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CHAMBRE DU CONTENTIEUX
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Deuxième section
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Arrêt n° S-2024-1305
Audience publique du 19 septembre 2024
Prononcé du 7 octobre 2024
COMMUNE DE SAINTE-EULALIE-EN-
BORN (LANDES)
Affaire n° 40
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789, notamment
son article 8 ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières (CJF) ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu le réquisitoire du 5 septembre 2023 par lequel le procureur général près la Cour
des comptes, à son initiative, a saisi la juridiction de faits susceptibles de constituer l’infraction
prévue à l’article L. 131-9 du code des juridictions financières ;
Vu la décision du 18 septembre 2023 par laquelle le président de la chambre du contentieux
a désigné M. Jacques DELMAS, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction
de l’affaire ;
Vu
l’ordonnance
de mise
en
cause
de Mme
X
en sa qualité
de
directrice
générale des services de la commune de Sainte-Eulalie-en-Born sur la période 2018 à 2021,
notifiée à l’intéressée, avec le réquisitoire susvisé, le 15 février 2024 et aussi notifiée
au ministère public le 12 février 2024 ;
Vu l’ordonnance de règlement notifiée le 13 mai 2024 à la personne mise en cause
et au ministère public ;
Vu la communication le 13 mai 2024 du dossier de la procédure au procureur général
près la Cour des comptes ;
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Vu la décision du procureur général de renvoi de l’affaire à la chambre du contentieux,
notifiée à la personne mise en cause le 14 juin 2024 ;
Vu la convocation de la personne renvoyée à l’audience publique du 19 septembre 2024,
notifiée à l’intéressée le 19 juillet 2024 ;
Vu le mémoire produit le 6 août 2024 par M
e
Cyril CAZCARRA pour Mme X,
communiqué au ministère public le 30 août 2024 ;
Vu la lettre du 30 juillet 2024 de Mme X demandant à ne pas comparaître
à l’audience et à y être représentée par son avocat, ainsi que sa lettre du 26 août 2024 justifiant
sa demande ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 19 septembre 2024, Mme Cécile DARDILLAC,
procureure financière près la chambre régionale des comptes Nouvelle Aquitaine,
en la présentation de la décision de renvoi, et M. Serge BARICHARD, premier avocat général,
en la présentation des réquisitions du ministère public ;
Entendu
M
e
CAZCARRA,
représentant
Mme
X,
dispensée
sur
sa
demande
de se présenter à l’audience, qui a eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Alain STÉPHAN, conseiller président de chambre régionale
des comptes, réviseur, en ses observations ;
1. Mme X, ancienne directrice générale des services de la commune de Sainte-
Eulalie-en-Born, est renvoyée devant la Cour des comptes pour n’avoir pas transmis
à l’assureur plusieurs déclarations de sinistre dans les délais prescrits, entraînant un préjudice
financier significatif pour la commune. Ces omissions pouvaient être constitutives
des infractions successivement prévues par l’article L. 313-4 du code des juridictions
financières jusqu’au 31 décembre 2022, puis par l’article L. 131-9 du même code à compter
du 1
er
janvier 2023.
Sur la compétence de la Cour des comptes
2. En application de l’article L. 131-1 du CJF, Mme X, agent d’une collectivité
territoriale, est justiciable de la Cour.
Sur la prescription
3. En vertu de l’article L. 142-1-3 du même code, ne peuvent être valablement poursuivis
et sanctionnés dans la présente affaire que les faits commis moins de cinq ans avant
le 5 septembre 2023, date à laquelle le Procureur général a pris, à son initiative, le réquisitoire
susvisé, soit les faits commis depuis le 5 septembre 2018.
Sur les sanctions encourues
4. L’article L. 313-4 du CJF disposait, au moment des faits, que la Cour de discipline
budgétaire et financière pouvait infliger à toute personne qui aurait enfreint les règles relatives
à l’exécution des recettes et des dépenses de l’État, des collectivités ou des autres organismes
publics,
une
amende
dont
le minimum ne
pourrait
être
inférieur
à
150 euros
et dont le maximum pourrait atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel
qui lui était alloué à la date à laquelle l’infraction avait été commise.
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5. Depuis le 1
er
janvier 2023, cette infraction a été remplacée par une infraction définie
à l’article L. 131-9 du même code, selon lequel la Cour des comptes peut sanctionner
tout justiciable qui, par une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes
et des dépenses de l’État, des collectivités territoriales ou des autres organismes publics
commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif. Le caractère significatif
du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget
de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable. Selon l’article L. 131-16
du même code, la juridiction peut prononcer une amende d’un montant maximal
égal à six mois de la rémunération annuelle de ce justiciable à la date de l’infraction.
