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CHAMBRE DU CONTENTIEUX
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Première section
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Arrêt n° S-2024-0793
Audience publique du 23 avril 2024
Prononcé du 21 juin 2024
FRANCE MÉDIAS MONDE (FMM)
Affaire n° 860
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950, dite Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH) ;
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;
Vu le code civil ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code des juridictions financières (CJF) ;
Vu le code du travail ;
Vu l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière
des gestionnaires publics ;
Vu le décret n° 55-733 du 26 mai 1955 relatif au contrôle économique et financier de l’État
(CEGEFI) et l’arrêté du 29 mars 2013 fixant les modalités spéciales d’exercice du contrôle
économique et financier de l’Etat sur la société Audiovisuel extérieur de la France, ensemble
la note du CGEFI du 14 avril 2013, prise pour l’application dudit arrêté ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
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Vu le décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux et à la
Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières ;
Vu les communications du président de la troisième section de la troisième chambre de la Cour
des comptes des 25 mai 2020 et 22 juillet 2020, enregistrées au ministère public près la Cour
de discipline budgétaire et financière, respectivement, les 25 mai 2020 et 22 juillet 2020, ainsi
que les communications du président de la troisième chambre de la Cour des comptes des
17 décembre 2020, 15 janvier 2021 et 19 mai 2021, enregistrées au ministère public près la
Cour de discipline budgétaire et financière, respectivement, les 17 décembre 2020, 19 janvier
2021 et 1
er
juin 2021, par lesquelles des faits relevés lors du contrôle de la société France
Médias Monde sont transmis à ce ministère public ;
Vu le réquisitoire introductif du 20 juillet 2021
par lequel le ministère public près la Cour de
discipline budgétaire et financière a saisi le président de cette Cour, conformément aux
dispositions des articles L. 314-1-1 et L. 314-4 du code des juridictions financières en vigueur
jusqu'au 31 décembre 2022, d'infractions susceptibles d'avoir été commises dans la gestion
de France Médias Monde ;
Vu la décision du 2 septembre 2021 du président de la Cour de discipline budgétaire et
financière désignant M. Guy DUGUEPEROUX, conseiller maître à la Cour des comptes, et
M. François NASS, premier conseiller de chambre régionale des comptes, comme
rapporteurs de la présente affaire et la décision du 18 février 2022 désignant M. Nicolas
FERRU, président de section de chambre régionale des comptes, en remplacement de
M. NASS ;
Vu les réquisitoires supplétifs des 14 avril 2022 et 30 janvier 2023 ;
Vu la décision du 10 février 2023 du président de la chambre du contentieux de la Cour des
comptes désignant M. Guy DUGUEPEROUX, conseiller maître, et M. Nicolas FERRU,
président de section de chambre régionale des comptes, aux fins de poursuivre l’instruction
de l’affaire ;
Vu
les
mises
en
cause
de
Mme
X,
M.
Y,
Mme Z,
M.
A
et
M.
C,
intervenues
par
lettres du 15 février 2022 et ordonnances du 11 avril 2023 ;
Vu l'ordonnance de règlement n° 1295 du 3 octobre 2023 prise par les magistrats chargés de
l'instruction, et notifiée le même jour aux personnes renvoyées, ainsi qu’au procureur général
près la Cour des comptes, ensemble le dossier de l'instruction ;
Vu la décision du 21 décembre 2023 du procureur général près la Cour des comptes renvoyant
Mme
X,
M.
Y,
Mme
Z,
M. C
et
M.
A,
devant
la
Cour,
reçue
au
greffe
de
la
chambre
du contentieux le même jour, et notifiée le 29 décembre 2023 à Mme X et à
M. C,
le
9
janvier
2024
à
M.
Y,
le
11
janvier
2024
à
Mme
Z
et
le
6 février 2024 à M. A ;
Vu la convocation des personnes renvoyées à l’audience publique du 23 avril 2024, notifiée
aux intéressés le 31 janvier 2024 ;
Vu les mémoires en défense produits le 21 février 2024 par Me Jean-Jacques GATINEAU pour
M. C, le 22 février 2024, par Me Jérôme GRAND D’ESNON et Me Cornélie
DURRLEMAN
pour
Mme
X,
M.
Y
et
Mme Z,
Me
Solange
DOUMIC pour M. A ;
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Vu les demandes du procureur général du 28 mars 2024, tendant à ce que Mme CA et M. HT,
contrôleurs généraux économiques et financiers, soient entendus comme témoins à
l’audience ;
Vu les convocations de Mme CA et de M. HT, notifiées aux intéressés respectivement les
30 mars et 3 avril 2024 ;
Vu
les
observations
complémentaires
au
mémoire
en
défense
pour
Mme
X
produites par Me GRAND D’ESNON et Me DURRLEMAN, le 22 avril 2024 ;
Vu la note en délibéré produite par Me GRAND D’ESNON et Me DURRLEMAN en date du
26 avril 2024 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 23 avril 2024, M. Bruno NATAF, substitut général, en
la présentation de la décision de renvoi, et M. Serge BARICHARD, premier avocat général,
en ses réquisitions ;
Entendus sous foi de serment Mme CA et M. HT, en leur témoignage, à l’initiative du ministère
public ;
Entendu
Me
GRAND
D’ESNON
et
Me
DURRLEMAN
représentant
Mme X,
M. Y
et
Mme
Z,
Me GATINEAU
représentant
M.
C,
et
Me
DOUMIC
représentant M. A, la défense ayant eu la parole en dernier ;
Entendu en délibéré M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur les questions de procédure
Sur le transfert de l’affaire de la CDBF à la Cour des comptes
1.
La Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie, par les réquisitoires
introductif du 20 juillet 2021 et supplétif du 14 avril 2022 susvisés, de faits relatifs à la société
France Médias Monde susceptibles de constituer des infractions sanctionnées par cette
juridiction.
2.
Aux termes du II de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée, «
Les
affaires ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline budgétaire et
financière à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance sont, à cette date,
transmises à la Cour des comptes
». Le I de l’article 29 de la même ordonnance a fixé la date
de son entrée en vigueur au 1
er
janvier 2023. L’affaire relative à la société France Médias
Monde a, en conséquence, été transmise à cette date à la Cour des comptes et a fait l’objet
d’un second réquisitoire supplétif, le 30 janvier 2023.
3.
Aux termes du II de l’article 11 du décret du 22 décembre 2022 susvisé, «
Les actes
de procédure pris avant le 1
er
janvier 2023 pour les affaires transmises à la Cour des comptes
en application de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée demeurent valables
devant celle-ci. Leur régularité ne peut être contestée au seul motif de l’entrée en vigueur des
dispositions de cette ordonnance et du présent décret
».
Sur la compétence de la Cour des comptes
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4.
En application du c) de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières (CJF), en
vigueur jusqu’au 31 décembre 2022, « I.
Est justiciable de la Cour : (...)Tout représentant,
administrateur ou agent des autres organismes qui sont soumis au contrôle de la Cour des
comptes ».
Ces dispositions, désormais codifiées aux articles L. 131-1 et L. 131-2 du CJF
depuis le 1
er
janvier 2023, demeurent inchangées.
5.
L’article L. 111-4 du même code dispose que «
la Cour des comptes contrôle les
entreprises publiques ».
Et, aux termes de l'article L. 133-1 du code des juridictions
financières, «
la Cour des comptes contrôle
[...]
les sociétés dans lesquelles l'État détient la
majorité du capital social ou des voix dans les organes délibérants ou sur lesquelles il exerce,
directement ou indirectement, un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion
».
6.
L'article 1
er
des statuts de la société France Médias Monde (FMM) dispose qu'elle «
est
une société anonyme soumise aux dispositions applicables aux sociétés commerciales,
notamment le code de commerce, sous réserve des lois spécifiques la régissant, notamment
la loi° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public et la loi du
30 septembre 1986 précitée, ainsi qu'aux présents statuts qui sont approuvés par décret
conformément à l'article 47 de la loi du 30 septembre 1986 précitée
».
7.
Selon ses comptes sociaux, la société France Médias Monde, anciennement la société
Audiovisuel extérieur de la France (AEF) jusqu'au 27 juin 2013, est détenue à 100 % par l'État.
8.
Dès lors, les dirigeants et personnels de la société France Médias Monde sont
justiciables de la Cour des comptes sur le fondement de l'article L. 131-1 du CJF.
Sur la prescription
9.
L'article L. 314-2 du code des juridictions financières, applicable au moment des
déférés, disposait que «
la Cour
[de discipline budgétaire et financière]
ne peut être saisie par
le ministère public après l'expiration d'un délai de cinq années révolues à compter du jour où
a été commis le fait de nature à donner lieu à l'application des sanctions prévues par le présent
titre. L'enregistrement du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, la
mise en cause telle que prévue à l'article L. 314-5, le procès-verbal d'audition des personnes
mises en cause ou des témoins, le dépôt du rapport du rapporteur, la décision de poursuivre
et la décision de renvoi interrompent la prescription prévue à l'alinéa précédent
».
10.
Si les règles de prescription sont des règles de forme d'application immédiate, y
compris sur des faits antérieurs, la nouvelle disposition codifiée à l'article L. 142-1-3 du code
des juridictions financières, qui dispose que «
La Cour des comptes ne peut être saisie par le
ministère public après l'expiration d'un délai de cinq années révolues à compter du jour où a
été commis le fait susceptible de constituer une infraction au sens de la section 2 du chapitre
Ier du titre III du présent livre
», ne modifie ni la durée de la prescription, ni ses actes interruptifs.
11.
En ce qui concerne le déféré enregistré le 25 mai 2020, les faits postérieurs au 20 mai
2015 ne sont pas couverts par la prescription ; en ce qui concerne le déféré enregistré au
ministère public le 22 juillet 2020, les faits postérieurs au 22 juillet 2015 ne sont pas couverts
par la prescription ; en ce qui concerne le déféré enregistré le 17 décembre 2020, les faits
postérieurs au 17 décembre 2015 ne sont pas prescrits ; en ce qui concerne le déféré
enregistré le 19 janvier 2021, les faits postérieurs au 19 janvier 2016 ne sont pas prescrits ;
en ce qui concerne le déféré enregistré le 19 mai 2021, les faits postérieurs au 19 mai 2016
ne sont pas prescrits.
12.
Les faits présomptifs d'irrégularités, postérieurs à ces dates, ne sont donc pas couverts
par la prescription.
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Sur les infractions relatives au non-respect des prérogatives du
Contrôle général économique et financier (CGEFI)
Sur les textes applicables
13.
Le fait d’engager une dépense sans respecter les règles applicables en matière de
contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses constitue une infraction définie par
l’article L.313-1 du code des juridictions financières jusqu’au 31 décembre 2022 ; elle est
maintenue en matière de contrôle budgétaire à compter du 1
er
janvier 2023 par l’article L. 131-
13-2° du même code.
14.
L’article 30 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire
et comptable publique dispose que «
L'engagement est l'acte juridique par lequel une
personne morale mentionnée à l'article 1
er
crée ou constate à son encontre une obligation de
laquelle il résultera une dépense. L'engagement respecte l'objet et les limites de l'autorisation
budgétaire.
»
15.
Compte tenu de la rédaction des articles L. 313-1 et L. 131-13-2° du code des
juridictions financières qui fait grief, expressément, à toute personne ou justiciable qui engage
la dépense et de la nécessité, en la matière, de donner l’interprétation la plus stricte de
l’infraction, seul le signataire de l’acte litigieux peut être retenu comme susceptible d’avoir
commis l’infraction.
16.
Il ressort des dispositions combinées du décret n° 55-733 du 26 mai 1955, de l’arrêté
du 29 mars 2013 et de la note du 14 avril 2013, susvisés, qu’au sein de France Médias Monde,
à la date des faits en cause, devaient être soumis à l’avis préalable du CGEFI les projets de
contrats de recrutement assortis d’une rémunération égale ou supérieure à 85 000 € en
montant brut annuel ou à 8 000 € en montant brut mensuel pour les contrats inférieurs à un
an, les projets de revalorisations salariales, autres que les revalorisations résultant de
l’application de mesures automatiques ou générales, relatives aux cadres dirigeants, les
projets d’accords transactionnels faisant suite à un licenciement, assortis du versement d’un
total d’indemnités égal ou supérieur à 85 000 €.
17.
Il en résulte également que l’avis devait précéder la décision, au sens où elle est
devenue juridiquement irréversible ; que la demande d’avis devait être signée de la personne
compétente pour prendre la décision et être accompagnée d’un dossier complet.
Sur les ruptures de contrats de travail
18.
Il résulte des règles applicables en matière de contrôle financier portant sur
l’engagement des dépenses, notamment, que devait être soumis à l’avis préalable du CGEFI
«
tout projet de rupture d’un contrat de travail assorti d’une transaction dont le montant total
(indemnité conventionnelle et transactionnelle) est égal ou supérieur à 85 000 €.
»
19.
Le procureur général renvoie devant la Cour des comptes, pour avoir contrevenu à
cette règle, sur le fondement des articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du code des juridictions
financières, M. Y pour avoir signé les protocoles transactionnels conclus avec
M. B..., Mme BL... et M. TL. Il renvoie Mme Z pour avoir signé les protocoles
transactionnels conclus avec M. K... et Mme S..., et pour n’avoir pas communiqué toutes les
informations demandées par le CGEFI lors du traitement du dossier de M. B
.....
En ce qui concerne M. B…
20.
La rupture du contrat de travail de M. B... a fait l’objet d’une convention transactionnelle,
signée le 19 octobre 2015, qui lui accordait une indemnité de 220 098 €, versée en deux fois,
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chacune pour un montant supérieur à 85 000 €. Le premier versement est intervenu le jour
même de la signature de la convention. Le dossier de la rupture du contrat de travail de
M. B
....
a été adressé le même jour au CGEFI, les demandes de compléments d’information
formulées par celui-ci n’étant satisfaites que le 3 décembre 2015.
21.
Il est ainsi suffisamment établi que la rupture du contrat de travail de M. B... a fait l’objet
d’une transaction, portant octroi d’une indemnité supérieure à 85 000 € signée et partiellement
exécutée avant l’avis préalable du CGEFI, obligatoire en la circonstance ; qu’ainsi les règles
applicables en matière de contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses ayant été
méconnues,
M.
Y,
signataire
de
la
convention,
valant
engagement
de
la
dépense, a commis l’infraction prévue successivement par les articles L. 313-1 et
L. 131-13-2° du code des juridictions financières
. Il y a lieu de relaxer Mme Z
poursuivie pour n’avoir pas transmis toutes les informations au CGEFI dès lors que seul le
signataire de l’engagement peut avoir commis l’infraction portée par les articles L. 313-3 puis
L. 131-13-2° du code des juridictions financières.
22.
