PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT PUBLIC SUR LA TRANSITION
ÉCOLOGIQUE
Mercredi 16 septembre 2025 – 9h45
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Je vous remercie de votre présence à cette conférence de presse.
Aujourd’hui est un jour important
à double titre : d’abord, c’est la date anniversaire de la Cour, créée le 16 septembre 1807. Ensuite, et
notamment pour cette raison, nous avons décidé de publier aujourd’hui le premier rapport annuel
des juridictions financières consacré à la transition écologique. Lors de la présentation de notre
rapport public annuel de 2024, qui portait sur l’adaptation au changement climatique, je m’étais
engagé à ce que la Cour, pour répondre aux attentes des citoyens et du Parlement, publie une
première édition d’un rapport annuel d’ensemble sur la transition écologique. C’était un pari
ambitieux compte tenu de l’ampleur du sujet ; c’est désormais un pari tenu.
Pourquoi avoir souhaité que la Cour se penche, chaque année, sur les politiques de transition
écologique ?
Il suffit de voir les événements de cet été, sans même avoir à revenir plusieurs mois en
arrière, qui nous ont rappelé une fois de plus la nécessité d’agir, et d’agir vite : la canicule précoce de
juin a généré une surmortalité estimée à 5,5 %, des milliers de passages supplémentaires aux
urgences et des coûts économiques évalués à 0,3 % du PIB par les assureurs ; en parallèle, les forêts,
qui permettent de stocker le carbone atmosphérique et jouent un rôle fondamental dans le cycle de
l’eau, ont été gravement fragilisées par les incendies et la sécheresse.
Les groupes d’experts internationaux, le GIEC pour le climat et l’IPBES pour la biodiversité, nous
ont alerté de longue date sur l’ampleur et la rapidité de cette dégradation continue de notre
environnement
. Ils appellent à des transformations profondes et coordonnées, pour protéger nos
conditions de vie, la santé publique et l’activité économique.
Aujourd’hui, comme le disait Montesquieu, «
ce n’est pas les médecins qui nous manquent, c’est la
médecine
».
Les analyses scientifiques diagnostiquent sans ambiguïté l’origine de ces dégradations ;
il est désormais indispensable que la Cour des comptes, dont le rôle est d’éclairer le citoyen et
d’accompagner le décideur public, analyse la pertinence et l’efficacité du traitement, c’est-à-dire des
politiques publiques de transition écologique. Car il est vital de répondre à l’urgence écologique, non
seulement pour nous adapter au changement climatique, mais aussi pour le limiter, en diminuant
nos émissions de gaz à effet de serre, en contenant l’érosion de la biodiversité et la raréfaction des
ressources qui se déroulent sous nos yeux.
Cette action doit être vigoureuse ; elle doit aussi, bien entendu, tenir compte de la situation
dégradée de nos finances publiques
. Mais faisons en sorte qu’elle en pâtisse le moins possible, car
elle est indispensable pour protéger nos sociétés. Maîtrise budgétaire, développement économique
et transition écologique ne sont pas antinomiques, j’y reviendrai.
Au-delà de ces éléments connus de tous, pourquoi l’aborder sous la forme d’un rapport
ad hoc
?
Vous le savez, ce rapport est loin d’être la première publication des juridictions financières sur la
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transition écologique. Nous avons investi depuis plusieurs années ce champ très large des politiques
publiques, qui englobe l’atténuation du changement climatique, l’adaptation à ce changement,
l’utilisation durable et la protection des ressources en eau, la transition vers une économie circulaire,
la prévention et la réduction des pollutions, ou encore la protection et la restauration de la
biodiversité et des écosystèmes. Nombreux sont nos travaux dans ce domaine : je pourrais citer par
exemple le rapport public annuel l’adaptation au changement climatique, que j’ai déjà évoqué, mais
aussi par exemple notre rapport sur le
budget vert
de l’État, notre évaluation de politiques publiques
sur le soutien au biogaz, nos travaux sur les mobilités durables, sur le trait de côte ou encore sur le
traitement des déchets… Plus largement, la transition écologique est devenue un prisme qui irrigue
l’ensemble de nos travaux, y compris les contrôles classiques des comptes et de la gestion.
