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CHAMBRE DU CONTENTIEUX
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Deuxième section
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Arrêt n° S-2024-1311
Audience publique du 19 septembre 2024
Prononcé du 10 octobre 2024
COMMUNE DE FELLERIES
Affaire n° 12
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789, notamment
son article 8 ;
Vu le code général des collectivités territoriales (CGCT), notamment ses articles L. 1611-7-1
et R. 1617-3 ;
Vu le code de la commande publique, notamment son article L. 1121-1 ;
Vu le code des juridictions financières (CJF) ;
Vu l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 modifiée de finances pour 1963,
en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022 ;
Vu l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière
des gestionnaires publics ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu la communication du 13 mars 2023, enregistrée le 15 mars 2023 au parquet général,
par laquelle le directeur régional des finances publiques des Hauts-de-France a déféré
au ministère public près la Cour des comptes des faits susceptibles de constituer
des irrégularités dans la gestion de la commune de Felleries (Nord) ;
Vu le réquisitoire du 4 mai 2023, par lequel le procureur général près la Cour des comptes
a saisi la juridiction de cette affaire ;
Vu la décision du 8 juin 2023 par laquelle le président de la chambre du contentieux
a désigné M. Boris KUPERMAN, président de section de chambre régionale des comptes,
magistrat chargé de l’instruction de l’affaire ;
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Vu
les
ordonnances
de
mise
en
cause
de
M. X,
de
Mme Y,
de
Mme Z,
de
Mme A,
de
M. B
et de Mme C, notifiées aux intéressés et au ministère public ;
Vu l’ordonnance de règlement du 5 avril 2024, notifiée aux personnes mises en cause
et au ministère public ;
Vu la communication le 9 avril 2024 du dossier de la procédure au procureur général
près la Cour des comptes ;
Vu la décision du procureur général près la Cour des comptes, en date du 8 juillet 2024,
renvoyant
MM.
X
et
B,
Mmes
Y,
Z,
A
et
C
devant la Cour des comptes ;
Vu la convocation des personnes renvoyées à l’audience publique du 19 septembre 2024,
notifiée aux intéressés le 16 juillet 2024 ;
Vu les mémoires produits le 6 septembre 2024 par M
e
Didier CATTOIR dans l’intérêt
de Mme A et de M. X ;
Vu le mémoire produit le 11 septembre 2024 par M
e
Loïc POUPOT dans l’intérêt
de Mme C et de M. B ;
Vu le mémoire produit le 12 septembre 2024 par M
e
Stéphane BONICHOT dans l’intérêt
de Mme Y ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 19 septembre 2024, M. Steve WERLE, procureur
financier, en la présentation de la décision de renvoi, et M. Louis GAUTIER, procureur général,
en ses réquisitions ;
Entendu sous foi de serment Mme AG, secrétaire de l’association « Comité des fêtes
de Felleries » et membre de la commission «
fêtes et cérémonies
» du conseil municipal
de Felleries au moment des faits, et Mme MB, comptable de la commune de Felleries,
en leur témoignage, à la demande de M. B et Mme C, après avis du ministère
public ;
Entendu
M. B
et
Mme C,
assistés
de
M
e
POUPOT,
Mme Y,
assistée
de M
e
BONICHOT, Mme A et M. X, assistés de M
e
Henry-François CATTOIR
en substitution de M
e
Didier CATTOIR, et Mme Z, les personnes renvoyées ayant
eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Christian MICHAUT, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
1. M. X,
maire
de
la
commune
de
Felleries,
Mme Y
et
Mme A,
adjointes au maire, M. B, président de l’association «
Comité des fêtes de Felleries
»
et
Mme C,
trésorière
de
ladite
association,
ainsi
que
Mme Z,
secrétaire
de mairie, ont été renvoyés devant la Cour des comptes pour s’être immiscés
dans les fonctions de comptable public au cours d’opérations concernant le musée des Bois
Jolis et le comité des fêtes de Felleries. Ils sont ainsi susceptibles d’avoir commis l’infraction
définie à l’article L. 131-15 du code des juridictions financières. Il est en outre fait grief à quatre
d’entre eux de n’avoir pas produit les comptes de leur gestion, abstention susceptible
de constituer l’infraction mentionné au 1° de l’article L. 131-13 du même code.
