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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR LA SITUATION
ET LES PERSPECTIVES DES FINANCES PUBLIQUES
Lundi 15 juillet 2024
9h30
Salle André Chandernagor
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et Messieurs,
Merci d’avoir répondu présents aujourd’hui, pour la présentation du rapport de la Cour des
comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Il n’a pas dû vous échapper que le calendrier de publication de ce rapport, dont la
publication chaque année est un jalon pour l’analyse de nos finances publiques, est décalé
de quelques jours par rapport aux années précédentes.
En effet, l’article 58
-3 de la LOLF, la
loi organique relative aux lois de finances, prévoit que nous devons déposer ce rapport
annuellement au Parlement avant la fin du mois de juin. Cette année, la période de réserve
électorale a conduit la Cour des comptes à interrompre ses publications entre le 10 juin et le
7 juillet, comme lors de chaque élection nationale. Dès les élections législatives terminées, il
m’a paru indispensable de déposer ce rapport au Parlement et d’en communiquer les
principales conclusions. Je crois que ce rapport tombe à pic, alors que se met en place une
nouvelle assemblée nationale, au rôle forcément accru par sa composition plus polarisée,
pour rappeler à chacun l’ardente obligation de disposer de finances publiques saines, afin de
pouvoir conduire de bonnes politiques publiques.
Le RSPFP est, je le rappelle, un rapport établi chaque année par la Cour, en application de la
loi et du code des juridictions financières.
I
l prolonge et complète d’autres travaux annuels
de la Cour des comptes : le rapport sur l’exécution du budget de l’État, publié en avril, le
rapport sur la certification des comptes de l’État et des comptes du régime général de la
sécurité sociale, publiés en avril et mai, le rapport sur la sécurité sociale, dit le « RALFSS »,
publié en mai également, et les différents fascicules du rapport sur les finances locales, publiés
en juin et en octobre.
Sans entrer dans des considérations techniques sur les périmètres de chacun de ces
rapports, permettez-
moi d’insister sur un point : le RSPFP est le rapport à la fois le plus
synthétique, et dont le périmètre est le plus large, remis chaque année par la Cour au
Parlement
. Il traite de l’ensemble des administration
s publiques
l’État, les collectivités
locales, les administrations de sécurité sociale, et les autres organismes publics
, et la période
couverte intègre les perspectives des finances publiques pour l’année 2024 et au
-
delà, jusqu’à
2027.
2
Cette année, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques comporte
quatre chapitres, dont les trois premiers sont traditionnels pour un RSPFP
- ils portent
successivement sur les résultats 2023, sur l’exercice 2024 puis sur la trajectoire plur
iannuelle
tracée par le programme de stabilité 2024-2027. Le quatrième chapitre, qui aborde chaque
année un problème transversal, fournit cette-
fois ci un cadre d’analyse sur l’impact du
réchauffement climatique et de la transition énergétique sur les finances publiques. Il traite
de la nécessaire articulation entre la planification écologique et la programmation des
finances publiques.
On a beaucoup entendu parler, ces derniers temps, de la nécessité de réaliser un « audit des
comptes de l’État ».
Le RSP
FP n’a pas cette dénomination –
encore qu’il en ait constitué le
support après les élections présidentielles en 2012 et 2017. Pour autant, il propose une
analyse détaillée de la situation des finances publiques au vu des résultats financiers de
l’année 2023 ; il expose les risques qui pèsent sur l’exercice 2024 ; il examine la crédibilité et
les sous-
jacents de la trajectoire pluriannuelle jusqu’à 2027, horizon auquel le précédent
Gouvernement prévoyait de ramener le déficit public juste en dessous des 3% ; et il examine
l’impact du réchauffement climatique et de la transition énergétique sur les finances
publiques.
Le rapport que je m’apprête à vous présenter contient donc les éléments utiles à un futur
gouvernement pour définir une nouvelle stratégie pluriannuelle de finances publiques
jusqu’à 2027.
