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PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR LE SOUTIEN
DE L
’
ÉTAT AUX SERVICES À LA PERSONNE
Mercredi 27 mars 2024
–
9h15
Salle des conférences
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous
présenter le rapport public thématique de la Cour sur le
soutien de l’État aux services à la
personne.
Cette enquête a été conduite par la cinquième chambre de la Cour, et je souhaite, avant
toute chose, saluer le travail très approfondi de l
’ensemble des artisans de ce rapport
.
Je remercie donc chaleureusement Catherine Démier,
qui préside la cinquième chambre et
est à mes côtés ce matin. Je remercie également, en tant que rapporteurs,
Emmanuel Suard
et Jean-Baptiste Gourdin
, conseillers maîtres, et
Stéphanie Mezbourian
, vérificatrice, ainsi
que
Philippe Duboscq,
conseiller maître et contre-rapporteur de ce rapport.
Avant d’entrer avec vous dans le détail
de notre analyse, il me semble indispensable de
préciser l’objet
et le périmètre de notre enquête.
Le rapport que je vous présente aujourd’hui porte sur
le soutien de
l’Etat aux services à la
personne.
Dans ce rapport, nous analysons donc les dispositifs de soutien mis en œuvre par
l’État au bénéfice de ce secteur
, lui-même très hétérogène.
Cette enquête intervient neuf ans après la publication en juillet 2014 d’un rap
port de la Cour
sur
Le développement des services à la personne et le maintien à domicile des personnes
âgées en perte d’autonomie
.
L’enquête de 2014 avait donné lieu à 12 recommandations
; ces
dernières portaient notamment sur la nécessaire clarification des objectifs du soutien au
secteur et du pilotage de l’action publique, le réexamen d
es aides, en particulier pour
certaines activités de confort, la simplification et la rationalisation des aides, ainsi que
l’intensification des études
sur le secteur.
Le secteur des services à la personne est complexe, fait d’
activités très différentes exercées
selon des modalités elles-mêmes variées.
J
’aimerais
clarifier en amont sa définition, afin que
ma présentation des constats et recommandations de la Cour soit comprise et entendue sur
des bases communes.
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Le code du travail regroupe au titre des services à la personne une liste de 26 activités de
nature très diverse, dont le seul point commun est
l’exercice
au domicile des particuliers.
Je
reviendrai
sur l’hétérogénéité de ces activités.
Les activités de service à la personne représentaient, en 2022, 842 millions d’heures
d’intervention, effectuées par plus de de 846 000 salariés des particuliers employeurs et
par
plus de 430 000 intervenants d’organi
smes prestataires, entreprises ou associations
. 87% de
ces travailleurs sont des femmes.
En outre, les activités de service à la personne bénéficient de soutiens publics multiples et
en développement régulier.
En témoignent, sur la période récente, la généralisation, en 2018,
du crédit d’impôt en faveur de l’emploi d’un salarié à domicile
ainsi que la mise en place de
l’avance immédiate de cet avantage fiscal
. En 2022,
8,8 Md€
de soutiens spécifiques ont été
apportés aux
4,4 millions d’utilisateurs
qui y ont eu recours.
Pour évaluer ce secteur très large et bénéficiant d’un soutien public important, nous avons
naturellement contrôlé de nombreuses parties prenantes.
L’enquête a
principalement porté sur la direction générale des entreprises, la délégation
générale à l’emploi et à la formation professionnelle
et la direction générale des finances
publiques, mais de nombreuses autres administrations ont été rencontrées comme la
direction générale de la cohésion sociale ou la direction générale du travail.
En outre, des
échanges ont eu lieu avec les fédérations professionnelles et syndicats du secteur des services
à la personne, ou encore avec des chercheurs spécialisés dans
l’économie du secteur.
La Cour a également réalisé un important travail quantitatif
: l’équipe de contrôle a
utilisé
les données de la Dares, des Urssaf,
d’une base fiscale
et du système d’information NOVA à
des fins statistiques, et ce,
grâce à l’appui d’un
data scientist
.
Enfin, l’enq
uête de terrain a été complétée par un parangonnage sur les services à la
personne dans quelques pays européens
: ont ainsi été notamment comparés à la situation
française, les cas allemand, belge, espagnol, et scandinave.
