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PRÉSENTATION À LA PRESSE DE L’ÉVALUATION DE L’ATTRACTIVITÉ
DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR FRANÇAIS POUR LES ÉTUDIANTS
INTERNATIONAUX
Lundi 10 mars 2025 – 9h30
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous accueillir pour vous présenter l’évaluation
de politique publique menée par la Cour, intitulée « l’attractivité de l’enseignement supérieur français
pour les étudiants internationaux ».
Je souhaite avant tout saluer le travail de tous ceux qui ont contribué à ce rapport, et ils sont
nombreux
. Est présent à mes côtés Nacer Meddah, Président de la 3
ème
chambre et de la formation
inter chambre qui a délibéré sur ce rapport, en lien avec la quatrième chambre. Je salue également la
présence de François Saint-Paul, rapporteur général de cette évaluation et Yohan Pallier, auditeur. Ils
représentent l’équipe des rapporteurs, qui comprend aussi Michel Bouvard, conseiller maître, Clément
Hénin et Florence Chaltiel-Terral, conseillers référendaires en service extraordinaire, Clément
Lacouette-Fougère, professeur à chercheur à Sciences Po, Amélie Elluin,
data scientist,
et Jacques
Ténier, contre-rapporteur.
C’est un travail approfondi qui a été conduit, sur un sujet d’une actualité particulière.
Il s’agit de la
mobilité étudiante, dite « entrante » en France, par opposition à la mobilité dite « sortante » des
étudiants français qui poursuivent leurs études supérieures à l’étranger.
La Cour a déjà dans le passé traité de sujets voisins : les droits d'inscription dans l’enseignement
supérieur, la mobilité internationale des étudiants sous l’angle de la mobilité « sortante », ou encore
l’entrée et le séjour des personnes étrangères en France.
Mais il nous a semblé particulièrement important de traiter le sujet de l’attractivité pour éclairer le
débat public aujourd’hui
. Depuis deux ans, la migration étudiante est devenue le premier motif de
demande de visa d’accès à notre territoire. Finalement, dans un contexte de concurrence
internationale qui s’aiguise, avec des motivations qui se précisent, les questions que nous nous
sommes posées sont les suivantes : quels profils d’étudiants internationaux voulons-nous attirer ?
Pour quelles raisons ? Savons-nous les accueillir de manière adaptée ? Pouvons-nous faire mieux ?
J’aimerais souligner que ce rapport est une évaluation de politique publique
.
Je m’en réjouis, car la
Cour s’est engagée dans une montée en puissance de ce format de travaux : nous produisons de plus
en plus d’évaluations de politiques publiques, y compris dans les CRC, nous développons de nombreux
partenariats académiques et nous avons recruté une équipe de
data scientists
qui viennent en appui
des personnels de contrôle.
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Comme pour toute évaluation de politique publique, les travaux d’enquête ont été présentés tout
au long de la procédure, pour avis, à un comité d’accompagnement.
Il était composé de onze experts,
que je remercie, de diverses origines et de grande qualité : professeurs et chercheurs, représentants
d’associations d’universités, y compris européennes, préfet honoraire, experts de la vie étudiante et
des relations internationales dans l’enseignement supérieur, diplomates…
L’instruction a reposé sur l’exploitation des principales bases de données nationales disponibles
dans les ministères, mais aussi sur d’autres sources qualitatives et quantitatives :
un sondage auprès
de plus de cinquante universités, la visite de huit établissements dont des écoles, des visites de six
préfectures, ou encore l’examen de près de 650 dossiers d’étudiants candidats, en provenance de pays
soumis à visa (Tunisie, Maroc, Nigéria, Inde, Brésil, Sénégal). Je remercie à cet égard les postes
diplomatiques et consulaires qui apporté leur concours à l’enquête, en répondant à un questionnaire
et en éclairant l’équipe de contrôle sur la stratégie d’autres pays d’accueil, qui peuvent être en quelque
sorte présentés comme autant de « concurrents ». Nous avons étudié des exemples en Amérique
(Etats-Unis, Canada) ; dans l’Union européenne (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas), au Royaume-
Uni, en Suisse et en Asie (Australie, Corée du Sud).
