Jeudi 1
5
octobre 2009
RAPPORT PUBLIC THEMATIQUE
FRANCE TELEVISIONS ET LA NOUVELLE TELEVISION PUBLIQUE
Discours de M. Philippe Séguin, Premier Président
Mesdames, Messieurs,
La Cour des comptes publie aujourd’hui un rapport public thématique intitulé « France
Télévisions et la nouvelle télévision publique ».
(1 – Origine du rapport, contrôle 2004-2008, contribution à
la réussite de la réforme)
Avant de vous en livrer les principaux messages, je souhaiterais dire quelques mots sur
l’origine de ce rapport, notamment parce qu’il incarne bien, je crois, deux des missions
fondamentales de la Cour : le contrôle de la gestion publique, d’une part, et l’assistance au
Gouvernement et au Parlement d’autre part.
La matière première de ce rapport, c’est un contrôle approfondi du groupe France
Télévisions au titre des exercices 2004 à 2008, comme en réalise régulièrement la Cour sur les
grandes entreprises publiques. Ce contrôle a été l’occasion d’une revue systématique des résultats
de l’entreprise, de ses procédures de gestion, de ses achats de programmes, des conditions de sa
gouvernance, etc…
Le présent contrôle avait été inscrit en décembre 2007 au programme de travail de la
juridiction pour 2008, avant que le Président de la République annonce, le 8 janvier 2008, la grande
réforme de la télévision publique. Les investigations des rapporteurs de la Cour ont ainsi été menées
suivant le calendrier prévu, entre mars et décembre 2008. Mais le contexte de ce contrôle a été tout
sauf ordinaire, puisque la Cour a travaillé au moment où se préparait le projet qui a abouti à la loi
du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la
télévision
.
C’est ce qui permet au rapport publié aujourd’hui de se présenter non seulement comme le
résultat d’un contrôle « traditionnel » sur une grande entreprise publique, mais également comme
une contribution à la réforme de la télévision publique.
Cette réforme a été engagée, mais elle reste encore à réussir. Les observations
rassemblées ici visent à éclairer les conditions dans lesquelles France Télévisions peut
aujourd’hui se réformer et atteindre les objectifs ambitieux assignés par la loi.
C’est dans cette perspective que ce rapport comporte 25 recommandations, dont je n’hésite
pas à dire que certaines sont audacieuses au regard des habitudes prises par le secteur audiovisuel.
J’y reviendrai.
1
Comme il est de règle dans nos procédures, ce contrôle a laissé une large place aux
procédures contradictoires avec les dirigeants du groupe et leurs administrations de tutelle qui ont
été, au-delà de leurs réponses écrites, longuement entendus au printemps 2009 lors de trois
auditions. La contradiction a également été menée à bien avec les personnes ou sociétés
susceptibles d’être concernées par les observations de la juridiction.
J’en viens maintenant aux principaux messages de la Cour.
(
2 – Une télévision publique fragilisée, une réforme coûteuse pour les finances publiques
)
Le premier point à souligner, c’est que la télévision publique est aujourd’hui fragilisée par
rapport à ce qu’était sa situation il y a quelques années. L’équation est claire : les chaînes publiques
ont perdu près de cinq points d’audience depuis 2005, alors que leurs charges ont continué à
progresser.
Certes, la baisse de l’audience des chaînes dites historiques (France 2 et France 3) était
inévitable avec le développement des télévisions payantes, et surtout l’apparition des nouvelles
chaînes gratuites de la TNT. Mais il eût été concevable que le service public résistât davantage,
notamment avec ses nouvelles chaînes (France 5 diffusée 24h sur 24, France 4 et France Ô).
Le pronostic n’a pas été vérifié, et sans doute le pari était-il trop ambitieux : le succès de la
TNT a surpris bien des acteurs de l’audiovisuel. Le service public a perdu des téléspectateurs,
comme les grandes chaines privées, alors que le réinvestissement dans les programmes (symbolisé
par les grandes fictions de prestige) alimentait une dynamique des coûts de 2 à 5% par an suivant
les genres. Ainsi, en cinq ans, les dépenses de programmes par téléspectateur ont arithmétiquement
augmenté de 15 à 20%.
Cette dynamique n’est plus soutenable.
