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Le 21 juillet 2023
Le Premier président
à
Madame Élisabeth Borne
Première ministre
Réf. : S2023-0853
Objet
: La mise en place d’une indemnité inflation en 2021
En application des dispositions de l’article LO. 132-2-1 du code des juridictions
financières, la Cour établit chaque année, au titre de sa mission constitutionnelle
d’assistance au Parlement et au Gouvernement
1
,
un rapport de certification des comptes
du régime général de sécurité sociale. Dans ce cadre, la Cour a examiné les conditions
de mise en
œ
uvre et de contrôle du versement de l’indemnité inflation.
L’indemnité inflation a été créée par la loi du 1
er
décembre 2021 de finances
rectificative pour 2021 (article 13). Il s’agit d’une aide exceptionnelle de 100 euros, versée
« à toute personne âgée d'au moins seize ans résidant régulièrement en France que ses
ressources, appréciées au regard de sa situation, rendent particulièrement vulnérable à
la hausse du coût de la vie prévue pour le dernier trimestre 2021. Elle ne peut être versée
qu'une fois ».
Son financement est à la charge de l'État, mais son versement incombe aux
organismes débiteurs, à l’égard des bénéficiaires de revenus d'activité ou de
remplacement ou encore de prestations sociales ainsi qu’à d’autres organismes désignés
par décret. L’indemnité inflation a concerné environ 38 millions de personnes et
représenté un budget de 3,8 Md
pour l’État.
Le versement de l’aide était assorti de deux conditions : la résidence régulière en
France et des ressources inférieures à 2 000
nets par mois. Il était par ailleurs fondé
sur un principe : chaque bénéficiaire ne pouvait percevoir qu’un seul et unique versement.
Dans le cadre des travaux de certification des comptes du régime général de la sécurité
sociale, la Cour a examiné la manière dont ce principe a été respecté.
1
Article LO. 111-4-6 du code de la sécurité sociale.
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Il ressort des travaux de la Cour que les dispositions prises pour le versement de
l’indemnité inflation n’ont pas permis d’assurer le respect du principe de versement d’une
aide unique à chaque bénéficiaire.
Il en est résulté un nombre important de doublons,
estimé à 1,7 million de bénéficiaires, et un montant indûment versé d’environ
170 M
.
À la suite de la publication de son rapport de certification des comptes du régime
général de sécurité sociale au titre de l’exercice 2022, la Cour m’a demandé, en
application des dispositions de l’article R. 143-11 du code des juridictions financières,
d'appeler votre attention sur les observations et recommandations suivantes.
1.
L’INDEMNITÉ INFLATION A ÉTÉ MISE EN PLACE SANS QUE SOIENT
PRÉVUES LES MODALITÉS DE CONTRÔLE DU RESPECT DU VERSEMENT
UNIQUE
Le Gouvernement avait prévu que l’indemnité inflation serait versée
« en une fois,
par les organismes les plus naturellement en lien avec les bénéficiaires, de façon à
garantir rapidement ce versement et de façon simple (exemple : employeurs pour les
salariés et agents publics, caisses de retraites pour les retraités, Pôle emploi pour les
demandeurs d’emploi, CNAF pour les bénéficiaires du RSA ou de l’AAH, etc.)
2
».
Le décret du 11 décembre 2021 détermine, pour chacune des catégories de
bénéficiaires identifiés (salarié, travailleur indépendant, demandeur d’emploi, bénéficiaire
de prestations sociales, étudiant, etc.), quel est l’organisme payeur. Pour les assurés
percevant des prestations sociales ou des pensions de plusieurs organismes, le
versement peut être effectué aussi par des payeurs à titre subsidiaire, selon un ordre de
priorité fixé par arrêté. Le versement de la prime inflation se fait sur la foi des informations
dont dispose le payeur ou des déclarations faites par le bénéficiaire
3
.
La conception même du dispositif de la prime inflation exposait donc au
risque de paiements multiples puisqu’une même personne relevant simultanément
de plusieurs statuts (salarié, travailleur indépendant, bénéficiaire de prestations
sociales,
étudiant,…) relevait
de facto
de plusieurs organismes payeurs
(employeur, caisses de sécurité sociale, …).
L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) a eu pour mission
d’assurer le versement direct de l’indemnité aux travailleurs indépendants et salariés à
domicile, de diminuer le montant des cotisations dues par les employeurs du montant de
l’indemnité inflation versée à leurs salariés et d’assurer la compensation, pour le compte
de l’État, de l’indemnité inflation pour l’ensemble des organismes de sécurité sociale à
hauteur de 3,4 Md
(dont 0,2 Md
en 2021).
La mission de compensation confiée par l’État à l’Acoss a donné lieu à l’application
d’une procédure visant pour l’essentiel à s’assurer de la cohérence des données
déclarées par les organismes et à procéder à des contrôles comptables élémentaires.
Ainsi, le contrôle interne de l’Acoss n’a pas permis d’assurer le respect du principe
de versement d’une aide unique à chaque bénéficiaire.
2
Exposé des motifs de l’article relatif à l’indemnité inflation du projet de loi de finances rectificative déposé le
3 novembre 2021.
3
Notamment dans le cas d’un salarié disposant de contrats de travail à temps partiel avec plusieurs employeurs.
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Au demeurant, alors que le risque de cumul de versements n’a pas été couvert,
un dispositif de rappel a, lui, été mis en place, permettant aux personnes remplissant les
conditions fixées par la loi et n’ayant pas perçu d’indemnité inflation de vérifier leurs droits
et de déposer une réclamation via le portail numérique des droits sociaux
4
. S’appuyant
sur le recensement des aides versées, ce portail a permis notamment à toute personne
de vérifier si elle avait perçu ou non une indemnité inflation et, le cas échéant, de se faire
établir une attestation de non-versement.