Le fait que cette opération ait été réalisée avant la note de rappel du CGEFI, le
24 octobre 2017, la bonne foi avec laquelle M. Y indique avoir cru que des échanges
oraux suffisaient à porter l’avis préalable du CGEFI et le fait que l’exécution complète de la
convention n’ait été parfaite qu’après l’avis du CGEFI ne sont pas, contrairement à ce que
soutient M. Y, des éléments exonératoires de sa responsabilité. En effet, les règles
relatives au contrôle budgétaire en matière de gestion des ressources humaines sont
suffisamment formalisées pour qu’un agent de l’organisme compétent pour engager les
dépenses se doive de les connaître. De même, la note du 4 avril 2013 ne laisse aucun doute
sur le fait que la demande d’avis devait être écrite. Par ailleurs, comme son intitulé l’indique,
la note du CGEFI du 24 octobre 2017, qui n’avait aucune portée normative, avait pour
vocation, au regard de dysfonctionnements récurrents, de rappeler ces règles. De surcroît, un
agent compétent pour engager les dépenses de l’organisme ne pouvait méconnaître que le
visa du contrôleur financier constitue un élément justificatif de la dépense, aux termes de
l’article 20 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique alors en vigueur. Enfin, la circonstance que le second versement
indemnitaire soit intervenu après l’avis du CGEFI ne saurait compenser le fait que le protocole
transactionnel ait été signé et ait reçu un commencement d’exécution avant l’avis préalable du
CGEFI.
En ce qui concerne M. K...
23.
La rupture du contrat de travail de M. K... a fait l’objet d’une convention transactionnelle,
signée le 26 août 2016 sans consultation préalable du CGEFI, aux termes de laquelle lui était
accordée une indemnité totale de 137 669,75 €, soit un montant supérieur au seuil de
85 000 €.
24.
Il est ainsi suffisamment établi que la rupture du contrat de travail de M. K... a fait l’objet
d’une transaction, signée en méconnaissance des règles applicables en matière de contrôle
financier portant sur l’engagement des dépenses ; que
Mme Z, signataire de la
convention, valant engagement de la dépense, a donc commis l’infraction prévue
successivement par les articles L. 313-1 et L. 131-13-2 du code des juridictions
financières
.
25.
Le fait que cette transaction aurait épargné à la société France Médias Monde un risque
contentieux potentiellement coûteux, la période estivale et la moindre disponibilité alléguée du
CGEFI, les difficultés de la société France Médias Monde pendant l’année considérée,
l’absence de préjudice, ne sauraient constituer, contrairement à ce que soutient
Mme Z,
des
circonstances
exonératoires.
En
effet,
le
principe
même
de
la
transaction est de limiter des risques potentiels, l’indisponibilité du CGEFI n’est pas établie et,
en tout état de cause, son silence pendant plus de 15 jours valant acceptation, elle eût été
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sans conséquence. Les difficultés de la société France Médias Monde ou les charges du
service, si elles peuvent être des circonstances atténuantes, ne sauraient, sauf à constituer
un cas de force majeure, qui n’est ici ni établi ni même allégué, présenter un caractère
exonératoire. Enfin la constitution de l’infraction prévue par l’article L. 131-13-2° n’est pas
soumise à l’existence d’un préjudice.
En ce qui concerne Mme S...
26.
Licenciée le 12 novembre 2014, Mme S... a perçu un montant d’indemnités de
59 075,25 €. Le Conseil des prud’hommes lui a attribué une somme complémentaire de
40 000 € qui, ajoutée au premier versement, a porté le montant à percevoir au-delà du seuil
de 85 000 €. Mme S... ayant formé appel, une transaction a été conclue, le 25 juillet 2016, lui
accordant une indemnité de 62 000 €, plus élevée que celle accordée par ledit Conseil.
27.
Mme Z, signataire du protocole, fait valoir que le montant initialement versé
et que le montant accordé par la transaction, qui comprend la somme attribuée par les
prud’hommes, sont tous deux inférieurs à 85 000 € et que la transaction a évité que Mme S...
obtienne, en appel, le montant qu’elle réclamait, montant plus de deux fois supérieur à ce
qu’elle a obtenu. Elle souligne que le CGEFI a été informé, que celui-ci n’a pas demandé à
être consulté formellement, que l’immixtion excessive de ce dernier dans la gestion courante
était cause d’incertitudes. Elle soutient que sa bonne foi et les améliorations enregistrées dans
le processus de consultation du CGEFI valent circonstances exonératoires.
28.
Il est établi et non contesté que le CGEFI n’a pas été consulté et que le montant total
de l’indemnité versée à Mme S... dépasse 85 000 €. Une part de cette indemnité ne résulte ni
de l’application de la loi ni de l’application d’une décision de justice. Il résulte de ce qui précède
qu’ainsi ont été méconnues les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur
l’engagement des dépenses ;
que Mme Z, signataire de la convention, valant
engagement de la dépense, a donc commis l’infraction prévue successivement par les
articles L. 313-1 et L. 131-13-2 du code des juridictions financières
.
29.
Le fait que cette transaction aurait épargné à la société France Médias Monde un risque
contentieux potentiellement coûteux et la bonne foi avec laquelle Mme Z croyait que
des échanges oraux suffisaient à purger l’obligation de saisine du CGEFI ou l’amélioration
alléguée du fonctionnement du dispositif ne sauraient être retenus comme des éléments
exonératoires de sa responsabilité. En effet, le principe même de la transaction est de limiter
des risques potentiels, les règles relatives au contrôle budgétaire en matière de gestion des
ressources humaines sont suffisamment formalisées pour qu’un agent de l’organisme
compétent pour engager les dépenses se doive de les connaître et l’amélioration éventuelle
du fonctionnement postérieur du dispositif est indifférente à la constitution de l’infraction
constatée.
En ce qui concerne Mme BL...
30.
La rupture du contrat de travail de Mme BL... a fait l’objet d’une convention
transactionnelle signée le 12 février 2019, lui accordant une indemnité totale de 122 130,20 €.
Un avis favorable du CGEFI a été rendu le 9 novembre 2018. L’indemnité finalement attribuée
à Mme BL... a été de 2,5% supérieure à celle soumise au CGEFI et sa répartition entre
indemnité conventionnelle et indemnité transactionnelle modifiée. La part conventionnelle est
passée de 95,83% à 61,22%, la part transactionnelle, de 4,17% à 38,78%. Le procureur
général estime que cette nouvelle répartition de l’indemnité et son augmentation justifiaient
une nouvelle saisine du CGEFI.
31.
M.
Y
fait
valoir
que
la
modification
de
la
répartition
entre
indemnité
conventionnelle et indemnité transactionnelle est due à la prise en compte du statut de
journaliste de Mme BL..., qui avait été initialement recrutée comme personnel non journaliste
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(« PTA »), et que l’augmentation du montant versé résulte d’une augmentation automatique
de la prime d’ancienneté de Mme BL... au 1
er
janvier 2019. La première indemnité avait été
calculée au prorata de leur temps sur les deux statuts PTA puis journaliste de Mme BL
....
Le
second calcul ne prend en compte que la carrière de journaliste de Mme BL..., entraînant ainsi
une forte diminution de la part conventionnelle de l’indemnité de rupture. La prime
d’ancienneté de Mme BL... lui a été versée à compter du 1
er
janvier 2019 et son montant a été
ajouté au revenu mensuel de Mme BL... pour le calcul de ses indemnités.
32.
L’absence de justification précise des éléments de liquidation de l’indemnité, la forte
augmentation de la part transactionnelle de l’indemnité, le dépassement du montant validé par
le CGEFI, rendaient nécessaires une nouvelle saisine du CGEFI, d’autant plus que la modicité
de l’indemnité transactionnelle du premier projet constituait un motif de l’avis favorable du
CGEFI. Dès lors, les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur
l’engagement
des
dépenses
ont
été
méconnues
et
M.
Y,
signataire
de
la
convention, valant engagement de la dépense, a commis l’infraction prévue
successivement par les articles L. 313-1 et L. 131-13-2 du code des juridictions
financières
.
En ce qui concerne M. TL...
33.
Eu égard aux pouvoirs d’auto-saisine que le procureur général près la Cour des
comptes tient de l’article L. 142-1-1 du code des juridictions financières, il est indifférent à la
régularité de la procédure que les faits en cause se soient produits hors de la période de
contrôle notifiée à la société France Médias Monde.
34.
M. TL...bénéficie d’un congé sabbatique, puis d’un congé pour création d’entreprise à
compter de décembre 2017. Le 24 juillet 2020, il demande sa réintégration au sein de la
société France Médias Monde, demande réitérée les 6 août 2020 et 21 janvier 2021. A défaut
de poste disponible, la société France Médias Monde lui propose une rupture conventionnelle
avec une indemnité de 108 591 €. Consulté le 27 novembre 2020, le CGEFI rend un avis
négatif assorti d’une demande de compléments d’information début décembre. La société
France Médias Monde répond le 13 janvier 2021 et le CGEFI confirme son avis négatif le
14 janvier 2021. Le 9 février 2021. La société France Médias Monde passe outre.
Parallèlement, M. TL...est recruté par une entreprise montpelliéraine dès la fin 2017, il en
devient le président directeur général le 30 octobre 2020.
35.
Le procureur général estime que la procédure de consultation du CGEFI, qui se serait
accompagnée d’une dissimulation d’informations, a été déloyale et qu’elle a donc méconnu
les règles en la matière.
36.
M. Y conteste cette lecture selon laquelle M. TL... ne voulant pas réellement
réintégrer la société France Médias Monde, il ne se serait agi que de lui attribuer une
indemnité. Il soutient que la procédure était régulière et opportune et produit divers éléments
à l’appui de ses affirmations.
37.
Quoiqu’il en soit, il est suffisamment établi que le CGEFI a bien été consulté, qu’il a
rendu un avis défavorable, en toute connaissance de cause, et que la société France Médias
Monde est passée outre. Une lettre datée du 9 février 2021 et signée de M. Y en
explique les raisons, en conformité avec l’article 6 dernier alinéa de l’arrêté du 29 mars 2013.
38.
Les «
règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l'engagement des
dépenses
» ayant été respectées,
M. Y doit être renvoyé des fins de la poursuite
en ce qui concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par les articles
L. 313-1 puis L. 131-13-2 du code des juridictions financières.
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Sur le recrutement du directeur technique et des systèmes d’information (DTSI)
39.
Comme déjà précisé, il résultait des règles applicables en matière de contrôle financier
portant sur l’engagement des dépenses au sein de France Médias Monde à la date des faits
que, «
tout projet de recrutement (en externe ou en interne) assorti d’une rémunération, tous
éléments inclus, égale ou supérieure à 85 000 €
» devait être soumis à l’avis préalable du
CGEFI.
40.
Le procureur général renvoie devant la Cour des comptes, pour avoir contrevenu à
cette règle, sur le fondement des articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du code des juridictions
financières, M. Y pour avoir signé le contrat de recrutement de M. FN…, recruté
comme DTSI le 12 février 2018 avec une rémunération de 130 000 €, complétée par une part
variable de 20 000 €.
41.
M. Y fait valoir qu’il a consulté oralement le CGEFI et que celui-ci a émis un
avis sur le recrutement de M. FN… le 19 juillet 2018. Il estime que sa bonne foi et l’absence
de préjudice financier, comme l’intérêt de ce recrutement pour la société France Médias
Monde valent circonstances exonératoires.
42.
En premier lieu, et contrairement à ce qu’affirme M. Y, la lettre du CGEFI du
19 juillet 2018 ne saurait tenir lieu d’avis préalable. Elle fait suite à une transmission de dossier
du 9 juillet en réponse à une demande du CGEFI du 20 mars. Le CGEFI y indique que, avant
même tout contact verbal avec lui, une offre écrite avait été faite à M. FN… qui valait
engagement de dépense. Il constate la violation des règles relatives au contrôle financier.
43.
La bonne foi avec laquelle M. Y croyait que des échanges oraux suffisaient
à porter l’avis préalable du CGEFI, l’absence de préjudice financier et les qualités de M. FN…
ne sont pas des éléments exonératoires de la responsabilité de M. Y. En effet, les
règles relatives au contrôle budgétaire en matière de gestion des ressources humaines sont
suffisamment formalisées pour qu’un agent de l’organisme compétent pour engager les
dépenses se doive de les connaître, la note du 4 avril 2013 ne laissant aucun doute sur le fait
que la demande d’avis doit être écrite. Eu égard au fait que le visa du contrôleur financier
constitue un élément justificatif de la dépense, aux termes de l’article 20 du décret n° 2012-
1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique alors en
vigueur, un agent de l’organisme compétent pour engager les dépenses se devait de les
connaître.
44.
La constitution de l’infraction prévue par l’article L. 131-13-2° n’est pas soumise à
l’existence d’un préjudice. Les qualités professionnelles de M. FN… sont indifférentes à la
cause. Il peut également être relevé que M. FN… a été recruté sur le poste qui venait d’être
libéré par M. TL...bénéficiaire d’un congé sabbatique, pour l’accord duquel le CEGEFI n’aurait
pas non plus été consulté et qu’il a bénéficié d’une reconnaissance d’ancienneté qui n’était
pas de plein droit et que le CGEFI qualifie d’avantage injustifié et de libéralité.
45.
Il résulte de ce qui précède que les règles applicables en matière de contrôle financier
portant sur l’engagement des dépenses ont été méconnues ;
que M. Y, signataire
du contrat de travail, valant engagement de la dépense, a donc commis l’infraction
prévue successivement par les articles L. 313-1 et L. 131-13-2 du code des juridictions
financières.
Sur des revalorisations salariales
46.
Comme déjà précisé, il résulte des règles applicables en matière de contrôle financier
portant sur l’engagement des dépenses de France Médias Monde que, notamment, devaient
être soumis à l’avis préalable du CGEFI, «
tous les projets visant à revaloriser la rémunération
d’un cadre dirigeant, soit de manière pérenne, soit à titre temporaire (primes et indemnités
exceptionnelles par exemple)
». «
Sont des cadres dirigeants au sens du code du travail, tous
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les cadres jouissant d’une indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, pouvant
prendre des décisions autonomes et bénéficiant d’une rémunération se situant parmi les plus
élevées de l’entreprise. Sont donc susceptibles d’être concernés tous les cadres ayant rang
de directeur ou occupant des responsabilités équivalentes
».
47.