Les amendes sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’éventuelle réitération
de pratiques prohibées et le cas échéant à l’importance du préjudice causé à l’organisme.
6. En vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et conformément
au principe de la rétroactivité
in mitius
, la loi nouvelle plus douce s’applique aux infractions
qui lui sont antérieures et non définitivement jugées. Cela vaut pour le plafond de l’amende
que la Cour peut prononcer, pour la condition substantielle d’un lien entre l’infraction aux règles
relatives à l’exécution des recettes et le préjudice financier significatif, ainsi que
pour le caractère de gravité que doit revêtir l’infraction.
Sur les faits et leur qualification juridique
7. Dans le cadre de la protection sociale de ses agents, la commune de Sainte-Eulalie-en-
Born a souscrit annuellement, durant toute la période 2018 à 2021, une assurance statutaire
auprès d’une compagnie privée d’assurance. Selon les modalités définies par les conditions
générales et particulières du contrat, l’assureur intervenait en remboursement de tout ou partie
des charges résultant du maintien de salaire des agents permanents titulaires ou stagiaires
de la commune en cas de maladie et d’accident de service ou de travail. Les garanties
souscrites sont demeurées inchangées sur la période : décès, maladie ou accident de la « vie
privée », maternité – adoption – paternité et accueil de l’enfant, accident ou maladie imputable
au service.
8. Selon les conditions générales du contrat, les déclarations de sinistre devaient être
transmises à l’assureur dans les délais suivants : en matière de maladie ou accident
de la « vie privée », maternité – adoption – paternité et accueil de l’enfant (article 28.2) :
«
le sinistre et les diverses périodes d’arrêt successives doivent être motivées et portées
à la connaissance de l’assureur dans un délai de QUATRE-VINGT-DIX JOURS à compter
du début de chacune des périodes présentées
» ; en matière d’accident ou maladie imputable
au service (article 28.3) :
«
La déclaration de l’accident ou maladie imputable au service établie
au moyen du formulaire « DÉCLARATION DE LA COLLECTIVITÉ » doit être motivée et portée
à la connaissance de l’assureur dans un délai de QUARANTE-CINQ JOURS à compter
de la date de survenance du sinistre
».
9. L’article 28 des conditions générales précitées prévoyait : «
Le non-respect de ces délais
entraînera en cas de : / - déclaration de sinistre : la non prise en charge du sinistre
(ainsi que l’ensemble des périodes successives se rattachant à l’élément déclencheur),
/ - prolongation d’arrêt de travail et rechutes (dans la mesure où la déclaration initiale a donné
lieu à remboursement) : le non-paiement des prestations afférentes à cette prolongation
».
10. Il résulte de l’instruction qu’au cours de la période courant du 3 décembre 2018
au 31 décembre 2020, plusieurs déclarations de sinistre concernant des agents en congé
maladie d’au moins 15 jours n’ont pas été transmises à l’assureur dans les délais
contractuellement prévus, entraînant la non-prise en charge des sinistres et le non-paiement
des prestations afférentes aux prolongations pour un montant total de 44 770,31 €.
11. Certes, il est soutenu que ces défauts de transmission, qui n’ont eu de conséquences
financières pour la commune que s’agissant de 5 agents sur les 11 qui ont connu des arrêts
maladie d’au moins 15 jours au cours de cette période, constitue une simple faute de service.
Toutefois, s’agissant d’actes de gestion dont l’omission a privé la commune de ressources,
eu égard à la simplicité de la tâche à exécuter et à la répétition de 2018 à 2021 de la négligence
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commise, l’absence de transmission de ces dossiers constitue une faute grave. Cette faute
grave a causé un préjudice financier de 44 770,31 € à la commune de Sainte-Eulalie-en-Born.
12. Sur les exercices au cours desquels ces faits ont été commis, le budget de la commune
présentait des recettes de fonctionnement d’environ 1,5 M€ et des recettes d’investissement
d’environ 0,3 M€. Par ailleurs, les dépenses de personnel s’élevaient annuellement,
sur la même période, à près de 0,8 M€. Au regard du montant du budget de la commune,
un préjudice financier de 44 770,31 € apparaît significatif.
13. Dans ces conditions, ces faits sont constitutifs de l’infraction définie à l’article L. 131-9
du CJF.
