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PREMIÈRE CHAMBRE
QUATRIÈME SECTION
S2024-1570
OBSERVATIONS DÉFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
MIEUX SUIVRE ET VALORISER
LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ
DE L’ÉTAT ISSUS DU NUMÉRIQUE
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 5 décembre 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
TABLE DES MATIÈRES
SYNTHÈSE
..............................................................................................................
1
LISTE DES RECOMMANDATIONS
.....................................................................
5
INTRODUCTION
.....................................................................................................
6
1
LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ LIÉS AU NUMÉRIQUE,
UNE PRÉOCCUPATION QUI N’EST PAS MISE EN AVANT PAR LES
SERVICES DE L’ÉTAT……
................................................................................
8
1.1
La productivité dans l’administration : un concept difficilement mesurable au
sens économique
..............................................................................................
8
1.1.1 Une notion dont la déclinaison dans le secteur des services doit tenir compte
de ses spécificités
..............................................................................................
8
1.1.2 Une mesure rendue plus délicate dans le secteur public
...................................
9
1.2
Une notion quasi absente de la démarche de performance voulue par la
LOLF………
..................................................................................................
11
1.3
Un objectif qui n’est pas prépondérant dans le domaine numérique
.............
14
1.3.1 Les programmes budgétaires de l’État ne valorisent pas la performance des
projets numériques
..........................................................................................
15
1.3.2 Des motivations de diverses natures priment sur des objectifs de gains de
productivité
.....................................................................................................
15
1.3.2.1
Les priorités politiques en faveur de l’économie et de l’État lui-même
...............
15
1.3.2.2
L’obsolescence technologique
..............................................................................
16
1.3.2.3
Le respect d’engagements européens ou internationaux
......................................
17
1.3.2.4
Des gains de productivité trop rarement priorisés
................................................
17
2
UN SUIVI PARCELLAIRE DE LA PRODUCTIVITÉ ISSUE DES PROJETS
NUMÉRIQUES
....................................................................................................
20
2.1
Une préoccupation secondaire du pilotage interministériel des projets
numériques
.....................................................................................................
20
2.1.1 Une expertise de la Dinum centrée sur la gestion des projets numériques
.....
20
2.1.1.1
Les avis rendus par la Dinum
...............................................................................
21
2.1.1.2
Les audits réalisés par la Dinum
...........................................................................
22
2.1.1.3
Le panorama des grands projets numériques de l’État
.........................................
22
2.1.2 Une absence d’analyse critique des gains de productivité annoncés par les
ministères
........................................................................................................
23
2.1.2.1
L’absence d’analyse critique des gains prévisionnels présentés dans les Mareva 24
2.1.2.2
Le rôle prépondérant des directions métier et informatique ministérielles
...........
25
2.2
Une démarche volontariste initiée par le FTAP mais qui demeure inaboutie 27
2.2.1 Un impératif de gains de productivité posé par le cahier des charges du
FTAP……
.......................................................................................................
28
2.2.2 Dans la phase précontractuelle, des prévisions de gains de productivité soumis
à un examen de cohérence
...............................................................................
30
2.2.3 Pendant le déroulement du contrat, des prévisions de gains de productivité qui
ne sont que rarement remis en cause
...............................................................
31
2.2.4 Après l’achèvement des projets, un suivi uniquement formel des gains de
productivité obtenus
........................................................................................
33
2.2.4.1
Au niveau des projets pris individuellement
........................................................
33
2.2.4.2
Au niveau des projets pris dans leur ensemble
.....................................................
33
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
2.3
Un retour sur investissement des projets numériques insuffisamment suivi .35
2.3.1 Une évaluation insuffisante
a priori
................................................................
35
2.3.1.1
Des projections de gains parfois approximatives
.................................................
36
2.3.1.2
Des hypothèses qui peuvent être fragiles, bien qu’apparemment documentées ...37
2.3.1.3
Des projections qui doivent être confrontées aux services utilisateurs
.................
39
2.3.2 Un suivi qui n’est pas actualisé en cours de projet et à l’issue
........................
40
2.3.2.1
La rentabilité n’est plus questionnée en cours de projet
.......................................
40
2.3.2.2
Le bilan des projets ne peut toujours garantir les gains spécifiques liés aux projets
numériques
...........................................................................................................
42
2.3.3 Une démarche néanmoins nécessaire dans le cadre du dialogue de gestion ... 43
3
LA RECHERCHE D’APPROCHES COMPLÉMENTAIRES POUR UNE PLUS
GRANDE AMBITION ET UNE MESURE PLUS FIABLE DES GAINS DE
PRODUCTIVITÉ ISSUS DES PROJETS NUMÉRIQUES
................................
47
3.1
Renforcer le cadrage des grands projets numériques
.....................................
47
3.1.1 Veiller au cadrage amont du projet
.................................................................
47
3.1.2 Repenser l’intervention de la DITP pour accompagner l’évolution des
procédures
.......................................................................................................
49
3.1.3 Renforcer l’intervention de la Dinum pour tirer parti des outils mutualisés ... 50
3.2
Mettre en place des indicateurs analytiques partagés
.....................................
54
3.2.1 Lorsque les enjeux le justifient, développer la comptabilité analytique pour
suivre les gains de productivité issus des projets numériques de l’État
..........
54
3.2.2 Améliorer et compléter les autres outils existants de mesure des coûts
..........
56
3.2.3 S’inscrire dans une démarche, plus large, de contrôle de gestion et dans un
cadre de référence partagé
...............................................................................
57
3.3
Tirer parti de l’intelligence artificielle pour exploiter de nouveaux gisements
de gains de productivité
..................................................................................
59
3.3.1 Les différents types d’IA sont porteurs de gains de productivité
....................
59
3.3.2 L’exemple des ministères financiers ouvre des perspectives encourageantes 60
3.3.3 Un effort à concrétiser en interministériel pour prioriser les enjeux de
productivité
.....................................................................................................
62
ANNEXES
..............................................................................................................
65
Annexe n° 1.
Liste des sigles
.............................................................................
66
Annexe n° 2.
Bibliographie
................................................................................
68
Annexe n° 3.
Catégorisation des projets examinés entre mars 2023 et juin 2024
par la Dinum, selon la motivation ayant présidé à leur lancement
................
70
Annexe n° 4.
Comptes-rendus des réunions du comité d’investissement en 2022
et 2023, extraits relatifs aux gains de productivité
.........................................
73
Annexe n° 5.
Exemples de contrats de transformation, extraits relatifs aux
économies prévisionnelles et indicateurs de résultat
......................................
75
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
1
SYNTHÈSE
Depuis le début des années 2000, la transformation numérique est conçue comme un
levier majeur de la réforme de l’État. Si la numérisation des services publics a permis de
simplifier les démarches administratives pour les citoyens et les entreprises, elle avait aussi
pour objectifs de gagner du temps et d’améliorer la qualité des services rendus, en d’autres
termes d’augmenter la productivité.
Cet objectif est d’autant plus important aujourd’hui que l’État doit désormais consentir
des efforts importants pour redresser la situation des finances publiques tout en cherchant à
répondre au souhait exprimé par les citoyens d’une amélioration des services rendus.
Les gains de productivité liés au numérique, une préoccupation
qui n’est pas mise en avant par les services de l’État
La productivité est une notion largement répandue pour caractériser l’économie d’un
pays ou dans l’industrie. Son calcul consiste à rapporter la valeur des biens et services produits
au coût des facteurs de production. L’accroissement de la productivité traduit notamment les
évolutions des techniques de production, qui permettent d’augmenter plus rapidement la valeur
des biens produits que le coût du travail ou du capital technique.
Dans les services de l’État, des gains de productivité – parfois élevés comme à la
direction générale des finances publiques (DGFiP) – peuvent être constatés. Néanmoins, cette
notion de productivité s’avère délicate à manier dans l’administration publique, où les services
produits n’ont pas de prix ou de valeur de marché et où les décideurs doivent tenir compte des
aspects sociaux et budgétaires. Plusieurs approches et méthodes de calcul, plus ou moins
opérantes, y ont été mises en avant par les économistes. Mais il apparaît que la notion de
performance, présente dans la culture administrative depuis la mise en œuvre de la loi organique
relative aux lois de finances (LOLF), est la plus tangible. Elle permet de suivre, de manière
détaillée, l’atteinte d’objectifs assignés à l’action publique et les moyens associés.
Toutefois, s’ils mettent l’accent sur l’efficacité et l’efficience de l’action publique, les
indicateurs présents dans les projets annuels de performance annexés au budget de l’État ne
traitent quasiment pas de productivité. Moins de 2 % des indicateurs de la LOLF mettent en
regard une production administrative et les moyens alloués. Le seul indicateur explicite de
productivité, qui porte sur l’activité de la DGFIP, n’apporte pas d’information pleinement
opérationnelle. C’est à un niveau plus proche des services de l’État (contrats de performance,
par exemple) que ce suivi doit s’opérer pour mesurer l’évolution de leur productivité,
notamment permise par les systèmes d’information.
L’amélioration de la productivité n’est toutefois que rarement un objectif à l’origine des
grands projets numériques de l’État. D’autres motivations sont plus souvent mises en avant :
une volonté politique d’accompagner l’évolution des attentes des citoyens ou de simplifier le
travail des entreprises qui se traduit par de nouvelles dispositions législatives ou
réglementaires ;
l’obsolescence
technologique
des
systèmes
existants
;
le
respect
d’engagements européens ou internationaux.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
2
Quel que soit l’objectif initialement poursuivi, l’équation économique des projets n’est
pas toujours posée, alors qu’elle permettrait d’objectiver les bénéfices espérés et de
proportionner les investissements à ces gains futurs. La valeur attendue des grands projets
numériques de l’État devrait pouvoir être quantifiée, quand bien même l’accroissement de la
productivité ne serait pas une visée première (ex. : risques et coûts évités par des projets de
résorption d’une obsolescence technique).
Un suivi parcellaire de la productivité issue des projets numériques
La Direction interministérielle du numérique (Dinum) a pour mission
« d’accompagner
et faire réussir les projets numériques de l’État »
. Théoriquement, en amont de tout projet d’un
coût prévisionnel supérieur à 9 M€, elle émet un avis conforme, qui s’avère centré sur les enjeux
techniques et méthodologiques. Les gains attendus, et notamment ceux de productivité, ne font
presque jamais l’objet de constats ou de recommandations dans ces avis. Par la suite, ils ne sont
pas abordés non plus dans le panorama des grands projets numériques de l’État, qui est remis
deux fois par an au Premier ministre, ni dans les audits que la Dinum est amenée à diligenter
lorsqu’un projet dérive.
La méthode Mareva, passage obligé pour tout grand projet numérique de l’État, suppose
notamment de calculer le retour sur investissement de chaque projet. Le porteur de projet doit
formaliser les coûts directs et indirects ainsi que les économies et recettes additionnelles
attendues, mais l’exercice de l’article 3 porté par la DINUM n’exige pas d’étude précise
préalable permettant d’évaluer les gains attendus. La direction métier présente ses estimations,
sans nécessairement les justifier de manière détaillée.
Instauré en 2017, le fonds de transformation de l’action publique (FTAP), doté au total
depuis sa création d’un peu plus de 1 Md€ de crédits, a fait des gains de productivité un critère
central de décision de financement des projets. Les porteurs de projet doivent renseigner
l’information sur les gains attendus, qui est discutée mais n’est pas expertisée au fond par les
instances qui ont à se prononcer sur l’éligibilité du projet au FTAP, à savoir la délégation
interministérielle à la transformation publique (DITP), la Dinum et la direction du budget (DB).
Il ne s’agit que de données déclaratives, tout comme celles renseignées pendant le déroulement
du projet dans les bilans intermédiaires. Ces gains ne pourraient, pour la plupart, être pleinement
observés qu’à l’achèvement des projets, voire dans les années qui suivent. La DITP clôt son
suivi au moment de l’achèvement des projets et les bilans unitaires ou global des gains apportés
par le FTAP sont sujets à caution.
Il est par ailleurs à noter que le rendement, tel que calculé par la DITP, rapporte les gains
du projet au seul financement par le FTAP, qui ne peut dépasser la moitié du coût du projet. Le
résultat ne traduit donc pas le véritable retour sur investissement du projet pour l’État.
Alors que la notion de rentabilité devrait être un élément majeur de la décision de
lancement puis du pilotage de tout investissement, financé ou non par le FTAP, l’évaluation
des gains en amont (réduction des effectifs, baisse des coûts de fonctionnement, augmentation
des recettes) réalisée par la direction chargée de la maîtrise d’ouvrage apparaît souvent
lacunaire ou théorique.
Les projections peuvent être approximatives, ou fondées sur des données discutables,
sur la base d’une estimation du nombre d’agents concernés et des effets du nouveau système
d’information, ou des recettes supplémentaires pour l’État. Les projets Pilat ou Foncier
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
3
innovant, portés par la DGFiP, montrent les limites actuelles de l’exercice, même lorsque les
hypothèses retenues semblent travaillées.
Par ailleurs, ces projections théoriques sont revues à la baisse lorsqu’elles sont
confrontées aux services utilisateurs, comme ce fut le cas pour les projets d’améliorations par
l’innovation pour les finances de l’État portés par l’agence pour l’informatique financière de
l’État (AIFE). Ceci témoigne d’une insuffisante maturité des méthodes de cadrage des projets
et de projection de ses effets.
Une fois le projet validé et lancé, la notion de retour sur investissement n’est plus
questionnée, ou ne l’est que formellement. Lorsqu’un projet connaît une dérive de son coût,
comme Pilat, cette baisse de rentabilité n’est pas prise en considération pour décider de le
poursuivre, le réorienter ou l’arrêter.
Enfin, à l’issue du projet, le bilan qui est réalisé intègre une évaluation actualisée des
gains, mais celle-ci est purement déclarative. Faute de recoupements, elle ne permet pas,
jusqu’à présent, de garantir le caractère tangible des gains ni de s’assurer qu’ils sont liés au
projet numérique lui-même et non pas à d’autres causes (réorganisations, évolutions exogènes
de charges, etc.). L’exemple des projets numériques pour les services de publicité foncière est
caractéristique à ce titre.
Néanmoins, la trajectoire en emplois qu’a connu la DGFiP ces quinze dernières années,
tout en tâchant de veiller à la qualité du service rendu, montre que la productivité peut fortement
s’améliorer au sein des services de l’État. Aussi, il apparaît que la démarche d’évaluation reste
nécessaire et doit être valorisée notamment dans le cadre du dialogue de gestion interne à l’État.
Elle permet d’encourager et d’objectiver une trajectoire d’économies, dans les échanges menés
par les directions d’administration centrale aussi bien, en amont, avec la DB qu’en aval avec
ses services déconcentrés ou opérateurs.
La recherche d’approches complémentaires pour une plus grande ambition et une
mesure plus fiable des gains de productivité issus des projets numériques
L’ambition qui doit être mise dans l’obtention de gains de productivité grâce aux projets
numériques suppose de confronter les utilisateurs aux futurs outils puis aux premières
réalisations, dès la phase de cadrage des projets, afin de mettre en cohérence les gains attendus
et les moyens à y consacrer.
L’intervention des services interministériels que sont la DITP, la Dinum et la DB devrait
permettre de consolider les fondamentaux des projets numériques de l’État sur deux volets
essentiels. La DITP pourrait apporter un appui méthodologique ou opérationnel sur la
réingénierie des processus métier, étape nécessaire pour tirer le meilleur potentiel d’un nouveau
système d’information. Elle a commencé à développer une expertise en la matière, sur des
projets d’envergure limitée. La Dinum pourrait quant à elle apporter un soutien sur les enjeux
méthodologiques, d’urbanisation des systèmes d’information, d’interfaçage et de mutualisation
avec d’autres logiciels de l’État. En lien avec la DB, elle pourrait mieux prendre en compte les
enjeux de productivité.
Pour assurer l’identification des gains de productivité potentiels puis suivre leur
réalisation, il est nécessaire de disposer d’indicateurs analytiques précis. Ces indicateurs
doivent porter aussi bien sur le numérateur du calcul de la productivité (quantifier et valoriser
la production administrative) que sur le dénominateur (suivre précisément les moyens mis en
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
4
œuvre). Le développement de la comptabilité analytique devrait être envisagé lorsque les
enjeux le justifient, dans une démarche plus large de contrôle de gestion. Dans le cas contraire,
d’autres outils peuvent suffire à répondre aux besoins, tels que des enquêtes régulières au plus
près des agents.
Enfin, les projets numériques recourant à l’intelligence artificielle permettent
d’envisager des gains de productivité de manière plus massive et directe. Au-delà des premiers
retours d’expérience dans l’administration publique française, les exemples étrangers et les
projections sur les années à venir témoignent d’un potentiel de transformation élevé, susceptible
de contribuer à la maîtrise des finances publiques et d’améliorer le service rendu aux citoyens.
Au total, la Cour formule quatre recommandations. Celles qui s’adressent à la DGFiP
et au secrétaire général du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie – qui a été au
cœur des diligences de la Cour – pourraient utilement être suivies par tous les ministères.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
5
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation n° 1.
(DGFiP, SG MEFSIN, DITP, Dinum, DB) Procéder
systématiquement, en lien avec les services utilisateurs, à des études documentées d’impact et
de retour sur investissement des grands projets numériques de l’État puis assurer le suivi des
projets en termes de qualité de service et d’économies attendues.
Recommandation n° 2.
(Dinum, DB) Renforcer la procédure existante d’avis conforme
pilotée par la Dinum, en associant la DB, pour intégrer les enjeux méthodologiques et de
productivité dès la phase de cadrage des projets numériques.
Recommandation n° 3.
(DITP, Dinum, DB, DGFiP, SG MEFSIN) Améliorer les outils
existants de suivi des activités et des coûts et développer, dans une démarche de contrôle de
gestion et un cadre de référence partagé, des indicateurs analytiques harmonisés pour mesurer
l’atteinte des objectifs et les moyens associés.
Recommandation n° 4.
(DGFiP, SG MEFSIN, Dinum, DB) Dans les projets recourant
à l’intelligence artificielle, prioriser ceux qui génèrent des gains de productivité documentés.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
6
INTRODUCTION
À partir début des années 2000, la transformation numérique a été conçue comme un
levier majeur de la réforme de l’État. Cette ambition a été matérialisée par une succession de
programmes, comme le plan « Administration électronique » (ADELE) entre 2004 et 2007, le
plan « France numérique » en 2012, et le projet dit de « l’État plateforme » en 2014. Le plan
« Action publique 2022 », lancé en 2017, a constitué une nouvelle étape dans ce processus, en
fixant un objectif de 100 % de services publics dématérialisés à horizon 2022.
La numérisation des services publics a permis de simplifier les démarches
administratives pour les citoyens et les entreprises. Des plateformes en ligne ont permis
d’unifier l’accès aux différents services, réduisant ainsi le formalisme administratif et les délais.
Les usagers peuvent désormais effectuer des démarches (déclarations fiscales, demandes
d’aides sociales, etc.) de manière plus efficace et transparente.
Les agents de l’État ont également bénéficié de cette transition. Des outils numériques
plus performants ont été déployés pour faciliter leur travail au quotidien. La dématérialisation
des procédures internes avait et a encore pour objectifs de gagner du temps et d’améliorer la
qualité des services rendus, en d’autres termes d’augmenter la productivité.
Cette notion, qui se réfère au rapport entre la production et les ressources dans un
processus de production est mal cernée dans le secteur public. Gagner en productivité peut
recouvrir plusieurs aspects :
-
réduire le nombre d’emplois et les coûts de fonctionnement à production constante ou
en hausse ;
-
augmenter les recettes de l’État ;
-
améliorer le service rendu aux citoyens (accès, pertinence, délai) plus rapidement que
n’augmentent les coûts de production des services publics.
Alors que l’État doit consentir des efforts pour redresser la situation des finances
publiques et que les citoyens souhaitent une amélioration du service public, l’équation passerait
pour partie par un accroissement de la productivité au sein des administrations publiques.
Depuis 2019, la direction interministérielle du numérique (Dinum), rattachée au
secrétariat général du gouvernement et placée sous l’autorité conjointe du Premier ministre et
du ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action
publique, est responsable de la conception et de la mise en œuvre de la stratégie numérique de
l’État.
La délégation interministérielle à la transformation publique (DITP) accompagne
également les services de l’État dans leur modernisation. Elle pilote notamment le fonds de
transformation de l’action publique (FTAP). Ce dispositif interministériel a été lancé en 2018
et a bénéficié de plus d’1 Md€ de crédits, à allouer sur appel à projets. Les projets soumis, qui
sont pour beaucoup liés à des systèmes d’information, doivent présenter un engagement de
retour sur investissement.
Dans ce contexte, la Cour a cherché à apprécier comment les enjeux de productivité sont
pris en compte dans la conduite des projets numériques de l’État et les résultats obtenus à cet
égard.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
7
L’enquête de la Cour a porté sur un échantillon de projets informatiques significatifs
sélectionnés au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et
numérique, principalement à la direction générale des finances publiques. Quelques projets
portés par d’autres ministères ont été examinés dans le cadre de l’enquête, à partir des données
issues du FTAP ou du suivi opéré par la Dinum.
N’entraient pas, en revanche, dans le champ de l’enquête :
-
l’audit des systèmes d’information de l’État et de la conduite par les ministères de leurs
projets informatiques ;
-
le contrôle de la gestion de la direction interministérielle du numérique – qui a fait
l’objet d’observations définitives publiées en juillet 2024 – et des directions
ministérielles du numérique ;
-
l’évaluation des politiques publiques auxquelles concourent les systèmes d’information
ou les projets informatiques examinés au cours de l’enquête.
Le présent rapport fait état du résultat des vérifications réalisées par la Cour. La première
partie présente la notion de productivité et examine son degré de prise en compte dans le
domaine numérique. La deuxième partie examine la manière dont les gains de productivité sont
anticipés au lancement des projets numériques, puis suivis au cours de leur développement et
après leur achèvement. Enfin, la troisième partie propose des approches complémentaires pour
contribuer à une mesure fiable et ambitieuse des gains de productivité permis par les projets
numériques de l’État.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
8
1
LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ LIÉS AU NUMÉRIQUE,
UNE PRÉOCCUPATION QUI N’EST PAS MISE EN AVANT
PAR LES SERVICES DE L’ÉTAT
……
Dans l’administration publique, qui ne dispose pas de prix de marché pour ses services,
mesurer la productivité est complexe (1.1). De fait, les indicateurs présentés dans les projets et
rapports annuels de performance joints aux lois de finances ne traitent que rarement de
productivité, mais plutôt d’efficacité et d’efficience (1.2). Pourtant, quantifier la valeur attendue
des grands projets numériques de l’État, même sans l’objectif d’améliorer la productivité, serait
souhaitable pour objectiver les bénéfices et mieux proportionner les investissements (1.3).
1.1
La productivité dans l’administration : un concept difficilement
mesurable au sens économique
La productivité est un concept économique qui peut être mesuré au niveau d’un pays
mais aussi au sein d’une organisation. Dans le secteur des services, ce concept doit tenir compte
des différences avec le monde industriel où il s’est développé (1.1.1). Plus spécifiquement dans
les entités du secteur public, sa déclinaison apparaît complexe, compte tenu des spécificités de
leur action (1.1.2).
1.1.1
Une notion dont la déclinaison dans le secteur des services doit tenir compte
de ses spécificités
Au niveau macroéconomique, le calcul de la productivité est le rapport entre le volume
de production de biens et de services toutes activités confondues et l’ensemble des ressources
disponibles (travail, capital, infrastructures). C’est un indicateur qui renseigne utilement sur la
croissance économique d’un pays et sur le niveau de vie de la population.
Au niveau d’une organisation, la définition de la productivité ne diffère pas
fondamentalement, mais elle s’applique à un domaine plus spécifique. La productivité peut être
alors définie comme le rapport entre un « output » ou « extrant » (les biens et les services
produits) et un « input » ou « intrant » (les facteurs de production, tels que le travail, le capital
technique, les consommations intermédiaires, le capital financier investi). Il s’agit d’une mesure
de l’évolution du volume de production par rapport à l’ensemble des ressources engagées.
La productivité permet de prendre en compte l’évolution des techniques de production
au sein des organisations et de déterminer si l’une d’entre elles détient un avantage comparatif
par rapport aux autres sur un même marché. Il existe également un moyen de calculer la
productivité de manière plus spécifique en s’attardant sur l’un des facteurs de production telle
que la productivité du travail et ses variations (productivité en valeur du travail, productivité
horaire du travail) ou encore la productivité du capital (rapport entre valeur ajoutée et capital
fixe).
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
9
Si la mesure de la productivité est assez largement répandue dans l’industrie, son
application dans le secteur tertiaire doit tenir compte du fait que les biens produits sont souvent
immatériels et moins standardisés et que le travail, reposant sur des compétences intellectuelles,
a longtemps été moins automatisable.
La productivité dans les services a fait l’objet d’études à partir des années 1960 de
l’économiste américain William Baumol
1
. Il soulignait alors que les secteurs dont la croissance
de la productivité́ est inférieure à la moyenne de l’économie (appelés « secteurs stagnants »)
sont majoritairement tertiaires et qu’ils ont tendance à connaître des augmentations de coûts
supérieures à la moyenne, phénomène qu’il désignait par l’expression de « maladie des coûts ».
William Baumol illustrait cette théorie en prenant pour exemple l’enseignement
supérieur, les soins de santé, l’artisanat, la haute cuisine ou encore les arts du spectacle. Dans
ce dernier cas, la nature du travail nécessite une présence humaine et une performance en direct.
Quelles que soient les avancées technologiques, le nombre de musiciens prévu dans une œuvre
symphonique reste le même au fil des ans, la durée de l’œuvre reste la même, et le coût de cette
main-d’œuvre augmente avec le temps. Même si le prix des ventes des places ou le chiffre
d’affaires généré peuvent augmenter, la productivité en tant que telle n’augmente pas et les
coûts de production sont plus élevés.
Dans le secteur tertiaire, le facteur humain est le principal facteur de production et il a
été, pendant longtemps, peu substituable par le capital. Ce constat doit, de nos jours, être
relativisé par le déploiement des services numériques. Le travail intellectuel peut désormais être
substitué en tout ou partie par le logiciel. Le numérique est dès lors devenu une source de gains
de productivité dans le secteur des services.