Le procureur général renvoie devant la Cour des comptes, pour avoir contrevenu à
cette règle, sur le fondement des articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du code des juridictions
financières, Mme Z pour avoir signé les avenants aux contrats de travail de
MM. DS..., BT..., MN..., DS...et PR... sans les soumettre à l’avis préalable du CGEFI et
M. Y
pour
avoir
saisi
tardivement
le
CGEFI
des
revalorisations
salariales
de
MM. LL… et AI….
En ce qui concerne M. LL...
48.
M. LL... a été recruté le 15 novembre 2012 comme directeur adjoint de la
communication. A compter du 1
er
septembre 2014, il a cumulé ses fonctions avec celles de
directeur de cabinet. Il a été chargé, en mai 2018 d’une nouvelle direction, fusionnant celles
des relations institutionnelles, des relations presse et du cabinet. Eu égard aux fonctions qu’il
occupe et à sa qualité de membre du comité exécutif (COMEX) M. LL… doit être considéré
comme un cadre dirigeant. Lors de sa prise de fonction en mai 2018, M. LL... a bénéficié d’une
revalorisation salariale. Le CGEFI n’a été consulté qu’après l’attribution de la revalorisation
salariale, le 18 juin 2018.
49.
M. Y qui a signé l’avenant au contrat de M. LL... le 10 décembre 2018, pour
effet au 1
er
mai 2018, fait valoir qu’à la date de la saisine du CGEFI, aucun engagement
juridique n’avait été pris et que la revalorisation salariale n’est devenue effective qu’à compter
de décembre 2018.
50.
Un communiqué interne de la société France Médias Monde et un article de presse
font état de la nomination de M. LL… à la direction de la communication et des relations
institutionnelles, sans toutefois préciser la date d’effet de cette nomination. L’avenant au
contrat qui formalise cette nomination est daté du 10 décembre 2018 et l’effet financier n’en
apparaît que sur le bulletin de traitement de M. LL… pour le mois de décembre 2018, avec,
cependant, un rappel depuis mai. Aucun élément n’établit un engagement juridique avant
décembre 2018.
51.
Il n’est donc pas établi de manquement aux «
règles applicables en matière de contrôle
financier
portant sur la revalorisation des rémunérations
». En conséquence,
M. Y
doit être renvoyé des fins de la poursuite en ce qui concerne la commission de
l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-1 puis L. 131-13-2 du code des
juridictions financières
.
En ce qui concerne M. AI...
52.
M. AI..., rédacteur en chef de la chaîne en français de France 24 a été nommé directeur
adjoint de cette chaîne le 8 octobre 2017. La création de ce poste a été soumise au comité
d’entreprise du 18 octobre 2017. Il y est relevé que la personne considérée occupe le poste
depuis plusieurs semaines. A l’occasion de sa nomination-promotion sur le poste considéré,
M. AI... a bénéficié d’une augmentation de sa rémunération. Le CGEFI a été consulté sur la
nomination à ce poste de M. AI... le 6 décembre 2017.
53.
Dans sa décision de renvoi, le procureur général vise le défaut de saisine préalable du
CGEFI tant pour le recrutement de M. AI... que pour l’augmentation de sa rémunération.
54.
M. Y fait valoir qu’il n’y a pas eu engagement juridique avant l’avis du CGEFI,
rendu, avec réserves, le 25 avril 2018, le contrat ayant été signé le 2 mai ; qu’aucun texte
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n’exige que deux demandes d’avis soient formalisées lorsque, comme dans le cas présent, le
recrutement et la revalorisation salariale sont portés par la même opération.
55.
S’il est établi que M. AI... occupe le poste en question depuis au moins octobre 2017,
l’avenant au contrat qui formalise cette nomination est daté du 2 mai 2018 et l’effet financier
n’en apparaît que sur le bulletin de salaire de M. AI... pour le mois de mai 2018, avec,
cependant, un rappel depuis octobre 2017. Aucun élément n’établissant un engagement
juridique avant mai 2018 et aucun texte n’imposant la présentation de deux demandes d’avis
formalisées dans les cas d’une même opération portant recrutement et revalorisation, il n’est
pas établi que les «
règles applicables en matière de contrôle financier portant sur le
recrutement et la revalorisation des rémunérations
» n’ont pas été respectées.
56.
En conséquence,
M. Y doit être renvoyé des fins de la poursuite en ce
qui concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par les articles L.313-1
puis L.131-13-2 du code des juridictions financières.
Sur les revalorisations salariales de cadres de la DTSI
57.
MM. DS..., PR..., MN..., DS... et BT... ont bénéficié de revalorisations salariales sans
que le CGEFI ait été préalablement consulté.
Le procureur général estime que, compte tenu
du classement de ces personnes au niveau de directeur opérationnel, de l’importance de leur
rémunération et des missions de la DTSI, ces directeurs doivent être regardés comme des
cadres dirigeants au sens de la note du 14 avril 2013 mentionnée au point 16.
58.
Mme Z fait tout d’abord valoir que l’avis du CGEFI ne concerne que les
augmentations de rémunération des cadres dirigeants et non celles des salariés dont les
rémunérations sont supérieures à 85 000 €. Elle soutient ensuite, se référant à la jurisprudence
de la Cour de cassation et à l’accord d’entreprise, que les personnes visées ne sont pas des
cadres dirigeants. Subsidiairement, elle fait valoir que les augmentations en cause relèvent de
l’exception d’automaticité.
59.
Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, sont considérés comme ayant la qualité
de cadre dirigeant, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance
implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont
habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une
rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération
pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls
relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise. Pour retenir ou
écarter la qualité de cadre dirigeant d'un salarié, il appartient au juge d'examiner la fonction
que le salarié occupe réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés par
l'article L. 3111-2 du code du travail. Le seul examen de l'organigramme du contrat de travail,
de la délégation de pouvoirs, de l'extrait de la convention collective définissant l'emploi, des
bulletins de salaire et de la grille de salaire en vigueur ne peut suffire à établir la qualité de
cadre dirigeant.
60.
Il résulte de cette définition que, contrairement à ce que soutient le procureur général,
la définition du cadre dirigeant portée par l’article L. 3111-2 du code du travail n’est pas limitée
à l’appréciation du temps de travail de l’agent ou du salarié concerné et qu’elle a une portée
générale.
61.
L’accord d’entreprise de la société France Médias Monde, conclu le 31 décembre 2015,
modifié et complété par l’avenant de révision du 29 décembre 2016, dispose en son livre 2,
titre II1, article II/1.1 «
nomenclature des emplois
» que «
les emplois des personnels
techniques et administratifs de l’entreprise, hors ceux des cadres dirigeants, sont répertoriées
au sein de l’annexe 4…
», l’article II/1.2 «
classification
» que «
le présent accord met en place
un système de classification des emplois dans lequel le personnel est réparti selon les
catégories suivantes : non cadres, cadres, cadres dirigeants
». Les cadres dirigeants étant
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hors grille. MM. DS..., PR..., MN..., DS... et BT... sont classés comme directeur opérationnel,
emploi rattaché, en application de l’annexe n° 5 de l’accord d’entreprise au groupe de
classification n° 12, statut cadre. Leur position contractuelle ne les inscrit pas dans la catégorie
des cadres dirigeants et il n’est pas établi que les trois critères posés par l'article L. 3111-2 du
code du travail, sont réunis, ni que MM. DS..., PR..., MN..., DS... et BT... participent à la
direction de l’entreprise. Il n’y avait donc pas lieu de faire application, pour ces cinq personnes,
des «
règles applicables en matière de contrôle financier portant sur la revalorisation des
rémunérations
» des cadres dirigeants.
62.
En conséquence,
Mme Z doit être renvoyée des fins de la poursuite en
ce qui concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-
1 puis L. 131-13-2° du code des juridictions financières.
63.
En revanche, contrairement à ce que soutient Mme Z, les revalorisations en
cause ne peuvent être considérées comme automatiques. En effet, elles sont qualifiées
d’augmentations individuelles et sont prises en référence à l’article II/1.3.5.1 (1
er
alinéa de
l’accord d’entreprise). Cet article dispose : que «
les salariés peuvent bénéficier d’une
augmentation individuelle, décidée au titre de l’année N par la Direction, pour reconnaître les
mérites professionnels et une évolution positive de la maîtrise et des compétences dans le
poste occupé. Elle prend effet au 1
er
janvier. Cette mesure prend la forme d’une augmentation
du salaire mensuel brut de base de 3, 5 ou 7 %. Elle ne s’accompagne pas d’une modification
de la valeur de la prime d’ancienneté. A titre exceptionnel et pour corriger des situations
individuelles que la Direction estime en décalage, cette dernière se réserve la possibilité de
procéder à une augmentation de 10 % du salaire mensuel brut de base
».
Sur l’octroi de primes exceptionnelles
64.
Le procureur général renvoie devant la Cour des comptes, pour avoir contrevenu aux
règles mentionnées au point 51, sur le fondement des articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du
code des juridictions financières, Mme Z et M. Y, en ce que, compte tenu
de leurs fonctions, ils sont responsables des primes exceptionnelles sans saisine préalable du
CGEFI attribuées à Mme BE… en mars 2016, une prime de 7 000 €, à M. GU…, en mars
2016, une prime de 5 000 € et une prime «
ex. accord entre
» de 1 000 € et à M. LL..., en
janvier 2017, une prime exceptionnelle de 4 000 €.
65.
Par ailleurs, le ministère public a abandonné à l’audience les griefs soulevés contre
M. Y
et
Mme
Z
d’avoir
ordonné,
sans
en
soumettre
le
principe
au
CGEFI,
le versement de diverses autres primes dans la mesure où celles-ci n’étaient pas soumises au
contrôle financier préalable en raison de leur caractère contractuel ou de l’application d’une
mesure générale.
En ce qui concerne M. GU…
66.
Mme
Z
et
M.
Y
présentent
des
moyens
identiques
en
ce
qui
concerne M. GU…. En préalable, ils font valoir que la prime de 1 000 € n’a fait l’objet d’aucune
question en cours d’instruction, méconnaissant ainsi gravement le principe du contradictoire.
Ils soutiennent ensuite que M. GU… n’est pas cadre dirigeant, que, donc, les primes qui lui
sont attribuées n’ont pas à être soumises à l’avis préalable du CGEFI.
67.
En premier lieu, il n’est pas contesté que les parties aient été rendues destinataires
des réquisitoires du ministère public. Le deuxième réquisitoire supplétif fait mention des primes
versées à M. GU… et l’ordonnance de mise en cause précise que Mme Z et
M. Y sont mis en cause pour les faits mentionnés au réquisitoire. Ils ont donc été
informés des faits de la cause et de la nature de l’accusation portée contre eux. Ils ont eu
accès au dossier tout au long de l’instruction. Ils ont pu, en réponse à la décision de renvoi du
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21 décembre 2023, dont ils ont eu connaissance les 11 et 9 janvier 2024, apporter des
éléments d’information complémentaires. Le principe du contradictoire a ainsi été respecté.
68.
En second lieu, M. GU… est classé à son contrat comme directeur opérationnel, emploi
rattaché, en application de l’annexe n° 5 de l’accord d’entreprise au groupe de classification
n° 12, statut cadre. La position contractuelle de M. GU… ne l’inscrit donc pas dans la catégorie
des cadres dirigeants et il n’est pas établi que les trois critères posés par l'article L. 3111-2 du
code du travail, sont réunis, ni que M. GU… participe à la direction de l’entreprise. Il n’y avait
donc pas lieu de faire application des «
règles applicables en matière de contrôle financier
portant sur la revalorisation des rémunérations
» des cadres dirigeants.
69.
En
conséquence,
Mme
Z
et
M.
Y
doivent
être
renvoyés
des
fins
de la poursuite en ce qui concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par
les articles L. 313-1 puis L. 131-13-2 du code des juridictions financières.
En ce qui concerne Mme BE… et M. LL...
70.
Mme
Z
et
M.
Y font
valoir
que
l’absence
de
consultation du
CGEFI
sur l’attribution des primes ici en cause résulte d’une mauvaise interprétation de l’arrêté de
contrôle qui a été considéré comme ne visant pas les «
primes exceptionnelles non
pérennes
». Ils soulignent que le CGEFI avait été informé oralement du versement de ces
primes, que les services souffraient alors d’un sous-effectif et que le versement de la prime a
eu lieu avant le rappel à l’ordre du 24 octobre 2017. Ils font valoir que, depuis cette date,
l’attribution des primes a été mieux formalisée, le CGEFI étant systématiquement consulté,
au-delà même des obligations.
71.
A titre surabondant, ils font aussi valoir que le versement de ces deux primes ne figurait
pas dans le déféré du 19 janvier 2021 et se trouve uniquement dans le réquisitoire du 20 juillet
2021; que la prescription est de cinq ans en application de l’article L. 314-2 du code des
juridictions financières ; que, dès lors, le versement de la prime objectif de Mme BE…, qui a
eu lieu en mars 2016, ne pouvait plus faire l’objet de poursuite à compter de mars 2021 ; que
le réquisitoire date du 20 juillet 2021 et est donc postérieur à mars 2021 ; qu’il ne peut être
reproché à la société France Médias Monde le versement de la part variable du contrat de
travail de Mme BE… – les faits étant prescrits.
72.
En ce qui concerne la prescription, l’article L. 314-2 en vigueur à la date des faits, et
l’article L. 142-1-3 du code des juridictions financières, aujourd’hui applicable, disposent l’un
et l’autre que l’enregistrement du déféré au ministère public interrompt la prescription. Les
primes en cause sont mentionnées dans le déféré de la 3
ème
chambre du 15 janvier 2021, soit
avant l’expiration du délai de cinq ans. Les versements considérés ne sont donc pas prescrits.
73.
L’erreur d’interprétation alléguée ne saurait être admise dès lors que la note du 4 avril
2013 susvisée mentionne clairement les revalorisations à caractère temporaires, telles que
primes et indemnités exceptionnelles («
tous les projets visant à revaloriser la rémunération
d’un cadre dirigeant, soit de manière pérenne, soit à titre temporaire (primes et indemnités
exceptionnelles par exemple)
»), comme devant être soumises à l’avis préalable du CGEFI.
Ainsi qu’il a déjà été dit, la forme écrite de la consultation du CGEFI s’impose. Par ailleurs, il
appartenait à la société France Médias Monde de prendre toute mesure pour permettre au
CGEFI d’accomplir sa mission. Enfin, les améliorations observées depuis les faits ne
sauraient, non plus, exonérer Mme Z et M. Y de leur responsabilité.
74.
