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Parc d’activités La Providence –
Kann’Opé
Bât. D - CS 18111
97181 LES ABYMES CEDEX
Tél. 05 90 21 26 90
Courriel : « antillesguyane@crtc.ccomptes.fr »
Site internet : « www.ccomptes.fr/fr/antilles-guyane »
RAPPORT D’OBSERVATIO
NS DÉFINITIVES
COLLECTIVITE DE SAINT-MARTIN
Exercices 2019 et suivants
Le présent document a été délibéré par la chambre le 3 octobre 2024
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
2
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES
..............................................................................................
2
SYNTHÈSE
......................................................................................................................
5
RECOMMANDATIONS
................................................................................................
6
PROCÉDURE
..................................................................................................................
8
1
LA COLLECTIVITÉ DOIT METTRE UN TERME À LA
DÉGRADATION RAPIDE DE SA SITUATION FINANCIÈRE
........................
11
1.1
Des comptes qui ne sont pas fiables
.................................................................
11
1.1.1
Les inscriptions comptables ne reflètent pas le patrimoine réel et
l’origine du financement des actifs de la collectivité
..............................
11
1.1.1.1
Le recensement des immobilisations est très défaillant
..........................................
11
1.1.1.2
Un sous-amortissement des immobilisations corporelles et incorporelles
.............
12
1.1.1.3
Bien qu’elle réalise des travaux en régie, la collectivité n’est pas en capacité
de les immobiliser à son bilan
................................................................................
12
1.1.1.4
Des provisions pour litiges doivent être constituées
...............................................
13
1.1.2
La régularisation des comptes de tiers (redevables et fournisseurs)
a un impact financier
...............................................................................
13
1.1.2.1
Les restes à recouvrer sont correctement provisionnés mais de nouvelles
admissions en non-valeur doivent être inscrites
.....................................................
13
1.1.2.2
La régularisation des comptes d’attente a un impact sur les comptes de 2023
.......
13
1.1.2.3
L’absence de rattachement de certaines charges à l’exercice nuit à la
sincérité des résultats
..............................................................................................
14
1.2
Une trajectoire financière inquiétante
..............................................................
15
1.2.1
Après une nette reprise post-crise sanitaire en 2021, les produits de
gestion s’effondrent
.................................................................................
15
1.2.1.1
Des recettes fiscales en repli depuis 2022
..............................................................
16
1.2.1.2
La baisse des dotations est liée à l’arrêt des aides exceptionnelles de l’État
suite aux épisodes de crises climatique et sanitaire
................................................
18
1.2.2
Depuis 2022, une augmentation spectaculaire et inquiétante des
charges de fonctionnement
......................................................................
19
1.2.2.1
Après une période de stabilisation, la collectivité ne maitrise plus la hausse
de ses charges de gestion
........................................................................................
19
1.2.2.2
Une progression spectaculaire des charges de personnel
.......................................
20
1.2.2.3
Depuis 2022, les autres charges de fonctionnement sont soumises à une
tendance très nettement haussière
..........................................................................
20
1.2.2.4
Air Antilles : une prise de participation exposée à des risques financiers non
maitrisés et déconnectée des capacités financières de la collectivité
......................
20
1.2.3
Une collectivité dans l’incapacité d’autofinancer ses
investissements
........................................................................................
22
1.2.4
En 2023, la collectivité est confrontée à un déséquilibre significatif
de son bilan, qui nécessite des décisions de gestion urgentes
.................
23
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
3
1.2.4.1
Un besoin de financement de 70
M€ en 2023
........................................................
23
1.2.4.2
Le fonds de roulement et la trésorerie diminuent drastiquement
............................
23
1.2.4.3
La collectivité n’est potentiellement plus en capacité de rembourser sa dette
.......
24
2
LA COLLECTIVITÉ S’ES
T SAISIE PLEINEMENT DE LA QUESTION
DE LA GESTION DES ALGUES SARGASSES
.................................................
25
2.1
La lutte contre les sargasses : une place pour la préservation de
l’environnement à mieux définir et à concilier entre les acteurs
......................
26
2.1.1
Une problématique à fort enjeux pour le territoire
..................................
26
2.1.2
Des points de vue parfois divergents entre les acteurs de la
politique environnementale
.....................................................................
28
2.2
Une gouvernance partenariale à parfaire
..........................................................
30
2.2.1
L’organisation territoriale face au phénomène
........................................
30
2.2.1.1
Une gestion partenariale État - Collectivité
............................................................
30
2.2.1.2
L’organisation de la collectivité
.............................................................................
31
2.2.2
La collectivité ne mobilise pas tous les financements accordés
..............
31
2.3
Des moyens techniques croissants déployés lors des échouements
.................
33
2.3.1
La prévention des risques, la surveillance et la protection des
populations
..............................................................................................
33
2.3.1.1
La prévention et la surveillance du risque sargasse
................................................
33
2.3.1.2
La mise en place de barrages est prévue pour 2024
...............................................
35
2.3.2
La collecte et le transport des algues
.......................................................
36
2.3.2.1
Le marché de collecte mis en place entre 2019 et fin 2022 a connu une
exécution irrégulière et onéreuse
............................................................................
36
2.3.2.2
Les retards dans l’attribution du marché de collecte de 2023 font prendre
des risques à la collectivité territoriale
...................................................................
37
2.3.2.3
La réquisition systématique, un moyen irrégulier et très onéreux
..........................
38
2.3.2.4
Le coût de la collecte des sargasses est en forte augmentation
...............................
40
2.3.3
Le suivi des dépôts et le contrôle de la facturation doivent être
améliorés
.................................................................................................
41
2.4
Une valorisation actuellement limitée
..............................................................
43
2.4.1
La fabrication du compost
à partir de sargasses n’est plus à l’ordre
du jour
.....................................................................................................
43
2.4.2
L’utilisation des «
déchets
» sargasses dans la production d'énergie
est en cours d’étude
.................................................................................
44
2.4.3
Un certain isolement dans la gestion des sargasses
.................................
45
3
LA COLLECTIVITÉ DOIT MIEUX MAITRISER SA GESTION
INTERNE
...............................................................................................................
48
3.1
Une capacité de maîtrise d’ouvrage à renforcer
...............................................
48
3.1.1
Un plan pluriannuel d’investissement surdimentionné au regard de
la capacité à l’exécuter
............................................................................
48
3.1.2
Un
renforcement très progressif de la maîtrise d’ouvrage, qui ne
répond pas encore aux défis identifiés
....................................................
49
3.1.2.1
Un renforcement
des capacités de maîtrise d’ouvrage encore insuffisant
..............
49
3.1.2.2
La nécessaire élaboration d’un PPI et d’une programmation opérat
ionnelle
.........
50
3.1.3
Des difficultés à maîtriser le coût et le calendrier des
investissements : le cas des établissements scolaires
..............................
51
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
4
3.1.4
La chaîne de l’achat public s’améliore très progressivement
.................
53
3.1.4.1
La définition des besoins doit être plus rigoureuse
................................................
53
3.1.4.2
La formalisation des demandes d’achat et les délais de certification du
service fait doivent être améliorés
..........................................................................
53
3.1.4.3
Le délai trop long de paiement des prestataires est la résultante des
dysfonctionnements observés sur la chaîne de la dépense
.....................................
54
3.1.4.4
Des conditions de travail non satisfaisantes et une trop grande dépendance
vis-à-vis du prestataire informatique de la collectivité
...........................................
54
3.2
Une augmentation massive des effectifs et des avantages irréguliers : une
explosion des dépenses de personnel
...............................................................
55
3.2.1
Une politique de recrutement sans lien avec les besoins et la
situation financière de la collectivité
.......................................................
55
3.2.1.1
À partir de 2021, une augmentation des effectifs de 188 agents en trois ans :
une décision qui obère de façon durable et structurelle la gestion de la
collectivité
..............................................................................................................
55
3.2.1.2
Une partie des recrutements correspondent à un besoin d’expertise et
d’exercice des compétences de la collectivité
........................................................
56
3.2.1.3
Une «
école territoriale de management public
» dont le coût n’est pas en
relation avec les capacités financières de la collectivité
.........................................
57
3.2.2
Des recrutements irréguliers, susceptibles de déboucher sur des
conflits d’intérêt
......................................................................................
58
3.2.2.1
Le recrutement massif et irrégulier de contractuels sur des emplois non
permanents
.............................................................................................................
58
3.2.2.2
Des recrutements familiaux exposent la collectivité à des risques juridiques
........
59
3.2.3
Des avantages irréguliers octroyés à de nombreux agents
......................
60
3.2.3.1
Des attributions de prime irrégulières
....................................................................
60
3.2.3.2
Des reconstitutions de carrière en grande partie irrégulières
..................................
61
3.2.4
La gouvernance de la fonction RH est en progression mais se
heurte encore à de nombreux obstacles
...................................................
63
3.2.4.1
De nombreux chantiers réalisés depuis 2019
..........................................................
63
3.2.4.2
Une meilleure gestion des absences mais un temps de travail non mesuré
............
64
ANNEXES
......................................................................................................................
66
Annexe n° 1. Administration de l’impôt
................................................................
67
Annexe n° 2.
Évolution des dettes
en €
..............................................................
68
Annexe n° 3.
Rattachement des factures non parvenues (compte 408)
en €
.....
69
Annexe n° 4. Traitement des factures
....................................................................
70
Annexe n° 5. Caractérisation des sites à enjeux
.....................................................
71
Annexe n° 6.
Suivi des tonnages de sargasses
......................................................
72
Annexe n° 7.
Suivi des tonnages collectés
............................................................
73
Annexe n° 8. Glossaire
...........................................................................................
74
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
5
SYNTHÈSE
Affectée par les conséquences du cyclone Irma en 2017 puis par celles de la crise
sanitaire en 2020, la collectivité territoriale de Saint-
Martin n’a pas achevé sa reconstru
ction et
ne maîtrise toujours pas
l’entièreté des
compétences
dévolues par l’importante réforme
institutionnelle de 2007.
Une situation financière préoccupante
Fin 2023, sa situation financière est très préoccupante. Après quatre années de maîtrise
et de rétablissement des marges de manœuvre dans le cadre du protocole signé avec l’
État,
l’évolution des charges n’est plus maitrisée.
Avec une augmentation nette de 188 agents sur la
période, en grande partie déconnectée des besoins,
et d’avantages
coûteux accordés
irrégulièrement aux personnels, elles ont progressé de 41 M€. Cette orientation est d’autant plus
inquiétante qu’elle intervient alors que les produits de gestion sont en recul de 19 M€.
Malgré cette situation, elle s’est engagée dans le proje
t de reprise de la compagnie
aérienne Air Antilles. Sa prise de participation l’expose à des risques financiers non maitrisés,
d’autant qu’elle assume à 100 % toutes les dépenses de cette compagnie naissante.
La collectivité territoriale perd ainsi toute capacité à financer ses projets
d’investissement, pourtant nécessaires
alors qu’elle est toujours confrontée aux défis de la
reconstruction et du besoin en équipements structurants. Sur les 230
M€ de dépenses
d’investissement post
-Irma initialement prévus,
seuls 52,7 M€ ont effectivement été réalisés
depuis 2019-
2023, malgré la disponibilité d’importants financements. La collectivité prévoit
d’engager à l’horizon 2026 au total 375
M€. Mais, compte tenu de ses capacités internes, la
collectivité serait seulement en mesure de réaliser 20
M€ par an. En effet, elle n’assume pas
pleinement son rôle de maître d’ouvrage, dans la mesure où elle ne dispose pas encore de toute
l’expertise, ne programme pas précisément ses ouvrages et ne suit pas correctement la mise e
n
œuvre de ses trop nombreux projets.
La politique de lutte contre les sargasses
La collectivité de Saint-
Martin s’est saisie de la politique de lutte contre les algues
sargasses, pollution aux conséquences sanitaires, écologiques et économiques importantes. Sa
gestion est traversée par les dysfonctionnements récurrents. Le défaut d’anticipation sur les
délais de passation des marchés, les imperfections dans la définition du besoin, les difficultés à
vérifier la réalité du service fait sont autant de points faibles qui pèsent sur cette politique.
Celle-
ci a cependant pu mettre en place progressivement et en particulier sur l’année
2023 une logistique mieux dimensionnée pour la
de collecte, d’enlèvement et de transport des
sargasses, pour un coût logiqueme
nt croissant de cette politique, qui représente 2,5 M€ en 2023.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
6
RECOMMANDATIONS
(classées dans l’ordre de citation dans le rapport)
Recommandations (
régularité
)
Totalement
mis en
œuvre
Mise en
œuvre en
cours
Mise en
œuvre
incomplète
Non mis
en œuvre
Page
Recommandation n
o
1 :
constituer une provision pour
les pertes d’exploitation liées aux conséquences de
l’obtention différée des autorisations nécessaires à la
reprise
de
l’activité
commerciale
d’Air
Antilles
conformément à l’article R.
2321-2 du code général des
collectivités territoriales.
X
12
Recommandation
n
o
2 :
respecter
les
conditions
d’exercice du pouvoir de réquisition, conformément à
l’article L.
2212-2 du code général des collectivités
territoriales.
X
14
Recommandation n
o
6 :
mettre en place la durée légale
du temps de travail conformément à l’article 7
-1 de la loi
n°84-53 du 26 janvier 1984 modifiée, en installant un
système automatisé de la mesure de la présence des
agents.
X
42
Recommandation n
o
7 :
. produire, en lien avec le
comptable public, l’inventaire des immobilisations de la
collectivité en concordance avec l’état de l’actif en
application de l’article 53 du décret n°
2012-1246 du
7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique.
X
51
Recommandation
n
o
8 :
régulariser
les
comptes
d’attente conformément aux dispositions de l’article 57 du
décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012.
X
51
Recommandation n° 9 :
rattacher les charges et les
produits
conformément aux dispositions de l’instruction
budgétaire et comptable M57 (tome 1).
64
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
7
Recommandations (
performance
)
Totalement
mis en
œuvre
Mise en
œuvre en
cours
Mise en
œuvre
incomplète
Non mis
en œuvre
Page
Recommandation n
o
3 :
appliquer le tarif correspondant
à la prise en charge des sargasses à l’ISDND pour rendre
conforme celui-ci au type de traitement (enfouissement) et
demander le remboursement du trop-perçu en application
du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la
gestion budgétaire et comptable publique
X
15
Recommandation n
o
4 :
. renforcer la capacité de
maîtrise d’ouvrage,
dans sa partie technique et sa
partie
administrative.
X
21
Recommandation
5 :
mettre
en
place
une
programmation réaliste des opérations
d’investissement
adaptée aux capacités budgétaires de la collectivité
.
X
40
* Voir notice de lecture
NOTICE DE LECTURE
SUR L
’AVANCEMENT DE LA MISE EN ŒUVRE DES RAPPELS AU DROIT ET DES RECOMMANDATIONS
Les recommandations de régularité (rappels au droit) et de performance ont été arrêtées après examen des réponses écrites et des pièces justificatives
apportées par l
ordonnateur en réponse aux observations provisoires de la chambre.
Totalement mise en
œuvre
L
organisme contrôlé indique
avoir mis en œuvre la totalité des actions ou un ensemble complet d’
actions permettant de répondre
à la recommandation, même si les résultats escomptés n
ont pas encore été constatés.
Mise en œuvre en cours
L
’organisme contrôlé affirme avoir mis en œuvre
une partie des actions nécessaires au respect de la recommandation et indique
un commencement d
exécution. L
organisme affirme, de plus, avoir l
intention de compléter ces actions à l
avenir.
Mise en œuvre
incomplète
L
organisme contrôlé indique avoir mis
en œuvre une partie des actions nécessaires sans exprimer d’
intention de les compléter
à l
avenir.
Non mise en œuvre
Trois cas de figure :
-
l’
organisme contrôlé indique ne pas avoir pris les dispositions nécessaires mais affirme avoir l
intention de le faire ;
- ou il ne précise pas avoir le souhait de le faire à l
avenir ;
- ou il ne fait pas référence, dans sa réponse, à la recommandation formulée par la chambre.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
8
PROCÉDURE
Le contrôle des comptes et de la gestion de la collectivité territoriale de Saint-Martin à
compter de 2019 été ouvert le 25 octobre 2023 par lettres du président de la chambre territoriale
des comptes de Saint-Barthélemy adressées à M. Louis MUSSINGTON, président et
ordonnateur en fonctions, et à M. Daniel GIBBS, son prédécesseur.
Ce contrôle porte sur la situation financière, la gestion interne de la collectivité sur deux
points essentiels (la maîtrise d’ouvrage et les ressources humaines) et
la politique de lutte contre
la pollution des algues sargasses.
En application des articles L. 254-5 et L. 243-1 du code des juridictions financières, les
entretiens de fin de contrôle se sont déroulés le
29 février 2024 pour l’ancien ordonnateur et le
20 mars 2024 pour l’ordonnateur en fonction
s.
La chambre, dans sa séance du 4 avril 2024, a arrêté les observations provisoires. Elles
ont été communiquées aux ordonnateurs en fonction sur la période contrôlée, M. Daniel GIBBS
et M. Louis MUSSINGTON, qui en ont accusé réception respectivement le 14 juin 2024 et le
3 juin 2024.
Les ordonn
ateurs n’ont pas fait part de leurs observations dans le délai prescrit.
Des extraits ont été adressés à
douze tiers, pour ce qui les concernait. Cinq d’entre eux
ont répondu successivement le 1
er
, 4, 11 et 17 juillet 2024.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
9
La collectivité territoriale de Saint-Martin
Située à 250 km au nord de la Guadeloupe, Saint-Martin est une île de 90 km² partagée
en une partie française au nord (56 km²) et une partie néerlandaise au sud (34 km²), avec une
population dont la majorité est de langue maternelle anglaise. La population de la partie
française a plus que quadruplé entre 1982 et 2000, mais connaît une légère décroissance depuis
une quinzaine d’années. En 2023, la collectivité compte 31
801 habitants.
Saint-
Martin est une collectivité d’out
re-mer depuis le 15 juillet 2007. Celle-ci est régie
par l’article 74 de la constitution.
À ce titre, elle exerce depuis janvier 2008 les compétences
précédemment dévolues à l’ancienne commune de Saint
-Martin, au département, à la région,
ainsi
que
certain
es
compétences
de
l’État.
Elle
conserve
le
statut
de
«
région
ultrapériphérique
» (RUP). Depuis le 1
er
avril 2012, elle est également compétente dans les
matières suivantes : urbanisme, construction, habitation, logement et énergie. Douze ans après
ce dernier transfert et dix-sept après sa création, la collectivité de Saint-
Martin n’exerce pas
toujours pas l’intégralité de ses compétences.
Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017,
l’île de Saint
-Martin a été dévastée par le cyclone
Irma. 56
% des infrastructures étaient modérément à sévèrement endommagées, voire
détruites
1
. Malgré des capacités de gestion insuffisantes, la collectivité, qui n’avait pas encore
achevé la mise en place et l’organisation d’institutions relevant de la réforme législative de
2007, a pris en charge sa reconstruction avec un soutien important
de l’
État. La Cour des
comptes a publié en juillet 2021 un rapport public thématique sur «
la reconstruction de Saint-
Martin et de Saint-
Barthélemy après le passage de l’ouragan I
rma
». Il en ressort que si la
collectivité a bénéficié d’un soutien important de l’
État et de ses opérateurs, la reconstruction
était encore jugée partielle en 2021 («
moins de la moitié du parc de bâtiments et d’équipements
reconstruits est reconstruit, à l’exception
des écoles et des lycées aujourd’hui quasiment tous
remis à niveau
»
2
).
L’activité de l’île
, qui avait repris son essor en 2019, a été entravée par la pandémie de
Covid-
19 en 2020 et 2021. L’économie saint
-martinoise est repartie à la hausse à partir de 2022,
sans effacer totalement les traces des chocs successifs d’Irma et d
e la crise sanitaire
3
.
La collectivité a connu sur la période récente des épisodes de blocage social : trois mois
de grève en 2019 sur le motif de non intégration de seize agents contractuels de la caisse
territoriale des
œu
vres scolaires (CTOS). Certaines des décisions prises en matière de gestion
des ressources humaines s’expliquent par ce mouvement social
.
1
Cour des comptes,
La reconstruction de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après le passage de
l’ouragan Irma
, rapport public thématique, juillet 2021.
2
Cour des comptes,
La reconstruction de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy après le passage de
l’ouragan Irma
, rapport public thématique, juillet 2021., p. 13.
3
IEDOM, Rapport annuel économique 2022 de Saint-Martin, septembre 2023.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
10
Avec son contrôle, la chambre territoriale des comptes (CTC) se penche donc sur une
collectivité encore exposée aux suites de la reconstruction et cherchant enfin à maîtriser les
compétences qui lui ont été dévolues par la réforme législative de 2007. Dans son rapport de
2017, portant sur la période 2007 à 2016, la CTC
s’était penché
sur les effets de cette importante
réforme institutionnelle. Il constatait que la collectivité était
toujours en cours d’appropriation
de ses compétences et d’organisation de ses capacités de gestion.
À la date du rapport, la
collectivité de Saint-Martin était engagée dans un processus de rétablissement de sa situation
financière, fortement dégradée.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
11
1
LA COLLECTIVITÉ DOIT METTRE UN TERME À LA
DÉGRADATION RAPIDE DE SA SITUATION FINANCIÈRE
Alors qu’elle dégageait de
s
excédents jusqu’en 2022, la collectivité connait depuis une
diminution de ses recettes et une augmentation spectaculaire de ses dépenses de
fonctionnement. Elle est soumise à un effet de ciseaux très net depuis 2023. Après les
retraitements effectués par la chambre,
elle n’a plus de
capacité d’autofinancement
en 2023
(- 13,7
M€
). La collectivité fait face à un besoin de financement pour ses investissements de
70
M€.
Les comptes ne rendent pas une image fidèle du patrimoine de la collectivité et les
résultats de sa gestion sont insincères.
1.1
Des comptes qui ne sont pas fiables
1.1.1
Les inscriptions comptables ne reflètent pas le patrimoine réel et l’origine du
financement des actifs de la collectivité
1.1.1.1
Le recensement des immobilisations est très défaillant
Fin 202
2, le montant l’actif était de 538,03
M€. Il mentionne les amortissements
effectués cette année-là ainsi que ceux des années antérieures. Ces chiffres ne concordent
toutefois pas avec ceux des comptes de gestion. Ainsi, les amortissements antérieurs
représentent 4,46
M€, alors que les comptes de gestion sur les années 2019 à 2022 cumulent
des amortissements à hauteur de 17,16
M€. Le total de l’actif net immobilisé au compte de
gestion de 501,76
M€ diffère de celui déjà évoqué.