*
J’en viens au contenu de notre rapport : cette évaluation de politique publique s’est attachée à
répondre à trois questions évaluatives
. La politique d’accueil des étudiants étrangers en France est-
elle en adéquation avec les différents enjeux nationaux (économie, recherche, migrations, société et
influence internationale) ? Ensuite, deuxième question, les actions et les moyens mis en œuvre
contribuent-ils à l’attractivité, à l’accueil et à l’amélioration du parcours des étudiants étrangers ?
Enfin, quels sont les impacts mesurables de la politique en matière d’enseignement supérieur, de
recherche, d’économie, d’emploi et de rayonnement ?
Pour répondre à ces questions, le rapport est organisé en quatre chapitres.
Le premier rappelle le contexte international ainsi que la situation en France
. Il s’agit en quelque
sorte de faire un peu de géographie et de « grammaire ». Quelles sont les tendances dans les
principaux pays d’accueil des étudiants et leurs motivations ? Et comment bien comprendre les
distinctions importantes entre plusieurs notions : les étudiants internationaux, les étudiants étrangers,
ou encore les différents types de mobilité étudiante ?
Le second chapitre revient sur l’histoire de la politique de développement de l’attractivité de
l’enseignement supérieur en France et sur ses différents leviers, pour répondre à la première question.
Le troisième chapitre porte sur les résultats de cette politique publique, pour répondre à la seconde
question. Enfin, le dernier chapitre traite de la mesure des impacts de cette politique de soutien à
l’attractivité, pour en évaluer l’efficience.
1.
J’en viens à présent au premier chapitre du rapport, qui porte sur le contexte international ainsi
que sur la situation en France.
Je débuterai par le contexte international.
Pour mémoire, c’est important, les étudiants internationaux
sont ceux qui changent de pays pour leurs études alors que dans la notion plus générale d’étudiants
étrangers, on inclut aussi ceux qui sont déjà résidents dans le pays d’étude. Ces derniers forment une autre
catégorie (« les étudiants étrangers non mobiles » ou « résidents ») qu’il faut savoir traiter un peu
différemment.
Parmi les étudiants internationaux, il y a
: d’une part, ceux qui effectuent une mobilité dans le cadre du
cursus de leur établissement d’origine, ce que l’on appelle la
« mobilité de crédit
», par exemple les
étudiants qui participent au programme Erasmus + ; d’autre part, ceux qui effectuent une
mobilité
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diplômante
dans l’établissement d’accueil. C’est la très grande majorité des étudiants internationaux, qui
sont l’objet de notre évaluation.
Les étudiants qui effectuent une mobilité diplômante sont en grande majorité des étudiants en mobilité
individuelle ou « libre » (souvent appelés «
free movers
»).
Les autres étudiants viennent en France dans
le cadre d’une
mobilité encadrée
, par un accord entre l’université d’envoi et l’université d’accueil,
typiquement un double-diplôme.
Autre point sensible, la manière de comptabiliser les étudiants internationaux dans le monde n’est pas
harmonisée
. Cela nuit à la fiabilité des classements des pays d’accueil.
Certes, l’Unesco publie chaque année des statistiques qui font référence, bien qu’imparfaites. L’Unesco
compte les étudiants internationaux en mobilité diplômante.
Quoiqu’il en soit, tout montre que la mobilité étudiante est en croissance.
Les étudiants en mobilité
diplômante dans le monde étaient 600 000 en 1975, 3,5 millions en 2005 et 6,9 millions en 2022. Ils
représentent aujourd’hui 2,7 % des 256 millions d’étudiants estimés dans le monde.