2. DE NOMBREUX CUMULS ONT ÉTÉ CONSTATÉS, CONCERNANT AU
MINIMUM 1,7 MILLION DE BÉNÉFICAIRES, SOIT 170 M
ENVIRON DE
DÉPENSES INDUES
Selon les analyses réalisées par le groupement d’intérêt public de modernisation
des déclarations sociales (GIP-MDS) à la demande des administrations, près de 1,7
million de personnes (soit 4,4 % du nombre total de bénéficiaires) auraient effectivement
perçu plus d’une prime.
Au total, il aurait ainsi été versé à ces bénéficiaires un
montant de 349 M
au lieu de 170 M
.
L’absence d’accès aux données individuelles n’a pas permis de fiabiliser ce
chiffrage, qui doit cependant être considéré comme un minimum, dès lors que le
périmètre des travaux conduits par le GIP-MDS ne comprend pas tous les paiements
5
.
3. TELLE QU’ELLE A ÉTÉ CONCUE, LA RÉGLEMENTATION NE PERMET PAS
LA RÉCUPÉRATION DES INDUS
L’article 12 du décret du 11 décembre 2021 dispose : «
les aides indûment
perçues, notamment lorsque les bénéficiaires ont reçu plusieurs versements de différents
débiteurs, sont reversées par leur bénéficiaire à l'État. Elles peuvent aussi faire l'objet
d'une récupération selon les règles et procédures applicables en matière de créances
étrangères à l'impôt et au domaine
»
6
.
En premier lieu, c’est au bénéficiaire de l’indemnité inflation que le décret confie
la responsabilité du reversement des sommes indues, alors même que rien n’a été prévu
pour l’informer du fait qu’il a pu percevoir, par erreur, des aides multiples. Sur cette base
volontaire et spontanée, seuls 791 500 euros ont été recouvrés par la DGFiP, soit environ
0,5 % du montant des doublons estimés par le GIP-MDS.
En second lieu, le décret prévoit un dispositif de récupération des montants
indument versés, selon des règles comparables à celles applicables aux créances
publiques hors créances fiscales.
Alors que les organismes de sécurité sociale sont
les principaux payeurs de l’indemnité inflation, le texte ne dispose pas qu’ils
puissent notifier et recouvrer les indus.
4
Sur le site Votre indemnité inflation (mesdroitssociaux.gouv.fr) qui a fonctionné du 25 mars au 30 novembre 2022.
5
Cette estimation ne comprend pas les données relatives aux travailleurs transfrontaliers (non transmises par la
DGFiP) ni les personnes disposant d’un numéro de dossier non rapprochable du numéro d’immatriculation à la
sécurité sociale.
6
Article 12 du décret n°2021-1623 du 11 décembre 2021 modifié relatif aux modalités de versement de l'aide
exceptionnelle prévue à l'article 13 de la loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificative pour
2021.
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La DGFiP a indiqué que, en matière de créances étrangères aux impôts et au
domaine (régime juridique retenu par le décret), il revient à l’ordonnateur d’émettre un
titre de recettes. Toutefois, le décret n’a pas précisé qui exerce cette responsabilité
7
, en
particulier en cas d’attribution multiple de l’indemnité inflation par plusieurs organismes
ou employeurs. De plus, quand bien même un titre de recettes lui serait transmis, la
DGFIP a indiqué à la Cour que les procédures de recouvrement forcé ne seraient pas
mises en
œ
uvre, compte tenu du faible montant unitaire de l’indemnité inflation.
Ce cadre juridique aboutit à une situation anormale, dans laquelle il est fait
obstacle à l’engagement d’une procédure effective de recouvrement, en
contradiction avec le principe posé par le législateur
.
La Cour tient à alerter, pour l’avenir, au cas où de telles mesures seraient à
nouveau décidées, sur la nécessité de prévoir des moyens de contrôles adaptés aux
dispositions fixées par la loi et de définir un cadre juridique permettant de recouvrer les
sommes versées à tort, le cas échéant.
La Cour formule en conséquence deux recommandations :
Recommandation n° 1
(ministère de la santé et de la prévention, ministère des
solidarités, ministère de l'économie et des finances, 2023) : prévoir, dès la conception
d’une indemnité à caractère exceptionnel dont le versement est confié aux organismes de
sécurité sociale, et préalablement à son versement :
-
les modalités d’échanges de données entre tous les organismes concernés par la mise
en
œ
uvre de l’indemnité ;
-
le cadre juridique permettant d’exercer le contrôle du respect des conditions et principes
d’attribution et d’assurer le recouvrement des sommes indument versées par les
organismes concernés.
Recommandation n° 2
(ministère de la santé et de la prévention, ministère des
solidarités, ministère de l'économie et des finances, 2023) : confier la responsabilité de
l’attribution, du versement, du contrôle et de la récupération des indus à un seul organisme
national.
-=o0o=-
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois, prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous
aurez donnée à la présente communication
8
.
7
Notamment, les règles de priorité qui seraient à appliquer pour déterminer quel organisme serait chargé de ces
opérations en cas d’attribution multiple de l’indemnité inflation par plusieurs organismes ou employeurs.
8
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
à l’adresse électronique suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes
de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son
site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous
fournissiez à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue
de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé
à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue
entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici