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QUATRIEME CHAMBRE
S2024-1017
PREMIÈRE SECTION
OBSERVATIONS DEFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
LA FONCTION PROSPECTIVE AU
MINISTERE DE L’INTERIEUR
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés, a été délibéré par la
Cour des comptes, le
24 juin 2024
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
2
AVANT-PROPOS
En application des dispositions des articles L. 143-1 et L. 143-0-2 du code des
juridictions financières, la Cour rend publiques ses observations et ses recommandations, au
terme d’une procédure contradictoire qui permet aux représentants des organismes et des
administrations contrôlées, aux autorités directement concernées, notamment si elles exercent
une tutelle, ainsi qu’aux personnes éventuellement mises en cause de faire connaître leur
analyse.
La divulgation prématurée, par quelque personne que ce soit, des présentes observations
provisoires, qui conservent un caractère confidentiel jusqu’à l’achèvement de la procédure
contradictoire, porterait atteinte à la bonne information des citoyens par la Cour. Elle exposerait
en outre à des suites judiciaires l’auteur de toute divulgation dont la teneur mettrait en cause
des personnes morales ou physiques ou porterait atteinte à un secret protégé par la loi.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
3
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
...........................................................................................................
2
TABLE DES MATIÈRES
..............................................................................................
3
RECOMMANDATIONS
................................................................................................
7
INTRODUCTION
...........................................................................................................
8
1
L’ORGANISATION MINISTERIELLE DE LA FONCTION
PROSPECTIVE
.....................................................................................................
10
1.1
Les enjeux de la prospective pour le ministère de l’intérieur
...........................
10
1.2
Les tentatives inabouties de mise en place d’une organisation
ministérielle de la fonction prospective
............................................................
11
1.3
Une réactivation récente de la démarche prospective autour de trois
acteurs existants
................................................................................................
12
1.3.1
La mission d’études et de prospective de l’administration
territoriale de l’État
.................................................................................
12
1.3.2
L’institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI)
...........
13
1.3.3
Les directions générales
..........................................................................
14
1.3.3.1
La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) : une bonne
appropriation, des travaux et des initiatives intéressantes, une organisation
décentralisée
...........................................................................................................
14
1.3.3.2
La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises
(DGSCGC) : une pratique qui relève plus de l’innovation, une organisation
éclatée
.................................................................................................................
16
1.3.3.3
La direction générale de la police nationale (DGPN) : une compétence en
développement
.......................................................................................................
17
1.3.3.4
La direction générale des étrangers en France (DGEF) : une ambition de
recherche à développer
...........................................................................................
18
1.3.3.5
La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) : une création récente,
un positionnement auprès du directeur général
......................................................
19
1.3.3.6
La direction générale des outre-mer (DGOM)
.......................................................
20
1.3.4
Une comitologie lourde
...........................................................................
20
1.3.5
Une nouvelle organisation encore perfectible
.........................................
21
2
LES TRAVAUX DE PROSPECTIVE
..................................................................
24
2.1
Le livre blanc sur la sécurité intérieure de 2020 : un premier document
identifiant les enjeux actuels et futurs mais dont il n’a pas été tiré toutes
les implications dans les étapes suivantes
........................................................
24
2.2
Un effort de coordination récent
......................................................................
26
2.2.1
Jusqu’en 2023, des initiatives multiples peu coordonnées
......................
26
2.2.2
Des initiatives nouvelles pilotées au niveau central
................................
26
2.3
Les relations entre le ministère et le monde de la recherche doivent être
améliorées
.........................................................................................................
28
2.4
Le recours récent du ministère à un cabinet conseil pour la démarche de
prospective
........................................................................................................
31
Annexe n° 1.
Quelques comparaisons internationales
................................
35
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
4
SYNTHÈSE
Anticiper au mieux les évolutions de notre société pour éclairer les choix du présent et
leurs répercussions à moyen ou long terme est indispensable pour l’exercice de la puissance
publique qui ne peut être uniquement dans une posture de réaction immédiate. La démarche de
prospective doit permettre à l’État d’identifier des risques, des menaces ou la survenance
possible de crises et de s’y préparer. Par ailleurs, la complexité des problèmes à traiter nécessite
une approche multidisciplinaire afin d’anticiper les perspectives d’évolution démographique,
économique, sociologique etc. qui impacteront l’exercice de ses activités. Ces défis se posent
tout particulièrement aux ministères régaliens, dont le ministère de l’Intérieur.
L’organisation de la fonction prospective au ministère de l’intérieur a
connu une histoire chaotique
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs organisations ont été successivement mises en
place au ministère de l’intérieur pour piloter de façon centralisée les sujets de la prospective et
de la recherche. Aucune n’a perduré pour des raisons diverses : faible articulation avec les
directions métier, assise insuffisante pour s’imposer, positionnement fragile car dépendant
directement de l’intérêt et de la volonté d’un ministre pour le sujet.
En novembre 2022, le ministre de l’intérieur a souhaité réactiver la fonction prospective
au niveau central, avec une implication forte de son cabinet, en s’appuyant sur trois acteurs
préexistants : la mission d’études et de prospective de l’administration territoriale de l’État
(MEPATE), l’institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI) et les directions
générales, elles-mêmes diversement impliquées.
Le faible effectif de la MEPATE et son rattachement à une direction métier du
secrétariat général lui confèrent un périmètre de compétence circonscrit à l’administration
territoriale de l’État qui, si elle est au carrefour de politiques publiques portées par le ministère,
n’embrasse pas tout le champ de ses activités. Le chef de la MEPATE assure aussi, en lien avec
l’IHEMI et la conseillère en charge de la prospective au cabinet du ministre, la coordination
ministérielle de la fonction prospective au travers différentes instances et le pilotage de travaux.
Le ministère envisage que le rôle de coordonnateur de la fonction prospective pour le ministère,
exercé par le chef de la MEPATE, soit formalisé par son rattachement au secrétaire général
pour ces activités, avec le titre de « chargé de mission prospective ». Cette modification ne
s’accompagne cependant pas d’une augmentation des moyens et du périmètre d’action de la
MEPATE.
L’IHEMI s’appuie sur un effectif faible, des travaux de prospective de portée réduite et
une reconnaissance encore partielle par les directions, qui n’identifient pas toujours l’Institut
dans cette activité. Toutefois, ses travaux récents montrent une plus grande appropriation de la
démarche de prospective.
Les directions générales du ministère s’inscrivent à des degrés divers dans la démarche
de prospective : certaines sont en avance comme la DGGN, d’autres démarrent le processus
comme la DGPN, plusieurs ayant une entité dédiée à la prospective comme la DGSCGC depuis
2017. Cette organisation en réseau souffre toutefois de l’absence de stratégie globale et d’une
exploitation et une valorisation collectives insuffisantes. Ainsi, la direction générale de la
gendarmerie nationale (DGGN) a engagé, de longue date, une démarche structurée, dont la
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
5
DGPN gagnerait à s’inspirer. Les deux forces de sécurité intérieure devraient se rapprocher
pour identifier les risques et défis à venir dans leurs activités, leurs organisations et moyens.
Enfin, les directions générales entretiennent des liens très variables avec les centres de
recherche, qui devraient être renforcés et mieux coordonnés.
La dispersion des acteurs et la faiblesse des moyens alloués nuisent sans conteste à la
lisibilité et au portage de l’impulsion donnée récemment à la prospective et qui bénéficie d’un
fort portage politique dont la pérennité n’est pas assurée. Les constats des échecs récurrents de
l’organisation de la fonction prospective au ministère, conduisent ainsi à recommander de
mettre en place, à l’exemple d’autres ministères (de l’Europe et des affaires étrangères, de
l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, des armées). Une structure dédiée, rattachée au
secrétaire général, assurerait les fonctions de mise en réseau des ressources et travaux déjà
existants, notamment au sein des directions générales, garantirait leur cohérence, piloterait,
valoriserait et diffuserait les travaux de prospective transversaux au ministère. Enfin cette
structure pourrait coordonner et entretenir les liens, aujourd’hui distendus et parfois empreints
de méfiance avec le monde de la recherche.
Avec
la
nouvelle
impulsion,
une
démarche
prospective
mieux
coordonnée ; de premiers travaux répondant mieux à une démarche
d’anticipation
Jusqu’en 2022, la démarche de prospective a souffert du cloisonnement entre les
directions générales et de l’absence d’un cadre de référence qui aurait permis de savoir ce qui
était réalisé par chacune et d’orienter les travaux en fonction de priorités concertées, d’en
homogénéiser les procédures et d’en mieux partager les conclusions. Par ailleurs, les travaux
étaient d’un intérêt variable au regard de la fonction prospective, dépendants de l'activité des
services et de leur proximité avec le monde de la recherche et de l'enseignement supérieur.
En octobre 2020, le ministère de l’intérieur a publié le livre blanc de la sécurité intérieure
(LBSI) qui avait vocation à être son document de référence pour les dix prochaines années et a
l’ambition de « bâtir la sécurité du 21ème siècle ». S’il prend en compte les tendances et
facteurs de risque actuels tels que les flux migratoires, les cyber menaces, le développement de
l’IA, …, il en tire néanmoins peu les conséquences en matière d’adaptation, de rupture, voire
de crises et de réponses à y apporter. De même, si le ministère de l’intérieur s’est inspiré de la
démarche du ministère des armées avec la rédaction d’un document d’anticipation, le livre
blanc, puis d’une loi de programmation, cette dernière - la loi d’orientation et de programmation
du ministère de l’intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023 est principalement la résultante des
travaux du « Beauvau de la Sécurité » de septembre 2021, qui répondaient à des besoins
urgents, s’inscrivant moins dans le temps long et la démarche prospective.
La réactivation de la fonction prospective doit permettre au ministère d’inscrire son
action dans une vision plus stratégique de ses missions, en renforçant sa compréhension des
risques et sa capacité d’anticipation. Un premier exercice pourrait être de réévaluer au regard
de la situation actuelle les enjeux posés en 2020 par le Livre Blanc. C’est pourquoi la Cour
recommande de réaliser une « revue stratégique » des missions du ministère, notamment à partir
des travaux de prospective récemment effectués.
Depuis 2023, les premiers travaux conduits dans le cadre de la nouvelle organisation
témoignent cependant d’un processus plus méthodique. Ils répondent bien à une démarche
prospective et sont le fruit de réflexions inter-directions qui concernent les enjeux auxquels le
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
6
ministère sera confronté à moyen terme. Toutefois, les sujets pourraient être élargis :
l’articulation entre la dématérialisation des services et la proximité auprès des populations, la
relation de confiance entre les citoyens et le ministère garant des libertés publiques, les
cybermenaces et la désintégration du corps social, l’impact des flux migratoires sur les enjeux
de sécurité, paraissent ainsi stratégiques dans un environnement très évolutif. Le colloque de
prospective du 19 octobre 2023, organisé par le ministère, a évoqué deux thématiques générales
(quels équilibres pour quel aménagement du territoire ? avenir écologique et projections
démographiques) qui constituent un début de réflexions autour de certains sujets à enjeux
identifiés
supra
par la Cour.
Pour que la démarche de prospective soit complète et serve utilement le ministère à sa
prise de décision, le suivi des travaux ne devrait pas seulement porter sur le niveau de mise en
œ
uvre des recommandations formulées mais aussi sur les pistes ouvertes, les scenarios
identifiés et les indicateurs de veille.
Les relations entre le ministère et le monde de la recherche sont caractérisées par une
certaine méfiance due, pour partie, à la sensibilité des pouvoirs publics à tout ce qui s’écrit sur
les forces de sécurité intérieure ou les statistiques policières et aux réticences culturelles vis-à-
vis des sciences humaines. Les chercheurs, de leur côté, ont du mal à aborder de manière neutre
les questions relatives à la police, à la sécurité intérieure et à l’immigration. Des partenariats
renforcés et structurés avec le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, au travers
par exemple des fonctions d’enseignement par des cadres du ministère dans des masters, ou des
stages d’observation de chercheurs dans les services, sur le terrain, pourraient être un vecteur
de renforcement et d’influence du ministère, au-delà d’un nécessaire accroissement des
financements accordés.