En réalité, il est logique que les enjeux de transition écologique soient un sujet d’attention
croissante de la part des magistrats financiers : parce qu’ils représentent des budgets très
importants évidemment, mais aussi parce qu’ils ont des impacts croisés sur de nombreuses
politiques publiques.
Cet investissement des juridictions financières dans la transition écologique a
d’ailleurs été reconnu par le législateur : le Parlement a souhaité confier à la Cour des comptes la
mission d’évaluer chaque année la mise en oeuvre des mesures de la loi Climat et résilience de 2021.
Ce rapport s’inscrit aussi, et surtout, dans le rôle de tiers de confiance de la Cour.
Nous devons
contribuer au travail d’objectivation et d’explication sur la transition écologique, qui est par
définition un enjeu très complexe, d’autant que les débats autour de sa définition et de sa nécessité
sont plus ou moins éclairés, et qu’ils ne sont que trop rarement sereins ou documentés. Il est vrai
que la profusion de lois, de stratégies, de plans, dont les sources sont internationales, européennes
ou strictement nationales, n’aident pas à rendre intelligible le cadre des politiques de transition.
La première valeur ajoutée de cette publication, c’est de mettre en valeur les travaux de
juridictions financières sur la transition écologique dans un rapport unique.
Il doit donner une
cohérence à l’ensemble et mettre en perspective nos observations. Il doit mettre en exergue des
situations similaires dans divers territoires, identifier certaines évolutions générales, des bonnes
pratiques ou à l’inverse des insuffisances fréquentes.
Mais ce rapport a une seconde valeur ajoutée, la plus importante.
L’équipe a mené une instruction
sur quatre enjeux névralgiques, qui sont communs à toutes les politiques de transition écologique : la
gouvernance, les résultats, le financement et les leviers mobilisés. Rien que ça !
Chacun de ces enjeux est crucial
. Le
pilotage
de la transition n’est pas une entreprise facile, c’est le
moins que l’on puisse dire. Le terme de gouvernance est parfois galvaudé, mais il a une importance
particulière ici, compte tenu des interférences entre chaque composante de la transition écologique
d’une part, et entre celle-ci et l’ensemble de nos activités économiques et sociales, d’autre part. Les
résultats
de la France ont été appréciés au regard de ses engagements internationaux sur tous les
volets de la transition écologique. Nos indicateurs sont « empruntés » aux spécialistes du climat, de
la biodiversité ou de la santé, puisque la Cour n’est pas spécialiste de ces questions évidemment. Sur
l’effort financier
que représente la transition écologique et le lien entre les financements et leurs
résultats, nous nous sommes posés plusieurs questions : l’État met-il suffisamment de moyens pour
atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés ? En met-il trop, dans un contexte budgétaire
particulièrement contraint ? Pour les
leviers mobilisés
, nous avons analysé les financements, sous
toutes leurs formes, mais aussi les autres leviers d’action – la réglementation, la fiscalité, la sobriété
des usages, la programmation des dépenses. Et tout cela au niveau national, grâce aux contrôles de
la Cour, mais également au niveau local, grâce aux travaux conduits au sein des chambres régionales
des comptes. Le citoyen doit pouvoir comprendre ce qui se joue sur ces questions ; aussi bien au
sommet de l’État que dans sa région, dans son département, dans sa commune.
La grille d’analyse que je viens de vous présenter – résultats, gouvernance, financement, leviers –
vaudra pour les éditions des prochaines années.
Vous le voyez, ce rapport est au coeur des métiers
des juridictions financières, dans leurs missions de contrôle des exécutifs, d’évaluation des politiques
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publiques et de sincérité des comptes. Il est complémentaire des autres travaux majeurs, parmi
lesquels le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat.
*
J’en arrive aux principaux messages que nous tirons de ce premier rapport annuel sur la transition
écologique.