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2. En ses réquisitions orales, le Procureur général a écarté des poursuites Mme Z,
qui avait été initialement renvoyée devant la Cour. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour de statuer
sur les poursuites engagées à son encontre.
Sur la compétence de la Cour des comptes
3. Aux termes de l’article L. 131-1 du CJF, en vigueur depuis le 1
er
janvier 2023,
«
Est justiciable de la Cour des comptes au titre des infractions mentionnées à la section 2
[du chapitre I
er
du titre III du même code] : […]
3° Tout représentant, administrateur ou agent
des autres organismes qui sont soumis soit au contrôle de la Cour des comptes,
soit au contrôle d’une chambre régionale des comptes ou d’une chambre territoriale
des comptes.
/
Sont également justiciables tous ceux qui exercent, en fait, les fonctions
des personnes désignées aux 1° à 3°.
».
4. L’article L. 131-2 du même code prévoit que «
sous réserve des articles L. 131-3 et L. 131-
4, ne sont pas justiciables de la Cour des comptes
[…]
Les maires et, quand ils agissent
dans le cadre des dispositions des articles L. 2122-17 à L. 2122-20 et L. 2122-25 du code
général des collectivités territoriales, les adjoints et autres membres du conseil municipal
[…] ». L’article L. 131-3 du CJF dispose que «
Les personnes mentionnées à l’article L. 131-2
sont justiciables de la Cour des comptes au titre de l’infraction définie à l’article L. 131-15
».
L’article L. 131-15 du même code réprimant les agissements constitutifs de gestion de fait,
il en résulte que les élus municipaux sont justiciables de la Cour des comptes,
depuis le 1
er
janvier 2023, en cas de gestion de fait.
5. Pour la période antérieure à cette date, l’article L. 231-3 du CJF prévoyait que la chambre
régionale des comptes était compétente pour juger les comptes rendus par les personnes
qu’elle avait déclarées comptables de fait. Les élus municipaux n’étaient pas exclus du champ
d’application de cet article.
6. Il
en
résulte
que
M. X,
maire
de
la
commune
de
Felleries,
Mme Y
et Mme A, adjointes au maire, sont justiciables de la Cour des comptes y compris
pour les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée,
dans les limites de la prescription.
7. La Cour des comptes est également compétente pour juger en l’espèce les autres
personnes renvoyées car dès lors que l’infraction prévue et réprimée par l’article L. 131-15
du CJF se trouverait constituée, elles deviendraient des comptables publics de fait
de la commune, au sens des dispositions précitées de l’article L. 131-1 du même code.
Sur la prescription
8. Aux termes de l’article L. 142-1-3 du CJF dans sa version applicable depuis
le 1
er
janvier 2023, «
La Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère public
après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis
le fait susceptible de constituer une infraction au sens de la section 2 du chapitre I
er
du titre III
du présent livre. / Ce délai est porté à dix années révolues à compter du jour où a été commis
le fait susceptible de constituer l’infraction prévue à l’article L. 131-15. / L’enregistrement
du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, l’ordonnance de mise
en cause, l’ordonnance de règlement et la décision de renvoi interrompent la prescription
. ».
9. Il en résulte que ne peuvent être valablement poursuivis et sanctionnés dans la présente
affaire que les faits commis depuis moins de 10 ans, s’agissant d’une gestion de fait, et depuis
moins de 5 ans pour les autres infractions, avant la date à laquelle a été enregistrée
au parquet général la communication susvisée du directeur régional des finances publiques
des Hauts-de-France, soit les faits commis depuis respectivement le 15 mars 2013
et le 15 mars 2018.
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Sur le droit applicable
10. En application des dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen susvisée, relatives à la légalité des infractions et des peines et à la nécessaire
proportionnalité de celles-ci, il n’est pas possible d’appliquer rétroactivement une disposition
répressive qui aurait un caractère plus sévère, pour le justiciable. Toutefois, la loi nouvelle
plus douce se saisit de toutes les infractions qui lui sont antérieures et qui n’ont pas encore
été définitivement jugées, tant pour la qualification que pour le plafond de l’amende qui pourrait
être infligée aux personnes renvoyées.
11. Dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2022, le XI de l’article 60 de la loi
du 23 février 1963 susvisée disposait : «
Toute personne qui, sans avoir la qualité
de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d’un comptable public,
s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté
d’un poste comptable ou dépendant d’un tel poste doit, nonobstant les poursuites
qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge
financier de l’emploi des fonds ou valeurs qu’elle a irrégulièrement détenus ou maniés.
/ Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement
des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public et pour toute
personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant
sur des fonds ou valeurs n’appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables
publics sont exclusivement chargés d’exécuter en vertu de la réglementation en vigueur.
/ Les gestions de fait sont soumises aux mêmes juridictions et entraînent les mêmes
obligations et responsabilités que les gestions régulières. Néanmoins, le juge des comptes
peut, hors le cas de mauvaise foi ou d’infidélité du comptable de fait, suppléer
par des considérations d’équité à l’insuffisance des justifications produites. / Les comptables
de fait pourront, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations
des poursuites au titre du délit prévu et réprimé par l’article 433-12 du Code pénal,
être condamnés aux amendes prévues par la loi
. ».
12. L’article L. 231-9 du CJF disposait, jusqu’au 31 décembre 2022, que «
La chambre
régionale des comptes peut condamner les comptables de fait à l’amende en raison
de leur immixtion dans les fonctions de comptable public
».
13. L’article L. 313-4 du CJF, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022, rendait passible
d’une amende prononcée par la Cour de discipline budgétaire et financière toute personne
ayant «
enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses
[…]
des collectivités
[…]. /
Lorsque les faits incriminés constituent une gestion occulte au sens
du paragraphe XI de l’article 60 de la loi de finances pour 1963
[n° 63-156 du 23 février 1963]
,
la Cour des comptes peut déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière
les comptables de fait quand leurs agissements ont entraîné des infractions prévues
au présent titre
. »
14. À compter du 1
er
janvier 2023, l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée a substitué
à ces différentes dispositions celles de l’article L. 131-15 du code des juridictions financières,
qui énoncent que «
Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir
sous contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement
de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable
ou dépendant d’un tel poste est, dans le cas où elle n’a pas fait l’objet pour les mêmes
opérations des poursuites au titre du délit prévu et réprimé par l’article 433-12 du code pénal,
passible des sanctions prévues à la section 3 au titre de sa gestion de fait. / Le comptable
de fait est en outre comptable de l’emploi des fonds ou valeurs qu’il détient ou manie
irrégulièrement et, à ce titre, passible des sanctions prévues à la section 3 en cas
de commission d’une infraction mentionnée aux articles L. 131-9 à L. 131-14. / Il en est
de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds
ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public et pour toute personne
qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds
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ou valeurs n’appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics
sont exclusivement chargés d’exécuter en vertu de la réglementation en vigueur
. »
15. Il résulte de l’ensemble des dispositions rappelées ci-dessus que, jusqu’au 31 décembre
2022, l’immixtion dans les fonctions de comptable public d’une commune était susceptible
d’être sanctionnée par une amende prononcée soit par la Cour de discipline budgétaire
et financière, soit par la chambre régionale des comptes, et que depuis le 1
er
janvier 2023,
la Cour des comptes est compétente pour sanctionner, y compris à l’égard d’élus locaux,
une telle infraction, dont les éléments constitutifs demeurent inchangés.
Sur l’infraction de gestion de fait concernant le musée des Bois Jolis
Sur les faits
16. Propriété de la commune de Felleries, le musée des Bois Jolis est géré en régie directe
par cette dernière depuis le 1
er
janvier 2019. Une régie de recettes, dont l’acte de création
n’a pu être produit, a été instituée et des régisseurs titulaires et suppléants ont été nommés
par arrêté du maire, M. X, à partir du 4 février 2019.
17. Cependant, les recettes issues de la vente par le musée d’objets confectionnés
ont été encaissées, entre avril 2019 et novembre 2020, par des membres de l’association
«
Les amis de Felleries et des Bois Jolis
», avant de faire l’objet d’un reversement
à la commune sous forme de «
don
», après déduction des coûts supportés par l’association.