Ces rappels étant faits, qu’en est-il de la concurrence internationale ? Comment se situe la France dans
cet environnement ? Et d’où viennent les étudiants internationaux qui y étudient ?
La France a connu depuis les années 2000, une progression régulière de ses étudiants internationaux.
Mais cette progression a été moindre que dans certains pays anglo-saxons ou l’Allemagne, d’où un recul de
notre classement relatif dans ce domaine. Selon les données de l’Unesco, la France était le deuxième pays
d’accueil en 1980 derrière les États-Unis ; le quatrième en 2017 derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et
l’Australie ; elle est depuis 2022 le septième pays, derrière également le Canada, l’Allemagne et la Russie,
réintégrée en 2024 à l’enquête de l’Institut statistique de l’Unesco.
Ensuite, d’où viennent les étudiants internationaux qui étudient en France ?
Depuis plus de 20 ans, les
aires géographiques d’origine des étudiants étrangers en France évoluent peu. Ces étudiants viennent à
50 % de pays maghrébins ou d’Afrique subsaharienne, à 22 % d’Asie, à 19 % de pays européens et 9 %
d’entre eux sont originaires d’Amérique. Ainsi l’enseignement supérieur français attire-t-il prioritairement
des étudiants francophones. Les contingents d’étudiants mobiles en forte croissance, originaires
notamment de Chine – désormais au troisième rang, derrière le Maroc et l’Algérie –, et plus récemment
d’Inde et du Nigéria, se dirigent en effet prioritairement vers des formations anglophones dispensées aux
États-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne.
Où ces étudiants internationaux étudient-ils ?
En France, les étudiants internationaux sont principalement
accueillis dans les universités (65 %),
les autres dans les écoles de commerce et de management (16 %) et
dans les écoles d’ingénieurs (5 %).
Ces derniers établissements ont connu dans les années récentes la
progression la plus importante alors que les universités sont en quasi-stagnation. Dans nos universités, les
étudiants en mobilité internationale constituent 10 % des étudiants en licence, 15 % en master et 36 % en
doctorat. J‘appelle d’ores et déjà votre attention sur ce dernier pourcentage : sans docteurs étrangers, la
recherche française ne peut pas vivre.
Au-delà de leur origine et de leurs lieux d’études, comment les étudiants internationaux en mobilité
diplômante sont-ils sélectionnés ?
Pour bien le comprendre, il faut décrire ce que l’on appelle le «
parcours
de l’accueil
» des étudiants internationaux, qui varie selon l’origine de l’étudiant. D’abord, les étudiants qui
viennent du « bloc européen » – soit l’Union européenne et l’Espace économique européens – bénéficient
du traitement national, donc, comme les étudiants français, ils candidatent sur « Parcoursup » ou « Mon
Master » dans la majorité des cas, sans exigence de visa.
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Ensuite, les étudiants provenant de 72 pays soumis à visa déposent leur candidature sur une plateforme,
« Études en France », sur laquelle les établissements tels que les universités admettent ou refusent les
candidatures.
Ils ont ensuite un entretien dans les « Espaces Campus France », un service rattaché aux
postes diplomatiques français, qui émet un avis sur leur projet d’étude. Tous les étudiants qui ont eu une
réponse académique positive doivent enfin déposer une demande de visa. La décision d’octroi d’un visa
d’études est prise sur la base de différents critères, dont celui des ressources (au minimum 615 € par mois),
de l’exactitude des informations données ainsi que des analyses de nature sécuritaires. Le but est d’éviter
que l’objet du visa ne soit détourné par le demandeur.
Ce « parcours de l’accueil », qui est en même temps, en réalité, une succession de filtres, se poursuit une
fois en France par le travail d’accueil et d’accompagnement des établissements d’enseignement
supérieur.
D’autres démarches sont nécessaires, comme l’inscription à l’assurance maladie, et, pour les
étudiants munis d’un visa, l’obtention d’un titre de séjour lorsque le visa expire.