Le premier message est le suivant : même si la transition écologique est engagée, les résultats
constatés sont encore très en-deçà des objectifs et des enjeux. Ils nécessitent un pilotage renforcé.
Vous le savez, la France s’est engagée à réduire ses émissions carbone, ses pollutions et ses
déchets, et à protéger la biodiversité et la ressource en eau.
Sur ces différents points, des progrès
sensibles ont été enregistrés : les émissions de gaz à effet de serre ont baissé de plus de 30 % depuis
1990 ; la qualité de l’air s’est améliorée dans certaines zones du territoire ; des politiques
structurantes ont été mises en place pour l’eau et les déchets. Mais ces résultats restent fragiles ;
surtout, le rythme et l’ampleur de mise en
œ
uvre restent insuffisants pour atteindre les objectifs
fixés.
D’abord, le rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre a ralenti ces derniers mois.
L’atteinte de la neutralité carbone en 2050 apparaît incertaine, d’autant plus que les capacités
d’absorption des puits de carbone, comme la biomasse forestière et non forestière, diminuent. En
réalité, l’empreinte carbone totale de la France reste élevée, surtout si l’on prend en compte nos
émissions « importées ». Or, celles-ci sont en progression depuis 1990.
En parallèle, le déclin de la biodiversité s’accélère
. À titre d’exemple sur ce point, l’un des
indicateurs les plus robustes qui existent est le taux d’abondance des populations d’oiseaux
communs de l’Hexagone. Or, cet indicateur met en évidence une baisse de 31 % des populations
d’oiseaux entre 1989 et 2023, et jusqu’à 44 % pour les espèces des milieux agricoles et bâtis.
En outre, l’adaptation au changement climatique, c’est-à-dire les politiques publiques qui
préparent et protègent les populations, l’environnement et les infrastructures des effets du
changement climatique, accuse un retard préoccupant.
Pourtant, les effets du changement
climatique se renforcent.
Face à ces constats, la Cour recommande de prendre des mesures correctrices.
Ce que nous
relevons, c’est que les politiques mises en
œ
uvre sont nombreuses et ambitieuses, mais qu’elles
restent dispersées, sectorielles, peu articulées entre elles. Ni les indicateurs de suivi de ces politiques
publiques, ni leurs démarches d’évaluation, ne suffisent. Ils ne permettent pas toujours de vérifier
que la trajectoire que nous suivons est conforme aux objectifs annoncés. Nous déplorons aussi, pour
plusieurs politiques publiques de la transition écologique, l’absence de coordination voire des
approches divergentes entre les acteurs.
Le pilotage des politiques de transition écologique est donc largement perfectible pour atteindre
nos objectifs.
Pour ce qui est de la décarbonation, la Cour recommande de fixer des objectifs de
réduction de
l’empreinte carbone,
c’est-à-dire des émissions de gaz à effet de serre liées à la
consommation
des Français. Cet indicateur permettrait d’inclure les émissions liées aux biens
importés. Permettez-moi d’illustrer très concrètement ce que cela changerait en termes d’ambitions
écologiques : l’empreinte carbone moyenne des Français est évaluée à 9,5 tonnes d’équivalent CO2
par habitant. Par contraste, l’indicateur des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire, qui est
l’indicateur de la stratégie nationale bas carbone, est évalué à 5,9 tonnes par personne. Par ailleurs,
avec la désindustrialisation de notre économie, notre empreinte carbone a augmenté ces dernières
années, malgré une légère diminution en 2024 ; à l’inverse, les émissions de gaz à effet de serre sur
le territoire diminuent depuis plusieurs années. Il faut donc utiliser des indicateurs à la hauteur de
nos ambitions.
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En termes de gouvernance également, la structure actuelle doit être renforcée et consolidée.
