SYNTHÈSE
L’accumulation des déficits d’exploitation débouche en effet sur une situation particulièrement préoccupante mais dont la gravité a été minorée par des pratiques comptables contestables. L’absence de sincérité et de fiabilité des comptes provient principalement de reports de charges non comptabilisés ainsi que de l’insuffisance des amortissements et des provisions. Après retraitements comptables, le déficit cumulé ou report à nouveau déficitaire peut être estimé au 1er janvier 2012 à 22 M€. Sans les aides exceptionnelles versées par l’Etat de 2006 à 2011, ce déficit cumulé aurait atteint plus de 31 M€.
Trois types d’activités expliquent à eux seuls l’essentiel des déficits d’exploitation. Il s’agit de la chirurgie en hospitalisation complète (alors que la chirurgie ambulatoire est excédentaire), des consultations externes et du département mère-enfant.
Ce fonctionnement courant de l’hôpital, fortement déficitaire, et un recours massif à l’endettement, qui a parfois servi à financer irrégulièrement des dépenses de fonctionnement, obèrent sa capacité à financer son développement futur et le rendent particulièrement dépendant des banques, avec même un risque de quasi-cessation de paiement en cas de raréfaction du crédit bancaire.
L’hôpital de Digne souffre en outre, d’une absence de stratégie et de pilotage.
Il ne dispose plus, depuis 2005, de projet d’établissement. Un nouveau projet médical vient toutefois d’être adopté en juin 2013. Les autres projets constitutifs du projet d’établissement ne sont toujours pas finalisés.
L’hôpital dispose pourtant d’outils de pilotage et notamment d’une comptabilité analytique qui lui permettent de connaître ses coûts de production. Toutefois, ces outils n’ont pas été réellement mis à profit pour adopter des mesures de redressement ciblées et adaptées. En outre, l’hôpital ne disposait toujours pas, jusqu’à très récemment, d’une analyse précise et pertinente de son positionnement concurrentiel, indispensable pour connaître son potentiel d’augmentation d’activité et pour déterminer une stratégie. Enfin, malgré l’obligation légale qui lui est faite, l’établissement n’a jamais produit de rapport d’activité pendant toute la période contrôlée par la chambre.
L’hôpital souffre plus globalement d’une absence de vision à long terme qui a conduit à un pilotage au jour le jour, sans cohérence d’ensemble et sans suivi, source de gaspillages et d’inefficience. Le sort réservé aux activités d’analyse des eaux et de dépôt de sang en sont une illustration. Ces activités ont en effet été abandonnées par manque de volonté et d’implication alors qu’elles pouvaient être rentables pour l’hôpital. De même différents plans de redressement et restructurations de services se sont succédé sans fil conducteur ni réelle évaluation de leurs résultats.
Ces problèmes de gouvernance apparaissent également au travers des difficultés de fonctionnement des instances hospitalières.
Le management décentralisé par pôles d’activités n’était toujours pas effectif plus de six ans après l’entrée en vigueur de la loi de 2005 réformant l’organisation de l’hôpital. Pourtant, alors que les pôles ne fonctionnaient pas, des primes liées à l’exercice des fonctions de responsable et d’assistant de pôle ont tout de même été versées, en toute irrégularité. Une nouvelle organisation en pôles vient d’être décidée en 2013.
Des difficultés de fonctionnement ont aussi été relevées concernant le conseil de surveillance et de la commission médicale d’établissement (CME), qui n’a pas assumé pleinement son rôle dans le domaine de la qualité et de la sécurité des soins, le projet médical ainsi que la coordination de la politique médicale. L’absence d’implication de cette instance a expliqué ainsi des manquements graves et récurrents dans la conduite de la politique du médicament de nature à mettre en cause la sécurité de la prise en charge des patients.
S’agissant de l’équipe de direction, la coordination et l’efficacité de son action ont été entravées par la multiplication des directions communes inter-établissements et une gestion contestable du temps de travail.
A la suite du contrôle de la chambre, l’hôpital s’est engagé à assurer un fonctionnement normal de ces instances. D’ores et déjà, la commission médicale d’établissement a vu son rôle redynamisé significativement.
L’hôpital de Digne connaît une sous activité dans tout le secteur Médecine Chirurgie Obstétrique qui le pénalise financièrement.