L’usine de traitement de l’eau
potable que gère l’établissement des eaux et de
l’assainissement de Saint
-Martin (EEASM) est restée dans le patrimoine de la collectivité. Elle
doit cependant subir d’importantes rénovations, pour lesquelles cet établissement a déjà reçu
une subvention du fonds Outre-
mer (FOM) d’un montant de 300
milliers d’euros
4
. Or, la
chambre observe qu’il ne détient pas cet actif et que ces installations n’ont jamais fait l’objet
d’un amortissement. Le transfert de la collectivité à l’établissement s’impose, tout comme le
rattrapage des amortissements. L’évaluation des montants en question n’a pas été faite, mais
l’impact budgétaire de cette opération pourrait être important pour la collectivité.
Celle-
ci ne tient pas d’inventaire physique à jour de ses biens. Il n’y a donc aucune
possibilité de garantir la présence et le suiv
i des biens dans l’actif de la collectivité. La chambre
rappelle qu’elle avait déjà formulé une recommandation sur ce point lors précédent examen de
la gestion de la collectivité
5
.
4
Lors du COPIL FOM du 8 novembre 2023. Cette subvention sera consacrée notamment à la mise en
conformité des infrastructures d’assainissement et de l’usine de dessalement dont la prod
uction doit être étendue.
5
Rapport d’observations définitives notifié le 13 avril 2018 au président de la collectivité
(recommandation n°2).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
12
Recommandation n° 1.
(
Régularité
) Produire, en lien avec le comptable public, l’inventaire
des
immobilisations de la collectivité en concordance avec l’état
de l’actif en application de l’article 53 du décret n°
2012-1246 du
7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique.
1.1.1.2
Un sous-amortissement des immobilisations corporelles et incorporelles
Les amortissements représentent seulement 1,82
M€ en 2022, contre 6,63
M€ en 2020
et 6,42
M€ en 2021. En 2023, aucun amortissement n’est inscrit au moment du contrôle de la
chambre. Le faible montant de 2022 s'explique par une diminution des crédits au compte 2804
« Amortissement des immobilisations -
Subventions d’équipement versées »
, en raison
d’un repli
très important des subventions d'équipement versées.
Une situation voisine est observée pour les frais d'études. Sur la période contrôlée, ils
ont représenté la somme de 2,64
M€, soit
environ 700
milliers d’euros
par an en moyenne. Or,
le montant à amortir devrait plutôt être en rythme annuel de 120 milliers d’euros, compte
-tenu
de la durée d’amortissement de cinq ans pour ce type d’immob
ilisations.
La collectivité a l’obligation d’amortir une partie de ses immobilisations corporelles et
notamment les biens inscrits aux comptes 2157
« Matériel et outillage technique »
, 2158
« Autres installations, matériel et outillage techniques »
et 218
« Autres immobilisations
corporelles »
. Sur la période 2019-2023, le débit du compte 23
« Immobilisations en cours »
passe de 337,2
M€ à
413
M€. Aucune opération en débit du compte 21
« Immobilisations
corporelles »
et crédit du compte 23, marquant le transfert des opérations achevées au bilan
n’a
été
effectuée. Cela est de nature à nuire à l’exhaustivité de l’amortissement des immobilisations.
Au regard de l’état de l’actif, de leur entrée dans le patrimoine et de la période
d’amortissement, le compte 205 a correctement été amorti, ce qui n’est pas le cas des opérations
passées sur les comptes 204, 2157, 2158 et 218. Un rattrapage est donc nécessaire pour des
montants respectifs, selon les comptes, de 2,14
M€, 1,20
M€, 114
milliers d’euros et 4,08
M€,
soit un total de 7,54
M€.
Cette opération doit être prise en compte sur l’année 2023, en charge du chapitre 68
« Dotations aux amortissements et aux provisions »
et en produit au chapitre 28
« Amortissements »
, pour refléter la situation financière réelle de la collectivité.
1.1.1.3
Bien qu’elle réalise des travaux en régie, la collectivité n’est pas en capacité de les
immobiliser à son bilan
La collectivité n’a inscrit aucune production d’immobilisation en interne. Elle dispose
pourtant du personnel des services tec
hniques et d’ateliers qui produisent des biens valorisables,
que cela soit en charpentes métalliques ou en bois. Elle a, par exemple, procédé à la rénovation
des quais de la marina à compter de 2022 sans valoriser ces travaux dans sa comptabilité. Elle
n’a
inscrit aucune sortie d’actif alors qu’elle avait engagé des travaux sur l’ancienne
médiathèque détruite postérieurement au passage du cyclone Irma.
Ce constat découle de l’incapacité de la collectivité à gérer administrativement ses
travaux en régie et à les valoriser.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
13
1.1.1.4
Des provisions pour litiges doivent être constituées
Les provisions pour litiges et contentieux doivent être constituées dès la naissance du
risque et maintenues tant qu’il subsiste. La collectivité n’a inscrit aucune provision pour risque
s
et charges au titre des années 2020 à 2023. Or, elle est en contentieux avec plusieurs personnes
ou sociétés. S’agissant des contentieux pour construction sur sol d’autrui avec les consorts
X,
le risque peut être estimé à 600 000 euros, et avec la SARL Y, il peut être estimé à 300 000
€.
La collectivité a d’autres contentieux, notamment avec la SEMSAMAR. Au total, la chambre
considère que pour l’ensemble de ces risques, la collectivité territoriale devrait constituer des
provisions à hauteur de 2
M€. Les provisions sont des dépenses que la collectivité a l’obligation
de constituer, et dont elle apprécie le montant conformément à l’article R.
2321-2 du CGCT.
1.1.2
La régularisation des comptes de tiers (redevables et fournisseurs) a un impact
financier
1.1.2.1
Les restes à recouvrer sont correctement provisionnés mais de nouvelles admissions
en non-valeur doivent être inscrites
Les restes à recouvrer représentent au 31 décembre 2022 un montant de 77,26
M€, dont
21,35
M€ de créances de plus de 5 ans, soit de 2017 et antérieures. Elles s’élèvent à 12
M€ pour
l’État (56
% du total). Les autres créances se répartissent entre 34 % pour des contribuables et
des redevables des taxations, 7 % au titre du RMI/RSA et 1 % au titre des locataires des biens
de la collectivité.
Les dotations aux provisions pour dépréciation des comptes de tiers sont inscrites pour
des montants très significatifs, soit 22,85
M€ pour la période considérée, avec une provision de
14,93
M€ en 2019. Cette inscription correspond aux créances douteuses présent
es dans les
comptes de la collectivité.
Afin de fiabiliser ses comptes, elle avait procédé en 2019 à des admissions en non-valeur
pour un montant de 12,99
M€. Son comptable a identifié 1,49
M€ de créances qui devraient
faire l’objet de nouvelles admission
s en non-valeur.
1.1.2.2
La régularisation des comptes d’attente a un impact sur les comptes de 2023
Les
comptes d’attente
comportent des inscriptions d’un montant anormalement élevé
.
Ces anomalies
s’expliquent
notamment par une inadéquation des applications comptables ne
permettant pas d’effectuer l’ensemble des rattachements (impositions dues par les sociétés) et
par l’insuffisance du travail d’identification des recettes notamment d’investissement par les
services financiers de la collectivité.
Ainsi le solde du compte 471
« Recettes à classer ou à régulariser »
est créditeur de
60,2
M€ début 2024 alors qu’il devrait être nul en fin d’exercice. Une grande partie de ces
produits sont des subventions d’investissement collectées par la Direction régionale des
finances publiques (DRFIP). Une part importante concerne également les taxes et impôts locaux
(TGCA, droit d’enregistrement, impôt sur les sociétés,
droit de licence et contribution des
patentes).
La régularisation partielle des comptes d’attentes a un impact s
ur les comptes de 2023.
Elle devrait se traduire par une augmentation des recettes de 14,3
M€ correspondant
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
14
majoritairement à des rattachements d’impositions versées au titre de 2023 (compte 4718). Le
solde du compte 472
« Dépenses à classer ou à régulariser »
est débiteur de 9,8
M€ début
2024. Il concerne notamment de nombreuses factures EDF payées sans régularisation par un
mandat. La collectivité devrait mandater en 2023 des dépenses correspondant à la régularisation
des comptes 47211 « Remboursement d'annuités d'emprunt » et 47218 « Autres dépenses »
pour une somme de 6,4
M€. Ce point avait déjà fait l’objet d’une recommandation lors du
précédent examen de la gestion de la collectivité
6
.
Recommandation n° 2.
(
Régularité
)
r
égulariser les comptes d’attente conformément aux
di
spositions de l’article 57 du décret n°
2012-1246 du 7 novembre
2012.
1.1.2.3
L’absence de rattachement de certaines charges à l’exercice nuit à la sincérité des
résultats
Le rattachement des charges à l’exercice est une procédure garantissant le principe
d’indép
endance des exercices. La méthode utilisée est celle de la «
contrepassation
».
L’ordonnateur en fin d’année constate les charges à payer au regard des engagements pris sur
l’année N, par débit des comptes de classe 6 et crédit du compte 408
« Fournisseurs - Factures
non parvenues »
. Il fait l’opération inverse en N+1, et, une fois les factures reçues, procède au
mandatement, par débit des comptes de classe 6 et crédit des comptes de tiers intéressés. Cette
procédure fait supporter la charge à l’année d’eng
agement et de réalisation des prestations.
Pour les comptes de l’année 2022, une très importante anomalie est à noter. En effet,
pour le rattachement des crédits à l’exercice 2021, l’opération de contrepassation en 2022, ne
reprend pas le solde créditeur de la balance d'entrée du compte 408. Alors que le montant à
inscrire en débit du compte 408 aurait dû être de 7,13
M€, il est de 18,17
M€, soit une
différence
est de 11,04 M
€ (annexe
n° 4).
Une contrepassation des 7,13
M€ a été faite en août et septembre
2022, pour solder le
compte 408 et permettre le paiement sur 2022 des charges de 2021 enregistrées en 2021 en tant
que rattachement, ce qui est la procédure classique des rattachements. En décembre 2022, la
collectivité a inscrit en crédits du compte 408 un montant de 13,21
M€ de factures non
parvenues, à rattacher à 2022. Cette opération a été passée alors même que les crédits étant en
dépassement sur le chapitre 011 support des mandats, ce qui traduit un dysfonctionnement des
outils de comptabilité de la collectivité, un blocage aurait dû normalement se produire. Sur
demande du poste comptable, cette opération a été partiellement annulée par débit du compte
de 11,03
M€, pour laisser un rattachement de 2,18
M€ de crédits engagés, à rattacher en 2022
mais q
ui feront l’objet d’un paiement en 2023.
Il en résulte que les crédits devant être rattachés à 2022 ne l’ont pas été pour le montant
prévu de dépenses engagés (13,21
M€), mais uniquement pour 2,18
M€. Le reste des dépenses
engagées sur 2022 seront donc payées en 2023 sans rattachement. Cela fausse donc le résultat
de 2022 à hauteur de 11,03
M€, les charges étant sous évaluées de ce montant pour 2022. En
revanche, cela majore les charges de 2023, qui sont donc surévaluées du même montant.
6
Rapport d’observations définitives notifié le 13
avril 2018 au président de la collectivité
(recommandation n°6).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
15
Recommandation n° 3.
(
Régularité
)
rattacher les charges et les produits conformément aux
dispositions de l’instruction budgétaire et comptable M57
(tome 1).
La chambre estime l’impact de ses corrections en fiabilité sur les comptes 2022 à
11
M€ et à 7,9
M€ en 2023. Les résultats des exercices
concernés sont donc insincères.
Tableau n° 1 :
synthèse des corrections en fiabilité des comptes
Chapitre
Objet
Compte
2023
Compte
2022
Charges
68
Rattrapage de l'amortissement des immobilisations
7,5
68
Provisions pour litiges
2,0
67
Admissions en non-valeur
1,5
67
Régularisation des comptes d'attente
6,4
011
Rattachement des charges à l'exercice
-11,0
11,0
Total
6,4
11,0
Produits
77
Régularisation des comptes d'attente
14,3
Total
14,3
0,0
Impact sur le résultat de l'exercice
7,9
-11,0
Source : CTC de Saint-
Martin, d’après les comptes de gestion
1.2
Une trajectoire financière inquiétante
1.2.1
Après une nette reprise post-crise sanitaire en 2021, les produits de gestion
s’effondrent
La fiscalité reversée
La fiscalité reversée recouvre l’ensemble des dispositifs de péréquation «
destinés
à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales
» (art. 72-2 de la
constitution). Deux mécanismes de péréquation peuvent être distingués :
-
La péréquation horizontale
: elle s’effectue entre les collectivités et consiste à à
prélever une fraction des ressources fiscales de certaines collectivités pour la
reverser à des collectivités moins favorisées.
-
La péréquation verticale
: elle s’effectue de l’État vers les
collectivités afin de
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
16
compenser la déterritorialisation des ressources des collectivités.
Dans le cas d’espèce, la collectivité de Saint
-Martin perçoit en tant que
« département » le produit des frais de gestion liés aux taxes foncières collectées
par
l’État. Le mécanisme des frais de gestion consiste pour l’État à percevoir 2
%
du montant des taxes foncières en contrepartie des frais de dégrèvement et de non-
valeurs qu’il prend à sa charge (art.
1641 du code général des impôts).
Tableau n° 2 :
évolution des produits de gestion
en €
2019
2020
2021
2022
2023
Ressources fiscales propres
109 634 851
103 725 810
112 983 273
105 044 972
100 330 662
+ Fiscalité reversée
0
0
17 988 007
19 442 264
22 621 800
+ Ressources
institutionnelles (dotations et
participations)
25 438 717
20 138 428
19 902 882
20 020 700
12 230 028
+ Ressources d'exploitation
1 625 165
779 958
4 736 794
1 815 015
1 527 585
=Produits de gestion
136 698 733
124 644 196
155 610 956
146 322 951
136 710 074
Source : CTC de Saint-
Martin, d’après les comptes de gestion
1.2.1.1
Des recettes fiscales en repli depuis 2022
Les impôts et les taxes créés par la collectivité constituent sa principale ressource
financière (100
M€ en 2023). Entre 2012 et
2016, les recettes fiscales avaient augmenté de
73,6 %
7
. Cette tendance générale s’est confirmée jusqu’en 2021 malgré deux événements très
perturbants pour les finances locales : le cyclone Irma en 2017 et la crise sanitaire de 2020. Les
ressources fiscales ont continué à augmenter, de 3 % entre 2019 et 2021. Depuis 2021, elles
sont en baisse, de 11 %.
La compétence fiscale de la collectivité de Saint-Martin
La
loi
organique
n° 2007-223
portant
dispositions
statutaires
et
institutionnelles relatives à l’
Outre-mer a transféré à la collectivité la compétence
fiscale.
Le principe de l’autonomie fiscale de la
collectivité est posé par le 1° du I
de l’article L
.O. 6314-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
L’assemblée délibérante de la collectivité, le conseil territorial, fixe les règles
applicables localement en matière d’impôts, droits et taxes. La
collectivité dispose
ainsi d’un code général des impôts et d’un livre des procédures fiscales qui lui sont
propres.
7
IEDOM, Saint-Martin : rapport annuel 2016, éd. 2017, p. 35.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
17
Toutefois, la collectivité exerce sa compétence fiscale avec certaines
limites :
1°) Elle ne couvre que l’élaboration de la norme fiscale, les services de l’
État
demeurant seuls responsables des opérations d’assiette, de contrôle et de
recouvrement des impôts et taxes instaurés par le conseil territorial de Saint-
Martin ;
2°) Les prélèvements sociaux (contribution sociale généralisée, contribution
au remboursement de la dette sociale
…) demeurent applicables à Saint
-Martin dans
les conditions du droit commun ;
3°) L’
État demeure compétent pour instituer sur le territoire de la collectivité
des taxes destinées à être perçues à l’occasion de l’exécution de missions d’intérêt
général lui incombant ;
4°) Les compétences fiscales de la collectivité concernent les personnes
physiques (sous réserve d’une durée de résidence de cinq ans au moins) et morales
ayant leur domicile fiscal à Saint-Martin, ainsi que les revenus ou fortunes trouvant
leur source sur le territoire de la collectivité.
Une convention de gestion quadriennale entre l’État et la collectivité définit ces
modalités et les modalités de facturation de la prestation rendue par la DRFIP
8
.
Graphique n° 1 :
évolution des recettes fiscales 2019-
2022 (en millions d’euros)
Source : collectivité de Saint-Martin
8
En vigueur depuis le 1
er
février 2023, cette convention annule et remplace celle du 10 mars 2008.
25
13
19
13
12
12
20
15
12
12
12
11
24
15
20
23
13
12
27
16
19
21
13
13
-
5
10
15
20
25
30
TGCA
Taxes foncières
Impôts sur les
sociétés
Impôts sur les
sociétés
Droits
d'enregistrement
Taxe sur la
consommation de
produits
pétroliers
Impôt sur le
revenu
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
18
La t
axe générale sur le chiffre d’affaires (TGCA) est due par toute personne qui facture
un bien ou un service. Elle peut se comparer à la taxe sur la valeur ajouté (TVA)
à l’échelle
nationale.
Elle varie avec la consommation des biens sur l’île.
Depuis le 1
er
avril 2020
9
, elle a
intégré la taxe de séjour (1,5
M€ en 2019) et la taxe sur les locations de voiture (320
milliers
d’euros
en 2019)
. Sous l’effet de la crise s
anitaire, elle a enregistré une baisse de 23 % entre
2019 et 2020. En 2022, elle a représenté 22 % des recettes fiscales de la collectivité et
s’établit
à son niveau le plus haut, soit 27,43
M€
.
Les droits d’enregistrement et la taxe de publicité foncière
(taux de droit commun de
8
% du montant de la transaction) s’appliquent aux ventes de propriété. C’est la deuxième
recette fiscale, réprésentant 17 % des ressources fiscales. Sa forte augmentation de 29,6 % en
moyenne entre 2019 et 2022 , est due au
dynamisme des prix de l’immobilier. C’est également
une recette volatile notamment en cas de retournement de la conjoncture. En 2023, la baisse
des recettes fiscales s’explique intégralement par la diminution du produit de cette taxe.
Les autres taxes et impôts indirects sont constitués des taxes foncières (11 % des
recettes) et des taxes sur la consommation des produits prétoliers. Les autres taxes et impôts
directs correspondent à
l’impôt sur les sociétés
(13 % des recettes) et
l’impôt sur le revenu
(10 % des recettes). Ces recettes ont connu sur la période 2019-2023 des évolutions contrastées.
L’évolution tendancielle principale
était une hausse des recettes fiscales
jusqu’en 2021
(hormis la crise sanitaire). Elle était imputable au dynamisme de reprise économique et du
marché immobilier mais aussi aux efforts d’amélioration des opérations de recouvrement.
Depuis 2021 les recettes fiscales diminuent. Toutefois, ces résultats sont à prendre avec
précaution en raison des anomalies relevées dans les comptes d
’attente où une partie des recettes
fiscales
ne donnent pas lieu à l’émission d’un titre de recette, ce qui a pour effet de minorer le
niveau du produit réel (cf. point 1.1. du présent rapport). Les taux de contributions directes sont
restés inchangés sur la période sous contrôle (annexe n° 1).
La collectivité connait des difficultés persistantes tant au regard de la défaillance
déclarative des contribuables (particuliers et entreprises) que dans le recouvrement des impôts
et taxes, notamment pour
l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et le droit de licence et
patente.
1.2.1.2
La baisse des dotations est liée
à l’arrêt des aides exceptionnelles de l’
État suite aux
épisodes de crises climatique et sanitaire
Entre 2019 et 2023, les dotations et participations sont passées de 25,4
M€
à 12,2
M€.
Elles sont constituées de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui est passé de 12,2 à
12,9
M€
10
, et d’autres dotations comme les fonds européens et une ligne «
Dotation générale
de décentralisation (DGD)
». Depuis 2020
et jusqu’en 2022
, les dotations et participations se
sont élevées à environ 20
M€.
La ligne «
DGD
» a accueilli le
soutien de l’
État dans le contexte de la reconstruction
post-Irma
11
et pour pallier le manque de recettes fiscales courantes. La collectivité a bénéficié
d’u
n versement exceptionnel de 16,1
M€
à ce titre.
9
Délibération du conseil territorial en date du 6 mars 2020.
10
La différence entre 12,9
M€
et 12,2
M€ s’explique par une reprise de crédits européens.
11
Protocole entre l’Etat et la collectivité de Saint
-Martin, Volet n° 1 : soutien au budget de
fonctionnement de la collectivité de Saint-martin, signé le 6 novembre 2017, qui prévoyait notamment « une
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
19
Les autres recettes (1,5
M€ en 202
3) sont stables.
L’année
2021 se distingue par une
hausse de 4
M€ par rapport à 2020, en raison d’une recette exceptionn
elle versée par le
délégataire de la gestion des marinas.
1.2.2
Depuis 2022, une augmentation spectaculaire et inquiétante des charges de
fonctionnement
1.2.2.1
Après une période de stabilisation, la collectivité ne maitrise plus la hausse de ses
charges de gestion
Après quatre années de maîtrise, les charges de gestion augmentent de façon inquiétante
depuis 2022.
Jusqu’en 2021
, la collectivité avait pourtant
mis en place un plan d’optimisation
de ses dépenses de fonctionnement pour dégager des marges de manœuvre, comme elle s’y était
engagée lors de la signature d’un protocole avec l’
État
12
. Elle bénéficiait en contrepartie
d’une
compensation
. Ces efforts de maîtrise des dépenses étaient d’autant plus nécessaires au
financement des investissements pour la reconstruction et le développement du territoire que le
levier fiscal était rendu momentanément inopérant à la suite de l’ouragan Irma. Les effets de
cette politique volontariste se sont traduits de manière nette sur les premiers exercices de la
période sous revue.
