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Présentation à la presse du rapport sur la protection de l’enfance
Intervention de M. Philippe Séguin,
Premier président de la Cour des comptes
Jeudi 1er octobre 2009
Mesdames, Messieurs,
Il me revient avant tout l’agréable devoir de vous souhaiter la bienvenue à la Cour.
Nous sommes réunis pour la présentation du dernier rapport public thématique en date de la
Cour, consacré à la protection de l’enfance, sujet que l’actualité remet malheureusement
périodiquement sur le devant de la scène.
On entend par « protection de l’enfance » les mesures éducatives qui peuvent être proposées
ou imposées aux familles lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur, son éducation ou
son développement sont en danger. Il faut la distinguer de la prévention de la délinquance ou de
toute action qui ne suppose pas une immixtion dans la vie des familles.
En 2007, ce sont environ 300 000 jeunes qui ont bénéficié de cette protection, une moitié
faisant l’objet d’une mesure de placement en dehors de leurs familles et l’autre bénéficiant
simplement d’actions éducatives.
Ces mesures s’inscrivent dans un cadre institutionnel et une organisation complexes.
Politique désormais décentralisée et financée majoritairement par les départements (pour plus de 5
milliards d’euros), la protection de l’enfance implique également l’Etat, les juges des enfants et les
associations. Depuis les lois de décentralisation, les mesures administratives prises avec l’accord
des parents relèvent ainsi entièrement des départements mais lorsqu’il n’y pas l’accord des parents,
il faut une intervention du juge.
Notre enquête a donc été menée sur plusieurs fronts et le rapport que vous avez entre les
mains résulte d’un travail conduit en commun avec les chambres régionales des comptes dans 17
départements, 18 tribunaux de grande instance, 8 cours d’appel, 5 services départementaux de la
Protection judiciaire de la jeunesse et plusieurs associations.
Il faut rappeler, avant de présenter les principales conclusions de ce rapport, que la loi du 5
mars 2007 réformant la protection de l’enfance a, pour la première fois, défini clairement les
objectifs et le champ de cette politique. Elle a mis l’accent sur la prévention, affirmé le rôle central
du département et élargi les modes de prise en charge des enfants. Un peu plus de deux ans après
l’entrée en vigueur de cette loi, nous avons souhaité dresser un premier état des lieux.
La première difficulté que nous avons constatée est liée au recueil et au traitement des
informations
.
Alors que les départements sont désormais les acteurs principaux de la protection de
l’enfance, les informations concernant des enfants en danger ne leur parviennent pas
systématiquement, notamment parfois celles connues des médecins ou de l’Education nationale.
Il faut ajouter à cela que faute de tableaux de bord adaptés, les départements ne sont pas à
même d’évaluer la rapidité et l’efficacité des procédures mises en place pour protéger les enfants.
Nous avons ensuite constaté un paradoxe concernant la répartition des rôles entre les
départements et les juges pour enfants. La coexistence de deux autorités décisionnelles n’est certes
pas spécifique à la France mais la loi du 5 mars 2007 a réaffirmé le principe de la subsidiarité de la
protection
judiciaire
. Or, c’est le contraire d’une logique de subsidiarité que l’on constate dans les
faits : les juges ordonnent en effet 82 % des mesures et leur intervention a eu tendance à augmenter
jusqu’en 2007. Le principe légal de subsidiarité bute en réalité sur l’insuffisante affirmation du rôle
du département. En d’autres termes, de nombreux cas qui pourraient et devraient être traités par le
département sont traités par le juge.
La deuxième difficulté est plus directement liée à l’offre de prise en charge.
Cette prise en charge peut être de deux types : en milieu ouvert ou en structure
d’hébergement. Dans les deux cas, nous avons constaté au cours de nos contrôles que l’offre évolue
trop peu et trop lentement.
Globalement, la répartition des mesures entre aides à domicile et placements varie peu : le
nombre d’enfants accueillis en structures d’hébergement reste supérieur à celui des enfants
bénéficiant d’une mesure de milieu ouvert, en dépit d’un léger resserrement de l’écart.