Compte tenu du fait que la délégation de pouvoir consentie à Mme Z ne
concerne que les rémunérations inférieures à 85 000 €, qu’il n’est pas établi qu’elle l’ait
outrepassée ; que les deux salariés concernés bénéficient de rémunérations supérieures à ce
montant,
M. Y, titulaire d’une délégation de pouvoir pour les rémunérations
supérieures à 85 000 €, a commis l’infraction prévue successivement par les articles
L. 313-1 et L. 131-13-2 du code des juridictions financières.
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Sur la responsabilité de Mme X
75.
Mme X est renvoyée devant la Cour des comptes pour avoir directement
participé, par ses agissements comme par ses abstentions, à la commission de l’infraction
définie à l’article L. 131-13-2 du CJF pour l’ensemble des faits qui précèdent, compte tenu de
son degré d’implication directe dans certains des manquements et de
négligences graves et
répétées dans l’exercice des pouvoirs de contrôle et de surveillance de la société France
Médias Monde qui étaient les siens, s’agissant plus particulièrement de l’organisation de ses
services en relations avec le CGEFI.
76.
Mme X conteste que l’on puisse lui faire grief d’un manque d’organisation
des circuits de transmission au CGEFI au titre d’une mission générale de pilotage,
d’organisation et de contrôle de la société. Elle rappelle que tant l’article L. 312-1 que l’article
L. 131-13-2 visent uniquement les personnes qui ont engagé une dépense. Elle soutient
qu’élargir cette prévention au défaut de surveillance méconnaîtrait les principes
constitutionnels de légalité de la peine et de responsabilité personnelle. Elle conteste
également que le procureur général puisse appliquer à une société privée des principes de la
fonction publique en la rendant responsable des actes de ses subordonnés. Plus
généralement, elle souligne que cette responsabilité générale du supérieur hiérarchique serait
incompatible avec le principe d’autonomie et de responsabilisation des agents publics. Au
surplus, et contrairement à ce qu’allègue le procureur général, elle fait valoir qu’elle n’a pas
fait preuve de négligences graves et répétées dans l’exercice de son pouvoir de contrôle,
qu’elle a toujours réagi aux saisines du CGEFI et qu’elle a toujours pris ces dernières en
compte.
77.
Comme le soutient Mme X l’infraction codifiée successivement aux articles
L. 312-1 puis L. 131-13-2 vise les seules personnes qui ont engagé une dépense. Il est
suffisamment
établi
que
Mme
X
n’a
engagé
aucune
des
dépenses
ci-dessus
examinées.
78.
En conséquence,
Mme X doit être renvoyée des fins de la poursuite
en ce qui concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par les articles
L. 313-1 puis L. 131-13-2 du code des juridictions financières.
Sur des circonstances exonératoires
79.
Outre les circonstances déjà invoquées comme exonératoires sur des dossiers
spécifiques
et
examinées
ci-avant,
Mme
X,
Mme
Z
et
M.
Y
font valoir que devraient les exonérer de leur responsabilité les améliorations apportées au
processus de contrôle du CGEFI, les défis auxquels était confrontée la société France Médias
Monde avec des moyens limités, l’absence de préjudice causé par les manquements en
cause.
80.
Toutefois, les améliorations invoquées sont sans incidence sur la réalité des infractions
commises. Si, par ailleurs, le juge peut reconnaître un effet absolutoire à une régularisation
lorsqu’elle est réelle, c’est-à-dire lorsqu’elle vient effacer le manquement ou, à tout le moins,
en anéantir les conséquences néfastes, tel n’est pas ici le cas dès lors que les décisions prises
irrégulièrement, en l’absence d’avis préalable du CGEFI, persistent et continuent de produire
leurs effets. En outre, et sans méconnaître les difficultés de gestion d’une nouvelle structure,
les éléments cités en défense, pour la période 2012-2016 auraient dû conduire à une action
déterminée et résolue bien avant la période de commission des infractions en cause.
81.
La diminution des ressources financières de la société France Médias Monde aurait
dû, au contraire de ce qui est constaté, inciter la société à une rigueur plus grande dans la
gestion des dépenses de personnel. Or le CGEFI relève des pratiques qui, selon lui, sont
d'autant moins acceptables que la politique de rémunération des cadres supérieurs de France
Médias Monde peut être considérée comme généreuse et que certaines facilités de gestion,
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potentiellement coûteuses, persistent. Les difficultés financières de la société France Médias
Monde peuvent ainsi être regardées comme circonstances aggravantes des manquements
relevés.
82.
Se fondant sur diverses décisions du Conseil d'Etat en matière de responsabilité
personnelle et pécuniaire des comptables publics, et sur une décision de la Cour de discipline
budgétaire
et
financière,
Mme
X,
M.
Y
et
Mme
Z
soutiennent
que les manquements relevés, à défaut d’avoir causé un préjudice financier à la société France
Médias Monde ne sauraient engager leur responsabilité. Or, à la différence des situations
jugées par les décisions citées, dans le cas, ici en cause, d’un manquement aux règles de
consultation du CGEFI, la constitution de l’infraction n’exige pas que le manquement ait causé
un préjudice. Ce dernier moyen est donc inopérant.
Sur une infraction relative au non-respect des prérogatives du
conseil d’administration
Sur les textes applicables
83.
L'article L. 313-1 du code des juridictions financières prévoyait, au moment des faits,
que «
Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter
les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l'engagement des dépenses
sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 € et dont le
maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à
la date à laquelle le fait a été commis
». Depuis le 1
er
janvier 2023, cette infraction a été
remplacée par une infraction codifiée à l'article L. 131-13-2° du même code, aux termes duquel
«
Tout justiciable au sens de l'article L. 131-1 est passible de l'amende prévue au deuxième
alinéa de l'article L. 131-16 lorsqu'il :
[...]
2
°
Engage une dépense, sans respecter les règles
applicables en matière de contrôle budgétaire portant sur l'engagement des dépenses ».
84.
Selon l'alinéa premier de l'article L. 225-36-1 du code de commerce, «
les statuts de la
société déterminent les règles relatives à la convocation et aux délibérations du conseil
d'administration
». Aux termes du point 8.2 des statuts de la société France Médias Monde, «
en tant que président du conseil d'administration, le Président représente ce dernier. Il
organise et dirige les travaux de celui-ci dont il rend compte à l'assemblée générale. Il veille
au bon fonctionnement des organes de la société et s'assure que les administrateurs sont en
mesure de remplir leur mission
». En vertu de son point 9.1, «
le conseil d'administration se
réunit aussi souvent que l'intérêt de la société l'exige, sur la convocation de son président [ ...
] Les convocations doivent être accompagnées de tous les projets et autres éléments
nécessaires à la bonne information des administrateurs
».Par ailleurs, le règlement intérieur
du conseil d'administration, dans sa version du 16 avril 2015, dispose en son point 1.9 que «
le Conseil est consulté avant la conclusion de transaction d'un montant supérieur ou égal à
500 000 € pour la résolution de litiges avec des clients, des fournisseurs ou des personnels
».
85.
L’article 5 du décret n° 55-733 du 26 mai 1955 relatif au contrôle économique et
financier de l'Etat dispose : «
I. - Le contrôle économique et financier de l'Etat est un contrôle
externe portant sur l'activité économique et la gestion financière des entreprises et organismes
qui en relèvent. Il a pour objet d'analyser les risques et d'évaluer les performances de ces
entreprises et organismes en veillant aux intérêts patrimoniaux de l'Etat. II. - Le contrôle
économique et financier de l'Etat est exercé, sous l'autorité du ministre chargé de l'économie,
par des missions de contrôle. Les entreprises et organismes contrôlés par ces missions sont
désignés par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget
».
86.
L’article 220 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire
et comptable publique que «
Les organismes sont assujettis à un contrôle budgétaire, sur
pièces et sur place, dans des conditions fixées, pour chaque organisme ou catégorie
d'organisme, par un arrêté du ministre chargé du budget et du ministre de tutelle. Lorsque le
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contrôle budgétaire concerne des organismes qui étaient, antérieurement à la parution des
arrêtés mentionnés au présent article, soumis aux dispositions du décret du 26 mai 1955
susvisé, ces organismes peuvent mettre à la disposition des autorités chargées du contrôle
budgétaire les moyens nécessaires à l'exercice de leurs missions
».
Sur les faits et les poursuites
87.
Dans son deuxième réquisitoire supplétif du 30 janvier 2023, le procureur général
constate que le conseil d’administration de la société France Médias Monde n’a pas été
consulté sur le protocole transactionnel mettant fin aux fonctions de Mme GR…, directrice des
relations institutionnelles ; que le montant total de la transaction de 542 000 € est supérieur à
500 000 € et que, dès lors, en application de l’article 1.9 du règlement intérieur du conseil
d’administration la consultation de cette instance était obligatoire. Il estime que cette
consultation vaut exercice du contrôle budgétaire du conseil d’administration sur l’engagement
des dépenses et en conclut que ce défaut de consultation constitue l’infraction prévue par les
articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions financières visant toute personne
qui aura engagé une dépense sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation à cet
effet.
Il
prévient
de
cette
infraction
M.
Y,
Mme
Z,
Mme
X
et
tout autre agent ayant participé à l’infraction.
88.
Sa décision du 21 décembre 2023 susvisée renvoie devant la Cour M. Y et
Mme X sur le fondement des articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du code des
juridictions financières pour ce que le défaut de consultation du conseil d’administration vaut
manquement aux règles de contrôle budgétaire en matière d’engagement des dépenses.
Sur les moyens des défendeurs
89.
Mme
X
et
M.
Y
font
valoir
des
moyens
semblables.
Ils
observent, en premier lieu, que l’infraction visée par la décision de renvoi n’est pas la même
que celle qui fondait le réquisitoire. Ils estiment que ce changement de fondement méconnait
le principe du contradictoire et celui des droits de la défense.
90.
Il est constant que le réquisitoire vise l’infraction prévue par les articles L. 313-3 puis
L. 131-13-3° du code des juridictions financières et la décision de renvoi les articles L. 313-1
puis L. 131-13-2.
Cependant,
le procureur général est en droit, au vu des éléments de
l’instruction portant, ainsi qu’en disposent les articles L. 142-1-4 et R. 142-2-2 du code des
juridictions financières, sur les faits et les pièces figurant au réquisitoire, de modifier, dans sa
décision de renvoi devant la Cour, la qualification des irrégularités initialement retenues dans
son
réquisitoire
;
ces
griefs
ont
été
communiqués
à
Mme
X
et
M.
Y
et
les a mis à même de présenter leurs observations, ce qu’ils ont d’ailleurs fait ; il y a donc lieu
d’écarter la violation alléguée des droits de la défense et du principe du contradictoire.
91.
Les défendeurs font valoir, comme le conclut l’ordonnance de règlement, que
M. Y était habilité à prendre la décision. Ce point n’est pas contesté par la décision
de
renvoi.
Mme
X
et
M.
Y
soutiennent
que
la
consultation
du
conseil
d’administration n’est obligatoire que pour la résolution des litiges et que le cas d’espèce est
une transaction amiable. Or, il ressort suffisamment du protocole transactionnel du 16 avril
2018, signé de M. Y que la transaction a eu pour but de mettre fin à un litige engagé
par Mme GR…, «
après de nombreuses discussions et concessions réciproques
». Le moyen
est donc infondé en fait.
92.
Les défendeurs relèvent enfin que le comité d’audit, émanation du conseil
d’administration, a été informé et consulté, que le conseil d’administration a bien été consulté
sur le départ conventionnel de trois personnes dont Mme GR… et qu’il a voté une enveloppe
globale de 1,5 M€ à cette fin lors de sa séance du 19 décembre 2017, le CGEFI étant présent.
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93.
Comme rappelé au point 84, le règlement intérieur du conseil d’administration impose
une consultation de celui-ci avant la conclusion d’une transaction d’un montant supérieur à
500 000 €. Au regard du protocole en cause, le montant total arrêté, soit 547 450 €, qui
correspondait à une indemnité conventionnelle de 227 450 € et à une indemnité
transactionnelle de 320 000 €, appelait une consultation du conseil d’administration sur cette
transaction.
94.
Si des éléments portant sur les économies attendues du départ de quelques cadres
dirigeants à forte rémunération ont été présentés au comité d’audit en octobre 2017, sans que
le détail en figure au compte rendu de la réunion hormis une mention relative à un montant de
1,5 M€ dédié au départ de trois personnes, et si le procès-verbal du conseil d’administration
du 19 décembre 2017 mentionne les coûts exceptionnels de restructuration pour 3,1 M€ et
des économies budgétaires de 2,1 M€ en rythme annuel, ces éléments anonymes et non
individualisés ne sauraient constituer la consultation prévue au point 1.9 du règlement intérieur
du conseil. Il en résulte que le moyen manque en fait.
Sur la constitution de l’infraction
95.
Le procureur général soutient que ce défaut de consultation est de nature à constituer
l’infraction prévue par les articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du code des juridictions
financières, au motif que la consultation du conseil d’administration vaudrait contrôle
budgétaire sur l’engagement des dépenses.
96.
A la date des faits, l’article L. 313-1 mentionnait «
les règles du contrôle financier
» qui
étaient définies, en ce qui concerne les organismes relevant de l’Etat et pour la période
concernée, par le décret n°55-733 du 26 mai 1955 relatif au contrôle économique et financier
de l'Etat. Il ressort de son article 5 que le contrôle économique et financier de l’Etat sur les
entreprises où l’Etat détient plus de 50 % du capital est, dans l’état des textes, un contrôle
externe exercé par des missions de contrôle auquel le défaut de consultation du conseil
d’administration de la société ne saurait être assimilé.
97.
Subsidiairement, il résulte de l’article 220 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012
relatif à la gestion budgétaire et comptable publique que «
Les organismes sont assujettis à
un contrôle budgétaire, sur pièces et sur place, dans des conditions fixées, pour chaque
organisme ou catégorie d'organisme, par un arrêté du ministre chargé du budget et du ministre
de tutelle. Lorsque le contrôle budgétaire concerne des organismes qui étaient,
antérieurement à la parution des arrêtés mentionnés au présent article, soumis aux
dispositions du décret du 26 mai 1955 susvisé, ces organismes peuvent mettre à la disposition
des autorités chargées du contrôle budgétaire les moyens nécessaires à l'exercice de leurs
missions
».
98.
Il s’en déduit que le conseil d’administration de la société ne saurait assurer un contrôle
budgétaire, au sens de ce qui précède.
99.
En conséquence,
il y a lieu de relaxer Mme X et M. Y des fins
de la poursuite en ce qui concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par
les articles L. 313-1 puis L. 131-13-2° du code des juridictions financières.
Sur la réintégration d’un salarié et la rupture de son contrat de
travail
Sur les textes applicables
100.
