L’action
publique
en faveur de
l’adaptation
au changement climatique
Synthèse générale
Selon les données du service européen
Copernicus
sur le changement
climatique (C3S), 2023 a été l’
année la plus chaude jamais enregistrée dans le
monde. La température moyenne s’est alors inscrite à un niveau supérieur de
1,48 °C à la moyenne des températures enregistrées sur la période allant de
1850 à 1900. Les données concernant la France montrent que 2022 et 2023 ont
été les années les plus chaudes depuis 1850. La température moyenne s’est
établie l’an dernier à 14,4
°C (après 14,5 °C en 2022), soit 1,4 °C de plus que
les températures moyennes enregistrées entre 1991 et 2020.
Ces chiffres confirment s’il en était besoin l’intérêt qui s’attache à
l’examen des mesures prises par les pouvoirs publics pour faire face aux
conséquences du réchauffement climatique. La question de l’adaptation au
ch
angement climatique s’impose également par son ampleur. Elle intéresse
en effet non seulement les décideurs et gestionnaires publics, mais
également l’ensemble de nos concitoyens et des acteurs économiques,
usagers et financeurs des nombreux services publics pour lesquels
l’adaptation au changement climatique constitue à la fois un impératif et
un défi technique et financier.
Les juridictions financières n’ont pas cherché à couvrir l’ensemble
du très vaste champ de l’adaptation. Les compétences qui leur son
t
dévolues notamment de contrôler les comptes et la gestion des organismes
publics et de s’assurer du bon emploi des fonds publics les ont
naturellement conduites à retenir prioritairement des thèmes présentant
d’importants enjeux financiers pour l’État, l
es collectivités territoriales,
leurs établissements publics ou de grandes entreprises publiques.
Depuis plusieurs années, la Cour souligne, dans les publications
qu’elle consacre périodiquement à la situation des finances publiques, la
nécessité que les administrations publiques se préparent à financer le coût
de la transition écologique. La question de l’évaluation précise du montant
et de la répartition entre acteurs publics et privés de la charge du « mur
d’investissements
» à réaliser pour, notamment,
adapter l’économie et la
société aux effets du changement climatique, revêt effectivement une
importance cruciale. Cependant la problématique de l’adaptation au
changement climatique ne saurait être appréhendée seulement sous l’angle
économique et financi
er. Elle impose en effet d’abord que des choix
politiques soient faits, dans tous les domaines de l’action publique. C’est
sous cet angle qu’ont prioritairement été conduites les seize enquêtes que
la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes ont réalisées
en 2023 pour alimenter le présent rapport.
COUR DES COMPTES
60
Elles se sont
d’abord
intéressées à trois thèmes de portée
transversale
: la place et le rôle de la recherche publique dans l’adaptation
au changement climatique, le rôle des institutions financières et bancaires
dans l’adaptation de l’économie au changement climatique et la
contribution de l’
A
gence française de développement (AFD) à l’adaptation
des pays en développement. Les trois chapitres correspondants sont
présentés dans la première partie du rapport.
Les juridictions financières se sont également intéressées à l’impact
du changement climatique sur le cadre de vie des Français et sur les grandes
infrastructures publiques. À ce titre, elles ont examiné la question de
l’adaptation des
logements et des centres urbains, ainsi que celle de
l’intégration de cette problématique dans la politique immobilière de l’État.
La prise en compte des conséquences du changement climatique dans la
gestion, en fonctionnement et en investissement, des centrales nucléaires,
des ouvrages hydroélectriques, des réseaux de transport et de distribution
d’électricité et des voies ferrées, est également un enjeu majeur qui a donné
lieu à des enquêtes spécifiques. A aussi été examinée la situation
particulière du ministère des armées. Les sept chapitres portant sur ces
thèmes sont regroupés dans la deuxième partie du rapport.
Le
changement
climatique
a
aussi
des
conséquences
sur
l’environnement naturel dans lequel vivent et travaillent nos compatriotes.
Les juridictions financières ont examiné la façon dont ces effets sont
anticipés et appréhendés en ce qui concerne la gestion de la forêt et celle
du trait de côte, mais également dans le cadre de la prévention des
catastrophes naturelles liées au climat outre-mer et de la protection des
personnes vulnérables face aux vagues de chaleur. Au même titre, elles se
sont penchées sur l’adaptation des cultures céréalières et des stations de
montagne au changement climatique. Les six chapitres correspondants
structurent la troisième partie du rapport.
Le rapport comporte par ailleurs un chapitre introductif, qui décrit
l’articulation de la problématique de l’adaptation avec celle de
l’atténuation du changement climatique (c’est
-à-dire de la lutte contre le
réchauffement de la Terre) et présente le cadre conceptuel, historique et
juridique dans lequel s’inscrivent les politiques d’adaptation au
changement climatique, aux plans international, européen et national.
La présente synthèse tente de dégager les principaux enseignements de
cet ensemble de travaux à l’aune des grandes questions que les Français se
posent lorsque le thème de l’adaptation de leur cadre de vie, de leur
environnement, de leurs activités occupe l’actualité, à l’occasion notamment
de catastrophes d’origine climatique dont la fréquence, l’intensité, la
localisation ou l’ampleur étaient jusqu’à présent inconnues en métropole ou
dans les territoires d’outre
-mer (canicules, feux de forêt, cyclones, etc.).
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
61
La première question est de savoir ce qui les attend concrètement et à
quel horizon : nos concitoyens veulent comprendre les ressorts et anticiper
les conséquences du changement climatique sur leur vie de tous les jours.
Ils se demandent également comment les efforts à entreprendre pour
s’adapter doivent être identifiés, décidés et répartis entre l’ensemble des
acteurs concernés (pouvoirs publics, entreprises, ménages, associations,
chercheurs, etc.)
: l’adaptation ne doit pas être appréhendée seulement sous
l’angle technique, c’est aussi un enjeu démocratique pour le
s Français.
La complexité de l’adaptation et l’importance des dépenses à
consentir, alors que la situation des finances publiques reste préoccupante,
amènent enfin nos concitoyens à se demander comment concevoir,
financer et mettre en œuvre des solutions q
ui soient à la fois adaptées et
soutenables : que peut-
on faire d’efficace au moindre coût
? En cette
matière comme dans les autres domaines de l’action publique, les Français
sont de plus en plus attentifs à la qualité de la dépense publique.
En écho à ces questions, les travaux des juridictions financières
soulignent la nécessité que l’action publique en faveur de l’adaptation au
changement climatique soit transparente, cohérente et efficiente.
I -
Le besoin de transparence
L’urgence de l’adaptation est désor
mais bien admise, de même que
la nécessité de l’articuler avec la lutte contre le réchauffement climatique,
qui ne doit pas être délaissée. Cependant le déploiement effectif de l’action
publique impose de réduire autant que possible les nombreuses incertitudes
qui caractérisent cette priorité, en rassemblant les données encore
manquantes, en améliorant la qualité et la précision des projections et en
actualisant les normes. L’information des citoyens sur les risques du
réchauffement climatique et les choix à opérer constitue dans ce contexte
un enjeu majeur.
A -
La prise de conscience de l’urgence de l’adaptation
Le chapitre introductif montre qu’à l’urgence de la lutte contre le
réchauffement climatique (l’atténuation) s’ajoute désormais celle de
l’adaptation
au changement climatique. La prise de conscience de cette
nécessité est largement partagée, quoique souvent récente.
COUR DES COMPTES
62
C’est le cas pour la politique du logement qui, en matière de
transition écologique, donne depuis 2010 la priorité à la rénovation
énergétique et thermique des logements. Cependant, dans ce domaine, la
prise en compte des effets du changement climatique, notamment la
multiplication et l’intensification des pics de chaleur, ne s’est que
récemment imposée comme une priorité supplémentaire. De la même
façon, la nécessité d’intégrer des actions d’adaptation au changement
climatique dans la politique immobilière de l’État est maintenant reconnue
mais n’a pas encore reçu de traduction concrète.
Dans d’autres domaines, cette prise de conscience est
plus ancienne.
La nécessité de l’adaptation a notamment été intégrée de longue date par
les entreprises publiques gestionnaires de grands réseaux. Immédiatement
après les tempêtes
Lothar
et
Martin
, qui ont balayé la France à la fin du
mois de décembre 1999, avec des rafales de vent atteignant 200 km/h, RTE
a ainsi lancé un programme de sécurisation des éléments du réseau de
transport d’électricité les plus vulnérables aux événements climatiques. Les
exploitants agricoles ont également cherché à adapter leurs cultures
céréalières dès qu’elles ont commencé à subir les conséquences du
changement climatique, il y a une vingtaine d’années.
La prise de conscience de la nécessité de l’adaptation reste en
revanche embryonnaire au ministère des armées. L’exigence pr
emière
d’efficacité opérationnelle des forces l’a conduit à n’entreprendre que très
récemment une démarche d’identification des adaptations à apporter à ses
équipements et à ses infrastructures, notamment immobilières, dans le
cadre de sa stratégie « Climat & Défense », rendue publique en avril 2022.
À la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, survenu en mars 2011, le
ministère des armées s’est toutefois rapidement mobilisé pour adapter les
installations des bases navales de Brest et Toulon hébergeant des activités
nucléaires, relatives essentiellement à la propulsion du porte-avions
Charles de Gaulle, des quatre sous-
marins nucléaires lanceurs d’engins et
des six sous-
marins nucléaires d’attaque dont est dotée la marine.
B -
L’articulation de l’adaptation et de l’atténuation
La bonne compréhension de l’adaptation nécessite de bien la
distinguer de l’atténuation du changement climatique –
c’est
-à-dire des
efforts réalisés pour limiter la hausse des températures, en réduisant
notamment les émissions de gaz à effet de serre. Le chapitre introductif
montre que les deux priorités ne s’inscrivent pas dans les mêmes échelles
de temps et d’espace. Elles ne doivent toutefois pas être opposées, mais
conciliées. L’urgence nouvelle de l’adaptation résulte du fait que la
lutte
contre le réchauffement climatique tarde à produire ses effets
: elle n’est en
aucun cas la traduction d’un quelconque renoncement à l’atténuation.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
63
La conciliation de ces deux priorités s’impose pour des raisons
physiques et biologiques dans certain
s secteurs d’activité, comme la
gestion forestière et les cultures céréalières, dont le développement régulé
peut alimenter des puits de carbone et contribuer ainsi à la lutte contre le
réchauffement climatique. Dans d’autres domaines, les instruments
permettant de conjuguer les deux priorités sont disponibles et commencent
d’ailleurs à être activés. C’est le cas, en matière de politique du logement,
du dispositif «
MaPrimeRénov’
», d’abord conçu comme un instrument
d’aide à l’amélioration de l’efficacité é
nergétique des logements, finançant
principalement le remplacement du système de chauffage, mais qui
constitue également un vecteur d’adaptation lorsqu’il favorise la mise en
œuvre de rénovations globales, permettant d’en améliorer la ventilation et
l’isol
ation, mais aussi de mettre en place des systèmes de protection solaire
pour répondre aux pics de chaleur.