Tableau n° 3 :
évolution des charges de gestion
en €
2019
2020
2021
2022
2023
Charges à caractère général
17 350 159
17 122 300
16 467 628
26 009 439
25 477 337
+ Charges de personnel
42 034 940
42 333 516
43 071 658
52 779 930
60 822 873
+ Charges d'intervention (aides
directes et indirectes)
18 082 029
21 212 979
21 464 768
21 258 676
23 341 367
+ Subventions de fonctionnement
13 909 208
15 726 237
16 270 475
23 552 175
26 684 054
+ Autres charges de gestion
18 342 965
5 550 858
6 817 967
4 381 457
8 534 252
+ Charges d'intérêt et pertes de
change
2 362 683
1 228 774
803 582
676 633
1 029 483
= Charges courantes
112 081 984
103 174 665
104 896 079
128 658 309
145 889 366
Source : CTC de Saint-
Martin, d’après les comptes de
gestion
Le plan
d’économies pour 2019 ciblait plus particulièrement les charges à caractère
général. Une diminution de 8,7 % (-2,3
M€) était attendue. Au total, elles ont baissé entre 2018
et 2019 de 40 % (-11,5
M€). Cette baisse s’est confirmée sur plusieurs exercices jusqu’en 2021.
dotation exceptionnelle de fonctionnement et, le cas échéant, des concours de trésorerie, pour les années 2017,
2018, 2019 et 2020. »
12
L’État et la collectivité de Saint
-Martin ont signé un protocole sur le volet « soutien au budget de
fonctionnement » le 6 novembre 2017 et un protocole sur le volet « Coopération en matière de reconstruction
exemplaire et solidaire » le 21 novembre 2017.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
20
1.2.2.2
Une progression spectaculaire des charges de personnel
En 2018, la collectivité prévoyait pour 2019 une baisse sur le poste «
dépenses de
personnel
» de l’ordre de 0,5
%. Cet objectif n’a pas été atteint
. Au contraire, les dépenses de
personnel ont suivi une progression d’environ 1,3
% par an jusqu’en 2021.
Depuis 2022, les dépenses de personnel ont progressé de plus de 41 %, soit de 43,1
M€
à 60,8
M€. La ratio de rigidité des charges structurelles, qui mesure le poids des
charges
incompressibles
13
par rapport aux produits de fonctionnement, passe de 31 % à plus de 50 %
entre 2021 et 2023. Ce taux de rigidité devrait alerter la commune. En 2024, ces dépenses sont
évaluées à
70 M€
. Dans cette hypothèse, la collectivité aura subi depuis 2022 une augmentation
de près de 30 M€) et de plus de 60
%, ce qui obère de façon durable sa gestion et ses capacités
financières.
1.2.2.3
Depuis 2022, les autres charges de fonctionnement sont soumises à une tendance
très nettement haussière
Le montant des charges liées aux contrats de prestations de services ont triplé de 2019
à 2021. Elles passent
d’une moyenne de 4,8 M€ par an à 16,7 M€, et 7,6 M€ en 2023
.
L’augmentation des crédits du compte 611
« Sous-traitance générale »
en 2022 est notamment
due au coût de récupération des épaves de navires et de nettoyage des sites de la lagune, Cul de
Sac, la Baie Orientale et Oyster Pond (7,2 M€).
Les subventions de fonctionnement étaient en moyenne de 15,3 M€ jusqu’en
2021.
Depuis, elles
s’élèvent en
moyenne de 25,1
M€
sur les années 2022 et 2023. Elles ont donc
augmenté de 64 %. Cette hausse résulte pour partie de
l’augmentation
des charges de personnel
de la caisse territoriale des œuvres sociales compensées par collectivité
(CTOS).
Les dépenses
d’intervention, composées des aides directes à la personne (
revenu de
solidarité active (RSA),
allocation personnalisée d’autonomie (
APA)) et des aides indirectes à
la personne, ont diminué de 1,6 % en moyenne annuelle. À
l’inverse,
les aides directes à la
personne ont continué d’augmenter mécaniquement en fonction des évolutions réglementaires
et les aides indirectes ont été drastiquement réduites.
1.2.2.4
Air Antilles : une prise de participation exposée à des risques financiers non
maitrisés et déconnectée des capacités financières de la collectivité.
Le tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre a prononcé le 29 septembre 2023 la cession
partielle des actifs du transporteur régional CAIRE (Compagnie aérienne interrégionale
express) à la société CIPIM (
holding
du groupe Edeis, gestionnaire de l’aéroport de Grand
Case) et à la collectivité territoriale de Saint-
Martin. L’offre de reprise
de ces deux partenaires
doit permettre de sauvegarder 120 emplois sur les 218 du périmètre Antilles, soit 55 % des
emplois att
achés à l’activité autonome de reprise
. Elle doit également permettre de conserver
les dessertes jugées les plus rentables de la compagnie entre la Guadeloupe, la Martinique,
Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
Cet engagement de la collectivité territoriale a une incidence importante sur ses
capacités financières. En décembre 2023, son conseil a adopté une décision modificative pour
13
Charges incompressibles : charges de personnel, intérêt des emprunts, dépenses obligatoires
(participations aux
services d’incendie et de secours par exemple).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
21
inscrire au budget 13,2
M€
de crédits. Dans le détail, cette somme correspond à 1,2
M€ de
participation au capital de la sociét
é d’économie mixte (SEM) «
Air Antilles
», à 6
M€ de
souscription d’obligations et
à 6
M€ d’avance en compte courant d’associés
.
La société CIPIM et la collectivité se sont engagées à payer outre les salaires des 120
employés à compter de leur entrée en jouissance, les droits à congés payés en cours
d’acquisition sur la période du 1
er
juin 2023 au 31 mai 2024 à l’exclusion de tout autre élément
(primes, RTT, jours de repos).
L’estimation du coût de fonctionnement prise en compte par le tribunal
de commerce
pour la validation de la cession est de 1,82
M€ par mois (10,9
M€ de besoin de financement sur
6 mois). La SEM «
Air Antilles
» a renégocié plusieurs contrats
afin d’en
reporter les coûts,
débouchant sur un
décaissement mensuel moyen d’environ 1,2
M€ par
mois sur la période
d’octobre 2023 à début février 2024
.
À un rythme moyen de 1,2
M€ de consommation par mois
, le besoin de financement
prévisionnel sur la période d’octobre
2023 à avril 2024
(sept mois) s’établirait à 8,4
M€. Si
les
sommes décaissées
sont pour l’instant couverte
s
par l’avance en compte courant d’associé à
hauteur de 6
M€, les reports successifs du démarrage de l’exploitation commerciale risquent de
générer un besoin de 2,4
M€ équivalent à deux mois de fonctionnement
. Dans cette hypothèse,
la collectivité devra provisionner
sur l’exercice
2024.
La compagnie Air Antilles a annoncé,
en mai 2024 l’obtention des autorisations
nécessaires à son exploitation commerciale
14
et la reprise des vols pour le 15, puis finalement
pour le 22 juillet 202
4 dans l’attente de certifications administratives pour les pilotes
15
. Son
démarrage commercial ayant été retardé de plus de sept mois par rapport à l’échéance la plus
optimiste, la compagnie n’a donc pu compter
pour se maintenir à flot financièrement que sur le
soutien financier de la collectivité.
Recommandation n° 4.
(
Régularité
) constituer une provision pour
les pertes d’exploitation
liées aux conséquences de
l’obtention différée des autorisations
nécessaires à la reprise de l’activité commerciale d’Air Antilles
conformémen
t à l’article R.
2321-2 du code général des
collectivités territoriales.
En théorie, l
a souscription d’obligations ainsi que l’avance en compte courant sont des
crédits récupérables par la collectivité. Ils ont pour finalité de garantir la couverture des
dépenses de la compagnie durant la période précédant la reprise des vols et d’attester auprès
de
la direction générale de
l’
aviation c
ivile (DGAC) d’une trésorerie équivalente à 3 mois de
fonctionnement au démarrage de l’exploit
ation.
L
’apport en compte courant d’associés ne peut être consenti pour une durée supérieure
à deux ans. Au terme de cette période, il est remboursé ou transformé en augmentation de
capital. Aucune nouvelle avance ne peut être accordée par la collectivité avant que la précédente
n’ait été remboursée ou incorporée au capital
. Le risque financier est donc réel pour la
14
Guadeloupe la 1
ère
, «
Après de longs mois d’attente, Air Antilles obtient son certificat de transport
aérien », Yasmina Yacou, 23 mai 2024.
15
Guadeloupe la 1
ère
, « Air Antilles : la reprise des vols entre la Guadeloupe, la Martinique et Saint-
Martin reportée au 22 juillet » ; Ludivine Guiolet-Oulac, Carole Petit, 15 juillet 2024.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
22
collectivité territoriale
d’autant que la reprise de l’activité de transport aérien s’inscrit dans un
contexte concurrentiel dynamique. En effet, une ligne entre Saint-Martin (aéroport de Grand-
Case) et la Guadeloupe est desservie par Air Caraïbes. Air France assurant de son côté une
liaison avec la Guadeloupe depuis l’aéroport Princess Juliana, en partie hollandaise.
La collectivité
s’expose
donc à un risque financier très important
d’autant que
la
rentabilité de cet investissement
à court et moyen terme n’est
vraiment pas assurée. Cette
décision
est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans un contexte de dégradation
spectaculaire de sa situation financière.
L
’engagement réel de l’actionnaire privé
, CIPIM, dans cette reprise, se limite à
l’apport
en capital initial. La collectivité assure 100 % toutes les dépenses de la compagnie naissante.
Cette prise en charge a été rendue possible par la déprogrammation de 15,85
M€ de
dépenses d’investissement dans le cadre du
quart des ressources que la collectivité est autorisée
à engager, liquider et mandater jusqu’à l’adoption de son budget 2024 (art. L.
1612-1 du
CGCT). En cas de difficultés d’exploitation d’Air Antilles au cours de l’exercice 2024, les
marges de manœuvre de la collectivité seront beaucoup plus contraintes.
1.2.3
Une collectivité dans l’incapacité d’autofinancer ses investissements
Après une année 2021 avec un excédent brut d’exploi
tation et une capacité
d’autofinancement
nette (CAF) élevées, ces indicateurs
s’effondrent à compter de
2022 et 2023.
Le résultat brut de fonctionnement est négatif. La
capacité d’autofinancement
nette diminue de
40,5
M€ en 2021 à 11,6
M€ en 2022
puis
21,6
M€ en 2023 (0,6
M€ en 2022 et
-13,7
M€ en
2023, selon les chiffres corrigés par la chambre
16
). La
collectivité n’a
donc plus de ressources
de gestion pour couvrir son cycle de fonctionnement.
Tableau n° 4 :
c
apacité d’autofinancement retraitée sur 2022 et 2023
en €
2019
2020
2021
2022
2023
=Produits de gestion (A)
136 698 733
124 644 196
155 610 956
146 322 951
151 010 074
=Charges de gestion (B)
109 719 302
101 945 891
104 092 496
139 014 519
151 259 883
Excédent brut de fonctionnement (A-B)
26 979 431
22 698 306
51 518 460
7 308 432
-249 809
+/- Résultat financier
-2 362 683
-1 228 774
-803 582
-676 633
-1 029 483
- Subventions exceptionnelle aux SPIC
17
0
0
565 585
0
0
+/- Autres produits et charges excep. Réels
2 126 653
-1 064 161
-5 325 479
-2 432 165
-7 113 962
=CAF brute
26 743 401
20 405 371
44 823 814
4 199 634
-8 393 254
- Annuité en capital de la dette
7 363 725
4 581 601
4 297 460
3 576 572
5 285 809
= CAF nette ou disponible (C)
19 379 676
15 823 770
40 526 353
623 061
-13 679 063
Source : CTC de Saint-Martin
d’après les comptes de gestion
16
Les corrections appliquées sont celles reprises au point 1.4.4. du présent rapport.
17
SPIC : services publics industriels et commerciaux.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
23
1.2.4
En 2023, la collectivité est confrontée à un déséquilibre significatif de son bilan,
qui nécessite des décisions de gestion urgentes
1.2.4.1
Un besoin de financement de 70
M€ en 2023
Le financement propre disponible pour les investissements est en très nette baisse en
2022 du fait
de l’effondrement
de la capacité d’autofinancement. Il passe de 40
M€ en moyenne
en 2019-2021 à moins de 5
M€ par an en moyenne pour les années 2022
-2023. En 2023, il est
négatif (-13,8
M€). La collectivité a
, par ailleurs,
augmenté ses dépenses d’investissement pour
atteindre près de 46
M€ en 2023.
Cette situation porte le besoin de financement à près de 70
M€.
Tableau n° 5 :
financement propre disponible pour les investissements
En €
2019
2020
2021
2022
2023
= CAF nette ou disponible (C)
19 379 676
15 823 770
40 526 353
11 655 905
-21 579 063
=Recettes d'inv. hors emprunt (D)
35 941 321
18
14 008 371
9 430 533
12 009 315
7 764 170
= Financement propre disponible (C+D)
55 320 997
29 832 140
49 956 886
23 665 220
-13 814 893
- Dépenses d'équipement (y compris
travaux en régie)
27 262 332
11 251 190
21 814 650
18 184 632
45 863 384
- Subventions d'équipement (y compris
subventions en nature)
3 860 044
168 809
7 083 750
173 706
1 989 146
- Participations et investissements
financiers nets
17 150
69 300
198 463
1 268 060
7 797 876
+/- Variation autres dettes et
cautionnements
0
-11 054
-3 851
-978
-1 007
= Besoin (-) capacité (+) de financement
24 181 471
18 353 896
20 863 875
4 039 800
-69 464 292
Source : CTC de Saint-
Martin, ANAFI d’après les comptes de gestion
1.2.4.2
Le fonds de roulement et la trésorerie diminuent drastiquement
Outre l’autofinancement, l
a collectivité finance ses investissements par des subventions
et l’emprunt. Sa capacité d’autofinancement lui permet
tait
d’avancer la trésorerie nécessaire au
paiement des entreprises mobilisées dans l’attente de recevoir les subventions européennes
(Fonds européen de développement européen (FEDER),
l’in
itiative «
Recovery Assistance for
Cohesion and the Territories of Europe
» (REACT EU), fonds européen agricole pour le
développement rural (FEADER)
) ainsi que celles de l’
État, des établissements publics
nationaux et des organismes divers de l’administrat
ion centrale (budget opérationnel de
programme (BOP) 123 « condition de vie outre-mer »,
Fonds européen d’investissement et
agence française de développement (AFD)).
L’effondrement
du fonds de roulement aboutit à une diminution de la trésorerie, qui est
passée de 68
M€ en 2021 à 40
M€ en 2023.
Le besoin en fonds de roulement exprime la nécessité pour la collectivité d’avoir un
excédent de ressources de long terme sur ses emplois long terme. Cela lui permet de faire face
18
La baisse des recettes d’investissement entre 2019 et 2020 s’explique notamment par
la sortie
progressive
des dispositifs de soutien de l’Etat pour la reconstruction
post-Irma.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
24
au déca
lage de temps entre les sorties et les entrées en trésorerie. La baisse de l’encours des
fournisseurs indique une réduction des délais de
paiements (rattrapage d’une partie des
paiements en retard). Les difficultés à faire entrer de la trésorerie ont augmenté mécaniquement
le besoin en fonds de roulement.
Tableau n° 6 :
encours fournisseurs
en €
2019
2020
2021
2022
2023
+ Redevables et comptes rattachés
39 782 799
45 475 938
54 206 256
55 573 580
40 190 188
- Encours fournisseurs
34 770 385
41 582 380
38 281 446
29 017 864
5 707 089
Dont fournisseurs d'immobilisations
2 781 621
4 095 991
5 977 948
1 780 103
4 702 906
= Besoin en fonds de roulement de gestion
5 012 414
3 893 559
15 924 809
26 555 716
34 483 099
En nombre de jours de charges courantes
16,3
13,8
55,4
75,3
86,3
Source : CTC de Saint-
Martin, ANAFI d’après les comptes de gestion
1.2.4.3
La collectivité
n’est potentiellement plus
en capacité de rembourser sa dette
L’encours de la dette
est constitué
d’emprunts
peu risqués détenus par des bailleurs de
fonds reconnus (AFD, Caisse d’épargne, Caisse des dépôts et consignations,
Société de
financement local (SFIL), Caisse française de financement local CAFFIL). Plus de 70 % de
l’endettement est détenu par l’
AFD (annexe n° 3).
L’endettement est en valeur absolu
e peu
élevé. Toutefois, il doit être estimé au regard des difficultés de la collectivité à dégager un
autofinancement.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Depuis 2022, la collectivité de Saint-Martin subit une dégradation spectaculaire et
inquiétante de sa situation financière.
Ses produits de gestion
s’effondrent de plus de 18,9
M€. Trois postes en particulier
connaissent un net repli : les ressources fiscales propres (-13
M€), les recettes d’exploitation
(-3,2
M€) et
les participations et dotations (-7,7
M€). Le repli de ces dernières s’explique par
la sor
tie des dispositifs de soutien de l’
État pour la reconstruction des infrastructures par le
cyclone Irma et la crise sanitaire.
En moins de 3 ans, ses charges de gestion progressent de 41
M€, dont
17,7 ME
imputables aux dépenses de personnel. En effet, sur cette période, ses effectifs nets ont
augmenté de 188 agents. Cette décision obère durablement la situation financière.
Ainsi, avec une CAF brute et nette, en très forte baisse, et même négatives en 2023, elle
perd toute capacité à financer ses projets d’investissement. Son besoin en fonds de roulement
s’accroît et sa trésorerie diminue drastiquement, ce qui fait craindre de sérieuses difficultés
pour le règlement des
créanciers et l’amortissement de la dette.
Malgré cette situation, la collectivité s’est engagée dans le projet de reprise de la
compagnie aérienne
Air Antilles. Sa prise de participation l’expose à des risques financiers
non maitrisés
, d’autant qu’elle a
ssure à 100 % toutes les dépenses de cette compagnie
naissante.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
25
2
LA COLLECTIVITÉ
S’EST SAISIE PLEINE
MENT DE LA
QUESTION DE LA GESTION DES ALGUES SARGASSES
Depuis 2011, le littoral E
st de l’île de Saint
-Martin, caractérisé par des plages de type
cordon-
lagune (notamment les Baies Orientale et de l’Embouchure), est le plus exposé aux
échouements
de bancs d’algues sargasses.
A partir de 2015, ils se sont intensifiés et leur
saisonnalité s
’est progressivement
atténuée.
Carte n° 1 :
origine de la prolifération des sargasses
L’échouement des algues sargasses
Les sargasses sont des algues brunes pélagiques ayant fait l’objet de plusieurs études
scientifiques ces dernières années.
Leur origine serait « la petite mer des sargasses » située au large du golfe du Mexique,
qui ayant bénéficiée d’un apport important de nutriments principalement de potassium et de
nitrate provenant des rivières Congo et de l’Amazone et associé aux conditions cl
imatiques
(élévation de température, baisses de la pression de l’air)
, favorisait la croissance et le
développement de celles-ci.
Leurs échouements constituent une menace majeure pour la santé,
l’environnement
et
l’économie, notamment touristique
. Au-delà
d’un délai de 72 h après l
eur arrivée sur les côtes
et sans ramassage, leur décomposition provoque un dégagement de gaz, notamment de
l’hydrogène sulfuré (H2S) par fermentation, qui à faibles doses, répand une odeur
particulièrement nauséabonde et, à doses plus importantes, peut devenir toxique voire mortel.
La capacité des sargasses à piéger des métaux lourds tel
que l’arsenic constitue un danger
potentiel pour les opérations de traitement et de valorisation de celles-ci et peut avoir des
incidences environnementales non négligeables en termes de pollution notamment.
Ce phénomène a également des conséquences sur
l’activité touristique de pêche et
d
’aquaculture. Au rang des dommages subis
sont également recensés la détérioration des fonds
marins, de la qual
ité de l’eau, des
machines, des systèmes de climatisation, des composants
électroniques des ordinateurs et
l’usure précoce des outils de travail
. La perturbation des
Origine de la prolifération des sargasses : la mer des sargasses (
Illustration de Mark Garrison).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
26
écosystèmes (mangroves, lieux de pontes) est également observée. Les techniques actuelles de
ramassages y contribuent également.
Ce phénomène récurrent et prévisible n’est pas
couvert par les assureurs comme une
catastrophe naturelle, à l’inverse de certaines sécheresses. Et, en dépit de leur collecte et
valorisation, les sargasses ne sont pas définies comme des déchets au sens
de l’article
L. 541-1-
1 du code de l’environnement.
Par conséquent, leur gestion ne dépend pas d’une compétence d’un niveau de
collectivité en particulier mais des prérogatives dévolues soit au gestionnaire du domaine, soit
à un ou des détenteurs d’un pouvoir de police. En vertu des pouvoirs de police des maires
19
, la
lutte contre cette pollution relève dès lors en premier lieu des communes. À Saint-Martin, la
collectivité est donc
responsable de l’enlèvement des sargasses.
Les pouvoirs du président de la collectivité en cette matière,
s’exerçant sur l’ensemble
du territoire et sur le domaine public maritime jusqu’à la limite des eaux,
en concertation avec
le Conservatoire du littor
al et l’association de gestion de la réserve naturelle de Saint
-Martin
(voir 2.1.2), sont de sa compétence exclusive. Les opérations de ramassage, de transport de
stockage, et les dépenses afférentes relèvent donc, au même titre que la surveillance humaine
des plages et zones infralittorales, de la compétence de la collectivité.
Cette dernière a procédé à plusieurs ajustements de doctrine entre 2015 et 2023 en
matière de collecte, de stockage, d’évacuation et de valorisation des algues sargasses. Ces
changements résultent,
d’une part
,
de l’amélioration des connaissances scientifiques sur les
algues sargasses, sur leur prolifération anormale et leurs échouements massifs sur les côtes de
la Caraïbe et,
d’autre part, de l’expérience tirée des solutions de gestion mises en œuvre depuis
2015 (interventions plus respectueuses de la biodiversité et du profil des plages). La logique de
l’urgence lors des arrivages massifs des années 2014 et 2015 a laissé place à une logique de
gestion courante et plus anticipatrice,
prenant en compte les risques d’échouement au même
titre que d’autres risques (cyclone ou d’inondation).
2.1
La lutte contre les sargasses : une place pour la préservation de
l’environnement à mieux définir et
à concilier entre les acteurs
2.1.1
Une problématique à fort enjeux pour le territoire
Le phénomène touche surtout la partie orientale de l’île qui concentre la majorité des
plages touristiques très fréquentées et la baie de Cul de Sac, très touchée en raison de ses
caractéristiques topographiques, où l’on tro
uve des établissements scolaires et des habitations
en proximité du rivage.