À ce jour, le programme de stabilité communiqué à la Commission européenne
le 17 avril 2024 est la forme la plus récente de la stratégie pluriannuelle de finances publiques
de la France. La plupart des analyses du RSPFP reposent sur la trajectoire du programme de
stabilité ; il s’agit d’une trajectoire révisée par rapport à celle de la loi de programmation des
finances publiques adoptée en décembre 2023. Cette trajectoire était devenue caduque
quelques mois seulement après son adoption, lorsque le déficit public de 2023 a été rendu
public. Il appartiendra au prochain gouvernement de définir les objectifs et les jalons de sa
stratégie de finances publiques, à partir de son appréciation du programme de stabilité. Cela
sera nécessaire pour les prochaines étapes qui l’attendent, c’est
-à-dire la préparation des
prochains textes financiers et, dès septembre, le plan budgétaire national de moyen terme
prescrit par les nouvelles règles européennes.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je souhaiterais saluer l’ensemble des artisans du RSPFP
pour l’année 2024, pour l’important travail qu’ils ont accompli
: Carine CAMBY, présidente
de la première chambre, et ses équipes, notamment Emmanuel GIANNESINI, conseiller-maître
et contre-rapporteur, Emmanuel JESSUA, conseiller référendaire en service extraordinaire,
rapporteur général, Guilhem BLONDY, conseiller maître, Jérôme BROUILET, conseiller maître,
Claire FALZONE, conseillère référendaire en service extraordinaire, et Noam LEANDRI,
conseiller référendaire en service extraordinaire.
J’en viens à présent aux principales conclusions de la Cour des comptes sur la situation et
les perspectives des finances publiques. Elles tiennent en un mot : elles sont inquiétantes.
J’ajouterais qu’elles appellent une action audacieuse et résolue. Je ne le répèterai jamais
assez, quitte à donner parfois le sentiment que la Cour des comptes crie dans le désert : quels
que soient les choix et les options politiques des différentes forces présentes au Parlement,
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très diverses, la France doit impérativement réduire son déficit public et replacer la dette sur
une trajectoire descendante. La publication, aujourd’hui, du rapport sur la situation et les
perspectives des finances publiques, est
d’autant plus indispensable qu’il traite de
problématiques essentielles, et notamment de la double dette financière et climatique de la
France. Le futur gouvernement, quelle qu’en soit la composition, devra impérativement faire
face à ces enjeux avec courage et fermeté.
1.
Le premier chapitre du RSPFP examine la situation de l’année 2023 ; et force est de
constater qu’il s’est agi d’une très mauvaise année en matière de finances publiques.
Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire dans notre rapport public annuel publié en mars,
et nous réitérons ce constat.
A priori,
le contexte était plutôt favorable
avec la normalisation progressive de l’économie,
le reflux du niveau des prix après l’atteinte d’un pic d’inflation début 2023, et le repli annoncé
des mesures exceptionnelles de crise. Mais la France n’a pas su tirer parti de ce contexte
positif et de la fin tant de fois annoncée du
quoi qu’il en coûte
. Le déficit public, loin de se
résorber, s’est établi à 5,5 points de PIB, soit 154 Md€. Il est 0,6 point au
-dessus des prévisions
gouvernementales, et il est surtout dégradé de 0,7 point par rapport à 2022.
Cette situation contraste fortement avec celle de nos voisins européens.
Elle n’est tout
simplement pas tenable, alors que nos principaux partenaires dans l’UE ont déployé des
efforts importants pour réduire leur déficit en 2023. Je pense à l’Espagne et l’Italie, par
exemple, ou même à l’Allemagne qui est parvenue à stabiliser son déficit sans toutefois le
réduire.
Cette aggravation du déficit tient à trois facteurs.
D’abord, une faible croissance spontanée des prélèvements obligatoires, qui a affec
té la
plupart des recettes publiques
; par exemple, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO)
ont chuté de 22 %. Rappelons tout de même que la faible élasticité des prélèvements
obligatoires au PIB, que l’on a pu observer en 2023, est moins le signe d’un accident que d’un
retour à la normale, après deux années exceptionnelles de rebond post-covid. Mais une si
faible croissance des recettes n’avait pas été pleinement anticipée dans les prévisions du
gouvernement.
Deuxième facteur d’aggravation du solde
public en 2023 : les mesures discrétionnaires de
baisses d’impôts et de cotisations, à hauteur de 10,7 Md€ en 2023
.
Enfin, troisième facteur d’aggravation du déficit : l’absence d’économies structurelles en
2023
. Alors que le ratio de dépense publique s
’établit à plus de 56 points de PIB, la dépense
hors charge de la dette et hors mesures exceptionnelles a continué à progresser à un rythme
nettement supérieur à l’inflation. Elle s’est élevée à 1 590 Md€, en hausse de 3,7% par rapport
à 2022.
Je l’ai dit et répété au cours de l’année 2023 : cette situation aurait dû conduire à des
mesures d’ajustement claires, sur les dépenses comme sur les recettes.
Certes, l’État a
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globalement respecté ses objectifs, quoique peu ambitieux, de niveau de dépense ; mais cela
n’a été le cas ni des administrations sociales, ni des collectivités locales.
En conséquence, la dette publique atteint 3 100 Md€, soit près de 110 points de PIB, et
excède de plus de 700 Md€ son niveau d’avant
-crise.
Contrairement à ses partenaires de la
zone euro, qui avaient pris face à la crise COVID des mesures comparables à celles de la France,
notre pays n’a fait aucun effort pour réduire sa dette une fois le choc passé. Cela signifie qu’en
2025, selon le programme de stabilité, la dette publique française excèderait encore de 15,2
points de PIB son niveau d’avant
-crise, contre +3,7 points en Allemagne, +5,9 points en
Espagne et +4,7 points en Italie. Ces chiffres sont d’autant plus préoccupants que le déficit est,
pour une grande partie, de nature structurelle
à hauteur de 4,8 points de PIB. Cela veut dire
que même si la conjoncture économique était très favorable, cela ne permettrait pas de
résorber le déficit et, à terme, le niveau d’endettement de la France.
Cette très mauvaise année 2023 pèse sur 2024 et, au-
delà, sur l’ensemble de la trajectoire
de finances publiques 2023-2027.
2. Cela me mène au deuxième chapitre de ce rapport, à savoir les perspectives de finances
publiques pour l’année 2024. Et il s’avère que des risques importants pèsent sur la nouvelle
trajectoire de finances publiques pour l’année en cours.
Je le disais tout à l’heure : la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques
a été rendue caduque par les résultats de 2023
. Cela a poussé le gouvernement à réviser
nettement à la hausse sa cible de déficit, pour 2024, dans la trajectoire du programme de
stabilité. Dans l’attente d’éventuelles inflexions que le prochain
gouvernement pourrait
proposer, c’est
ce programme de stabilité, communiqué à la Commission européenne en avril
dernier, qui précise les objectifs et les jalons les plus récents en matière de prévisions
macroéconomiques et de finances publiques.
Dans cette nouvelle trajectoire, la prévision de croissance pour 2024 a été abaissée à 1,0%,
plus plausible que la prévision de 1,4% prévue dans la loi de programmation adoptée en
décembre 2023. L’INSEE, grâce à un rebond temporaire dû aux Jeux olympiques, prévoit
même 1,1%, mais en anticipant un retou
r à une normale moins positive à la fin de l’année. Il
en est de même pour les prévisions de recettes, qui ont été révisées à la baisse.
L’abaissement des prévisions de croissance et de recettes influe, c’est logique, sur les
objectifs de déficit public fixés par le gouvernement.
Non seulement sa cible nominale mais
également l’ampleur de sa réduction ont été revues à la baisse dans le prog
ramme de stabilité
par rapport à la loi de programmation. Selon le programme de stabilité, le déficit serait ainsi
réduit de 0,4 point en 2024, pour atteindre 5,1 points de PIB, soit un niveau encore supérieur
de 0,2 point à la prévision pour 2023 de la loi de programmation des finances publiques. En
d’autres termes, les mauvais résultats enregistrés en 2023 ne seront pas rattrapés en 2024.
Quant à la dette publique, elle serait en hausse de 1,7 point en 2024, pour atteindre 112,3
points de PIB. Elle excède
rait donc de près de 50 Md€ l’objectif de la LPFP.
Ces objectifs sont, nous pouvons le dire, moins ambitieux, plus modestes, mais plus réalistes
que ceux de la loi de programmation adoptée en décembre dernier.
Le problème, c’est que
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même avec des ambition
s abaissées, ils sont loin d’être acquis, car des risques importants
pèsent sur le respect de la trajectoire du programme de stabilité en 2024. Ces risques sont
doubles : ils concernent à la fois les dépenses et les recettes.
D’abord, concernant les dépe
nses, plusieurs éléments conduisent la Cour à estimer que le
respect des objectifs du programme de stabilité sera très difficile
.
La loi de finances initiale pour 2024 prévoyait une hausse des dépenses (hors mesures
exceptionnelles de soutien et de relance) de 2,5 % en volume. Le programme de stabilité
abaisse cet objectif à 1,7 %. Le premier risque est de ne pas atteindre cet objectif de maîtrise
de la dépense publique.
Cette maîtrise repose en effet, pour le moment, sur un effort d’économies en dépens
es très
important par rapport aux objectifs initiaux, avec 15 Md€ d’économies additionnelles
annoncées depuis février 2024.
Pour infléchir la dynamique de la dépense par rapport à ce
qui était prévu dans la loi de finances initiale pour 2024, le gouvernement a fait le choix
d’appliquer des mesures de régulation, qui concernent principalement le budget de l’État. Le
décret du 21 février 2024 a annulé 10,2 Md€ sur les crédits des ministères. Puis, 7 Md€
d’ajustements supplémentaires en dépenses ont été annonc
és en avril 2024 et intégrés dans
la prévision du programme de stabilité.
