Cette saisine s’inscrit dans le cadre du projet d’administration que le département de l’Ain a engagé en mars 2022 qui implique notamment la mise en œuvre d’une démarche de contrôle, d’audit et d’évaluation de son action.
Les trois questions évaluatives posées par le département de l’Ain étaient les suivantes :
- La politique culturelle du département permet-elle à l’ensemble des habitants de pouvoir accéder aux différents dispositifs culturels ?
- La politique culturelle du département a-t-elle permis de diversifier les publics
bénéficiaires, notamment les jeunes, collégiens, personnes en situation de handicap, publics fragilisés ? Cette question a été limitée aux cinq publics sur lesquels le département exerce une compétence, à savoir les mineurs, les collégiens, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées et celles suivies dans le cadre de l’insertion.
- Dans quelle mesure les actions du département sont-elles complémentaires de celles des autres acteurs publics (notamment l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale) ou privés - financés par le département - intervenants dans le domaine culturel ?
La politique culturelle est un domaine de compétence partagée entre l’État et les collectivités territoriales qui peuvent, en plus de leurs compétences respectives, mener des actions volontaires. Si la politique mise en œuvre dans le domaine culturel fait intervenir de très nombreux acteurs, l’évaluation de politique publique (EPP) a porté sur la seule action du département de l’Ain.
Le conseil départemental a adopté deux délibérations en mai 2016 et
mars 2022 définissant les grands axes de sa politique culturelle. Toutefois, celles-ci ne comportent pas d’objectifs opérationnels précis. Les schémas et plans complémentaires, qui n’existent que pour certains domaines, ne contiennent pas non plus d’objectifs opérationnels, à l’exception du schéma de lecture publique adopté en 2022, ni d’indicateurs. Or, une évaluation consiste à comparer les résultats d’une politique à ses objectifs, a priori chiffrés et évaluables sur la base d’indicateurs. La chambre a donc été conduite à réaliser un certain nombre de diligences complémentaires afin de pallier cette difficulté.
Le département de l’Ain agit en matière culturelle en soutenant financièrement des lieux ou des manifestations culturelles (centre culturel de rencontre d’Ambronay, théâtre de Bourg en Bresse, festivals…), des compagnies artistiques, l’éducation artistique et culturelle (EAC) à travers le chéquier jeunes 01, les archives départementales… Il est impliqué dans les conventions territoriales d’éducation artistique (CTEAC). Il soutient l’enseignement artistique dans le cadre d’un schéma départemental et la lecture publique via l’action de la bibliothèque départementale. Il possède également six musées dont deux sont gérés par le groupement d’intérêt public (GIP) Cerdon Vallée de l’Ain dont il est membre. Il soutient enfin la restauration du patrimoine privé et public.
Cette politique fait intervenir un grand nombre de services du département, aux compétences variées, au premier rang desquels la direction générale adjointe en charge de la culture. Elle implique aussi l’intervention d’un nombre particulièrement important d’acteurs, publics et privés, parmi lesquels la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), l’Éducation nationale, les collectivités territoriales et de nombreuses associations.
Les dépenses consacrées par le département de l’Ain à sa politique culturelle ont été de l’ordre de 10,8 M€ annuellement pour les dépenses de fonctionnement et ont été comprises entre 2 et 5 M€ par an pour les dépenses d’investissement (hors dépenses liées aux actions culturelles conduites par la direction en charge de l’action sociale). En moyenne, sur la période 2019-2023, ces sommes ont représenté 20,9 € par habitant et par an.
Le budget alloué au domaine de la culture par le département en fait le premier financeur du territoire, devant l’État et la région Auvergne-Rhône-Alpes. Par contre, à l’échelle de l’ensemble des collectivités, ce sont les budgets cumulés des communes d’une part et celles des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’autre part qui devancent en montant celui du département qui arrive en troisième position.
Une action du département qui a contribué à l’amélioration du maillage culturel mais ne suffit pas à garantir l’accès de tous à une offre culturelle
Sur le plan géographique, le département de l’Ain présente des caractéristiques d’étendue et de relief qui entrainent des temps de déplacement significatifs et rendent plus difficile l’accès physique à la culture pour tous ses habitants.