L’article L. 313-4 du code des juridictions financières applicable à l’époque des faits
permettait de sanctionner toute personne ayant
« enfreint les règles relatives à l’exécution des
recettes et des dépenses de l’Etat ou des collectivités, établissements et organismes […] ou
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à la gestion des biens leur appartenant […].
» Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance
susvisée du 23 mars 2022 au 1
er
janvier 2023, l’article L. 131-9 du même code, qui a été
substitué au précédent, sanctionne «
Tout justiciable […] qui, par une infraction aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’Etat, des
collectivités, établissements et organismes […], commet une faute grave ayant causé un
préjudice financier
significatif
[…]
.
Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié
en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la
responsabilité du justiciable
». Le principe de l’application de la loi pénale la plus douce exige
que les faits en cause soient appréciés au regard des éléments constitutifs définis par l’article
L. 131-9 du CJF.
101.
L’article 2274 du code civil dispose que «
La bonne foi est toujours présumée, et c'est
à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver
».
102.
L’article L.1222-1 du code du travail dispose que
« Le contrat de travail est exécuté de
bonne foi
».
103.
L’article L.3142-105 du code du travail dispose que : «
Le salarié qui crée ou reprend
une entreprise a droit, sous réserve d'une condition d'ancienneté dans l'entreprise et dans les
conditions fixées à la présente section : 1° Soit à un congé ; 2° Soit à une période de travail à
temps partiel. L'ancienneté acquise dans toute autre entreprise du même groupe, au sens de
l'article L. 2331-1, est prise en compte au titre de l'ancienneté dans l'entreprise
».
Sur les faits
104.
Ainsi qu’il a été dit au paragraphe 34, M. TL...a bénéficié d’un congé sabbatique, puis
d’un congé pour création d’entreprise à compter de décembre 2017. Le 24 juillet 2020, il a
demandé sa réintégration au sein de la société France Médias Monde, demande réitérée les
6 août 2020 et 21 janvier 2021. A défaut de poste disponible, la société France Médias Monde
lui a proposé une rupture conventionnelle avec une indemnité de 108 591 €. Consulté le
27 novembre 2020, le CGEFI a rendu un avis négatif assorti d’une demande de compléments
d’information début décembre. La société France Médias Monde ayant répondu le 13 janvier
2021, le CGEFI a confirmé son avis négatif le 14 janvier 2021. Le 9 février 2021, la société
France Médias Monde a passé outre. Parallèlement, M. TL...a été recruté par une entreprise
montpelliéraine dès la fin 2017, il en est devenu le président directeur général le 30 octobre
2020.
Sur les poursuites
105.
La décision de renvoi, se fondant sur l’article L.1222-1 du code du travail, rappelle que
le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Elle considère que, si, au regard de l’article
L.3142-105 du code du travail, la réintégration d’un salarié en congé pour création d’entreprise
n’est soumise à aucune condition, il est toujours loisible à l’employeur de licencier pour faute
grave son salarié qui, de mauvaise foi, a poursuivi une activité professionnelle parallèle et que
l’absence d’intention du salarié en congé de réintégrer son poste permet d’établir le caractère
abusif de la demande de retour en entreprise.
106.
Le procureur général déduit de l’implication de M. TL...au sein de la société NA…, de
son installation à Montpellier, de l’acceptation rapide par M. TL...de la transaction proposée,
peu intéressante financièrement pour lui, comparée à une réintégration à la société France
Médias Monde, que celui-ci n’avait pas réellement la volonté de réintégrer la société France
Médias Monde, ainsi que souligné par le CGEFI. Il considère, par ailleurs, que la société
France Médias Monde disposait de suffisamment d’éléments pour démontrer cet état de fait,
connu de plusieurs cadres de la société France Médias Monde et, notamment de
M. Y ; qu’elle n’a pas demandé de consultation juridique, ni d’explication à M. TL... ;
qu’elle aurait dû lui demander de démissionner ou le licencier pour faute grave. Il en conclut
qu’en ne refusant pas de réintégrer M. TL...dès lors qu’il exerçait toujours des fonctions au
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sein de NA… et qu’il avait ses intérêts personnels et professionnels à Montpellier, et en lui
accordant une indemnité transactionnelle, les dirigeants ont méconnu une règle relative à
l’exécution des dépenses au sens des articles L.313-4 puis L.131-9 du code des juridictions
financières.
107.
Le procureur général soutient ainsi que M. TL…, n’avait nullement l’intention de
réintégrer la société France Médias Monde lorsqu’il a formulé sa demande de réintégration,
que celle-ci aurait dû refuser de le réintégrer, dès lors qu’il exerçait toujours des activités
professionnelles pour NA…, et qu’en transigeant la société France Médias Monde a payé une
indemnité qu’elle aurait pu éviter. La décision de renvoi évalue le montant du préjudice à
hauteur de l’indemnité transactionnelle et la considère comme significative, tant en valeur
absolue qu’au regard de l’équilibre précaire de la société, des subventions publiques reçues
et des objectifs de maîtrise des charges de personnel fixé par le contrat d’objectif et de
moyens. Le procureur général demande que soit engagées les responsabilités de
Mme X, M. Y et Mme Z.
Sur les moyens des défendeurs
108.
Les
moyens
présentés
par
Mme
X,
M.
Y
et
Mme
Z
sont identiques.
109.
Les défendeurs contestent l’existence d’un montage juridique insincère destiné à
verser une indemnité à M. TL...alors que ce dernier n’aurait pas eu l’intention de réintégrer la
société France Médias Monde. Ils font valoir que M. TL...était régulièrement en congé ; qu’il
avait le droit d’occuper les fonctions qu’il a occupées chez NA… pendant son congé ; qu’il a
clairement fait savoir qu’il était prêt à quitter ces fonctions pour rejoindre la société France
Médias Monde si une rupture conventionnelle n’était pas prononcée, ce qu’il pouvait
juridiquement faire ; que sa réintégration était de droit ; qu’à défaut de poste correspondant à
son niveau, que la société France Médias Monde était tenue de lui proposer, la société France
Médias Monde aurait été conduite à payer un salaire important sans réelle contrepartie.
110.
Ils soutiennent que la société France Médias Monde ne pouvait obliger M. TL...à
démissionner ; qu’elle ne pouvait, non plus, invoquer ni un motif économique ni une faute pour
le licencier, sans prendre un risque contentieux et indemnitaire important ; que deux
consultations juridiques ont confirmé ces règles ainsi que l’opportunité du choix de la société
France Médias Monde. Ils objectent que les arrêts cités par le procureur général à l’appui de
sa démonstration relèvent d’une situation qui n’est en rien comparable avec celle de M. TL….
Sur la constitution de l’infraction
111.
Il n’est pas contestable que M. TL...était valablement en situation de congé pour
création d’entreprise ; que ce congé d’un an, renouvelé une fois, prenait fin en décembre 2020.
Il est par ailleurs établi que M. TL...a formulé en juillet et août 2020, puis de nouveau, en janvier
2021 une demande formelle de réintégration, qu’il avait été remplacé dans son emploi et que
la société France Médias Monde ne disposait pas d’un poste du niveau de responsabilité de
M. TL
....
La circonstance que M. TL...ait continué de travailler pour NA… ne constituait pas
une faute susceptible de justifier un licenciement.
112.
Il en résulte que, par un choix d’opportunité, que des consultations d’avocats produites
à la Cour appuient, la société France Médias Monde a préféré négocier le départ de
M. TL...plutôt que d’engager un contentieux ou de le réemployer à son niveau ancien de
salaire, sans pouvoir lui proposer un emploi qui y corresponde.
113.
La mauvaise foi alléguée n’ayant pas été établie, il y a lieu de renvoyer
Mme X,
M.
Y
et
Mme
Z
des
fins
de
la
poursuite
en
ce
qui
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concerne la commission de l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-4 puis
L. 131-9 du code des juridictions financières.
Sur l’engagement d’une dépense sans en avoir le pouvoir ou sans
avoir reçu délégation à cet effet
Sur les textes applicables
114.
L’article L. 313-3 du code des juridictions financières, en vigueur jusqu’au 31 décembre
2022 dispose : «
Toute personne visée à l'article L. 312-1 qui aura engagé des dépenses sans
en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet sera passible de
l'amende prévue à l'article L. 313-1
».
L’article L. 131-13 du code des juridictions financières,
en vigueur depuis le 1
er
janvier 2023 dispose : «
Tout justiciable au sens de l'article L. 131-
1 est passible de l'amende prévue au deuxième alinéa de l'article L. 131-16 lorsqu'il : …/… 3°
Engage une dépense, sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation à cet effet
».
115.
Il résulte des articles 11 du décret du 30 décembre 2005, puis 21 du décret du 25 mars
2016 et, désormais de l’article R. 2121-1 du code de la commande publique, comme des
guides des achats de la société France Médias Monde qu’«
il est formellement interdit de
procéder à des scissions artificielles du marché ayant pour but de diminuer le montant des
besoins pour se soustraire aux règles de mise en concurrence. Il est donc nécessaire de veiller
à anticiper les achats afin d’éviter de se mettre en irrégularité, en tenant compte des achats
appartenant à une même unité fonctionnelle
».
Sur les faits et les poursuites
116.
Sur le fondement des articles L. 313-3 puis L. 131-13 du code des juridictions
financières,
le
procureur
général
fait
grief
à
M.
C,
à
Mme
Z
et
à
M.
A
d’avoir procédé à des achats sans en avoir le pouvoir, en 2016 pour le premier, de 2016 à
2019, pour la deuxième, en 2016 pour le troisième.
Sur l’existence de délégations
117.
Il est établi et non contesté que des délégations ont été accordées à M. C par
décision du 27 juin 2017, puis du 3 octobre 2018, dans la limite de 50 000 €, à
Mme Z,
par
décision
du
16 mai
2017,
dans
la
limite
de
25 000 €.
Mme
Z
dispose également depuis 2012 d’une délégation de pouvoir l’autorisant à signer tout contrat
relatif au personnel dont la rémunération est inférieure à 70 000 €.
118.
Par ailleurs, il est allégué que des délégations ont été paramétrées dans le progiciel
SAGE dans la limite de 100 000 € pour M. C, depuis le 15 février 2016, date à laquelle
il a pris ses fonctions en succession de M. BD…, et de 30 000 € pour Mme Z.
Mme Z fait au surplus valoir que, comme directeur, cadre dirigeant, membre du
COMEX, elle n’avait pas besoin de disposer d’une délégation pour son domaine de
compétence.
119.
L’examen des documents extraits de SAGE et joints au dossier montrent assez que
les trois personnes renvoyées respectaient les plafonds de délégation susmentionnés et qu’en
cas de dépassement un agent disposant d’une habilitation supérieure à la leur signait les
ordres d’achat.
120.
Les personnes renvoyées invoquent à juste titre le droit des sociétés qui permet qu’une
délégation soit verbale, voire tacite, pour les cadres dirigeants. Dans le cas présent,
il ressort
suffisamment des éléments recueillis et, notamment, des comptes rendus du comité d’audit et
du conseil d’administration relatifs à la réforme du dispositif de délégation que le dispositif
antérieur était connu et appliqué et que le paramétrage de SAGE était notoire et accepté.
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121.
Il en résulte que, jusqu’à la mise en place réelle du nouveau système formalisé de
délégation en 2017, M. C disposait d’une délégation sous le plafond de 100 000 €,
Mme Z et M. A, de 30 000 €.
Sur le respect du contradictoire et des droits de la défense
122.
Mme
Z
et
M.
A
objectent
que
le
grief
qui
leur
est
fait,
sur
le
fondement des articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions financières d’avoir
procédé à des achats sans en avoir le pouvoir a été formulé pour la première fois dans la
décision de renvoi du procureur général. Cette situation, qui ne leur a pas permis de faire valoir
des moyens en cours d’instruction, viole, selon eux, le principe du contradictoire et les droits
de la défense.
123.
Le réquisitoire vise, pour ce qui concerne les achats de la société France Médias
Monde, les infractions prévues par les articles L. 313-4 et L. 313-6 puis L. 131-9 et L. 131-12
du code des juridictions financières. La décision de renvoi se réfère aux articles L. 313-3 puis
L. 131-13 du même code.
Cependant
,
le procureur général est en droit, au vu des éléments
de l’instruction portant, ainsi qu’en disposent les articles L. 142-1-4 et R. 142-2-2 du code des
juridictions financières, sur les faits et les pièces figurant au réquisitoire, de modifier, dans sa
décision de renvoi devant la Cour, la qualification des irrégularités initialement retenues dans
son réquisitoire ; ces griefs ont été communiqués à Mme Z et à M. A qui
ont été à même de présenter leurs observations. Il y a donc lieu d’écarter la violation alléguée
des droits de la défense et du principe du contradictoire.
Au surplus, la question de
l’habilitation de la mise en cause à engager des commandes a été posée à Mme Z
dans le questionnaire qui lui a été adressé le 22 juin 2022 et elle y a répondu le 9 septembre
2022. Dès lors, il n’apparaît pas que le principe du contradictoire ni les droits de la défense
aient été méconnus.
En ce qui concerne M. A
124.
M. A ayant fait valoir pour sa défense que les dépenses litigieuses avaient en
réalité été engagées par son supérieur hiérarchique, le ministère public en a convenu lors de
l’audience publique et a indiqué abandonner les poursuites à son encontre.
Il n’y a donc pas
lieu d’engager la responsabilité de M. A sur le fondement de l’article L. 131-13
du code des juridictions financières.
En ce qui concerne M. C
125.
Les manquements reprochés à M. C portent sur des commandes qu’il a
explicitement passées, pour un total de 215 815 €, soit 180 850 € en 2016 et 2017 à 5CO et
34 965 € en 2016 à Um et, à hauteur de 1 359 232 €, sur des commandes effectuées en 2016
au bénéfice de la direction des environnements numériques, même si le nom de M. C
n’apparaît pas explicitement.
Les moyens de M. C
126.
Outre l’existence de délégations et la question de procédure examinées ci-avant,
M. C invoque le principe de la personnalité des peines pour exclure que sa
responsabilité puisse être mise en jeu du fait de commandes qu’il n’a pas signées lui-même,
ce d’autant plus que l’instruction n’a pas établi qu’il aurait donné l’ordre de les engager. Il fait
valoir que les règles de signatures alors applicables n’impliquaient pas une centralisation des
commandes par le directeur et qu’il existait au sein des directions opérationnelles de multiples
délégataires. Il demande également que sa responsabilité ne soit pas engagée du fait des
commandes de régularisation pour lesquelles il était seulement « l’acheteur » et qu’il n’a
jamais signées.