J’ai pensé utile de rappeler cette procédure pour montrer qu’il y a bien, donc, un processus de
sélection et de contrôles.
Pour être concret, par rapport au total d’un million de vœux des candidats
émis via la plateforme « Études en France », le taux de sélection est de 6 %. Par rapport au nombre de
candidats, ce taux est de 24 %.
Enfin, dernière interrogation à laquelle nous avons tenté de répondre dans cette première partie du
rapport : quelles sont les motivations des pays concurrents et quelles sont les nôtres, en matière
d’’attractivité de l’enseignement supérieur ?
Une première famille de motivations peut être
identifiée, ce sont celles qui relèvent de la recherche de l’excellence. À ce titre, nos concurrents
raisonnent tous en termes d’influence, mais d’autres objectifs s’ajoutent. Il y a la recherche, qui
cherche attirer les meilleurs pour en faire des doctorants qui contribueront directement aux travaux
scientifiques. Il y a enfin la satisfaction des besoins en compétences des entreprises, et cette
motivation est de plus en plus présente. Elle est devenue en Allemagne, pour prendre un exemple
voisin, une priorité affirmée, vu notamment la situation démographique.
Dans certains pays, de tradition anglo-saxonne, il y a une motivation supplémentaire.
Le financement
des établissements dépend beaucoup moins de l’État, et les droits d’inscription à payer par les
étudiants occupent une place centrale : les seuls étudiants internationaux financent 20 % du budget
des universités britanniques, soit 9 Md£ (presque 11 Md€). Ces droits, qui sont plus élevés pour les
étudiants internationaux que pour les nationaux, sont devenus une ressource essentielle.
C’est un autre modèle que le modèle continental européen de l’enseignement supérieur public, qui,
d’une façon ou d’une autre, est fondé sur une certaine forme de reconnaissance d’un droit à
l’éducation supérieure et donc un niveau relativement faible de droits d'inscription.
Qu’en est-il en France ? Quels sont nos arbitrages ? C’est toute la question des finalités de
l’attractivité internationale de l’enseignement supérieur, question sur laquelle se penche la suite du
rapport.
2.
Le second chapitre de notre rapport traite de la pertinence des différents leviers utilisés France
en faveur de l’attractivité de l’enseignement supérieur français.
Nous nous sommes en effet interrogés sur l’adéquation de la politique d’accueil des étudiants
étrangers en France avec les différents enjeux nationaux (économie, recherche, migrations, société
et influence, etc).
Des réformes majeures se sont succédées au cours des dernières années dans le domaine de
l’attractivité de l’enseignement supérieur
. Mais leur coordination a fait défaut ou, à tout le moins, a été
insuffisante. C’est pourquoi, la Cour considère plus approprié de parler de « réformes parallèles », qui
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concernent toutes de près ou de loin la politique de soutien à l’attractivité de l’enseignement supérieur
français, mais sans vision d’ensemble.
D’abord, depuis le début des années 2000, l’enseignement supérieur public a fait l’objet d’une
politique constante de regroupements d’établissements, couplée à des financements sélectifs.
Ceci
avait pour objectif de gagner en visibilité internationale, y compris dans les classements internationaux,
sur le plan de la recherche, et dans une moindre mesure, de la formation.
Ces regroupements sont
désormais bien visibles sur le plan international, à commencer par Paris-Saclay et Paris – Sciences –
Lettres (PSL).
L’articulation de l’action extérieure de l’État avec les établissements d’enseignement supérieur a aussi
connu une réforme profonde, qui a permis de rationaliser les outils de la diplomatie d’influence.
D’une
part, les « Espaces Campus France » ont été créés à partir de 2007 et rattachés à nos postes
diplomatiques, dans le cadre de la procédure « Études en France » applicable dans 72 pays soumis à visa.