1.1.2
Une mesure rendue plus délicate dans le secteur public
Le numérique est un levier majeur de transformation de l’État et peut être source de
gains de productivité au sein des administrations publiques. Il peut également générer des gains
de productivité accrus dans le reste de l’économie.
Le calcul de la productivité n’y est toutefois pas aussi simple que dans le monde de
l’entreprise, où les biens et services vendus ont une valeur objective (le prix de marché) et sont
plus homogènes par comparaison sur un secteur donné.
Dans le secteur public, les biens ou services produits sont non marchands. Ils sont
généralement fournis gratuitement ou à un prix symbolique (en dessous du coût réel de
production). Contrairement aux biens ou services marchands, ils ne sont pas produits dans le
but de générer un profit, mais plutôt pour répondre à des besoins d’intérêt général. En termes
de financement, ils dépendent principalement des contributions publiques plutôt que des
recettes de vente.
Plusieurs méthodes se sont confrontées pour calculer la productivité dans
l’administration publique.
1
BAUMOL William,
The Cost Disease: Why Computers Get Cheaper and Health Care Doesn’t
, Yale
University Press, 2012
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
10
Dès lors que la valeur réelle du bien produit est complexe à mesurer, une première
méthode consiste simplement à la faire correspondre à son coût de production, c’est-à-dire à la
valeur totale des ressources mobilisées, essentiellement du travail dans les services publics
2
.
Dans ce cas, avec un numérateur (extrant) égal au dénominateur (intrant), la productivité dans
les services publics demeure constamment égale à 1. Ce résultat limite l’intérêt de suivre cet
indicateur.
À rebours cependant de cette théorie, il est patent que la productivité peut augmenter
dans l’administration publique : certaines tâches peuvent être automatisées par le déploiement
de services numériques et sont bien à l’origine de gains de productivité. C’est le cas, par
exemple, avec les projets de dématérialisation de procédures qui permettent de maintenir ou
d’augmenter le nombre de dossiers traités tout en réduisant les coûts opérationnels (masse
salariale, charges variables d’impression ou d’affranchissement, etc.) et d’augmenter
l’efficacité des agents (diminution de la durée de traitement des dossiers).
Par ailleurs, les services publics comportent souvent des aspects qualitatifs difficiles à
mesurer, comme la satisfaction des usagers ou l’impact à long terme sur la société qui
accroissent la valeur réelle du service rendu. Autrement dit, leur valeur ultime se traduit en
termes de bénéfices sociaux, tels que l’amélioration de la qualité de vie, la réduction des
inégalités.
Aussi, d’autres méthodes économiques ont cherché à mieux prendre en compte un
« output réel » dans la mesure de la productivité, intégrant les effets qualitatifs d’un bien ou
d’un service sur le long terme.
En particulier, au cours des années 2000, l’économiste britannique Anthony Atkinson a
mis en valeur l’importance de mesurer les bénéfices sociaux engendrés par la production de
certains biens et services. Selon lui, l’objectif est de mesurer la production à partir des dépenses
de l’administration publique (approche en termes de coûts) tout en identifiant leur contribution
successive au bien-être individuel ou collectif (approche en termes de bénéfices sociaux)
3
.
La production réelle de l’administration publique intègrerait le bénéfice social retiré d’une
dépense publique amenant à l’amélioration de la qualité de vie de la population.
Le « Principe B » d’Anthony Atkinson
Le « Principe B » d’Atkinson vise à revoir la manière dont est mesurée la production
de l’administration publique en tenant compte non seulement des dépenses engagées, mais
surtout des bénéfices sociaux qu’elles génèrent. Contrairement à l’approche traditionnelle
axée sur les coûts monétaires, ce principe propose une évaluation qui intègre l’impact réel
sur le bien-être individuel et collectif des citoyens. Cela suppose une compréhension des
améliorations de la qualité de vie résultant des dépenses publiques, par exemple en matière
de santé et d’éducation.
Les dépenses publiques traditionnelles sont évaluées en termes de montant alloué à
divers secteurs comme la santé, l’éducation, les infrastructures. Cependant, le « Principe
B » insiste sur la nécessité d’aller au-delà de cette mesure monétaire. Il encourage
2
DJELLAL, F., & GALLOUJ, F.
Les services publics à l’épreuve de la productivité et la productivité à
l’épreuve des services publics
, 2007.
3
ATKINSON, Anthony,
How to Measure Government Productivity: A Review Article on « Measurement
of Government Output and Productivity for National Accounts » (The Atkinson Report)
, janvier 2005.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
11
l’utilisation d’indicateurs qualitatifs pour mieux comprendre comment ces dépenses
contribuent réellement à améliorer la qualité de vie des citoyens. Par exemple, les dépenses
en éducation sont évaluées non seulement par les sommes investies mais aussi par
l’augmentation des taux de scolarisation, des niveaux de qualification et des perspectives
d’emploi.
Le « Principe B » distingue les ressources financières allouées par l’administration
publique (
input
), les biens et services tangibles comme les infrastructures construites ou les
soins médicaux dispensés (
output
) et les impacts réels de ces biens et services sur la société,
tels que la réduction des taux de mortalité, l’amélioration de la santé publique et
l’accroissement du bien-être (
outcomes
).
En adoptant cette approche de la mesure de la production publique, Atkinson appelle
à une évaluation précise et complète de l’efficacité des politiques publiques en termes de
bien-être social. Cette approche contribuerait ainsi à promouvoir une gouvernance plus
transparente et responsable, fondée sur des résultats concrets et mesurables du bien-être
collectif.
Toutefois, la prise en compte de ces effets compliquerait fortement une mesure
spécifique de la productivité des services publics, dès lors que les bénéfices sociaux sont
produits par une succession de facteurs extérieurs dont la contribution de chacun est
difficilement perceptible. Ces effets, qui se produisent dans un horizon de moyen ou long terme,
ne permettent pas, en pratique, de calculer la productivité d’un service ou d’une organisation
spécifique.
Certains services de l’État, comme la DGFiP, ont gagné en efficience en mobilisant des
outils et procédés numériques et ont réalisé des gains de productivité manifestes ces dernières
années. Mais il est difficile de les mesurer comme on pourrait le faire dans le secteur marchand.
Aussi, pour apporter des éléments plus directement opérants, la notion de productivité
dans l’administration publique devrait, plus simplement, découler de la notion de performance.
Cette notion est entrée dans la culture administrative française depuis la loi organique relative
aux lois de finances (LOLF) du 1
er
août 2001. La définition d’objectifs tangibles et le suivi de
leur atteinte par des indicateurs sont censés permettre de valoriser la performance de l’action
publique.
1.2
Une notion quasi absente de la démarche de performance voulue par la
LOLF
………
L’instauration d’une démarche de « performance » a constitué l’une des innovations
majeures de la LOLF. Le guide méthodologique pour son application
4
définit la performance
comme la capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité
socio-économique (résultat des politiques), de qualité de service (en se plaçant depuis les points
4
Ministère de l’économie et des finances, commissions des finances parlementaires, Cour des comptes
et Comité interministériel d’audit des programmes,
La démarche de performance : stratégie, objectifs, indicateurs
– Guide méthodologique pour l’application de la LOLF
, juin 2004.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
12
de vue respectifs du citoyen, du contribuable et de l’usager) ou d’efficience de la gestion
(optimisation des moyens).
Ainsi, la démarche de performance correspond à
« un dispositif de pilotage des
administrations ayant pour objectif d’améliorer l’efficacité de la dépense publique en orientant
la gestion vers l’atteinte de résultats prédéfinis, en matière d’efficacité socio-économique, de
qualité de service ou d’efficience, dans le cadre de moyens prédéterminés »
.
Plusieurs dispositions ont été prises en ce sens, en particulier les projets et rapports
annuels de performances (PAP et RAP), annexés aux projets de loi de finances en vertu des
articles 51 et 54 de la LOLF. Dans ces documents, des objectifs sont fixés par les pouvoirs
publics et déclinés en indicateurs et sous-indicateurs chiffrés pour permettre d’en mesurer
l’atteinte.
Par exemple, le programme 203 « Infrastructures et services de transports », qui relève
de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », comporte des indicateurs
relatifs à l’évolution du coût kilométrique moyen des opérations de régénération du réseau ferré
(efficience), la part modale des transports collectifs dans l’ensemble des transports intérieurs
terrestres de voyageurs (efficacité socio-économique) et l’état des structures de chaussées
(qualité de service). De même, s’agissant de la mission « Travail et emploi », sont notamment
suivis le ratio d’efficience de la fonction achat (efficience), le taux de satisfaction des services
rendus par France Travail aux usagers (qualité de service), ou le taux de retour à l’emploi de
tous les publics (efficacité socio-économique).
La notion d’efficience met en regard un résultat avec les moyens qui y sont consacrés.
Elle n’est toutefois pas équivalente à celle de productivité, qui se concentre sur les activités
productives de l’État. Par exemple, plusieurs sous-indicateurs du budget général de l’État
portent sur la notion d’« efficience de la gestion immobilière » en mesurant la surface utile nette
par poste de travail (m2 / poste de travail) ou les dépenses d’entretien par la surface utile brute
(€ / m2). Ils ne traduisent pas un enjeu de productivité puisqu’ils ne portent pas sur une activité
productive d’une mission de l’État.
L’analyse des 2 128 sous-indicateurs renseignés dans le volet performance des PAP
annexés au projet de loi de finances pour 2023
5
montre que la productivité, telle que définie
supra, n’est que très rarement mesurée :
-
seule une quarantaine d’indicateurs (moins de 2 %) met en rapport les résultats d’une
production administrative avec les moyens engagés ;
-
un unique sous-indicateur (au sein de la mission « Gestion des finances publiques »)
comporte explicitement le terme « productivité » dans son libellé.
5
Le plus récent pour lequel des données chiffrées sous standard ouvert sont disponibles.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
13
Tableau n° 1 :
Exemples d’indicateurs de performance du PLF 2023
se rapportant à la notion de productivité
Mission
Objectif
Indicateur
Sous-indicateur
Unité
Action
extérieure de
l’État
Renforcer la qualité et
l’efficience du service
consulaire
Nombre de documents
délivrés par ETPT
Actes d’état civil :
établissement et
transcription
(SCEC)
Nb
Anciens
combattants,
mémoire et
liens avec la
Nation
Régler les prestations de
soins médicaux gratuits avec
la meilleure efficacité
possible
Nombre moyen de dossiers
de soins médicaux gratuits
traités par agent
Nombre moyen de
dossiers de soins
médicaux gratuits
traités par agent
Nb
Conseil et
contrôle de
l’État
Améliorer l’efficience des
juridictions
Nombre d’affaires réglées
par agent de greffe
Dans les tribunaux
administratifs.
Nb
Direction de
l’action du
Gouvernement
Défendre et protéger
efficacement les droits et les
libertés
Nombre de dossiers et de
réclamations traités par an
et par ETP d’agent traitant
Nombre de saisines
traitées par an et par
ETP d’agent traitant
de l’ARCOM
Nb
Écologie,
développement
et mobilité
durables
Limiter l’exposition aux
risques technologiques et
réduire l’impact des
pollutions industrielles et
agricoles sur les personnes,
les biens et l’environnement
Nombre total de contrôles
des installations classées sur
effectif de l’inspection (en
ETPT)
Nombre total de
contrôles des
installations classées
(IC) sur effectif de
l’inspection (en
ETPT)
ratio
Économie
Assurer un traitement
efficace du surendettement
Efficience du traitement des
dossiers de surendettement
Nombre moyen de
dossiers traités par
agents
Nombre
par
agent
Gestion des
finances
publiques
Maîtriser les coûts de gestion
de la DGFiP au profit d’une
efficience accrue
Taux d’intervention et
d’évolution de la
productivité
Taux annuel
d’évolution de la
productivité globale
%
Immigration,
asile et
intégration
Réduire les délais de
traitement de la demande
d’asile
Délai de l’examen d’une
demande d’asile par
l’OFPRA
Nombre de
décisions rendues
dans l’année par
équivalent temps
plein d’agent
instructeur
Dossiers
Source : data.gouv.fr
Selon le PAP 2024 de la mission « Gestion des finances publiques » du budget général
de l’État, l’indicateur « Taux annuel d’évolution de la productivité globale » traduit
« l’évolution annuelle de la productivité de la DGFiP. Il rapporte les éléments de charge des
services aux effectifs mobilisés sur ces métiers, en intégrant la quote-part des personnels
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
14
affectés aux fonctions de soutien. La productivité est mesurée à partir de 11 ratios élémentaires
correspondant aux missions de la DGFiP »
. Sa valeur pour 2023 s’établissait à +6,05 %.
Dans le détail, les ratios calculés rapportent le volume annuel des unités d’œuvre de
chacun des domaines d’activité suivants aux effectifs (ETPT) qui y participent :
-
domaine « recouvrement » : amendes (unité d’œuvre : nombre d’amendes prises en
charge) ; produits divers de l’État, y compris les taxes d’aménagement (nombre de titres
de produits divers pris en charge) ;
-
domaine « paiement des dépenses de l’État » : dépenses de l’État (nombre de demandes
de paiement traitées dans Chorus) ; paye des agents de l’État (nombre de bulletins de
paie émis) ; pensions (nombre de pensions et émoluments divers) ;
-
domaine « secteur public local » : recouvrement des produits locaux (nombre de titres
de recettes) ; paiement des dépenses du secteur local (nombre de mandats) ; gestion de
fonds (nombre de comptes à vue) ;
-
domaine « fiscalité » : particuliers (nombre de foyers fiscaux) ; professionnels (nombre
d’entreprises imposées sur les bénéfices) ; foncier (nombre d’actes cadastraux).
L’effort fait par la DGFiP pour essayer – par cette approche sans équivalent dans le reste
des annexes budgétaires – d’estimer ses gains annuels de productivité mérite d’être souligné.
Le suivi de ces sous-indicateurs suppose notamment de pouvoir affecter directement les
effectifs de la DGFiP sur les différentes actions et sous-actions décrites, mais aussi de tenir
compte d’une quote-part des agents affectés aux fonctions transversales et aux fonctions
support.
L’interprétation de l’indicateur « composite » auquel cette démarche aboutit est
néanmoins malaisée, d’autant qu’il ne tient pas compte de la difficulté relative de mise en œuvre
de chacune des activités sous-jacentes, par exemple la complexité de traitement des situations
fiscales. Mais aussi, la conjoncture économique peut générer un nombre de titres émis en hausse
ou en baisse sans que cela se traduise la même année dans les effectifs des services fiscaux. La
DGFiP ne dispose donc pas de tous les leviers permettant de faire évoluer cet indicateur.
Enfin, le caractère très agrégé de ces indicateurs ne permet pas de relier son évolution
aux projets numériques ou aux réorganisations en cours ou achevées à la DGFiP. C’est à un
niveau plus proche des activités opérationnelles (contrats d’objectifs et de performance d’une
direction d’administration centrale ou d’un établissement, contrat d’engagement sur un projet,
par exemple) que ce suivi doit s’opérer pour mesurer l’évolution de la productivité, notamment
permise par les systèmes d’information.
1.3
Un objectif qui n’est pas prépondérant dans le domaine numérique
Dans le cadre de la démarche de performance voulue par la LOLF, les projets
numériques de l’État ne sont que très peu suivis sous l’angle des gains de productivité qu’ils
peuvent contribuer à rendre possible (1.3.1). En pratique, ils visent à répondre à d’autres
priorités (1.3.2).
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
15
1.3.1
Les programmes budgétaires de l’État ne valorisent pas la performance des
projets numériques
Les projets annuels de performance sont censés permettre l’identification des priorités
des politiques publiques. Le programme 352 « Innovation et transformation numériques » du
budget général de l’État, dont la responsable est la directrice interministérielle du numérique,
vise à assurer
« l’impulsion de la transformation numérique de l’État en développant des
produits et des services numériques innovants »
. Les deux objectifs qui sont assignés
témoignent des enjeux sur lesquels l’État entend mettre l’accent : favoriser l’émergence de
produits numériques utiles aux usagers et aux agents ; développer des méthodes de recrutement
innovantes pour résoudre les défis publics.
Si le second objectif traduit un enjeu d’attractivité des ressources humaines et des
compétences pour l’État, le premier exprime les priorités qui sont mises en avant dans les
projets numériques. Il s’agit d’un objectif d’efficacité, au sens de la LOLF, à savoir la capacité
à atteindre des cibles (nombre de produits devenus des services à impact national majeur ou
accompagnés par le fonds d’accélération des startups d’État) sans se préoccuper de questions
de moyens ou de productivité.
Les 27 autres indicateurs du budget de l’État (sur plus de 2 000) qui évoquent les enjeux
numériques ne mentionnent pas non plus les questions de performance ou de productivité. Les
deux tiers d’entre eux concernent la mission « Avances à l’audiovisuel public » et portent sur
les audiences des différents groupes de médias publics sur les plateformes numériques. Parmi
les autres, trois indicateurs de la mission « Administration générale et territoriale de l’État »
portent sur l’efficience des systèmes d’information (nombre d’heures d’indisponibilité, taux
d’écart budgétaire et calendaire des projets) au ministère de l’intérieur et des outremers ; deux
se rattachent à la mission « Justice » pour adapter et moderniser la justice et sont relatifs à
l’accès des citoyens aux services en ligne.
1.3.2
Des motivations de diverses natures priment sur des objectifs de gains de
productivité
À l’image des objectifs et indicateurs de la LOLF, les fondamentaux des projets
numériques au sein de l’État ne sont pas prioritairement portés par des enjeux de productivité.
Les motivations à l’origine des projets peuvent être de diverses natures : une volonté politique
d’accompagner l’évolution des attentes des citoyens ou de simplifier le travail des entreprises
qui se traduit par des obligations législatives ou réglementaires ; l’obsolescence technologique
des systèmes d’information existants ; le respect d’engagements européens ou internationaux ;
ou enfin, plus rarement, les gains de productivité.
1.3.2.1
Les priorités politiques en faveur de l’économie et de l’État lui-même
De nombreux projets numériques sont portés par les priorités politiques du
Gouvernement, afin principalement d’améliorer les services rendus aux citoyens ou aux
entreprises, de permettre à ces dernières de gagner en productivité mais aussi de moderniser le
fonctionnement de l’État. Récemment, les priorités mises sur les enjeux de transition
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
16
écologique ont par exemple justifié le lancement de plusieurs projets ayant une composante
numérique. La loi de finances pour 2020 a ainsi remplacé le crédit d’impôt pour la transition
énergétique par une prime de transition énergétique, appelée « Ma prime renov’ »
6
. Au
dispositif fiscal était associé un projet de système d’information visant à faciliter le dépôt de
dossiers
7
. Dans cette veine, d’autres projets numériques, portés par le ministère de la transition
écologique et de la cohésion des territoires, ont concerné le contrôle automatisé des zones à
faibles émissions mobilité ou le contrôle automatisé des voies réservées covoiturage ou
transport en commun.
Ces priorités politiques sont habituellement inscrites dans des dispositions législatives
ou réglementaires. Tel a par exemple été le cas de Chorus Pro, issu de l’ordonnance
8
de 2014
qui a entendu rendre obligatoire la facturation électronique pour les fournisseurs émetteurs de
factures à destination de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics. Si la
motivation initiale était de porter des mesures de simplification en faveur des entreprises,
l’étude d’impact associée à l’ordonnance exposait des gains de productivité permis par la
facturation électronique, pour les entreprises (83 M€ de gains financiers annuels et 3 700 ETP),
pour les collectivités territoriales (31 M€ de gains financiers 6100 ETP) et pour les autres
administrations (État et ses établissements publics, 6,8 M€ de gains financiers et 2 100 ETP).
Ces données ont été publiées en se fondant sur plusieurs études internes ou externes à l’État,
mais n’ont pas été contre-expertisées. Par la suite, elles n’ont pas été reprises ou suivies lors de
la mise en place de l’outil et il serait hasardeux d’en faire aujourd’hui un bilan.
1.3.2.2
L’obsolescence technologique
L’obsolescence technologique est une autre motivation majeure des projets numériques.
Plusieurs systèmes d’information ont été implémentés il y a quelques décennies dans les
administrations publiques et opèrent sur des technologies aujourd’hui dépassées. Leurs éditeurs
déclarent ne plus en assurer la maintenance et les compétences nécessaires ne sont plus
enseignées. Une défaillance du système pourrait dès lors se traduire par une incapacité
prolongée de l’administration à exercer une de ses missions. Par ailleurs, les évolutions des
usages et des attentes pour les agents comme pour les citoyens induisent un niveau d’ergonomie
et de qualité de service que d’anciens systèmes ne peuvent pas honorer.
Les projets numériques motivés par l’obsolescence technologique peuvent donner lieu
à des études poussées, mais les enjeux de productivité ne sont pas explicitement abordés. Ainsi,
la montée de version du progiciel Chorus réalisée en 2024 était rendue nécessaire pour des
motifs d’arrêt de la maintenance de la solution SAP ECC utilisée jusqu’alors. L’Agence pour
l’informatique financière de l’État (AIFE) a procédé à une analyse de 27 éditeurs et sélectionné
trois solutions alternatives. Des scénarios ont étudié la couverture fonctionnelle de chacune des
solutions, la capacité de transformation de la fonction financière, la méthodologie et la
trajectoire du projet, les enjeux de conduite du changement et la maîtrise des risques. Si le coût
de chaque solution était comparé, permettant de choisir la solution la moins onéreuse, aucun
gain n’a en revanche été évalué, aucun enjeu de productivité n’a été envisagé. Par ailleurs, alors
6
Cf. II de l’article 15 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
7
www.maprimerenov.gouv.fr
8
Ordonnance n° 2014-697 du 26 juin 2014 relative au développement de la facturation électronique.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
17
que les différentes solutions avaient un horizon de mise en service différent (entre deux et sept
ans), les risques associés au maintien sur une période potentiellement longue d’un système
obsolète n’ont pas donné lieu à valorisation. Pour un projet dont le coût de construction était
évalué à 33,6 M€ (25,8 M€ finalement dépensés) et le coût de fonctionnement à 26,7 M€ en
2024 et 26,3 M€ par an à compter de 2025, une analyse économique plus poussée aurait été
justifiée.
1.3.2.3
Le respect d’engagements européens ou internationaux
Les enjeux liés aux engagements européens ou internationaux de la France sont aussi
un moteur de certains projets numériques, que ce soit dans le cadre de procédures
précontentieuses ou pour des besoins plus structurels. Ainsi, la Commission européenne a
engagé en 2022 une procédure précontentieuse contre la France pour des manquements dus en
partie au système d’information de la pêche et de l’aquaculture (SIPA) inadapté, morcelé et
vieillissant. Composé d’une cinquantaine d’applications, le SIPA permet à la France de remplir
ses obligations déclaratives européennes et internationales sur la pêche. Son architecture
technique ne permet toutefois pas d’envoyer efficacement les données de géolocalisation de la
flotte de pêche et les composants assurant la transmission ne sont plus dans les standards
attendus par l’Union européenne. Des enjeux de même nature justifient de lourds projets
d’évolution des systèmes d’information de l’Agence des services de paiement pour la
justification des aides européennes versées en France, notamment dans le domaine agricole.
Sur un autre terrain, la Cour avait déjà souligné que la direction générale des douanes et
des droits indirects (DGDDI) avait vu son budget informatique augmenter sensiblement entre
2012 et 2017 notamment dans le cadre de la préparation du Brexit
9
. Les nouvelles règles
douanières avaient contraint à une adaptation des systèmes d’information, qui devaient être
opérationnels en janvier 2020.
1.3.2.4
Des gains de productivité trop rarement priorisés
Au total, les enjeux de productivité ne constituent pas la motivation première des projets
numériques pour l’État.
L’analyse des grands projets numériques les plus récents suivis par la Dinum montre
que seuls un quart d’entre eux ont intégré des enjeux de productivité, à savoir les deux projets
TELEMAC (sur les conditions d’exercice des agents de terrain de la DGDDI, lancé en 2022)
et URF (sur l’unification du recouvrement fiscal, lancé en 2020) portés par le ministère de
l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN) et deux
projets issus du programme de chaîne pénale numérique par le ministère de la justice (cf. annexe
n° 3).
Ces projets sont une exception.
La DGFiP souligne que les arbitrages des moyens alloués au programme budgétaire 156
dédié à la gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local reflètent les enjeux de
9
Cour des comptes,
Les systèmes d’information de la DGFiP et de la DGDDI
, avril 2019.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
18
la direction : «
transformer les missions au regard du contexte réglementaire, sanctuariser les
moyens nécessaires à la résorption de la dette technique, contribuer aux gains de productivités
nécessaires aux réductions d’emploi mais aussi aux renforcements de certaines missions
». Elle
précise que la gouvernance interne décline ces priorités.
Néanmoins, ces dernières années, les priorités politiques n’ont pas mis l’accent sur les
gains de productivité. Les politiques prioritaires du Gouvernement (appelés « Objets de la vie
quotidienne » dans la précédente législature), qui font l’objet de revues de suivi au plus haut
niveau de l’État, ont poursuivi des objectifs d’efficacité (améliorer les services rendus aux
citoyens), mais pas de productivité.
De fait, la productivité est souvent un non-dit des décisions publiques, du fait
d’incidences aussi bien sur le dialogue social que dans les négociations budgétaires. Sur le plan
social, les gains de productivité peuvent se traduire par des réductions d’emplois ou des
évolutions d’organisations source d’inquiétudes si elles ne sont pas accompagnées par des
échanges avec les personnels et leurs représentants. Sur le plan budgétaire, annoncer des
économies théoriques fait courir le risque aux services de voir leurs budgets amputés sans que
les gains attendus soient nécessairement avérés. L’absence d’impulsion politique oriente
nécessairement vers d’autres priorités les arbitrages entre projets et les décisions prises pendant
la gestion d’un projet. Par ailleurs, la Dinum souligne que les gains mis en avant dans les projets
numériques sont le plus souvent de gains qualitatifs, liés au métier. Selon elle, les directeurs de
projet estiment que leur mission est de faire aboutir le projet, en maîtrisant l’enveloppe
accordée, et non de le valoriser. Beaucoup ont du mal à quantifier les gains attendus et les
transformer en indicateurs.