Pour
renforcer l’efficacité et la cohérence des politiques publiques de transition, les administrations et les
collectivités se sont mobilisées, notre rapport le souligne. Depuis 2022, la France a par ailleurs fait le
choix d’un mode de gouvernance original, avec
le Secrétariat général à la planification écologique
(SGPE)
, placé auprès du Premier ministre. Aucun autre pays ne dispose d’une telle structure
interministérielle. Le SGPE a déjà permis de produire une feuille de route bas-carbone et de
coordonner l’action de l’État.
Mais cette institution est jeune, et la Cour recommande que son action soit confortée.
Depuis
plusieurs mois, la préoccupation écologique semble être passée au second plan de l’actualité, du fait
d’autres priorités internationales ou budgétaires. C’est dans ce contexte que la position du SGPE a
été fragilisée et son influence sur la prise de décisions réduite. La Cour préconise qu’il retrouve sa
double capacité de mise en cohérence et d’impulsion. Les arbitrages interministériels doivent
s’appuyer sur des propositions et des scénarios solides, y compris dans la définition d’une stratégie
pluriannuelle de financements. Et le SGPE a montré qu’il pouvait jouer ce rôle. Il doit donc conserver
une pleine capacité d’aide à la décision, de suivi et d’impulsion du Gouvernement. Nous
recommandons qu’il demeure une structure légère placée auprès du Premier ministre ; mais qu’il
reste le
garant
de l’intégration des objectifs de transition écologique dans toutes les politiques
publiques.
D’abord, il faut planifier de manière cohérente et concertée avec, et dans, les territoires.
En matière de transition écologique, les actions de l’État au plan national comptent pour
beaucoup, mais l’action publique territoriale est également essentielle.
Les collectivités territoriales
interviennent dans des domaines clés de la transition écologique : l’eau, l’urbanisme, la mobilité, la
gestion des déchets, le logement, la biodiversité. Elles sont aussi au premier rang pour décider des
actions les plus pertinentes pour adapter leur territoire au changement climatique, par exemple. À
travers leurs compétences, elles peuvent – ou non – traduire dans la réalité quotidienne des
habitants les grands objectifs nationaux et européens de la transition écologique. Cette approche,
pour être efficace, suppose de la coordination et de la cohérence. Par exemple, les instruments de
planification – et ils sont nombreux ! – doivent être articulés entre eux, et les financements doivent
être suivis et évalués avec rigueur. De nombreuses régions se sont déjà saisies de cet enjeu en
élaborant des stratégies transversales.
Parallèlement à ces dynamiques locales, depuis dix ans, le cadre législatif a clarifié les
responsabilités de chaque niveau de collectivité
. Les régions, qui sont je le rappelle les cheffes de
file en matière de climat et de biodiversité, doivent établir des schémas régionaux d’aménagement
et de développement durable (les « SRADDET » en jargon administratif). Ces schémas doivent
intégrer les orientations nationales, comme la stratégie nationale bas carbone ou le plan
d’adaptation
au
changement
climatique.
Ils
donnent
la
cohérence
nécessaire
aux
plans
infrarégionaux,
comme
les
«
plans
climat-air-énergie
territoriaux
»,
élaborés
par
les
intercommunalités de plus de 20 000 habitants. Ces plans, soumis à l’avis du préfet et de la région,
comportent une stratégie, un programme d’actions et un dispositif de suivi ; et ils doivent être pris
en compte dans les documents d’urbanisme.
Mais l’articulation entre ces différents niveaux reste imparfaite
. Par exemple, nous avons relevé des
divergences d’approche dans la gestion du trait de côte ; ces divergences fragilisent les politiques de
prévention des risques littoraux. Autre exemple : en Corse, l’absence de plan régional de prévention
et de gestion des déchets a conduit à des surcoûts très élevés pour les intercommunalités, qui
atteignent jusqu’à 80 % de leurs dépenses de fonctionnement. Ces exemples illustrent combien le
défaut de coordination et de pilotage peut renchérir le coût de la transition écologique, et retarder
sa mise en
œ
uvre.
Dans ce contexte, les conférences des parties régionales – les COP régionales – ont été lancées en
2023.