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127.
M. C souligne, par ailleurs, que les commandes passées en 2016 sont
inférieures au seuil de 100 000 € pour lequel il avait délégation. Pour 2017, 5 des 6
commandes en cause sont inférieures à 50 000 €, seuil pour lequel il avait délégation et la
septième, supérieure à 50 000 € a été signée par M. Y. La commande Presta
externe LD… du 4 juillet 2017 pour 86 400 € correspondait à 6 factures de 8 800 € à 17 600 €.
La commande Presta externe GE… du 4 juillet 2017 pour 61 128 € correspondait à 6 factures
de 7 641 € à 12 452 €. De plus, ces commandes ont été passées 7 jours après l’abaissement
du seuil de la délégation de 100 000 € à 50 000 €, délai nécessaire au re-paramétrage de
SAGE.
128.
Subsidiairement, M. C demande à être dispensé de peine, aux motifs que la
situation a, en tout état, de cause été régularisée en 2017, que les dépenses en cause n’ont
causé aucun préjudice, qu’il n’y a pas eu réitération, qu’il avait une délégation même non
formalisée, que l’infraction est bénigne, que les commandes ont été avalisées, que, nouveau
directeur, il n’avait aucune compétence juridique en matière de commande publique, qu’il était
de bonne foi, qu’il s’est tout entier consacré à sa mission principale.
Sur les moyens de M. C
129.
Ainsi qu’il a été dit ci-avant, il est suffisamment établi que M. C disposait d’une
délégation pour engager des achats sous le plafond de 100 000 €, jusqu’au 27 juin 2017 et de
50 000 €, à compter de cette date.
130.
Jusqu’à la mise en place du nouveau dispositif en 2017, existait un guide d’achat, qui
fait reposer la commande sur l’ « acheteur ». Les états de commandes produits mentionnent
bien M. C comme acheteur. Aucune délégation de M. C à des agents de sa
direction n’a été produite.
131.
A compter de la mise en place du nouveau dispositif, en 2017, seules les personnes
dûment habilitées par une délégation revêtue de la signature de la présidente directrice
générale ou du directeur général délégué peuvent engager l’entreprise. Il n’est pas établi que
d’autres personnes que M. C aient été habilitées pour le périmètre de sa direction. Il
est donc responsable de l’ensemble des engagements. Au surplus, lors de la mise en place
du nouveau dispositif, en 2017, M. C n’a pas souhaité établir des délégations de
signature en deçà de la sienne.
132.
Il s’en déduit que c’est à bon droit que la décision de renvoi fait reposer la responsabilité
des commandes en cause sur M. C.
133.
Il est constant que le montant unitaire des commandes passées par M. C est
resté, en 2016, sous le montant de son habilitation. Quelques cas de commandes au-delà de
ce montant ont été relevées au cours des années suivantes mais elles ont, alors, été validées
par M. Y, dûment habilité. Des commandes de régularisations en dépassement de
sa compétence ont pu également être relevées, pour lesquelles cependant n’existent pas de
circuit de signature (commande 5CG… 009100 du 12 juillet 2017, pour 54 740 €).
134.
Toutefois, conformément aux principes et aux textes régissant la commande publique,
rappelés ci-avant et aux guides des achats de la société France Médias Monde, «
il est
formellement interdit de procéder à des scissions artificielles du marché ayant pour but de
diminuer le montant des besoins pour se soustraire aux règles de mise en concurrence. Il est
donc nécessaire de veiller à anticiper les achats afin d’éviter de se mettre en irrégularité, en
tenant compte des achats appartenant à une même unité fonctionnelle
». Il y a donc lieu, pour
apprécier le respect des seuils de délégation de procéder à l’addition des commandes passées
simultanément à un même fournisseur pour des prestations homogènes.
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135.
En conséquence, M. C a excédé les limites de sa délégation dès lors que les
commandes à un même fournisseur sur une même année ont excédé 100 000 € en 2016 et
50 000 € pour les années suivantes.
136.
Le tableau suivant établit ces dépassements :
5CG…
PL…
US…
AA…
NI…
AE…
CS...
ES…
DN…
IS…
SS…
Total/année
137.
Il résulte de ce qui précède que M. C a engagé des dépenses sans en avoir
le pouvoir ou sans avoir reçu délégation à cet effet et, donc, commis l’infraction prévue
et réprimée par les articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions
financières.
138.
Les moyens subsidiaires invoqués par M. C ne justifient pas une dispense de
peine. C’est à tort notamment qu’il évoque une régularisation à partir de 2017, les opérations
litigieuses ayant été menées à leur terme. De même, le code des juridictions financières ne
subordonne pas le constat de l’infraction à l’existence d’un préjudice. Les circonstances ne
seront pas non plus retenues comme atténuatives de sa responsabilité, en ce que la
préoccupation d’une meilleure formalisation des délégations au sein de la société France
Médias Monde était constante et notoire au sein des instances dirigeantes de la société France
Médias Monde, comme l’était l’amélioration des procédures d’achat et le respect de la
computation des commandes cumulables.
En ce qui concerne Mme Z
139.
La décision de renvoi fait grief à Mme Z d’avoir commandé des prestations
d’intérim à la société WS… pour 181 034,81 €, au cours des années 2016 à 2018, et à la
société HF… pour 121 371,14 €, au cours des années 2017 à 2019, sans disposer de
délégation pour ce faire.
Les moyens de Mme Z
140.
Outre l’existence de délégations et la question de procédure examinées ci-avant,
Mme Z fait valoir que le dépassement du plafond de sa délégation après 2017, est
dû au délai de mise à jour du logiciel SAGE. Elle fait valoir, comme circonstances
exonératoires ou atténuantes, les délais de mise à jour de ce logiciel, l’ancienneté de la
pratique, les régularisations intervenues, l’absence de préjudice financier, l’importance des
défis auxquels la société France Médias Monde était confrontée, (fusion, nouveau système
informatique, assassinat de journaliste en 2013), l’engagement de la réforme en 2013, les
améliorations constantes et les difficultés à obtenir les moyens financiers nécessaires.
Sur les moyens de Mme Z
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141.
Ainsi qu’il a été dit ci-avant, il est suffisamment établi que Mme Z disposait
jusqu’au 16 mai 2017 d’une délégation lui permettant d’engager des achats jusqu’à 30 000 €,
puis 25 000 € à compter de cette date ; qu’elle disposait également d’une délégation pour
«
négocier, en ce compris la rémunération, établir et signer tout contrat de travail pour le
personnel ainsi que tout avenant auxdits contrats dont la rémunération est inférieure à 70 000
€
», cette dernière délégation ne pouvant s’appliquer aux contrats de prestations de service ici
en cause.
142.
En ce qui concerne les achats à la société WS…, peuvent être relevées deux
commandes pour lesquelles Mme Z est « acheteur » et qui dépassent le plafond de
son habilitation (gestionnaire paie pour juillet et août 2017 : 30 076,03 € et pour septembre et
octobre 2017 : 27 964,19 €). De plus, des renforts d’intérimaires pour la gestion de la paye ont
également été commandés le 25 juillet 2017, pour 15 592,50 €, le 16 juin 2017, pour
1 015,08 €.
143.
Il est donc suffisamment établi que, en 2017, Mme Z a passé commande à
WS…, à deux reprises, au-delà de son plafond d’habilitation ; qu’ainsi elle a engagé des
dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet,
infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions
financières.
144.
En ce qui concerne les achats à la société HF…, peuvent être relevées en 2018, deux
commandes du 5 juillet pour 26 241 € et du 27 juin pour 30 001,18 €. Il est suffisamment établi
que, en 2018, Mme Z a passé commande à la société HF…, à deux reprises, au-
delà de son plafond d’habilitation ; qu’ainsi elle a engagé des dépenses sans en avoir le
pouvoir ou sans avoir reçu délégation de
signature à cet effet, infraction prévue et réprimée
par les articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions financières.
145.
Par ailleurs, conformément aux principes et aux textes régissant la commande
publique, rappelés ci-avant et aux guides des achats de la société France Médias Monde, «
il
est formellement interdit de procéder à des scissions artificielles du marché ayant pour but de
diminuer le montant des besoins pour se soustraire aux règles de mise en concurrence. Il est
donc nécessaire de veiller à anticiper les achats afin d’éviter de se mettre en irrégularité, en
tenant compte des achats appartenant à une même unité fonctionnelle
». Il y a donc lieu, pour
apprécier le respect des seuils de délégation de procéder à l’addition des commandes passées
simultanément à un même fournisseur pour des prestations homogènes, qui auraient pu faire
l’objet d’un marché pluriannuel.
146.
C’est ainsi à bon droit que la décision de renvoi cumule les montants en cause,
desquels il résulte que
Mme Z a engagé des dépenses sans en avoir le pouvoir
ou sans avoir reçu délégation de signature à cet effet, infraction prévue et réprimée par
les articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions financières, en procédant
à des achats à la société WS… au-delà de son plafond d’habilitation en 2017 et 2018 et
à la société HF… en 2018.
147.
Le délai de mise à jour de SAGE consécutive aux délégations de 2017, est sans
incidence sur la responsabilité de Mme Z, n’étant que la traduction informatique d’un
dispositif de délégation qui doit exister et être appliqué indépendamment de son état
technique. Au surplus, la commande à WS… de 30 076,03 € en 2017 et celle à HF… de
30 001,18 € en 2018 excèdent la précédente habilitation de Mme Z.
148.
Enfin, Mme Z ne peut utilement alléguer d’un pouvoir général qu’elle aurait
tenu de ses fonctions dès lors qu’un dispositif de délégation spécifique avait été mis en place
au sein de la société.
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Sur des achats irréguliers ayant causé un préjudice financier
significatif à la société France médias monde
Sur les textes applicables
149.
Les poursuites sur ce point sont fondées sur les articles L. 313-4 puis L.131-9 du code
des juridictions financières. Compte tenu de l’évolution intervenue au 1
er
janvier 2023 et du
principe de l’application de la loi pénale répressive la plus douce, cette infraction, pour la date
des faits, est constituée par la commission d’une infraction aux règles relatives à l'exécution
des recettes et des dépenses de l'Etat ou des collectivités, établissements et organismes ou
à la gestion des biens leur appartenant ou, pour ceux qui en exercent la tutelle par
l’approbation donnée aux décisions incriminées, dès lors que cette infraction aux règles
constitue une faute grave et ayant causé un préjudice financier significatif. Le caractère
significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du
budget de l'entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable.
150.
Il résulte des articles 11 du décret du 30 décembre 2005, puis 21 du décret du 25 mars
2016 et, désormais de l’article R. 2121-1 du code de la commande publique, comme des
guides des achats de France Médias Monde qu’«
il est formellement interdit de procéder à des
scissions artificielles du marché ayant pour but de diminuer le montant des besoins pour se
soustraire aux règles de mise en concurrence. Il est donc nécessaire de veiller à anticiper les
achats afin d’éviter de se mettre en irrégularité, en tenant compte des achats appartenant à
une même unité fonctionnelle
».
151.
Les seuils de publicité et de mise en concurrence formalisée sont de 207 000 €HT
jusqu’au 1
er
janvier 2016, de 209 000 €HT du 1
er
janvier 2016 au 1
er
janvier 2018, de
221 000 €HT à compter de cette date.
En deçà du seuil de mise en concurrence formalisé et
à compter de 90 000 €HT, une procédure de mise en concurrence adaptée doit être mise en
œuvre.
152.
Il résulte de l’article 15 du décret du 25 mars 2016, entre le 1
er
avril 2016 et le 31 mars
2019, et des termes de l’article R. 2112-1 du code de la commande publique depuis cette
dernière date, que les marchés dont le montant est supérieur à 25 000 € doivent être conclus
en forme écrite.
Sur les faits et les poursuites
En ce qui concerne la faute grave
153.
Considérant qu’il est établi et non contesté que les règles de la commande publique
s’appliquent à la société France Médias Monde, la décision de renvoi relève qu’il appartenait
à la société France Médias Monde de passer pour des achats répétitifs, après avoir estimé
ses besoins, des accords-cadres dont la durée maximale est de 4 ans, soumis à une procédure
formalisée de publicité et de mise en concurrence pour les commandes d’un montant total sur
4 ans de 19 121 283 €, passées à diverses entreprises, désignées dans la décision de renvoi.
Elle relève, de même, qu’auraient dû faire l’objet d’une procédure de mise en concurrence
adaptée les commandes d’un montant total sur 4 ans de 717 084 €, passées à diverses
entreprises, dénommées dans la décision de renvoi. Elle estime également que diverses
commandes homogènes auraient dû être regroupées en une prestation unique, sans les
scinder entre fournisseurs.
154.
La décision de renvoi relève, de même, que les achats effectués aux sociétés TO… en
2016 (396 928 €), SE… en 2017 (6 591 €), DR… (98 469 €) et TG… (245 190 €) en 2018 et
WP… en 2016 (129 099 €), 2017 (133 097 €), 2018 (96 467 €) et 2019 (149 974 €) auraient
dû être faire l’objet de commandes en forme écrite et ne l’ont point été. Elle relève enfin que
les achats signalés ci-avant comme ayant dû faire l’objet d’une procédure de passation
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formalisée ou adaptée auraient également dû être soumis pour avis à la commission interne
des marchés de la société France Médias Monde, et ne l’ont point été.
155.
Le procureur général conclut que l’ensemble des violations répétées mentionnées ci-
avant caractérise une faute grave de gestion et en fait porter la responsabilité à
Mme X,
comme
présidente
directrice
générale,
et
à
M.
Y,
comme
directeur général délégué, chargé du pôle ressources.
En ce qui concerne le préjudice
Sur son évaluation
156.
Pour évaluer le préjudice causé par ces violations des règles de l’achat public, la
décision de renvoi compare les prix payés sans marché avec ceux obtenus ultérieurement sur
des prestations estimées identiques dans le cadre de marchés publics.
157.
Pour ce qui est des prestations numériques, la décision de renvoi estime le trop payé
cumulé pour les 3 années 2016, 2017 et 2018 entre 636 718 € et 955 076 €. Pour ce qui est
des équipements radio de la DTSI, la décision de renvoi estime le trop payé à la société DT...
à 125 510 € sur 2016 et 2017 cumulés. De même le trop-payé à la société TG est estimé à
300 000 € pour les années 2016 à 2018 cumulées. Pour ce qui est des autres prestations, le
trop payé à la société GE… est estimé à 38 450 €, sur l’année. Les locations de véhicules à
la société LE… sont, depuis la conclusion d’un marché, d’un coût quadriennal inférieur de 235
500 €.
158.
