une priorité renforcée en s’appuyant sur le travail de police judiciaire et la coopération internationale pour remonter les filières du narcotrafic et démanteler les réseaux.

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