Une certaine confusion demeure, et est en partie entretenue, dans
certains secteurs, notamment la sphère financière et bancaire. Les sociétés
financières publiques et privées ont développé de nombreux instruments
pour financer la transition et communiquent massivement sur le sujet. Ce
foisonnement d’engagements et de produits présentés comme «
verts » est
toutefois insuffisamment harmonisé. En conséquence, les volumes engagés
et les résultats des actions entreprises ne peuvent être rigoureusement
mesurés et comparés. Par ailleurs, la prise en compte des besoins
spécifiques de financement des actions d’adaptation est difficilement
évaluable, les financements étant le plus souvent indissociables de
l’atténuation.
Cette
confusion
générale
est
propice
aux
risques
«
d’écoblanchiment
» de produits qui ne financent en réalité que
marginalement la transition écologique et énergétique de l’économie.
C -
Les
nombreuses incertitudes de l’adaptation
Le chapitre introductif souligne et plusieurs enquêtes réalisées par
les juridictions financières confirment que l’intelligibilité de l’adaptation
souffre de sa complexité intrinsèque, source de nombreuses incertitudes.
Elles sont d’abord liées à la diversité des réponses à apporter à des échelles
territoriales et à des horizons temporels différenciés.
Les enjeux de l’adaptation du littoral sont radicalement différents
entre des zones, parfois mitoyennes, caractérisées les unes par un
phénomène d’érosion, entraînant un recul du trait de côte, temporaire ou
permanent, les autres par l’accumulation de matériaux (accrétion), qui le
fait au contraire avancer. Le recueil de données et la réalisation de
projections sont compliqués par la nécessité de les entreprendre à la maille
géographique, souvent très fine, de ces phénomènes.
COUR DES COMPTES
64
La nécessité de raisonner dans un même domaine à des échelles
temporelles différenciées est également source d’incertitude. La gestion du
recul du t
rait de côte exige ainsi de combiner des mesures d’urgence et des
investissements à très long terme, dont le dimensionnement et le
séquencement ne vont pas de soi. Il en va de même pour l’adaptation des
logements, comme du patrimoine immobilier de l’État,
des hôpitaux et des
établissements sociaux et médico-sociaux, à la multiplication et à
l’intensification des épisodes caniculaires, qui imposent de bien articuler
des mesures d’application immédiate portant sur le parc existant et des
dispositions à effet différé sur les biens à construire.
La nécessité de faire face, dans un même domaine, à plusieurs
risques de nature différente, constitue une autre difficulté. Le volet relatif
à la transition écologique et énergétique de la politique du logement ne doit
a
insi pas seulement répondre à l’augmentation du nombre de pics de
chaleur plus intenses. Il doit aussi appréhender les risques d’inondation et
de retrait-
gonflement des sols argileux, qui croissent également sous l’effet
du réchauffement climatique. De la
même façon, l’entretien et le
développement des réseaux de transport et de distribution d’électricité sont
confrontés à des risques de canicule, de tempête et d’inondation, qui
appellent en réponse des mesures différenciées.
La gestion du trait de côte offre un exemple typique de la difficulté
de l’exercice. Au risque de l’érosion, généralement progressive, inéluctable
et ne menaçant pas les vies humaines, s’ajoute en effet celui de la
submersion marine, c’est
-à-
dire d’une inondation rapide et de courte dur
ée
de
la
zone
côtière,
résultant
de
la
conjonction
de
conditions
météorologiques et océaniques défavorables, potentiellement meurtrière,
comme l’a malheureusement montré la catastrophe provoquée en février
2010 par la tempête
Xynthia
sur le littoral Atlantique. Depuis le début des
années 2010, ces différences ont conduit les pouvoirs publics à dissocier
les deux phénomènes dans l’approche et la gestion juridique et financière
des risques littoraux. L’imbrication et les interactions entre les deux
phénomènes, constatées dans certaines zones, imposent toutefois la mise
en œuvre d’une carte commune et d’actions coordonnées.
L’intensification et l’accélération des effets du changement
climatique constituent dans certains domaines une autre source
d’incertitude
pour le calibrage et le séquençage des mesures à prendre pour
y faire face. C’est le cas de la hausse de la mortalité et des destructions par
incendie de la forêt métropolitaine, qui conduisent à anticiper que d’ici la
fin du siècle, 30 à 50 % des territoi
res concernés n’offriront plus des
conditions viables aux essences actuellement présentes. La rapidité des
évolutions observées n’est en effet plus compatible avec celle de la
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
65
migration des espèces forestières, qui leur permettait jusqu’à présent de
s’adap
ter sur le temps long. Le changement climatique prend ainsi de
vitesse l’adaptation naturelle des forêts et nécessite donc la mise en œuvre
de mesures qui n’avaient pas été jusqu’à présent anticipées.
De la même façon, le changement climatique se manifeste en
montagne par une hausse des températures plus marquée qu’en plaine, et
qui s’accélère depuis 2010. Les projections climatiques annoncent une
accentuation du phénomène à moyen terme, avec des conséquences
irrémédiables sur la fiabilité de l’enneigement
et la capacité des stations à
produire de la neige produite
. La viabilité économique d’un grand nombre
d’entre elles risque en conséquence d’être fortement compromise plus tôt
que cela n’était jusqu’à présent prévu. Selon les études les plus récentes, la
quasi-totalité du massif des Pyrénées et une large part de celui des Alpes
présenteraient entre 2030 et 2050 une fiabilité d’enneigement trop faible
pour permettre la pratique du ski alpin dans un cadre économiquement
soutenable pour les exploitants.
D -
Des progrès à réaliser pour améliorer les prévisions
Le déploiement de l’action publique impose de réduire autant que
possible ces incertitudes nombreuses et de toute nature. Il s’agit de disposer
des données indispensables pour réaliser des projections précises et sûres
et d’adapter les normes applicables afin qu’elles tiennent compte de
l’évolution des risques. Sur ces trois plans (données, projections, normes),
les travaux des juridictions financières mettent en évidence l’ampleur des
progrès à réaliser.
1 -
Les données
Les données disponibles sont souvent lacunaires. Ainsi les outils de
recensement et de diagnostic de l’état des quelque 200
000 bâtiments,
d’une superficie totale de 95
millions de mètres carrés, qui constituent le
parc immobilier de l’État, sont encore en cours de déploiement et n’offrent
de données que pour les deux tiers de ce patrimoine. Les informations
collectées sont par ailleurs incomplètes. Elles ne comportent notamment
pas de relevés de températures, ni d’éléments sur la qualité des matéria
ux
et l’exposition solaire des bâtiments. La définition d’une politique
d’adaptation du parc immobilier de l’État impose d’améliorer la
connaissance des caractéristiques d’exposition des bâtiments aux risques
liés au réchauffement climatique et de les rapprocher des cartes de
probabilités d’événements climatiques fournies par Météo France.
COUR DES COMPTES
66
De la même façon, la connaissance des activités, constructions,
équipements publics et privés menacés par le recul du trait de côte et leur
estimation
économique
demeurent
parcellaires.
Elles
sont
pourtant
indispensables à la réalisation des analyses coûts-avantages des mesures
susceptibles d’être prises pour y faire face. Avant toute décision, les collectivités
locales concernées doivent en effet mettre en regard le montant des biens et
activités à protéger et le coût de leur protection. À
l’échelle nationale, les enjeux
se chiffrent en dizaine de milliards d’euros à l’horizon 2050.
L’enquête sur la protection de la santé des personnes vulnérables face
aux vagues de chaleur a montré que leurs effets étaient désormais bien
appréhendés en termes de surmortalité. Les conséquences de ces épisodes
caniculaires sur la morbidité, c’est
-à-dire le nombre de personnes malades
du fait de la chaleur et les pathologies qu’elle suscite,
sont en revanche
insuffisamment documentées. L’amélioration des connaissances dans ce
domaine est indispensable pour que la prise en charge sanitaire des personnes
concernées, en particulier les personnes âgées vivant seules à domicile ou
dans des établissements sociaux et médico-sociaux, mais également les
personnes sans domicile, soit adaptée à leurs besoins particuliers.
La vulnérabilité des stations de montagne à la hausse des
températures ne peut être appréciée uniquement sous l’angle climatique.
Elle
ne résulte en effet pas seulement de la fiabilité de l’enneigement, mais
également d’autres facteurs, tels que le poids socio
-économique de la
station et la surface financière de l’autorité organisatrice, dont dépend en
partie sa capacité à s’adapter. Ces
données, indispensables pour évaluer la
vulnérabilité des stations, sont actuellement éparses. Il est donc essentiel
d’en permettre le regroupement, sous le pilotage de l’État et,
via
un
observatoire national, l’accès à l’ensemble des acteurs concernés (a
utorités
organisatrices, intercommunalités, départements, régions) pour les mettre
en capacité d’élaborer les bonnes stratégies d’adaptation.
