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RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
DÉPARTEMENT DE L’EURE
L’accompagnement des jeunes majeurs
Exercices 2019 et suivants
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires
concernés, a été délibéré par la chambre le 10 septembre 2024.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
2
TABLE DES MATIÈRES
SYNTHÈSE
................................................................................................................
3
RECOMMANDATIONS
............................................................................................
4
INTRODUCTION
.......................................................................................................
5
1
L’ORGANISATION ET LA STRATÉGIE DÉPARTEMENTALE
D’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES MAJEURS
...........................................
5
1.1
La stratégie départementale
................................................................................
6
1.1.1
Le schéma départemental
..........................................................................
7
1.1.2
Les contrats de prévention et de protection de l’enfance
..........................
7
1.2
L’organisation des services chargés de la protection de l’enfance
....................
8
1.2.1
L’organisation interne
...............................................................................
8
1.2.2
La coordination des acteurs
.....................................................................
10
1.2.3
L’observatoire départemental de l’enfance
.............................................
11
2
LA PRÉPARATION À LA MAJORITÉ
...............................................................
12
2.1
L’entretien préparatoire à la majorité
...............................................................
12
2.2
L’accompagnement intermédiaire
....................................................................
14
2.3
Le projet d’accès à l’autonomie
.......................................................................
15
3
L’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES MAJEURS
..........................................
16
3.1
L’accueil provisoire jeune majeur
....................................................................
16
3.2
La nature de l’accompagnement
.......................................................................
17
3.3
Le coût de l’accompagnement
..........................................................................
18
3.4
La sortie effective de l’aide sociale à l’enfance
...............................................
18
3.5
La préparation de la fin de l’accompagnement
................................................
19
4
LE DROIT AU RETOUR
......................................................................................
19
ANNEXE
..................................................................................................................
21
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
3
SYNTHÈSE
La problématique des sorties sans accompagnement de l’aide sociale à l’enfance (ASE) a été
soulignée par la Cour des comptes dans un rapport de novembre 2020 intitulé « la protection
de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant ». Le rapport constatait les lacunes
de la préparation à la sortie de l’ASE, la sous-utilisation des contrats jeunes majeurs et un
manque de partenariats autour de l’accompagnement global à l’autonomie.
Le département de l’Eure s’est doté d’une stratégie propre et accompagne plus de 300 majeurs
de moins de 21 ans
1
, signataires d’un contrat jeune majeur, ce qui représente un peu moins de
la moitié des jeunes devenus majeurs. Une sortie de l’ASE sans accompagnement peut
parfaitement être suivie d’une insertion sociale réussie mais le potentiel d’échec reste
néanmoins très élevé.
Le département de l’Eure consacre à l’aide sociale à l’enfance un budget de l’ordre de 80 M€
mais n’est pas en mesure de distinguer le coût de l’accompagnement des jeunes majeurs.
Au-delà de ce chiffre, la politique conduite par le département souffre de certaines limites.
La première tient à l’absence d’outils permettant au département de piloter la politique
d’accompagnement des jeunes majeurs. Son système d’information notamment paraît devoir
être adapté tant dans sa conception que dans son usage.
De même, les outils permettant d’harmoniser les pratiques et de formaliser l’accompagnement
paraissent devoir être développés. Des initiatives ont été prises (livret d’accueil, livret de
parcours et livret de sortie) mais elles sont encore insuffisantes. Elles doivent être conduites à
leur terme et amplifiées. En développant ces outils, le département pourra s’assurer que
l’entretien préparatoire à la majorité est effectivement proposé à tous les jeunes de moins de
17 ans, qu’un projet d’accès à l’autonomie complet est rédigé, que l’accompagnement est
adapté aux besoins des jeunes, avant et après leur majorité, et enfin, qu’un entretien est proposé
à tous les jeunes adultes six mois après leur sortie de l’ASE.
Par ailleurs, la mise en œuvre de la protection de l’enfance fait appel à un réseau d’acteurs dont
les actions doivent être coordonnées par le chef de file de l’action sociale qu’est le département.
De nombreux partenariats ont été mis en place mais la loi prévoit la conclusion d’un protocole
et la réunion d’une commission
ad hoc
, obligations qui n’ont pas été mises en œuvre.
De même, un bilan relatif à l’accompagnement des jeunes majeurs devra être préparé et soumis
à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance.
Ce faisant, le département pourra évaluer l’efficacité de sa politique d’accompagnement des
jeunes majeurs.
1
Au 31 décembre
2023, le département accompagnait 302 jeunes majeurs.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
4
RECOMMANDATIONS
Recommandation n° 1.
(performance) : Développer les outils permettant d’harmoniser
l’accompagnement des jeunes majeurs.
Recommandation n° 2.
(performance) : Adapter le système d’information au pilotage de
la politique d’accompagnement des jeunes majeurs.
Recommandation n° 3.
(régularité) : Créer la commission départementale d’accès à
l’autonomie (code de l’action sociale et des familles, article R. 222-8).
Recommandation n° 4.
(régularité) : Conclure un protocole de coordination des acteurs
(code de l’action sociale et des familles, article L. 222-5-2).
Recommandation n° 5.
(régularité) : Établir le bilan relatif à l’accompagnement vers
l’autonomie des jeunes anciennement pris en charge par l’ASE et le soumettre à l’examen
de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance (code de l’action sociale et
des familles, article R. 222-9).
Recommandation n° 6.
(régularité) : Formaliser un projet pour l’enfant pour chaque
mineur bénéficiant d'une prestation d'aide sociale à l'enfance (code de l’action sociale et
des familles, article D. 223-12).
Recommandation n° 7.
(performance) : Formaliser un projet d’accès à l’autonomie (code
de l’action sociale et des familles, article R. 222-6 et recommandation publiée par la Haute
Autorité de santé : « Évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de
danger : cadre national de référence »).
Recommandation n° 8.
(régularité) : Généraliser l’entretien dit des « six mois » après la
sortie de l’aide sociale à l’enfance (code de l’action sociale et des familles, article
L. 222-5-2-1).
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
5
INTRODUCTION
La chambre a inscrit à son programme de travail l’examen de la gestion et des comptes du
département de l’Eure.
