PRÉSENTATION À LA PRESSE DE LA COMMUNICATION
DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
DE L’ASSEMBLÉE
NATIONALE SUR L’ACCUEIL ET LE TRAITEMENT
DES URGENCES À L’HÔPITAL
Mardi 19 novembre à 9h30
Salle André Chandernagor
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Je vous remercie pour votre présence. Soyez les bienvenus à la Cour des comptes.
Je vous accueille aujourd’hui pour vous présenter une communication de la Cour des
comptes à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, concernant
l’accueil et le traitement des urgences à l’hôpital.
Ce travail qui répond à la demande des parlementaires, a été réalisé par une formation
inter-juridictions, associant la 6
e
chambre de la Cour des comptes à 11 chambres
régionales et territoriales des comptes – c’est-à-dire la majorité des CRTC, qui sont au
nombre de 17
. Les chambres régionales et territoriales des comptes sont en effet les
juridictions compétentes pour contrôler les établissements de santé, publics et privés,
dans les territoires. La 6
e
chambre de la Cour a assuré la synthèse des observations, et a
réalisé l’enquête auprès des administrations et organismes au niveau national. Je salue
cette excellente coopération, qui permet de disposer d’une analyse très solide, étayée
par de nombreuses illustrations concrètes, qui éclaire les difficultés fortement
médiatisées des services d’urgence depuis quelques années.
Je remercie donc l’ensemble des personnes qui ont contribué à la conduite de ce
travail, sur ce sujet très sensible pour nos concitoyens et pour le système de santé.
La
formation inter-juridictions était présidée par
Véronique Hamayon
, alors présidente de
la 6
e
chambre et récemment nommée procureure générale près la Cour, et vice-présidée
par
Bernard Lejeune
, alors président de la chambre régionale des comptes Auvergne-
Rhône-Alpes et qui, depuis, a succédé à Véronique Hamayon à la présidence de la 6
e
chambre. Je souhaiterais donc remercier le président de section et contre-rapporteur
Luc Machard,
le rapporteur général
Yves Colcombet
, les deux rapporteurs généraux-
adjoints,
Alice Bonnet
, première conseillère à la chambre régionale des comptes
d’Auvergne-Rhône-Alpes et
Christophe Gautier
, premier conseiller à la chambre
régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine, ainsi que
Sundar Ramanadane
, conseiller
référendaire en service extraordinaire à la 6
e
chambre. Je n’oublie pas les présidents, les
magistrats et les vérificateurs des neuf autres chambres régionales et territoriales des
2
comptes qui ont réalisé les contrôles d’établissements de santé dans le cadre de cette
enquête.
Avant d’en venir à nos principaux constats et recommandations, je souhaiterais dire
quelques mots sur le contexte et le périmètre de notre étude.
Que sont les urgences hospitalières
?
Aux termes du code de la santé publique, la
médecine d’urgence a pour vocation la prise en charge, tous les jours de l’année et
24
heures sur
24, de toute personne, sans sélection, nécessitant des soins urgents. Sur
le plan médical, la médecine d’urgence dispense les soins nécessaires à la stabilisation
de l’état d’un malade ou d’un blessé au cours des premières 24 heures de sa prise en
charge. Elle n’a pas vocation à conserver le patient au-delà de cette durée
; elle doit avoir
passé, dans ce délai, le relai aux autres spécialités, si c’est nécessaire.
Il est important de rappeler cette vocation fondamentale des urgences, car les difficultés
actuelles des services d’urgence ne tiennent pas d’abord à celles-ci mais à leur
substitution, de fait, aux défaillances des autres segments ou des autres spécialités du
système de santé.
La médecine d’urgence est exercée en France, aujourd’hui, par cinq types de services
assurant trois principales fonctions.
D’abord, le service d’aide médicale urgente, ou Samu (dit aussi Centre 15)
. Il s’agit des
services d’accueil des appels et d’orientation des patients dans le système de soins. Les
SAMU sont au nombre d’une centaine, et sont hébergés par les centres hospitaliers
universitaires. Tout récemment, ils ont été complétés par le «
service d’accès aux soins
»
(SAS), qui est en fin de déploiement, avec l’objectif d’en installer un par département
;
Ensuite, les «
structures mobiles d’urgence et de réanimation
» (Smur).