On note également que les formules intermédiaires qui permettent l’accueil ponctuel d’un
enfant hors de sa famille sans pour autant le sortir complètement de son milieu familial ne se sont
malheureusement que peu développées, alors qu’elles ont l’avantage d’éviter les ruptures trop
brutales.
Cette situation est en partie due au fait que la plupart des départements prennent appui sur
des structures –des associations notamment- qui disposent d’une grande légitimité du fait de leur
enracinement historique. Ils leur octroient des financements en les reconduisant d’année en année,
trop souvent sans les remettre en cause ou les adapter aux différences de prestations constatées entre
les établissements. Enfin, la pratique de l’appel à projet qui pourrait faire naître de nouveaux projets
plus innovants et plus adaptés aux besoins des enfants est très rare.
L’offre est donc rigide et souvent on a l’impression que c’est elle qui conditionne les
décisions plutôt que l’analyse des besoins réels des enfants.
Par ailleurs, la qualité des prises en charge est trop peu contrôlée.
A domicile, les actions éducatives se traduisent par des aides financières ou par
l’intervention d’un travailleur social auprès des familles. Notre enquête a montré que, bien souvent,
ces mesures constituent une forme de soutien épisodique dont personne ne cherche à mesurer
l’efficacité. Pour quantifier le temps passé auprès des enfants, le principal indicateur est indirect : il
s’agit du nombre de mesures prises en charge par travailleur social. Dans les départements que nous
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avons contrôlés, il est compris entre 30 et 40 mesures par éducateur. Le suivi du temps passé auprès
des enfants, qui permettrait de connaître l’intensité des mesures d’action éducative, est rarement
effectué. De surcroît, la définition du contenu de l’intervention des travailleurs sociaux n’est pas
toujours bien formalisée et bien encadrée. En bref, on connaît mal le contenu et surtout l’efficacité
des mesures entreprises en milieu ouvert.
Les enfants peuvent également être accueillis par une autre famille. Des progrès ont été
constatés en la matière : en contrepartie d’exigences accrues en matière d’agrément et de formation,
la rémunération des assistants familiaux a été augmentée. Mais malgré cet effort, les départements
sont confrontés à des difficultés de recrutement, notamment dans les départements urbains. Parfois,
les profils d’assistants familiaux sont mal adaptés aux besoins des enfants confiés tandis que les
dispositifs de soutien, d’écoute et d’accompagnement pour les aider dans leur mission tardent à se
généraliser.
Quant aux établissements d’accueil, nous n’avons pu que constater la faiblesse des contrôles
assurés par les pouvoirs publics. Les rares contrôles exercés par l’Etat restent centrés sur le secteur
public et peu sur le secteur associatif qui est pourtant devenu l’acteur majeur. Nous avons constaté
qu’au rythme actuel, un établissement du secteur associatif est contrôlé par l’Etat en moyenne tous
les 26 ans ! Pour dire les choses plus simplement, personne ne contrôle quoi que ce soit. Ceci laisse
présager une grande hétérogénéité dans la qualité de la prise en charge.
Il faut ajouter à cela qu’un certain nombre d’enfants qui souffrent aussi de pathologies
particulières ne trouvent pas de place en établissement. C’est là une faille majeure dans le système
et l’on peut regretter que ces refus d’admission ne soient pas plus systématiquement recensés, ce qui
permettrait de mieux analyser les besoins et de mieux y répondre.
Enfin, de toutes les insuffisances de l’Etat relevées par l’enquête, la plus préoccupante
concerne l’exécution des décisions de justice. L’Etat n’est pas organisé pour contrôler l’exécution
des mesures qu’il ordonne, sauf dans les cas peu fréquents où elles sont confiées aux services de la
protection judiciaire de la jeunesse. Pourtant, la Cour a relevé des situations difficiles qui se
traduisent par des délais très excessifs dans l’exécution des décisions de justice, qui tiennent
souvent
à l’absence de dialogue avec les partenaires, mais aussi à l’absence de moyen de régulation
pour imposer une prise en charge.
