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CONFÉRENCE DE PRESSE SUR
GÉRER MES BIENS IMMOBILIERS
Jeudi 23 janvier 2025 – 9h30
Salle André Chandernagor
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous présenter le rapport de la Cour des comptes,
portant sur l’application « gérer mes biens immobiliers », également connue sous le sigle « GMBI ».
Je souhaite avant tout saluer le travail remarquable et très approfondi de l’ensemble des artisans
de ce rapport
. Je remercie
Carine Camby
, la présidente de la formation interchambres qui a examiné
ce rapport. Cette formation a bénéficié des expertises des 1
ère
, 4
ème
et 5
ème
chambres de la Cour. Je
remercie également
Philippe-Pierre Cabourdin, Jean-Pierre Viola et
Emmanuel Giannesini
,
présidents de section, le contre-rapporteur
Cyrille Pierre
, ainsi que l’ensemble de l’équipe qui a réalisé
ce travail :
Christian Colin et Jérôme Brouillet,
conseillers maître
, Vincent Dedrie,
conseiller
référendaire
ainsi que Delphine Hlavaty,
auditrice du numérique
.
Si le nom de l’application auditée, « gérer mes biens immobiliers », n’est pas forcément connu de
tous, les conséquences de son déploiement le sont
. En effet, tous les propriétaires, soit près de
25
millions de personnes
, ont été au premier semestre 2023 destinataires d’un message de
l’administration fiscale, leur demandant de renseigner le statut d’occupation de leurs biens
immobiliers sur le site impots.gouv.fr. Si le gouvernement avait beaucoup communiqué sur la
suppression en plusieurs étapes de la taxe d’habitation sur les résidences principales, l’information
des propriétaires sur cette nouvelle obligation déclarative avait en effet été beaucoup plus discrète –
en conséquence, un grand nombre de contribuables n’ont pas compris pourquoi cette demande leur
était adressée.
Leurs interrogations ont redoublé quand il s’est avéré que la description de leurs biens, saisie par
l’administration fiscale, ne correspondait pas toujours à celle figurant dans leurs documents
notariés
. Chacun de nous connaît dans son entourage quelqu’un qui a dû échanger à de nombreuses
reprises avec l’administration fiscale pour contester l’existence d’une cave ou tenter de déclarer
l’existence d’un garage. Ces échanges ont engorgé les services fiscaux, qui n’ont pas toujours été en
mesure de répondre en temps utile aux questions des contribuables.
Ces interrogations se sont parfois transformées en inquiétude
. Cela a été le cas
a fortiori
quand près
d’un million de ces contribuables ont reçu des avis d’imposition à la taxe d’habitation sur les
résidences secondaires, pour leur ancienne résidence principale, ou au nom de leurs enfants mineurs.
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À ces désagréments pour certains de nos concitoyens, s’ajoute le fait qu’
in fine,
l’Etat a versé en
2023 plus d’1,3 Md
en trop aux collectivités territoriales, au titre notamment de la taxe
d’habitation sur les résidences secondaires.
Je reviendrai sur ce montant colossal, qui n’aurait jamais dû être versé par l’État, et qui vient s’ajouter
à un contexte de finances publiques très dégradé.
Vous comprendrez donc aisément pourquoi la Cour des comptes a choisi de s’intéresser à ce nouvel
outil de l’administration fiscale
. Et elle a souhaité le faire rapidement, afin d’être réactif sur ce sujet
d’actualité, qui est au centre des préoccupations des citoyens. C’est donc un bilan de la campagne
GMBI pour l’année 2023 que je vous présente aujourd’hui.
*
J’en viens aux trois principaux messages de ce rapport.
-
Le premier concerne les difficultés rencontrées pendant la campagne déclarative sur
l’occupation des biens immobiliers en 2023, et ses conséquences pour le budget de
l’État.
-
Le second message porte sur le pilotage de ce projet ambitieux, qui n’a pas été à la
hauteur ; ce qui a notamment entraîné un dérapage budgétaire significatif.