Mais une grande partie de ces mesures est peu documentée, ou leur réalisation est à tout
le moins incertaine
. En toute hypothèse, elle reste à confirmer ou infirmer par le prochain
gouvernement. Par ailleurs, les économies de 2 Md€ annoncées sur les dépenses de
fonctionnement des administrations publiques locales ne peuvent pas être considérées
comme des économies additionnelles, puisque l’objectif de diminution de 0,5% en volume de
ces dépenses figurait déjà dans la loi de programmation des finances publiques 2023-2027.
Le risque de ne pas réussir à maîtriser les dépenses est donc élevé.
Non seulement de
nombreuses imprécisions entourent les mesures envisagées, mais d’autres élémen
ts sont en
jeu ; par exemple, l’ampleur des reports de crédits de 2023 sur 2024 sur le budget de l’État ;
l’absence de mécanisme contraignant sur les dépenses de fonctionnement des collectivités
locales ; ou encore des incertitudes sur la réalisation des économies prévues dans le champ
de l’assurance maladie.
En plus, le contexte n’est pas à la réduction des dépenses : je rappelle que de nombreux
facteurs ont récemment poussé la dépense à la hausse, comme la crise agricole ou les
contestations en Nouvelle-Calédonie.
La Cour constate par ailleurs que ce risque
en dépense se double d’un risque en recettes
. En
effet, le projet de taxe sur les rentes, supposé rapporter 3 Md€ dès 2024, reste dans l’attente
d’une traduction législative, qui devra être conforme aux exigences constitutionnelles en
matière de rétroactivité fiscale.
La baisse du déficit public est donc loin d’être acquise.
Mais, après le net dérapage de 2023,
il est absolument impératif de crédibiliser les objectifs pour 2024. Cela nécessite de dissiper
le flou qui entoure les économies et les hausses de prélèvements annoncées. La trajectoire
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prévue par la loi de programmation des finances publiques n’a pas survécu plus de quelques
mois, et c’est déjà pour la France un gros écueil en matière de crédibilité. Il serait
extrêmement préjudiciable, je dirais
même grave, qu’il en aille de même, dès 2024, pour les
objectifs fixés dans le programme de stabilité en avril.
Ces enjeux sont d’autant plus importants en cette année 2024 qu’est celle de l’entrée en
vigueur de la réforme du Pacte de stabilité et de croissance
. Est-il besoin de rappeler que la
France risque de nouveau de faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif, comme l’a
annoncé la Commission européenne le 19 juin dernier ? Nous devons, nous nous devons, et
nous devons à nos partenaires euro
péens de prendre les devants, et d’afficher clairement que
nous entendons respecter notre trajectoire d’ajustement, pourtant déjà bien modeste.
3. Permettez-
moi à présent d’en venir au troisième chapitre du RSPFP : l’analyse
de la
trajectoire pluriannuelle 2025-2027.
Cette trajectoire est, selon la Cour, de moins en moins crédible, car elle poursuit des
objectifs peu réalistes, et il est urgent de rebâtir une stratégie pluriannuelle pour nos
finances publiques.
Du fait de la dégradation très marquée du déficit public dès 2023 et des faibles perspectives
de croissance, le programme de stabilité présenté en avril 2024 a retenu une cible de déficit
en 2027 juste en dessous de 3% - à 2,9% au lieu de 2,7%, pour être précis.
La dette publique
serait encore supérieure en 2027 de 1,4 point de PIB à son niveau de 2023, et elle
commencerait tout juste à refluer après un pic au cours des années 2025-2026.
Cette trajectoire est bien en-deçà de celles des autres grands États européens, et pourtant,
elle est peu crédible et peu réaliste. Pourquoi apparaît-elle si fragile aux yeux de la Cour ?
Déjà, parce que les hypothèses de croissance qui sous-tendent la trajectoire 2025-2027
restent particulièrement optimistes, même après avoir été légèrement abaissées ce
printemps
. Elles ne semblent en outre pas tenir compte de l’impact dépressif sur la croissance
d’un double effort : les hausses de prélèvements obligatoires prévues, soit +21 Md€ sur la
période 2025-2026, et le ralentissement sans précédent des dépenses publiques, avec une
hausse en volume hors charges d’intérêt et hors mesures exceptionnelles prévue à seulement
0,2 % par an en moyenne sur la période 2025-2027.