2 -
Les projections
Les progrès à réaliser sont également importants en ce qui concerne
les projections. La SNCF a réalisé plusieurs études pour mesurer la
vulnérabilité du réseau ferroviaire national, selon deux scénarios climatiques
et à deux horizons temporels distincts (2030 à 2050 et 2080 à 2100). Au-delà
de ces premiers travaux, l’entreprise doit développer des outi
ls de diagnostic
et de surveillance prédictifs, en particulier pour les aléas risquant d’affecter
les actifs les plus nombreux et les moins bien documentés, comme les
ouvrages en terre. L’approche actuelle, qui s’appuie sur une analyse
rétrospective des ri
sques fondée notamment sur l’historique des ouvrages et
les zones de fragilité repérées lors des tournées, expose en effet le
gestionnaire du réseau à avoir trop souvent un temps de retard.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
67
Pour améliorer la prévention des catastrophes naturelles d’origine
climatique, le socle des connaissances fondamentales sur l’évolution du
climat en outre-mer doit être amélioré. Les modèles climatiques globaux
sont fondés sur une résolution de 150 km, qui
n’est pas adaptée à la
géographie des territoires et départements concernés. D’importants
progrès ont été réalisés par Météo France. Cependant les projections
réalisées restent de moindre qualité que celles concernant la métropole,
alors que l’exposition
aux risques des territoires ultramarins est plus
importante et qu’ils présentent une vulnérabilité supérieure du fait de la
concentration de la population sur le littoral et de l’importance de la part
qu’y occupe l’habitat précaire.
L’élaboration de proje
ctions de recul du trait de côte est un
exercice particulièrement délicat. Il est en effet difficile de prévoir la
réponse des systèmes littoraux au changement climatique, notamment
lorsque ces modifications sont fortes et rapides par rapport à leur capacité
d’adaptation. Elles dépendent en outre de nombreux paramètres, comme
la prise en compte du rôle des ouvrages de défense contre la mer ou des
effets des tempêtes exceptionnelles. En dépit de ces difficultés, plusieurs
approches scientifiques sont mobilisables, qui permettent par ailleurs
d’intégrer aux diagnostics de risque l’élévation prévisible du niveau de la
mer. Un effort de recherche et développement doit toutefois être consenti
pour les fiabiliser davantage.
3 -
L’actualisation des normes
Plusieurs
enquêtes ont enfin mis en évidence l’importance de
disposer de normes qui tiennent compte des données et projections les
plus récentes.
Ainsi les normes européennes de construction des voies ferrées et
des gares, auxquelles se réfèrent SNCF Réseau et SNCF Gares et
connexions, n’ont pas encore été adaptées au changement climatique.
Certaines de ces règles ne peuvent plus être considérées comme prévoyant
des marges suffisantes. Dans l’attente de leur mise à jour, prévue par la
stratégie européenne d’adaptatio
n au changement climatique, il incombe
aux gestionnaires d’infrastructures d’identifier au cas par cas, d’une part,
les équipements industriels pour lesquels les exigences de sécurité ou de
performance justifient d’utiliser des produits aux spécificités te
chniques
adaptées à un environnement plus contraignant et, d’autre part, les gares
que leur environnement immédiat expose à des vulnérabilités nouvelles, ce
qui implique d’en renforcer la résistance.
COUR DES COMPTES
68
Il leur appartient également d’actualiser les référentie
ls internes qui
s’appliquent à certaines composantes des infrastructures. À la suite de la
canicule de 2003, SNCF Réseau a ainsi relevé de 6 °C la température
maximale que doivent supporter les rails. Il a plus récemment décidé de
porter de - 20 °C à
–
10 °C et de + 50 °C à + 60 °C les niveaux minimaux et
maximaux de température que devront supporter les caténaires de nouvelle
génération. Ces choix n’ont toutefois pas été examinés sous le prisme
d’analyses prospectives des aléas auxquels ces composantes son
t soumises.
En contrepoint, l’enquête sur l’adaptation des centrales nucléaires et
des ouvrages hydroélectriques a montré que le changement climatique était
largement intégré dans les référentiels et normes de sûreté des entreprises
concernées, en particulier EDF et la Compagnie nationale du Rhône.
La conception des centrales actuellement en service et les
dispositions relatives à la sûreté nucléaire n’ont pas, à l’origine, intégré les
effets du changement climatique. Cependant les niveaux de protection
retenus prenaient en compte un niveau de référence pour faire face aux
agressions externes d’origine naturelle, auquel ont été ajoutées des marges
supplémentaires. Les centrales en exploitation ont ainsi été conçues avec
des règles et des précautions permettant de faire face à des aléas de niveau
au moins centennal. Dans le cadre des réexamens périodiques de sûreté,
réalisés
a minima
lors des visites décennales propres à chaque réacteur, les
référentiels de sûreté sont réévalués en tenant compte du retour
d’expérience national et international, de l’évolution des connaissances et
des meilleures pratiques disponibles. Par ailleurs l’
Autorité de sûreté
nucléaire (ASN) a lancé avec EDF une démarche d’analyse des enjeux liés
à la poursuite du fonctionnement des réa
cteurs actuels jusqu’à 60
ans et au-
delà. De la même façon, la sûreté et la sécurité des ouvrages
hydroélectriques ont progressivement intégré le changement climatique.
E -
Le défi de l’adhésion des citoyens
L’information des citoyens sur les risques, sur les
choix à opérer,
mais également sur les opportunités qu’offre l’adaptation au changement
climatique, constitue également un enjeu majeur pour assurer l’adhésion
de la population à la démarche.
Alors que, dans neuf cas sur dix, les feux de forêt sont d’origi
ne
humaine, l’efficacité de la lutte contre ce fléau impose de développer les
dispositifs de sensibilisation du public. En 2023, l’État a ainsi rappelé aux
2,5 millions de propriétaires leur obligation légale de débroussaillage, qui
est mal connue, mal comprise et peu respectée. La multiplication des
oppositions locales, voire des incidents, souligne la nécessité d’organiser
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
69
dans les territoires un échange démocratique sur les bienfaits d’un entretien
collectif de la forêt. Plus généralement, la diffusion d
’une culture de
gestion du risque de feux de forêt s’impose notamment dans les régions
nouvellement touchées par le phénomène.
L’enjeu de la diffusion, dans la population, des connaissances
scientifiques sur les conséquences du changement climatique et d’
une
culture du risque est également essentiel pour assurer l’efficacité des
mesures de prévention des catastrophes naturelles liées au climat outre-
mer. La mise en œuvre effective de ces mesures, parfois contraignantes et
dont les bénéfices n’apparaissent qu’au fil du temps, dépend en large part
de l’adhésion et de la responsabilisation individuelle des habitants. Leur
perception des risques est toutefois atténuée par la fréquence peu élevée
d’événements climatiques extrêmes. Il convient de l’entretenir en
associant
la population à la préservation de la mémoire collective de ces risques.
De la même façon, la communication vers la population générale et
en direction des personnes vulnérables constitue un élément déterminant
pour prévenir les conséquences sanitaires des vagues de chaleur. Elle
nécessite la diffusion de messages adaptés, sur l’ensemble des supports
disponibles (télévision, radio, réseaux sociaux), en amont comme pendant
les épisodes de vigilance. Elle appelle également un recours plus large et
f
réquent à l’envoi d’alertes individualisées sur téléphone portable.
L’adhésion de la population nécessite que l’information porte enfin sur
les bénéfices individuels et collectifs de l’adaptation. Ainsi, le recours accru,
dans le cadre de la politique du logement, au dispositif « MaPrimeRénov »
comme vecteur de financement d’opérations de rénovation globale, incluant
non seulement le changement du système de chauffage, mais également
l’amélioration de la ventilation, de l’isolation et de la protection sola
ire des
logements, doit tout à la fois permettre d’en améliorer le confort pour les
résidents et favoriser le recrutement, par les entreprises du bâtiment, de
professionnels compétents pour réaliser ce type de travaux.
Il ressort de cet ensemble d’éléments
que le déploiement efficace de
mesures d’adaptation au changement climatique doit être précédé
d’importants efforts pour convaincre de sa nécessité et de ses bienfaits,
identifier les principaux enjeux et réduire les incertitudes. La part
d’incertitude su
bsistante ne doit pas être paralysante : compte tenu de
l’urgence de l’adaptation dans de nombreux domaines, la puissance
publique doit l’accepter et agir, en fixant des objectifs cohérents avec l’état
des connaissances, en déterminant une trajectoire pour les atteindre et en
faisant preuve d’agilité si l’évolution des projections impose de modifier
les objectifs ou d’adapter la trajectoire.
COUR DES COMPTES
70
II -
La nécessité de la cohérence
La cohérence nécessite de concilier les objectifs de l’adaptation au
changement climatique avec ceux des nombreuses autres politiques
publiques avec lesquelles elle est en adhérence ou en opposition. Elle
impose également une planification adaptée, des arbitrages et une
coordination des acteurs à une échelle appropriée, nationale, territoriale ou
locale selon les sujets. L’État doit pour sa part fixer des objectifs et définir
une trajectoire pour les atteindre.
A -
La conciliation des objectifs d’adaptation avec ceux
d’autres politiques publiques
Le présent rapport montre que dans de nombreux domaines, les
objectifs de l’adaptation au changement climatique doivent être conciliés
avec ceux d’autres politiques publiques.
Cette indispensable conciliation est particulièrement complexe
lorsque le domaine concerné présente de multiples enjeux parfois
con
tradictoires. C’est typiquement le cas de l’agriculture céréalière, dont
le développement doit conjuguer des enjeux de souveraineté alimentaire,
de production pour l’exportation, de transition agroécologique et de
partage de la ressource en eau, qui pousse
nt selon les cas à l’augmentation
de la productivité ou à la sobriété.
Dans de nombreux domaines, les objectifs de l’adaptation doivent
être articulés avec ceux du développement économique.
Ces derniers ont jusqu’à présent primé dans l’appréhension des
ris
ques du réchauffement climatique en montagne. L’objectif principal de
la plupart des stations est en effet de préserver le plus longtemps possible
un modèle économique, fondé sur la primauté d’activités de sport d’hiver,
dont la pérennité est menacée à court ou moyen terme mais qui sont
réputées générer davantage de recettes et d’emplois, et donc être plus
favorables au développement économique des territoires concernés que
d’autres activités s’inscrivant dans le modèle alternatif d’un tourisme dit
« quatre saisons ».
Dans le même sens, les mesures à prendre pour adapter le littoral
aux risques d’érosion côtière et de submersion marine peuvent être
contraintes par la volonté des populations et des élus concernés d’assurer
la pérennité d’activités, notamment
touristiques, menacées par le recul du
trait de côte. Plusieurs modes d’intervention coexistent, qui vont de la
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
71
fixation du trait de côte, par l’installation d’ouvrages de défense ou de
systèmes de protection plus souples, à des mesures de recomposition
sp
atiale, c’est
-à-dire de déplacement des biens, activités et populations
menacés des zones à risque vers des espaces moins exposés. Les exigences
du développement économique des territoires concernés les conduisent
généralement à préférer les solutions consistant à fixer le trait de côte à des
opérations plus lourdes d’adaptation au recul du trait de côte par
réaménagement de l’espace.