En 2015, un diagnostic initial des plages de Saint-Martin a été commandé par la
préfecture de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy afin
d’élaborer une stratégie commune de
19
Articles L. 2212-1 et L. 2212-2 alinéa 1° et 5 ° du code général des collectivités territoriales.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
27
réponse aux échouements de sargasses. Chaque plage y était notée en fonction de sa
fréquentation par le public local et touristique, du risque d’exposition aux émanations de gaz
(le
sulfure d’hydrogène ou
H2S et
l’ammoniac
ou NH3), de la fréquence et de la quantité des
échouements au cours des trois dernières années, des actions de nettoyage déjà opérées et de
l’impact environnemental (
lieux de pontes de tortues marines).
Depuis 2019, six sites sont plus particulièrement observés et font l’objet d’interventions
con
certées pour la collecte de sargasses. Ils sont tous situés sur la côte Est de l’île
: Grandes
Cayes, Cul de Sac, Mont-Vernon, Baie Orientale, Galion, Baie-Lucas (annexe 6).
Carte n° 2 :
principaux secteurs impactés par les échouements de sargasses
Source : collectivité de Saint-Martin
Certaines plages sont très prisées par une clientèle internationale. Par exemple, si les
croisiéristes débarquent majoritairement en partie hollandaise
20
, ils se rendent en partie
française,
en raison de l’attrait des paysages de bord de mer. En 2022, l’île de Saint
-Martin a
accueilli 1,3 million de visiteurs (contre 2,7 millions de visiteurs avant la crise de la «
covid
19
»), dont 92,5 % arrivent en partie néerlandaise
21
. Compte tenu de l’ouverture totale de la
frontière entre les deux territoires
, les touristes parcourent l’ensemble de l’île sans qu’il soit
possible d’estimer précisément la part de ceux qui ont séjournés ou qui se sont rendus en partie
française. Les échouements de sargasses représentent donc un facteur dissuasif fort pour les
visiteurs potentiels et,
in fine
, un risque significatif pour le secteur touristique de Saint-Martin.
20
Selon l’association de la
Caraïbe pour le commerce (la CARICOM), les pertes économiques liées au
phénomène se chiffreraient pour les pays de la Caraïbe à 9
4 M€ en 2022.
21
IEDOM, Saint-Martin : rapport annuel 2022, éd. 2023, page 80.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
28
Pour illustrer l’enjeu d’une gestion prédictive
du phénomène,
la chambre s’est
focalisée
sur les échouements massifs de
l’été 2022
sur la Baie de Cul-de-Sac, emblématique de ce
phénomène
. Sur cette baie se situe l’embarcadère pour les navettes conduisant les touristes à
l’îlet Pinel, l’un des
hauts lieux du tourisme Saint-Martinois.
Photo n° 1 :
baie de Cul-de-Sac, été 2022
Source : association de gestion de la Réserve naturelle de Saint-Martin (voir carte 2, repère 2 rouge).
Cette situation de crise a nécessité un déploiement exceptionnel de moyens en renfort
de l’entreprise
titulaire du lot 2 « cul-de-Sac : prestation de collecte des sargasses avec transport
vers l’Ecosite
» de l’accord
-cadre n°19/01/011. Deux entreprises ont été réquisitionnées par la
collectivité pour venir en aide au titulaire du marché. Au total, près de neuf jours auront été
nécessaires pour maîtriser l’afflux
de sargasses et les taux de concentration en métaux lourds.
De l’avis des acteurs locaux, la saison haute des échouements de sargasses, entre mars
et septembre, s’est allongée au fur et à mesure des années. Cependant, les arrivages les plus
massifs restent concentrés sur une période allant de mai à août.
En devenant récurrent, le phénomène a obligé les acteurs à structurer la réponse
opérationnelle en tenant compte des caractéristiques propres aux sites les plus exposés.
L
impact sanitaire
est d’abor
d pris en compte pour déterminer le degré de priorité des
interventions de collecte, de ramassag
e et d’évacuation des sargasses.
2.1.2
Des points de vue parfois divergents entre les acteurs de la politique
environnementale
Les sites d’échouement font l’objet d’une gestion
répartie entre le Conservatoire du
littoral, l’association de gestion de la réserve naturelle de Saint
-Martin (loi 1901), la collectivité
de Saint-
Martin et des acteurs privés titulaires d’une
a
utorisation d’
occupation temporaire
(AOT) du domaine maritime. Ces acteurs publics et privés ont des objectifs différents
(réglementation des usages, régulation des activités ou activités commerciales), souvent
complémentaires, mais parfois divergents ou opposés.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
29
Le Conservatoire du littoral, établissement public national, est affecta
taire d’une partie
du domaine public de
l’
État qui comprend la zone des 50 pas géométriques
22
, ainsi que les
zones classées en zone naturelle. N’ayant pas de compétence de gestion,
il délègue la gestion
du domaine à des associations de gestion comme celle de la réserve naturelle nationale.
Cette
réserve naturelle est une aire protégée, gérée par l’association depuis 1999
. Le
territoire protégé comprend : une partie marine de 2 900 hectares qui forme un cône entre la
côte nord Est de saint-Martin et les îles
d’Anguilla, de Saint
-Martin et de Saint-Barthélemy ;
154 hectares de parcelles terrestres, soit 11 kilomètres de linéaire côtier ; 198 hectares de zones
humides répartis sur toute l’île. Gestionnaire historique des propriétés du
Conservatoire du
littoral,
l’association de gestion de la réserve naturelle ne gère désormais que les zones situées
dans le périmètre de la réserve. La collectivité de Saint-Martin, par une première convention en
2019 et une autre en 2021 a pris en charge les zones situées hors du périmètre de la réserve.
Le Conservatoire du Littoral et l
’association susmentionnée
ont des points de vue assez
proches sur les méthodes de collecte à
mettre en œuvre
(ramassage manuel à privilégier) et les
préconisations de gestion des espaces dans une optique de préservation de la biodiversité et du
caractère des lieux
23
. Certaines pratiques de collecte peuvent entrer en contradiction avec la
doctrine de gestion patrimoniale du domaine terrestre du Conservatoire du littoral et du domaine
maritime de la réserve naturelle. Plusieurs sites ont pu cristalliser les tensions : Grandes Cayes,
Cul-de-Sac et Le Galion. Les motifs peuvent porter notamment sur les effets de la collecte sur
le trait de côte, sur le profil de plage (tassement) ou sur les atteintes à la biodiversité (zones de
ponte des tortues).
De son côté, la préfecture de Saint-Martin assure la surveillance sanitaire des sites
d’échouements et coordonne avec la collectivité de Saint
-Martin la stratégie de collecte des
algues sargasses et de leur évacuation. L’aspect sanitaire est priorisé par l’
État, notamment à
Cul-de-S
ac et au Quartier d’Orléans, un quartier historique et populaire situé sur les rives de
l’étang aux poissons.
Enfin, concernant le cas particulier de la Baie Orientale, c’est le titulaire de l’AOT qui
entretient cette plage parmi les plus grandes de l’île
et les plus fréquentées par la clientèle
internationale (200 emplois directs, 1 100 emplois indirects, près de 2 000 résidents). Jusque-
là, les sargasses étaient collectées et stockées en bout de plage. Après une période de séchage,
le sable mélangé avec les sargasses était réemployé pour le rechargement de la plage. Le
titulaire de l’AOT
estime le coût annuel des opérations de ramassage à sa charge à 60 milliers
d’euros
.
22
Zone de 81,20 mètres de large à partir l’estran (ligne de marée haute) et qui fait partie du domaine
public de l’État.
23
Réserve naturelle nationale de Saint-Martin, Diagnostic initial des plages de Saint-Martin : état des
lieux des places impactées par les échouages de sargasses en vue de l’élaboration d’une stratégie commune de
réponse, juin 2015.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
30
2.2
Une gouvernance partenariale à parfaire
2.2.1
L’organisation territoriale face au phénomène
2.2.1.1
Une gestion partenariale État - Collectivité
La réponse face aux échouements de sargasses et à leur impact sanitaire, économique et
touristique fait l’objet d’une mobilisation conjointe de la collectivité et des services de l’
État.
Le fait que la collectivité soit unique sur son territoire facilite la coordination des deux acteurs
pour limiter les effets des échouements. Cette gouvernance a été renforcée par la mise en place
d’un comité de pilotage
territorial dans le cadre du «
Plan Sargasses 2
».
Dans le cadre du premier plan triennal de 2018, la gouvernance locale du phénomène
n’était pas encore une priorité. En effet,
il était conçu comme une réponse ponctuelle et dans
une approche de type «
gestion de crise
». L’effort financier de l’
État a porté sur la télédétection
des échouements et le soutien des collectivités à l’acquisition de moyens de collecte et de
transport des sargasses. La collectivité, par ses pouvoirs de police administrative, est chargée
de la
collecte des sargasses avec le soutien de l’
État qui
l’
alerte en cas de dégradation de la
situation grâce aux relevés de mesures réalisés par l’
Agence régionale de santé (ARS).
A contrario, le «
plan Sargasses 2 - 2022-2025
» se fixe notamment pour objectif
d’
«
établir une gouvernance donnant une place significative à l’échelon local
». À Saint-
Martin, le comité de pilotage territorial (COPIL) présidé par le préfet délégué dans les îles du
Nord a été installé. Il se compose en format restreint des représentants de la collectivité (vice-
président chargé de la délégation au c
adre de vie) et des services de l’
État concernés (préfet
délégué ou son représentant,
l’
ARS, les unités territoriales de la Direction de l'environnement,
de l'aménagement et du logement (UT-DEAL), et celles de la Direction de la mer (UT DM)).
Il s’ouvre en format élargi aux acteurs socio
-économiques du territoire (Mouvement des
entreprises de France (MEDEF), association gestionnaire de la réserve naturelle de Nohèdes
(AGRNN), collectif anti-sargasses, VERDE,
l’association
Métimer, le Conservatoire du
littoral, la société de gestion Sindextour, etc.).
Le relevé de décisions du 1
er
COPIL qui a eu lieu le 7 septembre 2022 précise que le
comité restreint «
se veut une instance déci
sionnelle entre la collectivité et les services de l’
État.
Il vise à définir les objectifs communs dans le cadre de la lutte contre les sargasses et la
stratégie de communication vers les différents partenaires et la presse
».
Il s’agit donc bien
d’un espace de dialogue formel entre les acteurs, d’une instance de préparation des décisions,
de validation et de suivi des plans d’actions, en particulier sur le plan financier.
Le 1
er
COPIL a pris deux décisions qui engagent
l’
État et la collectivité : la mise en
place de capteurs H2S/NH3 et de caméras de surveillance sur les sites les plus touchés par les
sargasses et
l’installation de barrages flottants provisoires à Cul
-de-Sac et à la Baie de
l’Embouchure. Le 2
ème
COPIL,
qui s’est tenu le 19 janvier 2023
, a permis de faire le point sur
les différents marchés en préparation (ramassage, investissement, études). Les deux premiers
COPIL démontrent de la part de la collectivité et de
l’
État un bon niveau de partenariat.
L’
État
a rappelé à ces occasions la nécessité de respecter les règles prévues par le code de la commande
publique et le caractère limité dans le temps des réquisitions.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
31
2.2.1.2
L’organisation de la collectivité
En 2011, la collectivité a mobilisé ses propres moyens pour faire face aux échouages
importan
ts des sargasses. Entre le mois d’avril 2014 et le mois d’octobre 2015, Saint
-Martin a
connu de nouveaux échouages massifs. Elle a reconduit son dispositif (services techniques,
camion de 3,5 t, une tractopelle) et fait appel à une entreprise de travaux publics.
À compter du 1
er
octobre 2015, des brigades vertes portées par une association financée
tant par la collectivité que l’État
, composées de personnes en insertion, sont affectées
notamment au ramassage des algues sargasses.
Le passage de l’ouragan Irma en 2017 a relégué temporairement au second plan la
gestion du phénomène. En 2019, la collectivité fait le choix de recourir à des prestations
externalisées dans le cadre d’un accord
-cadre conclu pour trois ans renouvelables deux fois une
année. Ce marché dont l’exécution a soulevé plusieurs problèmes a pris fin en
janvier 2023.
Depuis son expiration, la collectivité a recours par voie de réquisitions à des prestataires
identifiés selon les sites à enjeux et reconduits à chaque cycle de réquisitions sans mise en
concurrence préalable (voir infra encadré au 2.3.2.4). Elle motive ses réquisitions notamment
par plusieurs aléas liés à la publication d’un nouvel accord
-cadre.
Lors du comité de pilotage extraordinaire sur le plan national de lutte contre les
sargasses du 1
er
août 2022, la décision a été prise de mettre en place un opérateur unique de
gestion par territoire pour concentrer les moyens de réponse. Saint-Martin étant une collectivité
unique sur son territoire, la question du regroupement des opérateurs ne se posait pas.
2.2.2
La collectivité ne mobilise pas tous les financements accordés
Sur le plan budgétaire, l’accompagnement de l’
État
depuis l’apparition du phénomène
a évolué passant d’un soutien financier pour les équipement
s et les opérations de collecte des
sargasses échouées à un co-financement pour pérenniser les moyens de détection et de lutte
contre les sargasses.
La collectivité a voté, lors du conseil territorial du 10 novembre 2015, une demande
d’aides financières pour l’achat d’un camion destiné à la collecte et à l’évacuation des sargasses
dans le cadre du f
onds exceptionnel d’urgence pour la gestion de
ces algues dans la Caraïbe.
L’
État et la collectivité ont participé respectivement à hauteur de 80 % et de 20 % du coût
d’achat
(123 K
).
Ce camion n’a jamais été immatriculé et, de fait, mis en service.
Depuis 2015,
i
l stationne sur le parking du site de production d’eau potable de Saint
-Martin, propriété
foncière de la collectivité, à quelques centaines de mètres à peine de la zone occupée par les
services techniques. Aucune raison objective n’a été avancée pour expliquer l’abandon de ce
matériel neuf.
Jusqu’à présent, la collectivité n’a pas utilisé ce camion, alors qu’elle a dépen
pour l’enlèvement et le transport des sargasses vers l’Écosite un montant équivalent à son coût
d’achat, soit 140
560
€.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
32
Photo n° 2 :
le camion abandonné, destiné initialement à la collecte des sargasses
Source : CTC de Saint-Martin
En décembre 2022, la collectivité et la p
réfecture ont signé une convention d’attribution
d’une aide de l’
État de 0,6 M
€ pour la réalisation de l’opération
«
Ramassage des sargasses
échouées sur le littoral de l’île de Saint
-Martin
». Quatre sites à enjeux sont concernés : Baie
du Cul-de-
Sac, Mont Vernon, Baie de l’embouchure et Baie Lucas. Cette contribution
représente 96,80
% du coût de l’opération.
Dans le cadre du plan national de prévention et de lutte contre les sargasses 2022-2025,
l’
État
s’est engagé à participer à l’opération «
lutte contre les échouements de sargasses
» dans
la limite de 565 211 euros, soit 80 % de son coût prévisionnel éligible de 706 513 euros. Cette
aide vise à contribuer aux recours à des interventions complémentaires de prestataires de
collecte et d’évacuation, ainsi qu’aux études, travaux, aménagements et acquisitions
d’équipements visant à améliorer la gestion opérationnelle du phénomène.
L’opération financée
ambitionne aussi de réduire les délais entre les échouements et les
actions de collecte grâce à la surveillance des sites par des caméras autonomes ; de faciliter le
contrôle des opérations de collecte également par ces moyens de télésurveillance ;
d’
assurer le
suivi permanent de la qualité de l’air par des détecteurs de
gaz NH3 et H2S et de doter la
collectivité des outils nécessaires pour assumer, en régie,
l’entretien des barrages. Le
commencement d’exécution était fixé à mars 2023.
À la date du contrôle de la chambre, aucun paiement n'est intervenu sur cette enveloppe,
aucune demande de paiement (factures) n
’a
été transmise
aux services de l’État
.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
33
2.3
Des moyens techniques croissants déployés lors des échouements
2.3.1
La prévention des risques, la surveillance et la protection des populations
2.3.1.1
La prévention et la surveillance du risque sargasse
L’ARS effectue des mesures de la qualité des eaux de baignade et des mesures
d’émission de sulfure d’hydrogène (H2S)
. Celles-ci sont effectuées sur le terrain par des agents
équipés de détecteurs portatifs. Durant la saison haute des échouements (mars à septembre),
l’agence effectue des mesures ponctuelles à raison d’un relevé de mesures par semaine (près
des sargasses et près des habitations) et jusqu’à trois relevés par semaine sur demande de la
préfecture (lundi, mercredi et vendredi). En saison basse, ces mesures ont lieu ponctuellement,
à l’opportunité.
Les données sont transmises à la préfecture de Saint-Martin et à la collectivité
qui sont chargées d’alerter la population sur la qualité de l’air et
indiquer les recommandations
à suivre.
Les autorités disposent également des bulletins produits par les services de Météo
France depuis juin 2020. Les services de la collectivité ont indiqué à la chambre que les données
de l’établissement public national étaient produites
sur la maille, trop grande,
de l’observation
satellitaire. Les prévisions n’auraient donc pas l’effet prédictif escompté, du moins sur le plan
opérationnel. Cependant, l’analyse
par la chambre des bulletins sur la période de juin 2020 à
novembre 2023 montre une augmentation tendancielle des bulletins indiquant un risque
d’échouement moyen à fort sur un nombre croissant de semaines par année.
Les niveaux d’H2S dans l’air ambiant atteignent rarement une concentration supérieure
ou égale à 5 ppm
24
. La collecte réguli
ère des sargasses permet de limiter l’exposition du public
à des seuils d’alarme. Au cours de l’année 2023, un seul pic à 5
ppm a été enregistré à Cul-de-
Sac au mois d’août lors d’un afflux massif de sargasses qui a temporairement saturé les moyens
de collecte.
24
La « ppm » (partie par million) exprime une fraction
d’un composant présent da
ns une unité. Elle est
utilisée notamment en toxicologie.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
34
Tableau n° 7 :
recommandations sanitaires
Source/note : Agence de santé Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy
Concernant le réseau des médecins sentinelles, il a été difficile
d’identifier les
consultations liées aux effets ressentis par la population exposée de façon chronique aux
émissions d’H2S, compte tenu des autres enjeux de santé de publique (dengue, chikungun
ya,
etc.).
E
n l’absence de suivi permanent,
la collectivité a
élaboré un plan d’investissement (706
milliers d’euros
) financé à 80 % par
l’
État
dans le cadre d’une subvention 2023 (
programme
162
- Interventions territoriales de
l’
État
), visant notamment à détecter en temps réel les
échouements par le recours à des caméras autonomes et à assurer un suivi permanent de la
qualité de l’air par la mise en place d’un réseau de captation en continu des émanations de gaz.
Les sites retenus pour la pose de ces dispositifs sont : Grand Cayes (caméra), Baie de Cul de
Sac (caméra
/détecteur de gaz), Mont Vernon (caméra/détecteur de gaz), Baie de l’Embouchure
(caméra/détecteur de gaz), L’Etang aux poissons (caméra/détecteur de gaz) et Baie Lucas
(caméra/détecteur de gaz).
Un
marché d’investissement
, alloti en cinq lots (barrages, caméras, capteurs, camion
grue, camion kärcher) a été publié le 19 janvier 2023. Son attribution était envisagée pour le
début du mois de mars 2023. Plusieurs aléas ont conduit la collectivité à relancer par deux fois
la procédure. À la date du contrôle de la chambre
sur site, près d’un an après, le marché n’avait
toujours pas été attribué.
Or, des capacités opérationnelles de surveillance en temps réel des échouements et de
détection en continu des émanations de gaz favorisent une meilleure réactivité en matière de
collecte et de prévention des risques.
En l’absence de marché
, la collectivité aurait pu prévoir
des panneaux d’information en bordure de plages sur les effets nocifs des sargasses et les
précautions à observer, dispositif de prévention
simple à mettre en œuvre
.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
35
2.3.1.2
La mise en place de barrages est prévue pour 2024
Deux sites font l’objet d’une attention particulière
: la baie de Cul-de-Sac et celle de
l’Embouchure. La collectivité, en concertation avec la préfecture, prévoit l’installation de
barrages expérimentaux en proche-côtier.
Carte n° 3 :
implantation des deux barrages anti-sargasses
Source : UT-DEAL
À Cul-de-Sac, le projet vise prioritairement à préserver le ponton permettant la desserte
touristique des îlets et de concentrer le flux de sargasses dans une zone de ramassage
circonscrite. À
la baie de l’Embouchure, l’enjeu est de protéger les habitants d
u quartier
d’Orléans, composé à majorité de foyers modestes, de l’infiltration de sargasses par
l’Embouchure dans la zone marécageuse de l’étang aux poissons où les techniques habituelles
de collecte sont impraticables.
Une étude de faisabilité est, au moment du contrôle de la chambre, en cours pour
déterminer les conditions techniques
d’implantation de ces barrages les plus appropriées. Ses
résultats permettront de disposer efficacement des linéaires de barrages acquis dans le cadre
d’un
futur
marché d’in
vestissement (100 mètres environ pour la B
aie de l’embouchure et
350 mètres environ pour Cul de sac) et de tester leur opérationnalité.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
36
2.3.2
La collecte et le transport des algues
La gestion publique des sargasses à Saint-
Martin dispose maintenant d’une
dizaine
d’années d’expérience. Le passage progressif d’une logique de gestion de crise à l’émergence
d’une gestion à plus long terme a bénéficié des retours d’expérience de plusieurs types de
réponses opérationnelles successives. Les opérations de collecte ont parfois été mal-adaptées (à
Cul-de-Sac, le trait de côte a reculé de 40 mètres) et se sont déroulées dans le cadre de
procédures dérogatoires aux règles de la commande publique (dépassements des seuils autorisés
et recours systématique aux réquisitions).
Schéma n° 1 :
adaptation progressive des cadres et méthodes de collecte
Source : CTC de Saint-Martin
2.3.2.1
Le marché de collecte mis en place entre 2019 et fin 2022 a connu une exécution
irrégulière et onéreuse
En 2019, la collectivité opère un changement de doctrine et passe d’une gestion
associative à vocation d’insertion à une ge
stion encadrée par un accord-cadre à bons de
commande pour la collecte, l’enlèvement et le transport des algues sargasses échouées sur le
littoral de Saint-Martin
25
.