-
Enfin, le troisième message du rapport porte plus généralement sur la contribution de
GMBI à la politique publique du logement.
*
(I)
Le premier et le principal message, vous l’avez compris, concerne les difficultés rencontrées
pendant la campagne déclarative sur l’occupation des biens immobiliers en 2023, et ses
conséquences pour le budget de l’État.
Comment l’administration s’est-elle retrouvée dans une situation aussi chaotique et lourde de
conséquences pour les finances publiques ?
Il y a à cela plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’administration n’a pas su expliquer cette nouvelle obligation
. Les contribuables n’ont
pas compris pourquoi ils devaient renseigner le statut d’occupation de leurs biens immobiliers, alors
même que la taxe d’habitation sur les résidences principales venait d’être supprimée. Il aurait fallu
leur dire plus clairement qu’il existait toujours des impôts sur certaines catégories de biens : la taxe
d’habitation sur les résidences secondaires, et les taxes sur les logements vacants. Il aurait également
fallu leur expliquer que le nouvel outil GMBI permettait, justement, de communiquer les
renseignements nécessaires à l’établissement de ces deux taxes, de manière dématérialisée.
Par ailleurs, les contribuables n’ont pas toujours reconnu leurs biens dans les données affichées par
l’administration fiscale.
Face à leurs interrogations, l’administration s’est trouvée submergée de
demandes.
Enfin, le choix de mettre en service une procédure entièrement dématérialisée a créé des difficultés
spécifiques
. Les personnes âgées, plus nombreuses dans la population des propriétaires de biens
immobiliers, rencontrent en effet plus fréquemment des difficultés dans l’utilisation des outils
numériques. Cela a entraîné une saturation des dispositifs d’accueil.
Cette saturation a été particulièrement marquée pendant les quinze derniers jours du mois de juin
et les premiers jours de juillet 2023
. En effet, l’administration n’a envoyé un courrier de relance aux
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contribuables que 15 jours avant l’échéance de déclaration. De nombreux contribuables se sont alors
rendus dans les centres des impôts, et les agents des directions départementales des finances
publiques ont dû gérer de longues files d’attente.
Enfin, les cas des « multi-propriétaires », c’est-à-dire les propriétaires de 200 biens ou plus, qui sont
souvent des collectivités territoriales, n’a pas été suffisamment pris en compte.
Le dispositif mis en
place pour qu’ils fassent leur déclaration d’occupation n’était pas prêt en janvier 2023. En juin, les
taux de déclaration de cette catégorie de propriétaires étaient tellement faibles que l’administration
a dû mettre en place une
taskforce
au niveau de l’administration centrale, pour saisir les informations
à la main.
Ainsi, lorsqu’en septembre 2023 l’administration met en recouvrement les taxes d’habitation sur
les résidences secondaires et sur les logements vacants, elle ne dispose des données d’occupation
que pour 75 % des locaux.
Ces informations lacunaires ont conduit, à tort, à assujettir de nombreux
contribuables à ces différentes taxes.
Au total, ce sont plus d’1,2 million de contribuables qui ont été taxés à tort.
La DGFiP a donc émis
1,2 million d’avis d’imposition erronés, y compris destinés à de jeunes enfants, et qui ont ensuite été
contestés par les contribuables concernés. Ainsi 1,3 Md
d’impôts n’auraient pas dû être émis, somme
qui se décompose en : 995 M
de taxe d’habitation sur les résidences secondaires, 59 M
de taxe
d’habitation sur les logements vacants et 253 M
de taxe sur les logements vacants.
Or, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’État collecte ces impôts pour le compte des collectivités
locales
. La DGFiP a donc pris en compte les montants de ces taxes indues, lorsqu’elle a versé aux
collectivités territoriales les recettes des impôts locaux.