Ensuite, parce que ce double effort en dépenses et en recettes, indépendamment de ses
effets sur la croissance, n’est pas documenté
. La maîtrise de la dépense sous-jacente au
programme de stabilité impliquerait un effort d’économie sans précédent, que la Cour a
évalué,
comme l’actuel gouvernement
,
à environ 50 Md€ e
n 2027 par rapport à la tendance
pré-
crise sanitaire, avec la moitié de l’effort à réaliser en toute dernière année de la
trajectoire. De telles ambitions de maîtrise de la dépense à moyen terme ont souvent été
affichées par le passé, mais ces promesses n’
ont jamais été tenues.
Rien ne permet d’anticiper
à ce stade que les ambitions en matière de dépenses se
réaliseront entièrement à l’horizon 2027
. Cet effort inédit n’est pour l’essentiel pas
documenté. Seuls sont précisés les impacts budgétaires à l’horizon 2027 de la réforme des
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retraites, avec 3,5 Md€ d’économies, et de la réforme de 2023 de l’assurance
-chômage avec
4 Md€ d’économies.
Certes, le gouvernement avait engagé un exercice de revues de dépenses salué par la Cour,
mais ses effets concrets sur la maîtrise des dépenses se font encore attendre
. A l’issue des
élections législatives, il appartiendra au prochain gouvernement de se les approprier ; les
économies supposées être identifiées en vue des textes financiers pour 2025 demeurent en
attente des arbitrages nécessaires. La Cour y a apporté sa contribution, à travers la publication
de neuf notes thématiques en juillet 2023.
La trajectoire présentée dans le programme de stabilité conjugue donc, encore, les mêmes
faiblesses que celles que nous avions relevées dans la LPFP : une cible de déficit peu
ambitieuse en 2027, surtout par rapport à nos partenaires européens ; un scénario de
croissance 2025-2027 trop optimiste par rapport au consensus des économistes ; un
ajustement d’une ampleur sans précédent reposant sur un effort d’économies jamais vu et
des hausses importantes de prélèvements qui demeurent tous deux non documentés.
En parallèle, la charge de la dette augmentera régulièrement sur la période, et préemptera
une part croissante de la dépense publique.
Elle augmenterait de l’ordre de 8 Md€ en 2025
et 2026, et de 12 Md€ en 2027, pour atteindre 83 Md€ à cet horizon.
Mesdames et messi
eurs, à l’issue de cette énumération de risques, il est difficile, vous le
voyez bien, de considérer la trajectoire du pacte de stabilité comme solide
. Le Haut conseil
des finances publiques, dans son avis sur la trajectoire du programme de stabilité, avait conclu
qu’elle manquait de crédibilité, mais aussi de cohérence.
En résumé, il est difficile de poursuivre à la fois les objectifs de croissance affichés, et la
réduction des déficits au prix d’un ajustement sans précédent de la dépense publique –
et
d
onc nécessairement pas indolore pour l’économie. Ne soyons donc pas surpris que les
analyses de la Cour aillent dans le même sens.
Depuis deux ans, chaque nouvelle trajectoire pluriannuelle apparaît plus fragile que la
précédente, compte tenu notamment de la difficulté à maîtriser l’évolution des dépenses.
Celle du programme de stabilité ne fait pas exception : elle ne dispose d’aucun
e marge de
sécurité. La Cour a fait l’exercice, nous avons quantifié trois scénarios alternatifs : une
croissance qui demeurerait aux niveaux trimestriels observés depuis deux ans ; des
prélèvements obligatoires constants, sans hausse sur les prochaines années ; et une dépense
qui évoluerait au même rythme qu’au cours des années 2015
-2019.
Ces trois scénarios se traduisent tous par un déficit public encore nettement supérieur à 3
% en 2027, avec une dette toujours en hausse
. Il est donc clair que tout écart par rapport aux
hypothèses du programme de stabilité, qu’il soit relatif à la croissance ou aux ajustements
budgétaires et fiscaux prévus, fera dérailler la trajectoire. Et j’affirme cela sans naturellement
faire d’hypoth
èses sur les mesures, en dépense et en recettes, que le prochain gouvernement
pourrait proposer !
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La situation de nos finances publiques est inquiétante, je l’ai dit, le répète et le répèterai
publiquement tant qu’il le faudra.
Reprendre le contrôle de nos finances publiques
nécessitera du courage et de la fermeté face à des choix difficiles. À force d’avoir différé de
véritables efforts d’ajustement structurel, notre dette publique est de plus en plus chère.
Cette dépense inutile contraint toutes les autres dépenses, elle restreint la capacité
d’investissement de notre pays, et elle nous expose dangereusement en cas de nouveau choc
macroéconomique.