Au cours de la période évaluée, l’offre culturelle s’est enrichie : la Cuivrerie de Cerdon a ouvert. Le théâtre de Bourg-en-Bresse dont le département est membre fondateur, est devenu scène nationale. La mise en place d’un nouveau conventionnement a conduit à une progression du niveau des bibliothèques. Le département mène et soutient aussi des actions hors les murs pour rapprocher l’offre culturelle des habitants et finance notamment le transport vers des activités culturelles au profit des collégiens.
La collectivité départementale s’est fixée comme objectifs d’accompagner l’aménagement culturel et de faire émerger une offre culturelle structurée, mais elle n’a pas défini d’objectifs précis d’amélioration de la couverture de cette offre sur le territoire, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint.
Le département ne met toutefois pas vraiment en œuvre d’actions ciblant en priorité certaines zones. Il ne réalise pas avec les autres acteurs de la politique culturelle sur le territoire départemental une analyse commune des besoins des territoires, ni ne définit de critères de soutien financier directement liés au renforcement du maillage territorial. Les subventions de fonctionnement versées aux établissements d’enseignements artistiques ne sont pas incitatives à cet égard. Le département dispose en outre de peu d’outils lui permettant de connaître le public bénéficiaire de ses actions culturelles et donc, de savoir si celles-ci bénéficient réellement aux habitants, que ce soit à travers les actions qu’il mène ou à travers les structures qu’il soutient. Enfin, si une amélioration globale de l’offre culturelle est effectivement à relever, le niveau de service des bibliothèques reste limité, il y a peu de diversité dans les enseignements artistiques et l’avenir de deux des musées départementaux est soumis à des arbitrages en cours.
Or, le département dispose de leviers d’actions qu’il pourrait davantage mobiliser pour améliorer l’offre culturelle, en fonction d’objectifs qu’il aurait clarifiés, de dispositifs qu’il aurait dès lors refondus et dont il suivrait la réalisation au moyen d’indicateurs. L’impact de son action pourrait ainsi être plus fort et plus facilement évalué. Le département souligne d’ailleurs que la mise en place de critères d’évaluation à court, moyen et long terme, fait partie des axes prioritaires du projet d’administration dont il s’est doté en mars 2022.
La prise en compte dans ces objectifs de la notion de « parcours » permettant d’aboutir à une action tout au long de la vie de la personne, la mutualisation de certaines ressources et la mise en œuvre d’une communication mieux coordonnée avec les autres acteurs permettraient aussi une amélioration de l’offre culturelle au bénéfice de l’ensemble des habitants.
Une action du département en faveur de la diversification de l’offre culturelle vers des publics considérés comme prioritaires qui bénéficie principalement aux mineurs et aux collégiens
Dans ses délibérations générales de 2016 et 2022, le conseil départemental avait identifié certains publics comme prioritaires : les mineurs, les collégiens, les personnes en situation de handicap, les personnes vieillissantes et celles suivies dans le cadre de l’insertion.
Les collégiens constituent la population la plus soutenue par le département à travers des actions mises en œuvre dans le cadre scolaire. Celles-ci interviennent toutefois sans lien avec les spécificités géographiques ou sociales des établissements. Les collégiens bénéficient également du chéquier jeunes 01, qui a été utilisé par 65 % d’entre eux en 2023 et a représenté une dépense de l’ordre de 2 M€ sur la période, mais dont l’impact sur l’évolution des pratiques culturelles individuelles est mitigé.
Les mineurs en général sont un public pour lequel le département mène de nombreuses actions. Les personnes âgées et handicapées sont moins prises en compte. Les personnes suivies dans le cadre de l’insertion ne le sont quasiment pas.
Les actions mises en œuvre dépendent en outre de deux directions du département qui gagneraient à se coordonner davantage.