Ce sont des
équipes qui se déplacent pour prendre en charge et transporter, sur demande du Samu,
les personnes accidentées ou en détresse sanitaire
; ils sont au nombre de 388
;
Enfin, les «
structures de médecine d’urgence
» dans les hôpitaux, appelées plus
simplement «
les urgences
»
. Elles seront bientôt complétées par des
«
antennes de
médecine d’urgence
»
, créées en décembre 2023 par décret, qui seront autorisées à ne
fonctionner que 12
heures par jour, à condition qu’elles soient rattachées à une structure
d’urgences de plein exercice.
Ces divers services dépendaient, fin 2022, de 624 établissements de santé dont 467
hôpitaux publics (75
% des structures des urgences), 35
cliniques à but non lucratif et
122 cliniques à but lucratif
. Grâce à notre organisation en formation inter-juridictions,
plus de 40 structures de médecine d’urgence ont été analysées au cours de notre
enquête.
Le coût total de l’activité de médecine d’urgence a été évalué à 5,6
Md€ pour l’année
2023, dont 5,31
Md€ assumés par l’assurance maladie, ce qui représente 5,17
% de la
part hospitalière de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (Ondam)
.
Mais le dispositif de tarification et d’estimation du coût de la médecine d’urgence est
particulièrement complexe, car il est imbriqué avec les autres activités hospitalières.
3
Le rapport que je vous présente aujourd’hui ne traite pas organiquement du SAMU et
du SMUR, qui ont fait l’objet d’un rapport récent de la 6
e
chambre.
Il traite
principalement des difficultés des structures des urgences à l’hôpital.
Ces services sont sollicités de manière croissante, au-delà même de l’augmentation de
la population
. En 2022, le nombre de passages aux urgences, sur le plan national, s’est
élevé à
20,9 millions
, en hausse de 6
% par rapport à 2021. Les services hospitaliers de
médecine d’urgence rencontrent régulièrement, et de manière plus intense depuis la fin
de la crise sanitaire, des difficultés de fonctionnement qui inquiètent à juste titre nos
concitoyens
: l’attente particulièrement longue avant une prise en charge, un nombre
élevé de personnes allongées dans les couloirs pendant de nombreuses heures avant
d’être soignées ou dirigées vers un service en mesure de les prendre en charge, des
fermetures de l’accueil de nuit et parfois certains jours, avec des conséquences parfois
très graves pour les patients.
Les difficultés rencontrées par les services d’urgences datent d’avant la pandémie de
covid-19
. Des mesures avaient été prises en 2018 et en 2019 pour y répondre, au travers
du «
Pacte de refondation des urgences
». Mais l’activité prioritaire et massive que
l’épidémie a exigée et la crainte de la contagion par la fréquentation des hôpitaux les ont
paradoxalement mises en sourdine, jusqu’à l’été 2022 où la crise est devenue majeure.
Les raisons de cette crise sont plurielles et elles se sont renouvelées en 2023
; notre
rapport les analyse.
C’est dans ce contexte, fin décembre 2023, que la présidente de la commission des
affaires sociales de l’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes un rapport
sur l’accueil et le traitement des urgences à l’hôpital.
Cette demande portait plus
précisément sur l’efficacité des mesures du programme d’action « Ma santé 2022 »,
adopté en juin 2018, programme complété, en décembre 2019, par le « Pacte de
refondation des urgences » que j’évoquais à l’instant. Ce plan, regroupant 12 mesures,
est issue d’un rapport demandé en juin 2019 par le Gouvernement au député Thomas
Mesnier et au professeur de médecine Pierre Carli.
Le rapport que je vous présente aujourd’hui comporte trois messages clefs.
Premièrement, les urgences sont sursollicitées, au-delà même de leur vocation, en
raison de l’insuffisance de l’offre de soins et de l’accroissement de la demande avec le
vieillissement de la population.