En 2010, c’est l’agence Campus France qui a été créée, dont les objectifs sont d’améliorer la qualité de
l’accueil et du séjour des étudiants internationaux et, désormais de façon plus explicite, de participer à
la diplomatie d’influence.
Les étudiants sont aussi affectés par les évolutions de la politique migratoire, qui a connu de
nombreuses réformes, sous l’effet de lois successives
. Une tendance nette s’en dégage en faveur de la
fluidification du parcours des étudiants étrangers pour ceux que nous voulons accueillir, avec notamment
l’introduction du
visa de long séjour valant titre de séjour
(le VLS-TS créé par la loi de 1998 dite
« Réséda ») et, pour l’insertion professionnelle de ces étudiants, notamment dans le domaine de la
recherche, le
passeport-talent
(2016), et la
carte de séjour temporaire
(CST) pour motif de recherche
d’emploi ou de création d’entreprise (2018).
Ces évolutions parallèles ont été réunies pour la première fois dans une stratégie interministérielle
d’ensemble, la stratégie « Bienvenue en France » lancée fin 2018.
Cette stratégie était la première
véritable politique d’attractivité et d’accueil des étudiants internationaux. Elle constituait un exemple
de politique de soutien à l’attractivité de l’enseignement supérieur, avec une définition des objectifs
associés à l’attractivité, ainsi que de nombreuses mesures. Elle a permis d’amorcer une approche
concertée entre les administrations centrales, mais aussi sein des établissements sur l’accueil des
étudiants internationaux.
Toutefois, sa mise en œuvre a été peu coordonnée, et elle a été rapidement affectée par la crise
sanitaire
. Par ailleurs, son portage politique a fait défaut, et l’impression que se dégage de cette
succession de réformes puis de la stratégie « Bienvenue en France » est celle d’une
extrême difficulté
à prioriser les objectifs associés à l’attractivité.
Depuis cette stratégie, nous avons désormais en France un objectif quantitatif d’accueil de 500 000
étudiants étrangers à l’horizon 2027 –
comprenant, donc, les étudiants internationaux mais aussi les
quelque 90 000 étudiants étrangers non-mobiles. Cet objectif central de la stratégie « Bienvenue en
France » s’inscrit dans une tendance des États à afficher des objectifs ambitieux d’accueil d’étudiants
internationaux. Son atteinte est en bonne voie,
avec 430 000 étudiants étrangers recensés en 2023-
2024.
Mais force est de reconnaître que cette cible n’a guère trouvé de déclinaisons en matière de priorités
géographiques, de compétences professionnelles, de disciplines ou d’articulation avec l’aide au
développement
. Une telle stratégie aurait exigé un travail interministériel plus approfondi, associant
notamment les ministères chargés de l’économie et du travail. Faute de ce travail préalable, c’est
l’objectif d’influence qui est devenu par défaut le principal motif de justification de l’accueil d’étudiants
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internationaux. Autrement dit, on considère que l’influence est la conséquence directe de l’accueil
d’un plus grand nombre d’étudiants internationaux.
Ce raisonnement étant un peu court, la recommandation centrale de la Cour porte sur la priorisation
des profils des étudiants que l’on sélectionne
. Une meilleure implication de l’ensemble des
ministères, et en particulier les ministères de l’économie et du travail, notablement absents jusqu’à
présent par rapport aux ministères des affaires étrangères, de l’intérieur et de l’enseignement
supérieur, est nécessaire. Une priorisation des profils sur la base des compétences professionnelles
recherchées et des disciplines scientifiques à privilégier serait pertinente, sans se substituer pour
autant aux considérations diplomatiques, d’influence et d’aide au, ni à la capacité des établissements
à sélectionner eux-mêmes leurs étudiants.
En conséquence, la Cour recommande de mettre en place une stratégie globale sous l’autorité du
Premier ministre, en associant pleinement les ministères de l’économie et du travail.