Le total de ces montants que la passation de marchés eût permis à la société France
Médias Monde d’économiser est évalué par la décision de renvoi à 475 750 € en 2016,
563 677 € en 2017, 546 621,75 € en 2018 et 68 487,50 € en 2019, pour un total sur ces
4 exercices de 1 654 536 €. Ce surcoût aurait été causé par l’absence de formalisation par
écrit des commandes, l’absence d’avis de la commission interne des marchés, et de façon
générale par les défaillances du contrôle interne.
159.
La décision de renvoi considère, sur le fondement de documents internes à la société
France Médias Monde que d’autres économies, qui ne sont pas mesurables auraient pu être
réalisées. Le comité d’audit estime à 365 000 € en année pleine les gains réalisés pour 13
marchés mis en concurrence en 2018. Sur 77 marchés passés entre septembre 2020 et
septembre 2021, le rapport d’analyse de la performance économique estime ces gains, à
985 385 € en base annuelle, soit 6,89 % des montants en cause.
Sur son caractère significatif
160.
La décision de renvoi convient que le préjudice est restreint au regard du chiffre
d’affaire de la société : 258 M€ en 2016, 266 M€ en 2017, 272 M€ en 2018, 273 M€ en 2019,
264 M€ en 2020, 265 M€ en 2021. Elle souligne néanmoins que le préjudice reste significatif
en valeur absolue, au surplus s’agissant d’une entreprise dont l’équilibre financier était
précaire et conditionné par des subventions annuelles comprises entre 1,5 M€ et 2 M€ entre
2016 et 2018. Elle relève que ce préjudice est également important au regard des achats et
charges externes de la société (97,7 M€ par an) et que le contrat d’objectifs et de moyens de
la société (COM) prévoyait un effort particulier sur le processus d’achats.
Les moyens de Mme X et M. Y
161.
Les
moyens
de
Mme
X
et
M.
Y,
semblables,
portent
sur
le
préjudice et sur les circonstances de leur action.
En ce qui concerne l’appréciation du préjudice
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162.
Les défendeurs rappellent, à titre liminaire, que l’article L.131-9 du code des juridictions
financières dispose que «
Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant
compte de son montant au regard du budget de l'entité ou du service relevant de la
responsabilité du justiciable
». Ils en déduisent qu’il convient, en premier lieu de caractériser
et d’estimer le préjudice, puis de le rapprocher du budget ou du chiffre d’affaire ou des charges
d’exploitation de l’entité.
163.
Ils contestent, tout d’abord, la généralisation faite par le parquet pour estimer le
préjudice à partir de quelques évaluations. Ils soutiennent que le préjudice financier doit être
prouvé pour chaque manquement et qu’il ne suffit pas de prouver qu’un préjudice financier
existe pour un marché pour en déduire que ce préjudice est caractérisé pour tous les marchés
avec le même type de prestation. Ils constatent que 19 fournisseurs sont identifiés dans la
décision de renvoi mais que tous ne sont pas repris lors de l’évaluation du préjudice financier.
Ils contestent donc les extrapolations du parquet général aux commandes passées avec les
19 fournisseurs pour lesquels la décision de renvoi n’établit pas de surcoût chiffré individualisé.
164.
Ils soutiennent que la conformité aux règles de la commande publique ne se traduit
pas systématiquement par des économies réalisées et font valoir que la société France Médias
Monde a toujours procédé à des consultations informelles, à des recherches du meilleur prix
pour des prestations optimales, en dépit de la faiblesse des moyens de la fonction achats. Ils
contestent ensuite la comparaison des prix des achats réalisés sans appel à la concurrence
ou sans contrat écrit avec ceux des achats réalisés dans le cadre de marchés en la forme ou
après mise en concurrence, dans la mesure où les périodes de référence, au cours desquelles
les prix ont pu varier, ne sont pas les mêmes. Ils font valoir que la société France Médias
Monde a mis en place une stratégie d’achat, en mutualisant ses besoins, ce qui a permis
d’obtenir des prix plus attractifs et soulignent que la méthode retenue pour évaluer le préjudice
ne repose sur aucun fondement textuel ou jurisprudentiel. En se référant à l’arrêt
Alpexpo
de
la Cour d’appel financière, ils font valoir qu’il ne peut y avoir de préjudice financier dès lors que
les prestations ont bien été exécutées. S’agissant des marchés de prestations numériques, ils
indiquent qu’une mise en concurrence existait sous la forme de consultations informelles,
qu’une procédure adaptée a été mise en place à compter de 2018 avant de recourir à un
accord cadre en 2019.
165.
Les défendeurs font également valoir que l’exemple de la société 5CG…, cité dans la
décision de renvoi, n’est pas pertinent pour démontrer un préjudice. Cette décision compare
les prix réalisés au cours de la période échue avec la moyenne des prix journaliers plafonds
remis par les attributaires alors que les prix journaliers sont différents selon les profils et les
types de prestation, le prix moyen n’étant qu’une méthode de classement des offres. La
comparaison sur le montant total payé après et avant l’accord cadre ne peut être retenue. La
baisse des prix s’explique également en l’espèce par des différences de qualification des
prestations.
166.
Ils contestent la méthode par extrapolation, pratiquée par le ministère public, aux motifs
que le préjudice doit être calculé marché par marché et que, quand bien même un éventuel
différentiel serait déterminé sur la société 5CG…, on ne saurait en tirer un pourcentage
applicable aux autres commandes. Ils font valoir qu’aucun préjudice n’a été établi par
l’instruction pour les marchés PL…, US…, AA…, NI…, AE…, CS…, ES…, DN…, IS…, SS….
Ils demandent enfin que le montant des prestations payés à la société 5CG de 2016 à 2018
soit corrigé comme s’élevant à 2 282 077 € et non 6 357 175 €.
167.
Pour ce qui est des marchés d’équipements radio TV de la DTSI, passés avec
l’entreprise DT…, ils soulignent que les prestations comparées sont totalement différentes et
que les marchés initiaux avaient été passés selon une procédure formalisée.
168.
En ce qui concerne la société TG…, ils affirment que l’économie réalisée ne tient pas
à la procédure, mais à l’effet volume consécutif à un groupement d’achat avec France
télévision.
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169.
Pour ce qui est de la société GE…, ils font valoir que l’essentiel de l’économie provient
du fait que la société France Médias Monde a substitué des abonnements numériques à des
abonnements papiers et réduit le nombre total d’abonnements.
170.
Pour ce qui est de LN…, Mme X et M. Y font valoir que la mise
en place de ce contrat de location, entretien, carburant de la flotte de véhicules de la société
France Médias Monde a été progressive pour laisser s’éteindre les contrats en cours et ne pas
avoir à payer de pénalités. Ils relèvent que la décision de renvoi compare la moyenne des
sommes payées annuellement à la société LN… au montant estimé du marché sur 4 ans entre
2018 et 2021. Ils soulignent de plus que le montant estimatif était erroné ; qu’il aurait dû être
de 705 528 €, comme l’indique d’ailleurs la décision de renvoi, et non de 470 000 €.
171.
Ils font valoir que l’estimation demandée aux soumissionnaires portait sur des
véhicules sans options et que la consommation en carburant avait été estimée par la société
France Médias Monde pour assurer une bonne comparabilité des offres ; qu’il en résulte que
l’on ne peut comparer les prix proposés par les candidats avec les coûts réels de la période
antérieure ; que, seule, peut être comparée la remise conducteur passée de 23,45 % avant
2021 à 21,90 % en 2021, ce qui montre bien que la société France Médias Monde négociait
ses prix.
172.
Ils font valoir, de même, que les prestations ne sont pas similaires d’année en année
et que le nombre de véhicules loués, la gamme et les options de véhicules, le volume des
remises en état facturées à l’échéance du contrat varient. Ils soulignent enfin l’effort de rigueur
de la société France Médias Monde (diminution du nombre de véhicules à disposition du
comex, baisse de la gamme des véhicules loués pour les directeurs). Ils concluent à l’absence
de préjudice établi.
En ce qui concerne le caractère significatif du préjudice
173.
Mme
X
et
M.
Y
contestent
ensuite
le
caractère
significatif
du
préjudice. Ils font valoir que le référentiel doit être le chiffre d’affaire. La subvention retenue
par le parquet général n’est, au demeurant, pas la seule subvention publique et encore moins
la seule ressource publique de la société France Médias Monde. Le résultat ou l’équilibre
précaire n’est pas pertinent puisque l’objectif de gestion de la société France Médias Monde
est d’atteindre l’équilibre et non de dégager des bénéfices. Au demeurant la société France
Médias Monde, qui augmente ses capitaux propres, n’est pas en situation d’équilibre précaire.
Ils estiment que le procureur général ne peut massifier les préjudices et qu’il doit prouver pour
chaque préjudice qu’il est significatif. Ils contestent de même la mise en regard du cumul de
coûts ou d’économies sur plusieurs années avec des données annuelles. Ils relèvent que, le
préjudice estimé par le procureur général, qui représente 0,32 % de la dotation publique et
0,84 % des achats, est minime.
En ce qui concerne les circonstances exonératoires ou atténuantes
174.
Mme
X
et
M.
Y
font
valoir
que
la
pratique
était
ancienne ;
que
la
société France Médias Monde était confrontée à d’importants défis, (fusion, nouveau système
informatique, assassinat de journaliste en 2013) ; qu’une réforme a été engagée dès 2013 ;
que le dispositif a été constamment amélioré sur la période ; que la société France Médias
Monde a éprouvé des difficultés pour obtenir les moyens financiers nécessaires.
Sur les moyens de Mme X et M. Y
En ce qui concerne les contestations des analyses des achats retenus par la décision
de renvoi
Sur les prestations numériques
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175.
La décision de renvoi se fonde sur l’analyse du marché 5CG… pour estimer que les
coûts après marchés sont de 10 à 15 % inférieurs à ce qu’ils étaient avant marchés.
176.
Cette analyse retient comme prix du marché une moyenne des prix journaliers plafonds
remis par les soumissionnaires. Ces prix sont différents selon les profils des intervenants et
les types de prestations. Le prix moyen, retenu comme critère de classement, n’est pas
nécessairement pertinent, en l’absence d’une évaluation des besoins pour chaque prestation.
Le coût réel varie selon les commandes effectivement passées. La comparaison d’une
évaluation
ex ante
à un prix
ex post
n’est pas non plus pertinente. Par ailleurs, un système
informatique étant moins coûteux à soutenir en régime de croisière qu’en développement, les
prestations sont moins chères. Il convient au surplus de faire droit à la demande des
défendeurs et de dire que le montant des achats pour les années 2016 à 2018 s’élève, ainsi
que l’établit l’instruction à 2 282 077 €.
177.
Il en résulte, comme le soutiennent les défendeurs, que l’analyse des achats 5CG…
ne permet pas de conclure avec une certitude suffisante que la baisse des prix observée pour
les marchés postérieurs aux marchés en cause serait due à la formalisation des procédures
et en donnerait une évaluation fiable.
Sur les équipements radio TV DTSI
178.
En ce qui concerne la société DT…, les prestations objets des marchés retenus à titre
de comparaison sont différentes de celles de la période antérieure, alors confiées, au
demeurant après une procédure formalisée, à HE… et BS….
En ce qui concerne les achats
à TG…, il est suffisamment établi que la baisse des coûts tient à un effet volume,
principalement sur la zone UE, la société France Médias Monde ayant créé un groupement
d’achat avec France télévision. Pour ces deux prestataires, il ne peut être conclu que les
procédures de passation avaient induit un préjudice financier évaluable.
Sur GE…
179.
Il est suffisamment établi que la baisse du coût tient à la diminution du nombre
d’abonnement et à la substitution d’abonnements électroniques à des abonnements papier.
Sur LN…
180.
Contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, le montant estimé de l’accord-
cadre conclu en 2022 s’élève bien à 470 000 €. Cette estimation repose sur les
consommations de 2018 à 2021, ou réputées telles, telles qu’elles apparaissent sur la fiche
analytique des offres. Si cette estimation est effectivement inférieure de 235 000 € aux
dépenses de la période 2016-2019, elle ne permet pas d’en déduire un préjudice qui résulterait
de la méconnaissance, sur la période antérieure, des règles de la commande publique. Les
offres de l’accord cadre sont établies sur des véhicules sans option et avec une consommation
théorique fixée par la société France Médias Monde pour permettre une meilleure
comparabilité des propositions. Il en résulte que l’on ne peut comparer de façon pertinente ces
données théoriques avec les consommations réelles de la période antérieure. Cette
comparaison est d’autant moins pertinente qu’ainsi que le font valoir les défendeurs, la société
France Médias Monde a réduit son parc et le niveau de gamme des véhicules par rapport à la
période antérieure.
En ce qui concerne la contestation de la méthode par extrapolation
181.
Le principe même d’une extrapolation de constats sur un marché à tout ou partie de
l’ensemble des marchés conclus par la société France Médias Monde pour déterminer un
préjudice est contestable et cela d’autant plus que les contrôles d’achats sur lesquels cette
extrapolation repose sont peu sûrs et prêtent à contestation.
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182.
Il résulte de ce qui précède que si les manquements relevés par le ministère
public au respect des règles de la commande publique constituent des fautes graves,
le préjudice qui en résulterait n’a pas été établi de façon certaine. Sans qu’il soit
nécessaire d’examiner son caractère significatif, il y a lieu de relaxer Mme X
et M. Y des fins des poursuites
Sur la faute grave ayant entraîné un préjudice financier significatif à
la société France Médias Monde par des agissements
manifestement incompatibles avec ses intérêts
Sur le texte applicable
183.
Le ministère public fonde ses griefs sur les articles L. 313-7-1 puis L. 131-10 du code
des juridictions financières, aux termes desquels, en retenant les dispositions les plus douces,
le justiciable de la Cour occupant un emploi de direction au sein de l'un des organismes de la
compétence de la Cour qui, dans l'exercice de ses fonctions, cause à cet organisme un
préjudice financier significatif au sens de l'article L. 131-9, par des agissements manifestement
incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences graves dans les contrôles qui lui
incombaient ou par des omissions ou négligences répétées dans son rôle de direction est
passible des sanctions prévues à la section 3.
Sur les faits et les poursuites
184.
Les faits sont repris des griefs précédemment examinés : méconnaissance des
prérogatives du CGEFI, méconnaissance des prérogatives du conseil d’administration,
réintégration de M. TL…, en raison d’un défaut de surveillance et de l’approbation des actes
de cette affaire, méconnaissance délibérée et répétée des règles de la commande publique,
achat sans publicité ni mise en concurrence, ayant entraîné un préjudice, défaut de
surveillance de la bonne application du guide des achats, défaut de mise en œuvre de
l’organisation et de l’outil informatique, défaut de formalisation des délégations, non prise en
compte des alertes et recommandations des organes de contrôle externe (IGF et CGEFI).