Cette situation appelle le renforcement du système de
soins dans son ensemble, en ville et à l’hôpital, pour remettre la médecine d’urgence à
sa juste place.
Deuxièmement, les services d’urgence souffrent de plusieurs tensions internes
: d’une
part, l’insuffisance du nombre de médecins urgentistes, et d’autre part, les défauts de
coordination au sein des établissements de santé et entre ceux-ci – notamment pour
trouver des lits disponibles en aval
. Cette tâche est particulièrement difficile lorsque les
services d’aval ferment eux-mêmes des lits par manque de personnel soignant.
4
La surcharge de travail et les difficultés d’organisation rétroagissent sur l’attractivité de
la médecine d’urgence, font fuir les médecins et aggravent à leur tour les tensions
; il
convient donc de casser cette spirale destructrice.
Enfin, notre troisième message porte sur le renforcement du pilotage des capacités des
urgences, et sur les progrès requis dans la collecte, l’actualisation et la circulation de
l’information.
1.
Venons-en à notre premier message
: l’amont des services d’urgence et les raisons
de leur sursollicitation.
Les dysfonctionnements des urgences se manifestent à travers deux phénomènes
:
l’inaccessibilité du fait de la fermeture de services alors qu’ils sont censés demeurer
ouvert en permanence, et la détérioration du service rendu, avec des temps d’attente
exagérément longs avant une prise en charge, d’erreurs de diagnostic et de soins,
pouvant aller jusqu’aux évènements indésirables avec de graves conséquences
potentielles pour le patient.
Ces événements indésirables graves associés aux soins, aussi nommés EIGS, doivent
être déclarés par les établissements de santé.
Le recensement de ces événements
survenus dans les services d’urgence en 2022, et leur analyse par la Haute Autorité de
santé, ont fait l’objet d’une première analyse d’ensemble très instructive et, il faut le dire
aussi, préoccupante au printemps 2024. La Cour recommande donc de publier
annuellement un bilan global, au niveau national, des évènements indésirables graves
intervenus dans les structures des urgences, ce qui permettrait à l’ensemble du dispositif
de progresser.
Les difficultés structurelles s’agissant des flux en amont des urgences résultent de deux
évolutions démographiques contradictoires
:
la diminution de l’accessibilité des
médecins sur une grande partie du territoire national, d’une part
; et l’accroissement de
la demande de soins, en relation avec l’augmentation et le vieillissement de la
population, d’autre part.
Or, ces phénomènes majeurs ne sont pas prêts de refluer
; ils
vont plutôt, nous le savons, s’intensifier au cours des prochaines années.
La diminution du nombre de médecins exerçant en ville prive une part croissante de la
population de médecin traitant ou d’accès à d’autres spécialistes.
Elle réduit également
les possibilités de soins non programmés, hors urgence. Les patients se tournent donc
vers les urgences en l’absence d’autre solution de consultation et de soins.
Quant au vieillissement de la population, il entraîne évidemment un besoin croissant
de suivi médical.
Les patients âgés sont plus souvent sujets aux maladies chroniques et
aux pathologies multiples, pouvant évoluer rapidement vers l’urgence, en l’absence de
suivi régulier ou de recours à une consultation dans un délai raisonnable.
Ainsi, les Samu ont répondu à 29,7 millions d’appels ayant donné lieu à 730 353 sorties
de Smur, et à 15,9 millions de dossiers de régulation médicale en 2022
. Le nombre
d’appels a augmenté de 26 % depuis 2019 et les dossiers de régulation médicale de 30%.
5
Les passages dans les structures des urgences, quant à eux, augmentent continûment
depuis 1996, à l’exception des années de crise sanitaire. Entre 2015 à 2019, le nombre
de passages aux urgences a cru de 11,1 %, alors que l’augmentation de la population n’y
a contribué qu’à hauteur de 0,6 %.