Ce dispositif a été mis en place à la demande du maire et en l’absence de convention
avec la collectivité, tandis que les recettes tirées des entrées au musée étaient encaissées
dans le cadre de la régie de recettes.
18. Du 1
er
mars 2021 au 14 juin 2022, et comme l’atteste le procès-verbal de vérification
de la régie effectuée par le comptable public le 14 juin 2022, l’association a encaissé,
sans titre, la totalité des recettes du musée, y compris les droits d’entrée, malgré la création,
par arrêté du 24 juin 2021, d’une nouvelle régie de recettes «
diverses recettes
», comprenant
une «
sous-régie du musée des Bois Jolis
».
19. Après suppression de ladite régie, la commune a confié à l’association «
Les amis
de Felleries et des Bois Jolis
», par une convention datée du 7 juillet 2022, l’encaissement
des recettes issues de l’exploitation du musée. Cette convention, dite de délégation de service
public, a été remplacée par une convention de mandat conclue le 31 mai 2023
entre la commune et l’association, qui confie à cette dernière la gestion, la commercialisation
et l’encaissement des billets d’entrée au musée et des ventes en boutique.
20. Le procureur général près la Cour des comptes soutient, sur le fondement de l’article
L. 131-15 du code des juridictions financières, que ces faits constituent une gestion de fait
des deniers de la commune de Felleries pour la période d’avril 2019 au 31 mai 2023.
Sur la qualification juridique
21. Sont comptables de fait les personnes qui se sont ingérées dans le recouvrement
de recettes destinées à la caisse de la commune, sans agir sous le contrôle ou pour le compte
du
comptable
public.
Relèvent
de
la
même qualification
et doivent
également
être sanctionnées sur le fondement de l’article L. 131-15 du CJF, les personnes qui ont
encaissé des sommes destinées à une régie de recettes, sans avoir la qualité de régisseur.
22. Il est constant qu’à compter du 1
er
avril 2019, les recettes de la boutique du musée
communal des Bois Jolis, tirées de la vente d’objets, ont été encaissées par l’association
«
Les amis de Felleries et des Bois Jolis
», en l’absence de tout titre légal ou conventionnel.
Cette ingérence dans l’encaissement de recettes publiques s’est poursuivie alors même que,
par arrêté du 23 septembre 2020, le maire de la commune avait nommé Mme Y,
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adjointe déléguée pour les affaires ayant trait au musée, en qualité de régisseur de recettes
du musée.
23. Entre mars et juin 2022, l’association a continué d’encaisser sans titre le produit des ventes
d’objets et a également pris en charge l’encaissement des recettes des entrées au musée,
toujours
sans
titre
légal,
alors
même
qu’un
nouveau
régisseur,
Mme Z,
avait été nommé le 22 juillet 2021, ainsi qu’un régisseur suppléant.
24. À compter du 7 juillet 2022, la commune a chargé par convention l’association d’encaisser
en ses lieu et place le produit des entrées et des ventes de biens du musée. Quoiqu’elle soit
intitulée «
délégation de service public
», ladite convention, qui n’emporte pas transfert
du risque d’exploitation au cocontractant, ne saurait être regardée comme un contrat
de concession au sens de l’article L. 1121-1 du code de la commande publique.
Dans la mesure où le fonctionnement du musée repose sur un agent communal
mis à la disposition de l’association à temps complet, les recettes tirées des droits d’entrée
et de la vente d’objets ne peuvent pas davantage être considérées comme tirées de l’activité
propre de l’association. Si elle devait au contraire s’analyser comme un mandat donné
par la commune pour encaisser des recettes publiques, cette convention n’a pas donné lieu
à un avis conforme du comptable public tel que prévu par l’article L. 1611-7-1 du code général
des collectivités territoriales. Elle ne peut donc être considérée ni comme ayant confié
à l’association une délégation de service public, qui aurait permis de regarder les recettes
du service comme de nature privée, ni comme un mandat valant titre légal pour l’encaissement
de deniers publics.
25. Il résulte de ce qui précède que, pour la période courant d’avril 2019 jusqu’au 31 mai 2023,
date de l’entrée en vigueur de la nouvelle convention de mandat, et sans qu’il soit besoin
de se prononcer sur la prise en charge, par l’association «
Les amis de Felleries et des Bois
Jolis
», de dépenses incombant à la collectivité, l’association s’est ingérée sans titre
dans le recouvrement de recettes destinées à la commune, ces agissements étant constitutifs
d’une gestion de fait.