185.
La
décision
de
renvoi
fait
grief
à
Mme
X
et
à
M.
Y,
au
titre
de
leur qualité de décideur dans les domaines concernés par les manquements, d’avoir manqué
à leur devoir d’organisation des services ainsi qu’à leur devoir de surveillance de leurs
subordonnés, et d’être, par négligences ou omissions répétées, responsables des faits en
cause.
186.
Selon la décision de renvoi, ces faits ont, pris dans leur ensemble, causé un préjudice
financier significatif à la société France Médias Monde, constitué par les défauts en matière
de commande publique, pour 1,66 M€, et par le coût de la rupture conventionnelle de M. TL…,
pour 136 000 €. Ce préjudice financier est estimé significatif en valeur absolue, s’agissant au
surplus d’une entreprise à l’équilibre financier précaire et bénéficiant de subventions publiques
annuelles de 1,5 à 2 M€.
Les moyens de Mme X et M. Y
187.
Sous
réserve
des
délégations
de
pouvoirs
consenties
invoquées
par
Mme X,
les
moyens
invoqués
par
Mme
X
et
M.
Y
sont
semblables.
188.
Mme
X
fait
valoir
qu’elle
a
délégué
ses
pouvoirs
à
Mme
Z,
en
matière
de
ressources
humaines,
jusqu’à
70 000
€,
à
M.
Y,
en
matière
de
ressources humaines pour les décisions au-dessus de 70 000 €, en matière d’achat jusqu’à
4 M€. Elle estime, en conséquence, que sa mise en cause méconnaît le principe pénal
d’individualisation des peines dès lors que, pour la plupart des manquements, elle n’apparaît
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pas dans les dossiers. Elle ne signe pas les contrats de travail, ne participe pas aux échanges
avec le CGEFI, ne signe pas les marchés, n’est pas présente à la commission interne des
marchés. Elle n’est pas impliquée dans les tâches quotidiennes. Mme X observe
sur ce point que dans le dossier France TV, devant la Cour de discipline budgétaire et
financière, n’étaient poursuivis que les directeurs et le directeur général délégué. Elle conteste
ainsi avoir commis une ou des fautes graves et avoir causé un ou des préjudices financiers
significatifs.
189.
En ce qui concerne des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de
France Médias Monde et d’omissions ou négligences répétées dans le rôle de direction, les
défendeurs font valoir que les éléments constitutifs de l’infraction, précis et exigeants, ne sont
pas réunis ; que, par ailleurs, des erreurs ne sont pas nécessairement signes de mauvaise
gestion. Ils contestent que les prérogatives du CGEFI aient été méconnues de façon répétée.
Mme X souligne qu’elle était généralement hors du circuit de saisine du CGEFI
et que lorsque celui-ci la saisissait elle prenait en compte des demandes de ce dernier
M. Y, pour sa part, soutient avoir toujours tenu informé le CGEFI, au moins à l’oral,
et que les manquements allégués ne sont pas caractérisés. Les défendeurs font valoir que la
situation est, au demeurant, désormais, en conformité avec les textes régissant le contrôle
financier.
190.
S’agissant
de
la
méconnaissance
alléguée
des
prérogatives
du
conseil
d’administration, les défendeurs en contestent l’existence. Ils jugent excessivement extensive
la lecture de l’article L. 131-1-2° du code des juridictions financières par le Procureur général
et ils font valoir que le comité d’audit a agi pour le compte du conseil d’administration et que
le CGEFI a rendu un avis. Ils soutiennent que la présentation individualisée des protocoles
transactionnel au conseil n’est pas obligatoire ; que par ailleurs, le cas de Mme GR…, qui
résultait d’un traitement amiable, ne relevait pas du règlement intérieur.
191.
S’agissant du traitement du dossier TL…, les défendeurs soulignent qu’il n’y a pas eu
de faute de gestion, que la solution retenue était la moins coûteuse, qu’elle était fondée en
droit, qu’elle a été soumise au CGEFI et qu’elle était plutôt bon marché comparée aux usages
du secteur de l’audiovisuel. Ils rappellent que le licenciement de l’intéressé aurait été au
contraire une faute grave de gestion.
192.
En ce qui concerne la commande publique, les détendeurs soutiennent que les règles
n’en ont pas été méconnues de façon délibérée et répétée. Mme X indique avoir
toujours fait de ces règles une priorité et avoir commandé, dès sa prise de fonction en 2012,
un audit qui a été suivi d’améliorations régulières aboutissant à la création, en 2017, d’un
service achat. Selon elle, les manquements relevés s’expliquent par des raisons
conjoncturelles (fusion, manque de moyens) et il n’est en aucun cas démontré qu’ils aient été
délibérés. Mme X fait valoir que des consultations informelles étaient organisées
pour assurer une mise en concurrence.
193.
Par ailleurs, les défendeurs soulignent qu’aucune preuve de l’existence d’un préjudice
financier résultant des procédures en cause n’est apportée, qu’il n’est pas non plus démontré
que
Mme X
ait
eu
connaissance
de
l’annexe
9
du
rapport
CGEFI qui, au
demeurant, n’est pas au dossier, qu’il n’est pas davantage démontré que celle-ci ait méconnu
des alertes internes. Ils font valoir que les prestations ont bien été effectuées, que les chiffres
du procureur général sont erronés et que les extrapolations mentionnées dans la décision de
renvoi ne convainquent pas.
194.
Les défendeurs rappellent en outre qu’une procédure de délégation et un contrôle des
engagements de dépenses ont été mis en place, d’abord dans SAGE puis en 2016 par écrit,
réformés en 2017 pour abaisser les seuils.
Ils concluent qu’aucune faute grave de gestion ne
peut leur être reprochée, qu’aucun des griefs invoqués n’est de nature à paraître
manifestement incompatible avec les intérêts de la société France Médias Monde, que ces
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intérêts ont toujours été leur préoccupation première, comme le montre, par exemple, la
diminution des coûts salariaux du COMEX de 169 000€ entre 2013 et 2022.
Sur les moyens de Mme X et M. Y
En ce qui concerne les délégations de Mme X
195.
Il
n’est
pas
contesté
que
Mme
X
a
délégué
ses
pouvoirs
à
Mme Z en matière de ressources humaines jusqu’à 70 000 € et à M. Y en
matière de ressources humaines au-dessus de 70 000 € et en matière d’achats jusqu’à 4 M€.
196.
Si la délégation de pouvoir dégage Mme X de ses responsabilités pour les
matières déléguées et lui interdit de s’immiscer dans les matières déléguées, celle-ci n’a
cependant pas délégué, même dans les domaines concernés par ces délégations, ses
pouvoirs d’organisation et de contrôle du fonctionnement de la société dont elle reste
responsable.
En ce qui concerne les faits reprochés
Sur la méconnaissance des prérogatives du CGEFI
197.
La méconnaissance des prérogatives du CGEFI est établie pour les ruptures de contrat
de travail de M. B..., de M. K..., de Mme BL..., pour le recrutement de M. TF…. Au-delà de ces
cas avérés, la méconnaissance de ses prérogatives, qui apparaît aussi dans diverses
correspondances au dossier, a conduit le CGEFI à en faire le rappel par une note à la
présidente directrice générale le 24 octobre 2017. Le fait que la situation serait aujourd’hui
conforme est sans effet sur ces constats. Il peut donc être admis que la consultation du CGEFI
a été l’objet de négligences ou omissions répétées. Toutefois, ces négligences ou omissions
répétées n’ayant pas causé de préjudice financier significatif à la société France Médias
Monde, l’infraction visée à l’article L. 131-10 du code des juridictions financières n’est pas
constituée.
Sur la méconnaissance des prérogatives du Conseil d’administration (CA)
198.
Cette méconnaissance n’étant relevée que pour un unique exemple (la rupture du
contrat de Mme GR…) sans qu’un préjudice financier significatif y soit imputable, l’infraction
visée à l’article L. 131-10 du code des juridictions financières n’apparaît pas constituée.
Sur le cas de M. TL...
199.
Comme indiqué au point 112, aucune faute n’étant établie, l’infraction n’est pas
constituée.
Sur la méconnaissance des règles de la commande publique
200.
S’il est établi que des marchés ont été passés à diverses reprises en méconnaissance
des règles de la commande publique, ce qui constitue une grave faute de gestion, l’infraction
visée à l’article L. 131-10 du code des juridictions financières n’est pas constituée dès lors que
le préjudice financier en résultant n’a pu être estimé de façon probante.
Sur le défaut de formalisation des délégations
201.
Les délégations, qui dans une société anonyme peuvent être tacites, étaient
notoirement paramétrées dans le logiciel SAGE avant d’être écrites en 2017. Il a été établi que
deux
cadres,
Mme
Z
et
M.
C,
ont
engagé
des
dépenses
au-delà
de
leur
habilitation, le nombre très limité de manquements et l’absence de préjudice financier établi
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ne sauraient caractériser l’infraction visée à l’article L. 131-10 du code des juridictions
financières.
Sur la non-prise en compte des alertes
202.
La
décision
de
renvoi
fait
grief
à
Mme
X
et
M.
Y
de
n’avoir
pas
tenu suffisamment compte des alertes sur les insuffisances des procédures de l’achat public
résultant d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de rapports internes et,
plus généralement, de celles du contrôle général économique et financier (CGEFI), pour ce
qui est, principalement, des mesures relatives au personnel. Les défendeurs contestent ce
constat et affirment que les alertes ont été prises en compte.
203.
Si le détail des alertes internes alléguées n’est pas précisément établi, par la décision
de renvoi, il est constant que la mise en œuvre des réformes consécutives aux alertes de l’IGF
et la prise en compte des prérogatives du CGEFI ont été très lentes. Il a, par exemple fallu 10
ans à la société France Médias Monde pour mener à bien la réforme de sa fonction achats.
En tout état de cause, à défaut qu’un préjudice financier en résultant soit prouvé,
l’infraction n’est pas constituée.
204.
En conclusion, il ressort de ce qui précède que les griefs portés par la décision
de renvoi ne suffisent pas à constituer, quand bien même on regrouperait l’ensemble
des manquements, l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-7-1 puis L. 131-
10 du code des juridictions financières.
Sur les sanctions
Sur les textes applicables
205.
L’article L. 131-16 du code des juridictions financières dispose que : «
La juridiction
peut prononcer à l'encontre du justiciable dont elle a retenu la responsabilité dans la
commission des infractions prévues aux articles L. 131-9 à L. 131-14 une amende d'un
montant maximal égal à six mois de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la
sanction à la date de l'infraction. Toutefois, la commission de l'une des infractions prévues à
l'article L. 131-13 ne peut conduire à prononcer une amende d'un montant supérieur à un mois
de rémunération annuelle de la personne faisant l'objet de la sanction à la date de l'infraction.
Les amendes sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'éventuelle réitération de
pratiques prohibées et le cas échéant à l'importance du préjudice causé à l'organisme. Elles
sont déterminées individuellement pour chaque personne sanctionnée
».
206.
L’article L. 131-19 du code des juridictions financières dispose que : «
En cas de cumul
d'infractions, le montant de l'amende prononcée ne peut excéder le montant de celle encourue
au titre de l'infraction passible de la sanction la plus élevée. La juridiction peut accorder une
dispense de peine, lorsqu'il apparaît que le dommage causé est réparé et que le trouble causé
par l'infraction a cessé
».
Sur les infractions commises
207.
M. Y a commis l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-1 puis
L. 131-13-2, en 2015, en signant la convention transactionnelle de rupture du contrat de travail
de M. B..., en 2019, en signant celle de Mme BL..., en 2018, en recrutant M. A, en
2016 et 2017, en accordant des primes exceptionnelles à Mme Z, en 2016, et
M. LL..., en 2017.
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208.
Mme Z a commis l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-1 puis
L. 131-13-2, en 2016, en signant les conventions transactionnelles de rupture du contrat de
travail de M. K... et de Mme S…. Elle a, de même, commis l’infraction prévue et réprimée par
les articles L. 313-3 puis L. 131-13-3° du code des juridictions financières en engageant des
dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans avoir reçu délégation à cet effet.
209.
M. C a commis l’infraction prévue et réprimée par les articles L. 313-3 puis
L. 131-13-3° du code des juridictions financières en engageant des dépenses sans en avoir le
pouvoir ou sans voir reçu délégation à cet effet.
Sur le montant des amendes
210.
Compte tenu de ses fonctions de directeur général délégué et des éléments de
circonstances examinés ci-avant, il y a lieu de condamner M. Y à une amende de
5 000 €.
211.
Compte tenu de ses fonctions de directrice des ressources humaines et de membre du
COMEX et des éléments de circonstances examinés ci-avant, il y a lieu de condamner Mme Z
à une amende de 2 000 €.
212.
Compte tenu de ses fonctions de direction et de membre du COMEX et des éléments
de circonstances examinés ci-avant, il y a lieu de condamner M. C à une amende de
1 000 €.
213.
Ces montants sont inférieurs au plafond fixé par l’article L. 131-6 du code des
juridictions financières.
Sur la publication au Journal officiel
214.
Le présent arrêt sera publié au Journal officiel.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. – M.
Y
est,
en
ce
qui
concerne
les
conventions
de
rupture
transactionnelle des contrats de travail, le recrutement d’un directeur et l’octroi de primes
exceptionnelles, condamné à une amende de cinq mille euros (5 000 €).
Article 2. – Mme
Z
est,
en
ce
qui
concerne
les
conventions
de
rupture
transactionnelle des contrats de travail et l’engagement de dépenses sans habilitation,
condamnée à une amende de deux mille euros (2 000 €).
Article 3. – M. C est, en ce qui concerne les achats sans habilitation, condamné
à une amende de mille euros (1 000 €).
Article 4. – Mme
X,
M.
Y,
Mme
Z, M. C sont, en ce qui concerne les autres griefs, renvoyés des fins des
poursuites.
Article 5. – M. A est renvoyé des fins de poursuites.
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Article 6. – Le présent arrêt sera publié au
Journal officiel
de la République française.
Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Daniel-Georges COURTOIS, Patrick BONNAUD, Jacques DELMAS, Claude LION,
conseillers maîtres, M. Frédéric GUTHMANN et M. Laurent CATINAUD, conseillers présidents
de chambre régionale et territoriale des comptes.
En présence de Mme Marie-Hélène PARIS-VARIN greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Marie-Hélène PARIS-VARIN
Jean-Yves BERTUCCI
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.