L’activité croissante des urgences confirme que l’activité de médecine d’urgence
demeure la solution par défaut, qui résulte d’une grande partie des difficultés du
système de santé
: faible accessibilité des soins de premier recours ou des soins
psychiatriques, manque de médecins traitant pour les maladies chroniques et les
personnes âgées, inadaptation des services hospitaliers à la prise en charge des soins
non programmés, consumérisme médical, etc.
De nombreuses mesures ont été prises pour pallier ces évolutions, parfaitement
documentées et prévues, et augmenter le recours aux soins non programmés en
dehors des urgences
. Elles consistent à augmenter le temps médical des médecins, les
alléger des tâches qui peuvent être accomplies par d’autres professions de santé comme
les infirmiers, les infirmiers en pratique avancée ou les pharmaciens, ou à les inscrire
dans des structures d’exercice collectif en ville et de soins coordonnées, comme les
maisons de santé pluriprofessionnelles.
Ces mesures sont essentielles pour n’orienter vers les urgences que les cas qui en
relèvent vraiment, dans l’intérêt des patients et dans celui des services d’urgence
. Ce
processus est en cours et produit des effets positifs là où les mesures sont bien
développées.
Mais la plupart de ces réformes ne sont pas à la hauteur des adaptations nécessaires,
souvent en raison de résistances au changement parfois profondes.
Et lorsqu’elles le
sont, leur mise en œuvre se heurte à des obstacles, ou passent d’impératives à
facultatives, comme la participation des médecins de ville à la permanence des soins
ambulatoires, pourtant prévue comme obligatoire mais devenue individuellement
facultative en 2004.
D’importants progrès sont encore nécessaires et possibles pour mieux graduer l’accès
aux soins non programmés
; avec l’objectif de faciliter le fonctionnement de la médecine
de ville et de désengorger parallèlement l’accueil des urgences, en «
amont
» des prises
en charge.
Dans le même sens, des mesures de régulation à l’entrée des urgences ont été mises
en place
.
Autorisées à titre expérimental à l’été 2022 puis pérennisées par deux décrets en
décembre 2023, cette prise en compte des réalités revient à renoncer au principe
d’accueil inconditionnel et permanent des urgences. Ces pratiques de régulation à
l’entrée, inévitables en raison de la pénurie des ressources médicales, sur laquelle je
reviendrai dans quelques instants, prennent des formes disparates. Mais leurs effets sont
encore mal évalués, et ces mesures doivent être mieux encadrées et sécurisées.
6
Un exemple de régulation est l’appel au Centre
15, qui relaie les demandes vers le
service d’accès aux soins de ville (le SAS), et permet la régulation de l’accueil et
l’orientation avant déplacement physique aux urgences
. Cette première évaluation à
distance par un professionnel de santé vise à examiner les possibilités de consultation
en ville, quelle qu’en soit la forme, pour éviter le recours aux urgences dans toute la
mesure du possible. Mais certaines plages horaires, dans certains territoires, demeurent
mal couvertes en dehors des services d’urgence, alors même que les dispositifs
s’additionnent sans être coordonnés. Par exemple, les équipes de médecins intervenant
dans la permanence des soins ambulatoires – c’est-à-dire les médecins de ville
volontaires pour assurer des astreintes, en lien avec l’ARS, et les équipes mobilisables
par le service d’accès aux soins, d’autre part, ne sont pas toujours bien articulés. C’est
pourquoi la Cour recommande de coordonner la gestion de ces équipes, et de
concentrer leur disponibilité sur les périodes qui correspondent le mieux aux besoins de
la population
.
La régulation de l’accès aux urgences inclut aussi des fermetures temporaires de
service, comme celles subies en 2022 et en 2023.
Ces mesures sont encadrées par les
agences régionales de santé, dans le but d’en limiter les conséquences, notamment par
la régulation des appels. Ainsi, la régulation organisée, compensée partiellement par le
renforcement significatif des centres d’appel, accessibles en permanence quant à eux,
est inévitable aujourd’hui.