C’est la
première recommandation du rapport. La politique d’attractivité internationale de l’enseignement
supérieur ne peut pas, en effet, n’être que le corollaire d’une seule autre politique publique (la
politique migratoire, la politique d’influence ou la politique de l’emploi).
3.
J’en passe au troisième chapitre de notre rapport, qui porte sur les instruments et les moyens de
mise en œuvre de la politique d’attractivité de l’enseignement supérieur français.
Nous avons cherché à répondre aux questions suivantes.
Les actions et les moyens mis en œuvre par
les responsables de cette politique d’accueil contribuent-ils à l’attractivité, à l’accueil et à
l’amélioration du parcours des étudiants étrangers ? Compte tenu de la complexité de l’accueil, et des
obstacles rencontrés en France lors des études, peut-on être sûr que l’action de nos administrations,
agences et établissements contribue bel et bien à l’attractivité ?
La mise en œuvre concrète de la politique d’attractivité dépend d’une coordination étroite entre les
acteurs compétents pour le parcours de l’accueil puis du séjour des étudiants étrangers
. Ces acteurs
incluent les Ministères de l’Intérieur, de l’Europe et des affaires étrangères, de l’Enseignement
supérieur et de la recherche, la CNAM, la CNAF ou encore les CROUS et bien entendu les
établissements d’enseignement eux-mêmes.
Dans ce parcours qui mobilise de nombreuses parties prenantes, la Cour a relevé d’importantes
marges de progression.
En premier lieu, nous constatons que le parcours de l’accueil et du séjour doit être amélioré, sur le
plan des délais et du calendrier.
Par exemple, la Cour constate que l’attractivité des établissements
d’enseignement supérieur français est souvent affectée par les calendriers d’admission, souvent
tardifs dans de nombreux établissements. Or la concurrence internationale pour les meilleurs se joue
dès le calendrier de sélection. Décider plus tôt que les autres, c’est maximiser les chances de recruter
l’étudiant voulu. Parmi les voies d’amélioration figure donc l’anticipation de ces calendriers
d’admission, même si la Cour reconnait que c’est un enjeu d’organisation complexe. Il n’est pas normal
que le calendrier de la sélection prévu dans la procédure « Études en France » soit aussi peu respecté
depuis plus de dix ans, alors que ce calendrier a valeur règlementaire.
En outre, les étudiants internationaux rencontrent de nombreuses difficultés en cours de séjour,
notamment en matière de renouvellement de titre de séjour et de logement.
Les délais d’instruction
dans les préfectures sont très longs, en raison du manque d’anticipation des étudiants et du manque
d’agents instructeurs pendant les pics de renouvellement. S’agissant du logement, les étudiants
internationaux sont autant sinon plus frappés que les étudiants français par la pénurie de logements
abordables. Les CROUS sont déjà très mobilisés en faveur du logement des étudiants internationaux
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(36,6 %), qui pour certains sont boursiers sociaux. Il faut donc développer l’action des établissements
eux-mêmes en matière de logement : les universités sont maitresses de leur patrimoine, et peuvent
par ailleurs réserver des places dans le parc privé.
L’instruction a aussi permis de documenter un point sensible, à savoir la précarité des étudiants
internationaux, qui est plus forte que pour les étudiants français
. Ils sont plus enclins à cumuler
emploi et études et à recourir aux aides d’urgences voire aux associations d’aides. Il s’agit de la face
sombre de la politique d’attractivité, qui doit impérativement être traitée par des mesures de
redressement à court terme. Ce point fait l’objet d’une recommandation de la Cour, qui préconise de
relever fortement le seuil de ressources minimales exigé pour venir étudier en France, aujourd’hui
équivalent à 615 € par mois. Ce seuil est faible, il est d’ailleurs parmi les plus faibles par rapport aux
autres pays d’accueil, et il induit en erreur les candidats étrangers sur le coût réel des études en France.
Ce seuil est par ailleurs stable depuis plus de 10 ans, signe d’une certaine inertie collective sur le sujet,
en dépit des alertes répétées des établissements d’enseignement supérieur et des CROUS.