Sur l’imputation des responsabilités
14. En vertu du 1
er
alinéa de l’article 10 du décret du 7 novembre 2012 susvisé,
«
Les ordonnateurs prescrivent l’exécution des recettes et des dépenses
». Son article 11
précise que «
Les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes
et émettent les ordres de recouvrer
», et l’article 12 du même décret prévoit que «
À raison
de l’exercice de leurs attributions et en particulier des certifications qu’ils délivrent,
les ordonnateurs encourent une responsabilité dans les conditions fixées par la loi
».
15. La fiche de poste de secrétaire de mairie du 6 décembre 2017, signée
par Mme X, occupant cette fonction, et par le maire de Sainte-Eulalie-en-Born,
précise que la secrétaire de mairie «
Sous le contrôle du maire, réalise seule, l’ensemble
des opérations relevant de la compétence de la commune : comptabilité, gestion du personnel
communal, conseil municipal, marchés publics, CCAS
[...] ». En matière de ressources
humaines, il est précisé qu’au titre de ses «
attributions - activités essentielles
», il lui revient
d’«
Assurer la gestion du personnel (dossiers individuels des agents, gestion de la paye,
gestion des carrières, gestion des arrêts médicaux, gestion des congés annuels, …
».
16. Mme X a confirmé au cours de l’instruction qu’il lui incombait personnellement
de transmettre les avis d’arrêt de travail à l’assureur : «
Lorsqu’un arrêt de travail est fourni
par un agent, je devais :
[...]
Envoyer l’arrêt avec le document complété pour la
[compagnie
d’assurance] ». Cette gestion en autonomie des dossiers d’arrêts de travail par la directrice
générale des services a par ailleurs été confirmée par un courrier du 12 avril 2021 adressé
par le maire à la directrice du département des collectivités locales, entreprises et courtage
de la compagnie d’assurance, lorsque les défauts de transmission ont été mis au jour :
«
La gestion des Ressources Humaines est assurée dans les petites communes
par la Directrice Générale des Services
[...].
C’est d’ailleurs à l’occasion de l’analyse
des résultats de l’exercice et avec l’arrivée d’une nouvelle Directrice Générale des Services
début février que nous avons constaté que le suivi des dossiers de maladie ordinaire,
de longue maladie, de maladie professionnelle et accident de travail n’avait pas été assuré.
».
17. Il en résulte que la directrice générale des services – secrétaire de mairie était directement
chargée de transmettre les avis d’arrêt de travail à l’assureur. Ainsi, la responsabilité
des
négligences
commises
incombe
à
Mme
X,
qui
a
effectivement
occupé
ces fonctions du 1
er
septembre 2017 jusqu’à son arrêt de travail du 20 janvier 2021,
soit pendant l’intégralité de la période au cours de laquelle ont été relevés les faits constitutifs
de l’infraction.
Sur les circonstances atténuantes de responsabilité
18. Il y a lieu de tenir compte de l’importante charge de travail de Mme X,
qui résultait notamment de la nature touristique de la commune, et d’un accroissement
de cette charge en 2020 dû aux incidences de l’épidémie de covid 19 et à l’organisation
d’élections municipales. En outre, malgré ses alertes auprès des élus, sa charge de travail
n’a pas été réduite.
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Sur l’amende
19. L’amende doit être proportionnée à la gravité des négligences commises, à leur réitération
et à l’importance du préjudice causé à la commune de Sainte-Eulalie-en-Born. En application
du principe d’individualisation des peines, il convient en outre de tenir compte de la situation
financière de la personne renvoyée à la date de l’arrêt.
20. Il en sera fait une juste appréciation en prononçant à l’encontre de Mme X
une amende de 1 000 €.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. – Mme X est condamnée à une amende de mille euros (1 000 €).
Article 2. – Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française et,
sous forme anonymisée, sur le site internet de la Cour des comptes. Un lien sera créé entre
le site internet de la Cour et le Journal officiel, lien qui restera actif pendant un mois à compter
de la publication.
Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Jean-François GUILLOT, Gilles MILLER et Christian MICHAUT, conseillers maîtres,
M.
Alain
STÉPHAN,
conseiller
président
de
chambre
régionale
des
comptes,
MM. Nicolas-Raphaël FOUQUE et Louis-Damien FRUCHAUD, premiers conseillers
de chambre régionale des comptes, Mme Emmanuelle BOREL, première conseillère
de chambre régionale des comptes.
En présence de Mme Vanessa VERNIZEAU, greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Vanessa VERNIZEAU
Jean-Yves BERTUCCI
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.