La lettre d’ouverture du contrôle des comptes et de la gestion a été adressée par le président de
la chambre, le 14 février 2024 à M. Alexandre Rassaërt, président du conseil départemental
depuis décembre 2022, ainsi qu’à M. Sébastien Lecornu, président de juin 2021 à
décembre 2022 et à M. Pascal Lehongre, président jusqu’en juin 2021. Elle a été complétée
d’une seconde lettre de la présidente de la chambre, en date du 14 mars 2024, précisant la
période de contrôle, qui s’étend sur les exercices 2019 et suivants.
Le contrôle a porté sur la situation financière du département, sur la gestion des ressources
humaines, et sur l’accompagnement des jeunes majeurs et notamment sur la mise en œuvre de
la loi du 7 février 2022 qui renforce le dispositif d’accompagnement des jeunes de moins de
21 ans n’ayant ni ressources ni soutien familial suffisants. Le présent cahier porte sur les jeunes
majeurs. Les autres sujets sont traités dans un cahier séparé.
Le contrôle a donné lieu à des échanges écrits entre le département et le rapporteur, à des
entretiens avec les représentants de la direction de l’enfance et de la famille du département et
à la consultation des pièces d’un échantillon de 22 dossiers de jeunes mineurs et/ou majeurs
(dossier papier et dossier digital) constitué à partir de la liste des jeunes ayant atteint la majorité
dans l’année et des jeunes majeurs signataires d’un contrat d’accompagnement.
La chambre a arrêté, le 2 juillet 2024, ses observations provisoires qui ont été transmises à
l’ordonnateur en fonctions ainsi qu’aux anciens ordonnateurs. Seul l’ordonnateur actuel y a
répondu par courrier enregistré au greffe de la chambre le 22 août 2024.
Après avoir entendu le rapporteur et pris connaissance des conclusions du procureur financier,
la chambre a arrêté le 10 septembre 2024, le présent rapport d’observations définitives.
1
L’ORGANISATION ET LA STRATÉGIE DÉPARTEMENTALE
D’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES MAJEURS
Le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département de l’Eure suit plus de
3 800 mineurs et majeurs (placés ou bénéficiant d’une mesure alternative au placement) dont
240 majeurs de moins de 21 ans
2
. Au titre de l’année 2022, 52 % de l’effectif a bénéficié d’une
décision de placement (à l’ASE ou placement direct), 48 % bénéficiant d’une mesure éducative
en milieu ouvert.
Les enfants placés sont accueillis pour 36 % en famille d’accueil, 20 % en établissement, les
autres bénéficiant de mesures de placement spécifiques tel l’hébergement autonome, le
placement auprès d’un tiers digne de confiance, ou le placement à domicile. Fin 2023,
2
Données 2022.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
6
62 enfants étaient en attente de placement, signe évident de la saturation des structures euroises
d’accueil.
En 2021, le taux d’enfants accueillis par l’ASE de l’Eure atteignait 12,5 pour 1 000 jeunes de
moins de 21 ans, contre 13,5 ‰ pour la France métropolitaine
3
.
L’accompagnement des jeunes majeurs (entre 18 et 21 ans) est une composante récente de
l’aide sociale à l’enfance, pour remédier aux sorties du dispositif de l’ASE sans solution de
logement, de formation, de ressources, de réseau affectif… Aujourd’hui encore, un quart des
sans domicile fixe de moins de 25 ans sont des personnes qui ont été prises en charge par l’aide
sociale à l’enfance avant l’âge adulte.
Avant 2016, la prise en charge des jeunes majeurs était facultative
4
. À cette époque, la loi ne
faisait aucune différence entre les jeunes antérieurement pris en charge par l’ASE et ceux qui
bénéficiaient d’une mesure alternative. De plus, les départements pouvaient librement
déterminer les conditions de cette prise en charge.
Entre 2016 et 2022, la prise en charge des jeunes placés à l’aide sociale à l’enfance et des
majeurs en difficultés est devenue obligatoire dès lors qu’il s’agissait de leur permettre de
terminer l’année scolaire
5
.
Puis en 2022, la prise en charge par l’ASE des majeurs de moins de 21 ans (et les mineurs
émancipés) est devenue obligatoire pour les jeunes privés de ressources et d’un soutien familial
suffisants.
Enfin, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié en avril 2024 une recommandation de bonnes
pratiques portant sur l’amélioration de la prise en charge à la sortie des dispositifs de protection
de l’enfance.
1.1
La stratégie départementale
Le département a adopté son schéma unique des solidarité baptisé « pacte des solidarités », pour
la période 2023-2028, au terme d’une année 2022 consacrée à organiser « les assises des
solidarités ». Il a succédé au schéma unique social et médico-social 2016-2020, prorogé
d’un an.
Le département a également conclu avec l’État deux contrats de prévention et de protection de
l’enfance dont le contenu complète le schéma départemental
6
.
3
Source : l’aide sociale à l’enfance, édition 2023 ; DREES.
4
Code de l’action sociale et des familles (CASF), article L. 222-5, applicable avant la loi n° 2016-297 du
14 mars relative à la protection de l’enfant.
5
CASF, article L. 222-5 dans sa version applicable entre la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 et la loi n° 2022-140
du 7 février relative à la protection des enfants.
6
Les contrats ont été proposés par l’État aux départements volontaires, en application de la stratégie nationale de
prévention et de protection de l’enfance 2020-2022.
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
7
1.1.1
Le schéma départemental
Le schéma 2016-2020 comportait une action spécifiquement destinée aux 16-21 ans de l’ASE
et qui visait à mieux préparer et accompagner la sortie de l’ASE. Plus précisément, le
département souhaitait définir une politique pour les 10-20 ans pour favoriser l’insertion sociale
et socio professionnelle des jeunes, d’une part, et mobiliser l’ensemble des acteurs du champ
de l’insertion, notamment en utilisant le droit commun des dispositifs existants. L’évaluation à
fin 2022 indique que cette action est achevée sans donner plus de détail sur la nature des actions
mises en œuvre, lacune que le département n’a pas été en mesure de combler.
Le schéma 2023-2028 comporte plusieurs actions susceptibles de concerner les jeunes de
16 à 21 ans notamment dans le domaine de la santé, de la culture et du sport. Plus
spécifiquement, il vise également à renforcer la préparation à la sortie de l’ASE, qu’elle
intervienne à la majorité ou avant celle-ci. Cette mesure devait conduire le département à
renforcer son équipe d’inspecteurs enfance famille (IEF) et d’intervenants socio-éducatifs et
ainsi se donner les moyens de réfléchir aux exigences d’un retour en famille, à inclure les
conditions d’un retour au domicile dans le projet pour l’enfant (PPE), à rédiger un livret de
sortie de l’ASE incluant un chapitre consacré à l’accompagnement à la majorité et à mettre en
place la commission départementale d’accès à l’autonomie.
