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Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75007 Paris
Paris, le
à
Monsieur Pierre Moscovici
Premier président de la Cour des comptes
Objet :
Référé intitulé « La fonction renseignement de la direction nationale du renseignement et
des enquêtes douanières » (DNRED).
Par courrier en date du 7 novembre 2024, vous avez bien voulu me transmettre le référé cité en objet.
Celui-ci appelle de ma part les observations suivantes.
En premier lieu, la Cour estime que les résultats de la direction nationale du renseignement et des
enquêtes douanières (DNRED) sont contrastés. Elle souligne
d’une part
d’importantes saisies de
stupéfiants
, d’autre
part des performances moins convaincantes sur le blanchiment lié à la criminalité
organisée ou sur la lutte contre la fraude fiscale. Elle en conclut le besoin d’une plus grande supervision
de la direction par ses autorités de tutelle, à savoir la direction générale des douanes et droits indirects
(DGDDI) et le cabinet du ministre du budget et des comptes publics.
Elle indique attendre
que le programme VALMY renforce la qualité des analyses sur l’état de la menace
au profit de la communauté du renseignemen
t. Elle déduit de cette situation qu’un pilotage plus étroit
de la DNRED par ses autorités de tutelle permettrait un meilleur suivi des priorités d’action du service.
À cet égard, il convient de souligner que la nécessité de renforcer la qualité et la portée de ses analyses
stratégiques figure
d’ores et déjà
parmi les principales motivations de la réforme structurelle engagée
par la DNRED en 2023, qui réorganise la direction par thématiques de grands secteurs de criminalité.
Depuis l’entrée en vigueur de
cette réforme, en septembre 2024, plusieurs progrès notables sont déjà
constatés par la DNRED.
Ainsi, les apports combinés du renseignement et de la lutte contre la fraude enrichissent les études. Des
productions récentes ont contribué aux réflexions interministérielles sur la criminalité organisée. La
filière d’analyse est renforcée par le déploiement de certains agents territoriaux et par la mise à jour du
corpus de formation des analystes. Des travaux communs ont permis de produire des évaluations plus
innovantes.
S’agissant du blanchiment lié à la criminalité organisée, la récente stratégie de lutte contre la fraude
financière mise en place par la DGDDI donne un cadre stratégique clair pour la DNRED, dont la nouvelle
organisation est parfaitement adaptée à ce type de fraude. Un département y est désormais consacré.
10/01/2025
N° 12/25/SG
En ce qui concerne le pilotage stratégique de la DNRED par la DGDDI et par le cabinet du ministre du
budget et des comptes publics, il est précisé que le directeur de la DNRED rencontre régulièrement les
membres du cabinet, le directeur général des douanes et droits indirects ainsi que le coordonnateur
national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) pour orienter et rendre compte
de l’activité du service. À titre général, l’utilité d’orientations stratégiques partagées
, en particulier en
matière de lutte contre la criminalité organisée, est reconnue sans réserve
. L’aggravation de la menace
liée au narcotrafic illustre le besoin d’actions coordonnées sur le plan législatif et opérationnel.
En deuxième lieu, l
a Cour pointe le manque de célérité dans la mise en place de l’unité du renseignement
fiscal (URF), nouveau dispositif conçu pour que la DGDDI assume la priorité qui lui a été fixée en mai
2023 de lutter contre le blanchiment, fraude fiscale grave et compl
exe. Elle s’interroge par ailleurs sur
les conditions de mise en œuvre des techniques de renseignement de la DNRED dans ce cadre.
Les travaux lancés dès l’annonce de la création de l’URF ont porté sur la révision de l’arrêté du 29 octobre
2007 portant sur
la création de la DNRED, ainsi que sur l’élaboration d’une convention de délégation de
gestion entre la DGDDI et la direction générale des f
inances publiques (DGFiP), et d’un protocole
spécifique entre la DNRED, la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) et le service de traitement
du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN). Par ailleurs, la
campagne de recrutement au printemps 2024 a intéressé 60 candidats aux profils variés. Les 10
candidats retenus ont ens
uite fait l’objet du processus d’habilitation « très secret ». Ils devraient pouvoir
prendre leur poste en janvier 2025.
S’agissant des motifs de recours aux techniques de renseignement, il est d’ores et déjà convenu entre la
DNRED et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement que les techniques de
renseignement ne seront sollicitées
qu’
au titre de la finalité 6 : « prévention de la criminalité et de la
délinquance organisées ».
En troisième lieu, la Cour recommande de raffermir le contrôle interne et externe de la DNRED. Eu égard
à la très grande sensibilité de ces activités, aux risques auxquels la direction est exposée et à
l’ampleur
des conséquences
qu’aurait
la survenance de dysfonctionnements, la Cour propose des voies de
consolidation d’un dispositif jugé fragile : développer la culture du contrôle interne, poursuivre le
déploiement du plan de prévention des risques de corruption des agents de la DGDDI, mais aussi
solliciter
des missions d’audits externes
auprès de
l’Inspection des services de renseignement (ISR) ou
l’Inspection générale des finances (IGF).