Le
marché pour la collecte, l’enlèvement et le transport
a été notifié le 10 septembre
2019 pour une durée de 36 mois,
soit jusqu’
au 9 septembre 2022
. Il a fait l’objet d’
un avenant
qui a prolongé le marché
de quatre mois jusqu’au 10 janvier 2023. Cet avenant visait à prendre
en compte «
l’allongement de la période usuelle d’échouage des alg
ues sargasses
» qui
s’étendait désormais entre les mois d’avril et de décembre.
L’
accord-cadre, divisé en lots correspondant aux sites à enjeux, sans montant minimum
et maximum, s’exécute par l’émission de bons de commande pour collecter et stocker sur
place
ou enlever et transporter les sargasses vers l’
Écosite. Au préalable, la collectivité procède à un
recensement de la quantité
d’algues
et à une évaluation du niveau de gaz H2S ou NH3 (art.
4.4.1 et 4.4.2 du cahier des clauses administratives particulières, CCAP).
La société «
A
» a été retenue pour les lots 1, 3, 4 et 6 «
prestation de collecte des
sargasses avec stockage et étalement à moins d’un kilomètre
» qui concernent respectivement
Grand Cayes, Mont Vernon, la Baie de l’embouchure et la Baie Lu
cas. Ce marché sur ces sites
prévoyait un stockage sur place et un étalement à moins d’un kilomètre. Durant la durée
25
Délibération CE 080-03-2019 portant «
Autorisation de signature suite à l’appel d’offre ouvert lancé
pour l’accord
-
cadre à bons de commande pour la collecte, l’enlèvement et le transport des algu
es sargasses
échouées sur le littoral de la Collectivité de Saint-Martin ».
Réquisitions
(01/07
15/10/22)
Tourisme en berne
2015-2017
Brigades vertes
2019-2022
1
er
marché de collecte
2024-2027
2
e
marché de collecte
2023
Réquisitions
IRMA
COVID
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
37
d’exécution du marché, les sargasses ont donc été épandues sur des sites en immédiate arrière
-
plage. Ceux-ci
n’avaient pas été prévus spéci
fiquement pour cela
et l’impact en termes de
pollution des sols et des eaux n’a pas
été mesuré.
La société «
B
» a été retenue pour les lots 2 et 5 «
prestation de collecte des sargasses
avec transport à l’Ecosite
»
, correspondant au site de Cul de Sac et à l’étang aux poissons. En
raison des enjeux particuliers pour la population, l’économie et l’environnement, les
algues ont
été évacuées systématiquement en direction de l’
Écosite de Grandes Cayes. Concernant le lot
5, la collectivité n’a émis aucun bon de commande, compte tenu des contraintes de l’
étang aux
poissons (site lagunaire classé en réserve naturelle nationale qui accueille la plus importante
mangrove de l’île, en périphérie de la zone urbanisée de Quartier
d’Orléans).
Les prix dépendent de la nature des lots et des prestations. La société «
B
» facture au
tarif de 22,50
€ la tonne et intervient à partir de l’émission d’un bon de commande dans un délai
de 24h. La société «
A
» facture au tarif de 1 440
HT
/jour et intervient à partir de l’émission
d’un bon de commande dans un délai de 48
h. Ces tarifs
comprennent l’ensemble des coûts
.
Les deux titulaires se sont engagés à ne pas prélever plus de 5 % de sable afin de préserver le
littoral. Ils sont tenus par les clauses du marché à une obligation de résultat.
L’exécution de ces lots a donné lieu à de multiples dysfonctionnements
: des délais
d’intervention supérieures aux délais contractualisés et incompatibles avec les enjeux
sanitaires ;
la mise en œuvre de
moyens matériels insuffisants pour respecter l’objectif de
résultats ; des problèmes de contrôle du service fait qui ont donné lieu à des contentieux
26
;
l’emploi de méthode de collecte entraînant la
détérioration du littoral (collecte de sable
supérieur à taux contractualisé, recul du trait de côte,
atteinte à l’environnement
du littoral à
Grandes Cayes).
La facturation à la tonne (22,5
€/t) sur le lot 2 était défavorable aux finances de la
collectivi
té. L’effet d’aubaine consistait
pour l’entreprise
à collecter les sargasses avec des
quantités de sable importantes pour augmenter les montants facturés. Cette pratique combinée
aux faibles moyens de contrôle des chargements a placé la collectivité dans l
’impossibilité de
vérifier la qualité de la collecte. La méthode d’enlèvement peu discriminante du titulaire a
conduit à
l’aggravation du
recul du trait de côte à Cul-de-
Sac d’environ 40
mètres.
Compte-tenu de la qualité du travail effectué et des dysfonctionnements dans
l’exécution du marché,
la collectivité aurait dû appliquer aux prestataires les pénalités prévues
à l’article 10 du CCAP, notamment dans les cas de non
-
respect de l’objectif de résultat et de
non-respect du délai de réalisation
. Elles s’él
èvent aux termes des dispositions contractuelles à
500
HT par jour jusqu’à l’obtention du résultat ou par jour de retard.
2.3.2.2
Les retards dans
l’attribution du
marché de collecte de 2023 font prendre des risques
à la collectivité territoriale
Une consultati
on pour l’établissement d’un
nouveau marché de collecte a été lancé par
la collectivité le 19 janvier 2023. Au mois de mars 2024, il n’était toujours pas attribué. La
collectivité avance un certain nombre de
« difficultés administratives indépendantes de [sa]
volonté »
pour expliquer ce délai anormalement long de la procédure de dévolution.
26
Chambre territoriale des comptes de Saint-Martin, avis n° 2020-0091, ELG TP contre la collectivité de
Saint-Martin.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
38
Ces délais sont également dus à la désorganisation de la collectivité. Une première
consultation a été publiée entre le 19 janvier et le 23 février 2023. Victime d’une
attaque
informatique, la collectivité s’est trouvée dans l’impossibilité de répondre aux questions posées
par les candidats. Sous la menace de potentiels référés de la part des candidats, elle a fait le
choix de relancer l’appel d’offre dans le cadre d’un
e procédure accélérée.
La deuxième consultation a eu lieu à compter du 23 février avec une date de clôture
pour la réception des candidatures au 11 avril 2023. Un cabinet externe a été mandaté pour
analyser les huit offres réceptionnées. Au mois de juillet 2023, les résultats de cette analyse
n’avaient pas été encore présentés en commission d’appel d’offres.
Au final, les offres se sont révélées selon les cas irrégulières, car le plus souvent
incomplètes et non régularisées
, ou inacceptables, c’est
-à-dire proposant le plus souvent des
prix représentant deux à trois fois le montant estimé du marché. Cette situation, qui reflète
également la capacité assez faible des acteurs privés locaux à répondre aux marchés publics, a
conduit la collectivité à lancer une nouvelle consultation le 23 août 2023.
La remise des offres, initialement prévue au 4 septembre 2023, a été prolongée au 6,
puis au 14 septembre 2023.
Les marchés n’ont été notifiés aux attributaires que le 10 juin 2024.
L’absence de diligence a généré de
nombreux aléas conduisant la collectivité à utiliser des
réquisitions alors que les conditions réglementaires n’étaient pas remplies.
2.3.2.3
La réquisition systématique, un moyen irrégulier et très onéreux
En raison des aléas évoqués supra, la collectivité a procédé à des réquisitions (article
L. 2212-2 du CGCT) pour la collecte
tout au long de l’année 2023.
Elle a motivé le recours à
cette procédure par des considérants généraux tels que les mesures de prévention, le risque
saisonnier d’échouement et leurs impacts ou les imperfections des outils de télédétection. Ces
éléments sont en eux-mêmes insuffisants pour justifier le recours au cadre juridique exorbitant
des réquisitions.
Réquisitions
Les pouvoirs de police administrative du président de la collectivité sont
énumérés à l’article L.
2212-2 du CGCT.
Il peut être amené à prendre des arrêtés de réquisition au titre de l’alinéa 5
de l’article
susmentionné : «
Le soin de prévenir, par des précautions convenables,
et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les
fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les
inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les
avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou
contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures
d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de
l'administration supérieure
».
L’exercice de ce pouvoir doit être exceptionnel, conditionné à l’occurrence
de circonstances particulières. Celles-
ci se rapportent au constat d’une situation
d’urgence et à l’incapacité corrélative de la collectivité d’y remédier par ses propres
moyens. Son champ d’application se limite dans la durée au strict délai nécessaire
au rétablissement de la situation
ex ante
.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
39
Les réquisitions sont présentées également comme un outil de contournement des délais
administratifs inhérents aux procédures de passation de marché («
impossibilité de recourir à
des outils de contractualisation usuels qui nécessitent des délais administratifs incompatibles
avec l’urgence
», «
délais incompressibles inhérents au marché en cours de traitement
»). Elles
se sont appuyées sur ce motif irrégulier de «
délais incompressibles
» durant un an en précisant
à l’article 3
de la décision de la collectivité de réquisitionner
que
« le délai de réquisition [était]
susceptible d'être restreint et de prendre fin sans préavis dès l'édition du premier bon de
commande du [nouveau] marché en cours de traitement et dédié à la collecte et au traitement
des sargasses ».
Malgré les aléas de la passation de ce nouveau marché prévu pour quatre ans,
la durée de plus d’une année pour relancer et faire aboutir une consultation de marché
«
urgente
» apparait particulièrement longue.
Enfin, à partir du cycle de réquisitions
de juin 2023, la mention d’une
« augmentation
de la fréquence et de l’in
tensité des échouements anticipables »
réfère pour la première fois à
un caractère d’urgence pouvant justifier le recours aux réquisitions bien que la durée de validité
de celles-ci (trois mois) tempère la gravité supposée des échouements.
En fin de compte
, ces réquisitions ont permis à la collectivité de mettre à profit l’année
2023 pour stabiliser les méthodes et moyens de collecte en fonction des sites et de leurs
caractéristiques, ajuster les matériels déployés à la hauteur des échouements et améliorer les
conditions de vérification et de contrôle du service fait.
Au fur et à mesure des réquisitions, leur contenu s’est densifié et précisé.
À partir de
juin 2023, elles détaillent les moyens supplémentaires
à mettre en œuvre en cas de conditions
d’échoueme
nts jugées «
exceptionnelles
». Une indemnité est définie pour couvrir le coût de
ces interventions éventuelles (annexe n° 7).
La collectivité ayant analysé les faiblesses du marché 2019 de collecte et de traitement
des sargasses, les réquisitions spécifient les conditions de déclenchement des opérations, les
règles de constatation et les éléments de justification du service fait. Chaque entreprise
réquisitionnée doit fournir des preuves de ses interventions, de façon quotidienne. Elle doit
également tenir un relevé systématique des pesées lors de la mise en décharge des sargasses à
l’
Écosite. De son côté, la collectivité territoriale
prévoit d’effectuer des contrôles inopinés à
partir du cycle de réquisitions de septembre 2023.
Le passage aux réquis
itions a entériné le choix de la collectivité d’une évacuation
systématique des sargasses sur tous les sites prioritaires. Cette nouvelle donne a entraîné une
augmentation des tonnages pesés à l’
É
cosite de 2,5 fois supérieure à l’année 2022 où seules les
sargasses collectées à Cul-de-Sac étaient mises en décharge (annexe n° 8). Ce doublement des
tonnages a induit un doublement du coût global de la politique publique de collecte, passant de
1,25
M€ à 2,50
M€. La moitié de la prestation de collecte, d’
enlèvement et de transport est
captée par l’une des trois entreprises réquisitionnées.
Ces prestataires ont réalisé, par ailleurs, des efforts importants pour adapter au mieux
les dispositifs techniques de collecte aux profils des plages et aux environnementaux propres à
chaque site
. Sur la plage du Galion, l’entreprise effectue une collecte manuelle
: les sargasses
sont ramassées à la fourche, chargées dans un « tombereau ou
dumper »
, puis acheminer vers
un site de stockage en arrière-
plage pour séchage avant d’être transporter jusqu’à l’
Écosite. À
Mont Vernon, l’entreprise utilise une cribleuse qui présente l’avantage de collecter un taux de
sable relativement faible.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
40
Tableau n° 8 :
dispositifs techniques déployés dans le cadre des réquisitions 2023
Sites
Caractéristiques
Type de plage
Type de collecte
Matériels déployés
Grand Cayes
Sable grossier
Collecte mécanisée
Pelle mécanique et chargeur
+ camion
Baie de Cul de
Sac
Plage de remblais
Collecte mécanisée
Pelle mécanique et chargeur
+ camion ;
Mont
Vernon/Baie
orientale
Plage touristique, surface
plane, sable fin
Collecte mécanisée
Cribleuse et chargeur +
camion
Baie de
l’embouchure
Plage touristique et
populaire, sable fin
Collecte manuelle à
terre
Mini-pelle + chargeur +
camion
Baie Lucas
Plage avec petite pente,
sable grossier
Collecte mécanisée
Pelle mécanique et chargeur
+ camion ;
Source : CTC de Saint-Martin
Si le recours à la réquisition a permis une certaine flexibilité dans le traitement de
l’urgence et un moyen pratique de tester et d’adapter la méthode de collecte en fonction des
sites, son utilisation récurrente n’est pas conforme à la réglementation.
Elle ne saurait se justifier
par les difficultés de gestion de la commande publique.
Recommandation n° 5.
(
Régularité
) r
especter les conditions d’exercice du pouvoir de
réquisition, conformément à l’article
L. 2212-2 du code général
des collectivités territoriales.
Le nouveau marché devrait intégrer les acquis de la période de réquisitions et prendre
acte du changement de paradigme opéré par le plan Sargasses II. Le caractère constant des
apports de sargasses est reconnu et nécessite de mettre en place un processus de collecte et
d’élimination rapide, efficace et p
érenne. Cette nouvelle doctrine a été confortée par le COPIL
national sargasses du 1
er
février 2023. Celui-ci
préconise l’évacuation systématique des
algues
pour limiter la pollution des sols et les atteintes à la santé.
2.3.2.4
Le coût de la collecte des sargasses est en forte augmentation
La collectivité a consacré de 2019 à 2023 près de 4,43
M€ à la collecte des sargasses.
Ce montant englobe outre cette prestation
, l’enlèvement, le transport vers le lieu de stockage
(Écosite) et le traitement (compost et/ou matériau de recouvrement).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
41
Tableau n° 9 :
le coût complet de la politique de traitement des sargasses
en €
Coût total de la
gestion
des
sargasses
2019
2020
2021
2022
2023
Total
Collecte
42 177
22 462
302 933
1 084 063
2 047 280
3 498 915
dont réquisitions
75 350
229 100
2 047 280
2 351 730
Traitement
Entreprise
56 236
29 950
227 630
166 191
449 021
929 026
Total
98 413
52 412
530 563
1 250 253
2 496 301
4 427 941
Source : Collectivité de Saint-Martin
Certaines données du tableau ci-
dessus ont été estimées. C’est le cas des montants de
collecte 2019 à 2021 pour lesquels la chambre dispose des quantités collectées mais constate la
quasi-
absence de facturation rattachée à ces exercices. C’est le cas égale
ment pour le coût de
traitement
d’une
pour lequel la chambre n’a pas eu connaissance du tarif révisé sur la même
période.
Les tonnages entre 2019 et 2022 correspondent pour l’essentiel à des volumes
de
sargasses collectés à Cul-de-Sac (annexe n° 9).
Les variations d’une année à l’autre sont liées
à l’intensité
des échouements. En 2021, par exemple, la saison a été particulièrement forte sur
la période de mai à août. Au mois de juillet, un record de 227 dépôts a même été enregistré à
l’
Écosite.
L’explosion du tonnage en 2023 résulte d’un changement de doctrine dans le cadre des
réquisitions. En effet, désormais, les sargasses sont enlevées et transportées systématiquement
à l’
Écosite, quels que soient les sites de collecte (Gand Cayes, Cul-de-Sac, Mont Vernon, Baie
de l’Embouchure, Baie Lucas).
Tableau n° 10 :
ratio coût total/tonnages
en €
Ratio coût
total/tonnages
2019
2020
2021
2022
2023
Coût à la tonne
53
53
70
243
194
Source : Collectivité de Saint-Martin
Le coût complet est en forte augmentation compte tenu de la configuration des sites de
collecte, des quantités de sargasses échouées et des tarifs de collecte.
2.3.3
Le suivi des dépôts et le contrôle de la facturation doivent être améliorés
Les
entreprises transportent par camions leur chargement à l’
Écosite des Grandes Cayes
où elles sont réceptionnées et traitée
s par la société qui assure la gestion de l’ensemble des
déchets de la partie française de l’île de Saint
-Martin.
Les camions sont pesés sur un pont bascule. Les résultats (annexe n 9)
font l’objet de
relevées mensuels, précisant notamment le numéro du véhicule, le responsable du véhicule, le
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
42
jour, l’heure et le tonnage déversé. Toutefois,
l
es relevés ne comportent pas d’information sur
l’origine du flux. L’identité du prestataire ne suffit pas toujours à relier les quantités de
sargasses à leur site de collecte. Les bons de pesée constituent les pièces attestant du service
fait.
À la différence des autres déchets non dangereux dont le dépôt par les professionnels
est soumis à des formalités (formulaire d’information préalable et certificat d’acceptation
préalable FIP-CAP)
27
, le dépôt de sargasses à l’
É
cosite s’effectue sur simple présentation d’un
«
laisser-passer
» de la collectivité de Saint-Martin.
La société lui facture les tonnages de sargasses déposés par les entreprises chargées de
leur collecte. Elle a appliqué
jusqu’à très récemment
le tarif prévu pour les déchets verts triés,
soit 35,07
€ la tonne, corre
spondant au bordereau des prix unitaires (BPU) du marché 21-01-
015. Ce tarif inclut la valorisation des sargasses par compostage. Or, la collectivité, ayant jugé
inopérante le compost comme solution de valorisation des sargasses, lui avait demandé de
basculer sur le BPU du marché 17-01-007 et sur le tarif de stockage des déchets en casier dans
l’installation de
stockage de déchets non dangereux (ISDND)
28
, alors bien inférieur au tarif de
compostage (27,52
au lieu de 35,07
la tonne)
29
, et correspondant à l’utilisation des sargasses
en tant que matériau de recouvrement.
La tarification non justifiée de la part de l’entreprise a
entrainé un surcoût pour la collectivité. Elle doit en conséquence demander le remboursement
des sommes indues.
Dans sa réponse aux observations provisoires de la chambre,
la société reconnait qu’à
partir de 2021, elle a appliqué le tarif qui lui était le plus avantageux correspondant aux
traitements des déchets verts triés
, malgré l’abandon de l’utilisation des
sargasses dans son
compost, en raison du taux de sable élevé collecté avec les sargasses. La collectivité de Saint
Martin par son silence a validé
l’application de
cette tarification
Recommandation n° 6.
(
Performance
) appliquer le tarif correspondant à la prise en charge
des sargasses à l’ISDND pour rendre conforme
celui-ci au type de
traitement (enfouissement) et demander le remboursement du
trop-perçu en application du décret n° 2012-1246 du 7 novembre
2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.
27
Article R. 541-48-
3 du code de l’environnement (décret n°
2021-1199 du 16 septembre 2021 relatif
aux conditions d’élimination des déchets non dangereux, entré en vigueur au 1
er
janvier 2022)
28
L
’installation de
stockage de déchets non dangereux
de l’Écosite (zone de recyclage des déchets)
composent le site de stockage dans son ensemble.
29
Tableau récapitulatif de suivi des tonnages traités par la société pour 2022.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
43
2.4
Une valorisation actuellement limitée
2.4.1
La fabrication du compost à partir de sargasses
n’est plus à l’ordre du jour
À ce stade, le compostage est la seule filière de valorisation des algues sargasses
existante à Saint-
Martin. L’
Écosite de Grandes Cayes élabore son compost à partir de déchets
verts et de divers déchets boueux issus des stations d’épuration, des vidanges de fosses
septiques et de bacs à graisses. Dès 2016, un apport de sargasses s’est ajouté à ce mélange. Des
analyses de la qualité du compost, conformes à la norme NF U44 095
30
, ont déterminé qu’une
part de 5 % de sargasses permettait de respecter les seuils prescrits.
Les sargasses sont égouttées à l’air libre, puis séparées du sable à l’aide d’une pince de
tri mécanique avant d’être i
ntroduite dans le processus de compostage. Le compost est
commercialisé à 10 euros la tonne. Il présente
, malgré le passage au tamis d’une cribleuse,
d’importants résidus de plastique.
Lorsqu’il respecte l’ensemble des critères de la norme cité
e supra, le compost est
considéré comme un «
produit
» au sens réglementaire. Il peut alors être vendu et valorisé
comme un engrais organique ou un support de culture. Cependant, sa commercialisation est à
l’arrêt depuis la période post
-Irma en raison de la qualité des produits entrants. Cette suspension
s’est prolongée durant la crise sanitaire au nom du principe de précaution. En 2023, la
commercialisation n’a pas encore repris
e. Les composts produits sont utilisés en tant que
«
déchets
» pour la végétalisation des matériaux de couverture des casiers
de l’ISDN
D
31
.
Les essais de compost à partir de sargasses ne sont pas probants. L’apport en sel est trop
important et les produits collectés ne sont pas systématiquement homogènes en fonction des
sites de collec
te (jusqu’à 80
% de sable). Les concentrations en arsenic et en métaux lourds,
aujourd’hui admises comme potentiellement dangereuses par les instances scientifiques du
COPIL national, invitent à la prudence et nécessitent des analyses chimiques attestant de
l’innocuité du compost obtenu.
La collectivité considère que cette voie de valorisation des sargasses a été abandonnée
alors que le directeur du site des Grandes Cayes évoque une suspension de la production de
compost, incorporant un part de sargasses, le temps de procéder à de nouvelles analyses
chimiques.
Une étude de courantologie en vue de ramasser en mer les quantités nécessaires est en
cours. Le besoin de collecter des sargasses «
propres
» concerne également le projet de
construction d’une unité de
pyrogazéification (cf. infra) à Saint-Martin visant à convertir les
déchets en gaz.
30
La norme AFNOR NFU 44-
095 s’applique aux composts contenant des matières d’intérêt agronomique
issues du traitement des eaux.