Ainsi, l’équation économique des projets n’est pas toujours posée, alors que cela
permettrait d’objectiver les bénéfices espérés et de proportionner les investissements à ces gains
futurs. Quel que soit l’objectif initialement poursuivi, et quand bien même l’accroissement de
la productivité ne serait pas une visée première, la valeur attendue des grands projets
numériques de l’État devrait pouvoir être quantifiée. Les directions métier et les directions
numériques devraient, de concert, objectiver et quantifier par exemple les risques et les coûts
évités (par une démarche contrefactuelle) par des projets de résorption d’une obsolescence
technique, ou encore mesurer l’impact pour les administrations publiques et pour l’économie
de mesures de simplification. La notion de productivité, quand bien même elle ne serait pas à
l’origine du projet numérique, pourrait ainsi être un élément clé de la décision et de suivi du
projet.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Le calcul de la productivité consiste à rapporter la valeur des biens et services produits
au coût des facteurs de production. Cette notion de productivité est plus délicate à manier dans
l’administration publique. Plusieurs approches et méthodes de calcul, plus ou moins opérantes,
ont été mises en avant par les économistes. Mais la notion de performance, présente dans la
culture administrative depuis la mise en œuvre de la LOLF, est la plus tangible. Elle permet de
suivre, de manière détaillée, l’atteinte d’objectifs assignés à l’action publique et les moyens
associés.
Toutefois, s’ils mettent l’accent sur l’efficacité et l’efficience de l’action publique, les
indicateurs présents dans les projets annuels de performance annexés au budget de l’État ne
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
19
traitent quasiment pas de productivité. C’est à un niveau plus proche des services opérationnels
et des projets que ce suivi doit s’opérer pour mesurer l’évolution de leur productivité,
notamment permise par les systèmes d’information.
L’amélioration de la productivité n’est toutefois que rarement un objectif à l’origine
des grands projets numériques de l’État. Quel que soit l’objectif initialement poursuivi,
l’équation économique des projets permettrait d’objectiver les bénéfices espérés et de
proportionner les investissements à ces gains futurs. La valeur attendue des grands projets
numériques de l’État devrait pouvoir être quantifiée, quand bien même l’accroissement de la
productivité ne serait pas une visée première.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
20
2
UN SUIVI PARCELLAIRE DE LA PRODUCTIVITÉ ISSUE DES
PROJETS NUMÉRIQUES
Sur le plan interministériel, la recherche de gains de productivité à l’occasion de projets
numériques constitue une préoccupation essentiellement formelle (2.1). À cet égard, la
démarche volontariste imposée par le FTAP aux ministères qui souhaiteraient bénéficier de son
financement n’a pas permis de garantir l’atteinte de gains de productivité (2.2). Au niveau
ministériel, le retour sur investissement des projets s’avère insuffisamment suivi par les porteurs
de projets (2.3).
2.1
Une préoccupation secondaire du pilotage interministériel des projets
numériques
Lorsque la direction interministérielle du numérique (Dinum) examine, à un titre ou un
autre, les projets numériques de l’État, son expertise porte avant tout sur leur volet technique et
sur les modalités de leur pilotage (2.1.1), conformément à sa feuille de route. À l’occasion de
cet examen, elle n’est pas en mesure d’analyser de manière critique les gains de productivité
annoncés par les porteurs des projets pour en justifier le lancement ou la poursuite (2.1.2).
2.1.1
Une expertise de la Dinum centrée sur la gestion des projets numériques
La Dinum est un service du Premier ministre placé sous l’autorité du ministre de la
transformation et de la fonction publiques. Parmi ses missions, prévues par le décret du
25 octobre 2019 modifié par le décret du 22 avril 2023, figurent le pilotage de la stratégie
numérique de l’État, dont la mise en œuvre est déléguée aux ministères, et la mobilisation des
leviers numériques et technologiques nécessaires à l’accompagnement des services.
Sa feuille de route
10
lui fixe, en outre, pour principal objectif (p. 3)
« [d’] accompagner
et faire réussir les projets numériques de l’État, au service des priorités gouvernementales et
dans un souci d’amélioration de l’efficacité de l’action publique
», avec quatre priorités (p. 5),
l’une d’entre elles étant de parvenir à
« engager une mutation profonde des organisations
publiques pour initier et conduire dans la durée les projets numériques de l’État »
.
À cette fin, les grands projets numériques sont soumis pour avis conforme à la Dinum
afin qu’elle émette des recommandations (2.1.1.1). Par ailleurs, celle-ci peut être saisie par les
ministères pour auditer tout projet ou système d’information de l’État (2.1.1.2). Enfin, elle rend
compte au Premier ministre de l’état d’avancement des grands projets numériques de l’État
dans le cadre d’un panorama semestriel (2.1.1.3).
10
Ministère de la transformation et de l’action publiques,
Feuille de route de la direction
interministérielle du numérique : une stratégie numérique au service de l’efficacité de l’action publique
, mars
2023.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
21
2.1.1.1
Les avis rendus par la Dinum
L’article 3 du décret du 25 octobre 2019 prévoit que les projets informatiques
interministériels et ministériels répondant à des caractéristiques, notamment de coût
prévisionnel, sont soumis pour avis conforme à la directrice interministérielle du numérique.
L’arrêté du Premier ministre du 5 juin 2020 apporte les précisions suivantes :
-
le coût prévisionnel s’entend comme l’ensemble des coûts estimés depuis la phase de
construction ainsi que ceux relatifs aux vingt-quatre premiers mois de maintien en
conditions opérationnelles consécutifs à la fin de cette phase ;
-
relèvent de l’article 3 les projets informatiques dont le coût prévisionnel est égal ou
supérieur à 9 M€ TTC.
Dans ce cadre, la Dinum évalue le projet à partir d’un dossier documentaire constitué
lors de la saisine qui présente ses objectifs, ses caractéristiques techniques, sa gouvernance et
son budget prévisionnel. Cette évaluation fait notamment appel à la méthode interministérielle
d’analyse et de remontée de la valeur, dite « Mareva » (cf.
infra
). La Dinum rend ensuite un
avis conclusif qui comporte des constats relatifs à l’avancement du projet, à son financement et
aux aspects restant à sécuriser, et formule des recommandations.
Au total, la Dinum a rendu près d’une centaine d’avis sur le fondement de l’article 3 du
décret de 2019, favorables ou favorables avec réserve dans la grande majorité des cas.
L’examen des avis rendus entre mars 2023 et mi-juin 2024 fait ressortir que, contrairement aux
questions techniques, budgétaires ou de pilotage, les gains attendus au cours ou à l’achèvement
du projet ne font presque jamais l’objet de constats ou de recommandations et sont simplement
évoqués, sous un angle qualitatif, dans la partie introductive qui présente le projet.
Par exemple, l’avis du 23 mars 2022 sur le programme « Nouveaux outils de production
normative » (NOPN) du secrétariat général du Gouvernement souligne en préambule que
« le
nombre d’acteurs impactés est important »
(83 personnes directement, plusieurs centaines
indirectement), mais ne comporte pas de chiffrage des gains de productivité correspondants.
De même, l’avis du 11 octobre 2023 relatif au système d’information de gestion
financière des agences de l’eau (SIGF LADE), développé par le ministère chargé de la transition
écologique, évoque
« la mutualisation et de la dématérialisation des processus ainsi que de
l’harmonisation des remontées et du pilotage financier auprès des tutelles des agences »
ainsi
que le fait que le nouveau système d’information
« remplacera les six systèmes d’information
financiers en voie d’obsolescence »
, sans mentionner les éventuels gains financiers à la clé.
Dans un cas seulement, celui de l’avis du 27 octobre 2023 relatif au projet de couverture
nationale en données Lidar à haute densité (Lidar HD), il est fait mention des gains financiers
attendus après l’achèvement du projet :
« À ce jour, l’impact du projet dans le cadre des cas
d’usage identifiés est théorique et doit être confirmé avec la livraison et l’exploitation des
données. Cela est particulièrement important pour le cas d’usage agriculture, censé apporter
un gain de 3 M€ dès 2023, et de 17 M€ par an à partir de 2026 »
.
Dans un seul autre cas, celui de l’avis conforme défavorable du 12 juin 2024 concernant
la poursuite du projet Calypso par les ministères chargés des affaires sociales, la Dinum formule
une critique sur les gains supposés du projet :
« Un élément de valeur important avancé est de
réduire significativement les délais de mise en œuvre des politiques publiques. Si cet élément
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
22
est exprimé comme une intention, les modalités retenues pour les premiers développements ne
permettent pas de confirmer l’effet attendu »
.
2.1.1.2
Les audits réalisés par la Dinum
Conformément à l’article 4 du décret du 25 octobre 2019, la Dinum peut réaliser ou faire
réaliser à la demande des ministères – ou, plus exceptionnellement en pratique, du Premier
ministre – des missions d’expertise, d’audit, de contrôle ou d’évaluation sur tout projet ou
système d’information de l’État qui connaît des difficultés significatives.
En cinq ans, la Dinum a réalisé une vingtaine de missions d’audit et d’appui dans ce
cadre, dont la moitié a concerné les ministères chargés de l’agriculture et de l’intérieur. Au
ministère chargé de l’économie et des finances, les projets Pilat
11
et ROCSP
12
conduits par la
DGFiP ont notamment été audités en 2022 et 2023, après avoir fait l’objet d’un avis initial de
conformité.
Ces audits particulièrement techniques conduisent à dresser un état des lieux des
difficultés à l’origine des dérives budgétaires et calendaires rencontrées par les ministères et à
bâtir un plan d’action pour y remédier, par exemple en décidant de renforcer et reconfigurer le
pilotage du projet, en diminuant le recours à des prestataires externes au bénéfice de renforts
internes pérennes, en revoyant les modalités de développement informatique pour les rendre
plus itératives et modulaires, ou encore en impliquant davantage les commanditaires métier
pour améliorer l’expression de besoins.
À l’occasion de ces travaux, cependant, les prévisions de gains attendus et la rentabilité
des projets ne sont pas réexaminées alors même que les difficultés rencontrées sont de nature à
remettre en cause les hypothèses initiales (cf. 2.2.2
infra
).
2.1.1.3
Le panorama des grands projets numériques de l’État
Depuis 2016, la Dinum rend public un tableau de bord semestriel des grands projets
numériques de l’État, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à une ou plusieurs des catégories
suivantes : les projets qui ont un impact significatif sur les usagers, les ministères ou leurs
agents ; ceux dont le contenu ou la gestion est complexe ou présente des risques majeurs ; et
ceux qui visent à réaliser des économies substantielles ou qui conduisent à engager des dépenses
supérieures à 9 M€.
La Dinum établit et met à jour ce panorama à partir des informations déclarées par les
ministères. Chaque projet y est présenté en dix points : description et objectifs, ministère
porteur, date de début, durée prévisionnelle, phase en cours, coût estimé, caractère
11
Projet qui doit permettre un suivi des dossiers du contrôle fiscal, depuis la programmation jusqu’au
recouvrement et au contentieux, sans ruptures applicatives.
12
Projet de modernisation des applications de recouvrement forcé des créances des particuliers et des
amendes.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
23
interministériel, zone fonctionnelle principale
13
, programme budgétaire et lien avec les derniers
projets annuels de la performance.
Outre le tableau de bord proprement dit, le panorama comprend une note au Premier
ministre (non publiée), une synthèse et des chiffres clés sur les coûts et les durées prévisionnels,
les niveaux de risque estimés par la Dinum et les porteurs de projets, et une présentation de
chaque projet. La note au Premier ministre fournit une tendance générale sur l’ensemble des
projets et examine plus spécifiquement les projets risqués, ceux qui connaissent des difficultés
et ceux qui faisaient l’objet d’un nombre important de recommandations dans l’avis initial de
la Dinum.
Le panorama des grands projets numérique de l’État le plus récent (19
e
édition, juin
2024) recense 45 projets, représentant un coût prévisionnel total de 3,8 Md€ pour une durée
moyenne de six ans. Il fait apparaître, en moyenne, des dérives calendaires et budgétaires des
projets respectivement de 18,8 % et 17,5 %.
En revanche, le panorama et les documents qui l’accompagnent ne comportent aucune
information sur les gains de productivité attendus une fois les projets achevés, tels qu’ils ont
été estimés lors de la décision de lancement, ni de mise en balance avec les coûts prévisionnels
révisés.
Ce n’est pas davantage le cas des comptes-rendus des réunions interministérielles
organisées de manière trimestrielle depuis 2023 pour engager les actions de sécurisation
nécessaires des projets particulièrement en risque. L’examen de ces comptes-rendus fait
apparaître que les gains estimés ne sont pas mis en regard des coûts prévisionnels pour apprécier
l’opportunité de sécuriser le projet et poursuivre son développement plutôt que de décider de
sa réorientation ou d’y mettre un terme.
2.1.2
Une absence d’analyse critique des gains de productivité annoncés par les
ministères
Mareva est la méthode interministérielle de référence pour évaluer de manière
homogène les projets numériques et aider les décideurs à prioriser l’allocation des ressources
humaines et budgétaires disponibles. Indépendamment du fait que son utilisation est obligatoire
pour saisir la Dinum dans le cadre de l’article 3 du décret du 25 octobre 2019, l’utilisation de
cette méthode est, en pratique, largement répandue dans certains ministères, en particulier aux
ministères chargés de l’économie et des finances, de l’intérieur et des armées.
Aussi appelée Mareva 2, en référence à sa révision intervenue en 2014, elle procède
d’une approche multicritères formalisée à l’aide d’un tableur qui aboutit à :
-
une cotation des dimensions stratégiques du projet : analyse des raisons qui fondent sa
justification, évaluation des risques techniques et juridiques liés à sa mise en œuvre,
mesure de ses incidences potentielles sur l’administration et sur les usagers ;
13
Ensemble cohérent de fonctionnalités et de données se rapportant à un domaine d’activité particulier
(la justice pénale, par exemple) ou à une fonction transverse (la gestion des ressources humaines, par exemple).
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
24
-
une évaluation de différents indicateurs de rentabilité (valeur actuelle nette, taux de
rendement interne, délai de retour), déterminés en estimant, d’une part, le coût
d’investissement (« Build ») direct
14
et indirect
15
pendant la phase de développement du
projet et le coût de fonctionnement (« Run ») pendant les deux années suivant son
achèvement, et, d’autre part, les gains ponctuels et récurrents attendus au cours de la
phase d’utilisation.
L’évaluation de ces gains est déterminante pour calculer la rentabilité prévisionnelle des
projets, en particulier ceux qui ne sont pas mis en œuvre pour satisfaire à une obligation
réglementaire ou qui visent à répondre à l’obsolescence technologique des systèmes
d’information en production.
La feuille de route de la Dinum l’enjoint à veiller à «
l’amélioration de l’efficacité de
l’action publique
». Certes, cette notion n’est pas nécessairement synonyme de meilleure
productivité, mais l’outil Mareva oblige théoriquement les porteurs de projets à documenter les
gains de productivité attendus. En pratique, pourtant, il apparaît que la Dinum n’est pas en
mesure de faire une analyse critique des prévisions de gains annoncées par les services porteurs
de projets numériques (2.1.2.1), dont le rôle est prépondérant pour leur élaboration (2.1.2.2).
2.1.2.1
L’absence d’analyse critique des gains prévisionnels présentés dans les Mareva
Lorsque la Dinum instruit les projets numériques dont elle est saisie dans le cadre de
l’article 3 du décret précité, elle examine les données présentées dans les fichiers Mareva afin
de comprendre les hypothèses de projection prises et valider l’exhaustivité des coûts attendus.
Cet examen peut être précédé d’échanges avec les porteurs de projets dans une phase préalable
à la saisine proprement dite.
En revanche, les prévisions de gains qui figurent dans le dossier de saisine ne semblent
pas être examinées par la Dinum, autrement que de manière formelle, ni faire l’objet de
discussions approfondies. C’est d’ailleurs ce que la Cour constatait déjà en 2020, relevant que
« les gains mentionnés dans les études Mareva transmises à la Dinum ne font l’objet de sa part,
ni d’une lecture critique, ni d’un suivi de leur réalisation effective […] en raison des délais
contraints de la phase suivant immédiatement sa saisine »
16
.
L’inspection générale des finances (IGF) observait de manière analogue en 2023 que
« si une analyse Mareva doit présenter la valeur actuelle nette et la rentabilité du projet, elle
ressort davantage comme un outil permettant de retracer les évaluations faites par les projets,
notamment sur le chiffrage des gains attendus, qu’un outil permettant de fiabiliser ces
chiffrages »
17
.
14
Dépenses liées à l’assistance externe à maîtrise d’ouvrage ou maîtrise d’œuvre, aux achats de matériels
informatiques, de licences ou de logiciel, ou encore d’accompagnement du changement (frais de déplacement,
prestations).
15
Dépenses de personnel exprimées en équivalent temps plein, tous grades ou fonctions confondus,
évaluées selon un coût unitaire standard par catégorie (A+, A, B, C).
16
Cour des comptes,
La conduite des grands projets numériques de l’État
, communication à la
commission des finances du Sénat, juillet 2020, p. 45.
17
Inspection générale des finances,
La dette technique et le pilotage des systèmes d’information de la
direction générale des finances publiques
, janvier 2023, annexe II, p. 26.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
25
Quoique semblant moins difficiles à évaluer que les gains attendus, compte tenu du
caractère plus diffus de ces derniers, les coûts prévisionnels et les délais de réalisation des
projets numériques font aussi l’objet d’aléas importants, qui révèlent les limites de la Dinum à
en faire un examen critique suffisant pour éviter les dérives. À cet égard, sa feuille de route de
mars 2023 faisait le constat (p. 7) que
« malgré le recours aux articles 3 et 4 […] qui permettent
d’auditer les grands projets numériques de l’État pour s’assurer de leur viabilité, l’impact des
recommandations émises par la Dinum dans la vie des grands projets des ministères demeure
relatif. Une part significative des projets, et notamment les plus importants, ne respecte pas le
cadrage initial, ce qui conduit à un glissement budgétaire moyen de 24 % et un glissement
calendaire moyen de 26 % à fin 2022. Ces dérives sont en augmentation avec plusieurs projets
de plusieurs dizaines de millions d’euros en difficulté manifeste »
.
Ces constats ont conduit la Dinum à engager des travaux visant à élaborer une nouvelle
version (V3) de la Mareva avec les objectifs suivants :
-
mieux appréhender dans la durée la valeur des projets numériques en caractérisant
davantage leurs effets (réponse à un problème, contribution à l’atteinte des objectifs
d’une politique publique précise, etc.) et en estimant leur coût de possession à moyen
terme ;
-
piloter les projets par la valeur, notamment en mettant en place des comités chargés de
décider du maintien, de la réduction ou de l’augmentation des moyens alloués en
fonction d’un rapprochement périodique entre les données prévisionnelles et les
réalisations.
Cette version révisée de la Mareva devrait mieux correspondre à la logique de
développement désormais mise en avant par la Dinum auprès des ministères, par laquelle elle
cherche à faire émerger la notion d’actifs, ou produits, numériques au service d’une même
politique publique, ces actifs regroupant plusieurs chantiers techniques. À ce stade, cependant,
rien n’indique que ces évolutions méthodologiques garantiront une estimation plus fiable des
gains attendus, ni que leur instruction par la Dinum s’en trouvera améliorée.
2.1.2.2
Le rôle prépondérant des directions métier et informatique ministérielles
Les procédures d’avis conforme et d’audit prévues aux articles 3 et 4 du décret du
25 octobre 2019 permettent à la Dinum de peser sur l’orientation et la conduite des projets
numériques ministériels les plus significatifs sur le plan budgétaire.
Pour autant, les moyens dont elle dispose pour mettre en œuvre ces deux procédures
(huit agents mi-2024 occupant les fonctions de directeurs de projets, dix en cible) paraissent
limités au regard du nombre de projets à suivre (48 fin 2023, dont une dizaine entrés dans le
panorama au cours de l’année coulée) ainsi que de l’ampleur et de la complexité technique de
certains d’entre eux.
Par ailleurs, même dans le cadre de ces procédures réglementaires, la Dinum peut se
heurter aux réticences des directions numériques et métiers des ministères, qui conservent la
maîtrise de la gouvernance de leurs projets numériques,
a fortiori
si la part du financement
interministériel dont ils bénéficient est faible. Ainsi, dans le cas de deux projets emblématiques
de la DGFiP qui connaissent des difficultés importantes, l’IGF notait que
« les avis de la Dinum
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
26
sur le fondement de l’article 3 du décret n° 2019-1088 concernant les projets ROCSP et Pilat
n’ont pas permis d’alerter sur les risques afférents à ces calendriers »
18
.
Dans le cas de ROCSP, la Dinum recommandait, dans son avis du 11 mars 2021, de
sécuriser en priorité l’expérimentation, prévue en 2022, de la bascule dans le nouveau SI de
l’application AMD, consacrée au recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires.
L’important retard pris sur le volet relatif au recouvrement des créances de l’État sur les
particuliers et les nombreuses difficultés rencontrées lors d’une expérimentation locale ont
conduit la DGFiP à ne pas suivre cette recommandation de la Dinum et à faire passer cette
bascule au second plan. Par la suite, la DGFiP a finalement pris la décision de sortir le
recouvrement des amendes du champ du projet ROCSP en développant une application
distincte pour remplacer AMD en 2027 (projet Nara, qui fait l’objet d’une saisine en cours de
la DINUM au titre de l’article 3) et de saisir (mi-2023) la Dinum d’une demande d’expertise et
d’accompagnement au titre de l’article 4. Concernant le volet du recouvrement des particuliers,
la DINUM a rendu un avis conforme fin septembre 2024, les développements devant être
achevés fin 2028.
En outre, la Dinum dépend entièrement des ministères pour obtenir les données et
informations nécessaires à son instruction, qu’elle examine peu pour ce qui concerne les gains
prévisionnels. Elle-même relève à cet égard que les porteurs de projets concentrent leur
attention sur les aspects techniques et métiers, et sur le respect des enveloppes budgétaires qui
leur sont allouées. La valeur apportée par le projet et, singulièrement, les gains de productivité
qu’il est susceptible de dégager ne sont, le plus souvent, estimés et exprimés sous la forme
d’indicateurs que dans un second temps
19
.
Ces difficultés ne sont pas propres à l’action de la Dinum. À la DGFiP, la mission de
contrôle de gestion des systèmes d’information (MCGSI, rattachée au service stratégie,
pilotage, budget) est chargée de suivre et de rendre compte de l’avancement des projets
numériques. Placée dans une position indépendante par rapport au service des systèmes
d’information, elle joue un rôle d’animation qui la conduit notamment à fournir un appui
méthodologique aux chefs de projet dans la réalisation des études Mareva. Dans le cadre de
réunions présidées par le directeur général adjoint des finances publiques, qui associent le chef
du service métier concerné, la mission participe à l’examen critique des hypothèses de gains
émises pour chaque projet. En pratique, sa capacité à valider ces hypothèses apparaît néanmoins
limitée
20
et elle n’est pas davantage en mesure de suivre précisément les gains effectivement
réalisés après l’achèvement des projets.
Pour tenter de remédier à ces difficultés, le comité interministériel de la transformation
publique du 9 mai 2023 a décidé de la mise en place d’une conférence numérique annuelle
associant la Dinum, la direction du budget et chacun des ministères. L’objectif de ces
conférences serait de parvenir à mieux appréhender les trajectoires ministérielles de
transformation numérique, à suivre l’atteinte des objectifs d’impact associés à ces trajectoires
18
Inspection générale des finances,
La dette technique et le pilotage des systèmes d’information de la
direction générale des finances publiques
, janvier 2023, p. 40.
19
Sauf dans le cas des projets pour lesquels un financement par le Fonds pour la transformation de l’action
publique est recherché, puisque l’évaluation des gains attendus est nécessaire pour candidater.
20
À cet égard, l’IGF notait, dans son rapport précité (annexe II, p. 26), que
« les estimations initiales ne
sont pas suffisamment challengées en interne, notamment par la MCGSI […] »
.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
27
et à garantir leur soutenabilité budgétaire à trois ans en couvrant la totalité des crédits consacrés
aux dépenses informatiques.
Avant de décider éventuellement de leur généralisation, ces conférences ont été
expérimentées au premier semestre 2024 avec trois ministères (ceux chargés de la culture, de
l’éducation nationale et des affaires sociales). Si les questions de gains de productivité ne
semblent pas avoir été examinées à cette occasion, de nouveaux indicateurs ont néanmoins été
mis en avant, consistant à :
-
rapporter le coût total de possession
21
des produits numériques à leur valeur
22
, afin
d’identifier les plus utiles et efficients d’entre eux ;
-
estimer la dette technique et fonctionnelle.
Cette expérimentation a permis à la Dinum d’obtenir une connaissance plus complète
des budgets alloués au numérique dans son ensemble par les trois ministères. Elle laisse
envisager à terme la possibilité d’une analyse plus exhaustive et rigoureuse des portefeuilles
ministériels d’actifs numériques et d’un éclairage par la valeur des arbitrages politiques et
budgétaires.
2.2
Une démarche volontariste initiée par le FTAP mais qui demeure
inaboutie
Le Fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP) est un outil budgétaire
interministériel créé en 2017 dans le cadre du Grand plan d’investissement afin de financer des
projets de réforme structurelle susceptibles d’accélérer la transformation de l’État et de
contribuer à la mise en œuvre des politiques prioritaires du Gouvernement.
À cette fin, il a été doté à sa création d’une enveloppe de crédits de 700 M€, complétée
en 2022 à hauteur de 80 M€, à ouvrir et consommer progressivement sur le programme 349
« Fonds pour la transformation de l’action publique » du budget général de l’État. En 2023, le
FTAP a été reconduit pour la période 2023-2025 avec une nouvelle enveloppe budgétaire
prévisionnelle de 330 M€.