En troisième lieu, la Cour relève que l’appropriation de la politique d’attractivité est inégale, selon
les établissements d’enseignement supérieur.
Au sein des établissements, la mobilité individuelle des
étudiants internationaux est peu pilotée voire mal connue. Elle est donc insuffisamment prise en
compte dans la stratégie d’attractivité de chaque entité, malgré une sélectivité importante.
L’amélioration du suivi des étudiants internationaux en mobilité individuelle, et des
alumni
une fois
les études terminées, est elle-aussi hétérogène bien que nécessaire
. La Cour recommande également
que les services centraux des universités et leurs regroupements accentuent plutôt le développement
des mobilités encadrées, en particulier dans le cadre des récentes « universités européennes » qui
disposent de financements de l’Union européenne.
Autre révélateur de l’appropriation inégale de la stratégie « Bienvenue en France » dans les
établissements, les droits d'inscription différenciés ne sont pratiqués que par une petite minorité
d’établissements, tant les possibilités d’exonérations ont été conçues de façon large.
Seuls 10 000
étudiants internationaux s’acquittent de ces droits sur plus de 100 000 qui y seraient éligibles. Chaque
année donc, l’enseignement supérieur public passe à côté d’une recette qui avoisinerait, si elle était
appliquée sans possibilité d’exonérations, environ 334 M€. La Cour ne recommande pas de supprimer
toute politique d’exonération, mais elle préconise de ne les réserver qu’à un public ciblé, qui serait
désigné conjointement par les établissements et les services de l’enseignement supérieur. Ces
exonérations, très spécifiques, seraient à mettre en cohérence avec les stratégies de chaque
établissement.
Par ailleurs, les situations dans le public et le privé sont hétérogènes : cela peut nuire à l’attractivité
des établissements français.
La connaissance des formations fortement dépendantes des étudiants
internationaux devrait être améliorée dans le public. La Cour propose de les évaluer de façon
approfondie, à l’occasion de l’évaluation périodique des établissements et de leurs cursus par le
HCERES. De même, une plus grande attention devrait être portée sur certaines formations privées mal
connues, ou dont la qualité n’est pas vérifiée. Ces formations sont si mal connues que l’État ne sait pas
toujours précisément combien il compte d’étudiants internationaux sur son territoire. De nombreuses
entités jouent sur les ambiguïtés de la reconnaissance des diplômes par l’État, ce qui doit cesser car,
en plus de nuire aux étudiants français, l’enjeu est aussi celui de la réputation de l’enseignement
supérieur français à l’étranger. La Cour recommande donc de faire en sorte, à terme, que seuls les
établissements référencés sur les différentes plateformes officielles de candidature puissent accueillir
des étudiants internationaux.
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4.
J’en arrive au dernier chapitre de notre rapport, qui porte sur la mesure des impacts et
l’évaluation de l’efficience de la politique publique d’attractivité de notre enseignement
supérieur.
En combinant des approches budgétaires et économiques, la plupart des pays concurrents concluent
à une rentabilité de l’accueil des étudiants internationaux, sans toutefois que ces résultats soient
bien documentés.
Les impacts de la politique d’attractivité de l’enseignement supérieur, en particulier des mesures de
la stratégie « Bienvenue en France », sont difficilement mesurables.
La mesure précise de l’impact
de cette politique d’accueil d’étudiants internationaux sur la croissance économique, l’emploi qualifié,
l’innovation ou encore la production scientifique, est en effet particulièrement complexe. L’absence
de situation contrefactuelle à la stratégie « Bienvenue en France » empêche donc d’estimer
directement
l’impact de ses mesures.
Il est toutefois possible d’apprécier les effets associés à l’accueil des étudiants internationaux dans
certains champs.