Dans le cadre du modèle économique qui avait cours jusqu’en 2009, une partie de ce coût –
environ un tiers – était financé par la publicité. Lorsque la réforme actuelle aura été menée à bien,
en 2012, la publicité ne devrait guère financer plus de 5 % du coût des chaînes. C’est le budget de
l’Etat, dorénavant, qui vient s’ajouter à la redevance audiovisuelle pour boucler le financement des
chaînes publiques. En 2009, l’Etat devrait verser à France Télévisions 415 M€ pour compenser la
baisse des recettes publicitaires liées à la réforme de 2009, auxquels s’ajouteront environ 365 M€
pour compenser les exonérations de redevance introduites en 2005, soit 815 M€ au total.
En 2012,
ces deux « compensations » devraient atteindre ensemble le chiffre rond d’1 Md€
.
Dans le même temps, la redevance audiovisuelle fera désormais l’objet d’une actualisation
annuelle, et passera, le 1
er
janvier 2010, à 121 € par foyer en métropole au lieu de 116 € aujourd’hui.
Cette augmentation de la redevance et cet appel au budget de l’Etat ne permettent pourtant
pas à France Télévisions d’équilibrer ses comptes. Le déficit de 138 M€ avant impôt enregistré en
2008 devrait être du même ordre en 2009 si l’on en croit le budget prévisionnel de l’entreprise
arrêté au début de l’année. France Télévisions est donc dans une situation financière difficile, avec
une trésorerie durablement négative qui l’oblige, pour la première fois de son histoire, à recourir
aux banques pour financer son activité à court terme. Au-delà, d’après le plan d’affaires négocié
entre l’Etat et l’entreprise, France Télévisions ne devrait pas renouer avec l’équilibre avant 2012.
La réforme portée par la loi du 5 mars 2009 représente donc un coût pour la
collectivité.
2
Avant d’aborder les constats et recommandations de la Cour relatives à la gestion des
programmes, je voudrais conclure ce premier point financier par deux brèves remarques liées à
l’actualité récente.
La première porte sur la « cagnotte » de 100 M€
qu’aurait constituée France Télévisions en
2009 du fait de recettes publicitaires supérieures aux prévisions. Compte tenu des pertes
enregistrées par l’entreprise en 2008 et du déficit prévu en 2009, je m’explique mal que l’on ose
parler de « cagnotte » ! La situation financière de France Télévisions exigerait que les éventuelles
bonnes surprises enregistrées en matière de recettes soient affectées au rétablissement des comptes.
Il semble que l’Etat et l’entreprise se soient mis d’accord sur une formule de « partage ». Il est
essentiel que la diminution du déficit de France Télévisions ne soit pas affectée aux dépenses de
programme ou aux caisses de l’Etat mais bien au désendettement de la société. C’est ce que
recommande la Cour dans son rapport.
La seconde remarque porte sur l’examen, par les autorités communautaires, de la légalité du
nouveau mode de financement de France Télévisions, et notamment du soutien direct de l’entreprise
par l’Etat. Il s’agit là des 450 M€ accordés dès cette année – devenus 415 M€ après l’affaire dite de
la « cagnotte » – que j’évoquais à l’instant, et qui deviendront à terme 650 M€. Le présent rapport
de la Cour mettait en garde le Gouvernement – j’emploie l’imparfait, puisque cette mise en garde
s’est concrétisée – quant au fait que ce dispositif devrait recevoir l’aval des autorités
communautaires au titre du régime des aides d’Etat. Or, les critères utilisés par la Commission
européenne pour valider ou non ce dispositif sont susceptibles d’évoluer, notamment avec le
développement des nouveaux modes de diffusion de la télévision. Il s’agit d’un risque pour la
réforme dans son ensemble, et évidemment pour France Télévisions.
Ces deux éléments montrent que le soutien budgétaire direct de France Télévisions n’est pas
exempt d’ambiguïtés et de risques par rapport à un modèle fondé en partie sur des ressources
propres à la télévision publique : c’est pourquoi la Cour, à plusieurs reprises, avait recommandé
l’augmentation de la redevance audiovisuelle plutôt que le recours au budget de l’Etat. Je rappelle à
cet égard que la redevance audiovisuelle acquittée par les foyers britanniques s’élève à 196 euros.