31
Rapports annuels, dossiers d’information de l’installation de
stockage de déchets non dangereux des
Grandes Cayes, consultables sur le site de la DEAL de la Guadeloupe.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
44
2.4.2
L’utilisation des «
déchets
» sargasses dans la production d'énergie est en cours
d’étude
L’entreprise exploitant de l’ISDND des Grandes Cayes, est affiliée
à un groupe qui
développe des solutions alternatives à l’enfouissement des déchets. La fin d’exploitation de
l’installation de stockage est programmé
e pour 2028. Les alvéoles arrivent progressivement à
satur
ation en raison des volumes importants et quotidiens d’
ordures ménagères résiduelles
(OMR) ainsi que des déchets liés à l’ouragan Irma (entre 2017 et 2022, l’ISDND a traité
l’équivalent de dix ans de déchets). La mise en place du projet PI (Pollution Free –
Integrated
Waste Management) de traitement et d’optimisation des déchets sur le territoire de Saint
-Martin
doit permettre de prolonger la durée de vie de l’ISDND.
Ce projet propose une solution territoriale innovante de gestion des ressources, dans
laquelle les déchets deviennent des ressources économiques dans un fonctionnement en quasi-
boucle fermée. Il s’inscrit dans une approche dite d’
«
écologie industrielle et territoriale
».
L’écologie industrielle et territoriale
La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance
verte définit l’écologie industrielle et territoriale comme consistant «
sur la base
d’une quantification des flux de ressources, et notamment des matières, de
l’énergiee et de l’eau, à optimiser les
flux de ces ressources utilisées et produites à
l’échelle d’un territoire pertinent dans le cadre d’actions de coopération, de
mutualisation et de substitution de ces flux de ressources, limitant ainsi les impacts
environnementaux et améliorant la compétit
ivité économique et l’attractivité des
territoires
».
L’écologie industrielle et territoriale peut se décliner selon deux modalités
des synergies de :
-
substitution qui portent sur la valorisation et l’échange de matière et d’énergie
entre entités ;
-
mutualisation qui reposent sur des approvisionnements communs, des services
communs et des partages d’équipements ou de ressources.
Elle s’adresse tant aux acteurs publics charg
és du développement territorial,
qu’aux entreprises en recherche de performance éc
onomique, sociale et
environnementale, et à l’ensemble de la société civile qui doit réinterroger ses
besoins et ses modes de production et de consommation.
Ce projet prévoit la construction d’une unité de valorisation énergétique des déchets
32
.
Seront valorisés divers déchets non recyclables (déchets industriels banals, déchets d'activités
de soins à risques infectieux ou DASRI)
, boues de station d’épuration, déchets verts, pneus,…),
dont les sargasses, en énergie grâce au principe de pyrogazéification. Ce procédé consiste à
32
Les premiers travaux
doivent débuter en février 2024 pour une livraison début 2026.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
45
chauffer les déchets à plus de 1 000
degrés en présence d’une faible quantité d’oxygène, ce qui
entraîne une décomposition des matériaux en combustibles solides de récupération (CSR). Ces
CSR dispose d’un pouvoir calorifique
égal à 17 mégajoules par kilogramme (MJ/Kg).
Schéma n° 2 :
pyrogazéification
Source/note :
Stratégie française sur l’énergie et le climat, cahier d’acteur n°
24, février 2022
La valorisation des déchets en énergie par pyrogazéification est destinée à couvrir 10 %
des besoins en électricité de Saint-
Martin. Cette solution permettrait d’augmenter la proportion
d’énergies renouvelables actuellement marginales (environ 2
%). En effet, l’essentiel de
l’électricité produite en partie française est issu de moteurs diesel
exploités par EDF
33
.
Cependant, l’
É
cosite et l’ISDND sont en site isolé, coupé des réseaux. Le projet de
construction de l’unité de valorisation énergétique est donc subordonné à l’aménagement d’une
nouvelle voie d’accès avec les raccordements aux réseaux p
ublics essentiels. La collectivité a
indiqué que le cahier de maîtrise d’œuvre était finalisé.
2.4.3
Un certain isolement dans la gestion des sargasses
Sur la question de la gestion des sargasses, la collectivité de Saint-Martin est confrontée
à une situation de
double insularité (à l’égard de l’hexagone et de la Guadeloupe) renforcée par
l’étroitesse de son territoire et l’absence d’autres collectivités. Aucune coopération n’est établie
avec
la partie néerlandaise de l’île
, car les littoraux de Sint-Maarten sont beaucoup moins
concernés par des échouements massifs et réguliers.
33
IEDOM, Saint-Martin : rapport annuel 2022, éd. 2023, p. 57
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
46
La collectivité est partenaire du «
programme de coopération caribéen de lutte contre
les algues sargasses
»
34
intitulé
SARG’COOP
et financé notamment par le programme
européen opérationnel INTERREG Caraïbes 2014-2020. Ce projet qui visait à renforcer la
préparation des territoires caribéens et leur résilience face à l’invasion d’algues sargasses est
aujourd’hui terminé. C’est dans ce cadre qu’une conférence internationale sur les
s
argasses s’est
tenue en Guadeloupe les 23, 24 et 25 octobre 2019 pour jeter les bases d’un partenariat étroit
entre les États et territoires de la Caraïbe. À cette conférence participaient des élus de la
collectivité. Ceux-ci ont mis
en exergue l’impact
démultiplié des échouements pour une petite
île aux moyens limités, qui plus est dans un contexte de reconstruction post-Irma et ont appelé
à un approfondissement de la coopération régionale et internationale, et à la mobilisation de
moyens financiers exceptionnels. C
ette coopération est amenée à se poursuivre au travers d’un
projet SARG’COOP 2 en 2024. La
collectivité pourrait prendre le leadership sur le sujet
«
Télédétection et Observation
».
Une initiative internationale de lutte contre ce phénomène a été officiellement lancée le
2 décembre 2023 par la France, à Dubaï, en marge de la COP 28. L’ambition est d’aboutir, au
niveau multilatéral à un plan d’action international lors de la Conférence des Nations Unies sur
les Océans qui aura lieu à Nice en juin 2025 et de renforcer la coopération régionale via
notamment la convention de Carthagène sur la protection du milieu marin dans la Caraïbe et le
projet européen Interreg SARG’COOP déjà cité.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
La collectivité de Saint-
Martin s’es
t saisie de la politique de lutte contre les algues
sargasses, fléau pour les populations et la faune marine. Etant collectivité unique, elle est seule
à assumer, avec le soutien de
l’
État, la responsabilité de la collecte et du traitement des
sargasses. L
e phénomène d’échouements touche particulièrement le littoral du Nord
-Est du
territoire, une zone qui comprend un ensemble de lagunes et d’environnements naturels
exceptionnels et qui concentre des enjeux sociaux, environnementaux, économiques,
touristiques et immobiliers très importants.
La politique de gestion des sargasses est traversée par les dysfonctionnements
récurrents. Le défaut d’anticipation sur les délais de passation des marchés, les imperfections
dans la définition du besoin, les difficultés à vérifier la réalité du service fait pèsent sur cette
politique.
Celle-ci a cependant pu mettre en place progressivement et,
en particulier sur l’année
2023, une logistique mieux dimensionnée pour la collecte, l
’enlèvement et
le transport des
sargasses, pour un coût logiquement croissant de cette politique, qui représente 2,5
M€ en
2023. Les projets d’expérimentation de barrages de concentration à Cul
-de-Sac et à la Baie de
l’Embouchure ainsi que de gestion directe de la télédétection des échouements
augu
rent d’une
meilleure prise en compte de ce phénomène.
34
Délibération CE 081-05-2019 du 10 juillet 2019 portant « demande de partenariat sollicitée par la
Région Guadeloupe dans le cadre du Programme de Coopération Caribéen de lutte contre les algues sargasses ».
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
47
Les possibilités de valorisation restent pour le moment soit insuffisantes, soit
expérimentales. La solution du compost destiné à un usage final agricole est considérée par la
collectivité comme sans avenir, compte tenu des polluants. Toujours en phase de réflexion, le
projet d’usine de pyrogazéification, porté par
une entreprise, chargée de la gestion des déchets,
pourrait absorber l’ensemble des tonnages de sargasses aux fins de produire de l’électrici
té.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
48
3
LA COLLECTIVITÉ DOIT MIEUX MAITRISER SA GESTION
INTERNE
3.1
Une capacité de maîtrise d’ouvrage à renforcer
3.1.1
Un plan pluriannuel d’investissement surdimentionné au regard de la capacité
à l’exécuter
La collectivité a élaboré un programme pluriannuel d’investissement (PPI) entre
décembre 2017 et février 2018, dans un contexte post-Irma chaotique, et avec pour objectif de
reconstruire les principaux équipements publics détruits ou endommagés.
Sur la période 2019-2023, le PPI prévoyait une dépense totale de 230
M€, dont
153,3
M€ pour les trois exercices de 2021, 2022 et 2023, dont près d’un tiers pour les
rénovations et reconstructions d’établissements scolaires (43,7
M€). Ce programme prévoyait
un financement de 87,8
M€ de fonds ext
érieurs à la collectivité, soit 56 % de la dépense totale
prévisionnelle et 44 % de financement de la collectivité. L
’État
a ainsi versé une dotation de
16,1
M€ pour financer des dépenses d’investissement engagées en 2019. Dans le cadre du
protocole signé entre
l’État
et la collectivité (voir 1.2.2.1), celle-
ci s’est engagée à améliorer le
taux de réalisation de son PPI.
Elle a bénéficié
d’un
accompagnement technique et financier de la part de
l’État
, par le
biais de
l’AFD pour sa mise en œuvre.
Un assistant technique spécialisé dans les reconstructions
post-catastrophe a été placé en appui de ses services techniques, de septembre 2018 à juillet
2021. Ses objectifs étaient d
e l’
accompagner, dans la mesure où elle était peu rompue à la
gestion de gros budgets
d’investissement. L’assistant suivait également
la mise en œuvre
du
programme d’investissement tout en contribuant à la consolidation interne de la culture de
maîtrise d’ouvrage publique.
Sur les 230
M€ de dépenses prévisionnelles, seul
s 52,7
M€
ont été dépensés sur la
période 2019-2023, soit 20 % des dépenses programmées
, malgré la disponibilité d’importants
financements. À
titre d’exemple, les comptes administratifs ont enregistrés une somme totale
de 122
M€ de subventions pour les années 2019 à 2022.
Le nombre et l’ampleur des opérations
excèdaient donc les capacités de gestion et
d’ingénierie de la collectivité. Ce constat résulte d’une part des crédits non utilisés du
fonds de
s
olidarité de l’Union
européenne (FSUE) qui ont été repris par
l’État
et des taux faibles
d’exécution du contrat de convergence et de transformation (CCT) et du contrat de
développement (CDEV) conclus entre l’
État et la collectivité de Saint-Martin.
Pour mémoire, l’Union
européenne a mis en place le FSUE pour soutenir les États
membres confrontés à des catastrophes naturelles majeures. Il permet de fournir un soutien
financier rapide et substantiel pour la reconstruction et la restauration des infrastructures
essentielles. Suite au passage dévastateur de
l’ouragan Irma, la collectivité a bénéficié d’un
montant contractualisé de 48,50
M€
(annexe n° 10).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
49
Un montant de 20,1
M€
de crédits non utilisés a été réparti entre les ministères ayant
participé aux opérations de secours lors du passage des cyclones Irma et Maria en septembre
2017.
Le 22 juin 2020,
l’
É
tat et la collectivité ont signé un contrat de convergence et de
transformation (CCT)
35
conclu pour 4 ans. Le CCT couvre la période 2019-2022 et a été
prolongé d'une année jusqu'en 2023. Il vise notamment à «
définir, cofinancer et mener à terme
des projets permettant de réduire les écarts de développement constatés entre Saint-Martin et
l’hexagone
». Le CCT contribue dans des proportions significatives au financement du PPI de
la collectivité.
Tableau n° 11 :
exécution du CCT 2019-2022
en €
Consommation au 31/12/2021
Consommation 2022
Consommation cumulée
Action/opérateur
Rappel du
montant
contractualisé
Autorisations
d'engagement
Crédits de
paiement
Autorisations
d'engagement
Crédits de
paiement
Autorisations
d'engagement
Crédits de
paiement
Aménagement du
territoire
39 500 000
20 597 367
2 898 262
9 892 982
1 948 004
28 078 925
4 563 625
Source
:
rapport annuel de performance 2022 du programme n°123 « conditions de vie outre-mer »
La chambre constate qu’entre 2019 et 2022,
71 % du montant contractualisé a été
engagé (28,08
M€),
mais que seulement 16 % des crédits ont été réellement dépensés
(4,56
M€).
3.1.2
Un
renforcement très progressif de la maîtrise d’ouvrage, qui ne répond pas
encore aux défis identifiés
3.1.2.1
Un renforcement des capacités de maîtrise d’ouvrage encore insuffisant
La collectivité a été confronté à des enjeux de reconstruction démesurés par rapport à
ses capacités humaines de gestion et d’ingénierie, que ce soit en nombre d’opérations
d’équipement ou en volume financier. Au vu des consommations de crédits sur la période
2019-2020, la chambre évalue à environ 20
M€ d’investissement par an, le budget qu’elle est
en mesure de suivre et de réaliser.
Aussi, cette dernière a entrepris de renforcer ses compétences
de maîtrise d’ouvrage
dans trois directions
: le recrutement d’ingénieurs qualifiés pour définir et suivre les
programmes, la délégation de maîtr
ise d’ouvrage et l’assistance ponctuelle à maitrise
d’ouvrage.
La direction du «
cadre de vie
» de la collectivité a obtenu le recrutement de huit
ingénieurs chargés de missions : élaboration des schémas de planification, projets structurants,
électrification rurale et éclairage public ou encore stratégie foncière. Deux à trois ingénieurs
doivent encore être recrutés mais elle estime,
d’ores et déjà
,
que l’ensemble des besoins
35
Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de program
mation relative à l’égalité réelle des outre
-mer.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
50
d’expertise sont couverts. Les six dossiers de consultations perçus par la
collectivité comme
prioritaires pour la mandature
maison de la jeunesse et de la culture de Gand-Case, Quartier
d’Orléans et Sandy Ground, la cité administrative, le nouveau centre technique de gestion des
risques majeurs et le stade Albéric Richards
seraient en cours de programmation technique.
Dès 2021, la collectivité a envisagé d’externaliser certaines opérations importantes pour
près de 4
M€
36
. En 2023, en notifiant à la SEMSAMAR une délégation de maîtrise d’ouvrage
par le biais d’un mandat pour tous les
projets supérieurs à 7-8
M€, la collectivité reconnaît
qu’elle ne dispose pas des moyens internes d’assurer ses missions de maîtrise d’ouvrage. En
tout, 117
M€ d’opérations ont été notifiées à la SEM en date du 12 mai 2023
, parmis lesquelles :
le collège «
600
», le collège «
900
», la médiathèque, le parc urbain de Concordia, le centre
nautique et la voirie de la Savane.
Cette délégation de maîtrise d’ouvrage avait notamment pour but d’assurer une
meilleure conduite des opérations de travaux les plus sensibles au nombre desquelles celles des
collèges «
600
» et «
900
». En effet,
comme l’a noté la chambre,
ces opérations connaissent
des dérives de coûts et de délais importants qui nécessitent de faire preuve d’une forte capacité
d’adaptation. Dans sa répo
nse aux observations provisoires de la chambre, la SEMSAMAR, le
délégataire de ces opérations notamment,
indique avoir porté l’effectif de sa direction
opérationnelle de Saint-Martin de 5 à 8 collaborateurs sur deux années.
Compte tenu des travaux modificatifs et supplémentaires liés aux redimensionnements
des opérations, des avenants de travaux auraient dû être notifiés pour déclencher le paiement
des prestations réalisées par les entreprises, conformément à l’avancement rée
l du chantier. Or,
en février 2024, lesdits avenants n’ont pas été mise en œuvre rapidement en raison des délais
d’instruction, et la société mandataire n’avait pas reçu les crédits nécessaires au paiement des
acomptes aux entreprises. Dans sa réponse aux observations provisoires la SEMSAMAR
reconnaît que «
des retards de règlement par la collectivité des demandes d’acomptes sont
préjudiciables à la trésorerie des entreprise attributaires des marchés de travaux et au bon
avancement des chantiers ».
3.1.2.2
La néce
ssaire élaboration d’un PPI et d’une programmation opérationnelle
Concernant le PPI 2019-
2023, aucun bilan réel n’a été réalisé
.
D’une manière générale,
les rapports d’orientation
s
budgétaires restent évasifs sur l’état d’avancement des projets
d’équipemen
t et sur les facteurs explicatifs. En outre, l
a liste des opérations d’équipement ne
comporte pas
d’
ordre de priorités.
S’agissant des opérations nouvelles et de la fin des opérations en cours. La collectivité
a déjà pris du retard dans l’élaboration de sa stratégie d’investissement.
Le document présenté
au débat
d’orientation
s budgétaires
pour l’exercice 2023
indique, quant à lui, une planification
prévisionnelle des investissements regroupant les opérations supérieures à un million d’euros
.
Ces dernières représentent un budget de 375
M€ pour la période 2023 à 2026.
Les projections
financières pluriannuelles des investissements en autorisation de programmes (AP) crédits de
paiement (CP) devraient permettre de faire le bilan financier des opérations.
Compte tenu des enjeux financiers et des difficultés éprouvées par la collectivité à
piloter la maîtrise d’ouvrage de tous ses projets, il paraît opportun de rappeler la proposition
36
Rapport d’orientation budgétaire 2021, page 29.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
51
formulée par l’expert de l’AFD dès 2019 de mettre en place un logiciel de gestio
n et de suivi
des projets cohérent avec son organisation administrative.
Le programme actuel relève ainsi plus de l’affichage que d’une programmation réelle
des opérations. Cette dernière nécessite de préciser les différentes phases nécessaires à la mise
en place des équipements, de prévoir la durée de ces phases (qui peuvent être longues quand
une acquisition de foncier est nécessaire), de prévoir les moyens d’ingénierie interne ou externe
à mettre en place par la collectivité, d’identifier et de sécuriser
les financements. Il s’agit
également d’adapter la programmation aux capacités des fournisseurs d’immobilisation afin de
ne pas créer de rupture de charge dans la commande publique, préjudiciable à l’emploi local et
au développement des qualifications des agents. Ce dernier point est important pour la
collectivité car il permet de réduire le coût des équipements, répercuté par les entreprises, de la
formation de la main d’œuvre sur place ou les coûts de détachement sur place de travailleurs
venant de l’extérieur. La création d’un observatoire de la commande publique, associant les
différents acteurs de la commande publique (opérateurs économiques, pouvoirs adjudicateurs,
etc.) permettrait à chacun de s’organiser pour un bénéfice mutuel.
Recommandation n° 7.
(
Performance
) r
enforcer la capacité de maîtrise d’ouvrage, dans sa
partie technique et sa partie administrative.
Recommandation n° 8.
(
Performance
) mettre en place une programmation réaliste des
opérations d’investissement adaptée aux capacités budgétaires de
la collectivité.
3.1.3
Des difficultés à maîtriser le coût et le calendrier des investissements : le cas des
établissements scolaires
Dans le contexte post-Irma, les enjeux de reconstruction (établissements scolaires,
infrastructures sportives, éclairage public, équipements touristiques) et de développement des
infrastructures (requalification des espaces publics, embellissement du territoire) de Saint-
Martin étaient considérables. La reconstruction et la rénovation des établissements scolaires
représentent à cet égard l’enjeu le plus importa
nt en termes de service à la population et en
termes financiers.
Deux opérations illustrent bien la dérive des coûts et du calendrier de réalisation : le
«
Collège 600
» et le «
Collège 900
». Pour l’accompagner dans le relèvement
post cyclonique
des infra
structures scolaires, la collectivité a bénéficié de l’appui technique d’un expert
missionné par l’
AFD. Malgré un contexte social et administratif complexe, celui-ci a
notamment pu assurer, entre septembre 2018 et juillet 2021, la direction des phases
prog
rammation, concours d’architectes, études architecturales et techniques, et dépôt des
permis de construire des projets de reconstruction du collège «
600
» situé à
Quartier d’Orléans
et du collège «
900
» situé au lieu-dit « la Savane ».
À l’origine c
hiffrés respectivement à 15,3
M€ et à 26
M€, les coûts de construction de
ces deux collèges sont évalués désormais à la mi-2024 à 25,5
M€ et à 34,7
M€.
Devant être
livrés pour le premier en septembre 2021 et pour le deuxième en septembre 2022, fin 2023,
au
cun de n’était encore terminé. La pose de la première pierre du
collège 900 places de la
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
52
Savane a eu lieu le 18 avril 2023. La livraison est désormais attendue pour la rentrée de
septembre 2025.
Sur ces deux projets emblématiques, la chambre constate une envolée des coûts et un
allongement important des durées de construction. Plusieurs facteurs expliquent ces décalages :
Tableau n° 12 :
évolution du budget «
Collège 900
» -
en millions d’euros
Montant
Révision
Facteur d’évolution du coût
Programme
initial
(Janvier2021)
20,82
Budget consolidé
1
ère
modification
(Novembre
2021)
23,06
+ 2,25
Modification du programme
: intégration d’un gymnase
2
ème
modification
(Décembre
2021)
26,49
+ 3,43
Intégration de dispositions environnementales
complémentaires
3
ème
modification
(Octobre 2023)
32,65
+ 6,16
Evolution forte des prix lors de l’appel d’offre (gros
œuvre et terrassements) dans un contexte peu
concurrentiel, de tensions sur les prix (fournitures,
énergie, acheminement) et de rareté de la main-
d’œuvre
qualifié disponible sur Saint-Martin
4
ème
modification
(Décembre
2023)
36,53
+ 3,88
Modification du programme : rehaussement du collège de
1 mètre en raison de nouvelles mesures du niveau de la
nappe phréatique et des problèmes de raccordement des
réseaux pluviaux
Total
36,53
+ 15,63
Source : CTC de Saint-Martin
Une grande partie de ces surcoûts n’aura pas de conséquence sur les finances de la
collectivité dans la mesure où des financements complémentaires ont été obtenus par la
direction de projet, et notamment une enveloppe de 7
M€ gérée par la DEAL.
Cependant la conduite de ces projets est révélatrice d’une incapacité de la collectivité
à
conduire des projets d’envergure
la délégant à
l’État
. La modification des programmes lui fait
supporter
de facto
des
surcoûts importants (intégration du gymnase non prévu à l’origine,
réhaussement de la structure).
La construction de l’équipement n’est pas connectée avec l’aménagement global de la
zone. Alors que l’opération de construction peut être livrée en sept
embre 2025, des
interrogations subsistent sur l’accessibilité du site et la gestion des eaux pluviales. Ces dernières
opérations nécessitent l’acquisition de parcelles par la collectivité, soit par négociation, soit par
droit de préemption urbain (DPU), ce qui est de nature à entrainer des délais importants. Bien
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
53
que le projet fasse l’objet d’une supervision par les services de l’État
(Education nationale), il
revient à la collectivité d’assumer la maîtrise d’ouvrage globale du projet.