Enfin, le ministère a récemment fait appel à un cabinet privé pour l’accompagner dans
le développement de sa démarche prospective. Si cette méthode apparaît positive, les
prestations proposées sont larges et dépassent un simple accompagnement des directions
puisqu’elles concernent autant la conduite de la démarche de prospective, que la veille en amont
et en aval de l’élaboration de décisions ou la réalisation de fiches sur un sujet prospectif à
enjeux, qui devraient rester de la responsabilité de l’administration.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
7
RECOMMANDATIONS
Recommandation n° 1.
(DGPN) : Poursuivre la montée en puissance de la fonction
prospective à la DGPN
Recommandation n° 2.
(DGPN-DGGN) : Organiser des travaux communs aux deux forces
de sécurité intérieure afin d’identifier les menaces à venir ainsi que les sujets organisationnels
et de moyens, et préparer les réponses à y apporter
Recommandation n°3
(SG-MIOM) : Réaliser une « revue stratégique » des missions du
ministère, notamment à partir des travaux de prospective récemment effectués.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
8
INTRODUCTION
La démarche de prospective consiste à analyser les réalités passées et présentes pour
anticiper les futurs possibles, et préparer en conséquence les décisions de nature à favoriser les
futurs souhaitables. Toute organisation, publique, comme privée, a donc besoin d’une réflexion
prospective pour appréhender les sujets de demain, construire des stratégies d’action, éclairer
ses décisions. Autant qu’à élaborer des scénarios pour choisir ensuite parmi eux celui qu’on
croit être le meilleur, la prospective consiste ainsi à déterminer, au regard de ces scénarios, ce
qui est ou va devenir capital, et doit donc être privilégié sur une longue durée.
La démarche de prospective
La prospective consiste à « voir loin » (se tourner vers l’avenir, intégrer les dynamiques du changement),
« voir large » (associer des compétences, responsabilités et points de vue différents dans un cadre
pluridisciplinaire, en équipe pour mobiliser l’intelligence collective), analyser en profondeur (rechercher
les facteurs déterminants et significatifs, réinterroger le passé …) et prendre des risques (effectuer des
paris raisonnés sur l’avenir).
La prospective comprend ainsi cinq caractéristiques fondamentales
1
:
- le caractère qualitatif de la prospective la distingue de la prévision chiffrée, dans la mesure où la
première appréhende des éléments qui ne sont pas nécessairement mesurables et ne vise pas à "prévoir"
un avenir unique, décrit sous une forme exclusivement quantifiée ;
- la globalité de l'approche prospective qui a pour ambition de prendre en compte tous les facteurs
d'incertitude, qu'ils touchent à l'économie, à la technique, aux valeurs etc.. ;
- la rationalité car il ne s'agit pas de prédire l'apparition inéluctable d'événements mais d'identifier des
tendances ou des risques de rupture de celles-ci qu'il est possible de déceler à partir d'analyses fondées
sur des méthodes aussi rigoureuses que possible ;
- le volontarisme de la démarche qui est destinée à éclairer l'action, et trouve son prolongement dans
l'élaboration de stratégies et l'aide à la décision ;
- la vision à long terme car il s'agit de saisir le phénomène étudié dans sa durée longue et dans son
environnement global.
Dans un monde en transformation constante et accélérée, le ministère de l’intérieur doit
en comprendre les facteurs et les mécanismes d’évolution et doit anticiper les perspectives
d’évolution démographique, économique, sociologique…qui impacteront l’exercice de ses
activités. Ministère du quotidien et de l’urgence, s’il en est un, il ne peut donc pas s’exonérer
de cette démarche compte tenu des nombreux sujets qu’il porte et qui interpellent ses facultés
d’anticipation : flux migratoires, radicalisations et violences, relations entre les forces de
1
Voir sur ce point
:
Bertrand de Jouvenel, fondateur du think tank et de la revue « Futuribles » en 1974 : Invitation
à la prospective (2004) ; Michel Godet : Manuel de prospective stratégique (2004) ; Thierry Gaudin : La
prospective (2013) ; Philippe Durance : La prospective stratégique en action (2014) ; Pierre Viaud : Fondamentaux
d’une stratégie en matière de défense (2023).
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
9
sécurité et la population, cybercriminalité, aménagement du territoire, administration générale
de l’État déconcentré etc…
Méthodologie de la prospective
La prospective s’articule en quatre phases :
-
le problème posé et le système étudié sont identifiés grâce à des ateliers rassemblant praticiens
et chercheurs qui conduisent à un diagnostic, définissent le sujet et l’horizon temporel ;
-
l'analyse structurelle procède à l’identification des composantes du système et aux relations
entre elles, à la détermination des variables clés (tendances lourdes et variables de rupture) et à l’esquisse
des évolutions du système ;
-
l'analyse du jeu des acteurs, la confrontation de leurs projets, l'examen de leurs rapports de force
doivent mettre en évidence l'évolution des enjeux stratégiques et poser les questions clés pour l'avenir ;
-
les scénarios sont au c
œ
ur de la démarche prospective, car ils visent à dresser un panorama
cohérent des futurs possibles.
Deux approches de scenarios apparaissent, qui peuvent d’ailleurs être combinées :
- un scénario "de référence" est construit autour des hypothèses les plus probables et/ou les plus
conservatrices (poursuite des tendances économiques et des politiques passées, absence de
bouleversement institutionnel majeur...). Les autres scénarios sont ensuite élaborés en "variante" de
celui-ci, c'est-à-dire en modifiant une seule de ses hypothèses ;
- tous les scénarios envisagés, considérés chacun comme une combinaison particulière des hypothèses
de base, sont placés sur le même plan.
*
Après plusieurs tentatives d’organisation de la fonction prospective, en 1998, 2008 et
2015, toutes abandonnées, le ministère l’a réactivée à la fin de l’année 2022, en souhaitant lui
donner une nouvelle impulsion avec une implication plus forte de toutes les directions
générales, une ouverture plus grande au monde extérieur (universitaires et chercheurs) et en
s’appuyant sur des structures existantes.
La Cour examine successivement l’organisation mise en place par le ministère (1) et les
travaux conduits par lui (2).
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
10
1
L’ORGANISATION MINISTERIELLE DE LA FONCTION
PROSPECTIVE
1.1
Les enjeux de la prospective pour le ministère de l’intérieur
Anticiper et faire des choix sont indissociables de l’exercice de la puissance publique
qui ne peut être uniquement dans une posture de réaction immédiate. L’exercice d’anticipation
doit montrer que l’État a envisagé la possibilité de risque ou de crise et s’y prépare. La
complexité des problèmes à traiter oblige, pour construire des réponses pertinentes, à en saisir
tous les facteurs et les impacts, et nécessite une approche multidisciplinaire.
Le champ d’intervention du ministère de l’intérieur couvre un spectre très large de
missions régaliennes : la sécurité intérieure, la protection des populations, la gestion de crise,
les libertés publiques, l'administration territoriale de l'État, la décentralisation, l'Outre-mer,
l'immigration, l'asile, l'intégration des étrangers en France, la lutte contre le séparatisme,
principalement. L’extrême diversité des missions dont il est chargé l’oblige à prendre en compte
tous les éléments sociétaux, technologiques, démographiques et économiques qui peuvent
influer sur ses missions et à anticiper les réponses à y apporter.
L’actualité du ministère de l’intérieur témoigne d’un besoin impérieux d’anticipation,
qu’il s’agisse du phénomène de radicalisation islamiste et des risques sécuritaires et terroristes
associés, du développement des mouvements zadistes, des flux de migrations, de l’insécurité
croissante ou des nouvelles formes de délinquance (cyber, économique, environnement, …).
Ainsi, la capacité d’anticipation et de réaction des services du ministère, les choix et
l’adaptation des modes d’intervention sont largement conditionnés par la connaissance et la
compréhension des phénomènes, tendances et mécanismes démographiques, sociologiques,
politiques, psychologiques à l’
œ
uvre et leurs évolutions.
Au-delà des missions touchant à la sécurité des populations, le ministère de l’intérieur
doit également s’attacher à anticiper les besoins de services publics dans les territoires, l’impact
de la dématérialisation, l’émergence de zones se vidant de leur population et des services
publics susceptibles de retenir les habitants.
Les missions régaliennes du ministère le conduisent à réagir aux événements à chaud et
souvent avec un degré d’urgence. Ses hésitations sur l’intérêt de la prospective dont témoigne
la difficulté de sa mise en
œ
uvre montrent qu’il est moins porté que d’autres sur la réflexion de
long terme et l’analyse stratégique. C’est une faille majeure de ce ministère. Pourtant, agissant
dans un environnement ouvert, mondialisé, fortement médiatisé, en constante et rapide
évolution, exposé aux nécessités de la transparence, ce ministère ne peut faire l’économie d’un
travail permanent de projection, de mise en perspective, de réflexion globale et d’ouverture vers
l’extérieur, nécessaire pour anticiper les risques, s’y préparer et justifier ses besoins et ses choix.
Un travail en ce sens a récemment été réengagé.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
11
1.2
Les tentatives inabouties de mise en place d’une organisation
ministérielle de la fonction prospective
Depuis une vingtaine d’années, le ministère a tenté de mettre en place une organisation
centralisée pour la prospective, sans succès.
Ainsi, le centre d’études et de prospective a été créé en 1998. Petite structure de 4 ETP
2
,
il travaillait en réseau avec des chercheurs et universitaires. Rattaché au cabinet du ministre, il
n’avait pas trouvé sa place, les directions métiers lui reprochant d’être trop loin de leurs
préoccupations opérationnelles. Il a été supprimé en 2008, à la suite du changement de ministre
le 15 mai 2007
3
.
Une délégation à la prospective et à la stratégie a été créée en 2008 puis transformée en
2010 en délégation à la prospective et à la planification de sécurité nationale, sur le modèle de
la direction des affaires stratégiques du ministère de la Défense. Rattachée au cabinet du
ministre, elle comprenait une vingtaine d’ETP, regroupant tous les services de veille ou de
prospective préexistants, et se consacrait essentiellement aux questions de sécurité intérieure.
Par ailleurs, son responsable animait la réflexion stratégique des services du ministère et
participait à leur coordination. Cette structure n’a pas su convaincre les directions du ministère
car les travaux qu’elle conduisait reposaient sur des experts, chercheurs et universitaires ne
venant pas des directions. Elle a été supprimée en 2012
4
.
Par la suite, dans une lettre de mission du 3 novembre 2014, le ministre a demandé à la
délégation ministérielle aux industries de sécurité, nouvellement créée, «
de mettre place un
Conseil de la stratégie et de la prospective faisant la synthèse de l’ensemble des actions
entreprises autour des questions de sécurité par les directions et services du ministère
». Ce
conseil n’a pas été installé.
En 2015, le ministre de l’intérieur a relancé le projet d’un conseil de la stratégie et de la
prospective en l’élargissant à l’ensemble des activités du ministère, et non seulement à la
sécurité. Il avait vocation à développer l’analyse stratégique, éclairer les décisions du ministre,
s’ouvrir aux ressources extérieures et mieux partager celles des directions. Présidé par le
ministre, il avait pour ambition de produire dans un délai de 12 à 18 mois un document de
prospective présentant les enjeux et les priorités stratégiques, à 10 ans, essentiellement en
matière de sécurité, d’orienter et valoriser les études internes du ministère. Il n’a pas non plus
abouti.
Tous ces projets ont échoué parce qu’ils n’avaient pas su trouver, dans leur articulation
avec les directions métier, le crédit et l’assise suffisante pour s’imposer.
L’organisation d’une fonction prospective au ministère de l’intérieur dépend, en outre,
de la volonté et de l’appétence du ministre pour ce sujet. Mais les travaux conduits doivent
intéresser toutes les directions métiers, qu’elles y trouvent une utilité et qu’elles y soient
pleinement impliquées. Au-delà de la conception d’un outil de pilotage central, assurer à terme
le succès de cette fonction suppose la diffusion dans toutes les directions du ministère d’une
2
2 hauts fonctionnaires, 1 magistrat et 1 policier.
3
Mme Michèle Alliot-Marie
4
M. Claude Guéant
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
12
véritable culture de l’analyse stratégique et de l’anticipation, ainsi qu’une ouverture résolue
vers les milieux extérieurs susceptibles de contribuer à ces démarches.
Ainsi, les sujets de prospective doivent répondre aux enjeux des directions générales et
les résultats se traduire par des enseignements utiles et opérationnels.