Dans l’Union européenne, en regard d’une redevance moyenne de 161 euros, la redevance française
apparaît toujours très basse.
Ces quelques remarques ne visent qu’à renforcer le premier message de la Cour à propos de
l’économie de la réforme et du financement de la télévision publique :
compte tenu de son coût
pour la collectivité, les bénéfices de la réforme doivent être incontestables.
Nul ne comprendrait que l’Etat dépense plus pour un service inchangé, ou même
simplement amélioré à la marge ! France Télévisions ne dispose plus de la publicité pour
financer des programmes aux coûts croissants de manière « indolore » pour les finances
publiques. La situation de ces dernières exige une rigueur de gestion exemplaire.
Et
l’entreprise n’a pas d’autre choix que de placer cette exigence au coeur de toutes ses activités,
au premier rang desquelles figurent l’information et les achats de programmes
.
J’y viens.
(3 – L’information)
Les rédactions des chaînes publiques sont très jalouses de leur indépendance et ce n’est pas
la Cour – dont l’indépendance contribue elle-aussi au bon fonctionnement de la démocratie – qui le
leur reprochera. L’indépendance éditoriale ne doit pourtant pas empêcher les chaînes, financées sur
fonds publics, de rendre des comptes aux citoyens.
3
Les journaux télévisés et magazines d’information de France 2, France 3 et RFO
représentent un coût annuel de 560 M€. Avec près de 5 000 collaborateurs – dont 2500 journalistes
– au sein des rédactions nationales et régionales des chaînes, l’information mobilise près de la
moitié des effectifs du groupe France Télévisions.
Est-ce trop ? Une opinion rapide pourrait l’affirmer. Mais pour porter un jugement éclairé,
les effectifs et budgets des rédactions ne signifient rien en eux-mêmes : il faut les rapporter aux
objectifs qui leur sont assignés.
Or, des objectifs, il n’y en a pas
. C’est là tout le paradoxe de la
situation : alors que le développement de l’offre privée d’information sur les chaînes historiques,
sur
la
TNT
et
sur
Internet
aurait
dû
conduire
le service public à réfléchir à ses missions et aux moyens qu’il déploie pour les remplir, les
documents stratégiques du groupe restent désespérément flous en la matière.
Quel nombre d’heures d’information dans la grille des programmes ? Quelle place pour
l’actualité internationale par rapport aux sujets de société ? Faut-il privilégier les reportages sur
place ou les commentaires d’images, les magazines exigeants ou les débats s’adressant au plus
grand nombre ?
Plutôt que de chercher à répondre à ces questions, le service public a piloté son offre
d’information selon une logique budgétaire. En clair, les budgets ont été reconduits à l’identique
chaque année et la responsabilité des chefs de service s’est limitée en matière de gestion à éviter les
dérapages. Cela a au moins permis de stabiliser les dépenses consacrées à l’information depuis 2004.
Reste que cette méthode revient à définir l’offre à partir des moyens existants, et non à
adapter ces derniers à une offre préalablement définie.
C’est pourquoi la Cour recommande
que le prochain contrat d’objectifs et de moyens comporte des objectifs précis sur ce que doit
être l’offre d’information
en termes de volumes horaires, de formats, de nombre d’éditions et de
répartition entre les chaînes.
C’est à cette condition que pourront être pilotés les moyens financiers et humains des
rédactions et menés à leur terme les chantiers de réforme actuels.
Je vous en donne un exemple avec la mutualisation des moyens de fabrication de
l’information qui est au coeur des projets en cours. Les exemples passés ont montré que tant que
l’on maintenait des journaux concomitants ou rapprochés, comme le 12-13 de France 3 suivi du
13 heures de France 2, la coordination entre rédactions n’engendrait des économies qu’à la marge.
De même, un journaliste en région de France 3 ne peut préparer simultanément un reportage pour
l’édition régionale et pour l’édition nationale du 19-20.
Dès lors, seule une redéfinition de l’offre d’information permettra de faire travailler
une même équipe de techniciens mais aussi de journalistes, en plateau mais aussi en reportage,
pour plusieurs éditions, nationales ou régionales.