Au final, on constate que le parcours des enfants protégés est souvent long et chaotique. Les
enfants, déjà fragilisés, subissent donc, de surcroit, les effets des défauts d’organisation de la prise
en charge. Ils sont ainsi souvent ballotés d’institution en institution et dans certains cas, faute de
solution adaptée, ils sont remis à leurs familles ou parfois même hébergés à l’hôtel. A Paris, fin
2006, 65 jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance étaient hébergés à l’hôtel !
Vous le voyez, le tableau n’est pas satisfaisant (vous reconnaîtrez là une de ces litotes
que la Cour affectionne).
Nous ne préconisons pas pour autant une remise en cause du système mais d’abord une
clarification du rôle de chacun.
Il faut trouver un nouvel élan et une vraie synergie entre l’Etat et les départements. En
d’autres termes, il faut faire vivre autrement le lien entre l’Etat et les départements.
Tout d’abord, les
départements
doivent assurer leur rôle central en définissant plus
précisément les axes de leur politique et en l’imposant aux partenaires associatifs par le biais des
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agréments et de conventions. Il faut qu’ils se saisissent de leur rôle, en pesant notamment sur l’offre
d’accueil pour la faire évoluer. Il ne tient qu’à eux de revoir les autorisations trop anciennes, de
revoir l’allocation des moyens entre établissements
et de mieux contrôler la qualité de la prise en
charge.
Deuxièmement,
toutes les professions au contact des jeunes
doivent se mobiliser et faire
converger les informations dont elles disposent vers le Conseil général. A cet égard, la notion
« d’information préoccupante » devrait être précisée.
Il ne s’agit pas de lui donner une définition
rigide et exclusive, chaque situation étant particulière, mais de préciser certains « cas types » pour
bien sensibiliser les personnels en contact avec les enfants, notamment dans le milieu médical et
dans le système éducatif.
Ensuite, un meilleur équilibre entre décisions judiciaires et décisions administratives doit
être trouvé. Les
parquets
doivent notamment jouer le rôle de filtre que leur attribue la loi pour
éviter les saisines abusives de l’ordre judiciaire.
Enfin,
l’Etat et les départements
doivent ensemble animer la politique d’évaluation en
soutenant l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned) créé par la loi du 2 janvier 2004.
Il faut reconnaître que les personnels chargés de l’enfance s’impliquent énormément en
faveur des enfants. Mais quelle que soit la confiance qu’on place en eux, il est nécessaire de
procéder à des contrôles et d’évaluer les résultats. Il est impératif que l’Etat et les départements
s’attèlent au développement des outils à cet effet.
La nature exacte des mesures de prévention ou d’aide à domicile est trop souvent laissée à
l’appréciation des associations qui les exécutent. Leur contenu devrait être défini au préalable avec
beaucoup de soin, sur la base de référentiels types.
Un effort spécifique doit être entrepris au bénéfice des enfants placés qui ont besoin d’autres
types de soutien parce qu’ils rencontrent des difficultés psychologiques ou souffrent de handicaps.
Par ailleurs, le délai d’exécution des mesures (de placement comme d’aide en milieu ouvert)
devrait être suivi, raccourci et, au besoin, imposé.
Enfin, il faut veiller à ce que les parcours des enfants placés soient mieux organisés pour
éviter les ruptures.
En bref, une question doit rester au centre de toute cette politique
celle du devenir de
l’enfant et de l’efficacité de la réponse apportée. Sans cela, on risque simplement d’ajouter à ses
difficultés une forme de maltraitance institutionnelle.
Voici donc les principales conclusions de notre rapport. Vous avez sans doute des questions.
Je me tiens bien entendu à votre disposition pour y répondre, avec Mme Claire Bazy Malaurie,
rapporteur général, M. Bertrand Schwerer, président de la Chambre régionale des comptes Provence
Alpes Côte d’Azur et ….