Dans ce contexte, l’organisation d’une régulation territoriale de l’accès à l’offre de
soins non programmés
,
de ville et hospitalière
,
apparaît indispensable
. Il faut
optimiser, sur un bassin de santé, une ressource médicale rare et prévenir l’utilisation
inadaptée des services d’urgences.
Dans cette perspective, la multiplication des «
centres de soins non programmés
»
constitue un risque et doit être mieux encadrée.
Ces structures, majoritairement
privées, dispensent une forme intermédiaire de soins et peuvent soulager les services
d’urgence, mais elles peuvent aussi déstabiliser l’activité des médecins de ville –
notamment lorsqu’ils exercent la permanence des soins ambulatoires au sein des
maisons médicales de garde, donc en dehors des horaires d’ouvertures des médecins
libéraux, et qu’ils participent au service d’accès aux soins (le SAS). Les médecins de ville
sont alors souvent concurrencés par ces centres, qui s’implantent sans cohérence
territoriale, qui ne souhaitent pas s’inscrire dans les dispositifs de régulation et qui
n’exercent pas les fonctions de médecin traitant. Cela fragilise l’édifice de régulation en
cours de construction et encourage les pratiques consuméristes.
Notre rapport appelle donc à une régulation de l’exercice de la médecine sous cette
forme de « centres de soins non programmés ».
Face au développement de cette nouvelle offre, il conviendrait, après une évaluation
nationale pour caractériser son fonctionnement, d’établir un régime d’autorisation
spécifique pour l’inscrire dans les organisations territoriales existantes, afin de ne pas
déstabiliser davantage une offre de soins de ville et hospitalière fragilisée. Le PLFSS
soumis par le gouvernement au Sénat, le 12 novembre dernier, contient d’ailleurs une
disposition spécifique en ce sens.
7
Au sein de l’hôpital aussi, l’organisation de l’activité doit être profondément revue,
pour que l’activité non programmée soit mieux anticipée et admise, et qu’elle cesse
de relever à titre principal des urgences.
2.
J’en arrive au deuxième message de notre rapport
: les tensions internes que
connaissent les services d’urgence, leurs raisons et les moyens de les dépasser.
Les services d’urgence souffrent de plusieurs tensions internes
: d’une part,
l’insuffisance du nombre de médecins urgentistes, et d’autre part, les défauts de
coordination au sein des établissements de santé et entre ceux-ci, notamment pour
trouver des lits disponibles en aval.
La première source de tensions est l’insuffisance de ressources humaines et la pénurie
de médecins urgentistes, qui sont autant les causes que les conséquences d’une grande
partie des dysfonctionnements des urgences.
La désaffection de nombreux praticiens
pour l’exercice de la spécialité d’urgentiste à l’hôpital, malgré une hausse de l’effectif
diplômé chaque année, résulte des exigences propres à l’activité en termes d’intensité,
d’horaires
et
de
permanences.
Elle
résulte
également
des
tensions
et
dysfonctionnements qui en parasitent l’exercice, et donc de la dégradation de leurs
conditions de travail.
Là s’observe un cercle vicieux
: le manque de personnel médical dégrade encore les
conditions de travail des services d’urgence, qui perdent alors à nouveau en
attractivité…
La perte de capacités des services d’urgence les contraint même à fermer
leur accueil, partiellement ou totalement, la nuit ou certains jours, parfois avec un très
faible préavis, avec des conséquences négatives pour le bassin de population et pour les
structures des urgences les plus proches vers lesquelles se reportent les sollicitations.
Les augmentations salariales significatives déployées par les pouvoirs publics, à la suite
du Ségur de la santé, et les mesures récentes de revalorisation des gardes et astreintes
ne parviennent pas, pour l’instant, à faire réellement progresser cette faible
attractivité.
La croissance de l’effectif médical enregistrée ces cinq dernières années
s’accompagne paradoxalement d’une augmentation des postes vacants – autour de 20
%
sur la période la plus récente – d’une forte prévalence du temps partiel et d’une
concurrence salariale entre établissements, incomplètement et trop récemment
régulée.