Les objectifs de l’adaptation doivent aussi parfois être conciliés avec
ceux de la politique d’urbanisme. Cette articulation
est également difficile.
C’est le cas en matière de protection de la forêt contre les incendies.
Depuis 40
ans, la lisière des forêts s’est transformée sous l’effet de la
déprise agricole, de l’urbanisation, de l’extension des zones d’habitat diffus
et du développement des équipements touristiques. Or la doctrine de la
sécurité civile dans la lutte contre les feux de forêt fait de la protection de
l’habitat une priorité par rapport à l’attaque du feu. Près de la moitié des
moyens terrestres déployés pour chaque feu de forêt est ainsi consacrée à
la défense des « points sensibles
» urbanisés. La mise en œuvre d’actions
efficaces de lutte contre les feux de forêt impose donc que les documents
d’urbanisme des communes ou de leurs groupements limitent les
possi
bilités d’urbanisation dans les zones forestières ou les secteurs
présentant des risques particuliers. Les élus concernés sont cependant
souvent soumis à des pressions de sens contraire.
L’utilisation et l’occupation des sols constituent également un enje
u
de premier plan dans les territoires ultramarins, qui doivent faire face à une
disponibilité foncière limitée, à une pression démographique croissante sur
le littoral et à la présence d’une part importante d’habitat sans droit ni titre.
La dissémination de constructions dans des zones à risque (abords de
ravines, embouchures de cours d’eau) peut occasionner des dégâts
particulièrement importants en cas d’aléas climatiques. La prévention de
ces catastrophes passe donc notamment par une rationalisation de
l
’urbanisme, qui nécessite des décisions courageuses.
Même en cas de péril certain, le relogement des populations
installées dans des zones identifiées à fort risque est en effet entravé par
l’attachement des habitants à des parcelles familiales, la présence d’un
habitat informel et, plus généralement, la sensibilité de la question de
l’accès au foncier, qui nourrit l’opposition de la population à des actions
coercitives d’évacuation des occupants. Porteuses de mécontentement
social immédiat, ces décisions s
ont d’autant plus difficiles à faire accepter
que leurs effets et bénéfices s’inscrivent dans le temps long et ne sont donc
pas immédiatement visibles au quotidien.
COUR DES COMPTES
72
L’adaptation au changement climatique doit également composer
avec la protection des écosystèmes, des paysages, des espaces et des
ressources naturelles, en particulier la ressource en eau.
Les centrales nucléaires et ouvrages hydroélectriques ont ainsi en
commun d’être dépendants de cette ressource pour l’exploitation et la sûreté
des ins
tallations. Or la disponibilité de l’eau est affectée par le réchauffement
climatique, dont les impacts directs et indirects sur la ressource iront
grandissants (baisse des débits et augmentation des températures des cours
d’eau, pressions environnementale
s, arbitrage sur les usages). Les
conséquences de ces phénomènes sur la production ont jusqu’à présent été
limitées : ils se traduisent par des indisponibilités faibles mais croissantes des
centrales nucléaires et une érosion, lente mais qui s’accentue éga
lement, du
potentiel de production des ouvrages hydroélectriques. Ils font toutefois
peser des exigences nouvelles pour le développement des installations
futures, mais également l’exploitation du parc existant.
L’adaptation des stations de montagne doit a
ussi tenir compte de la
raréfaction de la ressource en eau. Alors que le rôle de «
château d’eau
»
que joue la montagne est mis en danger par le réchauffement climatique, le
développement par les stations d’équipements de production de neige
entraîne une a
ugmentation de la consommation d’eau. Cette évolution
commence à susciter des conflits d’usage
: durant l’hiver 2022
-2023, des
épisodes de sécheresse hivernale ont ainsi empêché l’alimentation en eau
potable de certaines populations des Pyrénées-Orientales. Le code de
l’environnement prévoit pourtant que le recours à l’eau doit être
prioritairement consacré à la consommation humaine. La question se pose
d’une adaptation de ce cadre normatif, afin de permettre aux préfets de tenir
compte des évolutions à venir du climat et des perspectives de raréfaction
de la ressource en eau pour l’attribution des autorisations de prélèvement.
Dans certains domaines, les enjeux sont plus naturellement
conciliables.
Il en va ainsi de la conjugaison de la trajectoire d’adapta
tion des
réseaux de transport et de distribution d’électricité et du développement de
la production d’énergie renouvelable programmé au titre de la transition
énergétique. En raison notamment de la dispersion des sites de production et
de la nécessité de g
érer les périodes de déconnexion entre l’offre et la
demande, l’essor de la production d’électricité d’origine éolienne et solaire
nécessite une augmentation de la taille des réseaux, ce qui accroît
mécaniquement leur exposition aux risques climatiques. La conception et le
dimensionnement des nouveaux ouvrages de raccordement doivent donc
tenir compte de l’évolution de ces risques. Cependant les travaux nécessaires
au développement de la production d’électricité renouvelable offrent aussi
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
73
l’occasion d’améli
orer la résilience des ouvrages existants. Ce défi et cette
opportunité imposent à RTE et Enedis de mieux articuler leurs réflexions sur
l’adaptation au changement climatique et la transition énergétique.
Dans le même sens, l’efficacité de l’adaptation des
logements au
phénomène des pics de chaleur ne dépend pas seulement de mesures les
concernant directement. Cette politique doit s’inscrire dans le cadre plus
large de l’adaptation des centres urbains, qui impose notamment la mise en
œuvre d’actions spécifi
ques pour lutter contre le phénomène des îlots de
chaleur, telle que la végétalisation, instrument de rafraîchissement auquel de
plus en plus de villes ont recours. La réponse au risque d’inondation nécessite
aussi de conjuguer des mesures de protection des immeubles et des
opérations de « désimperméabilisation
» des sols conduites à l’échelle des
centres urbains. S’agissant de la réponse à apporter à la multiplication et à
l’intensification des épisodes de canicule, l’arbitrage entre l’installation dans
les logements de systèmes individuels de climatisation électrique et le
déploiement dans les centres urbains de systèmes collectifs de réseau de froid
(cf.
infra
, le point
III.A) illustre parfaitement la nécessité d’articuler les
objectifs de la politique du logement et ceux de la politique de la ville.
B -
La planification des actions à entreprendre
La cohérence de l’action publique en matière d’adaptation au
changement climatique nécessite aussi une planification adaptée des
actions à réaliser. Sur ce plan, les travaux des juridictions financières ont
mis en évidence d’importantes marges de progrès, au niveau national
comme à l’échelon territorial et local.
Au plan national, l’immobilier constitue ainsi un angle mort du plan
national d’adaptation au changement c
limatique (PNACC). Le premier
PNACC, portant sur la période 2011-2015, avait correctement identifié les
principaux enjeux de l’adaptation dans ce domaine. Cependant les quatre
chantiers prévus au titre du volet
« Urbanisme et cadre bâti »
du plan, portant
notamment sur l’adaptation des documents d’urbanisme, le développement
des espaces verts, la lutte contre la canicule en ville et l’amélioration du
confort du bâti dans le contexte de hausse globale des températures, n’ont
pas reçu de traduction concrète a
utre qu’un appui à la recherche. Plus
étonnamment, après cette première prise de conscience, l’enjeu immobilier
n’a pas été repris et approfondi dans le deuxième plan national d’adaptation
au changement climatique, portant sur la période 2018-2022. Les actions
concernées ont en effet été disséminées dans des rubriques transversales
portant sur
« la recherche et la connaissance »
,
«
l’information et la
sensibilisation »
ou
« les lois, codes, normes et règlements techniques »
.
COUR DES COMPTES
74
La planification de l’État est é
galement peu opérante et dispersée en
ce qui concerne le tourisme en montagne. Alors que la loi du 9 janvier 1985
relative au développement et à la protection de la montagne confie à l’État
la responsabilité de
«
prendre en compte et d’anticiper les effets
du
changement climatique en soutenant l’adaptation de l’ensemble des
activités économiques à ses conséquences, notamment dans les domaines
agricole, forestier et touristique »
, les quelques mesures du PNACC 2
concernant le tourisme en montagne sont trop larges et peu opérationnelles.
Le plan
« avenir montagne »
mis en place pour accompagner la réouverture
des stations à la suite de la pandémie de covid-19 et accélérer la transition
écologique présente aussi des insuffisances significatives. Les actions
prévues sont en effet dispersées et très inégales dans leurs ambitions. La
priorité ayant été donnée aux projets les plus avancés, qui n’étaient pas
nécessairement portés par les territoires les plus exposés aux conséquences
du changement climatique, le plan
ne s’est pas montré à la hauteur des
enjeux qu’impose la transition des stations les plus fragiles vers un modèle
de tourisme « quatre saisons ».
Le troisième plan national d’adaptation au changement climatique,
qui était en cours de finalisation lorsque le présent rapport a été publié,
devra corriger ces insuffisances.
La planification rencontre également des limites à l’échelon
territorial et local.
L’adaptation des villes au changement climatique s’inscrit ainsi
dans un empilement de documents de planification géographiques et
sectoriels mal articulés entre eux et avec le plan national d’adaptation au
changement climatique. Un travail de simplification de ces documents a
été engagé, qui inclut la possibilité d’en fusionner certains. Ce chantier
inabouti doit être poursuivi.
La planification locale de l’adaptation du trait de côte au
changement climatique est pour sa part encore incomplète. À la suite de
l’adoption du premier PNACC, l’État a, dès 2012, arrêté une stratégie
nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNIGTC). Cette stratégie a
fait l’objet sur le terrain de déclinaisons hétérogènes. À la date de
parution du présent rapport, moins d’une quinzaine de communes ou
groupements de communes avaient adopté une stratégie territoriale, dont
11 pour la seule Nouvelle-Aquitaine. La portée et le contenu de ces
documents stratégiques, très partiellement opposables et dépourvus de
cahier des charges, sont très inégaux, ce qui reflète il est vrai en partie la
grande diversité des situations constatées.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
75
Facultative, l’élaboration de stratégies territoriales et locales de
gestion du trait de côte devrait être encouragée pour rompre avec la
multiplication d’interventions ponctuelles, guidées par l’urgence et donc
souvent dépourvues de vision à long terme.