Pour mieux répondre à ses objectifs actuels de diversification, le département pourrait rééquilibrer ses actions entre les différents publics et se doter d’objectifs opérationnels. Il pourrait également adapter ses dispositifs, notamment en liant le soutien financier qu’il apporte aux acteurs de la politique culturelle aux actions menées en faveur des publics qu’il a définis comme prioritaires. Il pourrait enfin davantage impliquer dans la réalisation de cet objectif les structures qu’il soutient.
Une complémentarité de l’action du département avec celle des autres financeurs qui gagnerait en efficacité grâce à une véritable concertation et à une réelle mise en réseau
De façon générale, le fait que la culture soit une compétence partagée entre de nombreux acteurs publics peut conduire à ce que ces derniers financent des dispositifs faisant double emploi ou dont la complémentarité n’est pas garantie. Dès lors, un effort redoublé de coopération et de coordination est nécessaire, ce qui n’est pas toujours le cas sur le territoire aindinois dans les dispositifs impliquant le département.
Le département de l’Ain dispose d’une appréciation générale des besoins et enjeux à l’échelle de l’ensemble du territoire départemental. Les communes et EPCI soulignent sa plus-value lorsqu’il apporte un soutien en ingénierie, un accompagnement technique ou des ressources et qu’il contribue à la mise en réseau des intervenants. Il apporte en outre une part de financement qui est souvent minoritaire mais reste importante pour l’équilibre financier des structures culturelles bénéficiaires.
Toutefois, la dispersion des actions soutenues par le département et l’absence de dispositifs clairs de concertation affaiblissent la recherche de complémentarités et peuvent conduire à un manque de cohérence entre collectivités dans l’exercice de leurs actions.
La définition d’objectifs communs aux différents acteurs serait de nature à accroître la complémentarité des actions menées. Si le département n’est pas chef de file en matière de politique culturelle, il pourrait être force de proposition pour engager cette concertation, en particulier lorsqu’il est le principal financeur. En effet, il n’existe que peu d’instances d’échanges entre les acteurs permettant d’aborder la complémentarité des dispositifs mis en œuvre. Le département pourrait ainsi initier la création d’instances territoriales de concertation.
Lorsqu’il est co-financeur, l’affirmation d’attendus précis vis-à-vis des structures subventionnées et la mise en place de conventions d’objectifs et de moyens lui permettraient de conduire une action plus en lien avec ses propres priorités et concertée avec les autres acteurs. Son positionnement mériterait d’être plus affirmé vis-à-vis de certaines structures qu’il finance et notamment le Centre culturel de rencontre d’Ambronay qui est la plus soutenue avec 4 M€ de subventions reçues au cours de la période 2019-2023, ou encore le GIP Cerdon Vallée de l’Ain.
Enfin, à l’instar de l’action qu’il mène déjà dans certains domaines tels que la lecture publique et le patrimoine, le département pourrait développer la mise en réseau des autres acteurs culturels, notamment auprès des structures subventionnées, ce qui permettrait de répondre à leurs besoins et d’améliorer l’offre culturelle.
RECOMMANDATIONS
Recommandation n° 1. Préciser les objectifs recherchés dans le cadre de la politique culturelle, développer les dispositifs d’évaluation des actions conduites dans ce cadre et en rendre compte à l’assemblée délibérante.
Recommandation n° 2. Mettre en place avec les principales structures culturelles subventionnées des conventions d’objectifs et de moyens dotées d’indicateurs et suivre ceux-ci.
Recommandation n° 3. Revoir les critères de soutien aux structures culturelles pour que ceux-ci soient conformes aux objectifs poursuivis par le département, notamment de renforcement du maillage territorial.
Recommandation n° 4. : Rééquilibrer les actions menées en direction des publics définis comme prioritaires par le département, ou redéfinir ces publics afin que ceux-ci bénéficient d’une offre culturelle répondant aux objectifs définis par la collectivité départementale.
Recommandation n° 5. Initier la création d’instances territoriales de concertation, voire de contractualisation avec les différents acteurs culturels, notamment la DRAC et les établissements publics de coopération intercommunale, et conduire davantage d’actions de mise en réseau avec les acteurs privés ou publics.