1.3
Une réactivation récente de la démarche prospective autour de trois
acteurs existants
Cherchant à tirer les enseignements des échecs des démarches de prospective engagées
depuis plus de vingt ans, le ministre a souhaité récemment réactiver la fonction, autour de cinq
axes :
-
relancer les travaux d’études, de recherche et de prospective dans un esprit
d’ouverture au monde universitaire, à celui de la recherche et au secteur privé ;
-
sensibiliser les directions métiers à l’utilité de ces travaux, charge à elles d’associer
plus étroitement à leur réflexion les ressources intellectuelles extérieures ;
-
coordonner et réguler ces travaux de manière centralisée, de façon à s’inscrire dans
des axes stratégiques ministériel ;
-
positionner une équipe en charge de l’animation transversale, de la coordination et
du soutien fonctionnel aux directions ;
-
placer le ministre et son cabinet au c
œ
ur du dispositif afin de valoriser la démarche
et « d’entrainer » les directions générales.
Dans un courrier au secrétaire général et au chef de l’IGA du 21 novembre 2022, le
ministre de l’intérieur a ainsi donné un nouvel élan aux études prospectives du ministère en
commençant par la mise en
œ
uvre de missions circonscrites – dites missions « flash » –
destinées à impliquer directement les directions sur des sujets à court et moyen terme. Le 9
mars 2023, une note du directeur de cabinet du ministre au secrétaire général du ministère et
aux directeurs généraux a fixé une nouvelle organisation de la fonction prospective afin
d’anticiper l'avenir des métiers du ministère et son environnement futur et prendre ainsi des
décisions stratégiques pour accompagner ou infléchir ces mutations.
Le ministère a fait le choix de s’appuyer sur trois acteurs préexistants : la mission
d’études et de prospective de l’administration territoriale de l’Etat (MEPATE), l’Institut des
hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI) et toutes les directions « métiers » qui sont
invitées à participer à la réflexion stratégique pour l'avenir.
1.3.1
La mission d’études et de prospective de l’administration territoriale de l’État
La mission d’études et de prospective de l’administration territoriale de l’État
(MEPATE), créée le 1
er
janvier 2023, est rattachée à la sous-direction de l’administration
territoriale de l’État de la direction du management territorial et de l’encadrement supérieur
(DMATES). La sous-direction est chargée de l’animation du réseau des préfectures, des sous-
préfectures,
des
secrétariats
généraux
communs
départementaux
et
des
directions
départementales interministérielles et de la coordination des actions déconcentrées de l'État.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
13
Son effectif est faible : 3 agents, dont le chef de mission, haut fonctionnaire, une attachée
principale d’administration et un agent contractuel, chargé d’études.
Le rôle de la MEPATE est double :
Elle s’inscrit dans une démarche d’anticipation des possibles évolutions du champ de
compétence et des activités de la DMATES et de réflexions sur l’organisation territoriale des
pouvoirs publics. Elle a ainsi conduit des études sur l’avenir de la commune et du maire, le
besoin de proximité et la réponse des administrations locales, l’administration territoriale en
Corse, les atteintes aux élus, par exemple. Le rattachement de la MEPATE à une des directions
métier du secrétariat général et son intitulé lui attribuent un périmètre de compétence circonscrit
à l’administration territoriale qui, si elle est au carrefour de politiques publiques portées par le
ministère, a un rôle de coordination mais pas de définition, de pilotage et de moyens alloués à
ces politiques.
Par ailleurs, son champ de compétence est restreint par rapport aux missions du
ministère. Ainsi, elle n’embrasse pas tout le champ de ses activités (contre-espionnage et
contre-terrorisme, numérique, affaires européennes et internationales, par exemple).
Par ailleurs, le chef de la MEPATE est en lien direct avec le membre du cabinet du
ministre en charge de la prospective et le délégué à la prospective de l’IHEMI afin d’animer le
comité des missions prospectives qui comprend les « référents prospective » dans chacune des
directions générales du ministère. Enfin, du fait de son positionnement transversal, la MEPATE
participe à l’ensemble des missions flash de prospective décidées par le cabinet du ministre.
Afin de rendre plus lisible la double mission de la MEPATE, le ministère prévoit de
mieux différencier son périmètre et son rattachement (cf.
infra
1.3.5). Cette évolution reste
timide et, hors renforcement des moyens, ne semble pas de nature à améliorer significativement
la fonction prospective au ministère.
1.3.2
L’institut des hautes études du ministère de l’intérieur (IHEMI)
L’IHEMI est chargé d’organiser la formation à la prospective des membres du comité
des missions prospectives (CMP), qui réunit les responsables des différentes directions en
charge de la prospective, de suivre les travaux dans ce domaine en mettant à disposition ses
ressources et d’organiser un colloque annuel.
Pour assurer ces missions, l’IHEMI s’appuie sur un effectif faible (un délégué à la
prospective et deux agents du département de l’innovation et de la prospective). Il reprend les
missions assurées par le Centre des hautes études du ministère de l’intérieur (CHEMI)
5
avant
son intégration dans l’Institut : réaliser des études sur des sujets transversaux intéressant le
ministère. L’activité de l’IHEMI a été assez modeste jusqu’en 2021 où trois premières notes de
veille et d’analyse prospective dites « de rodage » ont été réalisées en interne (les
cryptomonnaies, l’intégrité des processus électoraux, le détournement des drones par les
terroristes).
Les notes thématiques et synthétiques produites, en février et avril 2022, telles que « le
monde en 2040 vu par la CIA », « les radicalités écologiques à l’horizon 2040 », rédigées à la
5
Centre des hautes études du ministère de l’intérieur. Créé en 2010, le CHEMI assurait une formation de haut
niveau au profit des cadres dirigeants civils et militaires du ministère de l’intérieur en traitant des questions
d’administration publique, de gestion de crise et d’intelligence artificielle. En 2017, il a également été chargé de
soutenir la prospective au ministère.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
14
demande du secrétaire général, ne constituent pas réellement des travaux de prospective à
moyen et long terme, Elles n’ont d’ailleurs pas été diffusées au sein du ministère et sont restées
au sein du secrétariat général et de l’Institut. Le rapport sur « les menaces et défis en 2030 »
s’appuie sur des travaux internes à l’Institut complétés par des auditions d’experts internes et
externes au ministère de l’intérieur. Les dix menaces étudiées ne conduisent pas toutes à la
définition d’une vision, d’orientations stratégiques et des chemins à emprunter ainsi que des
moyens à planifier, pourtant une des finalités d’une démarche prospective.
En revanche, le rapport « numérisation de la société à horizon 2040 : vingt-cinq
exercices de design fiction » réalisé en 2023 marque un tournant vers une étude à vocation
prospective, à l’initiative de l’Institut.
Il a servi à l’organisation d’un atelier organisé par la
direction de la transformation du numérique (DTNUM) du ministère.
1.3.3
Les directions générales
1.3.3.1
La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) : une bonne
appropriation, des travaux et des initiatives intéressantes, une organisation
décentralisée
Compte tenu de sa culture militaire et de son intégration, jusqu’en 2009, au ministère
de la Défense, qui a investi de longue date la démarche prospective, la gendarmerie nationale a
développé une démarche prospective qui cherche à « penser le temps long » pour planifier des
stratégies et préparer les équipements du futur. Elle a structuré sa fonction prospective en trois
niveaux :
a- La prospective exploratoire imagine des futurs possibles à des horizons de 5 à 10 ans
et les voies et moyens pour s’y préparer. Elle est assurée par le centre de recherche de l’école
des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN) et le département de l’innovation et de la
prospective du service de la transformation de la DGGN. Ce département s’appuie sur cinq axes
stratégiques transverses découlant du document « GEND 20-24 :
-
environnement et biosécurité,
-
gendarmerie et territoires,
-
imaginer les données de demain,
-
l’avenir des territoires numériques,
-
résilience)
Ce document stratégique fixe la primauté donnée au contact avec la population, au
numérique et à la transformation et a pour ambition que la gendarmerie soit en capacité de faire
face aux enjeux sécuritaires, sociétaux et technologiques. Il constitue ainsi la « feuille de
route ». de la gendarmerie.
Le département de l’innovation et de la prospective du service de la transformation de
la DGGN réalise des notes d’analyse prospective, participe à des études externes et conduit des
études en propre, comme, à titre d’exemple, la mobilité du gendarme en contexte d’énergie
contrainte à l’horizon 2035, la lutte anti-drones, l’impact des changements de réglementation
sur la criminalité environnementale, par exemple.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
15
Pour sa part, le CREOGN accompagne les chercheurs en valorisant leurs travaux et en
constituant un centre de ressources. Il développe des partenariats avec une quinzaine
d’universités, des écoles d’ingénieurs, le centre national de la recherche scientifique (CNRS),
le conservatoire national des arts et métiers (CNAM), des centres de recherche. Il comprend 14
ETP permanents et 30 chercheurs associés occasionnels venant d’universités, du secteur public
ou d’entreprises. Son budget annuel, d’environ 80 K
, lui a permis de financer plusieurs travaux
importants à visée prospective. On peut citer à titre d’exemples :
-
la simulation d’attaques et de contre-mesures de cybersécurité des véhicules
électriques communicants,
-
les enjeux à venir de biosécurité en matière d’atteintes à l’environnement et à la
santé publique,
-
la détection des signaux faibles dans les bases de données criminelles.
Par ailleurs, il est impliqué dans des projets de recherche bénéficiant de financements
de l’agence nationale de recherche (ANR), comme, par exemple, le projet « Starlight », piloté
par le commissariat à l’énergie atomique, qui porte sur les cas d’usage de l’intelligence
artificielle par les forces de l’ordre. Le CREOGN y traite la question de l’acceptabilité sociétale
et de l’éthique.
b- La prospective opérationnelle vise à anticiper les menaces ainsi que les évolutions de
la société, des phénomènes de délinquance, des technologiques (notamment cyber) sur une
période de 2 à 5 ans et à en tirer les conséquences sur les adaptations capacitaires,
technologiques et doctrinales à déployer pour y répondre. Cette démarche est assurée par les
directions et services « métier », chacun dans leur domaine d’attribution.
À titre d’exemple, un travail prospectif réalisé sur « la redevabilité et la sécurité
publique »
6
a conduit à des propositions sur l’amélioration des méthodes de recueil du sentiment
sécuritaire et des interactions numériques avec la population, sur la mise en place d’un
« parcours citoyen », outil dans lequel tout usager pourrait évaluer ses contacts physiques ou
numériques avec des gendarmes.
c- La veille prospective exploite les travaux menés par d’autres acteurs et à l’étranger.
Cette mission est assurée par le CREOGN, le centre d’études et de documentation de la DGGN
et la « communauté des veilleurs » répartis dans les structures nationales et locales.
Par ailleurs, créé en juin 2022, « l’atelier d’idéations » est un espace de travail
collaboratif, dédié à l’ensemble des personnels de la DGGN qui vise à trouver des solutions
innovantes à partir de regards croisés (notamment extérieurs) et à améliorer la collaboration au
sein d’une équipe. Depuis sa création, une soixantaine de sessions de travail ont été organisées
avec la participation de près de 1 000 personnes. Les sujets traités vont du team-building à la
doctrine et l’organisation des futures 200 brigades de gendarmerie, par exemple.
La coordination entre ces acteurs et la cohérence de leurs travaux sont assurées par le
cabinet du DGGN. Néanmoins la plupart des sous-directions produisent des scénarios
concernant leur avenir, qui ne sont pas toujours centralisés, et les effectifs dédiés à cette
6
il consiste en l’usage responsable des compétences et pouvoirs de la gendarmerie auprès du public, en contrepartie
de l'obligation d'expliquer ses décisions et le devoir pour les instances de contrôle d'honorer les bonnes prestations
et de sanctionner les abus de pouvoir.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
16
fonction au cabinet ainsi que l’éventail de ses autres missions, ne permettent pas d’avoir une
synthèse générale sur le sujet. Un effort de coordination en ce sens est donc nécessaire.
1.3.3.2
La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises
(DGSCGC) : une pratique qui relève plus de l’innovation, une organisation
éclatée
La DGSCGC a créé en 2017 une mission de la stratégie et de la prospective (MSP) dont
le rôle est d’anticiper les grandes mutations et d’évaluer leurs impacts sur le modèle de la
sécurité civile, concevoir des scénarios qui engagent la DGSCGC et affectent des ressources
sur une durée de 10 à 15 ans. Cette mission, qui comprend 4 ETP - dont une doctorante -, est
rattachée à la sous-direction des affaires internationales, des ressources et de la stratégie.