Au total, entre 2018 et 2023
23
:
-
parmi plus de 450 candidatures reçues, 149 ont été finalement retenues, soit un tiers
environ, représentant un budget prévisionnel global d’environ 1,7 Md€ ;
-
le montant net des crédits de paiement ouverts et attribués par le FTAP aux projets
lauréats s’est élevé à 824 M€, soit trois quarts environ du montant total des enveloppes
précitées ; 66 % de ces crédits ont été effectivement consommés (soit 549 M€), pour
près de la moitié environ pour des projets du MEFSIN ;
21
Toutes les dépenses qui seraient évitées si le produit n’était pas maintenu : matériel, logiciel, dépenses
de personnel, etc.
22
Mesurée du point de vue de l’utilisateur final, il s’agit du prix de marché du service offert.
23
Rapport annuel de performances du programme 349 « Transformation publique » annexé au projet de
loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2023, avril 2024, p. 5.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
28
-
25 % des projets sélectionnés ont été menés à terme et 9 % ont été interrompus.
Si le fait d’être en mesure de dégager des gains de productivité constitue l’un des critères
d’éligibilité d’un projet innovant au financement du FTAP (2.2.1), les estimations qui figurent
dans les contrats de performance finalement signés résultent d’un processus purement déclaratif
et font, en pratique, l’objet d’un examen limité de cohérence (2.2.2). Pendant l’exécution des
contrats, ces estimations ne sont que rarement remises en cause (2.2.3). Une fois les projets
achevés, les gains de productivité obtenus font l’objet d’un suivi purement formel (2.2.4).
2.2.1
Un impératif de gains de productivité posé par le cahier des charges du
FTAP
……
Un objectif clé du FTAP est de stimuler la productivité de l’action publique. Les projets
qu’il finance
24
sont censés améliorer la qualité et l’accessibilité des services publics, en
particulier grâce à la transformation numérique. Ils visent aussi à moderniser l’environnement
de travail des agents publics et les procédures internes des administrations.
Les conditions d’attribution de ces crédits sont précisées dans un cahier des charges
25
qui rappelle en préambule que les projets éligibles sont notamment ceux qui
« dégagent un
retour sur investissement, les économies et les gains de productivité pris en compte pouvant
donner lieu à une réduction de crédits ou bien être redéployés par le porteur vers le financement
d’autres priorités de l’action publique »
.
Parmi les critères d’impact
26
fixés par le cahier des charges, le deuxième critère
s’intitule « Retour sur investissement ». Pour le satisfaire, le porteur de projet doit décrire et
chiffrer dans le dossier de candidature les économies qu’il en attend, étant notamment précisé
que :
-
« toutes les natures d’économies sont prises en compte : baisse des coûts de
fonctionnement, baisse des coûts immobiliers, suppressions d’ETP, etc. »
;
-
en matière de personnel,
« Seules les économies qui peuvent se concrétiser par le gain
d’un emploi réel doivent être présentées, que l’emploi soit effectivement supprimé ou
que l’agent soit redéployé sur d’autres missions. Les gains de fraction d’ETP ne sont
pas retenus. Seuls les ETP entiers sont considérés. De même, les gains diffus de temps
de travail (ex. : 10 minutes par jour pour 250 agents) sont exclus sauf si le volume
d’agents dans une structure est tel qu’il permet d’envisager des suppressions ou des
redéploiements de postes »
;
-
« le porteur devra par ailleurs pouvoir suivre les économies envisagées au cours du
projet et effectuer un bilan des économies réellement constatées à la fin du projet »
.
24
Lorsque ces projets sont portés par les services de l’État, leur coût total prévisionnel, qui doit être
supérieur à 1 M€, peut être financé jusqu’à 50 % par le FTAP.
25
Ministère de la transformation et de l’action publiques,
Cahier des charges du Fonds pour la
transformation de l’action publique
, juillet 2023.
26
Aux deux autres critères d’impact – « Bénéfice pour les usagers et/ou les agents » et « Potentiel de
mutualisation et de réplicabilité » –, s’ajoutent trois critères de conception et de réalisation : « Structuration du
projet, capacité à le mener et, une fois achevé, à le gérer en interne », « Respect des engagements de l’État au titre
du programme services publics écoresponsables » et « Qualité de l’association des usagers et des agents ».
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
29
En pratique, les candidats sont invités à rechercher aussi les économies indirectes (par
exemple, les coûts de contentieux évités ou les économies de redistribution, type prestations de
santé) et les recettes directes, pérennes ou ponctuelles (par exemple, une hausse de recettes
fiscales ou une nouvelle offre de services facturables), auxquelles le projet est susceptible
d’aboutir, quand bien même elles ne sont pas prises en compte par le FTAP dans le calcul du
retour sur investissement (cf.
infra
).
Dès le stade du cahier des charges, il apparaît clairement que l’existence de gains de
productivité pouvant être documentés et formalisés constitue un prérequis pour pouvoir
candidater auprès du FTAP et, par la suite, un élément déterminant de la décision d’attribution
de son financement.
Des modalités innovantes, mais largement ajustées depuis 2018
S’inspirant du Fonds pour la réforme de l’État créé en 1997 pour financer la modernisation
de l’administration selon un système d’appels à projets, le FTAP s’en distingue par quatre aspects
clés : un rôle de pilote de la transformation publique, une enveloppe budgétaire pluriannuelle, un
processus de sélection compétitif, une logique de retour sur investissement (chaque euro investi
devant générer au moins un euro d’économie à trois ans).
À son lancement, en 2018, deux sessions annuelles d’appel à projets étaient organisées. Les
administrations candidates devaient soumettre des dossiers complets et le comité de sélection du
FTAP disposait d’un délai d’instruction relativement long.
Le faible niveau de consommation des crédits qui en a résulté a fait peser un doute sur la
capacité du fonds à avoir un effet significatif en termes de transformation de l’action publique. En
2019, la Cour des comptes soulignait ainsi la nécessité d’une accélération très nette de la mise en
œuvre du FTAP pour respecter sa programmation et éviter des reports de crédits
27
.
Par la suite, plusieurs changements ont été apportés au fonctionnement du FTAP :
-
initialement placé sous la responsabilité de la DB, son pilotage a été confié à la DITP à
compter de 2021 ;
-
le critère d’un euro économisé au bout de trois ans pour un euro investi, qui était au cœur de
l’approche initiale, a été largement assoupli ;
-
le processus de sélection est passé d’un système d’appels à projets à un système de
« guichet » dans lequel les projets peuvent être déposés « au fil de l’eau » ;
-
son champ a été étendu aux administrations déconcentrées afin de permettre aux préfets de
région de soutenir des projets territoriaux ;
-
ses crédits peuvent financer l’amorçage des projets (contours, besoins et modalités de
financement) qui paraissent prometteurs, mais insuffisamment aboutis.
La reconduction du FTAP à compter de 2023 s’est accompagnée d’une révision des critères
de sélection et du cahier des charges
28
afin de tenir compte des nouvelles orientations en matière de
transformation publique (simplifier les parcours usagers, tout en conservant une forte composante
numérique), avec une attention accrue portée au retour sur investissement des projets.
27
Cour des comptes,
Note d’analyse de l’exécution budgétaire en 2018 de la mission « Action et
transformation publiques »
, mai 2019, p. 4.
28
Ministère de la transformation et de l’action publiques,
Cahier des charges du Fonds pour la
transformation de l’action publique
, juillet 2023.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
30
2.2.2
Dans la phase précontractuelle, des prévisions de gains de productivité soumis
à un examen de cohérence
Depuis la reconduction du FTAP en 2023, le processus d’attribution comporte une phase
de présélection qui, selon les termes du cahier des charges (page 20),
« intervient très en amont.
Cette phase permet au porteur de projet de vérifier, dès le stade de l’idéation ou du pré-
cadrage, si son projet est éligible au FTAP et s’il correspond aux priorités du fonds »
.
Des bénéfices significatifs pour les agents et les usagers, un retour sur investissement
suffisant, un potentiel avéré de mutualisation et une structuration adéquate du projet constituent
les principaux critères d’éligibilité examinés au cours de cette phase.
Le cas échéant, une phase de préparation s’engage, au cours de laquelle le porteur de
projet est accompagné par un rapporteur choisi parmi les agents de la DITP ou de la Dinum en
fonction de la nature du projet. L’objectif est de s’assurer que le projet présente un niveau de
maturité suffisant sur les plans technique et organisationnel, et une formalisation adéquate,
s’agissant notamment du calcul du retour sur investissement.
Lorsque cette phase se conclut de manière satisfaisante, le porteur de projet et le
rapporteur qui l’a accompagné présentent le projet à un comité d’investissement
29
appelé à
statuer, au terme d’une instruction
30
de deux mois environ, sur le dossier de candidature et le
projet de contrat de transformation.
L’examen des comptes-rendus des réunions d’investissement (cf. annexe n° 4) permet
de constater que la question du caractère suffisant des gains de productivité et de leur correcte
justification est souvent abordée dans les échanges.
Sans nécessairement les expertiser au fond, les membres du comité font un examen
critique des gains de productivité prévisionnels déclarés par les porteurs de projets, pour
remettre en cause leur réalisme ou relever leur insuffisante documentation. Le résultat de cet
examen pèse souvent dans la décision d’ajourner l’attribution du financement ou de rejeter la
candidature.
Une fois qu’une décision d’approbation est rendue, un contrat de performance est signé
dans un délai maximum de deux mois
31
par le délégué interministériel à la transformation
publique et, dans le cas d’un projet ministériel, le secrétaire général compétent et le directeur
d’administration centrale lauréat.
29
Présidé par le ministre de la transformation et de la fonction publiques, le comité associe la directrice
du budget, la directrice interministérielle du numérique et le chef du service du pilotage des transformations de la
direction interministérielle de la transformation publique. Le secrétariat du comité est assuré par la DITP.
30
La Dinum instruit le volet technique, tandis que le secrétariat du FTAP expertise la structuration et la
gouvernance du projet, l’association des usagers, le plan de financement et le retour sur investissement. La
direction du budget examine les économies déclarées et la fiabilité de ces prévisions.
31
Cette obligation figure dans le cahier des charges du FTAP depuis 2022.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
31
Parmi les rubriques qui figurent dans le contrat type, trois rubriques
32
concernent
directement le sujet des gains de productivité :
-
« 3. Les économies prévisionnelles engendrées par le projet » : la rubrique détaille les
économies attendues, qui sont normalement celles déclarées par le porteur de projet dans
le dossier de candidature ;
-
« 5.2. Indicateurs de résultat et d’impact » : la rubrique liste les indicateurs qui seront
suivis selon les modalités décrites à la rubrique
-
« 7. Matérialisation des économies réalisées ».
L’annexe n° 5 illustre la nature des informations renseignées dans les deux premières
rubriques.
Dans les contrats de transformation examinés, la manière dont les économies et les gains
de productivité ont été estimés à la cible n’est pas toujours explicitée, ou assez brièvement,
surtout dans les contrats les plus anciens. Les gains attendus ne sont, dans l’ensemble, pas
présentés de manière homogène et il est souvent difficile de comprendre s’il s’agit de gains
ponctuels ou cumulés. Les paramètres de calcul, lorsqu’ils sont détaillés, ne sont pas toujours
les mêmes (notamment ceux utilisés pour évaluer les économies de masse salariale).
Par ailleurs, s’agissant d’informations qui résultent d’un processus éminemment
déclaratif, les moyens de les contrôler sont très limités. À cet égard, la Cour a déjà eu l’occasion
de relever que
« certaines projections peuvent être considérées comme très optimistes ou
extensives ou sont des extrapolations hardies »
33
. Consciente de la nécessité de fiabiliser
davantage les économies et les gains anticipés, la DITP préparerait un
vade-mecum
à l’intention
des candidats à un financement du FTAP.
Le véritable enjeu, celui des gains de productivité réellement obtenus pendant le projet
après son achèvement, fait l’objet de la dernière des trois rubriques précitées, intitulée
« 7. Matérialisation des économies réalisées ». Dans les contrats examinés, celle-ci indique
invariablement que
« La matérialisation des économies liées au projet est suivie annuellement,
conformément aux indicateurs définis au paragraphe 5.2. Le porteur de projet communique au
secrétariat du fonds les économies effectivement réalisées et explicite les raisons des éventuels
écarts avec les prévisions exposées dans le présent contrat »
.
2.2.3
Pendant le déroulement du contrat, des prévisions de gains de productivité
qui ne sont que rarement remis en cause
Après la signature du contrat de transformation, le déroulement du projet fait l’objet
d’un examen renforcé au fil de l’eau de la part du secrétariat du FTAP afin de veiller au respect
des engagements pris.
32
Les autres rubriques sont les suivantes : « 1. Présentation du projet de transformation », « 2. Besoins et
modalités de financement du projet », « 4. Calendrier, gouvernance et modalités de réalisation des projets », « 5.1.
Indicateurs d’avancement », « 6. Modalités et calendrier de versement des aides », « 8. Modifications du contrat
de transformation », « 9. Communication liée au projet ».
33
Cour des comptes,
La direction interministérielle de la transformation publique : organisation,
missions et gestion – Exercices 2018-2022
, mai 2023, p. 53.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
32
Au sein de la DITP, des directeurs d’investissement suivent ainsi les portefeuilles
ministériels de projets à un rythme plus ou moins soutenu selon le niveau de risque et les
difficultés rencontrées. Ils participent en tant que de besoin aux instances de gouvernance et
pilotage mises en place par les porteurs de projets. Les projets qui connaissent le plus de
difficultés et ceux pour lesquels les engagements, notamment budgétaires, qui figurent au
contrat de transformation ne sont pas ou insuffisamment respectés sont réexaminés par le
comité d’investissement qui peut décider d’annuler les crédits restants à consommer.
Sur le plan opérationnel, les directeurs d’investissement disposent d’un outil de
reporting dénommé « QMark » qui leur permet de suivre globalement l’avancement des projets.
Cette base de données est renseignée par les porteurs de projets qui y saisissent, puis mettent à
jour, à un rythme trimestriel ou mensuel selon les cas, les principales informations suivantes :
-
coût global du projet, consommations budgétaires, calendrier et jalons ;
-
principales réalisations du projet et risques qui pèsent sur son déroulement ;
-
nombre d’usagers et d’agents concernés, nature des bénéfices attendus ;
-
économies directes, économies indirectes et nouvelles recettes constatées et attendues.
Alors que, en cours de contrat, les directeurs d’investissement peuvent, par exemple,
vérifier les consommations budgétaires déclarées à l’aide du progiciel comptable Chorus, ils ne
disposent pas
« d’éléments pour être plus ferme à l’égard des estimations des porteurs, faute
de pouvoir contre-estimer ou évaluer les économies avérées »
34
.
Un examen critique des gains de productivité annoncés paraît d’autant plus difficile que
les projets numériques de l’État ont souvent, en raison de leur complexité, une durée de mise
en œuvre longue (4 à 5 ans) et connaissent des retards fréquents, accentués entre 2020 et 2022
par la crise sanitaire. Or, les économies et recettes supplémentaires ne peuvent généralement
être constatées qu’à l’achèvement des projets.
De fait, ces informations ne sont que rarement remises en cause pendant l’exécution du
contrat de transformation. Depuis 2018, ce sont toujours d’autres raisons que celles touchant à
la fiabilité ou au niveau des estimations de gains de productivité qui ont conduit, le cas échéant,
à suspendre, voire annuler, l’ouverture des crédits budgétaires : par exemple, un défaut de
reporting
de la part des porteurs de projet, l’absence de consommation des crédits, une alerte
sérieuse sur la conduite du projet, un audit mené par la Dinum au titre de l’article 4 du décret
d’octobre 2019 aux conclusions défavorables, etc. Les contrats de transformation ne font, en
outre, pas l’objet en pratique d’avenants pour actualiser les prévisions initiales de coûts et de
gains (le cas échéant, ce serait sans doute le plus souvent à la hausse dans le premier cas et à la
baisse dans le second).
Dans la période récente, en réponse à la Cour qui relevait l’absence
« de mécanisme
effectif conduisant les porteurs de projets à démontrer les économies qu’ils déclarent »
35
, la
DITP et la direction du budget avaient indiqué vouloir
« mener une réflexion visant à obtenir
des informations au-delà du déclaratif des porteurs de projets, à partir notamment de livrables
34
Rapport annuel de performances du programme 349 « Transformation publique » annexé au projet de
loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2023, avril 2024, p. 10.
35
Cour des comptes,
Note d’analyse de l’exécution budgétaire en 2022 de la mission « Transformation
et fonction publiques »
, avril 2023, p. 47.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
33
budgétaires structurants (PAP, RAP, plafonds d’emplois, contrats informatiques, synthèses en
matière de recettes fiscales, etc.) »
36
. À ce stade, cette réflexion ne semble pas avoir abouti.
Plus récemment, la Cour relevait que le secrétariat général du FTAP
« a par ailleurs
construit un outil de bilan standard afin de vérifier l’atteinte des objectifs d’économies, revus
et ajustés tout au long du projet. Ce bilan devrait être intégré à l’outil numérique du FTAP en
2024, afin de permettre un traitement plus fiable et centralisé des données concernant les
économies »
37
. Cette perspective reste à confirmer.
2.2.4
Après l’achèvement des projets, un suivi uniquement formel des gains de
productivité obtenus
La réalisation des gains de productivité s’apprécie au niveau des projets pris
individuellement (2.2.4.1). La DITP en rend aussi compte de manière globale (2.2.4.2).
2.2.4.1
Au niveau des projets pris individuellement
Une fois le projet achevé, conformément au paragraphe « 7. Matérialisation des
économies réalisées » du contrat de transformation, son porteur doit normalement rendre
compte annuellement des économies réalisées au secrétariat du FTAP et justifier, le cas échéant,
les écarts constatés avec les ciblés prévues au contrat.
Comme pendant la phase contractuelle, le suivi par la DITP des gains de productivité
réalisés repose entièrement sur les informations transmises par les porteurs de projet, avec les
mêmes aléas. Par ailleurs, ce suivi prend fin en même temps que le projet, alors que les gains
ne sont souvent susceptibles d’être constatés que dans les mois ou année qui suivent.
La DITP évalue le « rendement FTAP » des projets, qui s’écarte d’un retour sur
investissement classique. Pour le calculer, elle retient les économies de dépenses de personnel
et de fonctionnement directement attribuables au projet considéré, à l’exclusion des autres
sources d’économies ou des recettes supplémentaires potentielles, mais les rapporte au montant
du financement attribué, et non au coût total du projet. De telle sorte qu’un projet peut satisfaire
l’objectif de dégager au moins un euro d’économie pour un euro FTAP investi (rendement
FTAP supérieur ou égal à 1), alors que son retour sur investissement, toutes sources de
financement confondues, pourrait être en réalité défavorable (inférieur à 1).
2.2.4.2
Au niveau des projets pris dans leur ensemble
En 2021, le ministère chargé de l’économie tirait un bilan positif de l’action du FTAP,
soulignant que
« les montants des économies contractualisées jusqu’à présent sont conformes
36
Ibid
.
37
Cour des comptes,
Note d’analyse de l’exécution budgétaire en 2023 de la mission « Transformation
et fonction publiques »
, avril 2024, p. 38.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
34
aux ambitions initiales de la doctrine du FTAP. Les économies pérennes annuelles à l’issue du
déploiement de l’ensemble des projets sont quant à elles estimées à 870 M€ (hors projets
‘France Identité Numérique’ et ‘Plan Achats de l’État’) »
38
.
Mi-2023, la Cour soulignait que les prévisions d’économies directes avaient été revues
fin 2022
39
. En février 2023, la DITP n’annonçait plus ainsi que 600 M€ d’économies directes
pérennes potentielles, une fois tous les projets achevés
40
, pour seulement 100 M€ d’économies
effectivement constatées à la même date. Même si les économies doivent s’apprécier à moyen
ou long terme, cette estimation semblait donc encore surévaluée.
Dans les documents annexés aux projets de lois de finances, s’agissant de la mission
« Transformation et fonction publiques », la DITP rend compte de l’atteinte de différents
objectifs, dont celui de la bonne mise en œuvre des projets financés par le FTAP. Deux
indicateurs de performance sont présentés à ce titre : outre la part des projets achevés à date, le
retour sur investissement global des projets financés est mesuré en exécution et en cible.
Dans ce cadre, la DITP évaluait, en avril 2024, à 1,5 le retour sur investissement
prévisionnel des projets financés jusqu’en 2022 et retenait un rendement cible de 1,4 pour ceux
financés jusqu’en 2023 et 2024,
« calculé dans la suite des précédents résultats en considérant
les économies déclarées par 130 porteurs de projets (exclusion des projets en cours de
contractualisation ou stoppés) bénéficiant de près de 748 M€ de financements sur le FTAP »
41
.
Ces estimations correspondraient à des économies directes de l’ordre de 1,0 Md€, un montant
encore manifestement très supérieur aux prévisions annoncées début 2023 (0,6 Md€) et aux
résultats que les porteurs de projet déclaraient
42
à la DITP avoir réalisés mi-2023 (0,2 Md€).
Au surplus, les analyses de la Cour détaillées ci-avant montrent que ces estimations sont
fragiles, car fondées sur des données prévisionnelles déclaratives difficilement vérifiables,
largement extrapolées et éventuellement atteignables à une échéance beaucoup plus longue.
Dans la perspective du bilan prévu en 2025 qui visera à apprécier l’effet de levier de la seconde
vague de crédits attribués, la Cour rappelle sa recommandation de mai 2023 – calculer de
manière plus rigoureuse les économies avérées permises par les projets financés par le FTAP
et les rapporter à l’ensemble des coûts supportés par les administrations pour les mettre en
œuvre –, formulée à l’occasion de son enquête précitée sur la DITP, qui avait indiqué la
partager, sans toutefois l’avoir encore mise en œuvre.
38
Ministère de l’économie, des finances et de la relance,
Bilan des réformes de productivité de l’action
publique
, octobre 2021, p. 6.
39
Cour des comptes,
La direction interministérielle de la transformation publique : organisation,
missions et gestion – Exercices 2018-2022
, mai 2023, pp. 54-55.
40
Ministère de la transformation et de la fonction publiques,
Dossier de presse « Investir pour transformer
l’action publique – Fonds pour la transformation de l’action publique »
, février 2023, p. 12.
41
Rapport annuel de performances du programme 349 « Transformation publique » annexé au projet de
loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2023, avril 2024, p. 10.
42
Assemblée nationale,
Rapport n° 1680 fait au nom de la commission des finances, de l’économie
générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, annexe n° 46 « Transformation et
fonction publiques »
, p. 29.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
35
2.3
Un retour sur investissement des projets numériques insuffisamment
suivi
Qu’un projet relève ou non du FTAP, la notion de rentabilité devrait être un élément
majeur dans la décision de lancement puis de son pilotage, a fortiori dans une période où les
capacités budgétaires publiques sont limitées. Le fait de mobiliser des ressources humaines,
techniques et financières ne devrait se faire qu’au regard d’un gain explicité et évalué.
Pour les projets numériques de l’État, l’évaluation des gains en amont apparaît souvent
lacunaire ou trop théorique (2.3.1). Une fois le projet validé et lancé, la notion de retour sur
investissement n’est plus réellement questionnée, ou ne l’est que formellement (2.3.2). Malgré
ces faiblesses, il apparaît que la démarche d’évaluation
ex ante
reste nécessaire et doit être
valorisée notamment dans le cadre du dialogue de gestion interne à l’État (2.3.3).
2.3.1
Une évaluation insuffisante
a priori
Au-delà des dépenses d’investissement et de fonctionnement liées aux projets
informatiques eux-mêmes, la Mareva (cf. 2.1.2
supra
) suppose de calculer les gains et dépenses
supplémentaires engendrés par les projets. Ces données peuvent correspondre à :
-
une baisse des effectifs, exprimée en équivalent-temps plein (ETP) puis évaluée à un
coût moyen. Une telle évolution est liée à une perspective d’augmentation de la
productivité permise par le futur système d’information (automatisation de tâches,
procédures plus fluides, etc.). Ces baisses peuvent se traduire dans un schéma d’emploi
ou non, si l’administration fait le choix de les redéployer, sur de nouvelles missions ou
sur des fonctions à plus forte valeur ajoutée ;
-
une évolution des coûts de fonctionnement qui peuvent augmenter, d’une part, avec la
maintenance d’un nouvel outil informatique, mais qui peuvent baisser, d’autre part, avec
l’arrêt d’autres outils obsolètes. Des charges diverses peuvent également être réduites
(coûts d’impression ou d’affranchissement par exemple du fait de la numérisation de
procédures jusqu’ici manuelles) ;
-
des recettes nouvelles, notamment pour les applications en lien avec le champ fiscal dès
lors que les systèmes d’information permettent de mieux lutter contre la fraude,
d’actualiser des bases d’imposition ou d’augmenter le nombre de dossiers traités par les
agents. Accroître, de manière pérenne, les recettes de l’État à effectifs constants ou en
baisse est, de fait, un signe d’amélioration de la productivité des services.
Cette évaluation
ex ante
permet de calculer le retour sur investissement d’un projet et
son délai de retour (point mort). Elle permet d’apprécier le niveau de dépenses requis par un
projet au regard des gains qu’il génèrera. Quand bien même les raisons ayant motivé le
lancement d’un projet sont autres que les gains économiques attendus (obligation
réglementaire, obsolescence technique du SI existant, mise à niveau du service rendu aux
citoyens ou aux entreprises, etc.), ces projections apparaissent nécessaires pour arbitrer le
périmètre d’un projet puis suivre son déroulement. En cela, la Mareva constitue un passage des
plus utile pour les porteurs de projet.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
36
De fait, la DGFiP a généralisé l’utilisation de la Mareva à l’ensemble de ses projets
numériques et témoigne ainsi de l’attention qu’elle porte à la rationalité des choix
d’investissement. Si cette direction anticipe les gains apportés par les projets numériques,
l’analyse de plusieurs projets montre que les projections de gains sont parfois approximatives
(2.3.1.1). Même lorsqu’elles semblent documentées, les hypothèses émises peuvent rester
fragiles (2.3.1.2) et doivent être confrontées aux services utilisateurs du nouveau système
d’information (2.3.1.3).