Une partie de ces objectifs a été atteinte : l’équipe d’IEF a été renforcée et le livret de sortie a
été rédigé.
En, revanche, le projet pour l’enfant n’est pas formalisé et la commission départementale
d’accès à l’autonomie n’a pas été créée.
1.1.2
Les contrats de prévention et de protection de l’enfance
Deux contrats se sont succédé. Le premier contrat conclu en novembre 2020, modifié par
deux avenants, le second conclu en novembre 2023. Au total, ces deux contrats portent sur plus
de 80 actions pour un engagement financier de l’État de 8 M€.
Plusieurs actions sont susceptibles, à des degrés divers, de concerner les jeunes de 16 à 21 ans :
permettre un appui technique aux équipes d'évaluation des unités territoriales d’action
sociale sur les volets psychologiques, psychiatriques ou neuro développemental ;
intégrer dans le prochain schéma une fiche action sur le thème du contrôle des établissements
et des services du champ de l'ASE ;
développer le parrainage et le mentorat ;
mettre en place une formation action pour accompagner la mise en œuvre du PPE ;
sensibiliser les professionnels sur la prostitution des jeunes.
Plus spécifiquement, les contrats comportaient cinq actions visant directement les jeunes
majeurs. Les trois premières n’ont mobilisé aucun crédit au titre du contrat :
tenir compte des besoins des jeunes majeurs sortant de l’ASE en situation de handicap dans
l’ouverture de nouvelles offres d’accompagnement ou dans les projets d’évolution de l’offre.
L’objectif consiste à «
inscrire cet enjeu dans les cahiers des charges d’appel à projets et
faciliter les partenariats entre les porteurs de projet et l’ASE
», à «
tenir compte de cet enjeu
DÉPARTEMENT DE L’EURE
8
dans le cadre des négociations CPOM
7
avec les associations gestionnaires
» et à «
mieux
identifier les jeunes concernés et leurs besoins
» ;
accompagner vers l’emploi les jeunes sortants de l’ASE en situation de handicap dans le
cadre de la politique inclusive : l’objectif consiste à «
sensibiliser les chefs d'entreprise
(chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers à travers des réunions
d'information et de sensibilisation sur le handicap)
», à «
repérer les jeunes concernés
»
et
à « mobiliser les référents et les sensibiliser au handicap
» ;
travailler à une passerelle entre les directions sociales pour éviter les ruptures de parcours et
fluidifier l’orientation. L’objectif consiste à «
revisiter le protocole existant sur la prise en
charge des jeunes sortant de l'ASE ou bénéficiant d'un contrat jeune majeur
», à
«
sensibiliser et former les familles d'accueil adulte sur la prise en charge de ces jeunes
»,
à «
travailler les doubles agréments
» et à «
organiser la prise en charge financière de ces
jeunes en attendant le versement de l'allocation aux adultes handicapés
» ;
faciliter la mobilité des jeunes sortant de l’ASE
8
;
lutter contre les sorties sèches de l’ASE
9
. L’objectif consiste à « mettre en place des modules
d'information sur différents thèmes : accès aux droits – accès au logement – formation et
projet professionnel – gestion d'un budget et utilisation du pécule ASE ». À cette occasion,
« les jeunes sont informés et sensibilisés au choix d'un référent de parcours au moment de
leurs 18 ans ».
Ces différentes actions ont été mises en œuvre au moins partiellement mais des données
évaluatives précises n’ont pas pu être produites par le département.
1.2
L’organisation des services chargés de la protection de l’enfance
1.2.1
L’organisation interne
Au département de l’Eure, la protection de l’enfance est mise en œuvre par la direction enfance
famille, chargée de définir les orientations générales et de piloter cette politique. Elle est
également mise en œuvre par la direction solidarités en territoire qui regroupe huit directions
de proximité chargées d’accompagner la très grande majorité des mineurs placés en famille
d’accueil ou en établissement, et par le foyer de l’enfance, établissement public rattaché au
département et chargé de prendre en charge une partie des mineurs placés au département.
Enfin, une partie des enfants est accueilli en famille d’accueil ou par des opérateurs privés
désignés par le département.
Cette organisation comporte cependant des limites dans la mesure où les deux directions
précitées, qui relèvent de la délégation des solidarités, sont d’un niveau hiérarchique équivalent,
que la rotation des cadres est élevée et qu’aucun projet de service n’a été conçu pour encadrer
7
Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens.
8
Cette action est dotée d’un budget de 15 000 € financés par l’État.
9
Cette action est dotée d’un budget de 270 587 € dont 81 489 € pour l’État et 189 098 € pour le département.
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
9
cette répartition des tâches et s’assurer de pratiques harmonieuses dans le traitement des
situations individuelles.
De plus, le suivi socioéducatif des enfants est assuré en partie par des opérateurs privés
(associations) mandatés par le département bénéficiant d’une grande liberté d’action
10
.
La grande difficulté à piloter cette politique tient notamment à la faiblesse du système
d’information (SI) utilisé.
Ainsi, il n’existe aucun champ permettant de renseigner la date de la tenue de l’entretien
préparatoire à la majorité.
De plus, ce SI est renseigné de manière hétérogène, ce qui contrarie les extractions et le pilotage
de la direction qui ne peut pas s’appuyer sur des données complètes et fiables. Jusque-là aucun
thésaurus n’a été adopté
11
.
La version « web » de la brique utilisée par l’ASE a été déployée récemment et dans des
conditions peu favorables à une appropriation rapide par ses utilisateurs, le responsable chargé
de faciliter la prise en main du logiciel n’ayant pas été remplacé après son départ.
Le SI comporte un module de gestion électronique des documents qui permet de stocker les
décisions concernant chaque mineur et majeur, ce qui permet de reconstituer le parcours des
intéressés, mais il s’agit de documents sous un format qui ne permet d’automatiser le traitement
des données. Dans ces conditions, seules des études de cohortes (envisagées par le département)
permettraient d’extraire de ces données, les forces et faiblesses de cette politique
d’accompagnement. Mais en raison de leur coût, elles pourront difficilement être généralisées.