En l’état du droit, seuls un
engagement accru des collectivités territoriales et une incitation forte de
l’État, par la voie de la contractualisation, garantiront l’appropriation locale
des principes de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte.
Alors que leur élaboration nécessite de mobiliser des moyens
importants en relevés de terrain, analyses des données et expertises, les
instruments de planification de la gestion forestière, qui prennent la forme
de documents de gestion fixant, sur
une longue période, à l’échelle de
chaque domaine forestier, les programmes de coupes et de travaux à
réaliser en fonction de la spécificité de la forêt, ne répondent pas non plus
de manière satisfaisante aux enjeux de l’adaptation. Ces documents de
gestion prédictifs se fondent en effet sur les résultats du passé et le principe
de stabilité des conditions du milieu. Ils n’intègrent donc que très rarement
la question de l’impact du changement climatique et, en conséquence, ne
sont pas cohérents avec l’état sanitaire des massifs, qui nécessite d’adapter
le programme des travaux et des coupes.
Compte tenu de l’accélération et de l’intensification des effets du
changement climatique sur la forêt métropolitaine, l’ensemble des acteurs
considère qu’il est désormais impossible de planifier l’exploitation
forestière au-delà de cinq ans. Des expérimentations ont dès lors été lancées
pour définir un autre modèle, fondé sur l’évaluation en continu de la
vulnérabilité des peuplements et de l’action des forestiers sur le
terrain.
La cohérence de l’adaptation des stations de montagne au
changement climatique souffre pour sa part de l’absence de coordination
des stratégies locales par les régions et les départements. En effet ces
grandes collectivités n’utilisent pas les in
struments dont elles disposent
pour faire émerger une stratégie précise et opposable à l’échelle des
territoires. Alors qu’elles jouent un rôle essentiel pour financer les projets
d’investissement des stations, les régions se limitent à un rôle de
pourvoyeur de subventions selon une logique de guichet, qui ne permet pas
d’impulser une dynamique de changement auprès des autorités
organisatrices. Certaines de ces grandes collectivités sont membres de
plusieurs syndicats mixtes gérant des stations de montagne et disposent de
participations dans des sociétés d’exploitation par l’intermédiaire de
sociétés d’économie mixte. Cependant elles ne se saisissent pas non plus
de ces moyens d’action pour impulser une stratégie répondant aux enjeux
spécifiques du changement climatique en montagne.
COUR DES COMPTES
76
La prévention des catastrophes naturelles liées au climat outre-mer
nécessite une planification globale élaborée. Les évolutions climatiques,
démographiques et sociales que connaissent les territoires d’outre
-mer
rendent les documents correspondants assez rapidement caducs. Il est donc
essentiel de les actualiser périodiquement, ce qui n’est pas toujours fait
avec la rigueur requise. Les services compétents de l’État ont commencé à
recenser en 2023 les plans liés à la prévention et à la gestion des
catastrophes naturelles, afin de les adapter à la lumière des données
scientifiques les plus récentes sur les conséquences du changement
climatique outre-mer.
C -
Le pilotage et la coordination des acteurs
La mise en œuvre d’une planification
adaptée est une condition
nécessaire mais non suffisante pour assurer la cohérence de l’action publique
en matière d’adaptation au changement climatique. Alors qu’interviennent
de nombreux acteurs, il faut aussi un pilote qui arbitre et coordonne. Sous cet
angle également, le rapport dessine une situation contrastée.
1 -
Le pilotage
Dans certains domaines, le pilote opérationnel de l’adaptation n’en
assume pas encore complètement la responsabilité. C’est le cas de l’État en
ce qui concerne sa politique
immobilière, qu’il a jusqu’à présent focalisée
sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre des bâtiments. Ainsi
les investissements immobiliers de l’État sont
-ils principalement ciblés sur
la rénovation thermique des bâtiments et les économies d
’énergie. Seules
quelques
opérations,
comme
le
programme
de
construction
de
15 000 places de prison sur la période 2018-2027 et de rénovation de
12 établissements pénitentiaires construits avant 2000, comportent un volet
« adaptation
», concernant en l’esp
èce le risque de canicule.
Les gestionnaires de grands réseaux ont pour leur part élaboré une
organisation et des procédures spécifiques pour appréhender les enjeux de
l’adaptation au changement climatique. Ces démarches sont toutefois
inégalement abouties.
Depuis le 1
er
janvier 2020 et le passage de la SNCF au statut de
société anonyme, la
holding
a mis en place un comité stratégique
d’
« adaptation au changement climatique »
, qui a retenu deux scénarios
climatiques de référence pour la réalisation des études de vulnérabilité des
réseaux et équipements de la SNCF. Toutefois, alors qu’elle a décidé de
généraliser ces études, l’entreprise n’a pas encore instauré de dispositif
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
77
permettant de mesurer les avancées réalisées par ses filiales et ne leur a
imposé aucune obligation de
reporting
. Par ailleurs, bien que des freins
structurels au déploiement d’une politique d’adaptation demeurent, SNCF
Réseau et SNCF Gares et connexions n’ont pas mis en place d’organisation
spécifique en la matière.
L’objectif d’
adaptation au changement climatique est intégré depuis
quelques années à la politique de responsabilité sociale d’entreprise
d’EDF. Cependant les épisodes climatiques de l’été 2022 l’ont conduite à
accélérer la démarche. Le groupe n’anticipait en effet jus
que-
là l’apparition
de tels phénomènes qu’à un horizon de 15 à 20
ans. Des plans d’adaptation
au changement climatique ont été élaborés, notamment au sein de la
direction de la production nucléaire, dont le projet « ADAPT » prévoit
d’analyser à horizon 205
0, site par site, les conséquences du changement
climatique pour sécuriser la production. Les investissements d’adaptation
résultant de ce plan sont intégrés dans le programme industriel Grand
Carénage de rénovation et de modernisation des centrales nucléaires
existantes, visant à prolonger la durée de leur fonctionnement. Pour les
nouveaux programmes nucléaires (Flamanville 3 et EPR2), la démarche
d’adaptation s’inscrit dans un plan de gestion et d’atténuation des risques
dès la conception des centrales.
2 -
La coordination
Dans de nombreux domaines, l’amélioration de la cohérence de
l’action publique passe par un renforcement de la coordination des acteurs
à une échelle appropriée, nationale, territoriale ou locale.
Les organismes publics de recherche ont bien identifié les enjeux de
l’adaptation au changement climatique et apportent une expertise
essentielle pour éclairer la décision (cf.
infra
, le point III.B). Cependant
leur appui souffre de l’absence d’une coordination nationale, pourtant
indispensable pour
atténuer les inconvénients d’une gestion structurée en
silos. Il convient également de mieux articuler avec l’échelon national les
groupes régionaux d’experts sur le climat (Grec) qui ont été mis en place
depuis une dizaine d’années dans certaines régions
mais dont la qualité des
travaux et le rayonnement sont inégaux.
La question de la coordination des interventions des entités du
« bloc communal » constitue dans plusieurs domaines un enjeu majeur de
cohérence de l’action publique.
COUR DES COMPTES
78
Alors que, depuis 201
5, l’obligation d’adopter un plan climat
-air-
énergie territorial (PCAET) incombe aux établissements publics de
coopération intercommunale de plus de 20 000 habitants, de nombreuses
communes continuent d’adopter des «
plans climat ». Cette situation
s’expli
que par le fait que certaines des compétences nécessaires pour
mettre en œuvre l’adaptation des villes continuent de s’exercer à leur
niveau. Ainsi, la rénovation thermique des bâtiments publics concerne
davantage l’échelon communal que le niveau intercomm
unal. La gestion
des crises et la prévention des risques sanitaires auxquels sont exposées les
personnes vulnérables relèvent également des communes. À défaut de
rationalisation de la répartition de ces compétences, la cohérence
commande que les PCAET soient élaborés et que le suivi de leur mise en
œuvre soit assuré conjointement par les intercommunalités et les
communes qui en sont membres.
Ce besoin de coordination se fait également sentir lorsque les volets
« adaptation » des PCAET adoptés par les groupements de communes
définissent des politiques de prévention des risques d’inondation et de
retrait-
gonflement des sols argileux, de végétalisation ou d’aménagement
d’espaces de fraîcheur. L’introduction de ces objectifs nécessite des
arbitrages entre des politiques « historiques » (construction de logements,
renouvellement urbain) et des politiques plus récentes, telles que le
développement des espaces verts et la lutte contre l’artificialisation de sols.
Elle exige aussi une étroite coordination entre niveaux de collectivités, par
exemple lorsqu’une métropole porte la responsabilité de travaux de voirie
mais que les communes membres en conserve la gestion quotidienne, y
compris celle des espaces verts.
La mobilité du trait de côte doit également être traitée à une échelle
pertinente, en mobilisant les moyens appropriés, dont ne dispose pas
toujours une commune seule. Le législateur a donc identifié l’échelon
intercommunal, en principe compétent en matière de gestion des milieux
aquatiques et de prévention des inondations (GeMAPI), comme le porteur
privilégié de la politique de gestion du trait de côte. Nombre de stratégies
ou d’actions continuent toutefois d’être mises en œuvre au niveau
communal, alors qu’elles ont des incidences sur des territoires adjacent
s et
pourraient être mutualisées.
La responsabilité légale incombant aux propriétaires de protéger
leurs biens étant rappelée, l’indispensable rationalisation du dispositif
passe notamment par l’intégration de la gestion du trait de côte dans le
périmètre
de la GeMAPI, qui n’y est pour l’instant incluse que comme une
mission facultative. Résultant d’une interprétation qui a évolué dans le
temps et n’a pas été confirmée par le juge administratif, ce rattachement
juridiquement fragile est en effet contesté par certains élus locaux.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
79
La question de la gouvernance de l’adaptation des stations de
montagne au changement climatique se pose dans des termes similaires. En
effet, l’organisation actuelle, centrée sur l’échelon communal et des
regroupements insuffisants, ne permet pas aux acteurs de la montagne de
concevoir et mettre en œuvre les mesures nécessaires à l’échelle d’un
territoire pertinent.