2.3.1.1
Des projections de gains parfois approximatives
Anticiper et évaluer les gains permis par un projet numérique relève de la direction
métier bénéficiaire du futur système d’information. Malgré la connaissance des organisations
et processus métiers que la direction est supposée avoir, il peut arriver que les gains attendus
ne soient pas toujours précisément justifiés.
Tel a été le cas du projet Pilat, lancé en 2018 par la DGFiP avec pour objectif de tirer
profit des travaux d’analyse de données de masse ; améliorer la productivité du contrôle fiscal
en évitant les doubles saisies et le recours à de nombreuses applications ; améliorer le pilotage
central du contrôle fiscal. Avec un coût estimatif initial de 36 M€, le projet a été intégré au
panorama des grands projets numériques de l’État réalisé par la Dinum.
La DGFiP a évalué le gain en ETP permis par le projet à partir de l’enquête de suivi
annuel généralisé des effectifs des finances publiques (Sagerfip) qui recensait alors un total de
586 agents affectés à la mission de pilotage et animation du contrôle fiscal dans le réseau des
finances publiques. La DGFiP reconnaissait alors que
« la part des effectifs affectée aux travaux
de requêtage et autres statistiques n’est pas clairement identifiée »
, mais elle considérait
« qu’environ 200 agents »
travaillaient sur des travaux de statistiques, d’analyse ou de réponses
aux différentes demandes sur les résultats du contrôle fiscal.
Sur cette base, la DGFiP évaluait le gain résultant du projet PILAT entre 1 et 2 ETP par
direction territoriale, conséquence de l’automatisation de requêtes, de la suppression de la mise
à jour et de la maintenance des outils locaux, de l’automatisation de l’appariement manuel entre
créance de contrôle fiscal et recouvrement et de la sécurisation des mises en recouvrement. La
direction générale estimait que les services centraux bénéficieraient également de ces
évolutions, avec l’automatisation de l’agrégation de données au niveau national.
Au total, le gain était estimé à 150 ETP. L’allocation de ce gain a fluctué quant à son
impact calendaire aussi bien que financier. Sur le calendrier, les gains d’effectifs ont été
présentés avec un lissage sur les années 2021 (80 ETP) et 2022 (70 ETP)
43
puis en l’anticipant
quelque peu sur les années 2020 (50 ETP) et 2021 (100 ETP)
44
. Sur le volet financier, la DGFiP
avait initialement modélisé ces effectifs comme ayant la rémunération de cadres A, indiquant
que ces missions sont exercées par des personnels de grades différents (A+, A et B), dans des
directions de catégories différentes. Le gain affiché était alors de 16 M€ par an à la cible
45
. Par
la suite, elle les a répartis entre ETP de catégorie A (50 %) et B (50 %) pour un gain à la cible
43
Dossier FTAP déposé en septembre 2018.
44
Contrat FTAP signé en juin 2019.
45
Dossier FTAP déposé en septembre 2018.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
37
de 11,1 M€ / an
46
. Au même moment, elle a pourtant maintenu un calcul sur la base uniquement
de cadres A dans la Mareva avec un gain cible de 15,7 M€ à compter de 2021.
Par ailleurs, l’évaluation par la DGFiP des recettes supplémentaires permises par
l’amélioration du taux de recouvrement était de :
-
0,5 % des droits et pénalités recouvrés à partir de la deuxième année du projet (soit une
estimation à hauteur de 40 M€, sur la base d’un total encaissé en 2017 de 8 Md€) ;
-
1 % des droits recouvrés dès la troisième année du projet (soit 80 M€) puis de 5 % après
l’intégration des informations relatives au recouvrement et au contentieux (400 M€ / an
à l’issue du projet Pilat).
Ces hypothèses n’ont pas été détaillées plus avant. Néanmoins, dans le cadre de
l’analyse du dossier de candidature au FTAP, la DITP et le secrétariat général pour
l’investissement (SGPI) ont qualifié les économies de
« certaines et fortes »
47
. La DB les a
également admises en évaluant un retour sur investissement supérieur à 1 sur la base des seuls
gains d’effectifs
48
. S’il a été déjà indiqué que la Dinum et la DITP ne sont pas en mesure de
porter une analyse critique sur les gains de productivité annoncés par les ministères, il apparaît
que la DB ne dispose pas non plus de tous les éléments lui permettant d’émettre un jugement
critique.
Il est à noter que, alors qu’il devait initialement s’achever en décembre 2021, le projet
Pilat n’est pas encore opérationnel mi-2024. La date d’achèvement du projet est désormais
estimée à fin 2027. Les gains évalués ne peuvent donc pas encore être constatés, alors que le
coût du projet a été révisé à plus de 123 M€.
2.3.1.2
Des hypothèses qui peuvent être fragiles, bien qu’apparemment documentées
Les évaluations des gains de certains projets numériques peuvent être parfois mieux
documentées et faire l’objet de démarches structurées, sans toutefois reposer sur des hypothèses
pleinement explicitées ou robustes.
Le projet « Foncier Innovant », porté par la DGFiP, vise à rapprocher les informations
du plan cadastral et les données foncières fiscales avec celles issues de prises de vues aériennes
afin de détecter les bâtis non ou mal fiscalisés ainsi que ceux non représentés sur le plan
cadastral. Grâce à l’intelligence artificielle, il ambitionne de renforcer l’exhaustivité et la
fiabilité des bases fiscales et topographiques.
Lorsque le projet a été soumis à la Dinum en juin 2021, les gains documentés dans la
Mareva étaient :
-
des réductions d’effectifs : 40 ETP en 2022, 200 ETP en 2023 puis 300 ETP à partir de
2024. Selon la modélisation, il s’agissait chaque année de 70 % d’agents de catégorie B
(au coût moyen de 79,7 k€ / an en 2022) et 30 % d’agents de catégorie C (au coût moyen
de 64,7 k€), soit un coût moyen des personnels économisés de 75,2 k€ / ETP en 2022.
46
Contrat FTAP signé en juin 2019.
47
Avis DITP au dossier FTAP en date du 4 octobre 2018.
48
Avis DB au dossier FTAP en date du 8 octobre 2018.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
38
Pour les années suivantes, une hypothèse d’augmentation du coût des personnels de
2,3 % par an était retenue ;
-
des recettes nouvelles pour les collectivités territoriales : 13 M€ en 2022, 78 M€ en 2023
puis 130 M€ chaque année à compter de 2024.
Concernant la réduction des effectifs, l’hypothèse retenue est que 7 % environ des
emplois consacrés aux missions foncières et cadastrales pourraient être gagnés à la faveur de la
réduction des tâches liées à l’optimisation des travaux de relance et de vérification sélective des
locaux, aux tournées de conservation et à la mise à jour du bâti. Des travaux de gestion,
jusqu’alors manuels, seraient automatisés dans le cadre du projet.
Si cette hypothèse est énoncée, ses sous-jacents, que la DGFiP indique fondés sur un
suivi de l’activité, ne sont pas démontrés, tout comme leur montée en puissance sur trois ans.
Il est difficile de suivre l’exécution de cette projection. En avril 2024, le DGFiP indiquait
que 131 ETP (catégorie B) étaient «
économisés à date
» grâce au projet, pour une valorisation
de 5,5 M€ (hors CAS pension). Il s’agit de la projection issue de l’exercice de gestion
prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC) du corps des géomètres
cadastreurs, mené en 2022, en intégrant les hypothèses liées au Foncier innovant. La DGFiP
indique que ces 131 ETP devraient être constatés à fin 2026, 95 suppressions de poste étant
effectives à fin 2024, loin des 300 initialement projetées.
Concernant, l’ajout de recettes fiscales, la Cour a déjà mentionné que ces montants
n’étaient pas clairement expliqués. Ils sont censés se fonder sur une expérimentation menée par
le service de la documentation nationale du cadastre de décembre 2016 à fin 2019 ayant porté
sur six départements
49
et deux cas d’usage (détection de biens non évalués ou re-catégorisation
de biens mal évalués).
L’expérimentation est une démarche bienvenue pour anticiper de manière étayée les
gains apportés par un projet, mais les résultats ici retirés ne coïncident pas avec l’évaluation
cible qui en est projetée. Les recettes nouvelles obtenues dans le cadre de l’expérimentation
s’étaient élevées pour l’année 2019 à 1,1 M€. La DGFiP a estimé que ces résultats avaient
démontré la pertinence du Foncier Innovant mais restaient
« très en deçà des gains potentiels
dès lors qu’une faible partie des restitutions a été exploitée par le réseau s’agissant d’une
expérimentation »
. Elle a estimé que 130 M€ de recettes additionnelles étaient atteignables au
bout de trois ans, avec des gains de 13 M€ dès 2022, première année de mise en service, puis
de 78 M€ en 2023. Cette rapide progression des recettes fiscales, non explicitée, a permis de
présenter un délai de retour de 2 ans pour le projet.
La Cour a pu constater que, en 2022, ces gains se sont seulement élevés à 4,4 M€ de
recettes pérennes et 5,7 M€ de rectification d’impositions antérieures, concernant alors neuf
départements ayant expérimenté le dispositif
50
. Ces données ont confirmé que l’évaluation
initiale de 130 M€ de recettes additionnelles était trop ambitieuse. De fait, la cible a désormais
été revue à 60 M€. Bien que plus de deux fois inférieure à l’objectif initial, cette perspective de
gains, si elle était avérée, témoignerait de l’excellent retour sur investissement du projet.
49
Alpes-Maritimes, Charente-Maritime, Drôme, Guadeloupe, Martinique, Guyane.
50
Cour des comptes,
L’intelligence artificielle dans les politiques publiques : l’exemple du ministère de
l’économie et des finances
, octobre 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
39
2.3.1.3
Des projections qui doivent être confrontées aux services utilisateurs
Quand ils sont proprement documentés, les gains prévisionnels peuvent rester purement
théoriques et se confronter à la capacité des ministères à les assumer. C’est le cas notamment
lorsque sont modélisés des gains « diffus », c’est-à-dire s’ils sont émiettés dans le travail des
agents ou morcelés sur de nombreux services ou ministères.
L’exemple des projets de modernisation lancés par l’AIFE en 2018, et soutenus par le
FTAP, est en ce sens parlant. Ces projets concernaient la génération de la carte achat pour des
actes de faible montant ; l’automatisation du paiement de certaines dépenses ou encore le
recours à l’intelligence artificielle. Un travail sur l’évaluation des gains attendus a été mené de
manière détaillée.
Ainsi, sur la perspective d’imposer le recours à la carte achat pour les achats inférieurs
à 1000 €, l’étude préalable menée par l’AIFE, sur la base du nombre d’engagements juridiques
issus de Chorus, a évalué le nombre de demandes d’achats, d’engagements juridiques, d’actes
de constatation du service fait et d’actes de paiement. Avec l’utilisation d’une carte, il ne serait
plus nécessaire de procéder à des engagements juridiques (le temps gagné est estimé à 60
minutes par acte) ni à la constatation du service fait et à la demande de paiement pour les achats
ayant nécessité un service fait (temps gagné estimé à 15 minutes par acte). Le calcul aboutit à
un gain théorique de 893 ETP / an.
Tableau n° 2 :
Gains estimés d’une généralisation de la carte achats
aux dépenses inférieures à 1000 €
Carte achats
Demandes
d’Achat
Engagements
juridiques
Services
faits
Demandes de
paiement
Total
Nombre total annuel d’actes de
dépense (exercice 2017)
1 152 990
1 513 042
2 269 563
10 401 013
15 317 180
Dont nombre d’actes relatifs à la
commande publique
1 152 990
1 152 990
1 729 485
3 049 039
7 084 504
Dont nombre d’actes < 1 000 €
672 145
672 145
1 008 218
1 344 290
3 696 798
Hypothèse du nombre d’actes avec
utilisation carte achats en dessous de
1 000 €
672 145
0
0
336 073
1 008 218
Réduction du nombre d’actes
0
672 145
1 008 218
1 008 217
2 688 580
Temps estimé par acte (en minutes)
30
60
15
30
Gain en ETP associé à la réduction du
nombre d’actes
0
420
158
315
893
Source : AIFE, dossier de candidature pour le fonds de transformation de l’action publique (2018)
Néanmoins, entre l’élaboration du dossier de candidature et la signature du contrat
FTAP, ces perspectives de gains ont été confrontées aux ministères qui auraient été amenés à
les assumer. Ces estimations ont alors été fortement réduites. Au lieu de 893 ETP attendus, le
contrat de transformation passé entre le MEFSIN et la DITP a ramené le gain attendu à
seulement 52,8 ETP, soit près de 17 fois moins, réparti entre neuf ministères. Cette forte baisse,
résultant d’échanges interministériels, témoigne de la prudence des ministères en matière de
schéma d’emplois. Elle est formellement justifiée par l’abandon d’un éventuel caractère
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
40
obligatoire de la carte achat sur les achats de faibles montants du fait de l’absence de texte
réglementaire adéquat.
Sur la base des emplois que les ministères se disaient prêts à gagner, l’AIFE a calculé
le nombre de demandes de paiement dont l’imputation budgétaire devait être automatisée grâce
au recours à la carte achat. Elle s’est engagée à suivre cet indicateur, avec une cible de 46 527
actes couverts par la carte achat entre 2019 et 2021, loin et des 2,69 millions d’actes qui devaient
être gagnés dans la projection initiale.
En 2022, l’AIFE a constaté que seules 19 128 demandes de paiement avaient été
automatisées grâce au recours à la carte achat, soit 40 % de la cible revue. Si elle peut suivre
cet indicateur par l’analyse de Chorus, elle ne dispose pas des moyens de vérifier le nombre
d’emplois effectivement gagnés dans les ministères.
Les travaux visant à évaluer les gains apportés par les projets de système d’information
sont des éléments nécessaires à l’évaluation amont du projet, à son économie générale. Loin
d’être uniquement un passage obligé, elles permettent de tracer la voie vers laquelle
l’administration entend aller et sur laquelle elle peut s’engager. La robustesse des hypothèses
doit se confronter à la capacité des services métiers à assumer ces gains.
L’évaluation qui résulte de cette approche entre les maîtrises d’ouvrage et les utilisateurs
des systèmes d’information doit pouvoir être validée par les services interministériels qui ont à
se prononcer sur l’opportunité de tel ou tel projet. La DB, la Dinum et la DITP doivent pour
cela disposer de suffisamment d’informations pour apprécier la qualité des hypothèses émises
et valider les projets sur des sous-jacents solides.
2.3.2
Un suivi qui n’est pas actualisé en cours de projet et à l’issue
Même lorsqu’elles sont documentées, les perspectives de gains apportés par les projets
numériques restent un calcul théorique, effectué pour la validation dudit projet. La rentabilité
n’est plus réellement questionnée en cours de projet, notamment pour arbitrer les éventuelles
évolutions du projet (2.3.2.1). Le bilan qui est réalisé à la fin n’est pas non plus garant de
l’atteinte des objectifs spécifiquement assignés (2.3.2.2).
2.3.2.1
La rentabilité n’est plus questionnée en cours de projet
Une fois les projets lancés, l’attention, aussi bien de la Dinum que de la maîtrise
d’ouvrage, se porte naturellement sur le déroulé du projet lui-même, le respect de son coût, de
son calendrier et de son périmètre fonctionnel. Si ce suivi opérationnel est de fait prioritaire,
l’absence de préoccupation sur le retour sur investissement attendu tranche avec l’attention dont
ces projections de gain peuvent faire l’objet avant la validation du projet, notamment pour les
projets bénéficiant de crédits du FTAP.
Notamment, quand le coût ou le délai d’un projet de systèmes d’information dérape, la
réévaluation de son retour sur investissement n’est pas un élément des arbitrages sur le devenir
du projet. Alors même que cet indicateur est une donnée importante de la décision de lancer ou
non un projet, il n’entre manifestement pas en considération lorsqu’il s’agit de décider de
poursuivre ou pas le projet. Face à un projet qui devient critique, la Dinum peut réaliser une
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
41
mission d’expertise, d’audit, de contrôle ou d’évaluation du projet, dite mission « article 4 »
(cf. 2.1.1
supra
). Le projet Pilat a, comme évoqué, vu son coût fortement augmenter, tout
comme le délai associé, avec des interrogations en cours de réalisation sur le périmètre du
projet.
Tableau n° 3 :
Évolution du coût et de la date de fin prévisionnels du projet Pilat
Coût prévisionnel
Date de fin prévisionnelle
Septembre 2018
26,0 M€
(1)
Janv. 2021
Août 2019
36,0 M€
Janv. 2022
Janvier 2020
36,0 M€
Janv. 2022
Mai 2020
36,0 M€
Janv. 2022
Octobre 2020
41,3 M€
Janv. 2023
Juin 2021
41,4 M€
Janv. 2023
Novembre 2021
50,0 M€
Janv. 2024
Juin 2022
103,5 M€
(2)
Oct. 2024
Novembre 2022
123,5 M€
Janv. 2026
Juin 2023
123,5 M€
Janv. 2026
Source : Cour des comptes, à partir du dossier de candidature FTAP (2018), du dossier Dinum (2019) et du
panorama des grands projets numériques de l’État (2020 à 2023)
(1)
Ce montant n’intégrait que les coûts d’investissement du projet et non pas le coût de fonctionnement pendant
2 ans, estimé à 9,2 M€.
(2)
À compter de juin 2022, le coût prévisionnel du projet inclut les dépenses allouées à la conduite du changement
et la formation des 11 000 agents de la DGFiP, pour un coût annoncé par la DGFiP de 36,7 M€
Début 2023, la Dinum a mené un audit du projet au regard de sa dérive calendaire (5 ans)
et budgétaire (entre +50 M€ à périmètre constant selon la DGFiP à +110 M€ selon l’audit de la
Dinum)
51
. La mission, qui s’est déroulée sur un peu plus de trois mois, a beaucoup approfondi
les enjeux de sécurisation et d’évolution du projet. Si les gains attendus du projet Pilat ont bien
été rappelés au démarrage de la mission, ils n’ont pas été évoqués par la suite comme paramètre
pour décider du re-périmétrage du projet. La question du retour sur investissement n’a pas été
posée.
Il est vrai que l’audit a considéré que l’estimation du coût du projet de 123,5 M€ ne
reposait pas sur des hypothèses fiables, la gestion du budget du projet étant qualifiée de
« très
capacitaire, sans réelle maîtrise des dépenses »
et soulignant que
« le budget ne tient pas
compte des dernières dérives calendaires »
52
. De telles incertitudes pourraient sembler reléguer
au second plan la question du retour sur investissement et de la rentabilité du projet. Néanmoins,
l’audit recommande pourtant de repenser le périmètre du projet en priorisant « par la valeur ».
51
La Cour ne peut confirmer ces chiffres dès lors que l’objet du présent rapport n’était pas le contrôle du
projet PILAT.
52
Point d’avancement art. 4 Dinum – 11 avril 2023.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
42
Il s’agirait donc de bien mettre les gains attendus en face des dépenses liées au projet. Il aurait
donc fallu, pour cela, auditer aussi bien le coût prévisionnel du projet que les gains attendus.
Recommandation n° 1.
(DGFiP, SG MEFSIN, DITP, Dinum, DB) Procéder
systématiquement, en lien avec les services utilisateurs, à des études documentées
d’impact et de retour sur investissement des grands projets numériques de l’État puis
assurer le suivi des projets en termes de qualité de service et d’économies attendues.
Au-delà des destinataires précités, cette recommandation pourrait utilement être suivie
par l’ensemble des ministères.
2.3.2.2
Le bilan des projets ne peut toujours garantir les gains spécifiques liés aux projets
numériques
Au-delà des arbitrages réalisés en cours de projet, force est de constater que l’atteinte
spécifique des objectifs de gains de productivité n’est pas systématiquement suivie à l’issue
d’un projet.
Certains projets permettent de retracer précisément les économies induites, par exemple
le projet de « Timbre électronique ». Lancé en 2013, il visait à supprimer les timbres fiscaux
papiers, dans le cadre de la dématérialisation et de la simplification des relations avec les
usagers. Les économies attendues étaient de plusieurs ordres. D’une part, des économies
d’impression avec la dématérialisation des documents, ainsi que des économies sur les
commissions bancaires et les commissions versées aux débitants auxiliaires du timbre. D’autre
part des gains de productivité avec la réduction d’ETP liée à la suppression de la vente aux
guichets et par le temps économisé sur les travaux de gestion liés aux timbres fiscaux papiers.
Pour un coût total de 2,65 M€, ce projet a connu un retour sur investissement en deux ans.
Mais dans la plupart des cas, les gains, qu’il s’agisse de réduction d’effectifs ou de
charges ou de recettes nouvelles, ne peuvent pas être attribués spécifiquement à un projet
numérique. L’administration ne peut par ailleurs pas toujours garantir si les emplois qu’elle
avait indiqué pouvoir gagner ont été supprimés ou redéployés sur des tâches à plus forte valeur
ajoutée.
Les projets numériques prennent souvent place dans une série de mesures de
transformations. Ce fut le cas par exemple des services de publicité foncière (SPF) qui ont
connu plusieurs actions de modernisation depuis 2021 : une ample réforme d’organisation avec
la fusion effective de services territoriaux, dont le nombre est passé de 283 début 2021 à 123
en 2023 ; mais aussi des projets numériques comme l’ouverture des fichiers immobiliers aux
notaires (projet ANF) ou l’assistant digital « relance succession », robot qui récupère des
données dans plusieurs applications pour trouver les éléments utiles et préalables à la relance
des successions.
La DGFiP indique que l’assistant digital « relance succession » n’a pas permis de gain
en effectifs, mais une amélioration de l’exercice de la mission et de ses résultats (l’apurement
des fiches décès a progressé de 12,4 points en un an et de 19,6 points en deux ans).
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
43
Elle estimait en revanche, en juin 2022, que le projet ANF permettrait de gagner 470
emplois de catégories B et C, dont 103 seraient redéployés pour assurer à tous les SPF une taille
critique et pour résorber des délais de publication trop longs. Le gain net annoncé était donc de
367 ETP (190 en 2023 et 177 en 2024).
Entre fin 2021 et fin 2023, les effectifs des SPF sont passés de 3382 ETP à 3164 ETP.
Il serait toutefois hasardeux d’allouer cette baisse de 220 ETP au projet ANF ou même
d’estimer que les 190 ETP qui avaient été envisagés sur cette période ont bien été supprimés du
fait du projet.
Fin 2023, la Mareva du projet estimait que 94 ETP avaient été gagnés à date dans les
SPF avec le projet ANF. Mais la DGFiP reconnaît une absence de traçabilité en gestion.
Dans le même temps, le principal indicateur d’activité des SPF, à savoir le délai de
publication des actes immobiliers, est passé en moyenne nationale de 134 jours fin 2021
(situation post Covid) à 24,6 jours à fin juin 2024. Entre des baisses d’emploi et une forte
réduction du délai de publication, la productivité du service semble donc avoir fortement
augmenté. Mais il est difficile de dire si cela a été permis spécifiquement par les
développements des systèmes d’information, par les réorganisations territoriales des SPF ou,
plus prosaïquement, par le retournement du marché immobilier qui a vu le nombre de
transactions fortement décroître (publications passées de 4,88 millions en 2021 à 3,87 millions
en 2023, soit -21 %).
Les services ne disposent pas de grilles d’analyse assez fines pour pouvoir détailler les
sous-jacents des gains de productivité. Les projets numériques semblent constituer une pièce
indispensable de la modernisation des administrations et de leurs évolutions. Mais les données
disponibles ne permettent pas de leur affecter directement des gains ou économies, ni donc de
calculer un retour sur investissement incontestable.
2.3.3
Une démarche néanmoins nécessaire dans le cadre du dialogue de gestion
Quand bien même il est difficile de déterminer la part spécifique des projets numériques
dans les gains de productivité, force est de constater qu’une administration comme la DGFiP a
su moderniser son organisation, ses outils de travail et les services rendus aux citoyens tout en
réduisant significativement ses effectifs, qui ont diminué de 27 % depuis 2008.
Tableau n° 4 :
Évolution des effectifs de la DGFiP par catégories d’emplois – 2008-2022
Année
Cat. A
Cat. B
Cat. C
Total
Évolution
annuelle
Évolution
cumulée
2008
31 267
44 834
50 485
126 586
2009
31 727
45 852
47 038
124 617
-1,6%
-1,6%
2010
32 286
46 140
43 503
121 929
-2,2%
-3,7%
2011
32 371
46 019
39 574
117 964
-3,3%
-6,8%
2012
32 586
46 299
36 526
115 411
-2,2%
-8,8%
2013
32 731
45 728
34 827
113 286
-1,8%
-10,5%
2014
32 705
45 143
33 457
111 305
-1,7%
-12,1%
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
44
Année
Cat. A
Cat. B
Cat. C
Total
Évolution
annuelle
Évolution
cumulée
2015
32 375
44 797
31 896
109 068
-2,0%
-13,8%
2016
31 949
44 364
30 372
106 685
-2,2%
-15,7%
2017
31 476
43 068
30 329
104 873
-1,7%
-17,2%
2018
31 284
42 015
29 308
102 607
-2,2%
-18,9%
2019
30 964
41 432
27 708
100 104
-2,4%
-20,9%
2020
30 791
40 379
26 413
97 583
-2,5%
-22,9%
2021
30 626
39 230
24 813
94 669
-3,0%
-25,2%
2022
30 646
38 535
23 167
92 348
-2,5%
-27,0%
Source : DGFiP
Cette trajectoire en emplois résulte d’une démarche volontariste de la DGFiP et de la
DB visant à contribuer à la tenue des comptes publics et témoigne de réels gains de productivité
au sein de cette direction du MEFSIN. Si elle n’a pas été modélisée à partir des gains attendus
des projets numériques et de transformation, ces derniers l’ont assurément accompagnée.
Le travail d’évaluation
ex ante
apparaît utile dans le cadre du dialogue de gestion interne
aux administrations. Alors que la réduction des effectifs a initialement répondu à des impératifs
généraux (non remplacement de départs à la retraite dans le cadre de la revue générale des
politiques publiques), elle a pu, ces dernières années, s’opérer dans le cadre d’un dialogue de
gestion mieux construit avec la DB, dans une logique pluriannuelle dans la lignée des
évaluations prospectives des gains en emplois réalisées par la DGFiP.