En effet, nombre de médecins urgentistes quittent les structures des urgences et leurs
contraintes pour exercer en «
centres de soins non programmés
», même si ce
phénomène n’a pas encore fait l’objet d’un chiffrage exact.
Ces structures, que j’ai déjà
évoquées, peuvent certes soulager les structures des urgences, mais elles captent
surtout une partie de leurs ressources humaines. La Cour recommande donc, je l’ai dit,
un meilleur encadrement de ces centres, qui permettrait d’aligner les conditions de
travail des médecins en centres avec celle des médecins urgentistes, en termes de
participation à la permanence des soins.
8
Au-delà de ce point précis, la Cour recommande d’établir précisément les besoins à
moyen terme en médecins des structures des urgences, afin de mieux connaître et
mieux gérer les besoins.
Nous recommandons également de généraliser les équipes territoriales d’urgence sur
l’ensemble du territoire.
Une équipe territoriale d’urgences mutualise, au sein d’une
seule équipe, l’ensemble des médecins urgentistes qui exercent au sein de ce territoire,
indépendamment de leur établissement d’affectation.
Elle permet un positionnement optimisé en temps réel des médecins, sur l’ensemble des
services d’urgence du territoire en fonction des priorités, et elle permet d’éviter les
concurrences sur les recrutements. Les dispositifs indemnitaires devraient encourager
ce déploiement, ainsi que la Cour l’a recommandé dans son rapport récent sur l’intérim
médical.
D’autres mesures d’organisation peuvent améliorer le fonctionnement des urgences
et sont soulignées dans notre rapport.
C’est le cas du réaménagement des locaux, avec
la séparation des parcours entre par exemple la pédiatrie, les AVC et la cardiologie. C’est
aussi le cas de la sécurisation du personnel et des patients,
au regard des menaces ou
agressions que subissent nombre de soignants de la part de patients ou
d’accompagnants inquiets et violents. Les processus en cours doivent se poursuivre,
mais une impulsion bienvenue a déjà été donnée en la matière, et elle ne nécessite pas
de recommandation nouvelle.
Un levier de progrès important demeure, en revanche, s’agissant des difficultés pour
trouver des lits d’aval, susceptibles d’accueillir les patients en sortie des urgences
. Les
difficultés liées aux recherches de lits d’aval en sortie des urgences sont souvent citées
parmi les principaux facteurs de dégradation des conditions de travail ressentie par les
médecins urgentistes. Cela montre à quel point des améliorations significatives sont
nécessaires sur ce point, pour restaurer l’attractivité des structures des urgences,
fidéliser le personnel soignant et améliorer globalement le service dispensé aux usagers
et patients.
L’ordonnancement des lits, que ce soit à l’échelle de chaque établissement ou à
l’échelle territoriale, est un sujet de préoccupation majeur.
Au-delà des flux de plus en
plus importants de patients qui s’y rendent, les difficultés de sortie des urgences sont
l’autre cause de l’engorgement des services.
C’est particulièrement le cas pour les patients pluripathologiques, souvent âgés, à
l’issue de leur prise en charge.
Ces difficultés ont plusieurs causes
: un manque
d’hébergement adapté, l’impossibilité d’hospitalisation à domicile ou en Ehpad, ou
encore l’absence de lit disponible lorsqu’une hospitalisation est requise. Le temps
d’attente en sortie des urgences peut alors être particulièrement long et délétère. Des
efforts particuliers doivent être entrepris pour éviter le passage par les urgences de ces
patients, alors que la précarité de leur état de santé est connue. Les solutions incluent
une hospitalisation au domicile personnel ou en Ehpad, ou une admission directe en
hospitalisation non programmée, en cas d’aggravation soudaine de leur état. La Cour
9
recommande ainsi de systématiser les filières d’hospitalisation directe, pour éviter le
passage par les urgences des personnes âgées et en contrôler l’effectivité.
En toute hypothèse, et pour l’ensemble des patients, il est indispensable de faciliter la
sortie des urgences par une meilleure coordination territoriale.
La connaissance des lits disponibles dans les établissements publics ou privés, à
proximité d’une structure des urgences, doit être organisée.