Compte tenu de la pluralité des métiers de la sécurité civile, une veille technologique se
déploie de manière décentralisée au sein de deux sous-directions :
- la sous-direction de la préparation, de l’anticipation et de la gestion de crises s’occupe
aussi de prospective. Elle comprend le comité scientifique de la DGSCGC et des chargés de
mission thématiques qui assurent l’animation transversale de sujets dont ils ont la charge. Ainsi,
ils ont contribué à un rapport de prospective de mars 2023, « l’adaptation de la sécurité
civile face aux défis climatiques à l’échéance de 2050 ».
- la sous-direction des moyens nationaux comprend le Groupement des moyens
nationaux terrestres qui tisse des liens très forts avec le secteur industriel et le ministère des
armées pour intégrer dans ses projets, les innovations impactant le plus ses missions.
La MSP joue ainsi le rôle « d’assemblier » des études menées qui permettent
d’appréhender les technologies novatrices émergentes ou en développement – et toutes formes
d’innovation - qui pourraient impacter l’exercice des missions de la sécurité civile. La MSP
rédige ensuite des travaux de synthèse avec l’appui d’universités, ainsi, à titre d’exemple, avec
l’Université de technologies de Troyes, et son institut sur la sécurité globale et l’anticipation,
Science Po Paris et son labo de crise. Elle a produit un abécédaire des technologies - qui est un
recueil sur l’état de l’art d’une quinzaine de technologies - des notes et fiches d’analyse
intéressantes sur l’utilisation de l’imagerie satellitaire grâce à l’IA, les villes connectées,
présentation de start-up dans le champ de la sécurité civile, par exemple,
mais qui ne sont pas à
proprement parler des travaux de prospective, car ils n’établissent pas de scenarios de crise pour
la sécurité civile et les conséquences qui en découlent. En revanche, le travail de mars 2023
précité sur « l’adaptation de la sécurité civile face aux défis climatiques à l’échéance de 2050 »
constitue un bon travail de prospective qui conduit, pour chacun des défis, à émettre des
scénarios et à en déduire les adaptations pour la Sécurité civile.
Par ailleurs, l’article 2 du décret n°2004-502 du 7 juin 2004 relatif à l’École nationale
des officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP) prévoit qu’elle a pour mission, entre autres «
la
recherche, les études, l'évaluation, la prospective, la veille technologique ainsi que la diffusion
de l'information y afférente dans les domaines relevant du champ de compétence des services
départementaux d'incendie et de secours
». Un département de la recherche, des ressources, de
l’innovation et de la prospective y est donc installé.
La DGSCGC a ainsi développé récemment une approche pragmatique et opérationnelle
de la prospective afin de disposer de solutions adaptées à ses besoins et enjeux et accroître ses
performances en matière d'interventions d'urgence. Cette démarche relève encore autant de la
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
17
veille technologique et de l’innovation que de la prospective. La dispersion des acteurs entre
trois sous-directions ne facilite pas une vision globale qui pourrait être portée, par exemple, par
la MSP auprès du directeur général.
1.3.3.3
La direction générale de la police nationale (DGPN) : une compétence en
développement
Jusqu’à très récemment, la DGPN apparaissait très en retrait par rapport aux autres
directions générales. Elle a été récemment renforcée et le cabinet du directeur général comprend
depuis le mois de février 2024 un conseiller en charge de la prospective et deux personnels
contractuels. Leurs missions ont, pour le moment, consisté à échanger avec les autres directions
du ministère afin de s’inspirer des meilleures pratiques.
Par ailleurs, dans les directions nationales « métiers », la prospective ne faisait pas
l’objet de travaux et d’une organisation spécifique. Selon le ministère, la capacité d’anticipation
opérationnelle était plutôt recherchée : l’analyse des flux migratoires et de leurs évolutions à la
direction nationale de la police aux frontières, les nouvelles formes de criminalité à la direction
nationale de la police judiciaire, les nouvelles radicalités et leurs conséquences dans le maintien
de l’ordre, à la direction centrale des CRS, à titre d’exemples.
À l’issue du contrôle de la Cour, la DGPN a souligné que, dans le cadre de la réforme
en cours de son organisation, ses nouvelles directions nationales prenaient en compte désormais
la fonction prospective. À titre d’exemple, :
-
la direction nationale de la sécurité publique a ainsi récemment créé une division
de la stratégie et de la prospective dans sa sous-direction du pilotage et de la
performance ;
-
l’Académie de police
7
pilote des travaux ayant une démarche à proprement
parler prospective, avec un volet d'anticipation et de formalisation de scénarios
et nouer des partenariats avec le monde universitaire (animation d'un réseau de
docteurs et doctorants, facilitation de réalisation de mémoires et de thèses,
créations de diplômes universitaires...) et avec les institutions de recherche ;
-
la direction nationale de la police judiciaire développe des études sur les
phénomènes criminels, notamment une analyse sur les homicides sur une
période de 10 ans) et a signé plusieurs conventions de partenariat avec des
universités françaises (Bordeaux) et étrangères (Leiden aux Pays-Bas) et début
2024 avec l'école des hautes études économiques et sociales (EHESS) ;
-
la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité – qui comprend
un bureau de la prospective et de la réflexion tactique – réalise des travaux à
partir des retours d'expérience, la veille (technologique, logistique, doctrinale et
tactique), l'évaluation des capacités opérationnelles et le pilotage de thématiques
émergentes et sensibles. À titre d'exemple, des travaux ont été menés sur
l'héliportage, les violences urbaines de haute intensité, …
Alors que la DGPN et la DGGN assurent les mêmes missions et sont confrontées aux
mêmes problématiques qui nécessitent une capacité d’anticipation et d’adaptation, le retard pris
par la première sur la seconde jusqu’à récemment était préoccupant. Au regard des menaces de
7
Elle organise le recrutement et la formation initiale et continue des agents de la police nationale.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
18
qui pèsent sur la sécurité intérieure (notamment dans les territoires qui sont sous sa
responsabilité) et de l’enjeu du lien entre police nationale et populations, le retard de la fonction
prospective à tous les niveaux de la direction générale était une carence auquel il convenait de
remédier d’urgence.
Les premiers progrès récents constatés doivent être poursuivis et conduire
la DGPN à poursuivre la montée en puissance de la fonction prospective. Elle doit, notamment,
s’associer aux centres de recherche et universitaires à même de l’accompagner dans ses travaux.
Par ailleurs, les deux directions générales pourraient mener conjointement des travaux
de prospective, bénéficiant de l’avance prise par la DGGN, afin d’identifier les principales
menaces à venir ainsi que les différents enjeux organisationnels et de moyens qui en découlent
et de s’y préparer (attractivité des métiers, compétences attendues, nouveaux matériels, par
exemple). Ce rapprochement devrait faire l’objet d’un pilotage et d’un suivi par la structure de
pilotage de la fonction prospective du ministère.
Recommandation N°1
(DGPN) : Poursuivre la montée en puissance de la fonction
prospective à la DGPN
Recommandation N°2
(DGPN, DGGN) : Mener des travaux prospectifs communs aux
deux forces de sécurité intérieure afin d’identifier les risques à venir ainsi que les sujets
organisationnels et de moyens, et préparer les réponses à y apporter.
1.3.3.4
La direction générale des étrangers en France (DGEF) : une ambition de
recherche à développer
L’organisation actuelle de la fonction prospective repose :
-
d’une part, sur la directrice de cabinet du directeur général qui contribue à
l'animation et à la coordination transversale des directions et services ;
-
d’autre part, sur le département des statistiques, des études et de la
documentation (DSED) de la DGEF, qui compte une vingtaine d’agents dont six
à la division des enquêtes et des études.
Le département développe des liens avec les chercheurs et universitaires afin de mieux
exploiter les données statistiques sur les phénomènes que la DGEF prend en charge et
d'améliorer la relation de cette dernière avec des spécialistes des migrations, par la qualité de
ses travaux et les échanges avec les chercheurs. Il contribue ainsi au financement de recherches
et études statistiques de l'Insee (les premières années des réfugiés en France (2023), la maîtrise
de la langue et l’emploi des immigrés : quels liens ? (2021), par exemple), et de l'institut
national d'études démographiques (INED) (Sans papiers ou sans logement : les aléas des
trajectoires des immigrés « installés » en France (2023), la réintégration socio-économique des
migrants de retour et hétérogénéité des trajectoires légales en Europe (2021), les enfants
d’immigrés à l’école (2018), par exemple),
En 2023, le montant total prévu pour ces dépenses s'élève à près de 112 K
. La question
des parcours d'intégration concentre l'essentiel de l'attention des chercheurs, à travers le prisme
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
19
des enquêtes statistiques et des études démographiques au long cours
8
. En revanche, la
recherche est plus discrète sur la dimension exogène des migrations : les causes profondes des
départs, les facteurs d'attractivité et de répulsion des pays de destination, les conditions de
réinstallation dans les pays d'origine et le rôle des filières de passeurs, par exemple. Il en est de
même sur l’impact des migrations sur la situation démographique, sociologique, sociale ou
sécuritaire de la France sur lequel la direction doit faire un effort de recherche prospective.
A la faveur de la nouvelle organisation ministérielle de la prospective, la DGEF s'est
accordée avec l'IHEMI sur un programme d’études prospectives visant notamment à mieux
prendre en compte ses points d'intérêt dans les appels à projets pouvant concerner les questions
migratoires et à construire en commun une cartographie des chercheurs et des institutions de
recherche travaillant sur les sujets migratoires et auxquels il pourrait être fait appel pour des
travaux ponctuels. La DGEF s'intéresse ainsi particulièrement aux grandes ruptures qui
pourraient affecter des modèles aujourd'hui établis, comme la part des migrations
intrarégionales sur le continent africain.
Le directeur général a annoncé la mise en place d’un comité stratégique de la prospective
au sein de la DGEF. Il doit travailler prochainement sur les axes suivants :
- la mise en réseau avec les chargés de mission prospective des autres directions du
ministère et de l'IHEMI pour partager les bonnes pratiques ;
- la mise en relation avec les institutions de recherche et les chercheurs travaillant sur
les sujets migratoires pour identifier des travaux communs, créer un espace de dialogue avec
les agents de la direction, susciter et soutenir des travaux de recherche ;
- identifier des outils nécessaires à l'élaboration de « scénarios migratoires » à 5 ans ;
- proposer de nouvelles missions flash au comité des missions prospectives.
La volonté récente de la DGEF d’arrêter une stratégie et un programme de travaux, de
créer un réseau avec des chercheurs et de mieux prendre en compte les impacts des migrations
à moyen et long terme sont des progrès à encourager. Ils devraient être accompagnés par un
formalisation et un renforcement de l’organisation et de la mission prospective au sein du
DSED.
1.3.3.5
La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) : une création récente, un
positionnement auprès du directeur général
En 2023, un poste de délégué à la prospective et à la stratégie, placé sous l'autorité
directe du directeur général de la sécurité intérieure, a été créé. Il pilote une équipe de 3
personnes chargées de réfléchir à l'évolution des menaces susceptibles d'affecter la sécurité
intérieure et de piloter la mise en
œ
uvre, pour le compte du directeur général, de la stratégie de
modernisation de la direction.
Sur le premier volet, il est plus particulièrement chargé de :
8
les politiques migratoire et d’accueil, capital humain et performances économiques - Université de Lille (2022),
évaluation économétrique des politiques d’accueil et d’intégration des immigrés en France – Université de Paris 1
(2022), information, nature des transferts et interrelations entre migrants et familles d’origine – Institut de
Recherche en Démographie (2021), par exemple
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
20
- coordonner des travaux prospectifs sur les thèmes prioritaires de contre-terrorisme,
contre-espionnage, de protection économique, de cybermenaces à partir d’une veille renforcée,
d’entretiens avec des experts (du monde académique, de l'entreprise ou de l'administration) et
d’ateliers avec les agents de la direction visant à diffuser une culture prospective ;
- coopérer avec les services de renseignement français et les partenaires étrangers à des
fins d'échange de méthodes et d'analyses sur les enjeux prospectifs ;
- nouer des partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur afin de mieux
prendre en compte l'expertise académique dans les analyses de la direction.
1.3.3.6
La direction générale des outre-mer (DGOM)
Depuis sa création en 2013, la DGOM dispose d’une organisation consacrée à la
prospective sous la forme d’un bureau chargé de l'évaluation des politiques publiques et de la
prospective.