Mais en application du code général des impôts, l’État est responsable du bon recouvrement et,
quand ce n’est pas le cas, les dégrèvements sont entièrement à sa charge
. Cela veut dire très
concrètement que l’État a transféré à tort 1,3 Md
aux collectivités territoriales, et qu’il a ensuite dû
rembourser cette somme aux contribuables qui avaient été imposés à tort. Ce versement se nomme,
en « langage fiscal », un dégrèvement. En résumé, en raison des erreurs dues à la nouvelle application
GMBI, ce sont 1,3 Md
du budget de l’État qui ont été versés aux collectivités territoriales et qui
n’auraient pas dû l’être.
Certes, à l’époque de la taxe d’habitation sur les résidences principales, il y avait chaque année des
dégrèvements d’environ 500 millions d’euros à la charge de l’État, en raison d’erreurs dans
l’émission de ces différents impôts.
500 M
, cela représente 2% du produit de ces impôts. Mais avec
les erreurs commises après la mise en place de GMBI, le montant des dégrèvements accordés est
devenu colossal ; 1,3 Md
, cela représente 34% du produit des taxes concernées par GMBI !
La Cour enjoint à la direction générale des finances publiques d’engager les actions nécessaires pour
que le taux de dégrèvement des impôts locaux diminue drastiquement
. Cette situation pèse en effet
lourdement sur le budget de l’État, dans un contexte de finances publiques déjà dramatique.
(II)
Le second message de ce rapport est, malheureusement ou heureusement, plus classique :
ce projet de modernisation était très ambitieux, mais son pilotage n’a pas été à la hauteur ;
ce qui a notamment entraîné un dérapage budgétaire significatif.
Ce projet était ambitieux car il consistait,
in fine
, à moderniser l’ensemble de la sphère foncière de
la direction générale des finances publiques
. En effet, il ne visait pas seulement à gérer les impôts
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subsistants après la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Il s’est aussi
inscrit dans le cadre d’un transfert : celui de la gestion des taxes d’urbanisme, du ministère de la
transition énergétique à la direction générale des finances publiques. Enfin, à terme, ce projet devait
permettre de procéder à la révision des valeurs locatives, qui sont la base de notre fiscalité locale.
Or, pour un projet de cette envergure, le pilotage s’est révélé particulièrement défaillant.
Les trois
chantiers informatiques concernés (foncier, occupation des locaux, et relations avec les particuliers)
ont fait l’objet d’une gouvernance différente pour chacun d’entre eux. De nombreuses équipes étaient
mobilisées, sans réelle coordination au niveau approprié ni vision transversale. Le rapport constate,
également, un portage politique limité et une absence de direction de projet de plein exercice, qui ont
limité les chances de réussite de cet outil.
Il est prématuré d’estimer le montant définitif du développement de l’application « gérer mes biens
immobiliers », dans la mesure où il est encore en cours de déploiement.
En mai 2024, son coût direct
tel qu’évalué par la direction générale des finances publiques s’élevait à
37,2 M
,
soit trois fois plus
que le montant total initialement prévu (12,7 M
). Ce dépassement s’explique en grande partie par le
recours massif à des prestataires externes, pour un total de 25 M
, soit les deux tiers des dépenses
affichées.
Par ailleurs, face à la crise à laquelle elle a été confrontée à l’été 2023, la direction générale des
finances publiques a dû prendre des mesures d’urgence estimées à plus de 19 M
.
Des vacataires ont été recrutés pour répondre aux questions des contribuables, une taskforce a été
mise en place à Paris pour les accompagner les multipropriétaires et, enfin, une prime spécifique a été
versée à 19 000 agents de la DGFiP.
Au total, d’après les calculs de la Cour, le coût actuel du projet s’élève donc
a minima
à 56,4 M
.
Si ces dérapages peuvent malheureusement être considérés comme classiques, je le disais, la Cour
n’est pas pour autant résignée.
Nous avons confiance en l’administration et savons que la direction
générale des finances publiques peut mieux faire. Elle l’a d’ailleurs montré sur le prélèvement à la
source.