Ce dialogue de gestion s’établit également entre les services centraux de la DGFiP et
les directions régionales et départementales. Les réductions d’emploi sont réparties par
l’administration centrale sur les différentes directions départementales, tenant compte des
effectifs effectivement en place mais également d’éventuelles spécificités locales (outre-mer
notamment). La répartition fine, service par service, est de la responsabilité du directeur
départemental.
Ce travail s’appuie avant tout sur le suivi annuel et général des effectifs du réseau des
finances publiques (Sagerfip). Ce recensement fonctionnel, réalisé au printemps et dont les
résultats sont communiqués en juin aux directions, permet de mieux connaître les fonctions
exercées par les agents de la DGFiP et constitue une aide au pilotage des moyens au niveau
central et local. Ainsi, il constitue un outil de « diagnostic managérial », accompagnant les chefs
de poste dans la répartition de leurs moyens.
La DGFiP rappelle que le poids des emplois implantés reste un critère important dans
la répartition des suppressions d’emplois, mais souligne qu’il est également tenu compte des
critères de charges et d’enjeux socio-économiques des directions. Aussi, la DGFiP précise que
la méthode d’allocation généralisée des emplois du réseau des finances publiques (Magerfip)
sera amenée à évoluer. Les évolutions consisteront à donner plus de poids aux critères métiers
afin de parvenir à une meilleure adéquation entre la méthode d’allocation des moyens et les
enjeux.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
45
Si la Cour renouvelait récemment sa recommandation
« d’évaluer les gains de
productivité induits par les réformes notamment numériques »
53
, la DGFiP indiquait en réponse
« avoir fait le choix de ne pas flécher directement les suppressions d’emplois permises par ces
réformes sur telle ou telle structure, mais de laisser le soin aux directeurs départementaux et
régionaux de répartir les suppressions d’emplois qui leur sont demandées sur les services de
leur choix »
.
Néanmoins, les modélisations des gains permis par les projets numériques, réalisées
par les services centraux, peuvent constituer également une aide à la décision pour les directions
territoriales. Elles relèvent en tout état de cause d’une démarche nécessaire et dont
l’amélioration continue sert l’objectif de performance de la gestion publique.
« On peut voir les ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité »
54
,
écrivait Robert Solow en 1987. L’économiste estimait que le développement de l’informatique
n’avait pas contribué à la performance de l’économie. S’il est encore malaisé d’attribuer
spécifiquement à tel ou tel projet numérique les réductions d’emploi de la DGFiP, on pourrait
estimer aujourd’hui que cet aphorisme est dépassé, même dans certaines administrations
publiques.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Les avis conformes que la Dinum émet théoriquement en amont de tout projet d’un coût
prévisionnel supérieur à 9 M€ portent sur les enjeux techniques et méthodologiques. Les gains
attendus, et notamment ceux de productivité, ne font presque jamais l’objet de constats ou de
recommandations. Par la suite, ils ne sont pas abordés non plus dans le panorama des grands
projets numériques de l’État, ni dans les audits diligentés lorsqu’un projet dérive.
La méthode Mareva suppose de calculer le retour sur investissement des projets en
formalisant les coûts directs et indirects ainsi que les économies et recettes additionnelles
attendues. La Dinum ne se penche toutefois pas sur le volet des gains, la direction métier
présentant des estimations qui ne sont pas nécessairement justifiées de manière détaillée.
Instauré en 2017, le FTAP a fait des gains de productivité un critère central de décision
de financement des projets. Les gains attendus ne sont toutefois expertisés au fond par la DITP,
la Dinum et la DB. Il s’agit de données déclaratives, tout comme celles renseignées dans les
bilans intermédiaires et finaux. Par ailleurs, le rendement, tel que calculé par la DITP,
rapporte les gains du projet au seul financement par le FTAP et ne traduit donc pas le véritable
retour sur investissement du projet.
Alors que la notion de rentabilité devrait être un élément majeur de la décision de
lancement puis du pilotage de tout investissement, l’évaluation des gains en amont (réduction
des effectifs, baisse des coûts de fonctionnement, augmentation des recettes) réalisée par la
direction métier apparaît souvent lacunaire ou théorique. Les projections peuvent être
approximatives, ou fondées sur des données discutables, qui sont revues à la baisse lorsqu’elles
sont confrontées aux services utilisateurs.
53
Cour des comptes,
Analyse de l’exécution budgétaire 2023, mission « Gestion des finances publiques »
,
avril 2024.
54
SOLOW, Robert,
We’d Better Watch Ou
t, New York Times Book Review, juillet 1987.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
46
Une fois le projet validé et lancé, la notion de retour sur investissement n’est plus
questionnée. Lorsqu’un projet connaît une dérive de son coût, elle n’est pas prise en
considération pour décider de le poursuivre, le réorienter ou l’arrêter. Enfin, à l’issue du
projet, le bilan intègre une évaluation actualisée des gains purement déclarative. Faute de
recoupements, elle ne permet pas, à date, de garantir le caractère tangible des gains ni de
s’assurer qu’ils sont liés au projet numérique lui-même et non pas à d’autres causes.
Malgré ces faiblesses, la démarche d’évaluation reste nécessaire et doit être valorisée
notamment dans le cadre du dialogue de gestion interne à l’État. Elle permet d’encourager et
d’objectiver une trajectoire d’économies.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
47
3
LA RECHERCHE D’APPROCHES COMPLÉMENTAIRES
POUR UNE PLUS GRANDE AMBITION ET UNE MESURE
PLUS FIABLE DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ ISSUS DES
PROJETS NUMÉRIQUES
Les exemples précédemment évoqués ont montré que les dispositifs et méthodes
jusqu’ici mis en place n’ont pas permis de s’engager de manière ferme sur les gains de
productivité issus des projets numériques, puis de les mesurer de manière fiable.
En amont, les lacunes dans le cadrage et l’encadrement des projets constituent un frein
à l’anticipation de ces gains (3.1). Anticiper et évaluer ces gains nécessiterait également une
connaissance fine des activités. À défaut d’une comptabilité analytique existante et robuste,
cela passerait par la mise en place d’indicateurs analytiques au sein des services bénéficiant des
applications numériques (3.2). Enfin, les technologies d’intelligence artificielle doivent
permettre de mettre l’enjeu de la productivité au cœur des futurs projets numériques (3.3).
3.1
Renforcer le cadrage des grands projets numériques
Le cadrage des projets au moment de leur lancement doit être renforcé pour confronter
les utilisateurs aux futurs outils puis aux premières réalisations, identifier de manière plus
tangible les gains de productivité attendus et disposer des informations nécessaires au suivi de
leur réalisation (3.1.1). Cela doit s’accompagner de nouvelles modalités d’intervention des
services interministériels que sont la DITP et la Dinum dans ces phases amont du projet, aussi
bien pour aider à faire évoluer les procédures internes aux services utilisateurs du futur système
d’information (3.1.2) que pour favoriser l’optimisation de moyens techniques mutualisés
(3.1.3).
3.1.1
Veiller au cadrage amont du projet
Dans le rapport sur la conduite des grands projets numériques de l’État qu’elle a remis
au Sénat en 2020
55
, la Cour soulignait les risques associés aux grands projets informatiques.
Dans les années 2010, les échecs des projets comme Louvois (gestion des soldes des militaires),
ONP (paie de 2,7 millions d’agents publics) et Cassiopée (unification de la chaîne pénale)
étaient dus à un excès d’ambition, l’imparfaite prise en compte des usages et une rigueur
insuffisante dans la mise en œuvre.
Avant même la phase de mise en œuvre, le cadrage préalable des projets reste une
nécessité pour s’accorder précisément sur les objectifs poursuivis au regard des usages
envisagés, sur la quantification des gains espérés, sur l’adéquation des moyens aux résultats
55
Cour des comptes,
La conduite des grands projets numériques de l’État
, juillet 2020.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
48
attendus, sur le calendrier et la méthode du projet visant à contenir au mieux les risques. Ce
cadrage est une étape indispensable pour qualifier et quantifier les gains attendus.
Lorsque cette étape n’est pas rigoureusement menée, les risques de dérapage sont élevés.
Les surcoûts du projet, son décalage calendaire et la possible révision à la baisse des gains
apportés réduisent alors fortement le retour sur investissement prévisionnel.
Les aléas rencontrés par le projet « e-enregistrement », porté par la DGFiP, en
témoignent. Engagé à l’été 2018, ce service en ligne visait à rendre instantanée la formalité de
l’enregistrement (déclarations de dons, de successions, de cession de droits sociaux). Les
usagers pouvaient ainsi bénéficier immédiatement du calcul automatique des droits dus et
recevoir un récépissé portant la mention d’enregistrement horodaté et authentifié.
Si des études de cadrage ont été conduites dès 2018 (ateliers avec un panel d’usagers
pour les déclarations de dons, travaux en bilatérale avec le notariat pour les successions), ce
travail s’est avéré insuffisant. Les lacunes dans le cadrage préalable du projet lui ont fait
connaître plusieurs aléas : les échanges ultérieurs avec le Conseil supérieur du notariat ont
amené la DGFiP à allotir le projet fin 2019 et donc revoir son organisation et calendrier ; une
enquête de terrain conduite par le bureau de la publicité foncière et fiscalité du patrimoine de
la DGFiP en juin 2022 (soit quatre ans après le lancement du projet) a mis en lumière un
nécessaire renforcement des contrôles d’intégration ; le module comptable retenu pour le
démarrage du service en ligne s’est avéré insuffisant au regard des enjeux des déclarations de
successions payantes. Enfin, la DGFiP a constaté que le retour sur investissement sur les
déclarations de successions non payantes n’était pas avéré, l’enregistrement de ces déclarations
constituant une variable d’ajustement dans l’organisation du temps de travail dans les services.
Par ailleurs, un bilan intermédiaire du projet a souligné que les gains prévisionnels
étaient possiblement surestimés du fait de plusieurs facteurs : une évolution de la volumétrie
des déclarations ; une surestimation du temps de saisie existant des déclarations de succession
par les agents (et donc, en miroir, des gains attendus); l’existence de tâches qui incombent aux
agents en matière de déclarations de succession jusqu’alors insuffisamment couvertes (relance
des défaillants, pénalisation des déclarations pour dépôt tardif) ; un nouveau rôle à confier aux
services locaux concernant les tâches qui ne pourraient être automatisées et resteraient
effectuées par les services. Ces éléments auraient logiquement dû apparaître au moment des
études de cadrage.
Les premiers modules du projet mis en service, prévus initialement en juin 2020 pour
les déclarations de don et en juin 2021 pour les déclarations de cession de droits sociaux, ont
connu un retard compris entre un et trois ans. Les modules restant à déployer (déclarations de
successions) sont prévus pour avoir jusqu’à six ans de retard. Le coût du projet, initialement
estimé à 6 M€ est aujourd’hui évalué à 19,2 M€.
Au total, alors que la valeur actuelle nette du projet devait initialement être largement
positive (+137 M€
56
), elle est aujourd’hui évaluée par la DGFiP comme négative (-631 K€
57
).
Si le projet a connu des aléas, comme les circonstances liées à la crise sanitaire, cette évolution
témoigne à quel point le défaut de cadrage du projet peut radicalement changer son économie
et les perspectives de gains associés.
56
DGFiP, Mareva du projet TéléEnregistrement (nom initial du projet) de septembre 2017
57
DGFiP, Mareva du projet e-Enregistrement de mai 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
49
Le projet « e-enregistrement » avait fait l’objet d’échanges interministériels dans le
cadre du FTAP, mais, comme vu précédemment, les modalités actuelles d’intervention de la
DITP et de la Dinum ne permettent en rien de garantir la réussite des projets.
3.1.2
Repenser l’intervention de la DITP pour accompagner l’évolution des
procédures
L’intervention de la DITP, à travers le FTAP, n’a pas constitué jusqu’ici un gage
suffisant de cadrage efficace des projets. Cela est notamment dû au fait que la délégation
interministérielle a entendu situer sa décision très en amont des projets. Dès lors que la
confirmation de financements par le FTAP constitue un préalable au lancement des projets, les
ministères ne mènent pas un travail précis de définition des objectifs et des cibles associées
dans le dossier de candidature qu’ils adressent à la DITP. Les projets ne bénéficient pas d’un
cadrage suffisant au démarrage, qui passerait par une analyse fine des procédures et des usages,
permettant d’évaluer précisément les gains de productivité envisageables, mais supposant un
investissement de base.
Dans le rapport de 2020 sur la conduite des grands projets numériques de l’État, la Cour
recommandait de s’engager dans une démarche de simplification des procédures et de la
réglementation préalablement au lancement des projets numériques d’ampleur, en adaptant
notamment les calendriers des projets et les calendriers réglementaires et législatifs pour les
mettre en cohérence.
La réingénierie des processus est une étape trop souvent négligée alors qu’elle est
essentielle pour tirer le meilleur potentiel d’un nouveau système d’information. La DITP
pourrait renforcer son appui aux directions maîtrise d’ouvrage en la matière.
La délégation interministérielle souligne que, depuis la vague de financements FTAP
lancée en 2023, la Dinum est associée en amont à l’instruction des projets et un de ses
représentants siège au comité d’investissement du FTAP. Par ailleurs, les ministères peuvent
bénéficier d’un accompagnement en amont par la DITP et la Dinum afin de sécuriser la
préparation et l’exécution des projets. Le cahier des charges du FTAP laisse désormais la
possibilité de disposer d’un montant maximum de 50 K€ pour le cadrage d’un projet, sur la
base d’une fiche dite « d’idéation », permettant de confirmer l’intérêt du projet. Cette possibilité
est encore trop récente pour que l’on puisse estimer si elle permet de répondre aux enjeux.
La DITP avait déjà initié une démarche d’appui méthodologique aux ministères à travers
un projet dit de « concentrateur d’excellence opérationnelle », lauréat du FTAP en 2019 qui a
bénéficié de 9 M€ de financements. Ces crédits ont financé des missions dites de « performance
opérationnelle » visant à « la réingénierie des processus internes de manière participative »,
en s’appuyant sur « des techniques d’automatisation et robotisation innovantes ». Elles
consistaient en un accompagnement, sur trois à quatre mois, autour de l’analyse de processus
et de leur optimisation. Aux termes du contrat de transformation, ces projets devaient générer
des gains directs en temps de travail et de
« capitaliser sur ces gains de productivité pour
réorganiser les équipes concernées (suppression d’ETP et réallocation d’ETP à d’autres
activités jugées prioritaires »
58
.
58
Contrat de transformation lié au concentrateur de projets d’excellence opérationnelle, novembre 2019.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
50
Le contrat de transformation de ces « concentrateurs d’excellence opérationnels »
présente trois premiers projets en faveur de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie (ADEME, pour un projet de traitement des demandes de subvention, dont le nombre
est en forte augmentation), de la direction générale de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes (DGCCRF, pour des modalités d’accueil et d’information
multicanale du public et déploiement du Centre Signal Conso) et de la DGFiP (assistants
digitaux pour des opérations de contrôles automatisés de la paie et d’opérations réalisées à
l’étranger).
Néanmoins, l’intervention de la DITP est avant tout méthodologique. Elle
n’accompagne pas les ministères dans la mise en œuvre des transformations et elle n’a donc
pas un retour d’expérience complet de ses prestations. La DITP n’a ainsi pas été en mesure de
communiquer à la Cour les bilans des projets qu’elle a accompagnés, quand bien même des
engagements d’économies étaient explicitement mentionnés dans le contrat de transformation.
La DITP indique qu’elle n’a pas produit de Mareva ni d’enquête QMark pour ce « concentrateur
d’excellence opérationnelle » qui est un guichet de plusieurs projets. Néanmoins, elle précise
qu’elle mettra en place, à compter de l’automne 2024, des enquêtes de type QMark pour les
projets ayant émargé à un guichet de financement.
Un bilan a néanmoins été fourni à la Cour sur une mission d’accompagnement de quatre
rectorats (Versailles, Créteil, Lille, Nancy, puis déployé sur quatre autres) avec un projet de
chatbot
et d’automatisation de tâches à faible valeur ajoutée dans le domaine de la gestion des
ressources humaines (attestations de fin de contrat). Sur la base des engagements de chacun des
rectorats, la DITP y estime que les gains associés à ces projets lui permettent d’atteindre un
retour sur investissement en deux ans.
Si elle apparaît encore circonscrite, cette démarche constitue une base à partir de laquelle
la DITP pourrait définir une offre plus ambitieuse d’accompagnement des grands projets
numériques de l’État, pour les ministères ne disposant pas des ressources permettant de
procéder à un travail de révision des processus. La DITP a créé, au printemps 2024, une
« agence de conseil interne de l’État » qui ne s’est jusqu’ici engagée que sur des projets
d’envergure limitée. Elle pourrait néanmoins être le socle d’une telle offre de services, si ses
résultats, qu’il conviendrait d’évaluer plus précisément, étaient considérés comme probants.
3.1.3
Renforcer l’intervention de la Dinum pour tirer parti des outils mutualisés
Dans son rapport de 2020 sur les grands projets numériques de l’État, la Cour
recommandait d’examiner préalablement au lancement d’un projet la possibilité de privilégier
une solution mutualisée. De fait, partager des outils pour différents usages, ou permettre des
liens automatiques entre deux systèmes d’information est un moyen de réduire les
développements et donc de sécuriser les projets numériques.
Le développement des interfaces de programmation, dites API (
Application
Programming Interfaces
), permet d’automatiser des tâches qui étaient jusqu’ici effectuées
manuellement et de les fiabiliser en réduisant les erreurs.
C’est ainsi que, en 2018, la DGFiP a développé une interface avec le fichier national
des comptes bancaires (Ficoba) afin d’automatiser les contrôles de RIB lors de leur saisie dans
le progiciel Chorus. Après la mise en place de cette API, dite Ficoba 2, la moyenne quotidienne
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
51
du traitement des RIB par agent du pôle national de supervision des tiers a été ramenée de près
de 130 à un peu moins de 100. Outre la plus grande fiabilisation des données, cette interface a
permis de ramener la charge quotidienne par agent à un niveau soutenable, ce qui constitue un
effet utile des gains de productivité.
De manière plus structurelle, la DGFiP s’est dotée, depuis 2012, d’une équipe dédiée
aux enjeux d’urbanisation de son système d’information. En se basant sur les outils existants,
l’urbanisation consiste à proposer des réorganisations ou des mutualisations d’applications pour
les rendre plus efficaces et ne pas réinvestir dans ce qui a déjà été développé. Les études sont
menées par la délégation à la transformation numérique de la DGFiP, à la demande des services
métiers dans le cadre de la rationalisation de leurs activités, et pour résoudre des difficultés
diverses : ruptures applicatives, nombreuses ressaisies manuelles effectuées par les agents,
absence de connexion d’une application aux référentiels, redondances de données,
obsolescence technique imminente d’une application, etc.
En amont d’un futur grand projet, ces études doivent proposer une ou plusieurs solutions
cibles, et constituer ainsi le socle technique sur lequel les équipes de maîtrise d’ouvrage et de
maîtrise d’œuvre pourront s’appuyer. Néanmoins, cette démarche, que la DGFiP considère
comme essentielle à la structuration de son système d’information, ne donne pas lieu à une
évaluation des gains qu’elle génère.
Cette démarche, si elle apparaît vertueuse, rencontre toutefois des limites, car elle n’est
pas ouverte sur l’interministériel. Le récent contrôle de la Cour sur l’application « Gérer mes
biens immobiliers » a montré que la DGFiP a entendu limiter les informations partagées avec
la Dinum, notamment concernant les études d’urbanisation. Pour une direction aussi structurée
en termes informatiques que la DGFiP, l’aide de la Dinum peut, de fait, sembler périphérique
dans le cadrage des projets.
La DGFiP estime, de manière générale, que le suivi réalisé par la Dinum
« reste
éloigné »
des projets,
« asynchrone et ne permet pas de lever les alertes utiles »
. Selon elle, en
se cantonnant à la gouvernance interministérielle et sans participer à la gouvernance des projets,
« la Dinum n’a pas permis d’alerter sur les projets en difficulté, ce qui a créé en cascade une
forme de surréaction, par les réunions interministérielles en particulier »
. En ne disposant pas
des informations de la part de la DGFiP, on peut comprendre que la Dinum ait été limitée dans
sa mission et n’ait pas été en capacité d’alerter. Néanmoins, en sollicitant des audits au titre de
l’article 4 du décret du 25 octobre 2019 sur plusieurs projets, la DGFiP a montré qu’elle pouvait
tirer parti de l’expertise de la Dinum.
Dans le rapport publié en juillet 2024 sur le pilotage de la transformation numérique de
l’État
59
, la Cour soulignait que le pouvoir d’avis de la Dinum relève d’une procédure lourde,
ayant une réelle valeur ajoutée pour les seuls projets déjà en difficulté, afin d’en solliciter l’arrêt
ou la réorientation. Déjà en 2020, la Cour regrettait, dans le rapport précité sur les projets
numériques, que l’intervention de la Dinum fût
« généralement trop tardive, les administrations
procédant le plus souvent à sa saisine au stade du cahier des charges fonctionnel et non pas au
moment du lancement des études de conception »
. Encore maintenant, et au-delà de la situation
spécifique de la DGFiP, la Dinum estime que les ministères sont parfois réticents à ouvrir les
59
Cour des comptes,
Le pilotage de la transformation numérique de l’État par la direction
interministérielle du numérique – Exercices 2019-2023
, juillet 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
52
portes de leurs projets, la considérant comme intrusive et pouvant remettre en cause les options
qu’ils ont retenues.
Les mutualisations interministérielles peuvent pourtant apporter des bénéfices concrets.
Le récent rapport de la Cour sur la transformation numérique de l’État souligne que l’outil
« démarches simplifiées »
60
développé par la Dinum réunit 1 100 administrations partenaires.
Ce produit aurait permis un gain de 60 M€ et une réduction de 50 % en moyenne des délais de
traitement. Des exemples étrangers, comme le projet d’Allocations familiales automatiques en
Autriche ou X-Road en Estonie, montrent les bénéfices qui peuvent être retirés de ce type de
partages interministériels (voir encadrés).
L’exemple du projet d’Allocation Familiale Automatique en Autriche
Le projet
Antragslose Familienbeihilfe
d’allocation familiale automatique a été mis
en place en Autriche pour améliorer la productivité en automatisant le processus de demande
et de traitement des allocations familiales. L’objectif principal était de réduire la charge
administrative, d’accélérer le traitement des demandes et de garantir que les allocations soient
versées rapidement et avec précision.
Le programme a automatisé le processus de transfert de données au sein des agences
fédérales, étatiques et locales en éliminant le besoin d’une demande parentale. L’acte de
naissance déclenche des transferts de données de l’hôpital vers le registre central de l’état
civil, le ministère des finances et les bureaux des impôts locaux qui versent des allocations.
Selon le cabinet Deloitte
61
, le projet a permis d’économiser 39 000 heures pour les
citoyens et l’équivalent de 15 ETP pour l’administration publique.
L’échange de données interadministrations en Estonie : X-Road
Le projet X-Road
62
vise à améliorer la productivité des services publics en Estonie en
permettant un échange de données sécurisé et automatisé entre les institutions publiques et
privées. Dans ce pays, 99 % des services publics sont disponibles en ligne. Seuls les mariages,
les divorces et les transactions immobilières ne peuvent être menés de manière totalement
dématérialisée.
Les services e-Estonie reposent sur deux éléments clés : un système d’identification
électronique et une plateforme d’échange de données (X-Road). Près de 1 300 systèmes
d’information sont interfacés avec X-Road et 2 800 services peuvent être utilisés via la
plateforme
63
.
Selon
l’entreprise
Cybernetica
chargée
de
son
développement,
le
cadre
d’interopérabilité a permis à l’Estonie (pays de 1,3 million d’habitants) d’économiser
1 407 ETP en 2018 (contre 804 en 2017)
64
. Cette évaluation ne fait pas le départ entre les
60
Cet outil permet de créer des démarches administratives en ligne en quelques minutes et gérer les
demandes des usagers sur une plateforme unique.
61
Deloitte Insight,
Libérer la productivité au sein du gouvernement
, mars 2024.
62
https://e-estonia.com/solutions/e-governance/
63
Estonia X-Road Open Digital Ecosystem Case Study (BCG).
64
Estonian Interoperability Framework X-Road - https://cyber.ee/resources/case-studies/estonian-
interoperability-framework-x-road/
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
53
emplois gagnés au sein de l’administration publique et dans les entreprises, mais témoignerait
de la croissance des gains permis par l’interconnexion des systèmes d’information.
Malgré les réussites attachées à quelques projets, la Cour relevait dans son rapport de
2024 que le département de la Dinum chargé des produits interministériels devait
« faire
rapidement la preuve de sa plus-value, non par le développement de produits considérés comme
interministériels par la seule Dinum mais par la réponse à des besoins interministériels avérés
car reconnus comme tels par les administrations »
.
La plus-value de la Dinum pourrait être aussi méthodologique. En 2020, la Cour
préconisait de limiter à cinq ans la durée des grands projets numériques, et de privilégier un
pilotage par les délais en structurant les projets autour de jalons courts, correspondant à un
apport de valeur et de fonctionnalités aux utilisateurs du service numérique
65
. La Dinum plaide
pour que les projets numériques de l’État soient menés selon la méthode « agile » dans une
logique de « produits » plus que de « projets » (cf. 2.1.2.1). Il s’agit de faire travailler de
manière plus étroite et continue les directions numériques et les directions métiers, sur des
cycles de développement plus courts pour des applications en perpétuelle amélioration. C’est
une démarche très différente de celle dite « de cycle en V », plus répandue jusqu’ici dans les
directions numériques ministérielles, et qui se structure en trois temps (définition des besoins ;
développement ; tests et intégration). En insistant sur le besoin d’adaptabilité et de réactivité
face aux changements, la Dinum espère que les projets numériques seraient ainsi mieux pilotés.