***
Ces précisions étant faites sur
l’objet de l’enquête et
ses méthodes, je passe sans plus
attendre à la présentation du rapport qui nous rassemble ce matin.
Le rapport offre un aperçu détaillé du secteur des services à la personne et de l'évolution
récente des dépenses publiques qui lui sont allouées.
Le
soutien de l’État
aux services à la
personne a été lancé au début des années 1990 pour lutter contre le travail dissimulé, puis
s’est
développé dans le cadre du plan Borloo en 2005, qui visait entre autres à favoriser la
création d'emplois. En 2022, le soutien de l'État à ces services s'élevait donc, comme je
l’évoquais tout à l’heure,
à 8,8 milliards d'euros. Ces soutiens prennent principalement la
forme de dépenses fiscales et d'exonérations de cotisations sociales (compensées ou non par
le budget de l'État).
3
Malgré une augmentation générale des aides publiques ces dernières années, le nombre
d'heures travaillées dans le secteur des services à la personne stagne depuis le milieu des
années 2010.
Les pouvoirs publics
peinent d’ailleurs
à déterminer si cette stagnation résulte
d'un travail dissimulé persistant, d'une demande insatisfaite en raison d
’un
reste-à-charge
trop élevé pour les ménages malgré les aides, ou encore d'une pénurie de main-
d'œuvre liée
à des difficultés croissantes de recrutement dans le secteur.
Bien sûr, les perspectives de forte augmentation des besoins de services à la personne,
notamment pour maintenir à leur domicile le plus longtemps possible les personnes en
perte d’autonomie, renouvellent le débat sur les objectifs assignés aux soutiens publics
dans
ce secteur.
Face aux enjeux du secteur et à la tension croissante sur le niveau global des dépenses
publiques, notre rapport a trois objectifs :
d’une part,
analyser les objectifs, la gestion et le
montant des soutiens de l'État aux services à la personne
; d’autre part, évaluer
l'efficacité des
dépenses concernées ; enfin, proposer des pistes d'évolution qui, sans dégrader la réalisation
des principaux objectifs de ces soutiens, sont porteuses d’économies
.
Nous faisons, à
l’issue de notre enquête,
trois grands constats :
-
D’abord,
le
soutien de l’État aux services à la personne ne constitue pas
, à ce jour,
une véritable politique publique ;
-
Ensuite, nous constatons que les dispositifs de soutien en eux-mêmes sont
complexes, peu ciblés, coûteux et
in fine
peu efficaces ;
-
Enfin, la Cour met en avant le besoin de rationaliser ces dispositifs de soutien, dont la
refonte dès la préparation du PLF 2025 pourrait permettre une économie globale
allant jusqu’à
1
Md€
.
***
Si vous le voulez bien, entrons maintenant dans le détail de nos observations et de nos
recommandations.
I.
L
e soutien de l’État aux services à la personne n
e constitue pas, à ce jour, une
politique publique cohérente
: c’est le premier message de ce rapport.
En effet, la politique de soutien aux services
n’a pas été
conçue comme une politique
publique unique, ce qui fragilise sa cohérence.
D’abord, le
soutien de l’État bénéficie
à un ensemble de 26 activités particulièrement
hétéroclite.
Ces dernières relèvent de la satisfaction de besoins sociaux prioritaires
–
par
exemple, l’autonomie ou la garde d’enfants –
, mais dans la liste définie par le code du travail
figurent également de nombreuses activités relevant de la vie quotidienne, du ménage au
bricolage en passant par l’assistance informatique. Ces activités s’exercent selon des cadres
juridiques
et d’emploi
multiples, et sont éclatées entre plusieurs branches professionnelles.
De fait, le seul véritable point commun de ces activités est leur lieu d
’exercice, c’est
-à-dire le
domicile du bénéficiaire.
4
Ensuite,
il n’existe pas un objectif clair associé à
cette politique de soutien, mais plusieurs
objectifs
qui s’ajoutent les uns aux autres, sans réelle coordination
.
Or, la présentation
budgétaire des soutiens met l’accent sur la
seule
création d’emplois et ne rend pas compte de
cette diversité
d’objectifs
–
qui s’est
accrue avec le temps.