3.1.4
La chaîne de l’achat public s’améliore très progressivement
3.1.4.1
La définition des besoins doit être plus rigoureuse
La collectivité n’estime pas de façon fiable la valeur totale des fournitures ou des
services qui peuvent être considérés comme homogènes au titre d’une année civile. Il lui est
donc difficile de déterminer les procédures de marché à mettre en œuvre pour s
e mettre en
conformité avec les seuils de la commande publique.
Des lacunes existent dans l’évaluation chiffrée des besoins par les services prescripteurs
et dans la définition des clauses techniques particulières. L’exécution du marché de menus
travaux donne un bon exemple de cette insuffisance. Conclu pour quatre années, le montant de
l’enveloppe prévisionnelle du marché a été épuisé en une année. Deux avenants successifs
modifiant le montant du contrat ont dû être conclus.
Pour nombre de prestations, la collectivité a recours à une assistance à maîtrise
d’ouvrage (AMO)
pour traduire avec précision les exigences et spécifications techniques
propres aux marchés de travaux notamment.
Cette méthode s’avère souvent nécessaire mais
elle est susceptible d’alourdir aussi la procédure de l’achat public
. Elle doit être réservée aux
domaines nécessitant une technicité particulière.
La collectivité a mis en place une fiche d’expression de besoin à remplir par les services
prescripteurs pour le choix de la procédure
du marché idoine. Cette fiche peut faire l’objet de
plusieurs allers-retours entre les services. Cette centralisation récente qui peut alourdir le
processus de la dépense, paraît néanmoins indispensable à la diffusion d’une culture commune
en matière d’ach
at public.
La collectivité envisage la mise en place d’un observatoire de la performance de la
commande publique et d’un schéma de promotion des achats publics socialement responsables
(SPASER), document réglementaire, ou encore le recrutement d’agents ma
îtrisant le métier
d’«
acheteurs
».
3.1.4.2
La formalisation des demandes d’achat et les délais de certification du service fait
doivent être améliorés
La validation et la certification du service fait suit un process assez rigide, en
contradiction avec l’esprit
de responsabilisation des managers porté par la réforme des
gestionnaires publics (RGP). À titre d’illustration, au sein de la DGA «
Cadre de vie
», le
service fait d’une prestation est d’abord validé par un directeur de services, puis visé par un
directeur de département et enfin certifié par la DGA. La responsabilité est déléguée aux DGA
qui, dans l’attente d’être équipés de matériels informatiques compatibles avec leur clé de
signature numérique, certifient de façon manuscrite. Ce fonctionnement est de nature à entraîner
un rallongement des délais de paiement des fournisseurs
, d’autant que de trop nombreuses
commandes sont présentées sans les justifications suffisantes, comme des contrats ou des
marchés, ou tout simplement des bons de commande.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
54
Le nouvel organigramme de la collectivité prévoit
l’organisation d’un réseau de
référents des services supports (finances, ressources humaines, commande publique) au sein
des DGA. Ils ont pour fonction de centraliser au niveau des services prescripteurs, les demande
d’achats, les factures et la certification du service fait
. Cela permettra de fluidifier les échanges
entre les différents services.
3.1.4.3
Le délai trop long de paiement des prestataires est la résultante des
dysfonctionnements observés sur la chaîne de la dépense
Dans la perspective du passage à la nomenclature comptable M57 à compter du
1
er
janvier 2024, la collectivité s’est dotée le 18 décembre 2023 d’un
règlement budgétaire et
financier (RBF) qui fixe notamment les règles de gestion interne pour le processus de la dépense
(annexe n° 5).
Les agents de la direction des affaires financières (DAF) sont répartis comme suit :
9 personnes au mandatement des factures réparties par nature de dépenses, dont 5 aux
fournitures et services, 2 aux travaux et 2 aux prestations sociales. La cellule «
mandatement
»
compte 8 gestionnaires répartis par domaines : 2 pour le social, 2
pour l’investissement et
4
pour le fonctionnement.
La difficulté majeure à laquelle cette équipe est confrontée réside dans les conditions de
réalisation de la liquidation par les services gestionnaires (SG).
En l’absence de pièces
justificatives, la pratique, courante, consiste à produire un certificat administratif à l’appui
d’une facture. Cette facilité ne doit pas exonérer les
secrétaires généraux du respect des
principes de la commande publique.
Avec un délai de paiement à 86 jours en moyenne et un stock de factures à régulariser
sur plusieurs années, la collectivité a encore un long chemin à parcourir pour renforcer la qualité
de sa signature auprès des fournisseurs. Le délai global de paiement a cependant été légèrement
amélioré. La direction administrative et financière
a pu mandater l’ensemble des factures de
l’exercice 2023
et une partie du stock des mandats à faire de 2022 tout en régularisant au fil de
l’eau des dépenses antérieures qui remontent pour les plus anciennes à l’exercice 2019.
Une
amélioration durable résulte des progrès faits aux différents stades de l’achat public : définition
des besoins, formalisation correcte de la de
mande d’achat, efficacité de la certification du
service fait. La mise en paiement n’est que la résultante de ces différentes étapes.
3.1.4.4
Des conditions de travail non satisfaisantes et une trop grande dépendance vis-à-vis
du prestataire informatique de la collectivité
Les services de la direction des affaires financières sont situés dans des locaux
différents. La cellule «
mandatement
» est hébergée dans un bâtiment propriété de la société
informatique qui est un prestataire de la collectivité. Au début du contrôle de la chambre, le
directeur des affaires financières avait pour tout poste de travail une table de classe au sein du
pool de gestionnaires de mandatement. Depuis seulement
janvier 2024 il bénéfice d’un bureau
au siège de la collectivité, à plusieurs kilomètres des services financiers, hébergés par la société
précitée.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
55
3.2
Une augmentation massive des effectifs et des avantages irréguliers :
une explosion des dépenses de personnel
3.2.1
Une politique de recrutement sans lien avec les besoins et la situation financière
de la collectivité
3.2.1.1
À partir de 2021, une augmentation des effectifs de 188 agents en trois ans : une
décision qui obère de façon durable et structurelle la gestion de la collectivité
Le montant des dépenses de personnel
de l’exercice 202
3
s’élève à
60,8
M€, soit une
augmentation de + 17,5
M€ par rapport à l’année 2021. En 2024, d’après les prévisions de la
collectivité, elles seraient supérieures de 30
M€, soit
70
M€
. Cette explosion des dépenses de
personnel rompt avec la situation observée
jusqu’en 2021
. Ce choix place durablement la
collectivité dans une situation critique sur le plan financier.
Tableau n° 13 :
évolution des charges de personnel
en €
2019
2020
2021
2022
2023
2024
(estimations)
Montant
42 034 940
42 333 516
43 071 658
52 779 930
60 822 873
70 000 000
Evolution
annuelle
0,7%
1,7%
22,5%
15,2%
15,1%
Source : Comptes de gestion
Dans le contexte post-Irma, la collectivité était incitée par
l’
État à réduire ou à contenir
sa masse salariale pour dégager des marges de manœuvre en section de fonctionnement et ainsi
améliorer sa capacité d’autofinancement. Malgré des leviers limités compte tenu de la structure
de ses emplois (âge moyen de 46-54 ans, 90,5
% d’agents fo
nctionnaires, peu de perspectives
de départs en retraite) et d’enjeux
de ressources humaines importants (question des régimes
indemnitaires, mise en place du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions,
de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), sécurisation de la paye, suivi des
recrutements), elle est parvenue à maîtriser ses charges de personnel
jusqu’en 2021
.
Entre 2021
et 2023, l’augmentation continue de l’effectif a concerné l’ensemble des
catégories de personnel. S
ur la période, le taux d’encadrement est passé de 10 à 14
% de
l’effectif total. Cette évolution tend à corriger un déficit d’expertise constaté de longue date par
la collectivité dans l’exercice de ses nombreuses compétences.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
56
Tableau n° 14 :
é
volution de l’effectif par
catégorie et par année
Source : Collectivité de Saint-Martin
Depuis 2021 la collectivité a ainsi
procédé à 350 recrutements tous statuts d’emplois
confondus. Avec un nombre de départs en augmentation les dernières années, le solde net des
entrées/sorties est de 188 agents en plus.
L’effectif fin 2023 est de 1
077 agents.
Tableau n° 15 :
recrutements et départs des agents
2021/2020
2022/2021
2023/2022
Total
Entrées
+75
+117
+158
+350
Sorties
-36
-58
-68
-162
Solde
39
59
90
188
Source : Collectivité de Saint-Martin
3.2.1.2
Une partie des
recrutements correspondent à un besoin d’expertise et d’exercice des
compétences de la collectivité
La nécessité pour la collectivité de se doter des capacités d’expertise technique et
managériale adaptées à la conduite de ses politiques publiques n’est pas récente. En 2019 déjà,
l’assistance de l’AFD en matière
de ressources humaines (RH) signalait comme obstacles à la
mobilité interne et/ou externe des agents une problématique d’illettrisme et le manque de
capacités de gestion internes. Plus récemment, dans le document d’orientation
s budgétaires
2023, on peut lire que «
les effectifs pourtant importants se caractérisent par des qualifications
insuffisantes et un manque de personnel d’encadrement, ce qui nécessite un recours quasi
systématique à des entreprises extérieures
».
En 2022, la collectivité a recruté 26 agents contractuels en contrats à durée déterminée
(CDD) pour une durée de trois ans sur des emplois permanents, dont 9 sur des emplois de la
86
103
118
146
51
56
65
88
711
716
746
778
43
56
60
65
0
200
400
600
800
1000
1200
2020
2021
2022
2023
A
B
C
Sans catégorie
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
57
catégorie A et 7 de la catégorie B. En 2023, 14 agents ont été recrutés, 12 sur des emplois
permanents (dont 9 en catégorie A et 3 en B). Dans le cadre de la restructuration de son
organisation
37
, des postes de cadres de direction ont été pourvus tels que la directrice générale
adjointe (DGA)
cadre de vie, les directeurs de l’autonomie, de la commande publique et de la
police territoriale ainsi que des chargés de mission auprès de la Direction générale. Une
délibération du 12 décembre 2023 est venue régulariser
a posteriori
les nominations sur emplois
fonctionnels
38
par détachement et par voie de recrutement direct. Certains agents occupent leurs
postes depuis
2021. On constate également parmi les recrutements d’emplois de catégorie B en
2023 plusieurs gestionnaires dans les fonctions supports (finances, RH).
Ces mouvements de personnel permettent de
renforcer les capacités d’expertise
tant sur
des fonctions stratégiques
que pour l’exercice des compétences dont la collectivité dispose
juridiquement mais qu’elle n’a jamais exercé réellement comme celle du logement, habitat,
énergie par exemple.
3.2.1.3
Une «
école territoriale de management public
»
dont le coût n’est p
as en relation
avec les capacités financières de la collectivité
Le c
onseil territorial a voté en 2023 la création d’une
école territoriale de management
public (EMP) à Saint-Martin
39
pour répondre au besoin identifié de professionnalisation dans
l’encadrement des services territoriaux.
Son programme est organisé autour de la
transformation des comportements managériaux par l’acquisition de connaissances, la mise en
pratique et la prise de conscience des acquis. Ce cursus de huit mois de formation comprenant
7 modules de formation et 5 unités métier pour un total de 21 à 35 journées s’adresse
principalement au management stratégique (directeur, DGA ou chargés de mission) et au
management opérationnel (chefs de service,
chefs d’équipes et assimilés). Ainsi, l’ensemble de
l’encadrement doit avoir suivi ce cursus d’ici à 2027.
La première promotion a débuté en février
2024.
D’après les documents de la collectivité, en étant le creuset d’une culture managériale
commune, cette formation certifiante - et constituant une «
étape systématique dans l’accès aux
postes à responsabilité de la collectivité
» -
vise à créer les conditions d’une gestion qui ne soit
plus guidée par l’urgence mais par la mise en œuvre des dossiers priorit
aires dans le cadre de
la vision stratégique définie par la gouvernance.
Les modalités du cursus (durée de 6 mois, soit 35 jours,
production d’un mémoire,
notamment) contiennent des exigences de disponibilité des agents qui peuvent apparaître
contradictoir
es avec le souci affiché de sortir du régime de l’urgence permanente
. En outre, le
programme de l’EMP
se révèle redondant avec les formations proposées par ailleurs par le
CNFPT. Le contenu de ses modules ne correspond pas au besoin de spécialisation de certaines
fonctions stratégiques pour le renforcement des capacités d’expertise de la collectivité
et
gagnerait à être plus professionnalisé.
37
Cf. nouvel organigramme de la collectivité
38
Les emplois fonctionnels sont des emplois de direction, administratifs ou techniques : ceux de directeur
général des services (DGS), de directeur général adjoint (DGA), notamment. Ils peuvent être occupés par des
fonctionnaires par voie de détachement ou par des contractuels en recrutement direct. L’occupation de ces emplois
est temporaire.
39
Délibération du 18 décembre 2023.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
58
Chiffré à 0,2
M€ par an, le coût de fonctionnement annuel de l’EMP
devrait
s’accroître
sensiblement compte tenu des
ambitions qu’il porte. En effet, le rapport joint à la délibération
portant création de l’EMP
indique une volonté
d’aboutir à un organisme de formation, certifié
«
Qualiopi
», ayant vocation à se doter de locaux dédiés. En outre, ledit rapport annonce la
présentation prochaine d’un projet de délibération sur la structure juridique de l’
école : service
interne, établissement public administratif ou établissement public industriel et commercial. Le
choix du statut juridique n’est pas sans conséquence
financière.
La chambre s’interroge sur la faisabilité d’un tel projet
au regard de la situation
financière particulièrement dégradée de la collectivité alors que des formations équivalentes
sont dispensées par le CNFPT.
3.2.2
Des recrutements irréguliers, susceptibles de déboucher sur des conflits
d’intérêt
3.2.2.1
Le recrutement massif et irrégulier de contractuels sur des emplois non permanents
Le conseil territorial a approuvé en 2023 une délibération portant création des emplois
non permanents pour faire face
à un besoin lié à un accroissement temporaire d’activité. La
particularité de cette délibération réside en ce qu’elle prévoit de créer rétroactivement
134
emplois non permanents pour régulariser la situation d’agents qui occupaient des emplois
permanents. Ainsi, cette délibération
acte l’irrégularité de
leur recrutement puisque le président
de la collectivité n’était donc pas habilité à
le faire.
Tableau n° 16 :
c
réation d’emplois non permanents 2023
Création de postes non
permanents
Régularisa
tions
Nouveaux
contrats
Total
Accroissement temporaire
d’activité
(L.332-23 1°du CGFP)
100
32
132
Accroissement saisonnier d’activité
(L. 332-23 2° du CGFP)
34
2
36
Total
134
34
168
Source : Collectivité de Saint-Martin
Ces recrutements s’inscrivent dans un cadre réglementaire précis prévoyant notamment
des motifs de recrutement et des durées d’engagement spécifiques.
Elles sont limitées et non
reconductibles au-delà
d’un certain délai
: 12 mois consécutifs maximum pour un
«
accroissement saisonnier d’activité
» et 18 mois consécutifs maximum pour un
«
accroissement temporaire d’activité
». Entre 2022 et 2023, 74 agents contractuels ont
enchaîné des contrats au titre de différents articles du code général de la fonction publique
(CGFP) pour des périodes
qui ne correspondent pas aux durées réglementaires d’engagement,
parfois sans que les délais
de latence entre deux contrats n’aient été respectées, et sans que l’on
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
59
puisse identifier l’existence d’un besoin saisonnier ou inhabituel par rapport à l’activité normale
de l’administration.
Ces contrats de courte durée concernent principalement des agents contractuels de
catégorie C, alors que la collectivité dispose déjà
d’un nombre important d’agents d’exécution.
Cette procédure constitue manifestement un
sas d’accès privilégié vers des
CDD, correspondant
à des besoins permanents définis
au titre de l’article L.
332-8-1 ou 2 du CGFP.
En outre, 31 agents, après leurs contrats temporaires ou saisonniers, ont signé des CDD
d’un an au titre de l’article L. 332
-8-2 du même code pour occuper des besoins permanents à
temps complet. Ce dispositif, qui constitue un détournement de procédure, est irrégulier.
Ce procédé consistant à recruter des agents contractuels sur des motifs saisonnier ou
temporaire pour couvrir des besoins permanents, constitue un détournement du principe du
recrutement de fonctionnaires pour occuper les emplois publics permanents. Il permet
également à la collectivité de ne pas soumettre au contrôle de légalité sa décision. Ce
dévoiement des textes doit cesser.
3.2.2.2
Des recrutements familiaux exposent la collectivité à des risques juridiques
Le recrutement dans la fonction publique territoriale
obéit au principe de l’égal accès
aux emplois publics. La loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives
à la fonction publique territoriale prévoit que les emplois publics territoriaux sont
prioritairement pourvus par la voie du concours, limitant le recours au recrutement d'un agent
non titulaire à des cas particuliers.
La collectivité a procédé au recrutement par voie contractuelle ou directe (sans
concours, pour un agent)
d’au
moins six agents en lien familiaux direct avec le président et le
premier vice-président. Ces recrutements ont eu lieu entre juin 2022 et mars 2023.
La prise d’un intérêt matériel ou moral dans le recrutement par un responsable d’une
collectivité ayant des fonctions exécutives est susceptib
le d’entrainer un délit, sans même qu’il
y ait gain ou avantage personnel. Les actes administratifs liés à ces recrutements sont
sanctionnés par le juge administratif.
Concernant ces recrutements, la chambre insiste sur la particulière fragilité juridique de
ces actes administratifs, suivant en cela les observations du Conseil
d’État
qui précise que
« le
fait pour un élu chargé d'assurer la surveillance ou l'administration de l'exécution du budget
de la commune de recruter ou de faire recruter un de ses enfants sur un emploi de la commune
est susceptible d'exposer cet élu à l'application des dispositions de l'article 432-12 du code
pénal »
40
. Les actes de recrutement sont ainsi susceptibles d’être illégaux
et exposent la
collectivité à de possible conflits d
’intérêt.
40
CE, 10
ème
et 9
ème
sous-sections réunies, 27 juillet 2005, 263714, mentionné aux tables du recueil Lebon.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
60
3.2.3
Des avantages irréguliers octroyés à de nombreux agents
3.2.3.1
Des attributions de prime irrégulières
La collectivité a connu depuis sa création en 2007 plusieurs conflits sociaux qui se sont
conclus par la signature avec les organisations syndicales de «
protocoles d’accord
» en octobre
2010, en novembre 2016 et plus récemment en mai 2019. Ce dernier «
protocole
» en date avait
acté des mesures présentées comme des «
régularisations
» de primes d’
indemnité
d'administration et de technicité (IAT)
et d’
indemnité d'exercice de missions des préfectures
(IEMP) portant sur la période comprise entre 2011 et 2018, et dont la charge pour la collectivité
devait s’étaler
sur les années 2019, 2020 et 2021. Le montant de ces mesures supportée en 2019
et qui a concerné les années 2017 et 2018 a été de 1,68
M€.
Le montant est estimé par la
collectivité pour poursuivre la mise en place de ces mesures rétroactives concernant le régime
indemnitaire pour les années 2011 à 2016, à 4,7
M€
. En effet, selon ce protocole, 586 agents
seraient concernés. Le coût de ces mesures rétroactives représente en fonction des agents des
sommes pouvant aller jusqu’à
26 000 euros.
La collectivité a pris en 2022 une délibération n° CT 06-09-2022 qui reprend les termes
des «
protocoles
d’accord
» (sans valeur juridique en eux-mêmes) et qui prévoit «
d’appliquer
à tous les agents, qui n’ont pas été bénéficiaires du dispositif
» des taux progressif d’IAT et
d’IEMP
:
pour l’IAT de 2 à 4,5 et pour l’IEM
P de 1,5 à 2,5, entre 2011 et 2018 et une application
du RIFSEEP pour 2019. Or la collectivité avait déjà pris une délibération n° CE 98-4-2011 le
25 janvier 2011 autorisant l’inscription du régime indemnitaire sur
son budget 2011 concernant
notamment ces primes d’IAT et d’IEMP et indiquant sim
plement les fourchettes légales des
coefficients. Elle renvoyait ensuite
à l’autorité territoriale le soin des attributions individuelles.
En conclusion, la collectivité ayant déjà délibérer sur cette question, la délibération de 2022 est
donc redondante.
Il n’y avait pas donc lieu à régulariser la situation puisque déjà prise en
compte par une précédente délibération.
En 2022, et alors même que ces primes sont censées disparaitre au profit du RIFSEEP
mis en place en 2019, la décision de la collectivité
d’
attribuer des taux de prime pour les années
2011 à 2018 est rétroactive et partant, illégale, conformément à une jurisprudence ancienne et
constante
41
.
En effet, les décisions administratives ne peuvent disposer que pour l’avenir. La
seule dérogation prévue est celle qui concerne les mesures nécessaires pour assurer la continuité
de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation
42
. En l’espèce
,
il n’y avait pas de régularisation de situation car il n’y avait pas d’obligation à fixer à un niveau
déterminé et progressif le taux de l’IAT et de l’IEMP. En outre, l’attribution de l’IAT est
modulée pour tenir compte de la manière de servir de l’agent dans l’exercice de ses fonctions.
Il ne pouvait y avoir d’application uniforme du versement des indemnités.
La chambre rappelle qu’à l’occasion de son précédent contrôle des comptes et de la
gestion portant sur la période 2007 à 2016, elle avait déjà signalé à la collectivité de nombreuses
irrégularités dans l’attribution de primes et indemnités (recommandations 10 et 11)
, y compris
portant sur des décisions rétroactives.
43
L’illégalité persiste en 2023 puisqu’elle
a voté une
décision modificative (DM) n°1 du budget 2023 qui prévoit 6
M€ de mesures visant à
41
CE, 25 juin 1948, Société du journal «
L’Aurore
».
42
CAA de PARIS, 2ème chambre, 20/09/2017, 16PA03000, Inédit au recueil Lebon.
43
Chambre territoriale des comptes de Saint-
Martin, Rapport d’observations sur la Caisse Territoriale des
Œuvres Scolaires (février 2020).