Elles doivent associer l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration des feuilles de route
territoriales. Mais la première édition de ce dispositif a été menée dans des délais très contraints, et
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elle a souvent été perçue comme descendante insuffisamment articulée avec les diagnostics et
stratégies déjà engagés. Malgré tout, les feuilles de route issues de ces COP régionales constituent
une base, qu’il faudra consolider et rendre opérationnelle. Leur efficacité dépendra de leur
articulation avec les autres instruments existants, en particulier les plans climat-air-énergie et les
contrats pour la réussite de la transition écologique. Car nous soulignons une chose : la
contractualisation doit devenir le vecteur privilégié de convergence entre les objectifs nationaux et
les projets locaux.
Pour être objective et partagée, cette « territorialisation » de la planification écologique doit
s’appuyer sur des données.
Pour ce faire, il faut également faire des progrès pour rapprocher les
données financières et les données physiques des politiques de transition – par exemple le
kilométrage de haies plantées ou les tonnes de CO2 évitées – et pour partager ces données avec les
collectivités. La Cour recommande donc de consolider la feuille de route « numérique et données »
du SGPE.
Ensuite, la planification territoriale doit se doter d’outils
financiers
pluriannuels.
Les plans
pluriannuels d’investissement des intercommunalités, par exemple, pourraient être mobilisés. Ils
devraient donner une visibilité sur les engagements financiers locaux, en les articulant avec plans
climat-air-énergie, les contrats pour la réussite de la transition écologique, et les feuilles de route
régionales. Les élections municipales de 2026 offriront l’occasion d’inscrire les priorités de la
transition écologique, dans les programmes d’investissement du mandat 2026-2031. Il faut
rechercher une cohérence financière, qui associe les ressources propres des collectivités, les
dotations de l’État et les financements européens. C’est indispensable pour mobiliser durablement
les acteurs et tenir les objectifs fixés à l’horizon 2030.
Ces objectifs ont un coût important, j’y reviendrai dans quelques instants, et ils doivent être
partagés entre acteurs publics et privés.
Or, un investisseur privé s’engagera dans la transition
écologique, s’il n’y est pas obligé réglementairement, à deux conditions : s’il dispose de ressources
pour le faire, et si l’investissement est rentable pour lui. En tout état de cause, il sera bien plus facile
d’entreprendre cet effort supplémentaire si l’on sait où l’on va et à quel rythme ; si la répartition des
coûts est explicitée et qu’elle apparaît juste ; et si les leviers publics sont mobilisés avec efficacité,
sans gaspillage de l’argent public.
Cela me mène au troisième message de notre rapport : les leviers d’action à mobiliser pour la
transition écologique devraient suivre une doctrine d’emploi mieux définie.
Les leviers d’action des pouvoirs publics, pour imposer ou encourager des mesures de sobriété ou
des changements de comportements, sont multiples.
Le premier levier, c’est la réglementation. Par
exemple, le décret de 2019 dit
EcoEnergie Tertiaire
fixe des objectifs ambitieux de réduction de la
consommation énergétique des bâtiments tertiaires, publics et privés ; et il impose donc
indirectement des investissements en faveur de leur rénovation énergétique.
La fiscalité constitue un second levier, notamment la fiscalité de l’énergie
. Un rapport récent de la
Cour a montré l’importance de cet outil, dans l’atteinte des objectifs de décarbonation et dans la
complémentarité avec les autres outils de politique publique. Le troisième levier, c’est la fixation
d’un prix, qui prendrait en compte le principe pollueur-payeur. C’est déjà le cas par exemple pour
l’eau, les déchets ou le carbone.
Enfin, il faut également être attentif à la qualité de la dépense publique mobilisée.
Par exemple, il
est crucial de réduire les dépenses publiques dommageables, telles que les niches fiscales favorables
aux énergies fossiles. Pourtant, cette réduction semble aujourd’hui au point mort.
La transition écologique impose de mobiliser et d’articuler ces instruments de manière cohérente,
d’en renforcer l’efficacité et de rechercher l’efficience.