En effet, ces objectifs nombreux ne sont ni hiérarchisés,
ni formalisés au sein d’un
e stratégie
cohérente.
Une telle priorisation stratégique apparaît pourtant indispensable.
En effet, les objectifs économiques transversaux, tels que la lutte contre le travail dissimulé,
le développement de l'emploi ou encore la conciliation entre vie professionnelle et vie
familiale, se mêlent aux objectifs sociaux propres à certaines activités, comme le maintien à
domicile des personnes âgées ou handicapées, ou encore la garde d'enfants. Cette
hétérogénéité fragilise la définition d’une stratégie d’ensemble, au point que la pertinence
même d’une politique en faveur des services à la personne p
eut être discutée.
Nous constatons enfin que l
es enjeux liés à la qualité des prestations ou à l’attractivité des
métiers sont relégués au second plan, voire complètement absents de la conception des
mécanismes de soutien.
De fait, le développement du secteur des services à la personne,
placé au premier plan, tend progressivement à devenir la justification principale des soutiens
publics.
Cette a
bsence de stratégie d’ensemble
a des conséquences sur le pilotage des soutiens et la
coordination entre administrations.
Le pilotage du soutien public aux services à la personne constitue un véritable défi : les
compétences sont à la fois partagées entre l’État, les collectivités territoriales et la Sécurité
sociale, mais aussi, au sein de l’État, entre huit directions d’administration centrale
. Or la
coordination demeure insuffisante, en dépit du rôle de chef de file confié depuis 2010 au
ministère chargé de l’économie.
Cette répartition des compétences
, sous l’égide du ministère de l’économie,
traduit une
priorité implicite accordée aux objectifs économiques
. Néanmoins,
les conséquences n’en
ont pas été tirées en matière de rattachement budgétaire des dépenses, qui restent affectées
au ministère chargé de l’emploi. Il est
donc nécessaire de mettre fin à ce rattachement
artificiel, et, une fois les objectifs clarifiés,
d’
adosser les dépenses en matière de soutien aux
services à la personne aux administrations réellement responsables.
Les premières conclusions de notre rapport sont claires.
L
’hétérogénéité
du secteur, la
multitude
d’objectifs poursuivis
par la politique de soutien aux services à la personne, la non-
hiérarchisation des priorités et la dispersion des compétences dans le pilotage, fragilisent la
conception et la cohérence de cette politique publique. La dernière formalisation explicite
d’une stratégie d’ensemble remonte au « plan Borloo » de 2005
, il y a près de 20 ans.
Il n’y en
a pas eu depuis.
C
’est pourquoi la Cour recommande
, en amont de la préparation du PLF 2025, de clarifier
les objectifs poursuivis par ces soutiens publics aux services à la personne, de formaliser une
stratégie et
d’
adapter en conséquence leur pilotage et leur rattachement budgétaire.
5
II.
Cela me mène naturellement au deuxième message de notre rapport : les défauts
inhérents à la conception de cette politique publique se reflètent logiquement dans
le déploiement des dispositifs de soutien eux-mêmes. Ces dispositifs sont trop
complexes, peu ciblés, de plus en plus coûteux et
in fine
relativement peu efficaces.
D’abord,
le soutien aux services à la personne repose sur un empilement de dispositifs
particulièrement complexe.
Ces dispositifs différent selon la nature des activités, les modalités
d’emploi et les caractéristiques des bénéficiaires
. Ils
poursuivent une multitude d’objectifs, ce
qui rend leur lisibilité
–
tout comme
l’évaluation de leur efficacité
–
délicate.
Les dispositifs de soutien sont par ailleurs peu ciblés.
Ils prennent essentiellement la forme de
dépenses fiscales
–
par exemple, sous la forme de
crédit d’impôt
ou de taux réduits de TVA
–
et
d
’exo
nération de cotisations sociales. En conséquence, ils se prêtent mal à un ciblage fin des
bénéficiaires.
La confusion est d’autant
plus forte que ces outils se cumulent pour certaines
activités avec des aides directes accordées au titre des politiques sociales
, comme l’autonomie
ou la garde
d’enfant
.
À défaut de simplifier et rationaliser les mécanismes de soutien, les pouvoirs publics se sont
attachés à atténuer l’impact de
cette complexité sur les bénéficiaires.