Conscient de ces limites, le département a pris des initiatives.
Un projet de réorganisation de la direction générale des solidarités a été lancé
(projet solidarités 2025). Il a conduit à redécouper les territoires d’action sociale, désormais
dirigés par des cadres dotés de responsabilités renforcées. De même, quelques outils communs
ont été adoptés : livret d’accueil, livret de parcours, livret de sortie de l’ASE, modèle commun
de projet pour l’enfant, note de procédure pour traiter les demandes de contrat jeune majeur, et
les agents du département ont été formés à la méthode évaluative ESOPPE
12
. Ces outils sont
encore insuffisants tant par leur contenu que par leur utilisation, notamment par les opérateurs
privés. Le projet pour l’enfant par exemple est au tout début de son déploiement.
Le département a également prévu de généraliser le pilotage des établissements et services par
la conclusion d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM)
13
et d’élargir
l’approche de l’accompagnement aux autres directions (prévention spécialisée, autonomie,
sport et culture)
14
.
Enfin, le règlement d’aide sociale a été actualisé en décembre 2023. Il contient une section
consacrée à l’aide temporaire jeune majeur, ouverte aux jeunes majeurs ou mineurs émancipés,
10
La part des mineurs suivis par un éducateur du secteur privé peut être estimé à 86 %.
11
Un thésaurus est un répertoire de termes pour l'analyse de contenu et le classement de documents.
12
Référentiel d’évaluation participative en protection de l’enfance (ESOPPE).
13
Sur les six maisons d’enfants à caractère social, partenaires du département, une seul est actuellement titulaire
d’un CPOM valide.
14
La prévention spécialisée est chargée d’une action éducative à destination des jeunes des quartiers où se situent
les risques d’inadaptation sociale et d’éviter ainsi la marginalisation de ce public particulièrement fragile.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
10
qu’ils aient été pris en charge par l’ASE ou non. Cette aide est soumise aux mêmes critères que
ceux prévus par la loi, c'est-à-dire un soutien affectif et financier insuffisants.
Le département semble avoir pris la mesure du problème mais au-delà de ces premières
initiatives il conviendra de construire un outil de pilotage permettant de suivre finement la
politique d’accompagnement des jeunes majeurs et de mesurer son efficacité.
La chambre recommande au département de développer les outils méthodologiques permettant
d’harmoniser l’accompagnement des jeunes majeurs et d’adapter son système d’information.
Recommandation n° 1.
(performance) : Développer les outils permettant d’harmoniser
l’accompagnement des jeunes majeurs.
Recommandation n° 2.
(performance) : Adapter le système d’information au pilotage
de la politique d’accompagnement des jeunes majeurs.
1.2.2
La coordination des acteurs
La mise en œuvre de la protection de l’enfance fait appel à un réseau d’acteurs dont les actions
doivent être coordonnées par le chef de file de l’action sociale qu’est le département
15
. À cette
fin, la loi a prévu, dès 2016
16
, la conclusion d’un protocole censé organiser le partenariat entre
les acteurs afin d'offrir aux jeunes de 16 à 21 ans une réponse globale en matière éducative,
culturelle, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources
17
. Pour
stimuler ce travail de coordination, la loi (2022) a confié la préparation et le suivi de la mise en
œuvre de ce protocole à une instance collégiale nouvelle : la commission départementale
d’accès à l’autonomie
18
.
Dans l’Eure, le protocole n’a pas été conclu et la commission n’a pas été créée alors même que
le schéma 2023-2028 prévoit de créer cette commission (action 3.4) et qu’il prévoit de resserrer
le partenariat avec les acteurs de la protection de l’enfance (action 4.3). Cependant, le
département est membre d’un réseau, animé par la préfecture de la Dordogne, chargé de
préparer les conditions de cette mise en œuvre.
Le département a néanmoins noué de nombreux partenariats (mission locales, associations
tutélaires, association « L’ABRI »
19
, association jeunesse et vie, …) mais ces partenariats ne
sont pas formalisés et ne peuvent être évalués.
15
Cf. Cour des comptes « la protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant » page 117 :
« Le manque de partenariat autour de l’accompagnement global à l’autonomie des jeunes majeurs est un constat
largement partagé qui a été dressé notamment dans le cadre d’un avis du conseil économique, social et
environnemental de juin 2018, ainsi que dans le rapport de la députée Brigitte Bourguignon remis au Premier
ministre fin août 2019 ».
16
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance.
17
CASF, article L. 222-5-2.
18
CASF, article R. 222-8.
19
Créée en 1984, l’association « L’Abri » développe dans le département de l’Eure une offre d’hébergement, de
logement et d’accompagnement destinée à toute personne fragilisée par sa situation sociale et/ou de santé.
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
11
La chambre recommande au département de créer la commission départementale d’accès à
l’autonomie et de conclure le protocole de coordination des acteurs.
En réponse aux observations provisoires de la chambre, le président du conseil départemental
s’est engagé à créer la commission en 2025.
La chambre prend note de cet engagement.
Recommandation n° 3.
(régularité) : Créer la commission départementale d’accès à
l’autonomie (code de l’action sociale et des familles, article R. 222-8).
Recommandation n° 4.
(régularité) : Conclure un protocole de coordination des acteurs
(code de l’action sociale et des familles, article L. 222-5-2.)
1.2.3
L’observatoire départemental de l’enfance
Les observatoires départementaux ont été créés par loi du 5 mars 2007 réformant la protection
de l’enfance. Dans chaque département, l’observatoire est notamment chargé de suivre la mise
en œuvre du schéma départemental de l’enfance et de formuler des avis, de d’émettre des
propositions sur la mise en œuvre de la politique de protection de l'enfance, de réaliser un bilan
annuel des formations continues délivrées dans le département et d’élaborer un programme
pluriannuel des besoins en formation. Enfin, il est chargé d’établir des statistiques qui sont
portées à la connaissance de l’assemblée départementale, des représentants de l’État et de
l’autorité judiciaire
20
.
La loi de février 2022 lui a confié une mission nouvelle, celle d’examiner chaque année le bilan
relatif à l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes anciennement pris en charge par
l’ASE
21
. Il doit également examiner le bilan des activités de la commission départementale
d'accès à l'autonomie des jeunes majeurs.