Le coût net, pour les finances publiques, de la présence dans l’enseignement
supérieur français de plus de 10 % d’étudiants internationaux est d’environ un milliard d’euros. Ce
montant est à mettre en regard des gains associés au maintien en France à l’issue des études, et de
l’insertion professionnelle des étudiants internationaux, élevée en France, ainsi que de leur
contribution à la recherche scientifique. Il ne s’agit donc pas d’un calcul sur le retour sur investissement
pour les finances publiques mais plutôt d’une photographie, à l’instant t, des coûts et des gains associés
à la présence des étudiants internationaux dans des cursus en France.
J’insiste sur ce dernier point, car c’est la raison pour laquelle ce chiffre est différent de celui de
Campus France
. L’organisation a estimé en 2022 un solde positif d’environ 1,3 Md€.
Cette estimation
part d’une autre approche, qui dépasse les seules recette fiscales et sociales retenues par la Cour des
comptes dans son évaluation des gains.
Si l’impact économique de l’attractivité de notre enseignement supérieur n’est pas mesurable
directement, elle mériterait néanmoins une évaluation interministérielle
. C’est une recommandation
du rapport. Pour que cette évaluation soit utile, elle devrait tenir compte des trajectoires des anciens
étudiants internationaux en France, en particulier la proportion importante qui intègre le marché de
l’emploi national et les effectifs majeurs qui contribuent à la recherche scientifique en France. La Cour
préconise donc de mieux apprécier l’impact économique et sur le marché de l’emploi de l’accueil des
étudiants internationaux, au moyen d’une analyse de cohorte renouvelée périodiquement.
Plus généralement, et c’est la préconisation principale de notre rapport, j’aimerais insister sur la
nécessité de passer d’une approche quantitative à une approche bien plus qualitative de la politique
d’attractivité.
Celle-ci doit être fondée sur une priorisation des profils d’étudiants accueillis, sur la base
de leurs compétences professionnelles et des disciplines scientifiques à renforcer, sans se substituer
aux considérations diplomatiques, d’influence et d’aide au développement ni à la capacité des
établissements à sélectionner leurs étudiants. Cela nécessite une meilleure implication de l’ensemble
des ministères.
Les gains issus de la politique d’attractivité méritent une mobilisation plus importante des ministères
et de leurs opérateurs, pour progresser enfin sur la question des objectifs
. L’attractivité de
l’enseignement supérieur est encore en bonne partie le résultat d’une action non-concertée des
acteurs publics, marquée par une importante inertie et un manque d’arbitrages clairs. La définition de
priorités scientifiques, économiques et de formation est donc un préalable. Ensuite, il faudra mettre
en œuvre des mesures d’amélioration de la qualité de l’accueil, du séjour, et de l’installation en France
pour mieux attirer les profils prioritaires. La Cour fait plusieurs recommandations en ce sens.
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Nous préconisons tout d’abord de faire des bourses un levier de la politique d’attractivité, en
accroissant l’offre de bourses en fonction des priorités.
Cela pourrait passer par
le développement
des bourses d’excellence des établissements que les droits d'inscription différenciés permettraient de
financer d’une part, et l’amélioration des bourses du gouvernement français, d’autre part, y compris
si cela est nécessaire par redéploiement des moyens budgétaires.
Ensuite, la Cour recommande de proposer à ces publics prioritaires des visas et titres de séjour plus
attractifs, afin de mettre en cohérence la politique des visas et celle du soutien à l’attractivité de
l’enseignement supérieur.
Voilà, mesdames et messieurs, les constats et conclusions que je souhaitais porter à votre attention
sur un sujet complexe, mais essentiel.
Les étudiants internationaux constituent un contingent
important de nos capacités de recherche et contribuent à l’attractivité et l’influence française. Ceci
étant dit, nous devons impérativement passer d’une approche quantitative à une approche plus ciblée
et qualitative dans ce domaine.
Je vous remercie et je suis prêt à répondre à vos questions, avec l’équipe en charge du rapport que
je remercie à nouveau.