À l’image des autres grands pays du ski, la France aurait tout intérêt
à promouvoir une organisation fédérant l’ensemb
le des acteurs concernés
–
collectivités locales et acteurs économiques privés
–
autour de projets de
territoire plus vastes et d’une gouvernance élargie. Il appartient aux élus
locaux, en fonction des réalités locales et des spécificités de leurs territoires,
d’utiliser les outils institutionnels et les espaces de coordination disponibles
-
intercommunalités, syndicats mixtes, espaces valléens
–
et de renforcer le
rôle des départements et des régions dans la gouvernance des stations. Il leur
incombe égalem
ent d’organiser l’insertion des acteurs économiques au
travers de sociétés d’économie mixte ou dans un cadre conventionnel.
D -
Le rôle de stratège de l’État
Dans certains domaines, l’État ne joue pas correctement son rôle de
stratège, qui consiste notamment à fixer des objectifs et à définir une
trajectoire pour les atteindre.
Ainsi pour sortir d’une logique de réponse au cas par cas et
construire une stratégie d’adaptation au changement climatique, les
gestionnaires d’infrastructures ferroviaires doivent pouv
oir se référer à un
niveau de résilience cible, partagé par les parties prenantes (autorités
organisatrices de la mobilité, gestionnaires d’infrastructures, usagers), dont
la définition relève de la responsabilité de l’État. Cette démarche doit
conduire l’
État à déterminer un niveau de disponibilité attendu du réseau
ferroviaire en fonction de l’intensité des aléas rencontrés qui soit
compatible avec l’objectif consistant à porter à 42
% en 2050 la part
modale du transport ferroviaire. Cette cible devra symétriquement
déterminer le niveau d’indisponibilité jugée acceptable du réseau, afin de
concentrer les investissements sur les adaptations prioritaires.
De la même façon, il incombe à l’État de formaliser les objectifs
qu’il assigne aux gestionnaires des r
éseaux de transport et de distribution
d’électricité, à travers la réglementation et la contractualisation. Leur
adaptation au changement climatique devrait en effet figurer de façon
explicite dans les contrats de service public passés par l’État avec RTE
et
Enédis. Ce n’est pas le cas du contrat conclu le 29
mars 2022 avec RTE,
qui évoque le changement climatique mais ne prévoit aucun objectif
COUR DES COMPTES
80
spécifique lié à l’adaptation du réseau de transport d’électricité. Le même
contrat qu’en dépit d’une recommandation réitérée de la Cour, l’État n’a
toujours pas passé avec Enedis, devra comporter également des objectifs
d’adaptation au changement climatique assortis d’indicateurs de résultats.
La situation est identique pour les entreprises gestionnaires du réseau
et
des gares ferroviaires. En effet, ni la politique publique d’adaptation au
changement climatique, au travers le PNACC 2 ou le chantier
« Mieux se
déplacer »
du secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ni
les documents encadrant l’action des gestionnaires d’infrastructures,
comme les contrats de performance passés avec l’État, ceux conclus avec
les autorités organisatrices de la mobilité ou encore la charte de l’État
actionnaire responsable de l’
A
gence des participations de l’État (APE), ne
prévoient d’objectif à atteindre ou d’obligations à satisfaire pour le secteur
ferroviaire en matière d’adaptation au changement climatique.
III -
L’exigence de l’efficience
Alors que le contexte d’urgence ou d’appréhension au fil de l’eau
des effets du changement climatique est porteur de risques de mal-
adaptation, la recherche a un rôle majeur à jouer pour proposer aux acteurs
des solutions adaptées. L’arbitrage entre ces options doit être précédé d’une
évaluation précise des coûts actuels et futurs de l’adapt
ation, qui est encore
trop souvent lacunaire, voire inexistante. La réglementation et l’action sur
les prix constitue par ailleurs d’importants leviers pour responsabiliser et
inciter les citoyens et les entreprises à agir. Le déploiement effectif
d’actions d’adaptation suppose enfin de favoriser l’appropriation par les
décideurs des données, outils et solutions mis à leur disposition.
A -
Un contexte parfois porteur de risques de mal-adaptation
La gestion de l’adaptation s’inscrit parfois dans un contexte
d’urgence ou d’appréhension au fil de l’eau des effets du changement
climatique, peu propice à l’efficacité de l’action publique.
La prévention des catastrophes naturelles d’origine climatique
outre-
mer souffre ainsi de la primauté de l’urgence et de la préval
ence
d’une logique de court terme résultant notamment de la priorité donnée à
la gestion des conséquences des crises aux dépens de la prise en compte de
l’aggravation des risques. Par ailleurs les décisions visant à réduire les
risques futurs dus aux aléas climatiques se trouvent en concurrence avec
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
81
des mesures produisant des effets de plus court terme, notamment pour le
développement économique des territoires ultramarins. Les fragilités de
ces territoires, cumulées à une insuffisante sensibilisation des habitants et
des élus aux risques nouveaux apportés par le changement climatique,
entraînent ainsi souvent un arbitrage défavorable aux politiques de
prévention et un fléchage prioritaire des investissements dans des
infrastructures telles que les transport
s et l’assainissement, l’énergie, l’eau,
le numérique ou la modernisation des logements.
De même que la priorité donnée à la préservation d’un modèle
économique, comme dans le cas évoqué plus haut des stations de montagne
(cf. le point II.A), ce contexte général offre un terreau favorable à la mal-
adaptation, c’est
-à-dire à des mesures conçues pour réduire la vulnérabilité
d’un système naturel ou humain qui conduisent en réalité à l’augmenter.
Ces erreurs peuvent prendre plusieurs formes : utilisation inefficace des
ressources comparée à d’autres options, mesures réduisant la flexibilité des
systèmes naturels ou humains et donc les marges de leur adaptation future,
erreur de calibrage entraînant une sous-adaptation et nécessitant des
interventions ultérieures qui auraient pu être évitées.
Dans certaines situations, le déploiement systématique ou trop
poussé, par certaines stations de montagne, d’équipements de production de
neige, sans tenir compte des paramètres climatiques prospectifs, peut ainsi
conduire à une mal-
adaptation. C’est le cas, par exemple, lorsque la station
recourt à des installations de production de neige à température positive, très
consommatrices d’énergie, sans tenir compte de la disponibilité de la
ressource en eau. Le déploiement non raisonné de ces équipements augmente
la vulnérabilité des stations, au lieu de la réduire. Il accroît en effet leur
dépendance aux ressources locales en eau et fragilise les territoires en aval.
La course à l’équipement en production de neige est par ailleu
rs coûteuse :
elle représente en moyenne 13,6 % du montant total des investissements des
stations de montagne, auxquels s’ajoutent les coûts de maintenance, les
dépenses de fluide et les charges salariales de gestion de ces équipements.
Elle menace plus pa
rticulièrement l’équilibre financier des petites stations
situées à basse altitude, qui consacrent une part proportionnellement plus
importante de leurs investissements à la production de neige.
La gestion du recul du trait de côte recèle également des risques de
même nature. Les collectivités locales situées sur des littoraux sableux
ont ainsi parfois recours à des dispositifs dits de « lutte active souple »
contre l’érosion, prenant la forme d’opérations de rechargement de plage
réalisées en urgence ou sans disposer du recul suffisant sur leur impact
environnemental. Ce mode d’intervention ne fait que reporter l’échéance
du recul du trait de côte et fausse donc l’effectivité de la «
protection »
qu’il procure.
COUR DES COMPTES
82
Le recours trop large à la climatisation des logements en réponse à la
multiplication et à l’intensification des épisodes de canicule offre un autre
exemple de mal-adaptation potentielle. Outre une augmentation de la facture
énergétique, le développement rapide et non régulé des moyens individuels
de climatisation présente un double risque
: d’une part, celui d’une hausse
des émissions de gaz à effet de serre, liée à leur consommation énergétique
mais aussi à la présence de fluides frigorigènes dans les climatiseurs, en
raison de fuites et de l’absence
de destruction ou de recyclage des gaz lorsque
ces équipements ne sont plus en état de fonctionner et, d’autre part, le risque
d’un accroissement des phénomènes d’îlots de chaleur urbains, le rejet d’air
chaud à l’extérieur des logements climatisés suscit
ant une augmentation des
températures qui peut atteindre localement plusieurs degrés.
Le développement de réseaux de froid urbain constitue une solution
alternative mieux adaptée pour répondre aux besoins de rafraîchissement
des bâtiments. En effet, ces dispositifs, qui consistent à faire circuler en
circuit fermé une eau refroidie par une centrale frigorifique, qui y retourne
après avoir gagné quelques degrés en rafraîchissant les bâtiments où elle
est distribuée, présentent une efficacité énergétique et environnementale
cinq à dix fois supérieure aux systèmes de climatisation électrique
classiques. Quand ils reposent sur la technique du refroidissement naturel
dans l’eau (
free-cooling
), ces systèmes permettent également de réduire les
phénomènes d’îlot de
chaleur urbain en évitant la dissipation de la chaleur
résiduelle dans l’air ambiant de la ville.
B -
Le rôle essentiel de la recherche pour trouver
des solutions adaptées
Les acteurs sont parfois démunis pour choisir les solutions les plus
efficaces et déterm
iner le calendrier de leur mise en œuvre. La recherche a
un rôle majeur à jouer pour leur proposer des réponses constamment
adaptées à des risques eux-mêmes évolutifs.
Le chapitre sur la place et le rôle de la recherche publique dans
l’adaptation au change
ment climatique montre que la recherche française
est performante dans le secteur des sciences climatiques, domaine essentiel
pour élaborer des modèles de prévision efficaces, mais présente des
faiblesses dans d’autres secteurs clés, notamment la santé et l’urbanisme.
Elle doit par ailleurs se renforcer aux interfaces entre adaptation et
atténuation afin d’offrir aux acteurs des solutions permettant de réduire les
risques de mal-
adaptation. L’amélioration de son efficacité à cet égard
passe notamment par un décloisonnement des écosystèmes scientifiques,
les sciences de l’atténuation étant en particulier insuffisamment connectées
aux sciences du climat et de l’adaptation.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
83
Les travaux des juridictions financières montrent que, sur le terrain,
le soutien de la recherche est contrasté.