Dans l’Eure, l’observatoire est réuni une fois par an sauf en 2020 et en 2023.
Chaque année, il est destinataire d’un «
bilan de la stratégie nationale de prévention et de
protection de l’enfance
», telle qu’elle est déclinée dans l’Eure. Le diaporama présenté à
l’observatoire recense les engagements pris par le département mais ne fournit aucune donnée
détaillée relative à la mise en œuvre de ces engagements, à l’exception du budget global
mobilisé et du taux d’actions non débutées, d’actions débutées mais abandonnées, d’actions en
cours et d’actions achevées. Ces données sont trop sommaires pour être assimilées à un suivi
du schéma de protection de l’enfance.
L’observatoire est également consulté lors de la création de nouveaux outils. Ainsi en 2024, il
a été saisi des projets de livret de parcours et de livret de sortie, du document unique « projet
pour l’enfant » et du référentiel d’évaluation participative en protection de l’enfance (ESOPPE).
20
CASF, article L. 226-3-1.
21
CASF, article R. 222-9.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
12
Jusque-là, aucun bilan relatif à l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes anciennement
pris en charge par l’ASE ne lui a été présenté.
La chambre recommande au département d’établir le bilan relatif à l’accompagnement vers
l’autonomie des jeunes anciennement pris en charge par l’ASE et de le soumettre à l’examen
de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance.
Recommandation n° 5.
(régularité) : Établir le bilan relatif à l’accompagnement vers
l’autonomie des jeunes anciennement pris en charge par l’ASE et le soumettre à l’examen
de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance (code de l’action sociale et
des familles, article R. 222 9).
2
LA PRÉPARATION À LA MAJORITÉ
2.1
L’entretien préparatoire à la majorité
La loi prévoit qu’un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout
mineur accueilli, au plus tard un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours,
l'informer de ses droits, envisager avec lui et lui notifier les conditions de son accompagnement
vers l'autonomie
22
.
Si le mineur a été pris en charge par l’ASE après ses 17 ans, l’entretien doit avoir lieu dans les
meilleurs délais.
Pour
les
mineurs
isolés
étrangers,
l’exigence
d’information
porte
également
sur
l’accompagnement apporté par le service de l’ASE dans ses démarches en vue d’obtenir une
carte de séjour (à sa majorité) ou de déposer une demande d’asile. Dans tous les cas, un tiers de
confiance désigné par le mineur peut assister à cet entretien, s’il le demande.
La HAS recommande de réaliser l’entretien de préparation à l’autonomie à 16 ans et ajoute
qu’il doit permettre de recueillir la parole du jeune sur son avenir, de l’informer de ses droits,
des échéances à venir, en lui offrant un temps consacré à l’orientation de son projet de vie
adulte, qui peut être révisé en fonction de son évolution
23
.
Le département de l’Eure réalise une information en continu afin de préparer le plus tôt possible
le jeune mineur.
Depuis 2023, chaque mineur de 16 ans reçoit un livret (« livret de parcours des jeunes de
l’ASE ») qui lui donne des informations sur ses droits
24
et qui contient sept fiches
22
CASF, article L. 222-5-1, dans sa version issue de la loi du 7 février 2022. Par rapport à la version antérieure à
2022.
23
Recommander les bonnes pratiques « améliorer la prise en charge à la sortie des dispositifs de protection de
l’enfance », page 31.
24
Avant 2023, l’information était délivrée oralement.
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
13
d’auto-évaluation qui lui permettent d’affiner son projet en faisant le point sur ce qu’est la
majorité, sur ses envies et ses projets, sur ses atouts et ses faiblesses, sur son quotidien, sur ses
démarches administratives et le numérique, sur ses ressources personnelles et enfin, sur ses
études, sa formation et son insertion professionnelle. Le département a l’ambition d’organiser
des ateliers pour accompagner et faciliter cette auto-évaluation mais ils n'ont pas encore été mis
en place
25
.
Un nouvel entretien est organisé à 17 ans, depuis 2021
26
. Il est formalisé par un courrier
d’invitation et mis principalement à profit pour évaluer l’autonomie du jeune mineur
27
. Selon
le département, cet entretien n’est pas encore généralisé pour les jeunes confiés à l’ASE (il
serait « majoritairement effectués pour les jeunes placés ») mais aucun taux de mise en œuvre
n’est disponible.
En revanche, pour les mineurs bénéficiaires d’une mesure alternative au placement, cet
entretien ne serait que marginalement proposé. En tout état de cause, le SI n’enregistre pas cette
information.
Par exception, les mineurs non accompagnés (MNA) ne reçoivent aucun courrier. C’est le
département qui programme et impose l’entretien à l’intéressé, en lien avec l’opérateur chargé
de sa mise à l’abri. Les informations spécifiques concernant les MNA (droit d’être accompagné
dans leur démarches faisant valoir leur droit au séjour, à l’asile et/ou à la nationalité) sont donc
délivrées oralement.
L’entretien a lieu postérieurement au 17
ème
anniversaire du mineur alors qu’il devrait avoir lieu
avant cette date. Dans l’échantillon consulté, quelques entretiens ont lieu à la date requise mais
ces situations constituent plus l’exception que la règle.
L’entretien des 17 ans est conduit par un IEF, qui bénéficie d’une délégation de la part du
président du conseil départemental. Dans la majorité des cas, y compris lorsque le jeune est
hébergé par une structure tierce, l’éducateur de l’intéressé assiste à l’entretien.
La conduite de l’entretien n’est pas encadrée par une note de service ou un guide qui
rappelleraient les enjeux, les objectifs et les facteurs de réussite de cet exercice. Un tel guide
pourrait notamment rappeler la liste des informations qui doivent être portées à la connaissance
du mineur comme le droit à se faire accompagner d’une personne de confiance ou le droit pour
les mineurs étrangers à être accompagnés pour faire valoir leurs droits au séjour, informations
absentes du livret de parcours. Dans le cadre de la réorganisation de la direction, le département
a le projet d’élaborer un guide de cette nature.
En pratique, l’entretien des 17 ans sert essentiellement à évaluer le degré d’autonomie du jeune
mineur. L’évaluation est réalisée à partir d’une grille comportant différents thèmes : le
quotidien, les transports, le budget, la santé et enfin, l’organisation de la vie sociale. Chaque
thème est décliné en quelques questions («
le jeune sait-il se lever seul le matin ? est-il
ponctuel ? a-t-il les bases de l’alimentation ? sait-il utiliser les transports en commun ? est-il
à jour de ses vaccins ?