La fonction prospective s'est renforcée à partir de 2020 avec la formation des agents du
bureau. En 2021, trois études ont été menées (l’économie bleue durable à l’horizon 2050 dans
les régions ultrapériphériques, l’insertion des jeunes en situation de handicap dans les DOM à
horizon 2030, le vieillissement démographique aux Antilles à horizon 2040). Cinq études sont
en cours.
1.3.4
Une comitologie lourde
La nouvelle organisation de la fonction prospective, outre les directions générales, la
MEPATE et l’IHEMI, repose sur plusieurs comités créés depuis 2022 :
-
le comité stratégique de la prospective (COSPRO), présidé par le directeur de
cabinet, réuni deux fois par an le chef de l'IGA, le secrétaire général et les directeurs
généraux pour leur présenter les orientations choisies et les thèmes retenus pour les
« missions flash » ;
-
le comité des missions prospectives (CMP), réuni environ tous les deux mois les
« responsables prospective » des directions pour échanger sur les travaux sur des
thèmes d'intérêt commun. Ce comité permet des échanges entre les membres, invités
à enrichir la réflexion à partir de leur métier, de leur formation, de leur appétence pour
certains sujets. Il a vocation à alimenter à la fois l’approche ascendante pour faire
émerger des sujets de terrain et l’approche descendante quand ils relayent leur direction.
Il est organisé autour d’ateliers dont l’objet varie selon les thèmes retenus. Ainsi, cinq
ateliers inter-directions portant sur des sujets d’avenir (« Dans 10 ans… » :
environnement, immigration, nouvelles menaces, territoires, transformation numérique.)
ont été créés lors du CMP du 11 mai 2023. Les comptes-rendus des CMP montrent des
échanges libres entre les membres, hors hiérarchie, des pistes de réflexions très ouvertes,
à partir de différentes méthodes. Les ateliers font parfois appel à un expert extérieur ;
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
21
-
le comité de suivi de la prospective (COSUIP), composé du délégué à la prospective
de l'IHEMI, du chef de la MEPATE et du conseiller prospective du cabinet du
ministre. Il suit les projets, prépare les CMP, discute des thèmes de colloque, des
travaux et séminaires.
Dans un champ d’intervention connexe, le conseil scientifique sur les processus de
radicalisation (COSPRAD), rattaché à l’IHEMI, a pour objectif de favoriser l’articulation et le
dialogue entre recherche et politique publique, de développer la recherche sur les radicalisations
en France et de faire des propositions au Premier ministre. Publiés le 4 mars 2024, le référé et
les observations définitives de la Cour relatives au secrétariat général du comité interministériel
de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) montrent que ce dernier
s’appuie peu sur les travaux du COSPRAD, qui peine à fonctionner et à s’affirmer dans
l’exercice de ses missions.
Enfin, il existe plusieurs comités scientifiques, aux périmètres d’intervention et à la
composition variés, auprès de plusieurs services (IHEMI, DGSCGC, DGGN, principalement).
Le conseil scientifique
9
de l’IHEMI est le plus important, eu égard à son périmètre de
compétences, sa composition et son autonomie. Il valide la stratégie de recherche de l’IHEMI
en donnant son avis sur les orientations, les thèmes de recherche, les protocoles et
méthodologies scientifiques qui garantissent la qualité des connaissances produites. Il définit
les critères pour les appels à projet auprès des universités et donne son avis sur les projets
financés par le Fonds d’investissement pour les études stratégiques et prospectives (FIESP).
1.3.5
Une nouvelle organisation encore perfectible
La nouvelle organisation témoigne d’un intérêt renouvelé pour la démarche prospective.
L’implication du cabinet du ministre souligne la dimension stratégique de la démarche mais est
également porteuse de risques. D’une part, le rattachement et la proximité doivent pouvoir
s’accompagner d’une indépendance suffisante pour que le sort de la structure – et donc de la
démarche - ne soit pas lié à celle du cabinet, sauf à perdre l’une de ses caractéristiques
essentielles, la longévité. Par ailleurs, le temps du cabinet reste le temps court de l’impulsion et
de la politique, ce n’est pas le temps long de la recherche ni de la réflexion prospective, ce qui
pose la question du suivi des travaux prospectifs sur le long terme.
La dispersion des acteurs, l’organisation ministérielle reposant sur trois structures,
l’implication encore inégale mais en progrès des directions générales – à laquelle la nouvelle
organisation ne remédie pas - nuisent à la lisibilité, au portage et à la généralisation de
l’impulsion donnée récemment à la prospective.
D’autres ministères ont retenu des organisations qui pourraient inspirer le ministère de
l’intérieur, dans le cadre d’une évolution de l’organisation mise en
œ
uvre et des moyens dédiés.
Ainsi, les structures dédiées à la prospective au ministère de l’Europe et des affaires étrangères
- le centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) - et au ministère de l’agriculture et de
la souveraineté alimentaire - le centre d’études et de prospective (CEP) - ont un positionnement
9
Il se réunit deux à trois fois par an. Il est composé de 23 membres : 12 représentants de l'administration et 11
personnes qualifiées (enseignants ou chercheurs reconnus) : MM Alain Bauer, professeur au CNAM / Dominique
Reynié, professeur à Sc Po / Christian Mouhanna, chercheur CNRS / Gilles Kepel, professeur d’université etc….
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
22
et un niveau de moyens importants pour en assurer la pérennité, asseoir la légitimité et
l’indépendance de leurs travaux.
Le centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des
affaires étrangères
Créé en 1973, le CAPS se veut à la fois une interface entre le ministère et le monde de la recherche et
de l’expertise et un think-tank au service du ministre et des directions. Directement rattaché au ministre
et participant au comité de direction, il peut, compte tenu de son indépendance, présenter d’autres
propositions que celles du cabinet ou des directions. Ses propositions n’engagent pas le ministère, ses
livrables sont diffusés indépendamment de tout visa hiérarchique. Il éclaire les choix des décideurs et
élargit leurs options. Il dispose de la majorité des crédits de recherche du ministère, soit 580 K
en 2023
(dont 80 K
pour des notes de consultance et 500 K
pour des subventions).
Il est composé de 30 agents, dont 14 chargés de prospective, partagés entre diplomates de carrière, agents
d’autres ministères
10
et contractuels, et répartis thématiquement. Son travail sur « les mondes de 2030 »
présenté en juillet 2017 est un bon exemple de la méthode retenue. Ainsi, huit thèmes (énergie et climat,
démographie et migrations…) et huit aires régionales structurantes pour l’avenir du système
international (Russie, Océanie...) ont été examinés afin de déceler les continuités mais aussi les surprises
possibles, à même de faire dévier ces tendances (ruptures) ou de rebattre totalement les cartes (chocs),
afin de dessiner plusieurs futurs possibles (scénarios). Le CAPS a soumis ce travail au regard d’experts
extérieurs, mais aussi a prêté attention à d’autres points de vue, venus de l’étranger, avant de dessiner
huit mondes théoriques possibles.
Le ministère de l’intérieur aurait pu faire le choix d’une entité centrale en charge de
prospective qui aurait coordonné et mutualisé toutes les ressources et les moyens dispersés,
comme ce fut le cas entre 2008 et 2012, tout en respectant l’organisation propre de chaque
direction. Néanmoins, les obstacles et les réticences sur lesquels elle n’aurait pas manquer de
s’épuiser, l’extrême diversité des thématiques et des enjeux, l’existence de services compétents
dans certaines directions générales ne plaidaient pas pour une telle ambition.
Le centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’agriculture et de la
souveraineté alimentaire
Créé en 2008, le CEP est une sous-direction du service de la statistique et de la prospective,
rattaché au secrétaire général du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Il dispose
des crédits de recherche, soit 550 K
en 2023. Composé de 14 personnes d’horizons divers, il a pour
mission de développer et promouvoir des missions de veille, de prospective et d'évaluation. Il travaille
en lien avec le cabinet du ministre, les directions centrales et les services déconcentrés. Ses travaux ont
pour objectif d'apporter des éléments de réflexion aux acteurs en charge de la définition des politiques,
en étant une interface entre l’administration et le monde scientifique, une ouverture sur ce qui fait débat
dans la société. Il identifie des sujets et des problématiques, programme des études (une douzaine/an),
en suit les travaux. Les rapports, qui restent sous la responsabilité des auteurs et non du ministère sont
publiés sur les sites des chercheurs, sous réserve de l’accord du cabinet, donnent lieu à des notes
synthétiques et font l’objet de restitutions aux directions et services concernés
Comme cela a été vu
supra
, le ministère a fait le choix d’une organisation en réseau qui
s’appuie sur un « tripode » (un conseiller au cabinet du ministre, l’IHEMI et le chef de la
10
Ministère de l’économie et des finances, ministère des armées.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
23
MEPATE au secrétariat général) et implique, de façon variable, les directions générales. Cette
organisation tire les leçons des tentatives précédentes, s’appuie sur les travaux déjà menés par
les directions et l’IHEMI et cherche à assurer la cohérence, la coordination et la diffusion
desdits travaux via des comités de pilotage.
Le ministère reconnait que l’organisation actuelle repose sur un portage politique
important qui ne peut être garanti sur le long terme. Pour pérenniser le dispositif, il prévoit de
formaliser le rôle de coordonnateur de la fonction prospective, exercé par le chef de la
MEPATE, par un rattachement au secrétaire général et un périmètre d’intervention couvrant
tout le ministère.
La modification de l’organisation envisagée par le ministère apparait encore timide pour
favoriser la montée en puissance de la fonction prospective, car elle ne prévoit pas une
augmentation des moyens (aujourd’hui trois personnes dont le chef de la mission) et du
périmètre d’action de la MEPATE.
À partir des constats des échecs de structuration de la fonction prospective au ministère
de l’intérieur, des enseignements tirés et d’exemples d’autres ministères, une entité renforcée
en moyens, dédiée, pluridisciplinaire, et transversale -rattachée au secrétaire général - pourrait
assurer les fonctions de mise en réseau des unités et ressources déjà existantes, identifier,
impulser et diffuser les travaux d’études et de prospective transversaux au ministère, valoriser
les travaux des services existants au sein des directions générales, favoriser les partenariats avec
le monde de la recherche.
_____________________CONCLUSION INTERMEDIAIRE________________________
Le ministère de l’intérieur ne dispose pas encore d’une fonction prospective forte et
bien identifiée alors que les enjeux qu’il couvre touchent de très nombreux sujets allant de
l’administration territoriale de l’État à la sécurité du pays et des citoyens, en passant par la
gestion des étrangers en France et l’immigration illégale, par exemple. Si depuis une vingtaine
d’années, plusieurs schémas d’organisation ont été mis en
œ
uvre par le ministère de l’intérieur
pour organiser de façon centralisée les sujets de la prospective et de la recherche, ils ont tous
échoué.
Ce n’est qu’à la fin 2022 que le ministre a réactivé au niveau central la fonction
prospective en choisissant de s’appuyer sur trois acteurs préexistants : la MEPATE, l’IHEMI
et les directions métiers. Les deux premiers disposent cependant de peu de moyens et d’un
positionnement marginal par rapport aux directions générales tandis que celles-ci ont un degré
variable d’acculturation à la prospective, des moyens et des travaux très hétérogènes
avec une
exploitation et une valorisation collective insuffisantes. Les liens du ministère avec le monde
de la recherche sur les enjeux de prospective sont variables voire insuffisants selon les sujets
et les directions, sans coordination ni stratégie globale.
Une entité centrale dédiée, pluridisciplinaire, polyvalente et transversale pourrait
assurer les fonctions de mise en réseau des unités et des ressources déjà existantes, garantirait
leur cohérence, favoriserait des partenariats avec le monde de l’enseignement supérieur et de
la recherche en élargissant les problématiques étudiées et renforçant les financements associés.
Cette structure devrait bénéficier d’un positionnement transversal stable et identifié, à savoir
auprès du secrétaire général du ministère.
___________________________________________________________________________
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
24
2
LES TRAVAUX DE PROSPECTIVE
2.1
Le livre blanc sur la sécurité intérieure de 2020 : un premier document
identifiant les enjeux actuels et futurs mais dont il n’a pas été tiré
toutes les implications dans les étapes suivantes
En octobre 2020, le ministère de l’intérieur a publié le Livre blanc de la sécurité
intérieure (LBSI) qui avait vocation à être son document de référence pour les dix prochaines
années et a l’ambition de « bâtir la sécurité du 21ème siècle ». Il se compose de cinq parties :
l’évolution des enjeux capacitaires, la relation entre les forces de sécurité intérieure et la
population, les réorganisations du ministère, les technologies et enfin, les ressources et moyens.