L’adaptation de l’agriculture céréalière bénéficie des apports d’un
système de recherche et d’innovation public et privé complet et performant.
Ce dispositif cohérent et dynamique offre aux agriculteurs céréaliers un
ensemble de leviers techniques à déployer pour renforcer la résilience de
leurs productions, tant face à l’évolution tendancielle du climat (plus chaud
et sec) qu’aux événements extrêmes (sécheresses record, gels tardifs, fortes
pluies hivernales ou printanières).
Certa
ines des solutions d’adaptation proposées, de nature incrémentale,
consistant par exemple à avancer les dates de semis pour esquiver les périodes
de trop grande chaleur ou à sélectionner des variétés dont la résistance au stress
hydrique est accrue, ont co
mmencé à être mises en œuvre. D’autres, faisant
appel à des transformations systémiques beaucoup plus ambitieuses, comme
la mise en œuvre de processus complexes de rotation des cultures sur longue
période, sont prometteuses mais plus risquées pour les exploitants et ne sont
donc encore utilisées qu’à titre expérimental. Leur déploiement à grande
échelle nécessite de convaincre de leur utilité, non seulement les agriculteurs,
mais également l’ensemble des acteurs économiques et politiques de
l’écosystème dans lequel s’insère l’agriculture céréalière.
La recherche peine en revanche à offrir aux exploitants et aux
entreprises du secteur de la forêt et du bois des solutions concrètes d’adaptation
aux effets du changement climatique. L’accélération des conséquenc
es du
changement climatique sur les forêts génère de fortes attentes des propriétaires,
qui s’interrogent principalement sur le choix des essences à planter et sur le
traitement sylvicole à adopter. Cependant, dans ce contexte particulier, le
temps long de
la recherche en foresterie ne permet pas d’apporter des réponses
certaines et immédiates à ces préoccupations, d’autant qu’une part minoritaire
des moyens disponibles est consacrée à l’adaptation.
De la même façon, dans le secteur du logement, le manque de
connaissances techniques ne permet pas pour l’instant de concevoir des
solutions concrètes et soutenables pour répondre aux risques d’inondation et
de retrait-
gonflement des sols argileux (RGA). Il convient donc d’accélérer
les projets de recherche et dé
veloppement dans ces deux domaines. S’agissant
plus particulièrement du risque de RGA, l’enjeu est d’expérimenter le plus
rapidement possible un panel de mesures de remédiation applicables aux
constructions antérieures à 2020
41
et exposées à ce risque, en s’assurant
qu’elles présentent un rapport coût
-efficacité satisfaisant.
41
Depuis le 1
er
octobre 2020, la vente d’un terrain constructible situé dans une zone
considérée comme exposée au phénomène de retrait-gonflement des sols argileux doit
être précédée
de la réalisation d’une étude technique pour informer l’acquéreur des
surcoûts de construction liés à cet aléa.
COUR DES COMPTES
84
Dans le domaine nucléaire, EDF assure une veille des innovations
sur les systèmes de refroidissement des réacteurs pour faire face aux effets
du réchauffement climatique. Cependant aucune innovation significative
n’a jusqu’à présent été déployée sur le parc existant. Les études dont
dispose l’entreprise l’ont en effet conduite à ne pas faire évoluer la
conception des sources froides (stations de pompage et échangeurs
associés) et à confirmer ses choix technologiques de circuit ouvert pour les
centrales installées au bord de la mer et de systèmes aéroréfrigérants
humides pour les réacteurs situés en bord de rivière.
Il appartient en revanche à EDF d’accroître
ses efforts de recherche
sur les traitements biocides que la technologie des aéroréfrigérants impose
de réaliser et qui sont à l’origine de rejets d’effluents chimiques. Accélérer
la recherche dans ce domaine s’avère en effet nécessaire dans la
perspective
d’une réduction des débits des cours d’eau, et donc d’une
diminution de la dilution de ces rejets et d’une augmentation de leurs effets
cumulés sur un même cours d’eau, au bord duquel plusieurs centrales
dotées de cette technologie sont présentes.
C -
L’enjeu
de l’évaluation des coûts actuels et futurs
de
l’adaptation
La plupart des enquêtes conduites par les juridictions financières ont
montré que l’évaluation des coûts actuels et futurs de l’adaptation est
lacunaire, voire inexistante, faute de données suffisantes mais également
parfois d’objectifs clairs.
C’est typiquement le cas dans le secteur du logement, où ce double
défaut rend pour l’heure le chiffrage global du coût de l’adaptation du
parc résidentiel impossible. Aussi aucune étude prospective n’a
-t-elle été
réalisée pour évaluer les dépenses correspondantes,
a fortiori
pour
estimer leur répartition entre l’État, les collectivités locales, les
entreprises et les ménages.
Il en va de même s’agissant du parc immobilier de l’État, dont la
stratégie dans ce domaine, focalisée sur la rénovation thermique des
bâtiments et les économies d’énergie, ne prévoit pas à ce jour d’actions
spécifiques d’adaptation du parc au changement climatique. Ainsi les
trajectoires de dépenses sur 28 ans, élaborées en 2023 par la direction de
l’immobilier de l’État (DIE) et le secrétariat général à la planification
écologique (SGPE), reposent sur des scénarios portant exclusivement sur
la décarbonation du parc immobilier de l’État. Elles n’intègrent donc pas
le coût de mesures d’adaptation des immeubles de l’État, par exemple, au
phénomène des pics de chaleur.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
85
Alors qu’elles sont plus avancées dans l’appréhension des effets du
changement climatique et la mise en œuvre de mesures pour y faire face,
les entreprises publiques gestionnaires de grandes infrastructures ne
réalisent pas non plus d’estimations satisfaisantes de leurs coûts.
SNCF Réseau ne dispose pas d’outils fiables de suivi des pertes de
recettes et des coûts occasionnés par les intempéries, en investissement
comme en fon
ctionnement. Aussi les projections que l’entreprise réalise à
moyen et long terme n’offrent
-elles que des ordres de grandeur provisoires
des pertes de recettes et dépenses à venir.
Le coût de l’adaptation des centrales nucléaires, des ouvrages
hydroélectri
ques et des réseaux de transport et de distribution d’électricité
aux effets du changement climatique est intégré dans le périmètre plus
large de dépenses de sûreté ou d’amélioration de la performance ou de la
résilience des équipements que réalisent EDF, la CNR, RTE et Enedis. Les
dépenses correspondantes ne sont pas comptabilisées séparément et les
entreprises ne sont donc pas à ce jour capables de chiffrer le coût de
l’adaptation des infrastructures dont elles ont la charge, en fonctionnement
comme en in
vestissement. Les projections qu’elles réalisent ne couvrent
pas l’ensemble du champ de l’adaptation et manquent parfois de précision.
La « vérité des prix
» constitue pourtant un élément d’arbitrage
essentiel pour définir et mettre en œuvre des solutions
financièrement
soutenables.
S’agissant par exemple de l’adaptation des réseaux de transport et
de distribution d’électricité, des arbitrages doivent être faits pour que
l’augmentation des dépenses ne conduise pas à un relèvement excessif des
tarifs d’électricité. Cette nécessaire maîtrise des coûts de l’adaptation
impose
que
les
enjeux
climatiques,
actuels
et
futurs,
soient
systématiquement intégrés et anticipés dans les choix d’investissement.
L’évaluation des coûts des différents modes d’intervention
susceptibles d’être retenus pour s’adapter au recul du trait de côte –
qui,
comme indiqué plus haut, vont de la construction d’ouvrage de défense
contre la mer à la réalisation d’opérations beaucoup plus onéreuses de
réaménagement de l’espace, sans toutefois exclure la mise en œuvre de
simples mesures de surveillance ou d’accompagnement des processus
naturels
–
est également indispensable pour, après rapprochement avec le
montant des biens, activités et équipements menacés, dont le recensement
et l’évaluati
on restent à faire (cf.
supra
, le point I.D), identifier la solution
la mieux adaptée et, s’il faut en retenir simultanément ou successivement
plusieurs, les articuler rationnellement dans l’espace et dans le temps.
COUR DES COMPTES
86
Ces évaluations sont par ailleurs indispensables pour mesurer, plus
précisément
que
jusqu’à
présent,
l’impact
qu’aura
globalement
l’adaptation au changement climatique sur les finances publiques. Le
rapport sur
Les incidences économiques de l’action pour le climat
produit
en mai 2023, à la demande du Premier ministre, par M. Jean Pisani-Ferry
et Mme Selma Mahfouz, a évalué à 67
Md€ par an à horizon 2030 les
investissements supplémentaires qui devront être réalisés au titre de la
transition climatique, dont 25 à 34
Md€ à la charge des administrati
ons
publiques
42
. Cette estimation inclut des dépenses d’adaptation évaluées à
3
Md€ par an, dont 1
Md€ devraient être financées sur les budgets publics.
Dans une étude publiée un an auparavant, l’
I
nstitut de l’économie pour le
climat (I4CE) avait évalué le
coût pour l’État et les collectivités territoriales
de 18 mesures d’adaptation prioritaires à 2,3
Md€ par an
43
.
Les données disponibles n’ont pas permis d’agréger les coûts déjà
supportés, ni d’estimer le montant des dépenses à réaliser dans les seize
secteurs examinés. Le présent rapport offre toutefois quelques illustrations
concrètes de l’ampleur des efforts à consentir dans certains secteurs.
Ainsi, la décision récente de RTE de faire évoluer ses
prescriptions de température maximale de fonctionnement des câbles
aériens, en les portant de 65 à 85 °C pour les ouvrages neufs ou
réhabilités, suscitera un surcoût estimé de 20 à 40
M€ sur la période
2024-2040 par rapport à une construction à 65
°C. L’entreprise estime
par ailleurs à 1,5
Md€ sur la période de 2
020 à 2050 les coûts liés à
l’adaptation au changement climatique du réseau régional de transport
d’électricité (qui joue le rôle de répartition entre les grands ouvrages de
transport et le réseau de distribution).
EDF a pour sa part programmé 612
M€ de dé
penses liées à
l’adaptation au changement climatique du parc de réacteurs nucléaires sur
la période 2022-
2038. Cependant ce montant n’intègre pas le coût de ses
projets d’installation de tours aéroréfrigérantes sur certaines centrales à
circuit ouvert situées en bord de fleuve. Or le montant unitaire de ces
équipements est important (500
M€).