Le Gouvernement
partage l’intérêt de se doter des moyens d’identifier et de maîtriser les risques
généraux et spécifiques à chaque service.
Cette démarche est d’ailleurs intégrée depuis quelques années dans les pratiques managériales au
travers du contrôle et de l’audit interne
s, complétés par le contrôle de la déontologie.
Tenant compte de ces
risques particuliers, la DNRED s’est dotée d’une cellule de contrôle interne qui
centre son activité de contrôle et de maîtrise des risques sur les aspects les plus sensibles de son activité
(traitement et rémunération des sources humaines, accès aux fichiers,
etc
.).
Elle fait par ailleurs l’objet de contrôles externes réguliers
, compte tenu de la sensibilité et des
particularités de son activité, dont notamment le contrôle de la Commission nationale de contrôle des
techniques de renseignement sur le recours aux techniques de renseignement et la Commission de
vérification des fonds spéciaux. Elle est également régulièrement contrôlée par l’ISR,
par
l’IGF et par
l’Inspection des services de la douane sur des thématiques diverses.
S’agissant plus particulièrement de l’affaire dite « Maison du café » en 2016
-2017, la Cour considère que
la DGDDI n’en a pas pleinement tiré les conséquences disciplinaires. Or, en se fondant sur
l’indépendance des deux procédures, disciplinaire et judiciaire, la DGDDI a pris la dé
cision de conduire
dès 2017 une procédure disciplinaire sans attendre l’aboutissement des procédures judiciaires. Ce choix
a été motivé, dans ce contexte exceptionnel, par le besoin de « justice », pour redonner confiance au
collectif de travail de la DNRED, et de marquer un signal fort vis-à-vis du corps social de la douane sur le
fait que ce type de comportements ne saurait être toléré. Au terme d’une enquête administrative
minutieuse et sur la base des faits constatés, des sanctions disciplinaires ont ainsi été prononcées, dès
2018, à l’encontre des six cadres de la Direction des opérations douanières qui ont par la suite été jugés,
en septembre 2022, par le tribunal correctionnel de Paris, et condamnés pour cinq d’entre eux. Ces
sanctions disciplinaires
allaient de l’exclusion temporaire jusqu’à la révocation et à la mise à la retraite
d’office pour deux des agents. La
procédure disciplinaire à l’encontre de l’agent non douanier, plus
complexe
à mettre en œuvre, est en cours de finalisation. Dès lors, il ne peut être affirmé que la DGDDI
n’aurait pas pleinement tiré les conséquences de cette affaire : des sanctions disciplinaires ont bien été
prises, sans retard, et elles ont ouvert la voie au projet de refondation de la DNRED, évoqué plus haut.
Le volet judiciaire est quant à lui toujours en cours. Dans la mesure où le jugement de première instance
n’était pas assorti de l’exécution provisoire et où un appel a été interjeté, les sommes que les
intéressés
ont été condamnés à verser en première instance ne peuvent encore être recouvrées.
En dernier lieu, l
a Cour estime que l’objectif pour la DNRED d’atteindre les standards de qualité et de
sécurité attendus requiert la réalisation des trois volets indissociables du projet VALMY, à savoir la
réorganisation de la direction, la mise en conformité des bâtiments et la mise à niveau de la sécurité des
réseaux.
Le Gouvernement
est conscient des enjeux de la mise en œuvre de cette réforme, notamment dans
ses
aspects techniques et immobiliers, et des besoins budgétaires y afférents malgré le contexte contraint.
La première phase, celle de la réforme du service, a été finalisée et la réforme a été formellement
adoptée devant les instances de dialogue social début 2024.
Des crédits spécifiques ont par ailleurs été alloués en 2024, dans le cadre du plan de lutte contre les
fraudes aux finances publiques, pour la réduction de la dette technologique du service et la mise aux
standards des implantations immobilières, conformément aux projections pluriannuelles.
Le
Gouvernement sera vigilant au maintien des financements nécessaires dans la durée, dans le cadre des
moyens qui seront octroyés à la DGDDI par les lois de finances.
En conclusion, les trois recommandations formulées par la Cour, relatives au renforcement du pilotage
stratégique de la DNRED, à un contrôle externe plus rapproché et à la complète réalisation du projet
VALMY ne contredisent ni ne contrarient les lignes stratégiques de la DGDDI, pas plus que les mesures
engagées pour sécuriser la nouvelle trajectoire de la DNRED, service de renseignement du premier
cercle. Au contraire, dans le contexte actuel d’aggravation des menaces, l’adaptation des principes de
gouvern
ance et de contrôle ainsi que l’alignement entre la stratégie et les actions opérationnelles sont
indispensables pour que la DGDDI assume sa part dans la lutte contre la criminalité organisée.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.
François BAYROU