La réduction de la dette et le passage sous la barre des 3% de déficit public en 2027 est une
obligation, prévue par les textes.
Elle suppose de s’inscrire dans une trajectoire aux sous
-
jacents plus réalistes et plus crédibles qu’aujourd’hui. Le respect de ces engagements est
nécessaire pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques et notre crédibilité, y
compris vis-à-
vis de nos partenaires européens. Il s’agit de reconstruire des marges de
manœuvre
et faire face à de prochaines crises. Enfin, il est indispensable pour se donner les
moyens de financer la transition énergétique sans fragiliser le modèle social français.
Le chemin est étroit pour que cet effort ne soit pas vain, voire contreproductif.
Pour qu’il ne
porte pas préjudice à une croissance soutenable et à la cohésion sociale, l’effort de réduction
de notre endettement doit passer par un arrêt des baisses non financées de prélèvements
obligatoires. Il doit aussi passer par une maîtrise des dépenses réfléchie et raisonnée, soit tout
le contraire de la technique du rabot, qui n’a jamais fait ses preuves. Ma conviction est que la
réduction brut
ale et uniforme des dépenses publiques n’est pas une solution –
j’ai dit maintes
fois que l’austérité était la pire des options et le rabot la pire des procédures. Seule la
recherche de qualité et d’efficience doit être la clef de la maîtrise de la dépense
et de
l’amélioration de la qualité de nos politiques publiques. En d’autres termes, l’approche
purement budgétaire ne peut pas suffire. Non, la maîtrise des dépenses doit être pensée au
prisme de la
qualité
de la dépense. La Cour des comptes a d’ailleurs
fourni, il y a tout juste un
an dans le RSPFP 2023, une grille d’analyse des dépenses à travers ce prisme de la qualité.
Cette équation budgétaire est déjà complexe ; elle l’est d’autant plus que le réchauffement
climatique et la transition énergétique pèseront sur la croissance future, et mobiliseront une
part croissante de la dépense publique.
Pourtant, la programmation pluriannuelle n’en tient
compte à ce stade.
4.
C’est le sens du quatrième et dernier chapitre du RSPFP. Cette année, la Cour cons
acre un
chapitre spécifique aux effets du changement climatique et de la transition énergétique sur
les finances publiques.
En mars 2024, je présentais devant vous notre rapport public annuel, qui portait sur les
politiques d’adaptation au changement cli
matique.
Parmi les principaux enseignements des
seize chapitres thématiques du rapport, la Cour préconisait de mieux connaître les effets du
changement climatique et leur ampleur, de mieux planifier, ou encore de garantir la qualité
de la dépense dans les
politiques d’adaptation.
Le quatrième chapitre du RSPFP se penche plus largement sur l’impact du changement
climatique et de la transition énergétique sur les finances publiques.
Notre message est
9
simple : face à la double dette écologique et financière,
il est urgent d’intégrer la planification
écologique dans la programmation des finances publiques.
En vertu de l’Accord de Paris, la France s’est engagée à réduire ses émissions annuelles de
gaz à effet de serre de 139 millions de tonnes entre 2022 et 2030, pour parvenir à une
économie décarbonée en 2050.
À titre d’illustration, cet effort est du même ordre de
grandeur que celui que nous avons a accompli entre 1990 et 2022 ! Nul besoin de le préciser,
mais ces objectifs sont pleinement intégrés à notre ordre juridique ; ils sont donc susceptibles
d’engager la responsabilité de l’État pour faute, s’ils ne sont pas atteints.
Le financement de cette transition est un défi de taille pour les finances publiques, peut-
être le plus grand défi auquel l’État aura eu à faire face.
Le réchauffement climatique et la
transition énergétique conduisent en effet à des besoins d’investisseme
nt très importants, qui
ont été de mieux en mieux documentés sur la période récente.
Par exemple, l’institut pour l’économie du climat estime à 100 Md€ en 2022 les
investissements déjà réalisés par l’ensemble des acteurs, administrations publiques,
entrep
rises, ménages, qui contribuent à la réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Mais ces investissements sont insuffisants pour respecter nos engagements.
Les
investissements supplémentaires nécessaires à l’atténuation du changement climatique et à
la transition énergétique sont estimés à un surcroît d’au moins 60 Md€ par an en 2030 ; 60
Md€ par an, cela signifie un besoin supplémentaire net de 2 points de PIB, chaque année, qu’il
faudra consacrer à la transition énergétique ! Et cela ne comprend même pas les besoins
d’investissement nécessaires à
l’adaptation
au réchauffement climatique, dont les chiffrages
sont lacunaires et très difficiles à réaliser, comm
e nous l’avions relevé dans notre rapport
public annuel. L’inaction climatique, qui aboutirait à un réchauffement incontrôlé, se
traduirait par des coûts encore plus élevés, potentiellement de l’ordre d’une, voire de
plusieurs dizaines de points de PIB d’i
ci la fin du siècle.