Cela nécessite de combiner exigences
réglementaires et incitations économiques. Les juridictions financières ont montré, dans leurs
contrôles récents, que certaines mesures de sobriété mises en oeuvre par les collectivités avaient
permis de réduire les consommations énergétiques avec un coût limité. C’est le cas de la diminution
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des plages d’éclairage public, du remplacement des ampoules par des LED, de la baisse de la
température dans les bâtiments, de l’installation de panneaux photovoltaïques sur les bâtiments
publics, etc. Prises isolément, ces mesures peuvent sembler dérisoires. Mais à l’échelle du territoire
national, c’est une vraie économie énergétique, qui répond aux obligations réglementaires. Et à
l’échelle locale, ces mesures, permettent de contenir voire de diminuer les dépenses de
fonctionnement des collectivités, comme nous l’avons montré dans de nombreux rapports.
Dans le choix des leviers à mobiliser, une vigilance particulière doit être portée aux ménages.
Ils
supportent une large part des investissements dans la rénovation des bâtiments et la décarbonation
de la mobilité. Mais faut absolument tenir compte des capacités de financement de chacun, en
particulier 12 des ménages modestes : ces derniers sont souvent confrontés à un reste à charge trop
élevé malgré les aides existantes.
C’est pourquoi nous recommandons d’évaluer la capacité de financement des ménages en matière
de transition écologique, en fonction de leur revenu et de leur épargne disponible
. Pour ce faire,
l’État doit mieux mesurer les restes à charge ou les disparités territoriales. En parallèle, l’État doit
aussi choisir les mécanismes de soutien publics les plus efficaces, et les moins coûteux pour la
collectivité publique.
Le quatrième et dernier enseignement de ce rapport sur la transition écologique est aussi le plus
important : il est
indispensable
et
urgent
d’agir.
Ce que j’aimerais souligner devant vous est simple : même si le montant des investissements
nécessaires impressionne, il reste bien inférieur à ce que nous coûterait la poursuite des politiques
présentes.
Les transformations anthropiques du climat et de l’environnement engendrent déjà des
coûts considérables pour nos sociétés. Ces charges sont souvent désignées sous l’expression de «
coûts de l’inaction » ; et leurs montants dépassent, selon toutes les études disponibles, les montants
consacrés aujourd’hui et demain au financement de la transition écologique. Dans son rapport sur la
stabilité financière de juin 2025, la Banque de France estime qu’un scénario de politiques climatiques
constantes entraînerait à l’horizon 2050 une perte de 11,4 points de PIB pour la France, par rapport à
un scénario sans changement climatique. À l’inverse, des politiques qui visent la neutralité carbone
permettraient de limiter cette perte à 6,5 points, incluant le coût de la transition.
Les travaux du réseau des banques centrales pour le verdissement du système financier (NGFS)
convergent :
dans tous les scénarios étudiés, la transition est nettement moins coûteuse que
l’inaction.
Ces évaluations macroéconomiques confirment une évidence : plus l’action est différée, plus la
facture s’alourdit
. Reporter les investissements ne fait qu’augmenter la dette environnementale et
sociale. L’exemple de la hausse des prix des hydrocarbures entre 2022 et 2024 est éclairant : elle a
majoré de 22 milliards d’euros nets par an la facture française d’importation d’énergie, et elle a
conduit l’État à dépenser 19,6 milliards d’euros pour financer un bouclier tarifaire sur les énergies
fossiles. Ces sommes considérables n’ont produit aucun effet durable. À titre de comparaison, le
soutien public à l’installation d’énergies renouvelables sur la période 2018-2023 a coûté un montant
équivalent ; mais il a permis de mettre en place 22 GW supplémentaires, soit la moitié de la
puissance totale installée depuis 2000 en éolien et solaire.
Le coût de l’inaction ne se limite pas à ces effets conjoncturels.