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
61
régulariser les situations administratives de certains agents
44
. Une partie de ces crédits, soit
1,2
M€ porte sur
les avantages irréguliers octroyés du régime indemnitaire (IAT et IEMP) en
régularisation des années 2011 à 2016.
3.2.3.2
Des reconstitutions de carrière en grande partie irrégulières
S’agissant de la carrière des agents, des anomalies avaient été repérées par l’assistance
RH
réalisée par l’État
. Elles portent
sur l’intégration de 249 agents dont les dossiers n’avaient
pas été intégrés correctement au début des années 2000.
La collectivité a décidé de reprendre la carrière des 800 agents, soit
l’ensemble de
leurs
avancements d’échelon et/ou de grade et des recl
assements pour chaque agent titulaire. Il avait
été prévu de «
lisser
» le travail sur une année (octobre 2019 / décembre 2020). Au mois de mai
2020
, le rapport d’étape de l’expert technique concluait
: «
du fait d’un manque de compétences
détenues dans ce
domaine par la majorité des agents de la direction, du fait de l’impossibilité
matérielle d’encadrer et de superviser de manière constante, permanente et quotidienne les
agents, ce travail de reconstitution n’a quasiment pas avanc
é
45
». Le rapport préconisait le
recrutement temporaire d’un ou deux gestionnaires RH.
L’AFD et la collectivité ont sollicité un accompagnement par des centres de gestion
(CDG)
de l’hexagone. Le CDG 29 a répondu en proposant une méthodologie consistant à
scinder les reconstitutions en deux temps : étude des dossiers pour une mise à niveau des
carrières tenant compte des années 2015 et postérieures et pour l’antériorité
(122 dossiers) ;
renoncement au droit statutaire à la reconstitution de carrière en contrepartie d’une
compensatio
n financière. Cette proposition, dont la faisabilité réglementaire se pose, n’a pas
été acceptée par les organisations syndicales. Un accord a été trouvé prévoyant pour
l’antériorité, une demande individuelle des agents accompagnée des pièces adéquates, à
faire
avant le 22 février 2022. Le calendrier n’a pas été tenu.
La période de 2015 a été proposée vraisemblablement en raison de la question de la
prescription quadriennale. La collectivité a voté le 17 juillet 2019 la levée de la déchéance
quadriennale. La préfecture a demandé le retrait de la délibération du 17 juillet 2019, ce que la
collectivité a fait par délibération du 22 novembre 2019. La déchéance quadriennale reste donc
applicable dans ce dossier.
Le principe de la déchéance quadriennale
La créance sur une personne publique, quelle que soit la nature, s’éteint au bout de
quatre ans. Ce principe est d’application stricte : une erreur de l’administration est
sans incidence sur la légalité de la décision d’opposer la déchéance quadriennale.
44
Ces mesures se répartissent en trois blocs
: 2,16 M€ de mesures dites «
exogènes » (dégel du point
d’indice, applicati
on de la loi Taquet en faveur des assistants familiaux, prise en compte des augmentations du
SMIC en janvier et mai 2023, revalorisation du minimum de traitement, application de la loi Ségur 2 pour les
personnels sociaux et médico-
sociaux), 3,73 M€ de mesu
res dites « endogènes » (régularisation des régimes
indemnitaires non versés aux agents sur la période 2011 à 2016, régularisation des carrières et application des
avancements de grade, régularisation de l’IFSE pour certains agents et mise en place de rupt
ures conventionnelles
pour 10 agents) et, enfin, 2,5 M€ au titre du recrutement de 37 ETP en catégorie C et de 25 ETP en catégorie A.
45
AFD, Mission assistance technique RH : rapport de fin de mission
phase 2, avril 2020, page 6.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
62
Deux causes d’interruption existent : l’intervention d'une demande de paiement
adressée par le créancier à l'administration et l'introduction d'un recours
juridictionnel.
La levée de la déchéance quadriennale relève du seul exécutif et doit être motivée en
droit et en fait. Elle ne peut intervenir qu’en cas d’échange (demande du créancier ou
intervention de la personne publique) entre les parties avant expiration du délai de
prescription.
La reconstitution des carrières concerne principalement deux choses
: l’avancement
d’échelon et l’avancement de grade. Le premier ne pose théoriquement pas de problème, cet
avancement se fait au rythme prévu par les délibérations (ancienneté maximale, moyenne ou
minimale). De même l’avancement d’échelon des agents stagiaires n’ayant pas eu de
titularisation dans le délai légal ne pose pas de problème particulier.
En revanche, l’avancement de grade se heurte à l’absence de réalisation d’un tableau
d’avancement au choix en 2017, 2018, 2019 et 2020 et à l’absence de campagne d’entretiens
professionnels. En principe, pour ces
avancements et promotions, l’administration doit se
référer à la moyenne des avancements obtenus par les fonctionnaires se trouvant dans la même
situation de grade, de classe, d’échelon et d’ancienneté
46
.
L’avancement ne peut donc se faire
qu’à titre individuel et qu’à la condition que les règles de promotion aient été définies
antérieurement.
Lors de la commission administrative paritaire (CAP) du 27 janvier 2021, les principes
suivants ont été retenus :
1) attribution pour les agents n’ayant pas bénéficié d’entretien professionnel de
l’évaluation «
Bon agent
»,
2) promotion des agents remplissant les conditions statutaires d’avancement de grade et
ce en référence au statut particulier propre à chaque cad
re d’emploi au titre des années 2017,
2018, 2019, 2020, alors même
qu’aucun ratio promouvables/promus n’a été défini entre 2017
et 2020 ou antérieurement. Cette méthode conduit à reconstituer des carrières pour 100 % des
agents remplissant les conditions d
’une possible promotion.
Ces principes contreviennent directement aux règles rappelées ci-dessus et posées par
la réglementation et par la jurisprudence administrative, dont le principe de non rétroactivité
des actes administratifs appliqué à l’évaluation
des agents ou à la délibération fixant le ratio
promus/promouvables. Les décisions prises en matière de reconstitution de carrière manquent
donc de base légale.
Au début 2024, près de 500 dossiers ont été reconstitués par la DRH.
Les avancements ont donc été octroyées sans base légale et non «
régularisés
». Il n’y a
pas eu d’avancement de grade en 2021 et 2022, compte tenu d’une part de l’effort financier dû
aux avancements octroyés et d’autre part, de l’absence jusqu’en 2022 de ligne directrice de
gesti
on et d’entretien d’évaluation. Toute dérogation nouvelle dans ce domaine serait illégale.
46
CE, 9/11/1954, Sansonetti, Rec. p.582 ; CE, 9/11/1958, Moizant, Rec. p.12 ; CAA, Versailles,
10/07/2008, Rickling c/ Ministère de l’Education nationale, n°
06VE02377.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
63
3.2.4
La gouvernance de la fonction RH est en progression mais se heurte encore à
de nombreux obstacles
3.2.4.1
De nombreux chantiers réalisés depuis 2019
Le directeur général des services (DGS), dès sa prise de poste en août 2019, a décidé de
se faire accompagner par une expertise extérieure sur les volets «
organisationnels et
stratégiques
» (réorganisation administrative et réalisation de projets de direction pour chaque
direct
ion, création d’outils de pilotage pour les pôles et les directions, élaboration du budget
2020 dont celui de la RH). Ces assistances techniques ont été amenées à travailler avec un
service RH peu autonome et dont le pilotage ne s’est amélioré qu’à partir
de la nomination
d’une nouvelle directrice
au 1
er
janvier 2020.
La remise en conformité statutaire constituait une des priorités de la mission
d’assistance sur le chantier RH. Compte tenu de la technicité requise pour reconstituer les
carrières de 800 age
nts, de la priorité donnée à l’instauration du RIFSEEP et des nombreux
enjeux quotidiens de la RH, ce chantier n’a pu aboutir qu’en 2023. Des outils de suivi, de
gestion et de pilotage RH ont été mis en place une première fois en 2019-2020, puis une
deuxième fois en 2023 après la crise du Covid-19 et des tensions sociales.
En juillet 2023, le conseil territorial a approuvé les lignes directrices de gestion (LDG)
«
promotion et valorisation des parcours professionnels
», conformément aux dispositions
contenues dans le CGFP aux articles L. 413-1 à L. 413-7. Ainsi, la collectivité se fixe des
orientations et des critères généraux pour les promotions au choix dans les grades et les cadres
d’emplois. L’application de ces LDG contribue à la bonne gestion de
s carrières de plus de 900
agents.
La première campagne d’entretiens d’évaluation
-
instrument essentiel d’appréciation
de la valeur professionnelle des agents - depuis au moins 2017 est en cours et donne un signal
positif pour la suite.
En outre, la collectivité a adopté par deux délibérations le tableau des emplois
permanents et non permanents. L’existence de ce tableau est de nature à contribuer à la maîtrise
des charges de personnel. Il confère une assise légale à la publication des postes. Cette montée
en qualité toute récente s’accompagne de la mise en œuvre d’un process de recrutement
normalisé.
Un nouvel organigramme a été élaboré pour répondre aux défis identifiés par la nouvelle
gouvernance. Il en résulte un tableau des emplois, approuvé par le conseil territorial en juin
2023, qui apporte une cohérence globale et une lisibilité des emplois à l’échéance 2026. Enfin,
le processus de recrutement a été entièrement revu et placé sous le pilotage de la DGA RH afin
de veiller à la pertinence et à la qualité des recrutements au regard de la stratégie RH. Les postes
à pouvoir seront ouverts en priorité à la mobilité interne, puis, en l’absence de candidature
adapté au profil de poste, à la mobilité externe, après avis de la commission de gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences dont la création est prévue pour la rentrée 2024.
Toutefois, l
es postes en interne ne font pas l’objet d’une publicité ce qui contrevient au
principe d’égal accès à l’emploi public.
La chambre rappelle qu’à l’occasion de
son précédent
rapport une recommandation portait déjà sur l’obligation de publicité des emplois vacants.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
64
3.2.4.2
Une meilleure gestion des absences mais un temps de travail non mesuré
Comme l’avait déjà relevé la chambre lors de son précédent contrôle, la collect
ivité de
Saint-Martin ne respecte pas la durée légale de travail de 1
607 heures. L’article 47 de la loi du
6 août 2019 a mis fin aux régimes dérogatoires à la durée légale. À compter du renouvellement
du conseil territorial, la collectivité avait un an pour adopter un nouveau cycle de travail.
Cependant, l’existence de jours spécifiques dits «
chômés
» ne respecte pas les dispositions de
la loi précitée. Ce chantier
, qu’il convient de mener à son terme,
n’a pas été encore ouvert par
la nouvelle gouvernance.
Durant la phase 2 de la mission d’assistance technique RH (octobre 2019 –
avril 2020),
un règlement intérieur portant notamment sur le temps de travail a été élaboré en concertation
avec l’encadrement supérieur. Cependant, la chambre n’a pas pu prendre
connaissance du
niveau de validation dont il a pu faire l’objet et de ses modalités d’application au sein de
l’administration territoriale.
L’installation d’un système de gestion automatisée du temps de travail, annoncée
prochainement en 2020 par
l’assistance technique RH
47
n’a pas eu lieu. Pourtant, cet outil aurait
facilité l’application des règles de gestion du temps de travail, des congés et des absences ainsi
que le contrôle de l’effectivité des heures rémunérées au titre des
indemnités horaires pour
travaux supplémentaires et de leur régularité qui est conditionnée par son existence
(130
milliers d’euros
de dépenses en 2015 lors du précédent rapport de la chambre). Cette
recommandation, toujours d’actualité, ne fait pas partie des projets de la
collectivité. La
chambre rappelle donc à la collectivité qu’elle doit s’en munir dans les meilleurs délais.
Néanmoins, des progrès ont été observés dans le suivi des absences et la prévention des
absences injustifiées. Le soutien politique affirmé sur cette question permet à la DRH et plus
largement aux managers de tenir un discours de fermeté qui se traduit notamment par des
retenues sur salaires (6 agents concernés en février 2024). En 2023, la collectivité comptait une
vingtaine d’agents en situation d’
abandon de postes non traités. Après analyse de chacune de
ces situations particulières, certains
d’entre eux
ont repris leurs fonctions, d’autres ont été placés
en retraite d’office ou en disponibilité, et d’autres encore ont effectué une mutation à la Ca
isse
territoriale des oeuvres s
colaires (CTOS). Enfin, cinq agents ont fait l’objet d’une procédure de
radiation.
Recommandation n° 9.
(
Régularité
) Mettre en place la durée légale du temps de travail
conformément à l’article 7
-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier
1984 modifiée, en installant un système automatisé de la mesure
de la présence des agents.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
La collectivité de Saint-Martin est confrontée aux défis de la reconstruction et du besoin
en équipements structurants. Or, sur les 230
M€ de dépenses d’investissement
post-Irma
initialement prévus, seuls 52,7
M€ ont effectivement été
réalisés entre 2019-2023, malgré la
disponibilité d’importants financements
. Dans le rapport
d’orientations budgétaires pour
47
Note de l’AFD du 31 juillet 2019
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
65
l’exercice 202
3,
la collectivité prévoit d’engager à l’horizon 2026 au total
375
M€
pour ses
opérations supérieures à 1
M€
. Pour la chambre, ces prévisions ne sont pas réalistes. Compte
tenu de ses capacités internes, la collectivité serait seulement en mesure de réaliser par an
20
M€
En effet, elle n’assume pas pleinement son rôle de maître d’ouvrage
, dans la mesure où
elle ne dispose pas encore de toute l’expertise, ne programme pas précisément
ses ouvrages et
ne suit pas correctement la
mise en œuvre de ses trop nombreux projets comme le démontrent
les dysfonctionnements relevés par la chambre :dépassement des enveloppes financières,
insuffisante maîtrise de la définition et du calendrier des opérations, et absence de suivi des
différente
s phases (maîtrise foncière, définition des besoins, procédures d’attribution, suivi des
opérations et des financements, paiement des fournisseurs).
Une programmation plus objective, dont le calendrier de réalisation serait raisonnable,
offrirait une meilleure lisibilité de la stratégie de la collectivité, autoriserait la maitrise des
coûts et permettrait
aux acteurs économiques d’anticiper les besoins
.
La gestion des ressources humaines appelle des observations très critiques.
De 2021 à 2023, les effectifs nets ont augmenté de façon spectaculaire de 188 agents.
Ce choix s’est accompagné d’une explosion des dépenses de 17,5
M€.
Ces recrutements ne
reposent pas sur des besoins toujours identifiés et placent durablement la collectivité dans une
situation critique sur le plan financier.
Les conditions dans lesquels cette politique a été menée souffrent de nombreuses
irrégularités : avantages indus octroyés aux agents, situation
s susceptibles d’entraîner
des
conflits d’intérêt,
absence de respect de la durée annuelle légale du temps de travail. Depuis
2020, des progrès dans certains aspects de la gestion des ressources humaines sont relevés.
En 2023, la décision de la collectivité de créer une école territoriale de management
public (EMP) à Saint-Martin interroge au regard de sa situation financière très dégradée.
En l’état, les comptes ne sont pas fiables.
En l’absence d’inventaire physique et
comptable, ils ne traduisent pas la situation patrimoniale exacte de la collectivité. Cette
dernière doit respecter le principe de prudence et inscrire les provisions nécessaires. Elle doit
également s’assurer du renouvellement de ses actifs en inscrivant les montants d’amortissement
obligatoires. Les résultats de la gestion sont insincères, dans la mesure où les rattachements
de charges et de produits ne sont pas correctement constatés.
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
66
ANNEXES
Annexe n° 1.
Administration de l’impôt
........................................................................
67
Annexe n° 2.
Évolution des dettes
en €
.......................................................................
68
Annexe n° 3.
Rattachement des factures non parvenues (compte 408)
en €
..............
69
Annexe n° 4. Traitement des factures
.............................................................................
70
Annexe n° 5. Caractérisation des sites à enjeux
..............................................................
71
Annexe n° 6.
Suivi des tonnages de sargasses
...............................................................
72
Annexe n° 7.
Suivi des tonnages collectés
.....................................................................
73
Annexe n° 8. Glossaire
....................................................................................................
74
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
67
Annexe n° 1.
Administration de l’impôt
Administration de l’impôt
Production de la norme
Assiette et liquidation
Recouvrement
Contrôle fiscal et
contentieux
Moyens collectivité
Moyens de l’État
Article
de
la
loi
organique n° 2007-223
du 21 février 2007
Art. LO 6314-3 du CGCT
Art. LO 6314-4 du
CGCT
Convention de gestion
du 21 mars 2008
LO 6314-4 du CGCT
Convention de gestion
du 21 mars 2008
Poste local de la DGFiP
Juge de l’impôt selon la
nature de l’impôt
Source : CTC de Saint-Martin
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
68
Annexe n° 2.
Évolution des dettes
en €
2018
2019
2020
2021
2022
2023
En cours de dettes du BP
au 1er janvier
48 152 766
45 291 458
38 265 625
33 695 077
29 401 468
34 525 874
- Annuité en capital de la
dette (hors remboursement
temporaires d'emprunt)
2 861 309
7 363 725
4 581 601
4 297 460
3 576 572
5 285 809
+ Nouveaux emprunts
0
337 892
0
0
8 700 000
0
= Encours de dettes du
BP au 31 décembre
45 291 458
38 265 625
33 695 077
29 401 468
34 525 874
29 241 072
Source : CTC de Saint-Martin
, ANAFI d’après les comptes de gestion
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
69
Annexe n° 3.
Rattachement des factures non parvenues (compte 408)
en €
2019
2020
2021
2022
Débit
Crédit
Débit
Crédit
Débit
Crédit
Débit
Crédit
Balance d’entrée
6 868 126
8 939 689
11 838 544
7 135 324
Opérations
6 868 126
8 939 689
8 939 689
11 838 544
11 838 544
7 135 324
18 168 167
13 214 172
Balance de
sortie
8 939 689
11 838 544
7 135 324
2 181 329
Source : CTC de Saint-
Martin, d’après les comptes de gestion
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
70
Annexe n° 4.Traitement des factures
Source : Règlement budgétaire et financier de la Collectivité de Saint-Martin
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
71
Annexe n° 5.Caractérisation des sites à enjeux
Source : CTC de Saint-Martin
Sites
Caractéristiques
Grand Cayes
Baie de Cul
de Sac
Mont
Vernon/baie
orientale
Baie de
l’embouchure
Etang aux
poissons
Baie Lucas
Proximité directe
avec les
habitations
Non
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Fréquentation
importante
Non
Oui
Oui
Non
Non
Non
Impact
économique
Non
Oui
Oui
Non
Non
Non
Impact sur la
biodiversité
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Non
Contraintes
d’accès
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Non
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
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Annexe n° 6.
Suivi des tonnages de sargasses
Rappel des
tonnages
2019
2020
2021
2022
2023
Total
Tonnes pesées à
l'Ecosite
1 875
998
7 588
5 150
12 877
28 488
Source : Collectivité de Saint-Martin
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73
Annexe n° 7.
Suivi des tonnages collectés
Janv.
Févr
Mars
Avr
Mai
Juin
Juil
Août
Sept
Oct
Nov
Déc
Total
2015
484,34
136,24
191,02
126,28
937,88
2016
79,98
62,50
65,68
110,48
65,90
51,76
86,54
85,94
44,08
26,18
20,98
27,86
727,88
2017
14,84
18,32
25,44
32,60
186,28
76,00
353,48
2018
420,20
2 678,02
1 928,98
2 231,78
0,50
7 259,48
2019
95,20
474,28
1 217,89
87,16
1 874,53
2020
1,12
6,16
1,60
5,76
742,82
233,88
5,56
1,42
998,32
2021
8,78
1 497,12
1 117,30
3 338,50
1 625,95
7 587,65
2022
-
-
-
-
617
1 168
1 508
1 064
453
137
74
129
5 150.00
2023
152
693
970
497
606
2 804
3 401
3 323
431
12 877.00
Source : Collectivité de Saint-Martin
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
74
Annexe n° 8. Glossaire
-
AFD : Agence Française de Développement
-
AMO
: Assistance à Maîtrise d’Ouvrage
-
AOT :
Autorisation d’Occupation Temporaire
-
AP/CP : Autorisations de Programme/Crédits de Paiement
-
BP : Budget Primitif
-
CAP : Commission Administrative Paritaire
-
CCT : Contrat de Convergence et de Transformation
-
CDD : Contrat à Durée Déterminée
-
CESC : Conseil Economique, Social et Culturel
-
CGCT : Code Général des Collectivités Territoriales
-
CSR : Combustibles Solides de Récupération
-
CTA : Certificat de Transporteur Aérien
-
CTC : Chambre Territoriale des Comptes
-
CTOS
: Caisse Territoriale des Œuvres Scolaires
-
DAF : Direction des Affaires Financières
-
DGA : Direction Générale Adjointe
-
DGAC
: Direction Générale de l’Aviation Civile
-
DGD : Dotation Générale de Décentralisation
-
DGF : Dotation Globale de Fonctionnement
-
DGFIP : Direction Générale des Finances Publiques
-
DRFIP : Direction Régionale des Finances Publiques
-
EEASM
: Etablissement des Eaux et de l’Assainissement de Saint
-Martin
-
FEADER : fonds européen agricole pour le développement rural
-
FEDER : fonds européen de développement régional
-
H2S : Hydrogène Sulfuré
-
IAT
: Indemnité d’Administration et de Technicité
-
IEMP
: Indemnité d’Exercice de Missions et de Préfecture
-
NH3
: formule de l’Ammoniac
-
PPI
: Plan Pluriannuel d’Investissement
-
RBF : Rapport Budgétaire et Financier
-
REACT-EU : Recovery Assistance for Cohesion and the Territories of
European Union
-
RIFSEEP
: régime indemnitaire tenant compte des sujétions, de l’expertise et de
l’engagement professionnel
-
RGP : Réforme des Gestionnaires Publics
-
ROB
: rapport d’orientation budgétaire
COLLECTIVITE
DE SAINT-MARTIN
75
-
RUP : Région Ultrapériphérique
-
SEM
: Société d’Economie Mixte
-
SG : Services Gestionnaires
-
SPASER : Schéma de Promotion des Achats Publics Socialement Responsables
-
SPIC : Services Publics Industriels et Commerciaux
-
TGCA
: Taxe générale sur le chiffre d’affaires
76
Chambre territoriale des comptes de Saint-Martin
Parc d’activité de La Providence –
Kann’Opé –
Bât. D
CS 18111
97 181 LES ABYMES CEDEX
antillesguyane@crtc.ccomptes.fr
www.ccomptes.fr/fr/crtc-antilles-guyane