En dépit de son intérêt, ce document avait un caractère prospectif qui restait encore
incomplet. Ainsi, s’il analysait des faits, des tendances actuelles qui avaient vocation à
s’accentuer –déjà connues – telles que les flux migratoires, les cybermenaces, le développement
de l’IA etc. - il ne formulait toutefois pas explicitement de scenarios d’adaptation, de rupture,
voire de crises pour en tirer des conséquences en termes de réponses à moyen terme du
ministère.
Le LBSI comprend des parties qui relèvent de l’organisation et des moyens du ministère
qui sont des outils et ne relèvent pas de la réflexion stratégique sur ce que pourraient être les
activités du ministère, son environnement économique, social et international à moyen-terme.
Si ce travail a été effectué quasi-exclusivement en interne au ministère, sur la base de
groupes de travail, une concertation a toutefois été organisée au travers d’une table ronde en
février 2020 avec 11 chercheurs et universitaires qui ont souligné que «
la capacité du ministère
à identifier, comprendre et répondre aux différentes menaces et radicalités est amoindrie par
un déficit de prospective et de lien avec le monde de la recherche. Le ministère reconnait qu’il
dispose de ressources d’information importantes mais qu’elles sont insuffisamment
exploitées
»
11
. Ils ont formulé trois constats principaux :
-
sur l’état de la menace, ils observent que le contexte sociétal dans lequel
s’appréhende la question sécuritaire connaît de profondes mutations, que les
menaces ne sont pas fondamentalement nouvelles, mais leurs vecteurs, leur
temporalité, leur spatialisation et donc leurs effets sont nouveaux.
-
sur les rapports police-population, ils relèvent que la question passe avant tout par
une analyse du rapport entre la police et les territoires.
-
enfin, sur l’impact des nouvelles technologies, ils observent que les enjeux
sécuritaires posés par elles sont nombreux et majeurs.
Enfin, le CHEMI, service alors en charge de recherche et de prospective et aujourd’hui
intégré à l’IHEMI, n’a pas été directement associé aux travaux, hormis une fiche de deux pages
sur l’axe relatif à « la définition d’une stratégie de recherche » et l’organisation de « rendez-
vous de concertation avec les citoyens ».
Postérieurement au LBSI, le « Beauvau de la Sécurité », organisé de janvier à septembre
2021 - à partir de 8 tables rondes autour de personnels de terrain, d’élus, de représentants
11
Annexe au livre blanc de la sécurité intérieure -annexe 6, page 52.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
25
syndicaux, d’experts et de citoyens - a posé un diagnostic sur les forces et faiblesses de
l’exécution des missions et de l’organisation de la sécurité et a proposé des solutions. Lors de
son discours de clôture du « Beauvau de la sécurité » le 14 septembre 2021, le Président de la
République a annoncé de nouvelles mesures, complémentaires au livre blanc en matière pénale,
de formation des forces de sécurité intérieure et de moyens humains, matériels et
technologiques. Dans son discours de Nice du 10 janvier 2022, le Président de la République a
présenté ses propositions sur le thème de la sécurité, dans le cadre de la campagne
présidentielle, reprises des conclusions du « Beauvau de la sécurité ». La loi d’orientation et de
programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023 vient parachever ce
long processus initié par le livre blanc en 2020.
Si on peut saluer la démarche engagée par le ministère, force est de constater qu’elle
reste en retrait de ce que font d’autres ministères. Ainsi, au ministère des armées, le livre blanc
sur la défense et la sécurité nationale de 2008 a érigé, pour la première fois, la fonction
d’anticipation en fonction stratégique à part entière. Il indiquait ainsi que : «
Face aux
incertitudes qui pèsent sur les quinze ans à venir, la fonction de connaissance et anticipation
vient au premier plan. (…) Elle doit faire l’objet d’un effort significatif et prioritaire
». Ce livre
blanc soulignait que la démarche d’anticipation devait «
permettre une plus grande
confrontation entre les analyses
», partant du constat que les champs concernés sont
pluridisciplinaires. Le livre blanc de 2013 et les revues stratégiques de défense nationale de
2017 et 2022 se sont inscrits dans la même démarche. En définissant notamment la stratégie
française, les objectifs fixés aux armées et les besoins associés ont directement servi à
l’élaboration des lois de programmation militaire qui établissent une programmation
pluriannuelle des dépenses de l'État à un horizon compris entre quatre et sept ans.
Le ministère de l’intérieur s’est inspiré de la démarche du ministère des armées mais la
LOPMI, si elle s’inscrit dans les pistes dégagées par le Livre blanc, est principalement la
résultante des travaux du « Beauvau de la sécurité », qui répondent à des besoins urgents,
s’inscrivant moins dans le temps long. Ainsi, l’enchaînement Livre Blanc / Beauvau de la
sécurité / LOPMI est difficile à reconstituer. En outre, dans sa notre structurelle de juillet 2023,
«
Les forces de sécurité intérieure : des moyens accrus, une efficience à renforcer
», la Cour
avait souligné qu’il était difficile de mettre en regard dans la LOMPI la programmation
budgétaire et les objectifs retracés en annexe.
La réactivation de la fonction prospective doit permettre au ministère d’inscrire son
action dans une vision plus stratégique de ses missions, en renforçant sa compréhension des
risques et sa capacité d’anticipation. Un premier exercice pourrait être de réévaluer au regard
de la situation actuelle les enjeux posés en 2020 par le Livre Blanc.
Recommandation N°3
(SG-MIOM) : Réaliser une « revue stratégique » des missions
du ministère de l’intérieur , notamment à partir des travaux de prospective récemment
effectués
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
26
2.2
Un effort de coordination récent
2.2.1
Jusqu’en 2023, des initiatives multiples peu coordonnées
Comme vu précédemment, jusqu’en 2023, le ministère conduisait trois types de travaux
de prospective :
-
en régie au sein même des directions : ainsi, « Vision Gendarmerie 2030 » à la
DGGN, « les territoires connectés », « l’adaptation de la sécurité civile face aux
défis climatiques à l’horizon 2050 » à la DGSCGC, « le parcours administratif des
primo-arrivants » à la DGEF, par exemple,
-
en régie avec le concours de structures intégrées : « Penser la lutte énergétique »
DGGN-CREOGN
12
, « vers une co-production locale de sécurité publique-privée
pour mieux assurer la sécurité collective sur les territoires » DGPN-IHEMI, « La
résilience
des
populations
face
aux
risques
émergents
d'un
territoire »
DMATES/IHEMI, par exemple,
-
à l’extérieur, avec une université ou un centre de recherche : « 2035 : la mobilité du
gendarme en énergie contrainte » à la DGGN-ministère des armées, « Augmentation
de l'être humain afin d'améliorer, amplifier, réparer les capacités humaines »
DGSCGC-CNRS, projet « FORENSCRIPT » Service PTS- Université Aix
Marseille sciences cognitives (qui vise à créer une base de données d’écritures
manuscrites numérisées, étudier les variables d’écritures et les mettre en lien avec
les caractéristiques physiques, pour aider à l’identification d’une écriture).
Ces travaux, pour intéressants qu’ils soient, étaient produits en l’absence d’un cadre
général de référence qui aurait permis de savoir ce qui se faisait et d’orienter les travaux en
fonction de priorités concertées, d’en homogénéiser les procédures et d’en mieux partager et
diffuser les conclusions.
L’initiative relevait très souvent d’un seul service et ne s’inscrivait que rarement dans
des axes stratégiques prédéfinis au niveau central, arrêtés après une réflexion documentée et
partagée par tous ceux qui pouvaient y avoir intérêt et y contribuer.
Les études produites étaient rarement mises en commun et restaient en conséquence
insuffisamment exploitées, ce qui nuit à l’efficacité globale. Jusqu’au projet récent de recenser
les travaux auprès des différentes directions et de l’IHEMI, les classer et les mettre à disposition
des services du ministère, aucune base documentaire unique n’existait.
2.2.2
Des initiatives nouvelles pilotées au niveau central
Depuis la réactivation de la fonction prospective fin 2022 au niveau central, une
démarche plus transversale entre les directions du ministère et ascendante pour faire émerger
des sujets de terrain est à l’
œ
uvre.
12
Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
27
Ainsi, les missions flash, telles que présentées par le ministère, sont destinées à
impliquer directement les directions sur des sujets à court et moyen terme susceptibles d'éclairer
la prise de décision pour préparer le ministère à relever ses défis. Sur proposition du comité de
suivi, une première vague de trois missions flash a été lancée portant sur l’impact des listes
communautaires sur la physionomie des élections à horizon 2030, l'utilisation de l’IA dans le
traitement des titres de séjour et du permis de conduire, les catastrophes naturelles dans le
contexte d'une multiplication des effets délétères du dérèglement climatique. Le pilotage de ces
missions a été confié à un inspecteur de l'IGA et à deux sous-préfets délégués par la DMATES
pour 6 mois, accompagnés d'agents des directions concernées. L'IHEMI a formé les pilotes de
ces missions, a proposé des listes d'experts à rencontrer et a fourni la documentation utile. La
MEPATE a été représentée dans chaque mission, pour s’assurer de la bonne prise en compte
des spécificités des territoires.
Ces rapports ont consacré une part importante aux constats sans toutefois approfondir
suffisamment les hypothèses et scénarios. De plus, ils ont peu fait appel à des experts extérieurs
et ont été réalisés dans un délai trop court pour avoir permis un travail avec des chercheurs. Ces
audits apparaissent ainsi davantage comme des rapports d’inspections générales que de travaux
de prospective. Néanmoins, ils exposent différentes options et présentent les traductions
opérationnelles qui en découlent au travers de recommandations, dont la plupart concernent des
bilans de mesures existantes à effectuer. Par ailleurs, les groupes de travail inter-directions ont
permis un échange de points de vue argumentés et la connaissance fine de l'état actuel des
enjeux.
La seconde série de quatre missions-flash, commencée en septembre 2023, s’inscrit plus
dans une démarche de prospective puisqu’elle fixe un cadre temporel à 2035 et le délai de
remise des rapports est fixé à 18 mois. Elle a traité des sujets diversifiés : « l’irruption de la
génération Z et des suivantes : repenser des parcours de carrière propices à attirer les talents et
les fidéliser » ; « pertinence et acceptabilité d’une police prédictive par l’IA » ; « les
vulnérabilités associées à l'environnement numérique des agents des forces de sécurité
intérieure », « la structuration des radicalités écologiques ».
En parallèle à ces missions flash, le ministère nourrit ses réflexions futures au travers de
deux autres démarches :
Un cycle de cinq sessions d’études sur les impacts prévisibles du dérèglement
climatique sur le ministère et les mesures d’adaptation à envisager est organisé depuis le début
de l’année 2024, à raison d’une réunion par mois sous le format de tables rondes avec un ou
plusieurs chercheurs, un ou deux directeurs du ministère particulièrement concernés par le sujet
et un expert. Le premier sujet a porté sur « les outre-mer en première ligne ».
Un premier colloque de prospective a été organisé le 19 octobre 2023 sur le thème « la
carte de France en 2050 » décliné selon trois axes, proposés par le comité stratégique de la
prospective et validés par le cabinet du ministre : la prise en compte du dérèglement climatique
pour l’aménagement du territoire, les bascules démographiques attendues, l’impact des
nouvelles technologies sur la manière d’habiter le territoire. Plusieurs experts
13
ont été invités
à échanger sur ces sujets autour de tables rondes puis des travaux en ateliers ont porté sur trois
13
Par exemple : M Pierre VERMEREN, historien / M Jérôme BATOUT, philosophe et économiste / M Grégory
QUENET, historien de l’environnement …
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
28
sujets : Et si, en 2050, la mobilité c’était dépassé ? Et si, en 2050, l’intelligence artificielle n’y
changeait rien ? Et si, en 2050, le pire n’était pas la chaleur ?
L’ensemble de ces sujets répondent mieux à une démarche prospective et sont le fruit
de réflexions inter-directions - discutées au sein du comité des missions prospectives – qui
concernent les enjeux auxquels le ministère sera confronté dans les prochaines années.