Cette organisation et cette
meilleure coordination pourrait être systématisée et supervisée par les ARS, au travers
d’une fonction d’ordonnancement «
territorial
» des lits. La mise en œuvre de cette
fonction serait également une manière de réduire le temps et l’énergie que nombre de
médecins urgentistes consacrent à la recherche de solution d’aval pour leurs patients.
Certaines ARS, comme celles d’Occitanie ou de Bourgogne Franche Comté, s’y emploient
déjà, mais le chantier est tout juste ouvert.
La réforme récente du financement des urgences, en 2021, introduit une part de
financement – encore trop modeste – attribuée en fonction de la qualité du service
rendu aux patients.
Cela pourrait inciter les établissements à consentir à cette gestion coordonnée des lits
disponibles et à des solutions d’aval entre établissements, publics et privés.
Cette
dotation
financière
devrait
également
comporter
une
incitation
à
l’ordonnancement des lits au sein de chaque établissement, pour réduire les
cloisonnements et fluidifier les parcours de patients au sein de l’hôpital.
La question
de la disponibilité des lits en aval se pose aussi, en effet, au sein de chaque hôpital. Les
médecins urgentistes passent beaucoup de temps à négocier l’accueil de leurs patients
avec leurs homologues d’autres services, au sein même de leur établissement, en raison
du manque de lits consécutifs à l’insuffisance de personnel médical et paramédical.
La
Cour recommande ainsi de poursuivre, à un rythme annuel, l’enquête nationale sur la
gestion des lits en aval des urgences, pour vérifier la performance de la fonction
d’ordonnancement des lits à l’échelle de chaque établissement.
3.
J’en arrive au troisième et dernier message de notre rapport
: les leviers
d’amélioration en termes de connaissance de l’activité et de pilotage des services
d’urgence.
En premier lieu, j’aimerais souligner l’intérêt de la réforme globale du financement des
services d’urgence, mis en application à partir de 2021.
Jusqu’en 2020, le financement
de l’activité des urgences était fondé sur une allocation principalement calculée en
fonction du nombre de passages, complétée par les actes réalisés (la T2A). Ce mode de
financement avait tendance à moyenner les recettes et, ainsi, à rendre plus
rémunérateurs les cas simples, et plus coûteux les cas complexes, sans cohérence avec
la philosophie de la médecine d’urgence. Cela n’incitait pas non plus à la régulation de
l’accès aux urgences.
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Le nouveau modèle de financement est plus logique au regard de la mission des
urgences.
Il comporte trois composantes, avec des adaptations entre secteur public et
secteur privé, pour tenir compte de la rémunération à l’acte des médecins libéraux
:
-
une «
dotation populationnelle
»
, qui représente 53
% de l’enveloppe nationale et
est ajustée par les ARS
; elle est destinée, en simplifiant, à couvrir les coûts fixes de
chaque structure des urgences
;
-
un forfait par passage, selon cinq niveaux liés à l’âge du patient et à la gravité du
motif d’arrivée aux urgences
. Il est facturé à l’assurance maladie en tant que
rémunération à l’activité, et représente 45
% de l’enveloppe nationale. En plus, un
forfait unique est facturé au patient
;
-
une dotation calculée sur des critères de qualité
des soins, pour 2
% de l’enveloppe
nationale, et attribuée selon des critères nationaux.
Si cette réforme est bienvenue, elle est toutefois mise en œuvre de manière très
progressive, de telle sorte que les évolutions induites, trois ans après son entrée en
application, sont encore modestes
. Il faut toutefois que la dotation populationnelle joue
pleinement son rôle d’orientation des moyens sur les structures les plus nécessaires et
adaptées au territoire et à sa population.
La Cour recommande également de rendre plus efficace la dotation à la qualité, en
augmentant sa proportion, et en établissant des critères plus en relation avec la qualité
des soins dispensés aux patients.
À cet égard, la Cour considère le renforcement du rôle
des ARS dans l’administration de la médecine d’urgence, au travers de la répartition des
dotations populationnelles, de la régulation des fermetures et des autorisations
d’antennes, comme une bonne évolution.