Une politique de
simplification des démarches des usagers a été mise en place, assez efficacement, avec par
exemple la création du Chèque emploi service universel et, plus récemment, avec le
déploiement de l’avance immédiate du crédit d’impôt
« services à la personne ». Cette réforme,
positive pour le contribuable,
permet de réduire les délais entre l’engagement des dépenses et
la perception des aides. Elle est cependant coûteuse, et elle crée des risques de fraude d
’un
genre nouveau.
En effet, force est de constater que la complexité des dispositifs de soutien et le manque de
ciblage augmentent
les risques d’irrégularités et de fraude
.
L’ampleur de ces risques sont
insuffisamment évalués ou pris en compte par les pouvoirs publics dans leurs stratégies de
contrôle.
À ce titre, la Cour recommande de documenter
les risques d’irrégularités et de fraudes
afférents au crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile
. Nous préconisons également
de renforcer les actions de prévention dans ce domaine.
Au-delà, et devrais-je même dire en conséquence de cette complexité et de cette absence de
pilotage, les dispositifs de soutien sont de plus en plus coûteux pour les finances publiques
.
La hausse de la dépense publique en faveur des services à la personne apparaît non maitrisée.
Cette dépense, qui représentait
8,8 Md€ en 2022,
a augmenté de plus de 40 % par rapport à
2012, dont 37 % sur les cinq dernières années. Cela contraste évidemment avec la stagnation
de l’activité du secteur.
Cette dépense publique est portée en grande partie
par le crédit d’impôt pour l’emploi d’un
salarié à domicile
. Ce
crédit d’impôt
constitue le principal outil de soutien aux services à la
personne
et son coût est appelé à croître encore sous l’effet du déploiement de l’avance
immédiate.
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Sans même tenir compte des dispositifs de droit commun dont les services à la personne
bénéficient, le coû
t des aides spécifiques s’élevait en moyenne en 2021, selon l’estimation de la
Cour, à
9,38 €
par heure travaillée, un coût en hausse de 29 % en euros constants sur dix ans.
Ce coût est donc proche de celui du Smic horaire brut.
Plusieurs facteurs expliquent la croissance de cette dépense publique.
Pour n’en citer que
quelques-uns, je dirais que c
ette hausse s’explique à la fois par le renforcement de certains
dispositifs de soutien, par l’augmentation du coût horaire de ces
activités liée à la hausse du
Smic, et par la montée en puissance des prestataires, dont les tarifs sont plus élevés pour un
particulier que
l’emploi direct d’un salarié à son domicile.
Alors que leur coût augmente, ces dispositifs de soutien ne font
l’objet d’aucune évaluation
systématique et rigoureuse, ce que la Cour regrette.
Aucun indicateur de performance ne
figure dans les documents budgétaires, y compris sur le développement de l’emploi déclaré,
pourtant présenté dans ces documents comme l’obje
ctif principal des soutiens aux services à la
personne
. Les faiblesses de l’appareil statistique et l’absence de vision consolidée des flux
financiers bénéficiant au secteur empêchent de mesurer précisément l’efficacité de la dépense
publique. Le seul outi
l susceptible d’y contribuer
, une « maquette » des différents cas de soutien
existants,
n’a
pas été actualisée depuis près de dix ans.
Pour l’heure
, l
’État n’est donc
pas doté des outils qui permettraient de déterminer le niveau
optimal d’incitation
financière,
à partir d’une analyse des liens entre le prix, l’activité et le
recours au travail dissimulé
.
C’est pourquoi la Cour préconise
d’objectiver l’impact des
incitations financières sur l’activité et sur le recours au travail dissimulé
En outre, l’absence de données
sur
l’impact des soutiens sur la consommation ne permet pas
de prévenir les risques
d’effet d’aubaine.
Or, le recours aux services à la personne est largement
déterminé par le niveau des revenus : je vous rappelle que pour bénéficier de la moitié de la
dépense
via le crédit d’impôt, il faut en payer l’autre moitié, ce qui n’est pas possible
, loin de là,
pour tous les contribuables. La consommation de ces services se concentre sur les 20 % de foyers
présentant les revenus les plus élevés
. L’effet incitatif de l’
aide publique est, par construction,
moins décisi
f pour ces foyers que pour les ménages qui constituent ce qu’on peut appeler les
classes moyennes : une partie significative des soutiens publics correspond donc à un effet
d’aubaine
.