Néanmoins, d’autres sujets, pour le moment non identifiés par le ministère, pourraient être
examinés. Ainsi, à titre d’exemples : la question de l’articulation entre la dématérialisation des
services et la proximité auprès des populations ; la relation de confiance entre les citoyens et le
ministère garant des libertés publiques ; les cybermenaces et la désintégration du corps social.
Tous ces sujets paraissent stratégiques pour l’exercice des missions du ministère dans un
environnement très évolutif.
Le ministère a prévu un suivi biannuel des conclusions et recommandations de ses
travaux de prospective. Les premiers du genre, les missions flash, ayant été rendu en juin 2023,
ils n’ont pas encore fait l’objet d’un bilan. Néanmoins, les pistes dessinées par le rapport sur
« l'utilisation de l’IA dans le traitement des titres de séjour et du permis de conduire » vont faire
l’objet d’approfondissements par l’IGA, qui était en charge de la mission, pour examiner les
usages concrets de l’IA pouvant être mis en
œ
uvre rapidement, notamment dans les centres
d’expertises et de ressources des titres. La DGEF, intéressée dans le cadre de la réforme des
services des étrangers dans les préfectures, va participer à ces travaux complémentaires. La
direction de la sécurité routière, quant à elle, souhaite exploiter certaines pistes formulées par
le rapport, dans le cadre du renouvellement du permis de conduire.
Toutefois, pour que la démarche de prospective soit complète et serve utilement le
ministère à améliorer sa prise de décision, le suivi des travaux doit porter sur le niveau de mise
en
œ
uvre des recommandations, sur les pistes ouvertes, les scenarios identifiés, les indicateurs
de veille envisagés sur le sujet. Ainsi, le rapport de la mission flash sur « les catastrophes
naturelles, dans le contexte d’une multiplication des effets délétères du dérèglement
climatique » montre que, quel que soit le scénario envisagé, l’amélioration de la culture de
gestion de risque, en lien avec les collectivités territoriales et le renforcement de la coordination
entre la prévention, la gestion de crise, les indemnisations, sont majeurs. En conséquence, le
rapport identifie 32 actions, réparties en 6 axes, avec désignation des directions concernées par
leur mise en
œ
uvre (jusqu’à 5 pour certaines actions, voire parfois avec d’autres ministères)
mais sans calendrier, ni chef de file, ni indicateurs (par exemple : enquête sur l’acculturation de
la population aux risques, taux de documents d’information communal sur les risques majeurs
mis à disposition du public etc..).
2.3
Les relations entre le ministère et le monde de la recherche doivent
être améliorées
Le contrôle de la Cour auprès des principales grandes directions du ministère et des
chercheurs qui se consacrent à des sujets d'intérêt pour le ministère met en évidence des liens
très variables avec les chercheurs - pour contribuer aux travaux de prospective - selon les sujets
et les directions, sans coordination ni stratégie globale. Les réalisations varient en fonction de
l'activité des services et de leur proximité avec le monde de la recherche et de l'enseignement
supérieur. Ainsi, ceux qui sont chargés de missions de formation initiale ou continue
(EOGN,
ENSP, ENSOSP, principalement), ont tissé des liens avec les milieux de l’enseignement et de
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
29
la recherche. Il en est de même de certains services techniques, commandement de la
gendarmerie dans le cyberespace, agence numérique des forces de sécurité intérieure, service
de l’innovation au SAILMI/SG, service national de police scientifique, par exemple. Enfin,
dans les autres services, plus éloignés culturellement du monde de la recherche et de
l’enseignement supérieur, les liens sont en général moins denses mais des réalisations
intéressantes sont à souligner (les flux migratoires à la DGEF, l’exploitation satellitaire par l’IA
et la prévisibilité météorologique à la DGSCGC, par exemple).
Globalement, les rapports apparaissent toutefois teintés d’une méfiance réciproque. Une
mise en perspective historique éclaire les relations entre le ministère et le monde de la
recherche.
La création en 1989 de l’Institut des hautes études sur la sécurité intérieure (IHESI)
14
visait à étayer les contenus des formations délivrées aux commissaires de police, soutenir
l’apprentissage de partenariats avec des chercheurs et désamorcer les polémiques sécuritaires.
En 2004, l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES)
15
lui a succédé et intégrait la
sécurité civile et l’analyse statistique de la délinquance au travers l’observatoire nationale de la
délinquance et des réponses pénales (ONDRP) qui a été intégré, en 2020, au service statistique
ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). En 2009, l’Institut national des hautes études de
la sécurité et de la justice (INHESJ)
16
– rattaché au Premier ministre – visait à renforcer
l’expertise des acteurs publics sur les enjeux des politiques de sécurité dans un cadre
interministériel. Ces différents instituts ont connu des relations contrastées avec le monde de la
recherche qui, toutefois, a été progressivement mieux intégré dans les réflexions du ministère.
L’IHEMI s’inscrit dans cette lignée.
Selon les chercheurs rencontrés lors de la présente enquête de la Cour (institut des
sciences humaines et sociales du CNRS, centre d’études et de recherches sociologiques sur le
droit et les institutions pénales, Institut français des relations internationales, centre de
recherches politiques de Sciences Po et conservatoire national des arts et métiers), les objectifs
fixés à ces différentes structures ont été plus ou moins atteints, en fonction, principalement, de
l’autonomie dont l’Institut disposait alors et de l’intérêt ou non des ministres pour la recherche.
Trois facteurs peuvent expliquer la distance persistante entre le ministère et les centres
de recherche :
Tout d’abord, du rapport direct entre sécurité, insécurité et politique nationale, il résulte
une sensibilité des pouvoirs publics à tout ce qui s’écrit sur les forces de sécurité intérieure ou
l’activité de la police nationale. Il est donc normal qu’ils soient attentifs à la production
scientifique sur ces questions et à la publicité donnée à celle-ci.
Par ailleurs, dans une culture de l’immédiateté qui, sous la contrainte de l’urgence,
valorise avant tout la capacité de réaction aux crises, la fonction de formation intellectuelle et
de recherche sur un temps long, tout comme sa dimension prospective, peinent à trouver leur
légitimité. Ainsi, l'aptitude à se poser des questions peut même parfois être perçue anxiogène,
comme une reconnaissance du fait que la situation n'est pas sous contrôle, alors que selon un
chercheur de l’IFRI, ce trait ne se retrouve pas, par exemple, dans les armées qui valorisent
mieux la capacité à connaitre l'adversaire ou le problème à traiter.
14
Établissement public administratif rattaché au ministre de l’intérieur,
15
Établissement public administratif créé en 2004 et rattaché au ministre de l’intérieur.
16
Établissement public administratif créé en 2009 rattaché au premier ministre.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
30
Ensuite, les réticences semblent plus fortes encore vis-à-vis des sciences humaines car
la pertinence des analyses développées par des chercheurs ne connaissant pas les réalités
quotidiennes des services est fortement discutée. Un certain nombre de publications en
témoignent et alimentent des réticences à accueillir des chercheurs en sciences sociales dans
des services. On peut citer à titre d’exemples : « Insupportable et indispensable, la recherche au
ministère de l’intérieur – MM Ocqueteau et Monjardet, l’État à l’épreuve des sciences
sociales » – La découverte (2005) ; « La police des manifestations en France – Fabien Jobard
du CNRS (2020), de police à polis : refonder le lien entre les forces de l’ordre » – Fondation
Jean Jaurès (2021), que fait la police et comment s’en passer ? – Paul Rocher (2023.
Les difficultés qui pèsent sur les relations entre le ministère de l'intérieur et certains
chercheurs tiennent également au monde de l'enseignement supérieur et de la recherche.
En premier lieu, la plupart des sujets présentant un intérêt pour le ministère se réduisent
difficilement à une approche mono-disciplinaire. Cette situation rend l'identification de
partenaires plus complexe pour le ministère.
En deuxième lieu, il faut souligner des réticences culturelles, dans certains cas
idéologiques, de la part d'un certain nombre de chercheurs, à aborder avec une approche
scientifique les questions relatives à la police, aux migrations et à la sécurité intérieure. Certains
chercheurs interrogés disent rencontrer une forme d'incompréhension de la part de leurs
collègues, qui ne facilite pas leur reconnaissance au sein des équipes auxquelles ils
appartiennent. D'autres, marqués par les représentations du champ culturel dans lequel ils
s'inscrivent et par leurs positions idéologiques, adoptent des postures très critiques sur les forces
de l'ordre et les politiques qu'elles sont chargées de mettre en
œ
uvre, qui ne facilitent pas leurs
échanges avec le ministère.
En troisième lieu, à la différence de pays anglo-saxons, et en particulier du Royaume-
Uni (Cf. annexe 1 montrant le nombre d’enceintes de coopération entre le Home Office et les
milieux académiques), la culture universitaire française n'est pas particulièrement ouverte à la
coopération avec certains services, comme le renseignement ou la police judiciaire.
Néanmoins, la plupart des chercheurs mènent des recherches scientifiquement
objectives sur les enjeux de la sécurité intérieure. Tel est notamment le cas des publications
suivantes : « les jeunes et les métiers de la sécurité et de la justice » – Anne Muxel – Continuum
Lab (2023) ; « La proximité dans les pratiques policières : l’exemple de la gendarmerie » –
François Dieu – cahiers de la sécurité (avril 2023) ; « La nation inachevée : la jeunesse face à
l’école et la police » – Sébastien Roché – Grasset (2022) ; « La police de sécurité du quotidien »
– Thierry Delpeuch _ cahiers de la sécurité (décembre 2021) ; « Violences policières : une
action légitime » – Sidi Mohamed Barkat – Lignes (mars 2020).
En conclusion, la Cour observe que les partenariats entretenus avec le monde de
l’enseignement supérieur et de la recherche, indispensables pour la démarche prospective, sont
un important vecteur de renforcement et d’influence du ministère de l’intérieur et de meilleure
compréhension des enjeux des politiques qu’il mène. Toutefois, les financements alloués à ces
partenariats apparaissent aujourd’hui insuffisants, comparés aux efforts d’autres ministères
17
.
17
Le centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères
disposait en 2023 d’un budget annuel de 580 K
(dont 80 K
pour des notes de consultance et 500 K
pour des
subventions. Quant au centre d’études et de prospective (CEP) du ministère de l’agriculture et de la souveraineté
alimentaire, son budget pour les études et recherches était de 550 K
en 2023.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
31
Afin de développer les recherches répondant aux besoins de prospective du ministère, il
conviendrait d’accroître le montant global du Fonds d’investissement pour les études
stratégiques et prospectives (FIESP), géré par l’IHEMI, et celui des dotations individuelles
allouées aux chercheurs. L’objectif est d’établir des partenariats pluriannuels avec certains
laboratoires de recherche leur permettant d’acquérir une expertise sur des sujets prioritaires
dont le ministère bénéficiera à terme et, dans une logique d’influence, de former sur ces sujets
des chercheurs qui seront ses relais.
De même, l’exercice de fonctions d’enseignement par des cadres du ministère dans des
masters en lien étroit avec ses thématiques valoriserait ses politiques publiques et ses pratiques
auprès d’un public ciblé, attirerait éventuellement des profils de qualité vers ses filières de
recrutement, encouragerait de nouveaux cursus et travaux de recherche sur des problématiques
aujourd’hui délaissées. Le centre d’analyse, de prévisions et de stratégie (CAPS) du ministère
des affaires étrangères, par exemple, en fait d’ailleurs l’une de ses missions prioritaires.
Par ailleurs, l’existence de programme de recherches au niveau européen semble un
élément peu présent dans la réflexion globale du ministère alors que les financements du
programme « Horizon Europe 2021-2027 » géré par la DG-HOME s’élèvent à 1,3 milliard
.
Sur ce point, il faut toutefois mentionner l’action de la DCIS qui s’est vue confier par lettre de
mission de la DGPN et la DGGN l’objectif d’obtenir des financements européens et les efforts
de CIVIPOL de structurer son action en ce domaine.
2.4
Le recours récent du ministère à un cabinet conseil pour la démarche
de prospective
La démarche de prospective doit être pleinement appropriée par le ministère puisqu’elle
définit ses enjeux à moyen terme et ses orientations stratégiques. A cet égard, la passation d’un
marché de prestations intellectuelles en juin 2023 pour la DGOM ne semble pas répondre à cet
impératif, compte tenu de la très large délégation de compétences qu’il met en
œ
uvre.