»). L’évaluateur a le choix entre «
acquis
», «
non acquis
» et «
en cours
d’acquisition
» et peut ajouter ses observations sur chacun de ces points.
25
La référence aux ateliers figure dans le livret de parcours.
26
Avant 2021, l’entretien des 17 ans n’était pas organisé.
27
Le courrier fait toujours référence à la loi du 14 mars 2016 et non à la loi du 7 février 2022.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
14
Le département a pris la peine de créer un cadre d’évaluation ce qui constitue un effort notoire
et dans l’échantillon consulté, toutes les évaluations utilisent ce document. Mais ce formulaire
à choix multiples, construit avant la loi de 2022, paraît incomplet au regard de la définition de
l’autonomie retenue par la loi qui porte sur un périmètre plus large : l’éducation, la vie
culturelle, la vie sociale, la santé, le logement, la formation, l'emploi et les ressources. Ce
formulaire aborde de manière très superficielle le logement, l’emploi, les ressources et même
la santé. Et le degré de précision des réponses ne permet pas de saisir toute la complexité des
situations et des personnes concernées, d’autant qu’aucun lien ne peut être fait avec le « projet
pour l’enfant » de l’intéressé car il n’est pas formalisé.
Sans cadre méthodologique complet, l’IEF dispose d’une grande autonomie pour mener cet
entretien, d’autant que la seule trace écrite de l’entretien est la grille d’évaluation de
l’autonomie du jeune qui ne mentionne pas toujours l’identité de l’IEF. Néanmoins, selon le
département, les IEF ont tous été formés à la méthode évaluative, ce qui offrirait une certaine
garantie d’efficacité.
En tout état de cause, les éléments produits ne permettent pas d’attester que l’obligation de
réaliser un entretien avant le 17
ème
anniversaire du mineur est respectée.
La modification du système d’information permettrait de remédier à ce défaut d’information, à
condition qu’il soit renseigné.
2.2
L’accompagnement intermédiaire
L’évaluation réalisée un peu avant l’âge de 17 ans doit en principe donner lieu à la mobilisation
d’outils pertinents permettant d’accompagner le jeune, encore mineur, vers l’autonomie.
La HAS recommande que l’outil d’évaluation soit coordonné avec un outil de planification de
l’action éducative (plan d’action), afin d’identifier les objectifs, les priorités du jeune, les
compétences acquises et celles restant à consolider ou à acquérir, ainsi que les ressources
disponibles ou mobilisables dans l’environnement du jeune.
Dans l’échantillon consulté, la moitié environ des évaluations est suivie par un bilan
socio-éducatif rédigé par l’éducateur responsable du jeune mineur.
En revanche, le département de l’Eure n’élabore aucun plan d’accompagnement intermédiaire
spécifique. L’accompagnement socio-éducatif qui prévalait avant l’entretien des 17 ans se
prolonge jusqu’à la majorité. Des ajustements sont certainement décidés mais comme les PPE
ne sont pas formalisés, il n’a pas été possible de prendre la mesure de ces ajustements.
Dans ces conditions, la pratique du département paraît largement perfectible mais la première
étape consiste sans doute à formaliser le PPE.
La chambre recommande au département de formaliser un PPE pour chaque mineur bénéficiant
d'une prestation d'aide sociale à l'enfance.
Recommandation n° 6.
(régularité) : Formaliser un projet pour l’enfant pour chaque
mineur bénéficiant d'une prestation d'aide sociale à l'enfance (code de l’action sociale et
des familles, article D. 223-12).
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
15
2.3
Le projet d’accès à l’autonomie
L’arrivée de la majorité doit s’accompagner de la formalisation d’un projet d’accès à
l’autonomie, ébauché lors de l’entretien des 17 ans et testé durant la dernière année de minorité.
Il est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les
institutions et organismes concourant à la construction d’une réponse globale adaptée à ses
besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de
ressources
28
.
Dans l’Eure, le projet d’accès à l’autonomie peut être préparé par l’intéressé à l’aide du livret
de parcours qui lui permet d’exprimer ses ambitions. Ce document est cependant encore trop
récent pour avoir eu un impact sur la formalisation des projets d’autonomie.
De fait, le projet se limite aux objectifs consignés en quelques mots dans le contrat du jeune
majeur. Ces objectifs sont plus ou moins personnalisés. Parfois, ils se réduisent aux formules
pré renseignés du contrat type, à savoir :
accepter l’action éducative dispensée par le service de l'aide sociale à l'enfance et à prévenir
la personne chargée de l’accompagner de toute modification ou tout problème dans sa
situation ;
rechercher un emploi saisonnier ou ponctuel ;
poursuivre sa scolarité ;
passer son permis de conduire ;
travailler son autonomie.
Dans la plupart des cas, ces objectifs sont repris dans la note de suivi socio-éducative dans des
termes à peine plus développés.
Cette pratique, confirmée par l’examen de l’échantillon, est très éloignée des objectifs retenus
par le décret du 5 août 2022 et de la recommandation précitée de la HAS
29
. Il appartiendra donc
au département d’adapter sa pratique à ces textes.
La chambre recommande la formalisation d’un projet d’accès à l’autonomie.
Recommandation n° 7.
(performance) : Formaliser un projet d’accès à l’autonomie
(code de l’action sociale et des familles, article R. 222-6 et recommandation publiée par
la Haute Autorité de santé : « Évaluation globale de la situation des enfants en danger ou
risque de danger : cadre national de référence »).
28
CASF, article R. 222-6.
29
Décret n° 2022-1125 du 5 août 2022 relatif à l'accompagnement vers l'autonomie des jeunes majeurs et des
mineurs émancipés ayant été confiés à l'aide sociale à l'enfance.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
16
3
L’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES MAJEURS
3.1
L’accueil provisoire jeune majeur
De longue date, le département de l’Eure a fait le choix de proposer un accueil provisoire jeune
majeur. Cet accompagnement peut être étendu aux jeunes qui n’ont pas été pris en charge par
l’ASE avant leur majorité. De manière exceptionnelle justifiée par la situation de l’intéressé, le
département peut même accepter d’accompagner un majeur au-delà de ses 21 ans mais le
règlement d’aide sociale ne précise pas les conditions d’éligibilité à ce prolongement.