Ces besoins d’investissements doivent encore être répartis entre les ménages, les
entreprises et les administrations publiques, sur la base d’arbitrages explicites.
J’en suis
convaincu, seule une répartition claire de cette charge permettra ensuite la mise en place des
instruments adéquats pour y parvenir. En effet, l’impact de la transition énergétique
dépendra, en grande partie, des outils mobilisés. Trois principaux instruments économiques
peuvent être utilisés par les pouvoirs publics pour réduire les émissions : les subventions, les
normes et la tarification carbone. La tarification carbone est source de recettes
complémentaires, alors que les subventions entraînent un surcroît de dépenses publiques.
Quant aux normes environnementales, leur impact sur les finances publiques dépend des
obligations que ces dernières font peser sur les pouvoirs publics, par exemple à travers la
rénovation obligatoire de bâtiments.
À l’échelle nationale, la transition doit reposer sur une approche rat
ionnelle et efficiente.
L’objectif est clair : nous devons opérer la décarbonation de nos modes de production et de
consommation à moindre coût, pour l’ensemble de la collectivité. Cela suppose de privilégier
les actions qui présentent les coûts d’abatteme
nt
c’est
-à-dire le coût par tonne de CO2
évitée
les plus faibles. La Cour préconise donc une montée en puissance de la tarification du
10
carbone, dont il sera indispensable d’affecter une partie des recettes à l’accompagnement des
ménages et des entreprises les plus exposés, combinée avec des subventions ciblées et des
réglementations proportionnées, qui devront être rigoureusement et régulièrement évaluées.
Le cap est clair ; encore faut-
il dégager les moyens nécessaires pour l’atteindre.
Cette
stratégie est en effet enserrée dans une double contrainte : une trajectoire de finances
publiques sans aucune marge de
manœuvre, vous l’aurez compris à l’issue de mon propos, et
la nécessaire acceptabilité sociale et l’appropriation collective des mesures décidé
es.
Les marges de financement par les administrations publiques sont particulièrement étroites,
en 2024 et jusqu’en 2027 –
je ne reviendrai pas là-dessus
. En revanche, j’aimerais souligner
une chose, ou plutôt insister sur ce qui pourrait fort ressembler
à un cercle vicieux si nous n’en
tenons pas compte rapidement : les marges de
manœuvre
budgétaires des pouvoirs publics,
déjà ténues, seront encore affaiblies pendant la période de transition, avec des répercussions
du changement climatique sur les finances publiques
.
L’érosion attendue des recettes de
fiscalité sur les carburants, de l’ordre de 14 Md€ à l’horizon 2030, et l’impact négatif du
réchauffement et de la transition sur la croissance économique, qui peut être évalué à un
dixième de point de crois
sance en moins chaque année jusqu’en 2050.
Ainsi, en l’état des travaux actuellement disponibles, le cumul des effets du réchauffement
sur les finances publiques
qui sont, je le rappelle, les investissements supplémentaires
nécessaires, les pertes de recettes fiscales sur les carburants et une perte de croissance
,
pourraient avoir un impact à la hausse sur le ratio de dette publique de l’ordre de 7 points de
PIB en 2030, toutes choses égales par ailleurs. Cela veut dire que l’impératif du financement
d
e la transition énergétique implique d’intensifier les économies en dépenses par ailleurs.
Cet impact spécifique n’est pas identifié en tant que tel dans la programmation des finances
publiques, ni par la LPFP, ni par le programme de stabilité : il est i
ndispensable qu’il le soit
rapidement.
Pour l’heure, la loi de programmation des finances publiques et la
programmation pluriannuelle énergie climat sont deux cadres largement étanches. En outre,
les mesures qui sont mentionnées en matière de planification écologique ne sont pas
présentées dans une logique pluriannuelle. Aujourd’hui, le secrétariat général à la
planification écologique estime que seule la moitié des besoins de financement de la
planification écologique seraient couverts par la loi de programmation des finances publiques
sur les années 2025-2027. Mieux articuler la planification de la transition énergétique et la
programmation des finances publiques est donc une urgence.
Mais les difficultés d’acceptabilité sociale ont, pour l’heure, paralysé les grands choix
politiques au sujet de la planification écologique.
La répartition de l’effort entre acteurs
privés et publics, et entre les différents acteurs publics, est un choix structurant mais difficile.