Malgré cette absence d'évaluation
par l’
État, notre rapport offre une analyse approfondie de
l'évolution du secteur des services à la personne ; elle révèle que ces dispositifs de soutien
produisent des résultats décevants.
Nous observons
d’abord une stagnation de l’activité du secteur
depuis quelques années.
Après une période de croissance dynamique durant les années 2000, le secteur a connu un
déclin suivi d'une stagnation, en termes de nombre d'heures travaillées.
Les résultats de
l’act
ivité sur la
création d’emploi
dans le secteur des services à la personne sont donc
insignifiants, avec seulement environ 70 000 équivalents temps plein supplémentaires créés
depuis 2005. Cette stagnation déjoue les prévisions qui tablaient sur une forte augmentation,
sous l’effet du
vieillissement de la population.
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De plus, bien que les soutiens aient indéniablement contribué à faire reculer le travail
dissimulé, les ressources financières investies semblent disproportionnées par rapport aux
résultats obtenus
: la comparaison européenne montre que la France est de loin, le pays qui
dépense le plus dans ce domaine, sans afficher de résultats significativement meilleurs. Cela
s’explique notamment par le fait que
l’État subventionne aujourd’hui très largement le respect
de la loi et la déclaration du travail.
Pour un salaire net donné, le coût restant à la charge du particulier employeur qui déclare le
salaire versé est inférieur, selon les activités, de 14 % à 19 % au coût du travail dissimulé.
Enfin, la part de la dépense qui contribue aux objectifs sociaux
, comme l’
autonomie des
personnes âgées ou handicapées ou la
garde d’enfant
, est minoritaire dans le total des
soutiens.
En plus, son articulation avec les prestations sociales qui ciblent ces activités reste mal
assurée.
Au vu de ces constats, il est nécessaire, une fois la stratégie
de l’Etat
définie et les objectifs
clarifiés, de remettre à plat les dispositifs de soutien.
Cette remise à plat doit permettre de les
rendre plus lisibles et de mettre fin à l’augmentation aveugle de la dépense publique.
*
III.
J’en arrive
au troisième message de ce rapport : la Cour propose plusieurs scénarios
pour une meilleure efficience des soutiens aux services à la personne. Ces réformes,
qui pourraient être mises en œuvre dès le PLF 2025,
permettraient une économie
globale pouvant atteindre
1Md€
.
Dans la perspective de la préparation du PLF 2025, la Cour formule une série de
recommandations pour rationaliser les dispositifs de soutien aux services à la personne ; ces
recommandations permettraient d’
améliorer la qualité de la dépense publique dans ce
domaine.
Un scénario dit « socle » propose une évolution des taux de TVA et des exonérations
de cotisations sociale
s, dans le sens d’une simplification et d’une modération de la dépense. En
complément, s’agissant du crédit d’impôt, deux scénarios sont esquissés, entre lesquels il
revient à l’État d’arbitrer selon les objectifs poursuivis.
Avant toute chose, donc, il convient de recentrer, rationaliser et simplifier les soutiens.
Il s’agit
du scénario de refonte des dispositifs que la Cour considère comme un socle nécessaire de
réforme.
Le premier défi à relever consiste à réduire le périmètre des activités éligibles aux soutiens,
sur la base de critères explicites et objectivés.
Le soutien aux services à la personne bénéficie à
un champ d’activités peu cohérent et plus large que ce qui peut être observé dans les autres
pays européens.
Dans notre rapport de 2014, nous recommandions déjà de revoir la liste des activités éligibles
aux soutiens
. Cet exercice n’a pas été conduit,
mais désormais, il p
ourra s’appuyer sur une
connaissance plus fine du contenu des activités et des caractéristiques des personnes qui y
recourent. En effet, un amendement imposant aux contribuables de préciser la nature de
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prestations déclarées au titre du crédit d’impôt
, permet pour les revenus 2022 de connaître la
répartition de ce crédit d’impôt
.
Comment procéder pour réexaminer les dispositifs de soutien existants ?