Un autre exemple : la gestion des métiers de l’information. Les compétences et les carrières
des journalistes et des techniciens sont aujourd’hui enserrées dans deux conventions collectives de
1983 et 1984. L’entreprise commune est l’occasion d’une remise à plat de ce régime que la
révolution numérique a rendu obsolète.
Cependant, dans un secteur marqué par une innovation
technologique permanente, le cadre règlementaire n’est pas le seul frein au changement.
Encore faudra-t-il que les cadres dirigeants des rédactions s’emploient, au-delà de leur seule
autorité éditoriale, à faire évoluer l’organisation et les compétences de leurs équipes.
4
Reste un sujet, qui n’est pas le moins délicat : la qualité de l’information. Je vous vois
hausser les sourcils. Rassurez-vous : il ne revient pas à la Cour des comptes de juger ce qu’est un
bon ou un mauvais journal télévisé. En revanche, elle se doit de souligner que ni
France Télévisions, ni le législateur, ni le gouvernement, ni le CSA n’ont entrepris de définir des
objectifs éditoriaux ou des critères de qualité de l’information.
Or, il s’agit d’une composante essentielle de la gestion. Je vais être très concret. Consacrer
10 ou 40 % du temps d’un journal à l’actualité internationale, avoir un correspondant sur place ou
recourir aux agences d’images, produire des reportages originaux ou se contenter d’un débat en
plateau avec des invités sont des choix éditoriaux, mais aussi des choix de gestion qui n’ont pas les
mêmes conséquences financières. Ces éléments sont évidemment connus des directions de
l’information, qui ne réalisent pas leurs journaux à l’aveugle. Mais ils ne sont pas jamais formalisés
pour définir les ambitions de qualité éditoriale et adapter le coût des éditions
en conséquence.
Si le service public entend faire de la qualité de son information une marque de fabrique, il
faut qu’il se mette d’urgence en mesure de la démontrer. Je ne peux que répéter à cet égard ce que
j’évoquais au début de mon propos :
avec une télévision financée exclusivement sur fonds
publics,
la
qualité
ne
pourra
être
ni
présumée,
ni
laissée
à l’appréciation des seuls pairs. Elle devrait résulter d’objectifs clairs, affichés vis-à-vis du
public, et être justifiée par des éléments probants. France Télévisions doit se faire à l’idée
d’une exigence accrue de la part du Parlement et des instances supérieures de contrôle.
(4 – Les achats de programmes)
J’en viens maintenant aux autres programmes, c’est-à-dire aux fictions, aux séries et aux
émissions de variétés ou de divertissement.
En 2005, France Télévisions s’est engagée, sous l’impulsion de son président et dans le
cadre d’une stratégie soutenue par l’Etat, à accroître ses investissements dans les programmes
relevant de la création. Cette stratégie s’est toutefois déployée dans un univers réglementaire déjà
largement favorable au secteur de la production privée indépendante, ce qui a conduit à une
augmentation des prix davantage qu’à une augmentation des volumes. L’effet se lit dans le
renchérissement des cases horaires de ces programmes.
Il en est résulté une concentration des moyens sur les cases jugées stratégiques – les soirées
– au détriment des cases moins privilégiées – typiquement les après-midi. Alors que les
programmes de début de soirée voyaient leur coût augmenter rapidement (+15 % en 3 ans), les
moyens affectés aux autres cases de la journée stagnaient, voire régressaient.
Comme vous le savez, dans le cadre de la réforme, les obligations d’investissement dans les
programmes des chaînes de télévision ont été revues. Elles ont été renforcées pour France
Télévisions et atteindront 20% de son chiffre d’affaire en 2012 au lieu de 18,5% aujourd’hui, alors
que les obligations imposées à TF1 ont été ramenées à 12,5%. Il ne s’agit pas là d’un résumé
polémique,
mais
d’un
simple
constat.
Du
côté
du
service
public,
la
production
indépendante bénéficie désormais d’une double garantie d’investissement, en proportion des
recettes de France Télévisions d’une part, et en valeur absolue d’autre part. Si je voulais employer
une formule familière, je parlerais de ceinture et bretelles…
Ce contexte exige de l’entreprise qu’elle enraye la spirale inflationniste qui caractérise les
achats de programmes, tant en matière de fiction que d’émissions dites « de flux ».