En second lieu, la Cour appelle à une simplification de l’enregistrement des données
et de leur circulation aux différentes étapes de l’activité des urgences.
La qualité et le
partage d’information sur l’activité des structures des urgences est une condition de
l’optimisation des moyens disponibles et de l’amélioration du service rendu et de
l’efficience. Aujourd’hui, les logiciels qui suivent les appels au Samu et au SAS ne
communiquent pas de manière simple et automatisée avec les applications utilisées
dans les structures des urgences, et encore moins dans les cabinets libéraux assurant la
permanence des soins ambulatoires.
Pour faciliter l’orientation, la prise en charge et le suivi des personnes se présentant
aux urgences, la Cour recommande donc d’articuler les données des résumés de
passages aux urgences avec
les données enregistrées par les Smur, les données
enregistrées par les Services d’accès aux soins et les Samu, et les données du
programme de médicalisation des systèmes d’information.
Au sein même des établissements de santé, l’enregistrement des patients puis le
traitement de leur dossier suivent deux circuits différents entre les soins, résumés dans
le «
résumé de passage aux urgences
», et la facturation
. Ces enregistrements sont non
recoupés entre eux, ce qui est source d’incohérences, facilite les erreurs voire les
éventuelles fraudes, et complique fortement les contrôles. Pourtant, ces derniers sont
notoirement insuffisants. La Cour recommande donc de contrôler systématiquement la
11
cohérence entre les déclarations des établissements destinées au suivi de l’activité
sanitaire, et les cotations des passages aux urgences destinées à la facturation.
Le répertoire des moyens disponibles et des moyens mobilisés dans les établissements
de santé devrait, de même, être d’accès faciles pour tous les professionnels de santé
hospitaliers et pour les administrations de tutelle, au niveau local comme au niveau
régional et national
. Cela permettrait l’anticipation des tensions et l’adaptation de
l’appareil de santé aux besoins, variables selon les lieux et les périodes de l’année.
Enfin, les usagers doivent pouvoir s’informer facilement de l’accessibilité des services
d’urgence et de la qualité des soins qui y sont dispensés.
Par exemple, le Québec a mis
en place un site internet avec des tableaux de bord actualisés en continu, présentant,
parmi de nombreux autres paramètres, les temps d’attente avant prise en charge dans
les structures des urgences.
Nous recommandons de mettre à la disposition des
usagers, en continu, les données concernant les urgences, comme les structures
ouvertes à proximité de leur localisation, le temps d’attente observé dans celles-ci, le
nombre de passages, les services fermés, etc.
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Voici les principaux constats et recommandations de notre rapport, que je souhaitais
porter à votre connaissance.
Comme vous le voyez, les recommandations qui
accompagnent notre rapport, et que vous trouverez étayées en annexes, sont diverses
et concernent en réalité l’intégralité du parcours de soins.
Les urgences hospitalières constituent le réceptacle ultime d’une grande partie des
difficultés qui émaillent aujourd’hui les divers segments de notre système de santé.
Bien au-delà de leur mission fondamentale, elles sont le dernier recours face aux
difficultés d’accès aux soins de ville ou au médecin traitant.
Elles se trouvent donc sollicitées au-delà de leur capacité, pour traiter de cas qui
n’auraient pas dû être contraints d’y venir.
Les voies d’amélioration du fonctionnement des urgences sont multiples et elles
reposent sur une approche d’ensemble du système de soins, d’où le titre de notre
rapport
qui plaide pour
«
une transformation indispensable du parcours des
patients
».
De nombreux axes d’amélioration ont déjà été impulsés, et nous pouvons
nous en réjouir
; mais les services d’urgence demeurent encore aujourd’hui l’exutoire de
tous les dysfonctionnements de notre système de santé.
Je vous remercie pour votre attention
. Je me tiens à votre disposition, ainsi que l’équipe
qui a instruit ce rapport et que je remercie à nouveau pour cet immense travail, pour
répondre à vos questions.