Sur l’imputation des responsabilités
26. Il ressort du dossier, et notamment des déclarations concordantes des intéressés,
que l’immixtion de l’association dans l’encaissement des ventes de la boutique, à partir d’avril
2019, a répondu à une demande du maire, M. X, qui souhaitait éviter que le conseil
municipal ne délibère sur le prix de chaque objet. S’il n’a pas manié de brève main les deniers
communaux, il a couvert de son autorité les irrégularités qui se sont étendues, à partir de mars
2022, à la totalité des recettes du musée, alors même qu’il avait la possibilité d’y mettre
un terme, en particulier en veillant au fonctionnement régulier des régies qu’il avait instituées
et au bon accomplissement de leur mission par les régisseurs qu’il avait nommés.
Il doit en conséquence être regardé comme comptable de fait sur l’ensemble de la période.
27. Adjointe au maire et nommée dans les fonctions de régisseur en septembre 2020,
Mme Y n’a encaissé aucune recette jusqu’à la démission qu’elle soutient avoir
présentée en février 2021 mais pour laquelle aucune pièce n’a été produite. Elle a veillé
à la mise en place du dispositif irrégulier impliquant l’association et défini par le maire.
À compter du 1
er
mars 2021, alors même qu’elle était censée avoir démissionné
de ses fonctions au sein de la régie de recettes, elle s’est immiscée dans le maniement
des recettes du musée en les remettant périodiquement à la trésorière de l’association.
Son rôle s’est poursuivi malgré la création de la régie «
diverses recettes
», en juin 2021,
en accord avec le maire. Mme Y, qui disposait d’une délégation pour les affaires
relevant du musée, a pris part aux irrégularités alors qu’elle avait autorité pour y mettre fin.
Elle doit en conséquence être regardée comme comptable de fait à compter de septembre
2020.
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Sur l’infraction de gestion de fait concernant le comité des fêtes de Felleries
Sur les faits
28. Par délibérations des 4 juin 2020 et 20 octobre 2021, le conseil municipal de Felleries
a décidé de prendre en charge des dépenses relatives à différents événements sportifs,
culturels et musicaux, dont la «
course des couleurs
», que la commune organisait depuis
plusieurs années.
29. Constituée le 25 juin 2020, l’association «
Comité des fêtes de Felleries
» a pour objet,
aux termes de ses statuts, d’ «
animer la commune par l’organisation de toutes fêtes,
distractions et manifestations d’ordre culturel, éducatif, sportif ou social et de favoriser
le rayonnement de la commune de Felleries par l’organisation ou la participation aux fêtes,
repas et autres animations sur la commune de Felleries
».
30. Le procès-verbal de la réunion du conseil municipal du 22 septembre 2020 décrit
la répartition des dépenses et des recettes entre la commune et l’association, en particulier
pour la «
course des couleurs
», sans qu’une convention ait été conclue à cet effet.
31. L’association a cependant procédé à l’encaissement de recettes et au règlement
de dépenses concernant les événements dont le choix et l’organisation relevaient
de la commune, en particulier la course des couleurs et un spectacle de «
théâtre patoisant
»
en 2021 et 2022, ainsi, en 2022, que le «
spectacle de Johnny
» et l’événement «
Joly jazz
».
Elle n’a, en revanche, pas reversé au trésor public, comme prévu dans le procès-verbal
précité, le bénéfice de ces manifestations, et en particulier de la course des couleurs.
32. En janvier 2023, les trois membres du bureau de l’association, dont M. B
et
Mme C,
ont
procédé
au
versement, entre
les
mains
du
comptable
public,
d’une somme de 3 484,86 € pour solder le compte bancaire «
course des couleurs
»,
qui avait été ouvert afin d’individualiser les opérations effectuées par le comité des fêtes
pour le compte de la commune. Ils ont démissionné de leur mandat de conseiller municipal
le 4 février 2023.