Cet exercice pourrait
être guidé par trois critères : les comparaisons européennes, la prise en compte de besoins
sociaux prioritaires et le risque de travail dissimulé. La Cour préconise par exemple de
reconsidérer
l’inclusion de l’assistance administrative et informatique
ou des cours à domicile
et du soutien scolaire.
La rationalisation des soutiens doit également passer par une harmonisation des régimes de
taux réduits de TVA et de cotisations sociales.
S’agissant de la TVA, la
coexistence de trois taux distincts ne repose sur aucune justification
économique ou sociale évident.
Nous proposons de ne garder que le taux réduit de 5,5% pour
les activités relevant des besoins sociaux prioritaires et d’assujettir les activités de la vie
quotidienne au taux normal de 20%.
De même, s’agissant des cotisations sociales,
la complexité des régimes dérogatoires
d’exonération
, au nombre de 4, crée des distorsions difficilement justifiables et appelle une
harmonisation
. Je ne vais pas rentrer dans le détail, assez complexe, de la comparaison de ces
4 régimes et des scénarios possibles pour leur refonte. Vous verrez en lisant le rapport que si
l’État ne souhaite pas s’engager dans une
simplification radicale, qui consisterait à supprimer les
dispositifs dérogatoires
au profit d’un alignement sur le droit commun
, nous préconisons à tout
le moins
de supprimer l’exonération automatique du fait de l’âge ou
de relever le seuil de cette
exonération à 80 ans au lieu de 70 ans actuellement.
Au total, cette rationalisation par la réduction de la liste d’activités éligibles, par la
simplification des taux de TVA et par la modification du régime de cotisations sociales,
permettrait une économie nette comprise entre 280 et 380 M€ par an, soit 3 à 4 % de la
dépense totale.
Au-delà de ces axes de rationalisation, la Cour préconise de repenser le crédi
t d’impôt aux
services à la personne
, qui représente près des deux tiers de la dépense totale
.
Dans le cadre
de la préparation du PLF2025, cette refonte doit permettre de mieux maîtriser et cibler la
dépense fiscale.
Je pourrais d’ailleurs dire que c’est
le bon moment
pour adapter l’avantage
fiscal :
le déploiement de l’avance immédiate, qui évite au contribuable d’avoir à consentir
l’avance de la trésorerie, limite les risques d’une contraction de l’activité et d’un regain du travail
dissimulé.
La Cour a donc élaboré deux scénarios de refonte de ce dispositif.
Ces deux scénarios,
différents dans leurs modalités, partagent un même objectif : ramener le soutien aux activités
de la vie quotidienne à un niveau suffisant pour lutter contre le travail dissimulé, le seul objectif
ayant donné lieu à des résultats probants, tout en préservant les activités liées à l’autonomie ou
à la garde d’enfants, qui continueraient de bénéficier d’un niveau de soutien au moins
équivalent à ce qu’il est aujourd’hui.
9
Le premier scénario est le plus ambitieux, donc nécessairement le plus difficile : i
l s’agirait de
réserver le
crédit d’impôt
aux seuls services de la vie quotidienne, avec un taux et un plafond
revus à la baisse.
Les activités qui relèvent des politiques sociales,
comme l’
autonomie des
personnes dépendantes
ou l’
accueil du jeune enfant, seraient désormais soutenues
exclusivement
aux moyens d’outils spécifiques (allocation personnalisée d’autonomie,
prestation de compensation du handicap pour l’autonomie, etc). Ces d
ispositifs pourraient être,
le cas échéant, révisés et renforcés,
grâce à la réallocation d’une fraction de la dépense fiscale
,
pour maintenir le même niveau de soutien aux personnes fragiles.
Les paramètres du crédit d’impôt, recentré sur les activités de la vie quotidienne, seraient
ajustés de manière à ramener la dépense fiscale à un niveau
suffisant pour lutter contre le
travail dissimulé
. Il est proposé de ramener son taux à 40 %
et d’abaisser son plafond à 3000 €,
tout en supprimant les majorations existantes.