La démarche récemment engagée des conférences numériques (cf. 2.1
supra
) pourrait
permettre à la Dinum d’intervenir plus en amont des projets, mais ces rencontres annuelles ne
sont assurément pas le lieu d’instruction détaillée des projets. C’est en renforçant la procédure
existante d’avis conforme dite « article 3 », et en assurant une intervention amont de la Dinum,
que des progrès pourront être réalisés.
Au total, il apparaît qu’une meilleure coordination serait souhaitable en amont des
projets entre les différentes parties prenantes : la direction porteuse du projet, la Dinum, la DB
et la DITP, notamment lorsque le projet donne lieu à subventionnement spécifique.
Pour mieux identifier les objectifs du projet, les gains attendus et les voies pour y
parvenir, il conviendrait d’assurer systématiquement un pré-cadrage et de travailler dès ces
phases amont avec la Dinum sur les volets techniques et avec la DB sur l’économie des projets,
autour d’outils et méthodes partagés.
Ces échanges permettraient aux services interministériels de mieux évaluer le coût de
chaque projet et les gains attendus, de tirer le meilleur parti des outils mutualisables et d’assurer
un suivi plus précis des engagements une fois les avis rendus. Ce travail interministériel, qui
devrait être systématisé lors de l’instruction au titre de l’article 3 de chaque projet, viendrait,
par ailleurs, utilement éclairer les conférences numériques et budgétaires ministérielles.
65
Cour des comptes,
La conduite des grands projets numériques de l’État
, juillet 2020 – Recommandation
n° 5.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
54
Recommandation n° 2.
(Dinum, DB) Renforcer la procédure existante d’avis
conforme pilotée par la Dinum, en associant la DB, pour intégrer les enjeux
méthodologiques et de productivité dès la phase de cadrage des projets numériques.
3.2
Mettre en place des indicateurs analytiques partagés
Pour être en mesure d’identifier les gains de productivité susceptibles d’être dégagés
dans le cadre d’un projet, notamment numérique, et d’en constater par la suite la réalisation
effective, il est nécessaire de mesurer, à l’aide d’indicateurs précis, la production de l’activité
ou du processus administratif considéré. Il est tout aussi nécessaire de connaître avec une
fiabilité suffisante les moyens consacrés à cette activité ou ce processus.
Dans le cas des services de l’État, si le développement uniforme et généralisé de
dispositifs de comptabilité analytique apparaît comme une mesure excessive, ces derniers
devraient néanmoins être mis en place sur des périmètres de gestion ciblés comme les grands
projets informatiques de l’État (3.2.1). Dans le cas contraire, d’autres outils peuvent suffire à
répondre aux besoins, tels que des enquêtes régulières au plus près des agents (3.2.2). Dans tous
les cas, ces initiatives devraient être envisagées dans une démarche plus large de contrôle de
gestion ministériel et un cadre de référence commun aux services de l’État, propre à garantir
des évaluations cohérentes (3.2.3).
3.2.1
Lorsque les enjeux le justifient, développer la comptabilité analytique pour
suivre les gains de productivité issus des projets numériques de l’État
En visant une meilleure connaissance des déterminants de la dépense, l’analyse des
coûts contribue à optimiser le fonctionnement des organisations qui la mettent en œuvre. À ce
titre, elle fait partie intégrante de toute démarche de performance.
La comptabilité d’analyse des coûts, dont l’État s’est doté au début des années 2010,
n’a toutefois pas amélioré la connaissance des coûts et n’a, de ce fait, pas contribué à rendre sa
gestion plus performante, contrairement aux attentes placées en elle à l’origine, ce qui a conduit
à décider finalement son abandon, intervenu fin 2018.
La version en vigueur du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion
budgétaire et comptable publique (GBCP) prévoit en remplacement que :
-
la comptabilité publique contribue au calcul du coût des actions ou des services ainsi
qu’à l’évaluation de leur performance (3° de l’article 53) ;
-
une comptabilité analytique est mise en œuvre (article 55), permettant notamment, pour
l’État, l’analyse des coûts prévue à l’article 27 de la LOLF ;
-
fondée sur la comptabilité générale, et faisant partie intégrante du système comptable
de l’État (article 153), elle a pour objet, plus précisément, de mesurer les coûts d’une
structure, d’une fonction, d’un projet, d’un bien produit ou d’une prestation réalisée et,
le cas échéant, des produits afférents en vue d’éclairer les décisions d’organisation et de
gestion (article 59) ;
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
55
-
pour l’État, c’est le responsable de la fonction financière ministérielle (RFFIM) qui
s’assure de la mise en œuvre de dispositifs de comptabilité analytique (8° de
l’article 69) ; sa tenue incombe aux ordonnateurs et doit, à cet égard, permettre d’évaluer
leur performance (article 166).
Cependant, à de rares exceptions près, de véritables dispositifs de comptabilité
analytique n’existent pas aujourd’hui au sein des ministères, en dehors des Armées.
La Cour rappelait en 2018 que
« l’un des objectifs du volet performance de la LOLF
était de faire apparaître l’efficience des politiques publiques de manière claire pour les citoyens
contribuables, ce qui suppose de disposer d’indicateurs de coûts des politiques conduites. »
66
.
Elle relevait que
« peu d’indicateurs mesurent le coût complet d’une politique publique ou de
ses composantes »
. Au surplus, ces indicateurs, comme les autres, étaient, et sont toujours, peu
utilisés par les parlementaires et méconnus du grand public.
Le développement de la comptabilité analytique permettrait d’améliorer la justification
au premier euro des crédits consommés, en particulier ceux qui le sont dans le cadre de
dispositifs multi-intervenants ou par le biais de programmes « support ». Ce serait une occasion
de mettre en place, en remplacement de ceux existants, le cas échéant, des indicateurs de
performance davantage alignés avec les outils internes de mesure des responsables de
programme.
La comptabilité analytique pourrait aussi contribuer à éclairer le débat public en
informant sur le coût complet d’activités qui font l’objet d’une attention particulière dans ce
cadre et, partant, à chiffrer plus précisément les gains de productivité susceptibles d’être
dégagés par des réformes opérationnelles et ceux réellement constatés.
Une telle comptabilité aurait aussi un intérêt pour suivre les coûts informatiques
supportés par les services de l’État. À l’occasion de son contrôle sur les systèmes d’information
de la DGFiP et de la DGDDI, la Cour relevait
67
par exemple que
« aucune des deux directions
n’est en mesure de proposer une représentation claire et synthétique de l’ensemble de ses coûts
informatiques […]. Les présentations des budgets SI produites par les deux directions excluent
systématiquement les dépenses de personnel, qui représentent pourtant 70 % des coûts à la
DGFiP et 48 % à la DGDDI. Cette carence tient aux modalités d’enregistrement des coûts
dans Chorus : le progiciel contient un référentiel des coûts informatiques […], mais
uniquement pour les dépenses autres que de personnel »
.
Des dispositifs de comptabilité analytique permettraient d’évaluer et de suivre plus
précisément et de manière exhaustive les coûts engagés, qui ne résultent aujourd’hui que
d’estimations à partir de données budgétaires. Dans le cas, par exemple, du prélèvement à la
source, les coûts supportés, estimés en 2020 par la DGFiP à 212 M€
68
(y compris les coûts des
deux premières années d’exploitation) ne pouvaient pas être ventilés simplement entre la
66
Cour des comptes,
Le budget de l’État en 2018, résultats et gestion
, mai 2019, p. 177 et suivantes.
67
Cour des comptes,
Les systèmes d’information de la DGFiP et de la DGDDI : investir davantage, gérer
autrement
, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de
l’Assemblée nationale, avril 2019, p. 93.
68
PAP 2020 du programme 156 « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », dans
lequel cette estimation n’était détaillée ni par nature ni par année.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
56
quarantaine d’applications informatiques qui ont été modifiées pour permettre sa mise en
œuvre.
La mise en place de dispositifs de comptabilité analytique conduirait aussi à mieux
partager l’information sur le coût complet des projets informatiques entre les différentes parties
prenantes (donneurs d’ordre, responsables et coordinateurs de projets informatiques, services
des affaires financières, etc.) et à un suivi, sur le plan budgétaire, moins hétérogène.
Ces besoins étaient précisément identifiés par la Dinum dans sa feuille de route
69
pour
la période 2019-2021, qui prévoyait de renforcer le suivi des dépenses numériques de l’État
(action PI 1) :
« Les dépenses seront analysées en coûts complets en tenant compte de la totalité
du cycle des projets afin d’éclairer les décisions d’investissement et l’analyse des risques, et
favoriser le partage de la connaissance de la dépense numérique de l’État »
. Ses priorités ont
néanmoins évolué et cet objectif n’a pas été repris dans les feuilles de route ultérieures.
3.2.2
Améliorer et compléter les autres outils existants de mesure des coûts
Tous les ministères ont, de longue date, mis en place des outils pour estimer le coût –
notion appréhendée selon des acceptions très variables – d’activités spécifiques dont ils rendent
compte, notamment, dans les projets et rapports annuels de performances.
Le coût mesuré est, très souvent, un coût partiel, qui porte par exemple uniquement sur
les dépenses de personnel ou, à l’inverse, n’en tient pas compte. Les données utilisées sont, sauf
exception, issues de la comptabilité budgétaire et sont rarement retraitées pour tenir compte des
charges calculées en comptabilité générale, telles que l’amortissement des immobilisations
corporelles. Les calculs sont opérés et formalisés à l’aide d’outils bureautiques immédiatement
disponibles, mais peu adaptés, généralement un tableur.
L’intérêt limité que suscitent les questions de coûts de la part des décideurs politiques
n’incite pas les ministères à rechercher des outils de mesure plus précis, tels que des dispositifs
de comptabilité analytique. L’amélioration, parfois considérée comme marginale, de la
précision des calculs qu’elle serait susceptible d’entraîner ne paraît pas justifier la complexité
de son développement et de son utilisation, qui viendrait à l’encontre de la volonté de simplifier
la gestion courante.
Par ailleurs, d’aucuns estiment que des indicateurs, autres qu’uniquement de coût, sont
utiles pour le pilotage en gestion, qui nécessite des informations souvent plus qualitatives,
produites de manière infra-annuelle et qui rendent mieux compte de la réalité opérationnelle.
Ainsi, les ministères disposent généralement d’outils de contrôle de gestion qui
permettent un suivi de leurs activités clés, tels que :
-
des tableaux de bord à l’intention des décideurs stratégiques, qui offrent une vision
consolidée des données de pilotage pertinentes sur leurs périmètres de responsabilité
respectifs ;
69
Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État,
TECH.GOUV – Accélérer la transformation numérique du service public
, octobre 2019.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
57
-
des infocentres de données d’activité des services centraux ou déconcentrés sur lesquels
s’appuient la programmation annuelle des effectifs et les prévisions budgétaires des
postes ;
-
des enquêtes d’activité, telles que celles conduites tous les ans depuis 2012 par le
ministère des solidarités et de la santé dans ses différents réseaux – afin, notamment, de
suivre de manière détaillée la répartition des effectifs par activité et de rendre plus
objective la fixation des plafonds d’emploi – ou celle, fondée sur plus de 150 indicateurs
et bien plus précise que le Sagerfip, que la DGFiP prévoit de conduire dans son réseau
pour objectiver et quantifier la part de chaque mission ou tâche mesurée par un
indicateur dans la charge globale de la structure qui l’assure.
De même, le dispositif de « comptabilité analytique » bâtimentaire, piloté par la
direction de l’immobilier de l’État (DIE), ne constitue pas à proprement parler une comptabilité
analytique, mais il s’agit néanmoins d’un outil pertinent en matière de connaissance et de suivi
des coûts immobiliers à une maille utile pour les gestionnaires et la DIE elle-même, en tant que
représentante de l’État propriétaire.
Dans le cas des projets informatiques, ainsi que la Cour le notait en 2020,
« Chorus,
permettrait pourtant l’utilisation d’une nomenclature de comptabilité analytique spécifique.
Certes, comme le relève le secrétaire général du ministère de l’intérieur, le recours aux
éléments analytiques de Chorus (eOTP, éléments d’organigramme technique de projet)
permettent de réaliser une comptabilité analytique par projet, mais cela n’est pas suffisant.
Seul un outil commun de comptabilité analytique permettra de disposer des coûts complets des
projets informatiques. Toutefois, l’utilisation systématique des outils proposés par Chorus
serait un premier pas utile »
70
.
Dès lors qu’il n’apparaîtrait pas proportionné de déployer largement et uniformément
une comptabilité analytique dans les services de l’État, ces dispositifs et, plus généralement,
tous les outils de pilotage et indicateurs qui contribue à responsabiliser les services
gestionnaires sur la maîtrise des coûts et à les aider dans cette démarche, devraient être
considérés comme pertinents.
3.2.3
S’inscrire dans une démarche, plus large, de contrôle de gestion et dans un
cadre de référence partagé
Appliqué tant aux politiques publiques mises en œuvre par les ministères qu’à leurs
fonctions support transverses (finances, gestion des ressources humaines, achats, etc.), le
contrôle de gestion a pour objet
« d’améliorer le rapport entre les moyens engagés – y compris
les ressources humaines – et soit l’activité développée, soit les résultats obtenus dans le cadre
déterminé par une démarche stratégique préalable ayant fixé des orientations »
71
.
Sa mise en œuvre, dont la responsabilité est confiée
72
aux secrétaires généraux des
ministères, doit permettre d’organiser un dialogue de gestion efficace entre décideurs et services
70
Cour des comptes,
La conduite des grands projets numériques de l’État
, communication à la
commission des finances du Sénat, juillet 2020, p. 85.
71
Circulaire du 21 juin 2001 relative au développement du contrôle de gestion dans les administrations.
72
Décret n° 2014-834 du 24 juillet 2014 relatif aux secrétaires généraux des ministères.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
58
gestionnaires, dans un cadre rendu objectif grâce aux informations qu’il produit et selon une
vision stratégique partagée par chacun d’eux.
Le contrôle de gestion est donc censé jouer un rôle central dans les processus
décisionnels qui concourent à la fixation des objectifs et à la détermination des moyens. En
pratique, il y participe parfois insuffisamment, même si des progrès indéniables ont été réalisés
depuis l’entrée en vigueur de la LOLF et l’introduction dans la gestion publique des notions de
performance et de justification au premier euro des dépenses.
La comptabilité analytique et les autres outils examinés précédemment participent de sa
mise en œuvre efficace en permettant notamment aux responsables de :
-
connaître l’ensemble des coûts qui se rapportent à un projet, une activité ou une
politique publique, au-delà des seules consommations directes de crédits ;
-
mesurer finement la production d’un service et la corréler à des inducteurs de coût ;
-
comparer des activités similaires pour repérer les gestions atypiques et déterminer les
actions correctrices appropriées, mais aussi pour identifier les bonnes pratiques.
Ils ont aussi vocation à enrichir les analyses réalisées par les contrôleurs de gestion, sur
la base desquelles interviennent les échanges contradictoires avec les services gestionnaires, et
à fournir des indicateurs pertinents lors de l’établissement de contrats d’objectifs et de moyens.
La mise en œuvre réussie d’un dispositif de comptabilité analytique ou d’outils à visée
équivalente nécessite la participation active des services gestionnaires. Ce sont eux, en effet,
qui connaissent le mieux l’activité à modéliser, notamment les tâches qui la composent, les
données de gestion disponibles dans les systèmes d’information, les paramètres de calcul
pertinents, etc.
Il est d’autant plus souhaitable de veiller à bien les associer que la démarche peut
rencontrer des freins importants, tels que la difficulté à dégager un consensus de la part de tous
les acteurs sur un référentiel de coûts pertinent ou la volonté de ne pas communiquer des
données d’activité qui pourraient nourrir un débat sur le bon emploi des moyens ou le bien-
fondé des pratiques de gestion.
Par ailleurs, la mise en œuvre d’indicateurs analytiques doit répondre à des objectifs de
cohérence et d’efficience. En particulier, il est important que la mesure des coûts soit réalisée
selon des méthodes communes lorsqu’ils se rapportent à des fonctions transversales ou à des
activités similaires conduites sur des périmètres ministériels différents. C’est tout
particulièrement important pour être en mesure d’évaluer correctement les gains de productivité
issus des projets numériques, dont la comparaison d’un projet à l’autre est aujourd’hui difficile,
compte tenu de l’hétérogénéité des modes de calcul et des référentiels appliqués.
De ce point de vue, un cadre devrait être défini qui articulerait d’une manière cohérente
des objectifs, des principes à appliquer et des contraintes à respecter pour choisir et concevoir
des modèles de coûts adaptés. Son pilotage interministériel pourrait être assuré par la DITP.
Un tel cadre, partagé largement entre tous les acteurs concernés, serait aussi de nature à
favoriser par la suite la diffusion et l’appropriation des concepts, des méthodes et des enjeux, à
permettre d’identifier clairement les étapes de la démarche et d’en comprendre aussi les limites.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
59
Recommandation n° 3.
(DITP, Dinum, DB, DGFiP, SG MEFSIN) Améliorer les
outils existants de suivi des activités et des coûts et développer, dans une démarche
de contrôle de gestion et un cadre de référence partagé, des indicateurs analytiques
harmonisés pour mesurer l’atteinte des objectifs et les moyens associés.
Au-delà des destinataires précités, cette recommandation pourrait utilement être suivie
par tous les ministères.
3.3
Tirer parti de l’intelligence artificielle pour exploiter de nouveaux
gisements de gains de productivité
Depuis quelques années, l’administration publique recourt à l’intelligence artificielle
(IA) dans plusieurs projets numériques. Les différents types d’IA qui existent sont porteurs de
gains de productivité (3.3.1) et l’exemple des ministères financiers ouvre des perspectives
encourageantes en la matière (3.3.2). Dans cette dynamique, l’interministériel doit veiller à ce
que les projets numériques fondés sur l’IA permettent de prioriser les enjeux de productivité
(3.3.3).
3.3.1
Les différents types d’IA sont porteurs de gains de productivité
Les systèmes d’intelligence artificielle (SIA) sont des
« systèmes automatisés qui, pour
des objectifs explicites ou implicites, déduisent, à partir d’entrées reçues, comment générer des
résultats en sortie tels que des prévisions, des contenus, des recommandations ou des décisions
qui peuvent influer sur des environnements physiques ou virtuels »
73
.
Il existe plusieurs types d’IA, fonctionnant autour de technologies prédictives, de la
reconnaissance d’images ou, plus récemment, d’une intelligence dite « générative ». Cette
dernière catégorie fait référence à une technologie capable de créer du texte, des images, de
l’audio, du code, des données et d’autres médias sur la base de modèles de langage qui traitent
une très grande quantité de données. Cette technologie s’est popularisée à compter de la fin de
l’année 2022.
Le rapport
« Générative AI for the Public Sector : From Opportunities to Value »
publié
par le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) en novembre 2023 indique que les
gains annuels de productivité générés par l’IA générative dans le secteur public s’élèveraient à
1 750 milliards de dollars (Md$) par an à horizon 2033 dans le monde, dont 83 Md$ pour
l’administration française
74
. D’autres études anticipent que l’IA générative serait une source
importante de gains pour les administrations publiques, mais projettent des montants différents.
73
OCDE,
Recommandation révisée du Conseil sur l’intelligence artificielle
, mai 2024.
74
BCG,
Generative AI for the Public Sector: From Opportunities to Value
, novembre 2023.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
60
Ainsi, le cabinet Mc Kinsey estime que ces gains s’élèveraient à terme, dans le secteur public,
à 480 Md$ par an
75
, soit un niveau près de quatre fois inférieur.
De telles projections sont assurément fragiles et certains économistes, comme le
professeur au Massachusetts Institute of Technology, Daron Acemoğlu, considèrent que les
gains de productivité liés à l’IA générative pourraient être, en réalité, très inférieurs, de l’ordre
de 0,7 % en cumulé sur les dix années à venir
76
. Il entend être prudent face aux nombreuses
incertitudes restant dans les usages de l’IA générative et tient compte de ses effets négatifs,
comme une éventuelle incapacité à identifier les informations fiables dans une masse de
données qui seraient marquées par de fausses informations.
Malgré des estimations différentes, les deux cabinets précités s’accordent globalement
sur l’origine des gains de productivité issus de l’IA générative. Cette technologie apporterait
les bénéfices suivants aux administrations publiques :
-
résumer et synthétiser des informations, aider à la décision sur la définition de politiques
publiques ;
-
améliorer la qualité et l’efficience des services ;
-
générer des contenus, apporter assistance et support aux usagers (chatbot) ;
-
optimiser les développements logiciels dans les projets numériques de l’État.
Cette technologie doit permettre à l’administration publique d’obtenir des gains de
productivité, en libérant de nombreuses heures affectées à des tâches répétitives.
3.3.2
L’exemple des ministères financiers ouvre des perspectives encourageantes
Avant même l’essor des projets fondés sur l’IA générative, les autres types d’IA ont
témoigné des gains qui peuvent être engendrés. En 2022, le Conseil d’État plaidait pour la mise
en œuvre d’une politique de déploiement de l’intelligence artificielle résolument volontariste,
au service de l’intérêt général et de la performance publique
77
. La Cour quant à elle s’est
récemment penchée sur l’exemple du MEFSIN
78
, dont les réalisations démontrent le potentiel
que recèlent ces technologies. De fait, l’exemple du projet Foncier Innovant (cf. 2.3.1.2
supra
),
fondé sur la reconnaissance d’images, est éloquent quant aux bénéfices que l’administration
peut en tirer (quand bien même elles s’avèrent inférieures aux projections initiales).
Un autre exemple de gains de productivité permis par un recours à l’IA est le traitement
automatisé de l’analyse prédictive (TAAP) porté par la DGFiP. Ce projet a visé à réduire de
30 % le nombre de demandes de paiement (DP) contrôlées par les comptables tout en
améliorant la détection des erreurs, en concentrant les diligences des comptables sur les pièces
présentant les risques les plus importants. Il repose sur une combinaison de règles métiers
75
McKinsey,
Unlocking the potential of generative AI: Three key questions for government agencies
,
décembre 2023.
76
ACEMOĞLU, Daron,
The Simple Macroeconomics of AI
, avril 2024.
77
Conseil d’État,
Intelligence artificielle et action publique : construire la confiance, servir la
performance
, mars 2022.
78
Cour des comptes,
L’intelligence artificielle dans les politiques publiques : l’exemple du ministère de
l’économie et des finances
, octobre 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
61
(catégories de DP avec risques d’erreurs nombreuses ou à fort impact financier) et d’IA (analyse
des données historiques des contrôles effectués sur les trois années précédentes). Le logiciel
dispose d’un module d’apprentissage continu.
Fin 2023, après trois années de déploiement, la DGFiP estime que les résultats sont
positifs puisque l’objectif premier a été atteint avec un nombre de DP contrôlés par les
comptables en baisse de 31,9 %. Le taux d’erreurs détectées (6,16 % du nombre de DP) est
supérieur à celui prévalant avant la mise en place du dispositif (2,55 %). Sur le seul périmètre
des DP analysées par l’IA, le taux d’erreurs détectées est très supérieur à celui de l’année pré-
TAAP (8,53 % contre 1,65 %, soit un facteur multiplicatif de 5,2). Le logiciel est donc un
auxiliaire performant des services comptables.
Ces exemples font écho aux expériences qui ont pu se dérouler à l’étranger, comme dans
les services fiscaux américains (cf. encadré).
L’exemple de l’Internal Revenue Service (États-Unis)
L’
Internal Revenue Service
(IRS, administration fiscale américaine) a intégré l’IA
pour améliorer la productivité et l’efficacité de ses opérations. Les dimensions du projet
sont multiples : l’automatisation des processus manuels, la réduction des erreurs humaines,
l’accélération du traitement des déclarations de revenus et l’optimisation de l’allocation des
ressources. La lutte contre la fraude fiscale est également une priorité, avec l’IA jouant un
rôle clé dans l’analyse des données et l’identification des comportements suspects.
Selon l’IRS, les gains de productivité se situent dans les quatre domaines suivants :
-
Traitement des déclarations de revenus : 4,5 millions de réponses supplémentaires
entre 2022 et 2024 et réduction du temps d’attente de 28 minutes en 2022 à 3 minutes
en 2024
79
.
Le cabinet Deloitte
80
souligne que ces performances ont notamment été rendues
possibles par le recrutement de 5 000 agents, dans un contexte d’importantes
vacances de postes (22 des 363 agences locales des finances publiques étaient
fermées par manque de personnel) et d’absentéisme dans près de la moitié des
agences (157 sur 363)
81
. Ces recrutements se sont opérés dans un contexte où les
effectifs de l’IRS ont significativement baissé ces dernières années (-15 % entre
2010 et 2020, soit 14 000 agents de moins) et où l’agence anticipe une érosion
massive de ses personnels (63 % des agents seront éligibles pour partir à la retraite
dans les 5 prochaines années
82
) ;
-
Processus de numérisation des déclarations : son automatisation a permis de
numériser 80 fois plus de déclarations au premier trimestre 2023 par rapport à
l’ensemble de l’année 2022
83
;
79
Inflation Reduction Act Strategic Operating Plan
- p. 2 – et
IRS Agency Financial Report 2023
, p. 124.
80
Deloitte Insight,
Libérer la productivité au sein du gouvernement
, mars 2024.
81
IRS Agency Financial Report 2023
, p. 125.
82
IRS Agency Financial Report 2023
, p. 126.
83
Deloitte Insight,
Libérer la productivité au sein du gouvernemen
t, mars 2024, p. 3.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
62
-
Service aux usagers : 1,4 million d’heures économisées pour le contribuable entre
2023 et 2024
84
. Le logiciel détaille les calculs afin que le contribuable puisse être
sûr que sa déclaration est exacte, et un service support en direct (y compris un chat
en direct avec des représentants du service client et des chatbots) est disponible
85
.
-
Diminution de la fraude : rendre les avis disponibles sous forme numérique contribue
également à lutter contre la fraude en permettant aux contribuables de vérifier qu’un
avis qu’ils reçoivent par la poste provient bien de l’IRS.