L’évolution du nombre des séjours est en baisse pendant toute la période étudiée par la chambre, avec une chute plus nouvelle, mais significative, dans le secteur de la chirurgie. Le bloc opératoire se trouve dès lors largement surdimensionné avec un taux moyen d’utilisation des salles inférieur à 50 % en 2011. Cette fragilité due à une sous activité opératoire est accentuée par le nombre réduit de chirurgiens sur lesquels repose l’activité existante. Enfin, l’hôpital perd des parts de marché sur toutes ses activités MCO. Son faible positionnement notamment en chirurgie pose problème compte tenu des caractéristiques de son environnement puisque l’établissement est implanté dans un bassin de population enclavé géographiquement et sans offre concurrente du privé.
Des pratiques irrégulières de l’activité libérale
La pratique de l’activité libérale à l’hôpital de Digne est relativement répandue mais peu contrôlée. La commission de l’activité libérale ne se réunissait plus depuis 2009 et la direction n’assurait quasiment aucun suivi ni contrôle. Aucune sanction n’a jamais été prise alors que certaines dérives étaient connues.
Des irrégularités particulièrement graves ont été constatées lors du contrôle effectué par la chambre. Des dépassements importants des limites autorisées ont ainsi été relevés, s’agissant aussi bien du temps consacré à cette activité, que du nombre d’actes effectués, ou de leur nature, les actes d’IRM étant exclusivement réalisés en activité libérale.
En outre, les règles d’information et de libre choix du patient n’ont pas été respectées surtout en cas d’hospitalisation. Toute l’activité libérale se faisant en secteur 1, c’est-à-dire sans dépassement d’honoraires, le patient est bien souvent traité en libéral à son insu. Le manque de transparence permet ainsi au praticien de maximiser son activité libérale et donc le montant des honoraires qu’il perçoit.
Des irrégularités ont également été constatées en ce qui concerne le paiement des redevances et le reversement des quotes-parts de forfaits techniques.
Ces dérives qui s’expliquent à la fois par des problèmes au niveau de la déclaration des actes et par un manque de suivi informatique, causent un préjudice financier à l’hôpital, sous forme de pertes de recettes et de dépenses indues.
Suite au contrôle de la chambre, plusieurs actions ont d’ores et déjà été mises en œuvre, au travers notamment de la commission de l’activité libérale, traduisant la détermination de l’hôpital à faire cesser les dérives constatées.
Une coopération hospitalière développée au détriment des intérêts de l’hôpital
Si le Groupement de coopération sanitaire (GCS), associant praticiens de l’hôpital et chirurgiens libéraux a permis de maintenir l’offre chirurgicale sur le bassin dignois, la chambre constate néanmoins que son développement n’a pas profité à l’hôpital et n’a pas répondu à l’objectif d’une meilleure coordination des activités publiques et privées. La chambre a relevé de nombreuses irrégularités qui tiennent à l’organisation et au fonctionnement du groupement ainsi qu’à l’exercice de certains praticiens. Les modalités d’intervention des praticiens libéraux pénalisent ainsi financièrement l’hôpital qui s’est appuyé sur cette structure pour développer des consultations privées dans des conditions particulièrement critiquables.
Quant au groupement d’intérêt économique (GIE) constitué pour l’utilisation partagée entre les différents acteurs de la région d’un appareil d’IRM, le partenariat s’est, là aussi, développé en privilégiant des intérêts privés. L’utilisation de l’équipement est très nettement à l’avantage des cabinets de radiologie privés. En outre, la totalité des actes concernant les patients de l’hôpital de Digne sont effectués par les praticiens hospitaliers en secteur privé, sans information préalable des patients et en méconnaissance de la réglementation et du dossier d’approbation soumis initialement à la tutelle. Cette situation pénalise financièrement, là encore, l’hôpital. Des incohérences dans la tenue de la comptabilité, induisant un risque fiscal, ont aussi été constatées.
L’hôpital s’est engagé à mettre fin aux irrégularités constatées.
Une gestion perfectible en matière de ressources humaines et de patrimoine.
