Un groupe dont l’organisation et le fonctionnement fragilisent la gestion des établissements
L’organisation juridique du groupe se distingue de celle d’autres groupes du secteur par une apparente décentralisation, les sociétés gestionnaires d’Ehpad préexistantes ayant été maintenues en place suite à leur rachat. Mais la gouvernance très centralisée vide l’autonomie juridique de ces sociétés gestionnaires de toute réalité, et facilite les remontées de fonds vers la holding de tête, sous leurs diverses formes. Cette organisation juridique décentralisée fonde pourtant le discours du groupe sur son fonctionnement en « réseau » et sur l’autonomie de gestion des établissements. Le groupe n’a pas pris la mesure des implications organisationnelles de sa croissance externe rapide et de l’hétérogénéité des établissements repris, sur le plan de l’efficience de la gestion comme de la qualité de prise en charge. Le renforcement des fonctions de siège passe notamment par la professionnalisation et la stabilisation des équipes, affectées par un fort turn-over, par une clarification des attributions et par l’établissement de procédures. Sur le plan social et des ressources humaines, le groupe Bridge n’a pas mis en place de politique globale. L’organisation juridique du groupe Bridge se traduit par l’absence d’instances représentatives, de négociation collective et d’accords conclus à l’échelle du groupe. Le manque de clarté du document unique de délégation, qui est censé préciser les délégations de compétence dont ils bénéficient, permet un interventionnisme du siège dans la gestion courante, y compris en matière de ressources humaines.
Des choix de gestion qui pèsent sur la qualité de service rendue
Le groupe suit une politique de ressources humaines restrictive, pilotant les effectifs de ses établissements, pour maîtriser leur masse salariale : les directeurs doivent ajuster les effectifs au taux d’occupation, en jouant sur le taux de remplacement et le recours aux contrats courts. Cette politique crée une instabilité des équipes, préjudiciable à la bonne connaissance des résidents par les personnels, et fait courir le risque, à certaines périodes tendues, comme en été ou à Noël, de ne pas être en mesure de pourvoir les postes vacants, et de mettre en cause la continuité des soins. Les fonctions médicales et soignantes sont particulièrement défaillantes. Le poste de médecin coordonnateur n’est pas régulièrement pourvu dans près de la moitié des Ehpad du groupe. À l’absence de médecin, parfois longue, s’ajoutent les absences, parfois concomitantes, des infirmières coordinatrices et du directeur de l’Ehpad. Par ailleurs, chaque Ehpad ne dispose que d’un seul agent de maintenance pour réaliser un nombre de tâches denses et multiples. Dans certains cas, les dysfonctionnements vont jusqu’à affecter la sécurité des résidents avec systèmes d’appels des malades mal entretenus et défectueux. La restauration fait également partie intégrante des prestations d’accueil d’hébergement fournies par un Ehpad et est soumise à la réglementation applicable à la restauration collective.
Un groupe fortement endetté à la recherche d’une rentabilité d’exploitation
Les acquisitions d’Ehpad du groupe ont été financées par d’importantes levées de fonds auprès d’investisseurs privés, mais aussi de partenaires bancaires (montage financier de type LBO4). Dans un contexte sectoriel marqué par des taux d’occupation qui peinent à se redresser et à retrouver leur niveau d’avant la crise, et des charges d’exploitation en hausse (denrées alimentaires, énergie, coûts salariaux suite au Ségur de la santé), le groupe a donc avant tout cherché à préserver au maximum sa rentabilité, par une politique de forte maîtrise de ses charges d’exploitation, pour tenir ses engagements financiers. La rentabilité d’exploitation du groupe, mesurée par le taux de marge d’Ebitda, qui était de 25 % en 2021, a cependant reculé à 15 % en 2022, puis à 11 % en 2023. L’analyse des comptes du groupe fait apparaître de nombreux flux financiers des établissements vers le groupe, sous forme de management fees versées à la holding. Les sociétés gestionnaires ont ainsi fait remonter au profit du groupe quelque 20 M€ de dividendes au titre des exercices 2021, 2022 et 2023. La situation financière de certains établissements, constitue un point de vigilance majeur, et appelle des actions correctives de la part du groupe.
Des financements publics dont le groupe ne rend compte de l’utilisation de manière ni transparente ni sincère
S’agissant des financements publics, les Ehpad perçoivent deux types de dotations publiques : un forfait global « soins », financé par la sécurité sociale via l’ARS, et un forfait global « dépendance » recouvrant un forfait à la charge du département d’implantation. Les résidents participent aux frais d’hébergement. La Cour prend acte qu’un décret spécifique relatif à la transparence financière des sociétés gestionnaires « mono-établissement » appartenant à des groupes sera pris prochainement. La Cour relève toutefois que les sociétés gestionnaires d’Ehpad devraient être tenues de produire, à l’appui des états réglementaires, des états de passage avec les données de comptabilité et de paie permettant de retracer la régularité des imputations et des retraitements opérés. Les résultats réalisés sur les sections soins et dépendance affichés dans les états réglementaires produits par les établissements du groupe Bridge n’ont pu être examinés que sur un petit nombre d’établissements, et pour le seul exercice 2022, le groupe n’ayant pas été en mesure de communiquer à la Cour des états de passage détaillés avec les données comptables et de paie. Sur ce périmètre réduit, l’analyse de ces documents montre que les résultats dégagés sur les sections soins et dépendance tels qu’ils sont affichés dans les états réglementaires sont insincères et systématiquement minorés.