Le montant mondial des pertes
économiques liées aux désastres naturels est passé de 50 milliards de dollars par an dans les années
1980, à plus de 270 milliards de dollars par an sur la période récente. En France, les inondations des
Hauts-de-France en 2023 ont généré 640 millions d’euros de dommages assurés ; le cyclone Chido
représente un coût de 650 à 800 millions d’euros pour le régime des catastrophes naturelles. À plus
long terme, sur le seul littoral méditerranéen, la valeur des biens exposés à la montée des eaux
pourrait atteindre 11,5 milliards d’euros d’ici 2100.
Dans ce domaine, les projections de France Assureurs sont éloquentes.
Elles montrent que le coût
annuel moyen des sinistres climatiques passera de 2,5 milliards d’euros entre 1989 et 2019 à 4,7
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milliards entre 2020 et 2050, avec un doublement pour les inondations et un triplement pour la
sécheresse. Cette dynamique met sous tension le régime CatNat et fragilise la soutenabilité du
système assurantiel. Certains assureurs envisagent déjà de réduire leur couverture dans les zones les
plus exposées.
À l’inverse, la prévention s’avère rentable
: selon la Caisse centrale de réassurance, les plans de
prévention des risques d’inondation ont permis de réduire de 20 % le coût des sinistres pour les
particuliers, alors que les financements publics mobilisés restaient limités. Chaque euro investi en
prévention économise trois euros de dommages évités !
Ces constats illustrent que la transition écologique est bien un investissement rationnel,
économiquement pertinent, socialement protecteur et humainement indispensable
. Le problème,
comme le soulevait déjà Mark Carney en 2015, c’est que les bénéfices de la transition se manifestent
souvent à long terme et ne profitent pas toujours à ceux qui investissent aujourd’hui.
Car ces objectifs ont bien entendu un coût
. Or, le chiffrage des besoins de financement pour la
transition est lacunaire. Les investissements en faveur de l’atténuation du changement climatique
sont les mieux documentés : pour réduire les émissions françaises d'au moins 55 % d'ici à 2030 et les
rendre neutres en 2050, il faudrait un effort d’investissement supplémentaire de plus de
100 Md
€
par an.
Au total, cela représenterait donc un effort d’investissement de 200 Md
€
par an, car 100 Md
€
par an sont déjà consacrés à l’objectif d’atténuation. Et il faut ajouter à cela les autres axes de la
transition, comme l’adaptation, la biodiversité, la préservation de l’eau ou la lutte contre les
pollutions.
Au global, les estimations convergent : il faudra mobiliser environ 110 milliards d’euros
supplémentaires d’investissements bruts chaque année d’ici 2030, principalement dans les
bâtiments et les transports.
Un effort financier additionnel est donc indispensable pour financer la poursuite de nos objectifs.
Cela exige des investissements ; de la part des pouvoirs publics, mais aussi et surtout de la part des
acteurs privés, ménages et entreprises. Ils assument déjà les trois quarts des dépenses pour la
transition écologique - 74 % exactement, sur un total de 102 Md
€
en 2024. Mais dans le contexte
budgétaire que nous connaissons, la mise en
œ
uvre de la planification écologique devra largement
reposer sur des investissements privés supplémentaires, dans tous les secteurs d’activité : bâtiment,
transport, énergie… Pour les pouvoirs publics nationaux et locaux, l’enjeu est double : il s’agit non
seulement de financer leurs propres équipements – bâtiments publics, infrastructures – mais surtout
de mettre en place des leviers efficaces pour orienter l’investissement privé.
Pour piloter cet effort, des outils existent, mais ils doivent être consolidés.
La Stratégie
pluriannuelle des financements de la transition écologique, dont la première édition a été publiée à
l’automne 2024, constitue une avancée majeure. Elle doit être enrichie, étendue à l’ensemble des
volets de la transition et inscrite dans un horizon de long terme. La Cour recommande par ailleurs
que cette stratégie soit transmise au Parlement dès le printemps, en amont du débat budgétaire, afin
que la représentation nationale puisse se saisir de la question et éclairer les arbitrages financiers.