L’analyse des ressources humaines montre, au cours de la période étudiée par la chambre, une absence de maîtrise des dépenses en dépit des différents plans de redressement mis en place. La gestion du personnel est marquée par de fortes disparités entre les secteurs MCO et psychiatrie, le premier se caractérisant par une surdensité du personnel de soins (et notamment un sur-encadrement) tandis que le second souffre d’une sous-densité qui va en s’aggravant.
Enfin, le patrimoine de l’hôpital a fait l’objet d’une gestion passive, préjudiciable aux intérêts de l’établissement.
L’inertie de la direction dans le dossier des bâtiments de l’ancien hôpital Romieu a ainsi conduit à la perte sans compensation financière de ce bien et donc à un appauvrissement de l’hôpital. La nouvelle direction vient d’initier un processus de retour de ces biens à l’hôpital et s’est engagée par ailleurs à assurer un suivi plus rigoureux de la gestion des deux hôtels légués.
La chambre recommande au centre hospitalier de Digne les Bains de :
1 : Etablir un plan d’apurement du report de la charge de la prime de service sur une durée ne dépassant pas 5 ans, afin qu’à son terme la totalité de la prime de service soit imputée sur l’exercice de rattachement.
2 : Procéder à l’apurement total du compte 131 par une reprise à hauteur de 103 193 €.
3 : Régulariser les provisions inscrites au compte 158 par une reprise de 475 580 €.
4 : Adopter un calendrier pour doter le compte 143 à hauteur de la valorisation des jours réellement épargnés.
5 : Poursuivre le mouvement de provisionnement des créances douteuses.
6 : Régulariser l’insuffisance d’amortissement en dotant le compte 6871 « Dotations aux amortissements exceptionnels des immobilisations » à hauteur de 241 968 €.
7 : Mettre en place des actions concrètes pour améliorer la facturation et les délais de recouvrement des titres hospitaliers reposant notamment sur une réorganisation du bureau des entrées, la formation du personnel, le développement du paiement comptant, le suivi d’indicateurs de facturation et de recouvrement ainsi que sur une collaboration étroite avec le comptable public.
8 : Mettre en place un suivi de la gestion de la dotation non affectée
9 : Mettre en place une démarche stratégique avec pour objectif l’élaboration et la mise en place d’un projet d’établissement, conformément à l’obligation légale.
10 : Améliorer les outils de contrôle et de compte-rendu de la gestion
10-1 : Poursuivre la fiabilisation de la comptabilité analytique ;
10-2 : Mettre en place en collaboration avec le département d’information médicale, un véritable contrôle de gestion et un suivi régulier du positionnement concurrentiel de l’hôpital
10-3 : Élaborer un rapport annuel d’activité, conformément à l’obligation légale
10-4 : Communiquer les résultats de la comptabilité analytique et le rapport annuel d’activité au conseil de surveillance et à l’ARS.
11 : Réaliser une analyse systématique des écarts entre les honoraires déclarés par les praticiens et ceux relevés par l’assurance maladie et faire procéder au versement par les praticiens concernés des redevances supplémentaires qui découleront de ces contrôles ou à l’inverse au remboursement des quotes-parts de forfait technique indûment perçues.
12 : Poursuivre les actions en vue d’apurer les retards de paiement de redevance qui subsistent et veiller à l’avenir à un paiement réellement trimestriel de ces redevances par tous les praticiens.
13 : Soumettre aux instances de l’hôpital et en particulier au conseil de surveillance la question de l’exclusion des consultations du groupement de coopération sanitaire, en explicitant les arguments qui ont conduit à les exclure de fait et en précisant que plusieurs médecins libéraux sont membres du groupement alors même qu’ils n’ont pas d’activité chirurgicale mais seulement de consultation en secteur privé.
14 : Définir une politique de mise à disposition des locaux publics reposant sur des règles objectives et transparentes, dans l’intérêt des partenaires mais aussi du centre hospitalier lui-même qui ne doit pas être pénalisé financièrement.
15 : Procéder à la déclaration des avantages en nature des médecins remplaçants.
16 : Renégocier le loyer de l’hôtel deux étoiles, lors du renouvellement du bail en 2014 et veiller, pour les deux hôtels, à éviter des comptes de résultats déficitaires, ou à défaut demander par la voie judiciaire la révision de la clause d’inaliénabilité.