42
Dans l’édition 2023 de son
Panorama des financements climat
, paru en novembre
2023,
l’institut de l’économie pour le climat (I4CE)
a relevé que cette estimation était
cohérente avec le scénario provisoire de la prochaine stratégie nationale bas carbone
(SNBC 3), selon lequel, chaque année entre 2024 et 2030, il faudra investir en faveur
du climat 58
Md€ de plus qu’en 2022.
43
I4CE,
Se donner les
moyens de s’adapter aux conséquences du changement
climatique en France : de combien parle-t-on ?
, juin 2022.
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
87
Certaines estimations s’inscrivent dans un spectre très large dans
l’attente d’arbitrages sur les modalités, le calendrier et l’ampleur de la
participation de l’État a
u financement des mesures à prendre. Ainsi, selon
les hypothèses d’érosion et d’intervention publique retenues, le rachat de
biens menacés par le recul du trait de côte pourrait mobiliser entre 140 et
800
M€ de fonds publics d’ici 2040.
S’y ajouteront des
coûts de démantèlement (destruction, dépollution
et renaturation) et d’éventuelle relocalisation de ces biens. Les dépenses
susceptibles d’être entreprises à ce dernier titre sont à la mesure de
l’importance des opérations envisageables de recomposition sp
atiale : une
étude a évalué à 22
M€ le coût sur 20
ans de la relocalisation d’un quartier
de 30 maisons individuelles et à 835
M€ celui de la relocalisation de
l’ensemble d’un front de mer de 3
km comprenant 2 000 logements et
80 commerces.
D -
Des leviers de
responsabilisation et d’incitation à activer
L’adaptation au changement climatique ne passe pas seulement par
la réalisation de dépenses nouvelles de fonctionnement et la mise en œuvre
d’investissements. D’autres leviers de l’action publique doivent être
a
ctivés pour responsabiliser les acteurs et les inciter à s’adapter. Il s’agit de
pousser les entreprises, les ménages, les associations, à agir ou à modifier
leur comportement par la réglementation, une action sur les prix des biens
et services ou l’instau
ration de mécanismes de solidarité financière.
Le secteur du logement offre une illustration de la nécessité de
combiner des mesures techniques d’adaptation du parc existant à la
multiplication et à l’intensification des épisodes de canicule, à
l’accroissement des risques d’inondation et à l’accentuation du phénomène
de retrait-gonflement des sols argileux, avec des dispositions normatives
permettant de concevoir et construire des logements répondant à ces aléas.
Les travaux de la Cour ont mis en évidence de notables avancées sur la
réglementation des constructions. Ainsi la nouvelle réglementation
environnementale RE
2020, qui s’applique depuis le 1
er
janvier 2022 au
parc résidentiel neuf, intègre notamment un objectif d’adaptation des
logements à l’augment
ation des températures. Elle impose en effet le
respect
d’une
exigence,
exprimée
en
heures
d’inconfort
perçu
annuellement, de ressenti des occupants à l’égard de ce phénomène.
Le secteur financier offre pour sa part un exemple de l’intérêt d’une
incitatio
n à l’adaptation par la réglementation et les prix. Dans ce domaine,
le premier critère d’allocation des flux demeure la rentabilité financière, et
non l’impact environnemental. Ce n’est qu’en modifiant les conditions
COUR DES COMPTES
88
économiques et de financement des entreprises, afin de déplacer les
curseurs de la rentabilité, qu’une part plus importante des capitaux sera
orientée vers le financement de la transition écologique en général et de
l’adaptation au changement climatique en particulier. Outre un contrôle
plus r
igoureux de l’impact environnemental des produits financiers
autoproclamés « verts » (cf.
supra
, le point I.B) et un renforcement de la
transparence et de l’information, cette réorientation suppose notamment
d’instaurer par le biais fiscal un signal prix o
u de moduler les règles
techniques applicables aux produits financiers pour améliorer la rentabilité
de ceux qui contribuent effectivement à l’adaptation de l’économie au
changement
climatique
et
réduire
celle
des
produits
dont
la
commercialisation participe en réalité de «
l’écoblanchiment
».
L’instauration de mécanismes de solidarité financière constitue
également un levier pour associer, sur un périmètre géographique pertinent,
l’ensemble des acteurs concernés par l’adaptation.
S’agissant de la gestion du recul du trait de côte, la création d’un
mécanisme de solidarité, nationale ou locale, peut se justifier au regard du
caractère exceptionnel des phénomènes littoraux à l’œuvre et du fait que
les politiques nationales et locales d’aménagement mises en œuv
re au cours
des dernières décennies ont autorisé et en partie encouragé l’aménagement
du bord de mer. L’acceptabilité de cette solidarité suppose toutefois qu’elle
soit limitée et qu’elle s’articule avec des cofinancements privés, provenant
en particulier des propriétaires qui, comme indiqué plus haut, sont
responsables de la protection de leurs biens contre la mer et les ont parfois
acquis en ayant connaissance des risques d’érosion ou de submersion
auxquels ils sont exposés.
Comme l’ont déjà fait les inspections générales de l’environnement,
de l’administration et des finances en 2019, les juridictions financières
recommandent donc la création d’un fonds d’aide à la recomposition du
littoral, alimenté par le produit d’une augmentation de la taxe communale
additionnelle aux droits de mutation à titre onéreux perçue par les
communes situées en bord de mer. Les collectivités et groupements
littoraux pourraient y recourir pour financer des actions cofinancées par
l’État, sous réserve d’une cible de dépenses qu’
il leur appartiendrait de
prendre en charge sur leurs autres ressources.
De la même façon pourrait être créé un fonds d’adaptation au
changement climatique des stations de montagne qui, dans une logique de
solidarité, bénéficierait exclusivement aux stations les plus menacées par
les effets du réchauffement climatique et serait financé principalement par
les grandes stations. Ce dispositif, abondé par une extension de l’assiette
de la taxe communale sur les remontées mécaniques à l’intégralité du
SYNTHÈSE GÉNÉRALE
89
chiffre d
’affaires des exploitants des stations de montagne, serait en effet
mécaniquement financé par celles qui bénéficient de la plus grande partie
des recettes issues des activités de sport d’hiver. Sans couvrir l’intégralité
du coût de la transition, il permettrait de créer un effet de levier rendant
possible le financement d’actions de diversification et de déconstruction
des installations obsolètes des petites stations.
E -
L’appropriation par les décideurs des instruments
mis à leur disposition
Le déploiement effectif, sur le terrain, de mesures ou actions
d’adaptation soutenables et efficaces suppose enfin de favoriser
l’appropriation par les décideurs des données, outils et solutions mis à leur
disposition.
Ainsi l’adaptation de la forêt au changement climatique et l’action
préventive contre les feux de forêt nécessitent de développer, au plus près
des massifs, l’ingénierie et la capacité de maîtrise d’ouvrage des acteurs
locaux.
Il en va de même pour l’adaptation à la mobilité du trait de côte, qui
engage les
territoires littoraux dans des actions et dans des projets d’une
grande complexité, requérant des compétences rares. Les collectivités
locales concernées se sont en partie adaptées à la très forte diminution des
capacités d’ingénierie de l’État, auparavant
portées par les directions
départementales de l’équipement, en faisant appel aux services d’agences
techniques ou d’urbanisme départementales et à des prestataires privés.
Cependant ces acteurs n’offrent pas toutes les compétences dont elles ont
besoin en génie côtier ou aménagement du littoral.
La transformation en 2022 du Cerema
44
en établissement public à
pilotage partagé entre l’État et les collectivités territoriales va faciliter le
recours par ces dernières à ses services. Cependant cet établissement
n’est
pas en mesure de répondre à toutes les sollicitations, très nombreuses ou
portant sur l’ingénierie la plus technique, ce qui le conduit à prioriser ses
interventions. Des initiatives ont été prises pour accompagner davantage
les collectivités littorales, notamment par la Banque des territoires, qui a
récemment mis en place des financements et des outils spécifiques. Elles
devraient s’accompagner d’un recensement global de l’offre disponible
afin d’apprécier son adéquation aux besoins et, s’il y a lieu
, de la compléter.
44
Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et
l’aménagement.
COUR DES COMPTES
90
L’efficience nécessite également, chaque fois que c’est possible, de
mutualiser les expertises. Ainsi, compte tenu du caractère innovant de ses
approches et des enjeux méthodologiques de l’adaptation dans les pays où
elle intervient, il
conviendrait que l’
Agence française de développement
partage autant que possible ses méthodes et outils, non seulement au plan
international, mais également avec les acteurs de l’adaptation en France.
L’
A
gence s’est engagée dans cette voie auprès de collec
tivités territoriales
ayant noué des relations de coopération avec leurs pairs de pays en
développement. D’autres collectivités présentant des enjeux d’adaptation
similaires à ceux pour lesquels l’AFD propose des solutions pourraient
également bénéficier de son expertise.
La question de l’adaptation au changement climatique intéresse tous
les domaines de l’action publique. Elle concerne au premier chef les
administrations publiques
–
services de l’État, collectivités territoriales,
établissements publics nationaux et locaux, entreprises publiques
–
mais
doit aussi « embarquer
» l’ensemble des acteurs de la société
: les ménages,
les entreprises, la communauté éducative, la sphère associative, les acteurs
de la recherche, etc.
Le citoyen est toutefois au centre du jeu. Rien ne peut se faire sans
lui,
a fortiori
contre lui : la crise des gilets jaunes a montré que les Français
entendaient fermement être associés aux décisions qui touchent
directement leur existence quotidienne. Or nombre de mesures susceptibles
d’être mises en œuvre pour répondre aux effets du ré
chauffement
climatique vont modifier leurs conditions de vie, dans leurs aspects les plus
essentiels
: l’alimentation, le logement, les transports, les loisirs
, etc.
Il faut donc les convaincre de la nécessité d’une action claire,
cohérente et efficace au moindre coût, mais également des opportunités
qu’offre l’adaptation pour améliorer leur qualité de vie, développer la
solidarité entre les générations et les territoires, favoriser les créations
d’emplois et la croissance de l’économie.
Telle est l’ambitio
n du présent rapport.