3.3.3
Un effort à concrétiser en interministériel pour prioriser les enjeux de
productivité
L’utilisation de l’IA par les administrations publiques reste un phénomène récent,
encore à une phase exploratoire. Pour ce qui concerne l’IA générative, des enjeux
fondamentaux de sécurité, de confidentialité des données, de respect de la propriété
intellectuelle ne sont pas encore tous pleinement appréhendés.
Par ailleurs, les effets en termes de productivité doivent être affinés. L’IA doit-elle
permettre d’améliorer le service rendu aux usagers en permettant aux agents de se concentrer
sur des tâches à plus forte valeur ajoutée ? Cela supposerait, pour certains agents, des formations
complémentaires ou une reconversion. Ou permettra-t-elle de réduire les effectifs des
administrations, à qualité de service (et qualité de vie au travail) au minimum inchangée ?
Le récent rapport de la Cour sur l’intelligence artificielle au MEFSIN souligne que
l’affectation des gains de productivité
« doit gagner en visibilité »
. La Cour y recommande
d’identifier,
« dès 2024, les principaux processus pour lesquels l’IA est susceptible d’apporter
des gains d’efficience et de productivité significatifs »
.
Ce travail doit pouvoir se mener au niveau interministériel. À l’été 2023, la Dinum a
créé Alliance, une communauté d’acteurs publics (administrations, organismes de recherche et
établissements d’enseignement supérieur) et privés (entreprises françaises et étrangères du
numérique) autour des enjeux de l’IA générative. Sa mission est
« de produire des outils et
services numériques s’appuyant sur des outils ouverts, à l’état de l’art, et directement
utilisables et dérivables dans différents cas d’usage au sein de la sphère publique : traduction,
synthèse, agent conversationnel / moteur de recherche en langage naturel, assistance au
codage, traitements d’image, du son, etc. »
86
. Elle se présente comme un incubateur, facilitant
le recours aux fonds FTAP, programme d’investissements d’avenir (PIA) et France 2030 pour
le co-financement des projets de ses membres. Dans la lignée des préconisations visant à
favoriser la coopération interministérielle (cf. 3.1
supra
), cette initiative de coordination
apparaît bienvenue, si elle permet bien de tenir compte des enjeux de productivité associés aux
nouveaux outils.
84
Inflation Reduction Act Strategic Operating Plan
, p. 2.
85
Inflation Reduction Act Strategic Operating Plan
, p. 3.
86
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
63
Plus récemment, en juin 2024, la direction générale de l’administration et de la fonction
publique (DGAFP) a rendu public un guide
87
présentant 26 cas d’usage de l’IA. Elle y
mentionne les prérequis pour recourir à l’IA et notamment de définir les objectifs à atteindre en
citant l’
« amélioration de la productivité, [la] résolution des problèmes complexes, etc. »
. La
DGAFP reprend les projections d’une agence de prospection selon lesquelles quatre métiers
(assistant administratif, gestionnaire de paie, recruteur et analyste en rémunération) devraient
voir 80 % de leurs activités remplacées du fait de l’émergence de l’IA dès 2025-2026. Elle
indique néanmoins que l’utilisation de l’IA est
« aujourd’hui envisagée en soutien plutôt qu’en
remplacement du travail humain, sur des tâches spécifiques et non exhaustives d’un métier »
.
La situation des finances publiques et les arbitrages nécessaires entre projets numériques
plaident pour que les administrations publiques priorisent les projets d’intelligence artificielle
apportant des gains tangibles de productivité. Elles peuvent se donner les moyens de projeter,
de manière documentée, les gains attendus puis de suivre, de manière précise, le caractère
effectif de ces gains. Cela permettrait enfin de pleinement rationaliser les choix
d’investissement et de mobiliser des leviers nouveaux pour mettre les enjeux de productivité au
cœur des projets numériques et de la décision publique.
Recommandation n° 4.
(DGFiP, SG MEFSIN, Dinum, DB) Dans les projets
recourant à l’intelligence artificielle, prioriser ceux qui génèrent des gains de
productivité documentés.
Au-delà des destinataires précités, cette recommandation pourrait utilement être suivie
par tous les ministères.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’ambition qui doit être mise dans l’obtention de gains de productivité grâce aux projets
numériques suppose de renforcer la phase amont de cadrage des projets, nécessaire pour
définir précisément les objectifs poursuivis, les gains attendus et les moyens à y consacrer, le
calendrier et la méthode.
L’intervention de la DITP et la Dinum devrait permettre de consolider les fondamentaux
des projets numériques de l’État sur deux volets essentiels. La DITP pourrait apporter un appui
méthodologique ou opérationnel sur la réingénierie des processus métier. La Dinum pourrait
quant à elle apporter un soutien sur les enjeux méthodologiques, d’urbanisation des systèmes
d’information, d’interfaçage et de mutualisation avec d’autres logiciels de l’État.
Pour assurer l’identification des gains de productivité potentiels puis suivre leur
réalisation, il est nécessaire de disposer d’indicateurs analytiques précis. Ces indicateurs
doivent porter aussi bien sur le numérateur du calcul de la productivité (quantifier et valoriser
la production administrative) que sur le dénominateur (suivre précisément les moyens mis en
œuvre). Le développement de la comptabilité analytique devrait être envisagé dans une
87
Direction générale de l’administration et de la fonction publique,
Stratégie d’usage de l’intelligence
artificielle en matière de gestion des ressources humaines dans la fonction publique d’État
, juin 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
64
démarche plus large de contrôle de gestion. À défaut, des outils tels que des enquêtes régulières
au plus près des agents peuvent suffire à répondre aux besoins.
Enfin, les projets numériques recourant à l’intelligence artificielle permettent
d’envisager des gains de manière plus massive et directe et de remettre l’enjeu de la
productivité au cœur de la décision publique.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
65
ANNEXES
Annexe n° 1. Liste des sigles
................................................................................................
66
Annexe n° 2. Bibliographie
...................................................................................................
68
Annexe n° 3. Catégorisation des projets examinés entre mars 2023 et juin 2024 par la
Dinum, selon la motivation ayant présidé à leur lancement
............................
70
Annexe n° 4. Comptes-rendus des réunions du comité d’investissement en 2022 et 2023,
extraits relatifs aux gains de productivité
........................................................
73
Annexe n° 5. Exemples de contrats de transformation, extraits relatifs aux économies
prévisionnelles et indicateurs de résultat
.........................................................
75
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
66
Annexe n° 1.
Liste des sigles
AIFE : agence pour l’informatique financière de l’État.
CBCM : contrôleur budgétaire et comptable ministériel.
DB : direction du budget.
DGAFP : direction générale de l’administration et de la fonction publique.
DGDDI : direction générale des douanes et droits indirects.
DGFiP : direction générale des finances publiques.
DINUM : direction interministérielle du numérique.
DITP : direction interministérielle de la transformation publique.
DP : demande de paiement.
ETP : équivalent temps plein.
FTAP : fonds pour la transformation de l’action publique.
IA : intelligence artificielle.
IRS :
Internal Revenue Service
.
LOLF : loi organique relative aux lois de finances.
MAREVA : méthode d’analyse et de remontée de la valeur.
MCGSI : mission de contrôle de gestion des systèmes d’information.
MEFSIN : ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
MEN : ministère de l’éducation nationale.
MINARM : ministère des armées.
MINT : ministère de l’intérieur.
MJ : ministère de la justice.
MTE : ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la
pêche.
MTSSF : ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
PAP : projet annuel de performances.
PILAT : pilotage et analyse du contrôle.
PLR : projet de loi de règlement.
RAP : rapport annuel de performances.
ROI :
return on investment
.
ROCSP : recouvrement optimisé des créances du secteur public.
RSI : retour sur investissement.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
67
SAGERFIP : suivi annuel généralisé des effectifs des finances publiques.
SGPI : secrétariat général pour l’investissement.
SI : système d’information.
SPF : services de publicité foncière.
SPM : services du Premier ministre.
TAAP : traitement automatisé de l’analyse prédictive.
TRI : taux de rentabilité interne.
VAN : valeur actuelle nette.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
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Annexe n° 2.
Bibliographie
Publications de la Cour des comptes
Les relations aux usagers et la modernisation de l’État
, janvier 2016
.
La modernisation numérique de l’État
, février 2018
.
La DGFiP, dix ans après la fusion
, juin 2018.
Les systèmes d’information de la DGFiP et de la DGDDI
, avril 2019
.
La fraude aux prélèvements obligatoires
, novembre 2019
.
Les gains de productivité et qualité de services : la dématérialisation de la délivrance de titres
par les préfectures
, rapport public annuel 2020, février 2020.
La conduite des grands projets numériques de l’État
, juillet 2020.
La mise en œuvre du prélèvement à la source
, janvier 2022
.
La direction interministérielle de la transformation publique
, février 2023.
La modernisation de l’État : des méthodes renouvelées, une ambition limitée
, janvier 2024
.
Le pilotage de la transformation numérique de l’État par la direction interministérielle du
numérique
, juillet 2024.
L’intelligence artificielle dans les politiques publiques : l’exemple du ministère de l’économie
et des finances
, octobre 2024.
Publications des services de l’État
Ministère de l’économie, des finances et de la relance,
Bilan des réformes de productivité de
l’action publique
, octobre 2021.
Inspection générale des finances,
Bilan du contrat d’objectifs et de moyens de la direction
générale des finances publiques pour la période 2020-2022
, septembre 2022.
Inspection générale des finances,
La dette technique et le pilotage des systèmes d’information
de la direction générale des finances publiques
, janvier 2023.
Ministère de la transformation et de l’action publiques,
Feuille de route de la direction
interministérielle du numérique : une stratégie numérique au service de l’efficacité de l’action
publique
, mars 2023
Direction interministérielle de la transformation publique,
Des services publics au rendez-vous
,
mai 2023.
Ministère de la transformation et de l’action publiques,
Cahier des charges du Fonds pour la
transformation de l’action publique
, juillet 2023.
Comité interministériel de la transformation publique,
Pour des services publics plus proches,
plus simples, plus humains
, avril 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
69
Autres sources bibliographiques
SOLOW, Robert,
We’d Better Watch Out, New York Times Book Review
, juillet 1987.
HOOD, Christopher,
A Public Management for All Seasons?
Public Administration, vol. 69,
no. 1, 1991.
ATKINSON, Anthony,
How to Measure Government Productivity: A Review Article on
« Measurement of Government Output and Productivity for National Accounts » (The Atkinson
Report)
, janvier 2005.
DJELLAL Faridah, FAÏZ Gallouj,
La productivité dans les services administratifs
, Université
des sciences et technologies de Lille I, juin 2006.
HOLCMAN Robert,
Comment stimuler la productivité des services publics ? Les
enseignements tirés de la mise en œuvre à l’hôpital de la tarification à l’activité
, Revue
française d’administration publique, avril 2013.
ALGAN Yann,
BACACHE-BEAUVALLET
Maya,
PERROT
Anne,
Administration
numérique
, Conseil d’analyse économique, juillet 2016.
OCDE,
Transformation numérique et productivité : une histoire de complémentarités
,
Perspectives économiques de l’OCDE, mai 2019.
CETTE Gilbert, NEVOUX Sandra, PY Loriane,
The impact of ICTs and digitalization on
productivity and labor share: Evidence from French firms
, Banque de France, novembre 2020.
MEYERHOFF NIELSEN Morten,
Services publics : une révolution numérique en marche
,
Informations sociales, février 2022.
ANDERTON Robert, BOTELHO Vasco, REIMERS Paul,
Digitalisation and productivity:
gamechanger or sideshow?
, Banque centrale européenne, mars 2023.
POPE Thomas, ROWLAND cassia,
Qu’est-ce que la productivité de la fonction publique et
comment est-elle mesurée
, avril 2024.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
70
Annexe n° 3.
Catégorisation des projets examinés entre mars
2023 et juin 2024 par la Dinum, selon la motivation ayant
présidé à leur lancement
Ministère
Nom du
projet
Description et objectifs du projet
Gain de productivité
MEFSIN
TELEMAC
Améliorer les conditions d’exercice des missions des agents de terrain,
en les faisant gagner en efficacité opérationnelle grâce au
développement d’outils numériques leur permettant d’effectuer un
maximum de tâches en mobilité, depuis les lieux de contrôles, sans
avoir à retourner au bureau ou à la brigade.
MEFSIN
URF
Rationaliser le recouvrement fiscal en le centralisant à la DGFiP.
Simplifier les démarches en offrant aux professionnels un interlocuteur
unique au sein de la sphère fiscale. Augmenter l’efficience du
recouvrement en le concentrant sur le réseau existant à la DGFiP et
sécuriser les recettes de la sphère publique avec une vision globale des
taxes dues par les redevables. Améliorer l’offre de service aux
usagers : pré-remplissage de certaines déclarations et création de
dispositifs d’aide au remplissage des déclarations.
MJ
Audience
numérique
Projet de procédure pénale numérique vise à moderniser la justice
grâce à l’abandon du papier et de la signature manuscrite, depuis l’acte
initial jusqu’à l’exécution des peines. Simplifier le traitement des
procédures et faciliter la collaboration avec les partenaires de justice
(services enquêteurs, avocats, huissiers, etc.) autour de 3 axes :
automatisation des procédures classées sans suites ; dématérialisation
des procédures avec poursuites (correctionnel) ; mise à disposition
nationale d’outils de simplification numérique via le store PPN
(signature électronique, etc.)
Ouverture
inter-
ministérielle
Obligation européenne ou internationale
MJ
ECRIS-
TCN
Depuis 2012 le dispositif ECRIS permet l’interconnexion des casiers
judiciaires européens, l’échange des condamnations, la conservation
des crimes, délits ou contraventions commis par un ressortissant d’un
des pays européens interconnectés. ECRIS-TCN est un dispositif
complémentaire à ECRIS. Il améliore les échanges d’information sur
les ressortissants de pays tiers à l’UE grâce à la création d’un index
central européen et au recours à l’identification par empreintes
digitales.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
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Ministère
Nom du
projet
Description et objectifs du projet
MTE
ZFE
La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités
vise à réduire les impacts environnementaux de la circulation routière
au travers notamment de la mise en œuvre de voies réservées pour
favoriser le covoiturage, les transports en commun ou encore les
véhicules à très faibles émissions ainsi que la mise en place de zones à
faibles émissions mobilité. Le présent projet vise à instaurer la mise en
œuvre de contrôles de ces dispositions législatives s’appuyant sur des
appareils automatiques.
MTSSF
SI EMPLOI
Gérer les politiques publiques confiées par la DGEFP à l’ASP.
Faciliter
l’application
des
politiques
publiques
de
soutien,
d’accompagnement à l’insertion ou au retour à l’emploi (plus de 40
Md€ versés de 2019 à 2021 pour plus de 8 millions de bénéficiaires,
personnes morales ou personnes physiques)
Amélioration du service rendu aux agents
MEN
VIRTUO
Déployer un service applicatif en matière de recrutement, formation et
gestion des compétences. Le projet est basé sur la mise en œuvre d’une
solution de gestion des Ressources Humaines (RH) en mode SaaS. Le
Saas ou « Software as a Service » est un service fondé sur un
hébergement de type Cloud où l’accès à l’application se fait grâce à un
navigateur internet.
MTSSF
LABOéSI
Renforcer la surveillance épidémiologique assurée par Santé publique
France, promouvoir et simplifier le signalement des cas de pathologie
nécessitant une intervention urgente aux Agences Régionales de Santé,
et constituer un outil du volet numérique du dispositif national de
préparation et de gestion des crises sanitaires futures.
MTE
LIDAR HD
Programme coordonné par l’IGN pour acquérir des données LiDAR
haute densité sur l’ensemble du territoire métropolitain, des DROM et
des collectivités territoriales uniques (hors Guyane) pour en proposer
la description 3D la plus fine jamais établie à l’échelle France entière.
Le projet répond en priorité aux cas d’usage institutionnels suivants :
risques naturels (prévention des inondations par l’estimation des zones
les plus à risque) ; gestion des forêts (politique de gestion forestière,
évaluation de la vitesse de propagation des incendies, et potentiel de
stockage de carbone) ; agriculture (appui à l’instruction et au contrôle
des déclarations des exploitants liées aux refus d’apurement de la
Commission européenne) ; besoins propres à l’IGN (optimisation des
données géographiques des référentiels de l’IGN).
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
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Ministère
Nom du
projet
Description et objectifs du projet
Amélioration du service rendu aux citoyens
MINARM
ROC
Suite à l’expérience d’un PMV « Portail SI ROC » en 2017, le
ministère des armées a lancé en 2018 le « SI Réserviste 2019 »
dénommé ROC. Cette version V.1 est actuellement en service pour
gérer le parcours des réservistes et faciliter les échanges entre les
candidats et les différents profils de gestionnaires.
MTE
DEVCAP
ONF
Améliorer et uniformiser les pratiques et outiller ces nouvelles
pratiques pour gagner en efficacité. Le renforcement de la chaîne
d’approvisionnement et la gestion des contrats des bois façonnés
passent par l’acquisition et l’utilisation d’une solution informatique
pouvant
couvrir
des
fonctionnalités
aujourd’hui
partiellement
couvertes ou non-outillées.
MTE
Espace
numérique
maritime
Offrir un guichet unifié aux usagers de la mer et partenaires
institutionnels, à simplifier leurs relations avec l’administration
maritime et à améliorer le travail au quotidien des agents en services.
Obsolescence technologique
MINARM
SERES
La fonction restauration au sein des emprises militaires est constituée
d’un réseau de 346 restaurants, délivrant 39 millions de repas par an et
employant plus de 6000 ETP. Depuis 2003, le SIGMESS est le
système d’information et de gestion des mess au profit du ministère
des armées. Ce système, réparti localement sur l’ensemble du
territoire, a des coûts de maintenance importants et est devenu
obsolète. Il doit être décommissionné d’ici la fin 2026.
MINT
SECOURIR
Le SErvice de COmmunications d’URgence Intelligent et Résilient
permet le routage intelligent des communications et assure la
distribution des alertes en tenant compte de la surcharge de certains
centres d’appels. Elle concourt à la rénovation des communications
d’urgence des SIS qui s’appuie à date sur des technologies RTC.
MTE
SIGF
LADE
Mettre en place un système d’information unique harmonisant la
gestion des processus budgétaires, financiers et comptables des 6
Agences de l’Eau. Les enjeux de ce programme sont majeurs,
notamment compte tenu des montants des recouvrements et
reversements, de l’ordre de 2 Md€/an.
Source : Panorama des grands projets numériques de l’État, Dinum, décembre 2023 – Catégorisation : Cour des
comptes
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
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Annexe n° 4.
Comptes-rendus des réunions du comité
d’investissement en 2022 et 2023, extraits relatifs aux gains
de productivité
Date de la réunion
du comité
Extraits des comptes-rendus
27 juillet 2022
« Telemac : le ROI figurant dans le contrat d’objectif est différent de celui
figurant dans le dossier FTAP. Le retour sur investissement doit être mis à
l’épreuve.
Espace numérique maritime : le ROI est relativement faible au regard des
exigences du FTAP ».
9 novembre 2022
« Pilotage et accompagnement à la migration Cloud GEN2 : le projet […]
permettra de finaliser la migration de l’actuel Cloud et ainsi de décommissionner
l’ancienne version sans période de recouvrement des deux dispositifs, entraînant
ainsi des économies substantielles (3,4M€/an) et d’offrir des gains importants
pour les utilisateurs en termes de puissance mobilisée, de capacités et de services.
Recouvrement optimisé des créances du secteur public : le nombre d’ETP
supprimé sera sûrement revu à la baisse et les 9 M€ d’économie de personnel
abandonné ; les 2,3 M€ d’économie de fonctionnement se matérialiseront plus
tard qu’initialement prévu (date non précisée) ; les 250 M€ de hausse fiscale
seraient a priori sanctuarisés une fois le projet terminé ».
14 décembre 2022
« Espace numérique maritime : le porteur du projet devra par ailleurs renforcer la
preuve d’externalités positives au regard du faible ROI projeté.
Simplification des démarches et amélioration de l’expérience usagers et agents :
le porteur produit en parallèle des scénarii relatifs au ROI plus larges que ceux
présentés dans le dossier de candidature ».
17 mars 2023
« InserJeunes : la combinaison et mise en visibilité des données permises par le
projet se substitueront à la réalisation d’enquêtes statistiques lourdes annuelles et
chiffrées à hauteur de 1 M€ par an. Le projet participe également d’autres
économies indirectes […] plus difficiles à chiffrer. Cependant, l’estimation selon
laquelle une augmentation de 1 % du taux d’insertion des jeunes engendre une
économie de 11,7 M€ semble réaliste.
Espace numérique maritime : la nouvelle itération inclut un redéploiement de
3 ETP supplémentaires, dans une logique de pas à pas qui permet des économies
de fonctionnement de 600 000 euros annuels ».
21 avril 2023
« Collectif objet : le retour sur investissement et les jalons de réussite sont à
définir de façon plus précise ; il faudra également bien documenter les économies
dans le contrat de transformation.
Sesame : le projet n’a pas été estimé suffisamment prioritaire par rapport à
d’autres candidatures, en raison notamment des économies trop faibles
escomptées ».
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
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Date de la réunion
du comité
Extraits des comptes-rendus
23 mai 2023
« Archipel : le projet ne rentre pas dans les critères du FTAP (manque de ROI,
peu de réplicabilité). Decos : idem.
Mobilic : poursuite de l’instruction du projet en veillant à ce que le projet
produise un ROI élevé ».
4 juillet 2023
« Ouverture interministérielle de la PPN : le ROI pour le projet proposé est assez
mal documenté et assez faible ; le financement demandé sera attribué, mais les
conditions suivantes sont imposées : la documentation plus fine du ROI avec des
indicateurs d’impact par finalité.
SI décrochage scolaire : bien spécifier la partie des économies qui sont directes
de celles qui sont indirectes.
Histologe : actualiser l’annexe financière pour afficher le détail des économies,
bien préciser le ROI ».
10 novembre 2023
« Sallto : est demandée la confirmation de l’annonce de 110 ETP supprimés.
Accès Simplifié aux Agents Publics : transmettre des informations à la DB sur
les mécanismes de calcul des économies.
DSFR : l’hypothèse d’un gain d’efficacité de 20 à 30 % du coût des projets a été
validée récemment par un questionnaire à destination des agents […] La DB
signale que le chiffrage des économies mériterait d’être affiné et fiabilisé.
Source : DITP
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
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Annexe n° 5.
Exemples de contrats de transformation, extraits
relatifs aux économies prévisionnelles et indicateurs de résultat
Projet
3. Économies prévisionnelles
5.2. Indicateurs de résultat et d’impact
DematADS
(2018)
Économies sur ETP : 5,6 M€ de crédits de
paiements (CP) en 2022.
Économies sur frais postaux : 0,5 M€ de
CP en 2022.
Diminution de la masse salariale de la
filière ADS et fiscalité : cible de -5,6 M€
pour 2022.
Montant total des économies de frais
postaux : cible de - 0,6 M€ pour 2022.
Réduction du délai de réponse pour les
décisions explicites : 90 % pour 2022.
Nombre de demandes déposées par voie
dématérialisée : cible de 50 % pour 2022.
e-
Enregistrement
(2019)
Gains sur dépenses de personnel : 5,6 M€
en 2023.
Gains sur dépenses de fonctionnement :
0,4 M€ en 2023.
Surplus d’économies générées en matière
de dépenses de personnel : 5,6 M€.
Déclarations de dons télédéclarées par les
particuliers : 70 % en 2022.
Déclarations de successions télédéclarées
par les notaires : 80 %.
Déclarations de cessions de droits sociaux
télédéclarées par les particuliers : 50 % ;
par les professionnels : 50 %.
Foncier
innovant
(2019)
Économies sur ETP : 11,9 M€ de CP en
2023.
Économies
sur
les
dépenses
de
fonctionnement : 0,7 M€ de CP.
Recettes foncières additionnelles : 130 M€
en 2022.
Montant
d’économies
générées
et
répartition par nature de dépenses. Les
économies réalisées seront comparées aux
économies prévisionnelles présentées dans
le point 3 du présent contrat.
Taux de précision de l’algorithme de
détection des biens non évalués ou mal
évalués : cible de 45 % fin 2022.
Part des relances adressées dans le délai de
3 mois sur les biens détectés : cible de
85 % fin 2022.
Pilat
(2019)
Économies sur ETP : 13,1 M€ de CP en
2022.
Économies
sur
les
dépenses
de
fonctionnement : 0,4 M€ de CP.
Recettes supplémentaires consécutives de
l’amélioration du taux de recouvrement :
120 M€ en 2022.
Montant
d’économies
générées
et
répartition par nature de dépenses : non
communiqué.
Indicateur de mesure de pourcentage de
3909 (fiche de programmation) intégré
dans Pilat : cible de 95 % au second
semestre 2021.
MIEUX SUIVRE ET VALORISER LES GAINS DE PRODUCTIVITÉ DE L’ÉTAT ISSUS DU
NUMÉRIQUE
76
Projet
3. Économies prévisionnelles
5.2. Indicateurs de résultat et d’impact
ROCSP
(2020)
Économies sur les emplois : 140 ETP en
2023, soit 5,6 M€ de CP.
Économies
sur
les
coûts
de
fonctionnement liés aux agents : 0,7 M€.
Économies sur les coûts d’édition et
d’affranchissement : 1,5 M€ par an à
compter de 2022.
Recettes
supplémentaires :
cible
de
260 M€.
Montant
d’économies
générées
et
répartition par nature de dépenses. Les
économies réalisées seront comparées aux
économies prévisionnelles présentées dans
le point 3 du présent contrat.
Amélioration des recettes au titre des
amendes : cible de 28 % fin 2023.
Part des STAD dématérialisées : cible de
80 % fin 2023.
Geopol
(2021)
Économie de masse salariale : 26,4 M€ de
CP en 2022 (390 ETP).
Montant
d’économies
générées
et
répartition par nature de dépenses. Les
économies réalisées seront comparées aux
économies prévisionnelles présentées dans
le point 3 du présent contrat.
Nombre d’ETP gestionnaires : cible de
309 ETP fin 2022.
Satisfaction des agents sur le nouvel outil :
sondage en 2022.
Source : Cour des comptes, à partir des contrats de transformation