Sort by *
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75007 Paris
Paris, le
à
Monsieur Pierre Moscovici
Premier président de la Cour des comptes
Objet :
Référé sur la place de la fiscalité de l
énergie dans la politique énergétique et climatique
française.
Par votre courrier en date du 7 juin 2024, vous m’avez adressé un référé portant sur la place de la fiscalité de
l’énergie dans la politique énergétique et climatique.
Je partage avec la Cour des comptes le constat de la place centrale qu’occupe la fiscalité énergétique et le rôle
d’incitation qu’elle peut jouer dans la transition vers la neutralité carbone de la France. Le constat dressé par la
Cour du besoin de lignes directrices claires sur les objectifs et de la trajectoire de la fiscalité énergétique doit être
rapproché des évolutions récentes mises en œuvre pour mieux se saisir de cet enjeu.
La Cour souligne tout d’abord le caractère régressif de la fiscalité éner
gétique. Il convient à cet égard de rappeler
que le caractère régressif d’un système socio fiscal doit être évalué dans sa globalité et que le seul caractère
régressif de la fiscalité énergétique, sans tenir compte du reste des prélèvements obligatoires ni des aides
budgétaires aux ménages (notamment les aides à la transition énergétique), ne permet pas d’appréhender la
situation d’ensemble. Ainsi, le chèque énergie ou le dispositif « ma prime Rénov’ », versés sous conditions de
ressources, sont au contraire des mesures à caractère progressif.
La Cour déplore, d’une part, les niveaux hétérogènes de taxation selon les entreprises et, d’autre part, la faible
proportion d’entreprises soumises aux quotas de CO2 (dispositif ETS) ainsi que la proportion import
ante des
quotas gratuits. Sur le premier point, l’hétérogénéité des tarifs réduits d’accise sur les énergies est la traduction
de la diversité des situations des entreprises au regard de leurs approvisionnements en énergie et de leur
exposition à la concur
rence internationale. Sur le second point, comme l’indique la Cour, l’extension prévue en
2027 du dispositif des quotas (réforme dite ETS-2) conduira à augmenter significativement le champ des
entreprises soumises aux quotas carbone. Suivant la logique de réduction des régimes favorables aux usages
émetteurs de gaz à effet de serre, les quotas gratuits de l’ETS pour l’aviation disparaîtront en 2026 et ceux pour
les secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), à savoir le fer et l’acier,
l’aluminium, le ciment, l’hydrogène et l’électricité, seront progressivement réduits à compter de 2026 pour
disparaître totalement en 2034.
La Cour propose, par ailleurs, de calculer des « moindres recettes par rapport à un niveau de taxation qui refléterait
l’internalisation des impacts environnementaux de la consommation des énergies carbonées ». Il faut rappeler,
sur ce point, que le recensement et le chiffrage des dépenses fiscales, dans les annexes des projets de loi de
finances, n’ont pas pour objet de mesurer l’opportunité d’une modification des règles de taxation, mais d’afficher
le coût des mesures législatives dérogatoires, à l’image du chiffrage des dépenses budgétaires. C’est pourquoi
les dépenses fiscales se définissent en termes
d’écart à la norme de droit commun. À cet égard, votre proposition
d’intégration au budget vert d’un indicateur du coût pour l’État de l’absence de prise en compte dans la tarification
des énergies des diverses externalités négatives associées à leur usage présente un haut niveau de complexité.
14/08/24
721/24/SG
Cette approche conduirait à élargir le périmètre du budget vert pour tenir compte non seulement des dispositifs
fiscaux qui ont le caractère de dépenses, mais aussi de la différence entre la fiscalité appliquée aux énergies et
une norme de référence mesurant le coût des externalités associées à l’utilisation de ces énergies, dont
l’élaboration nécessiterait des choix méthodologiques forts. Ce type d’approche a davantage vocation à s’intégrer
dans le cadre des travaux programmatiques mentionnés ci-dessous.
La Cour appelle une clarification des attentes à l’égard de la fiscalité énergétique, en faisant valoir que la
contribution relative des différents instruments de politique publique à l’atteinte des objectifs de la
transition
énergétique et écologique n’est pas détaillée. Si des progrès peuvent certes être faits dans ce domaine, les
différences de niveaux d’imposition actuelles résultent d’écarts historiques, de sorte qu’une mise en cohérence de
la fiscalité énergétique ne peut se faire que progressivement.
La Cour souligne également l’urgence d’une décision dans la perspective de la mise en œuvre de l’ETS
-2. La
mise en place du nouveau marché carbone renchérira le prix des énergies fossiles (carburants routiers, gaz ou
fioul domestique). De nombreux travaux sont d’ores
-et-
déjà en cours pour préparer la mise en œuvre de ce
nouveau marché, modéliser son effet sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’économie
française, ainsi que sur les recettes fi
scales et budgétaires de l’Etat. Ils seront prochainement élargis aux acteurs
économiques, institutionnels et politiques. Dans un contexte de renchérissement du prix des énergies fossiles lié
à l’ETS
-
2, des mesures d’accompagnement, qui seraient financées
grâce aux nouvelles recettes générées par le
dispositif, sont également considérées.
La Cour estime enfin que le pilotage de l’évolution de la fiscalité de l’énergie justifierait une organisation spécifique
afin de satisfaire aux besoins de clarification et de projection à court et moyen terme. Il convient de souligner à
cet égard que les différentes administrations concernées entretiennent des relations constantes et étroites. Ces
échanges trouvent notamment une traduction institutionnelle chaque année lors de la préparation du projet de loi
de finances, avec le travail conduit à l’occasion des conférences fiscales, qui permet une véritable co
-construction
des mesures entre administrations. En outre, des groupes de travail thématiques ont été créés et ouverts à des
partenaires externes à l’administration autour de projets prospectifs d’évolutions de la taxe incitative relative à
l’utilisation d’énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT), du tarif de solidarité de la taxe sur le transport
aérien de passagers, de la fiscalité des véhicules ou de la fiscalité du nucléaire. Plus largement, le travail de
planification autour de la préparation de la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie et de la stratégie
nationale bas carbone s’appuie notamment s
ur des trajectoires fiscales différenciées permettant de faire ressortir
plusieurs scénarios prospectifs.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier président, l’expression de mes respectueuses salutations.
Gabriel ATTAL