En effet, le ministère de l’intérieur a notifié l’attribution de six lots d’un marché de
prestations intellectuelles dont l’un concerne des études prospectives
18
. Il permet aux
administrations, qui développent la fonction prospective, de conduire certaines études ou de
faire produire certains travaux qu'elles ne pourraient réaliser en interne ou confier à des
inspections, voire au monde de la recherche.
Conformément à la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 sur l’encadrement
du recours aux prestations intellectuelles, un projet de marché a été soumis en janvier 2023 à
l’avis du comité d’engagement ministériel, associant la direction interministérielle de la
transformation publique (DITP), qui a émis un avis favorable. Toutefois, cette circulaire indique
que l'administration ne doit avoir recours à des prestataires extérieurs qu'après avoir démontré
qu'elle ne dispose pas des moyens ou compétences internes
19
. Dans son rapport thématique sur
18
lot 6 : Réalisation d'études prospectives et alimentation des dispositifs de veille prospective. Le montant
maximum de ce lot est de 4,8 M d'
sur la durée ferme de 2 ans.
19
Ainsi, le ministère doit privilégier le recours aux ressources internes avant d'envisager de recourir aux
prestataires externes. Par ailleurs, la circulaire demande aux administrations de «
réfléchir sur l’opportunité
d’internaliser les compétences et expertises qui correspondent à des besoins permanents ou réguliers et des
commandes récurrentes
» et enjoint en outre les inspections générales de «
renforcer davantage encore leur offre
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
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« Le recours de l’État aux prestations intellectuelles de cabinets de conseil » de juillet 2023, la
Cour recommandait, entre autres, pour la réalisation des missions jusqu’alors confiées à des
cabinets de conseil privés, de faire appel chaque fois que possible aux ressources internes
(services centraux et déconcentrés, inspections générales, recrutements, etc.) ou à des formes
alternatives plus adaptées et moins coûteuses (contrats de projet, etc.).
La DGOM reconnait qu’elle utilise l'externalisation pour certaines études mais estime
que cela ne constitue pas un dessaisissement de ses responsabilités. Pourtant, la Cour observe
que les sept agents du bureau d’évaluation des politiques publiques et de la prospective de la
DGOM, encore insuffisamment formés à la démarche de prospective, ne pilotent pas les études
qui sont donc confiées à un prestataire extérieur.
La Cour observe que l’identification en amont des motifs de recourir à des prestations
externes plutôt qu’aux services du ministère a été sommaire, ainsi que la justification de
l’absence de solution alternative. Le recours à l’IGA n’a pas été envisagé alors qu’elle est
chargée, entre autres, de missions d'évaluation des politiques publiques et intervient sur les
missions « flash ». Or, ce marché :
-
couvre un périmètre très large, tant par les sujets traités que les zones géographiques
éligibles ;
-
concerne l’ensemble des directions alors qu’il a été présenté comme devant d’abord
répondre aux besoins de quatre directions ;
-
prévoit des prestations de conduite d’une démarche de prospective d’une part
(prestation 6.1), de veille en amont et en aval de l’élaboration de décisions qui va
jusqu’à réaliser une fiche sur un sujet prospectif à enjeux, d’autre part (prestation
6.2).
Ce marché de prestations intellectuelles va très loin dans l’étendue des prestations
demandées, dont une partie aurait pu être confiée à des services propres du ministère. Il dessaisit
l’administration de responsabilités, en matière de prospective, qu’elle aurait dû conserver.
_____________________CONCLUSION INTERMEDIAIRE________________________
Avant 2023, les travaux de prospective conduits par certaines directions du ministère
l’étaient en ordre dispersé, sans s’inscrire dans une stratégie globale et avec une exploitation
et une valorisation collective insuffisantes. Par ailleurs, les liens avec le monde de la recherche
étaient très variables selon les sujets et les directions, sans coordination d’ensemble. Les
travaux menés étaient d’un intérêt variable au regard de la fonction prospective.
Le mode opératoire et les premiers travaux conduits depuis 2023 témoignent d’un
processus méthodique, inter-directions et majoritairement interne. La plupart des premiers
travaux conduits répondent bien à une démarche prospective et sont le fruit de réflexions entre
directions.
Les partenariats avec le monde de la recherche doivent être mieux structurés, financés
et développés afin d’enrichir les travaux de prospective, d’améliorer la prise en compte et la
compréhension des enjeux du ministère et de renforcer l’influence de ce dernier dans le monde
de services pour pouvoir répondre aux besoins des administrations en matière de conseil interne, en particulier
sur la stratégie et l’évaluation des politiques publiques
».
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
33
universitaire. Des thèmes de réflexion pourraient être examinés par le comité des missions
prospective, comme, à titre d’exemples, les questions sur l’articulation entre la
dématérialisation des services et la proximité auprès des populations, la relation de confiance
entre les citoyens et le ministère garant des libertés publiques, les cybermenaces et la
désintégration du corps social, qui paraissent stratégiques pour l’exercice des missions du
ministère dans un environnement très évolutif.
Par ailleurs, pour que la démarche de prospective soit complète et serve utilement le
ministère, le suivi des travaux ne devra pas seulement porter sur le niveau de mise en
œ
uvre
des recommandations formulées mais aussi sur les pistes ouvertes, les scenarios identifiés et
les indicateurs de veille.
___________________________________________________________________________
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
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ANNEXES
Annexe n° 1.
Quelques comparaisons internationales
............................................
35
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
35
Annexe n° 1.
Quelques comparaisons internationales
Grande-Bretagne
La fonction prospective est toujours associée à l’innovation et donc à une dimension de
recherche appliquée.
L’innovation s’appuie sur une culture développée de la recherche et du partenariat entre
quatre acteurs principaux : entreprises, universités, gouvernement et secteur public.
Culturellement, ce sont les entreprises qui ont la responsabilité de conduire l’innovation. Le
gouvernement lui donne les grandes orientations et la soutient financièrement, les organismes
publics la stimule, et l’université lui donne les outils scientifiques nécessaires et l’évalue.
Enfin, même si les deux domaines s’entrecroisent régulièrement, les deux aspects
innovation technologique et innovation en sciences sociales sont souvent distinctes, de même
que le triptyque anticipation-prospective-transformation, notamment lié aux futures menaces.
La fonction innovation est plutôt décentralisée et non pyramidale, une certaine
coordination au niveau national est néanmoins opérée par différentes entités :
- l'UKRI (United Kingdom Research and Innovation), agence gouvernementale,
interministérielle dédiée à l'innovation en général, a publié une stratégie nationale pluriannuelle
et finance des projets à hauteur de 3 milliards de livres par an, via son agence de financement à
projets qui a également son plan d’action 2022-2025 ;
- le NSTI (National Security Technology and Innovation), structure dédiée à la
coordination en matière d'innovation ayant trait à la sécurité ;
- le College of Policing, organisme public indépendant des forces de police et du
gouvernement constitue une sorte d’académie de police en charge du développement de
standards et de matériels pédagogiques, de la conduite de certaines formations de niches et de
recherches. Il alimente aussi un site internet de bonnes pratiques, spécialisé sur la prévention
de la délinquance ;
- de structures au sein du ministère de l’intérieur (Home Office) :
- le Home Office Science, fort de 800 personnes, dépend de la direction générale
des sciences, techniques, analyses et recherches. Il est le département en charge de
l’innovation et de la recherche. En 2021, il a mis en place six groupes de travail d'experts
sur les menaces de sécurité intérieure à une échéance de 5 à 10 ans
20
. Il comprend le
Commissioning Hub en charge du recensement des problèmes systématiques et
émergents rencontrés par les forces de police ou d'incendie, de leur priorisation et de la
recherche de solutions innovantes. Pour cela, il commande des recherches directement
à des universités ou au laboratoire de la défense qui pourrait s'apparenter à une sorte de
20
Les données (utilisation et partage des data) / L’information (vérification, contrôle, optimisation et diffusion) /
L’automatisation (de certaines tâches et prise en compte de l'acceptabilité éthique et sociale de retirer l'humain des
processus) / L’augmentation (comment forces de l'ordre et délinquants peuvent-ils tirer profit des évolutions pour
améliorer leurs capacités) / Les comportements (comment s'adapter à un environnement toujours plus mouvant) /
Sujets transverses.
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direction générale de l'armement du ministère de l'intérieur, comprenant un laboratoire
technique, en commun avec l'organe équivalent du ministère de la Défense ;
- le COLAB, incubateur d’idées regroupe des spécialistes sur différents
problèmes nécessitant des réponses innovantes ;
- le Homeland Security Group (direction générale pour la sécurité nationale)
dispose de sa propre capacité de recherche et d’innovation, du fait des matières et
menaces très sensibles qu’il traite. C’est en effet le centre nerveux des questions de
politiques publiques en matière de terrorisme, de menaces NRBC, menaces hybrides,
désinformation, cyber, etc. Son interlocuteur français est le SGDSN ;
- le Home Office Science Advisory Council (HOSAC) est un conseil scientifique
de 8 membres qui donne un avis indépendant au conseiller scientifique du ministre –
qui est aussi directeur général de la direction en charge de l’innovation et de la
prospective - sur l’état de l’art de la science et des recherches sur des sujets concernant
le ministère.
- chaque police locale
21
est indépendante, y compris financièrement. Elles investissent
pour répondre à leurs problèmes, le plus souvent en lien avec une université de leur secteur et
des petites entreprises. La conjonction de cette recherche appliquée et cette capacité
décisionnaire et financière des chefs locaux de Police d’innover permet de soutenir un tissu de
start-up afin de faire émerger des bonnes pratiques et solutions pragmatiques qui, dans un
deuxième temps sont partagées dans des groupes thématiques ad hoc ou des conférences
nationales sur l’innovation.
L’UKRI travaille sur des problématiques de long terme. Le Home Office, pour sa part,
réalise l'essentiel de ses projections sur 5 à 10 ans.
Ces organismes ont l’habitude de travailler avec les laboratoires de recherches
d’universités : par exemple sur le sujet des caméras piétons en 2020 (Warwick univesity) ou
sur l’utilisation des preuves numériques soumises par le public pour réduire la délinquance
routière et améliorer la sécurité routière, en 2022 (Keele university).
Grèce
Le KEMEA (Centre d'études de sécurité) est un organisme scientifique de conseil et de
recherche du ministère de la protection du citoyen (Sécurité), fondé en 2005. Il a pour mission
de mener des recherches et des études théoriques et appliquées sur des sujets et politiques de
sécurité au sens large. C'est également un groupe de réflexion sur les questions d'ordre public,
de surveillance pénitentiaire, de prévention du terrorisme, de criminalité, de gestion des
frontières, etc. Il fournit également des conseils en matière de gestion des risques pour des
organismes publics ou privés. Ses objectifs principaux sont ainsi la compréhension des
phénomènes émergents et le développement de politiques publiques adéquates, ainsi que le
développement de nouvelles technologies et l'application de techniques émergentes.
21
Le Home office n’a pas autorité sur les forces de police (46 territoriales et 3 spécialisées), principe garanti par
l’indépendance opérationnelle qui empêche le ministre de donner des ordres directs aux chefs de police.
LA FONCTION PROSPECTIVE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR
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Il emploie environ 75 chercheurs, couvrant un large éventail de formations
universitaires et d'expertise professionnelle, dont la moitié environ est en service actif dans les
différents ministères et agences de sécurité intérieure et de défense.
Allemagne
Le ministère fédéral de l’intérieur et du territoire comprend une Mission de prévision
stratégique, a vocation transversale. Néanmoins, les services spécialisés des différentes
directions générales ne sont pour autant pas empêchés de mener leurs propres projets de
prévision stratégique dans leur domaine de compétence. La Mission coordonne ainsi les
questions qui concernent plusieurs directions. De plus, dans la plupart des directions du
ministère, des agents sont formés aux méthodes de prévision stratégique et les utilisent dans
des projets relevant de leur responsabilité ou en collaboration avec d’autres ministères.
L’Académie fédérale pour la politique de sécurité (BAKS) comprend un Centre, créé en
2021, qui accompagne les ministères et les autorités fédérales dans le développement des
méthodes et des concepts de prospective stratégique dans leur travail quotidien.
La prospective stratégique est donc en cours d’élaboration et n’est actuellement appuyée
ni par des moyens importants (la mission comprend quatre agents et le centre du BAKS, une
petite dizaine) ni par des objectifs.
*****