Il est de notre devoir, en tant que société, de faire ces choix, de les communiquer et de s’y
tenir. Sinon, les générations futures risquent d’hériter à la fois de la dette climatique et de la
dette financière contractée pour y faire face.
La stratégie pluriannuelle de financement de la transition énergétique doit être l’occasion
de clarifier cette répartition de l’effort.
Ce document pluriannuel, créé en décembre 2023 par
l’article 9 de la loi de programmation des finances publ
iques 2023-2027, doit être remis par le
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Gouvernement au Parlement chaque année avant le 1er octobre. Cette stratégie doit préciser
les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale ; elle
devra être pleinement intégrée dans la programmation des finances publiques, et ce dès les
prochains textes financiers.
***
Voilà, mesdames et messieurs, les grands messages du RSPFP que je souhaitais porter à
votre connaissance.
Comme je le mentionnais en introduction, les enjeux qui y sont traités
sont colossaux. La double dette financière et climatique accumulée pendant des décennies
n’est pas un obstacle abstrait et éloigné dans le temps. Il est d’ores et déjà tangible, et il est
d’autant plus difficile d’y faire face que les mesur
es permettant effectivement de limiter le
déficit et de contenir la dette ont été retardées. La situation et les perspectives de nos finances
publiques sont souvent négligées, parfois éprouvées. Il est pourtant impératif de la regarder
en face et d’agir en
conséquence. Il est impératif de réduire notre endettement, et je le redis,
je ne prône pas l’austérité, qui n’a jamais été ma tasse de thé, mais pour retrouver des marges
de
manœuvre
, pour investir, en un mot pour demeurer souverains, et préserver notre
capacité à mener une action publique digne de ce nom au service de nos concitoyens.
Pour qu’ils ne soient pas contre
-productifs et ne portent pas atteinte à la croissance et à la
cohésion sociale, les efforts nécessaires doivent être crédibles, efficaces et partagés.
Crédible, parce qu’ils doivent être sous
-tendus par des réformes pérennes, identifiées
notamment dans le cadre des revues de dépense initiées en 2023.
Efficace, car ils doivent porter prioritairement sur les dépenses les moins pertinentes et en
mesurant rigoureusement la contribution attendue des hausses d’impôt, notamment en lien
avec la fiscalité du carbone. Et partagés, car leur répartition doit être limpide entre les
ménages, les entreprises et les administrations publiques
et, au sein de ces dernières, entre
État, sécurité sociale et collectivités. Pour respecter ces trois critères, la Cour ne voit pas
d’autre solution que de redessiner une nouvelle trajectoire pluriannuelle des finances
publiques. Mais c’est au futur gouvernement, bien
entendu, que reviendra cette décision.
J’aimerais terminer mon propos en réaffirmant une chose essentielle : quelle que soit la
composition de ce gouvernement, quels que soient les remous de notre vie politique et
institutionnelle, la Cour des comptes c
ontinuera d’éclairer le citoyen, de
rétablir l’ordre par
la lumière
comme le veut notre adage
. Je ne m’épancherai pas sur la conjoncture politique –
ce n’est pas mon rôle. Mon devoir, toutefois, est de garantir que la Cour des comptes et les
chambres régionales et territoriales des comptes, les juridictions financières de notre pays
que j’ai la ch
arge de conduire, demeurent des institutions indépendantes, fortes, un tiers de
confiance et une vigie pour nos finances publiques. Telle est notre fonction, et elle est cruciale
pour la démocratie. Nous ne sommes pas là pour plaire ou pour déplaire, nous ne sommes ni
un pouvoir, ni un contre-
pouvoir. Notre rôle est bel et bien l’information du citoyen. C’est à
lui, à la société, que nous devons rendre des comptes, comme le prévoit l’article 15 de la
déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «
la société a le droit de demander compte
à tout agent public de son administration
», qui fonde notre existence et notre mission. Pour
ce faire, nous devrons nous montrer toujours plus lucides sur l’état de nos finances publiques,
toujours plus rigoureux et obj
ectifs dans l’instruction de nos travaux, toujours plus
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pédagogues dans leur rédaction et vigilants quant à leur communication, alors que les temps
sont peu propices à l’objectivité.
Nous serons particulièrement vigilants à conserver notre positionnement à équidistance entre
le Parlement et le Gouvernement, comme nous l’avons toujours fait, et apporter, au débat
public ce qui fait notre force et notre originalité : un regard objectif, factuel, collégial et
pluraliste sur les politiques publiques.
Je vous remercie pour votre attention, et suis à votre disposition pour répondre à vos
questions, avec l’équipe du rapport que je remercie à nouveau.