Selon le département, tous les jeunes présentant une demande bénéficient d’une mesure
d’accompagnement.
En 2023, le nombre de jeunes majeurs ayant conclu un contrat jeune majeur s’élevait à
151 jeunes (138 jeunes confiés à l’ASE et 13 bénéficiant d’une mesure alternative au
placement), soit 48 % des jeunes sortis de l’ASE cette année-là
30
. La part des jeunes refusant
d’être accompagnés est donc supérieure à 50 % de l’effectif, soit un potentiel de sorties sèches
encore très élevé.
Une partie de ces jeunes majeurs (24 en 2023, selon le département) bénéficient d’une aide
éducative à domicile qui leur est accordée sans contrat. Il arrive également que le département
combine contrat et mesure éducative à domicile.
Tableau n° 1 :
Les jeunes pris en charge par l’ASE
2018
2019
2020
2021
2022
2023
A -Nombre total de mineurs de l’aide sociale à l’enfance
ayant atteint la majorité au cours de l’année (enfants
placés + enfants bénéficiant d'une mesure alternative)
201
318
381
407
339
312
dont mineurs placés
191
229
247
266
205
208
dont mineurs bénéficiant d'une mesure alternative
10
89
134
141
134
104
B- Nombre de nouveaux majeurs bénéficiant d’une
mesure d’accompagnement au cours de l’année
112
154
192
225
139
151
dont les contrats "jeune majeur" formalisés
112
154
192
225
139
151
"jeune majeur" contrat de placement
107
136
161
191
119
138
"jeune majeur" contrat de mesure alternative
5
18
31
34
20
13
Ratio B / A en %
56
48
50
55
41
48
30
La loi ne lie pas l’accompagnement jeune majeur à la signature d’un contrat. Mais la nature contractuelle ne
paraît pas être un sujet de négociation avec les jeunes concernés.
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
17
2018
2019
2020
2021
2022
2023
dont C -Nombre total de mineurs non accompagnés
ayant atteint la majorité au cours de l’année
51
91
140
128
88
96
dont D- Nombre de mineurs non accompagnés
devenus majeurs et bénéficiant d’une mesure de
protection au cours de l’année
45
75
106
110
72
84
Ratio C / D en %
88
82
76
86
82
88
E - Nombre total de jeunes majeurs issus de l’ASE
bénéficiant d’une mesure d’accompagnement au 31/12/n
157
193
262
303
264
302
F. Jeunes non issus de l’ASE bénéficiant d’une mesure
d’accompagnement au 31/12/n
ND
ND
ND
ND
ND
24
Source : département
Au 31 décembre 2023, le département accompagnait (quelle que soit l’année de la majorité)
302 jeunes majeurs sous contrat. Parmi eux, 40 % sont d’anciens mineurs non accompagnés.
En revanche, la part des jeunes majeurs porteurs d’un handicap est inconnue.
3.2
La nature de l’accompagnement
L’accompagnement du jeune, devenu majeur, doit nécessairement évoluer pour tenir compte
de son changement de statut (mineur devenu adulte) et favoriser son autonomisation. Quel que
soit son profil, le jeune adulte doit être accompagné sur les différentes thématiques qui lui
permettront de s’insérer dans la société : logement, formation – emploi, famille – amis, santé,
avec plus ou moins d’intensité selon les besoins de l’intéressé comme indiqué au contrat.
Ces différentes thématiques sont mises en œuvre par les éducateurs avec une très large
autonomie en mobilisant notamment les ateliers d’information (sur l’accès aux droits, au
logement, à la formation) mis en place en application du contrat départemental de prévention
et de protection de l’enfance.
Bien qu’il n’existe aucun mode opératoire formalisé et que les axes de progrès indiqués au
contrat sont généralement limités, les bilans socio-éducatifs de l’échantillon indiquent que ces
thématiques sont correctement appréhendées mais le SI du département ne permet pas de suivre
les orientations données à cet accompagnement.
Sur un échantillon de 794
31
jeunes adultes accompagnés, le département a néanmoins pu
identifier la thématique principale de chaque accompagnement : finances : 77, emploi : 71,
accès à une formation : 148, accompagnement administratif : 132, accompagnement
socio-éducatif : 256 et MNA : 110. Le manque de précision de ces données rend leur
interprétation très aléatoire.
31
Échantillon déterminé par le conseil départemental de l’Eure.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
18
3.3
Le coût de l’accompagnement
Le département n’est pas en mesure d’évaluer le coût de sa politique d’accompagnement des
jeunes majeurs, faute de pouvoir distinguer le coût des mesures éducatives spécifiques à cette
population. Seul le coût de l’allocation jeune majeur est connu, soit 100 000 € en moyenne par
an. Tendanciellement, cette dépense est orientée à la hausse, suivant l’augmentation du nombre
de jeunes majeurs accompagnés.
Paradoxalement, le département n’est pas non plus en mesure de chiffrer le coût moyen
d’accueil d’un mineur et d’un majeur accueilli.
Selon une étude publiée par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques (DREES), le coût par bénéficiaire ressortait à 29 100 € en 2021 dans l’Eure contre
35 417 € pour la moyenne en France métropolitaine
32
.
À partir de 2020, l’État a mis en place un mécanisme de compensation des dépenses
occasionnées par le prolongement de l’accompagnement des mineurs de l’ASE, au-delà de leur
majorité, mais le périmètre de cette compensation est incertain et la reconduction à l’identique
d’une enveloppe annuelle de 50 M€ à répartir entre tous les départements suggère que cette
contribution n’a pas vocation à couvrir la totalité des dépenses occasionnées
33
.
Le département de l’Eure a ainsi reçu une dotation annuelle de l’ordre de 500 000 € en 2020,
2022 et 2023, soit un total de 1,583 M€.
À ce financement annuel adopté par la loi de finances, il convient d’ajouter les fonds mobilisés
par le contrat départemental de prévention et de protection de l’enfance. Le périmètre de ce
contrat ne se limite pas aux jeunes majeurs puisqu’il finance aussi les actions de la protection
maternelle et infantile ainsi que l’accompagnement des mineurs et des majeurs, MNA compris.
Plusieurs actions peuvent être pleinement rattachées à l’accompagnement des jeunes majeurs.