5
A cet effet, il convient de saluer le fait que France Télévisions se soit récemment engagée
dans une démarche d’audit de ses principaux contrats d’achats et de renégociation éclairée de ces
derniers. Il s’agit là de la mise en oeuvre d’une recommandation qu’avait formulée la Cour à
l’occasion de son précédent contrôle, et si j’en crois les chiffres de renégociation à la baisse
évoqués (- 2 à – 5 % dans plusieurs cas à volume horaire constant), j’ai l’impression que
l’entreprise peut s’en féliciter.
Dans le cadre d’une télévision publique financée exclusivement par des ressources publiques,
il est indispensable que l’entreprise consolide cette démarche encore balbutiante, et replace ses
acquisitions dans une politique d’achat au meilleur coût, sans l’interférence d’autres intérêts que les
siens et des téléspectateurs. La Cour formule de vigoureuses recommandations en ce sens, et je note
avec beaucoup d’intérêt que le président de France Télévisions, aussi bien que les ministres chargés
du budget et de l’économie, les ont accueillies favorablement.
(5 – Les conditions de réussite de la réforme)
La capacité de France Télévisions à moderniser la façon dont elle traite l’information et
l’univers des programmes constituera donc l’une des grandes clés de la réforme. Encore une fois,
c’est là qu’il existe des marges de manoeuvres, à la fois pour rétablir les comptes de l’entreprise
mais aussi et surtout pour se moderniser.
La loi du 5 mars 2009 consacre en effet la transformation de la télévision publique en
« média global ». France Télévisions doit désormais offrir ses programmes sur tous les supports de
diffusion – Internet et téléphone mobile aujourd’hui, et que sais-je demain – et s’adapter aux
nouveaux modes de consommation – notamment les programmes à la demande. Qu’on ne s’y
trompe pas, cela n’est pas qu’une question de tuyau : il s’agit d’une modification radicale de l’offre
télévisuelle, ce que les spécialistes appellent la « délinéarisation », et que je me contenterai de
nommer « le passage du menu à la carte ». Cette mutation exigera plusieurs chantiers, des
« réformes à l’intérieur de la réforme ». La Cour formule à cet égard plusieurs recommandations
relatives aux objectifs et à la gouvernance de la télévision publique,
aux chantiers ouverts par la loi
du 5 mars 2009, aux rédactions et aux conditions d’achat des programmes. Toutes sont formulées
dans le souci d’aider l’entreprise, avec l’appui de ses tutelles, à accomplir la transformation voulue
par le législateur et à améliorer l’efficience de ses activités.
Je n’énumèrerai pas ici ces 25 recommandations : vous pourrez en prendre connaissance
dans le rapport lui-même.
Mais je voudrai conclure ce propos en insistant sur trois conditions préalables à la réussite
de la réforme – trois transformations qui doivent intervenir dans le gouvernement de la télévision
publique.
La première, c’est la clarification des objectifs.
Que demande-t-on à la télévision
publique ? Au cours des dernières années, celle-ci s’est vu confier trois missions simultanées qui ne
pouvaient guère être menées de front : diffuser des programmes de qualité différents de la télévision
commerciale ; réaliser l’audience la plus large possible auprès de toutes les catégories de
téléspectateurs ; servir d’agence de financement de la production privée indépendante ; le tout en
s’efforçant de maintenir l’équilibre de ses comptes.
Cette équation n’était pas tenable, et l’entreprise était condamnée à décevoir sur l’un ou
l’autre plan. En 2008, par exemple, c’est clairement l’équilibre des comptes qui a été sacrifié.
6
L’Etat, par la voix de la ministre de la culture et de la communication, n’a pas autorisé France
Télévisions à diminuer ses commandes de programmes aux producteurs indépendants en fonction
de la réduction de ses recettes. Et il a même insisté pour que la « dotation en capital » de 150 M€
versée à l’entreprise soit réinvestie dans la production indépendante, l’assimilant ainsi à du chiffre
d’affaires.
La réforme en cours ne corrige que partiellement cette situation. En l’absence de publicité,
France Télévisions pourra, c’est incontestable, se montrer plus audacieuse en matière de
programmation. Mais l’exposé des motifs de la loi du 5 mars 2009 ainsi que le nouveau cahier des
missions et des charges de l’entreprise continuent de lui assigner comme objectif la réalisation de la
plus large audience globale possible. Comment pourrait-il en aller autrement au regard de son
financement quasi-exclusivement
public ? L’audience n’est plus une condition économique pour
l’entreprise, mais elle devient une condition de l’ « acceptabilité » sociale d’un mode de
financement
reposant
sur
la
redevance
et
le
budget
de
l’Etat.