À l’appui de cette diminution,
je rappelle
qu’en
2020, seuls 8 % des bénéficiaires du crédit d’impôt
ont perçu un avantage fiscal supérieur à
3
000 €
. Une telle réforme
permettrait de réduire la dépense globale en faveur des services à la
personne à hauteur
d’environ
1,1 Md
€
(en incluant les mesures « socle » de rationalisation dont
j’ai
déjà parlé). Elle faciliterait aussi le pilotage des politiques sociales sectorielles, en mettant
fin à l’enchevêtrement des outils et des objectifs.
À défaut
de parvenir à mettre en œuvre ce scénario
, la Cour propose un deuxième scénario
qui correspond à une réforme moins ambitieuse
du crédit d’impôt,
mais susceptible de
permettre une économie presque équivalente.
Ce deuxième scénario de réforme consisterait à conserver le périmètre actuel du crédit
d’impôt,
mais à en moduler les paramètres selon les activités concernées ou selon les
caractéristiques des contribuables.
Le
crédit d’impôt
serait ainsi relevé à 60% pour les dépenses
contraintes, par exemple dans le cadre du maintien à domicile, et abaissé à 40% dans les autres
cas.
Le plafond de droit commun pourrait être divisé par deux, et assorti
de majorations mieux
ciblées
qu’aujourd’hui
.
Ce scénario a pour inconvénient de compliquer les règles de calcul du
crédit d’impôt, mais il
permettrait une économie totale pouvant aller jusq
u’à
900
M€.
Enfin, le rapport suggère un dernier
axe de réforme du crédit d’impôt
: l’avantage fiscal
pourrait être différencié en fonction des modalités de recours aux services à la personne
(prestataires et mandataires, d’une part, ou emploi direct par les particuliers, d’autre part)
.
Cela suppose au préalable une clarification de la stratégie de l’Etat à l’égard du secteur
, qui
souffre d’une certaine
ambiguïté ; cette absence de choix a un coût et explique pour partie la
croissance non maîtrisée de la dépense.
Encourager le recours aux prestataires et aux mandataires plutôt que l’emploi direct par les
particuliers employeurs peut avoir du sens, compte tenu des avantages que ce mode recours
présente en termes de qualité de service et de respect des droits sociaux des travailleurs
. Mais
encore faudrait-il, dans ce cas,
renforcer les exigences qui s’appliquent
aux prestataires et aux
mandataires, notamment en matière de formation et de professionnalisation des intervenants.
10
En somme, la refonte des mécanismes de soutien proposée par notre rapport pourrait générer
une économie globale pour les finances publiques comprise entre 0,9
milliard d’e
uros (dans
le cas du scénario 2) et 1,1 milliard d'euros (dans le cas du scénario 1).
Cette économie globale
représente plus de 10 % de l'effort financier total, ce qui est considérable.
***
Mesdames, messieurs,
il est temps pour moi de conclure mon propos. Au vu des constats
que nous faisons et des réformes que nous recommandons, je crois ce rapport
profondément instructif et utile au débat public.
En effet, l
e soutien de l’État aux services à la personne ne constitue pas, à ce jour, une
véritable politique publique.
Face à l’augmentation aveugle de
la dépense publique pour ce
secteur, il incombe donc aux pouvoirs publics de clarifier la stratégie et les objectifs de tels
soutiens. En outre, remettre à plat les dispositifs de soutien devrait permettre de les rendre
plus lisibles et d
’améliorer la qual
ité de la dépense publique, ce qui est absolument
indispensable dans le contexte de finances publiques dégradé dans lequel nous nous trouvons.
Notre
rapport esquisse les voies d’un recentrage de l’outil fiscal
sur un périmètre plus
circonscrit (les activités de la vie quotidienne) et sur des objectifs moins nombreux (la lutte
contre le travail dissimulé, la qualité du service rendu, la professionnalisation du secteur),
sans diminuer le niveau de soutien aux dépenses sociales plus contraintes.
Une telle réforme induirait
une réduction globale de la dépense de l’État en faveur des
services à la personne
. Surtout, elle serait
de nature à permettre l’élaboration d’une véritable
politique publique des services à la personne, clairement distincte des politiques sociales, qui
retrouveraient par là-
même une pleine et entière maîtrise de leurs leviers d’action.
Merci de votre attention et de votre intérêt
. Je suis maintenant à votre disposition, ainsi que
l’équipe qui a
instruit ce rapport et que je remercie à nouveau, pour vos questions.