Cette stratégie pourra s’appuyer sur les instruments existants, notamment les budgets verts,
expérimentés par l’État depuis 2020 et généralisés aux collectivités depuis 2024
. Encore faut-il que
leur granularité soit suffisante et que leur usage dépasse la simple analyse
a posteriori
. Il faut qu’ils
deviennent un véritable outil d’aide à la décision. L’exemple de la métropole du Grand Lyon, qui a
utilisé la budgétisation verte pour réorienter ses investissements, montre que cet outil peut devenir
un levier stratégique.
Enfin, la transition écologique appelle une cohérence internationale
. Les enjeux que nous
affrontons – concentration des gaz à effet de serre, perturbation du cycle de l’eau, acidification des
océans, etc – sont mondiaux par nature ; ils ne peuvent être traités efficacement que par une action
collective. Il ne faut pas céder à l’argument du « passager clandestin », dont le risque est évident : si
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chacun attend l’autre, les émissions continuent d’augmenter et le réchauffement climatique
s’aggrave – et pas uniquement pour les pays les plus émetteurs, mais pour
l’ensemble de la planète.
Les travaux économiques récents montrent que, même dans un monde imparfaitement coopératif,
la décarbonation reste rentable, à condition d’être mise en
œ
uvre à l’échelle d’une grande entité
économique intégrée comme l’Union européenne.
Or l’Union s’est déjà dotée d’objectifs communs
en matière de climat et d’environnement, qui structurent nos politiques nationales. Elle doit
désormais veiller à ce que ces politiques nous permettent de réduire notre dépendance face à des
puissances économiques qui, elles, continueraient de retarder leur transition. En ce sens, l’action
européenne n’est pas seulement une réponse environnementale. Elle constitue une stratégie de
résilience économique et d’autonomie.
En définitive, investir dans la transition écologique, c’est éviter des pertes économiques, sociales et
humaines bien plus lourdes.
C’est aussi un impératif de justice entre générations : ce que nous
n’engageons pas aujourd’hui, nos enfants devront le payer demain, au prix fort.
Mesdames, Messieurs,
Vous l’aurez compris, le statu quo n’est pas une option. L’action, rapide, ordonnée et planifiée,
constitue le seul chemin rationnel.
Je tiens à saluer le travail rigoureux conduit par l’équipe des rapporteurs de la Cour et d’une chambre
régionale des comptes, et par le contre-rapporteur, dans le cadre d’une formation inter-juridictions
placée sous l’autorité d’Inès-Claire Mercereau, présidente de la deuxième chambre. Merci également
à l’ensemble des équipes mobilisées sur ces questions au sein des juridictions financières, dont les
observations ont nourri ces travaux. Je remercie également les membres du comité d’appui qui ont
accompagné de leurs précieux conseils l’élaboration de ce rapport.
Cette première édition marque une étape, et elle comporte sûrement des marges d’amélioration,
car il s’agit d’un premier opus.
Notre rapport sur la transition écologique a vocation à s’enrichir au
plan méthodologique et comparatif, et à couvrir des sujets spécifiques chaque année, au-delà des
grandes thématiques d’intérêt récurrent. Nous ne pouvons viser une analyse exhaustive de toutes les
facettes de la transition écologique ; mais nous posons aujourd’hui les bases des travaux futurs en
rappelant où nous en sommes aujourd’hui, de façon globale, sur l’ensemble des volets de la
transition écologique.
La transition écologique n’est pas une politique publique parmi d’autres.
Elle est, ou devrait être,
une composante et un objectif communs à chacune des politiques publiques, quels qu’en soient les
responsables, nationaux ou territoriaux. Elle exige une gouvernance claire et renforcée, une
intégration systématique dans les autres politiques publiques, des trajectoires physiques et
financières crédibles, et surtout, la conciliation de l’ambition environnementale et de la soutenabilité
financière.
Je suis convaincu que c’est possible : c’est le défi, c’est l’ambition de notre siècle.
Je vous remercie
de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, avec l’équipe du
rapport.