COMMUNIQUÉ DE PRESSE
6 décembre 2023
Rapport public thématique
LES CONTRÔLES D’IDENTITÉ
Acte central dans les pratiques de la police et de la gendarmerie, les contrôles d’identité
font l’objet de nombreux débats. La Défenseure des droits en a saisi la Cour, afin qu’elle
engage une étude sur les conditions de leur
pratique - régulièrement questionnée dans le
débat public. La saisine de la Défenseure des droits relevait le triple constat de l’absence de
traçabilité
des
contrôles,
d’un
cadre
légal
insuffisamment
protecteur
face
aux
discriminations (« contrôles au faciès ») et d’une absence de contrôle effectif de l’autorité
judiciaire. Sa demande portait notamment sur le nombre de contrôles d’identité réalisés et
sur l’analyse qualitative de ces contrôles (fondements juridiques, effets sur la délinquance,
effets sur la population notamment en matière de confiance dans les forces de l’ordre).
La Cour a pris en compte ces questionnements et analysé la place de l’exercice de ces
contrôles dans la stratégie de sécurité publique mise en œuvre par les forces de sécurité
intérieure.
Une pratique massive, inscrite dans un cadre juridique complexe
Les contrôles d’identité, prévus aux articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale,
relèvent de la police judiciaire et administrative. Ils peuvent être conduits à l’initiative des
forces de police et de gendarmerie ou sur réquisition écrite du procureur de la République.
Ce cadre a été progressivement précisé par la jurisprudence, afin d’orienter le discernement
des agents dans le choix des personnes contrôlées. Il est complété par un ensemble de règles
déontologiques applicables plus généralement aux policiers et aux gendarmes, et qui ont une
portée réglementaire depuis 2014. Elles décrivent les grands principes de l’interaction entre les
forces de sécurité et la population, et consacrent la non-discrimination lors du contrôle.
Malgré les lacunes importantes de l’information disponible, la Cour s’est attachée à évaluer le
nombre de contrôles d’identité menés chaque année. En 2021, la gendarmerie nationale
(20 millions) et la police nationale (27 millions) cumulaient un total d’environ 47 millions de
contrôles d’identité, même si cette estimation reste imparfaite. En effet, malgré la place
centrale des contrôles d’identité dans leurs actions, les forces de sécurité ne se sont pas donné
les moyens de recenser les contrôles réalisés ni leurs motifs, afin d’en analyser les résultats.
Approfondir la connaissance des contrôles d’identité – leur nombre mais aussi par exemple,
leur localisation - est donc fondamental pour bien mesurer les modalités d’exercice de cette
pratique.
Des finalités à préciser, des gestes à encadrer
La nécessité opérationnelle des contrôles d’identité fait l’objet d’un consensus unanime au sein
des forces de sécurité intérieure. Pourtant, elles n’ont pas mené de réflexion sur les conditions
concrètes d’emploi de cette pratique, envisagée comme un simple outil. Le contrôle d’identité
n’a pas réellement été défini dans la stratégie des forces de sécurité, et son impact sur la
relation police-population n’est pas mesuré. De plus, il n’existe pas de supports pédagogiques
définissant précisément les objectifs et les modalités de ces contrôles d’identité. Ce manque
de précision entraîne des dérives dans les pratiques quotidiennes. Dans ces conditions, le
mentorat des plus jeunes par des gradés expérimentés est déterminant. Il se heurte toutefois,
dans la police nationale, aux difficultés d’encadrement hiérarchique liées à la réduction du
nombre d’officiers de police. Dans la majorité des cas, seuls les contrôles dont les agents
estiment eux-mêmes qu’ils doivent être portés à la connaissance de leurs supérieurs immédiats
font l’objet d’une attention hiérarchique. Enfin, les officiers de police judiciaire n’exercent
qu’un contrôle sur les cas débouchant sur des suites judiciaires, ce qui rend certaines dérives
indétectables.
Des dispositifs de contrôle effectifs mais peu utilisés, une transparence à renforcer
Lorsque la conduite d’un agent est perçue comme inappropriée lors d’un contrôle, le public
peut recourir aux plateformes de signalement administrées par les inspections générales de la
police et de la gendarmerie nationales, ou saisir le Défenseur des droits. Ces voies de recours
restent toutefois peu utilisées et seules quelques centaines de dossiers sont traitées chaque
année. La Cour a pu vérifier que ce traitement est effectif. Toutefois, le suivi de ces dossiers
relève des services concernés, sans analyse globale ni retour vers l’inspection générale. Par
conséquent, celle-ci n’est dotée d’aucun moyen de surveiller le respect de la déontologie ou le
caractère discriminatoire des contrôles. Le contrôle par le procureur de la République des
demandes de réquisition émises par les forces de sécurité intérieure doit aussi permettre de
vérifier la légitimité des opérations envisagées mais reste, en pratique, très limité. Le
déploiement de la procédure pénale numérique et l’exploitation des données issues des
comptes rendus d’opération pourraient renforcer la transparence de ce cadre d’exercice des
contrôles. Enfin, bien que des évolutions aient vu le jour pour améliorer la transparence dans
la réalisation des contrôles, tels que le port du numéro d’identification « RIO » ou le
déploiement des caméras-piéton, celles-ci restent encore insuffisantes. Ainsi, le RIO est
souvent peu visible. La Cour appelle à conduire une nouvelle expérimentation des caméras-
piéton, après l’échec de celle menée en 2017 compte tenu des difficultés techniques
rencontrées à cette époque.
Renforcer la formation
L’enseignement du contrôle d’identité au moment de la formation initiale insiste surtout sur le
cadre juridique et la sécurisation des agents, mais n’accorde qu’une place réduite à l’évaluation
de la nécessité de contrôler ou non une personne et au déroulé du contrôle. L’essentiel de la
formation des jeunes agents s’effectue donc auprès de leurs pairs à leur arrivée au sein de leur
unité. Le sujet des contrôles d’identité est également abordé par certains modules de
formation continue, mais ces modules sont peu suivis. La très faible participation à ces
formations ne permet pas de réduire le risque de dérives locales ou individuelles des pratiques.
Pour la gendarmerie, seules les formations obligatoires accompagnant certains passages de
grade offrent réellement l’occasion de rappeler, au cours de la carrière, le cadre d’exercice des
contrôles d’identité. Au total, un effort de formations - initiale et continue - portant sur des
aspects concrets des contrôles d’identité apparaît nécessaire.
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