Il est donc impératif que le contrat d’objectif et de moyens précise davantage ce que l’on attend de
l’entreprise, et ne renonce pas à assortir d’objectifs d’audience les nouvelles missions culturelles de
l’entreprise. A défaut, il sera impossible de juger ses résultats.
Dans le même temps, son rôle d’agence de financement de la production privée est
demeuré inchangé, avec même des obligations d’investissement accrues. Il s’agit là d’une
confusion des rôles. France Télévisions, dont le métier est celui d’un éditeur et d’un diffuseur
de programme, doit pouvoir l’exercer comme un investisseur avisé : c’est la raison pour
laquelle la Cour recommande que les obligations d’investissement dans les programmes soient
exprimées en volumes horaires, et non en volumes financiers.
Chacun en comprendra les enjeux.
France Télévisions doit pouvoir négocier ses prix en fonction de sa stratégie et de ses priorités, et
non pas « garantir » coûte que coûte du chiffre d’affaires à un secteur économique.
La deuxième condition du succès, c’est la stabilité : « Il faut laisser du temps au
temps ».
France Télévisions est aujourd’hui engagée dans un processus de réforme socialement et
économiquement lourd, qui requiert plus que jamais la constance stratégique qui lui a fait jusqu’ici
défaut. Depuis 2004, la durée de vie des documents stratégiques n’a pas dépassé quelques mois :
report de la TNT et abandon du projet de chaîne d’information continue sitôt le premier contrat
signé en 2004, changement de président et virage éditorial en 2005, signature d’un nouveau contrat
en mai 2007, projet d’entreprise unique deux mois plus tard, et finalement annonce d’une grande
réforme par le Président de la République le 8 janvier 2008... Aucune entreprise ne peut fonctionner
sur un tel rythme,
a fortiori
quand elle doit mener des transformations internes d’une telle ampleur.
A France Télévisions, maintenant, de passer à la mise en oeuvre, sans nouveau changement de cap
des pouvoirs publics.
La troisième condition du succès, corollaire de la précédente, c’est le soutien de l’Etat
aux réformes qu’il a lui-même suscitées
. L’entreprise et son actionnaire se sont engagés sur un
plan d’affaires qui court jusqu’à 2012, et qui prévoit un certain nombre de chantiers dont je viens de
dire qu’ils étaient particulièrement sensibles. Les exemples sont nombreux :
-
La construction de l’entreprise commune, et notamment la renégociation des
accords sociaux : la Cour recommande à cet égard de privilégier un accord unique plutôt
qu’une série d’accords catégoriels, comme les journalistes du groupe en font la demande.
-
Le rapprochement des rédactions nationales ;
-
La rationalisation du réseau régional ;
-
L’évolution des chaînes de RFO avec l’arrivée de la TNT outre-mer ;
7
8
-
La mise en place d’un cadre de négociation plus rigoureux avec les
producteurs indépendants…
Disons les choses franchement : chacun de ces chantiers donnera lieu à contestations, et
peut-être à conflits. Malgré cela, France Télévisions n’aura pas d’autre choix que de les engager et
les mettre en oeuvre.
Dès lors, si les pouvoirs publics devaient se désolidariser de l’entreprise en lui refusant leur
soutien, s’ils devaient manquer à leurs engagements en ne respectant pas les termes du plan
d’affaires sur la base duquel France Télévisions s’est mise en ordre de marche, c’est la réforme elle-
même qui serait compromise.
*
Voilà, après l’énoncé de ces trois conditions du succès, il ne me reste qu’à vous inviter à
prendre connaissance du rapport de la Cour et de ses recommandations. Je crois pouvoir dire qu’il
constitue à la fois un document de référence sur les principes, les objectifs et les mécanismes qui
ont gouverné le service public audiovisuel de 2004 à aujourd’hui, et un « guide utile » (selon les
termes de madame la ministre de l’économie) pour la construction de cette « nouvelle télévision
publique ».
Je vous remercie.