Quelles sont les évolutions possibles ?
En interne
, il convient de mettre en
œ
uvre un portage
politique, et de désigner un directeur de projet pour des transformations de cette envergure.
En
externe
, la direction générale des finances publiques doit travailler de façon plus étroite et fluide avec
la direction interministérielle du numérique.
(III)
Enfin, le troisième message du rapport concerne la politique publique du logement : « gérer
mes biens immobiliers » contribue significativement à la modernisation de l’administration
fiscale, certes ; mais elle ne répond pas aux besoins en matière de données nécessaires à la
politique de logement.
Du point de vue de l’administration fiscale, « gérer mes biens immobiliers » a permis de basculer
vers un processus informatisé et automatisé, où la télédéclaration par le propriétaire est centrale
.
En rythme de croisière, cet outil, qui reste à parfaire, doit apporter des gains d’efficacité très
substantiels.
Cependant, les données obtenues par la direction générale des finances publiques ne pallient pas le
manque d’information, consécutif à la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences
principales
. En effet, cette taxe était la seule qui permettait d’établir un lien « logement-occupant ».
Ce lien était essentiel par exemple pour conduire le recensement en France. Sans ces données,
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plusieurs politiques publiques sont fragilisées : par exemple, des bénéficiaires n’ont pas pu percevoir
automatiquement le chèque énergie ; des collectivités ont été désignées à tort comme ne respectant
pas leurs obligations en termes de logements sociaux.
Des projets comme le programme intitulé « Résil », de l’Insee, visent à retrouver cette information
essentielle, ce lien « logement-occupant ».
Mais ces programmes dépendent de la qualité des
informations issues de l’outil gérer mes biens immobiliers qui, comme on l’a vu, ne sont pas encore
stabilisées.
La Cour recommande donc une plus grande coopération entre la direction générale des finances
publiques d’une part, les autres administrations concernées et l’Insee d’autre part, pour mieux
appréhender la qualité de ces données et approfondir ces chantiers.
À plus long terme, des réflexions devraient être engagées sur l’apport de « gérer mes biens
immobiliers » à d’autres politiques publiques, ou pour des applications au sein de la direction
générale des finances publiques – par exemple pour les contrôles fiscaux.
La Cour recommande également d’anticiper la révision des valeurs locatives cadastrales, quand bien
même elle a été plusieurs fois repoussée
. Cet outil doit permettre d’obtenir enfin une cartographie
précise des loyers perçus en France par les propriétaires bailleurs.
***
Mesdames, messieurs, voici les éléments d’analyse et les recommandations que je souhaitais porter
à votre connaissance.
Vous l’aurez compris, ce que je vous présente aujourd’hui, c’est l’audit d’un projet insuffisamment
préparé, qui a coûté 1,3 Md
à l’Etat en 2023, indépendamment du coût de son déploiement et du
caractère anxiogène pour les contribuables de la campagne 2023
. De telles conséquences,
financières, mais aussi en termes de confiance des citoyens dans l’administration, ne sont pas
acceptables. La Cour suivra donc avec attention la mise en
œ
uvre de ses recommandations par la
direction générale des finances publiques. L’objectif est d’atteindre une réduction significative des
dégrèvements au titre de ces impôts locaux, au plus vite.
Il est encore trop tôt pour dresser un bilan de la campagne 2024
. La déclaration par les propriétaires
du statut de leurs biens s’est déroulée plus sereinement qu’en 2023 ; mais de nombreuses erreurs ont
de nouveau été constatées, notamment dans la presse, lorsque les contribuables ont reçu leurs avis
d’imposition. Les erreurs semblent porter en particulier sur les logements vacants.
La Cour aura l’occasion d’y revenir lorsqu’elle examinera l’exécution du budget 2024.
Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre attention
. Je me tiens à votre disposition, ainsi
que l’équipe qui a instruit ce rapport et que je remercie à nouveau, pour répondre à vos questions.