Sur la qualification juridique
33. Sont comptables de fait les personnes qui se sont ingérées dans le recouvrement
de recettes destinées à la caisse de la commune, sans agir sous le contrôle ou pour le compte
du comptable public. Relèvent de la même qualification et doivent également être
sanctionnées sur le fondement de l’article L. 131-15 du CJF, les personnes qui ont encaissé
des sommes destinées à une régie de recettes, sans avoir la qualité de régisseur.
34. Il est constant qu’à compter de sa création, l’association «
Comité des fêtes de Felleries
»
a été chargée par la commune, en l’absence de tout titre légal, de la perception de recettes
tirées de manifestations dont l’initiative et l’organisation revenaient à la collectivité, et dont
les produits devaient en conséquence être regardés comme destinés à la caisse du comptable
public, ces agissements étant constitutifs d’une gestion de fait.
Sur l’imputation des responsabilités
35. M. X, ordonnateur de la commune, a couvert de son autorité les irrégularités,
en demandant à l’association de prendre en charge des dépenses et des recettes publiques
et en lui permettant de conserver des recettes qui étaient destinées à la caisse publique.
S’il n’a pas manié personnellement les deniers en cause, il doit être regardé comme
gestionnaire de fait de longue main.
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36. Mme A,
adjointe
au
maire,
a
joué
avec
ce
dernier
un
rôle
déterminant
dans l’organisation des irrégularités et dans l’immixtion du comité des fêtes dans la gestion
financière des manifestations de nature communale. Elle a laissé perdurer les agissements
incriminés, qu’elle ne pouvait ignorer. Elle doit en conséquence être regardée comme ayant
organisé des irrégularités auxquelles elle était en mesure de mettre fin.
37. M. B, président de l’association lors de sa création et, jusqu’en février 2023,
conseiller municipal, s’est prêté en toute connaissance de cause aux irrégularités.
38. Mme C, trésorière de l’association et membre du conseil municipal, a encaissé
sans titre des recettes publiques et manié de brève main des fonds destinés à la caisse
publique.
Sur les circonstances
39. Exerçant les fonctions de maire depuis 2014, M. X a laissé deux associations
s’immiscer dans le maniement de deniers publics. S’agissant du comité des fêtes,
il a délibérément permis aux comptables de fait de conserver les sommes destinées
à être reversées à la commune, et a demandé à l’association, en contrepartie, de prendre
en charge des dépenses étrangères à son objet, incombant à la commune mais rejetées
par le comptable public en l’absence de crédits disponibles ou de pièces justificatives
suffisantes. De plus, il a laissé perdurer, au sein des régies, lorsqu’il ne les a pas imposées,
des pratiques éloignées tant des textes que des règles internes, et n’a pas procédé
aux contrôles qui incombent à l’ordonnateur en vertu de l’article R. 1617-17 du code général
des collectivités territoriales. Enfin, lors de la remise des fonds à la commune, l’association
du musée procédait à la déduction de dépenses dont l’objet s’inscrivait dans le cadre
du fonctionnement du musée, ce qui conduisait à une contraction des dépenses
et des recettes, en contradiction avec le principe d’universalité budgétaire rappelé
à l’article 24, alinéa 1
er
, du décret du 7 novembre 2012 susvisé. M. X a ainsi commis
des irrégularités répétées sur une durée longue, dans des conditions qui ont porté une atteinte
grave à l’ordre public financier.
40. Mme Y, élue de très longue date, n’a cependant exercé les fonctions d’adjointe
déléguée au musée qu’à partir de 2020. Elle n’a pas pris la mesure exacte des obligations
qui lui incombaient en cette qualité et a apporté, dans un premier temps, un concours actif
à la gestion de fait en qualité à la fois de comptable de longue main et, sur une période
beaucoup plus limitée, de brève main. Elle a toutefois contribué utilement à la manifestation
de la vérité et, dans un contexte local difficile, à la cessation des irrégularités dès qu’elle en a
pris conscience.
41. Mme A,
élue
expérimentée
et
première
adjointe
au
maire
depuis
2014,
apparaît comme l’instigatrice, avec M. X, du dispositif qui a conduit à la gestion de fait
du comité des fêtes mais également à la conservation, par cette association, des sommes
qu’elle aurait dû reverser à la commune.
42. S’ils ne peuvent être regardés comme les instruments passifs de la gestion de fait
du
comité
des
fêtes,
M. B
et
Mme C
se
sont
conformés
de
bonne
foi
aux indications qui leur étaient données par le maire et la première adjointe. Ils ont veillé
à mettre un terme aux faits litigieux dès qu’ils ont eu connaissance de leur caractère irrégulier.
Ils se sont vidé les mains en versant auprès du comptable le reliquat de leur gestion. S’y ajoute,
pour M. B, son inexpérience dans la gestion publique puisqu’il n’a été élu conseiller
municipal qu’en 2020 et qu’il n’a pas manié personnellement les deniers publics.
Arrêt n° S-2024-1311
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Sur l’infraction de défaut de production de compte
Sur le droit applicable
43. Aux termes de l’article L. 131-15, alinéa 2, du code des juridictions financières,
toute personne qui s’immisce sans titre dans les fonctions de comptable public «
est en outre
comptable de l’emploi des fonds ou valeurs qu’
[elle]
détient ou manie irrégulièrement et,
à ce titre, passible des sanctions prévues à la section 3 en cas de commission d’une infraction
mentionnée aux articles L. 131-9 à L. 131-14
».
44. En application du 1° de l’article L. 131-13 du CJF, tout justiciable de la Cour des comptes
est passible de l’amende prévue au deuxième alinéa de l’article L. 131-16 lorsqu’il ne produit
pas les comptes de sa gestion.
45. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que tout gestionnaire de fait est comptable
de la production du compte des opérations irrégulières, sous peine d’amende.
Sur les faits
46. En l’absence de tenue de l’assemblée générale, aucun compte des opérations de recettes
et de dépenses de l’association «
Comité des fêtes de Felleries
» ou de la gestion de fait
n’a pu être approuvé par les instances statutaires ni même produit à la Cour des comptes
lors de l’instruction du réquisitoire. Le seul support de reconstitution du compte de la gestion
de fait est constitué par les relevés de comptes bancaires de l’association et par des cahiers
manuscrits tenus par la trésorière de l’association. Il n’a dès lors pas été satisfait
aux obligations de production du compte.
Sur la qualification juridique
47. Les dispositions précitées des articles L. 131-13, 1°, et L. 131-15, alinéa 2, du CJF
ne permettent de réprimer que le défaut de production du compte de sa gestion
par une personne dont la qualité de comptable de fait a déjà été constatée par le juge.
Il ne peut en conséquent, à ce stade de la procédure, être fait reproche à M. X,
Mme A,
M. B
et
Mme C
d’avoir
commis
l’infraction
définie
au
1°
de l’article L. 131-13 du code des juridictions financières.
Sur l’amende
48. Il sera fait une juste appréciation de la gravité des faits et de leur caractère répété
en
infligeant
à
M. X
une
amende
de
3 000 €,
à
Mme A
une
amende
de 2 000 €, à Mme Y une amende de 1 000 €, à Mme C une amende de 1 000 €,
et en dispensant M. B de toute amende.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. – M. X est condamné à une amende de trois mille euros (3 000 €).
Article 2. – Mme A
est
condamnée
à
une
amende
de
deux
mille
euros
(2 000 €).
Article 3. – Mme Y est condamnée à une amende de mille euros (1 000 €).
Article 4. – Mme C est condamnée à une amende de mille euros (1 000 €).
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Article 5. – M. B est dispensé de peine.
Article 6. – Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française et,
sous forme anonymisée, sur le site internet de la Cour des comptes. Un lien sera créé entre
le site internet de la Cour et le Journal officiel, lien qui restera actif pendant un mois à compter
de la publication.
Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Jean-François GUILLOT, Gilles MILLER et Christian MICHAUT, conseillers maîtres,
M.
Alain
STÉPHAN,
conseiller
président
de
chambre
régionale
des
comptes,
MM. Nicolas-Raphaël FOUQUE et Louis-Damien FRUCHAUD, premiers conseillers
de chambre régionale des comptes, Mme Emmanuelle BOREL, première conseillère
de chambre régionale des comptes.
En présence de Mme Vanessa VERNIZEAU, greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Vanessa VERNIZEAU
Jean-Yves BERTUCCI
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.