Elles ont mobilisé un financement de 96 500 € de la part de l’État.
3.4
La sortie effective de l’aide sociale à l’enfance
Lorsqu’ils atteignent l’âge adulte, les jeunes pris en charge par l’ASE se voient offrir la
possibilité de poursuivre cet accompagnement jusqu’à leur 21
ème
anniversaire.
32
Ministère du travail, de la santé et des solidarités ; direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des
statistiques (DREES) « L’aide sociale à l’enfance, édition 2023 ».
33
L’arrêté du 24 novembre 2020 indique que l’enveloppe globale (50 M€) doit permettre de couvrir « une partie
du surcoût » du maintien de la prise en charge des jeunes sortant de l’ASE ; les arrêtés suivants (1
er
décembre 2022
et 8 septembre 2023) indiquent que l’enveloppe globale finance l’accompagnement de l’État pour le maintien de
la prise en charge des jeunes majeurs … sans référence à la notion de surcoûts ; il existe donc une incertitude sur
le périmètre des dépenses devant être financées par l’État.
L’enveloppe financière définie par la loi de finances est répartie au prorata du nombre estimé de jeunes
précédemment confiés à chaque département et devenus majeurs au cours de l’année.
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
19
Lors de sa sortie effective de l’ASE, le jeune majeur reçoit un livret de sortie
34
. Ce livret recense
les différents organismes susceptibles de lui venir en aide, les solutions qui s’offrent à lui, la
possibilité de récupérer son pécule
35
, etc.
Selon les données fournies par le département, plus de la moitié des jeunes sortants ne sollicitent
pas le prolongement de leur accompagnement au-delà de leur majorité. Parmi ceux qui
sollicitent ce prolongement, l’accompagnement peut prendre fin à leur demande, ou par
décision du département notamment lorsque le jeune ne respecte pas ses engagements,
mentionnés au contrat. La rupture ou le non renouvellement du contrat, peut également
intervenir lorsque le jeune ne remplit plus les conditions prévues par la loi (ressources ou
soutien familial insuffisants).
Selon le département, qui ne dispose pas de données fiables étayant cette affirmation, les
ruptures de contrat (rupture avant terme ou non renouvellement par décision du département)
restent l’exception. Par conséquent, si le jeune majeur le demande et qu’il remplit les conditions
légales, le contrat est renouvelé jusqu’à son 21
ème
anniversaire. Dans l’échantillon consulté,
quelques cas de rupture à la demande du jeune ont été identifiés.
3.5
La préparation de la fin de l’accompagnement
Au plus tard, à son 21
ème
anniversaire, le jeune majeur cesse d’être accompagné par le service
de l’ASE. La fin de l’accompagnement peut également intervenir à la demande du jeune
lui-même, ou du fait de l’échéance du contrat jeune majeur et son non renouvellement.
Quelle que soit la cause de cette fin d’accompagnement, cette échéance qui fait basculer le
jeune dans le droit commun de l’aide sociale, doit être anticipée pour atténuer son caractère
potentiellement traumatisant. Les bilans socio-éducatifs de l’échantillon attestent d’une
attention particulière des éducateurs.
4
LE DROIT AU RETOUR
La loi prévoit qu’un entretien est accordé au majeur accueilli par l’ASE durant sa minorité, dans
les six mois qui suivent sa sortie de ce dispositif. Cet entretien permet de faire un bilan de son
parcours et de son accès à l'autonomie. Un entretien supplémentaire peut être accordé à cette
même personne, à sa demande, avant ses 21 ans
36
.
Ces dispositions, qui ne bénéficient qu’à ceux qui avaient été accueillis par l’ASE durant leur
minorité, et n’ont pas demandé un prolongement de l’accompagnement au-delà de leur majorité,
34
Ce livret est remis depuis 2023.
35
Le pécule, constitué des allocations de rentrée scolaire, est géré par la Caisse des dépôts et consignations. Le
montant individuel est variable puisqu’il dépend de la date de placement de l’intéressé. Selon la Caisse des dépôts
et consignations, le montant moyen de ce pécule serait de 885 €.
36
CASF, article L. 222-5-2-1.
DÉPARTEMENT DE L’EURE
20
permet de leur ménager une forme de « droit au retour » c'est-à-dire le droit à renouer les liens
avec l’ASE, à condition d’en remplir les conditions (privé de ressources et d’un soutien familial
suffisants).
Le livret de sortie adopté par le département de l’Eure mentionne ce droit au retour et indique
les coordonnées d’un référent de parcours, chargé de recueillir les demandes des jeunes sortis
sans accompagnement et désireux de renouer des liens avec l’ASE. Cette fonction est cependant
vacante depuis plus d’un an. Aucune solution de substitution n’a été mise en place.
En tout état de cause, les quelques demandes reçues ne sont pas enregistrées. Au-delà de cette
information générale, le département de l’Eure ne dispose d’aucune donnée sur l’entretien des
six mois après la sortie. La mise en œuvre de cette obligation se heurte à la difficulté de
contacter l’intéressé dont les coordonnées sont rarement actualisées. Le département envisage
de lancer prochainement une étude de cohorte.
La chambre recommande au département de généraliser l’entretien dit « des six mois » à tous
les jeunes majeurs sortis du dispositif de l’ASE. L’exploitation des données recueillies à cette
occasion devrait lui permettre de réaliser un premier diagnostic de l’efficacité de son dispositif
d’accompagnement des jeunes majeurs.
Recommandation n° 8.
(régularité) : Généraliser l’entretien dit des « six mois » après la
sortie de l’aide sociale à l’enfance (code de l’action sociale et des familles, article
L. 222-5-2-1).
RAPPORT D’OBSERVATIONS DÉFINITIVES
21
ANNEXE
Glossaire
Sigle
Signification
ASE
CAF
CASF
CPOM
DEF
DREES
HAS
IEF
MNA
PPE
SI
Aide sociale à l’enfance
Caisse d’allocations familiales
Code de l’action sociale et des familles
Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens
Direction enfance famille
Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
Haute Autorité de santé
Inspecteur enfance famille
Mineur non accompagné
Projet pour l’enfant
Système d’information
Chambre régionale des comptes Normandie
21 rue Bouquet
CS 11110
76174 ROUEN Cedex
Tél. : 02 35 07 92 00
www.ccomptes.fr/fr/crc-normandie
« La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration »
Article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen