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ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LA GESTION
QUANTITATIVE
DE L’EAU EN PÉRIODE
DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
Cahier territorial n° 11
Saint- Martin
Rapport public thématique
Juillet 2023
La gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique - juillet 2023
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
La gestion quantitative de l'eau en période de changement climatique - juillet 2023
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Sommaire
Synthèse
.........................................................................................................
5
Introduction
...................................................................................................
7
Chapitre I
La s
ituation de la ressource en eau et l’importance
des prélèvements sur le territoire de Saint-Martin
....................................
9
I - La disponibilité et la qualité de la ressource en eau
...................................
9
A -
Un territoire marqué par l’absence de ressource en eau douce exploitée
..........
9
B - La satisfaction publique des besoins assurée exclusivement
par le dessalement
.................................................................................................
10
II - La répartition de la consommation entre les différentes activités
et les conflits d’usage
.....................................................................................
11
A -
Un usage de l’eau domestique et touristique
..................................................
12
B - Des ressources alternatives au service public très présentes
...........................
12
III -
L’évaluation des risques liés au changement climatique
........................
13
Chapitre II
La planification de la gestion des eaux
face au changement climatique
...................................................................
15
I - La représentation des différentes parties prenantes
dans la gouvernance
.......................................................................................
15
A - Une gouvernance inaboutie
............................................................................
15
B -
Une gouvernance territoriale centrée sur l’E
EASM
........................................
17
II - La couverture territoriale et la cohérence des schémas de gestion
des eaux et de leur déclinaison opérationnelle
...............................................
18
III - La cohérence entre les documents de planification de la gestion
de l’eau et les autres documents de planification
territoriale
.........................
19
Chapitre III
Les mesures visant à réduire les prélèvements d’eau
et à mieux partager la ressource
.................................................................
21
I - Les mesures de court terme : la délivrance et le contrôle
des autorisations de prélèvements
..................................................................
21
II -
Les mesures d’urgence
: la réduction de la consommation
en période de crise
.........................................................................................
22
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4
III -
Les mesures de long terme visant à sécuriser l’accès
à la ressource en eau
......................................................................................
22
A - Les capacités de production devront être renforcées et sécurisées
..................
23
B - Le réseau de distribution nécessite un renforcement et une sécurisation
........
24
C -
Les problématiques foncières et d’impayés devront être soldées
....................
25
D -
Un taux d’impayé qui met en péril l’économie des contrats
de délégation de service public
.............................................................................
25
E - La coopération avec la partie néerlandaise du territoire devra être
renforcée
...............................................................................................................
26
Chapitre IV
La sécurisation de la couverture des besoins en eau
et la préservation des milieux aquatiques
..................................................
29
I -
L’encouragement à la modification des modes de consommation
............
29
II -
L’augmentation de la capacité technique des infrastructures
et du stockage
.................................................................................................
30
III - Élargir la ressource utilisable
..................................................................
30
IV - La préservation des milieux aquatiques
..................................................
31
V -
L’utilisation de solutions fondées sur la nature
.......................................
32
Liste des abréviations
..................................................................................
33
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Synthèse
Ce cahier territorial s’inscrit dans le cadre de l’enquête sur la gestion
quantitative de l’eau en période de changement climatique conduite par une
formation commune à la Cour des comptes et aux chambres régionales et
territoriales des comptes.
Saint-Martin, île sèche, constitue un territoire original en matière
d’accès et de gestion de la ressource en eau
,
la totalité de l’eau distribuée
par la voie du réseau public étant produite par le dessalement d’eau de
mer. Des ressources alternatives fondées sur la nature, historiquement
utilisées,
telles que l’eau de pluie
, y sont toujours largement exploitées.
Appartenant au bassin hydrographique de la Guadeloupe dont elle
est pourtant séparée par 260 km de mer, la gouvernance territoriale en
matière de gestion de la ressource en eau apparaît inaboutie.
En l’absence de ressource en eau douce utilisée
par le réseau public
de distribution, Saint-
Martin constitue déjà un territoire d’expérimentation
du changement climatique. Si,
à cet égard le territoire n’est pas
concerné
par la nécessité de réduire les prélèvements sur cette ressource en eau
douce,
des mesures doivent toutefois être mises en œuvre afin de permettre
l’alimentation de l’ensemble des usagers.
Celles-ci devront,
tout en garantissant l’équilibre finan
cier des
contrats de délégation de service public, permettre de restaurer la confiance
de la population dans l’eau distribuée par le réseau public
et desservir de
manière fiable de nouveaux abonnés tels que les hôtels qui se sont tournés
vers des systèmes privés de dessalement.
À cet égard, la coopération avec
Sint-Maarten
, la partie néérlandaise
de l’île,
pourrait être approfondie et renforcée. Mais celle-ci se heurte à des
difficultés institutionnelles et aux normes de qualité de l’eau potable
distinctes sur les deux territoires.
Enfin
la soutenabilité du tarif de l’eau
, très élevé à Saint-Martin,
devra être assurée. L
’électricité nécessaire au fonctionnement de l’usine de
Galisbay
est produite par une centrale diesel dont le surcoût est aujourd’hui
pris en charge par la solidarité nationale.
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Introduction
L’île de Saint
-Martin,
d’une superficie totale de 90
km
2
, est située
au nord de l’arc antillais
. Elle est depuis 1648 un territoire partagé en deux
parties,
l’une
française
(Saint
-
Martin)
et
l’autre
néerlandaise
(
Sint-Maarten
). Saint-Martin (53 km
2
éloigné de la Guadeloupe par
260 km de mer, en a constitué une commune j
usqu’en 2007
, date à laquelle
elle est devenue une collectivité territoriale régie par l’article 74 de la
Constitution. La collectivité de Saint-Martin (CSM) constitue une région
ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne
. La partie néerlandaise de
l’île relève du statut des pays et territoires d’outre
-
mer de l’Union
européenne.
Carte n° 1 :
localisation de Saint-Martin
Source : Wikipédia
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La coexistence de ces deux territoires de tailles modestes, à la
frontière ouverte, aux législations et aux systèmes monétaires distincts,
engendre une situation concurrentielle. Elle
n’a pas conduit à une
coopération véritable.
L’île
1
peuplée de 4 000
habitants en 1962 a d’abord connu une très
forte croissance démographique portant la population à 8 072 en 1982, puis
à 35 334 en 2017.
Dévastée par l’Ouragan Irma en 2017 qui a endommagé
près de 95 % du bâti et conduit au départ de nombreux habitants
2
, elle
compte en 2019, 32 489 habitants.
Le territoire est marqué par un faible niveau de revenu et un taux de
chômage élevé. En 2014, 21 % de la population dépendait du revenu de
solidarité active (RSA).
Eu égard à l’absence de ressource suffisante en eau douce
,
Saint-
Martin s’est tournée dès 1966
vers le dessalement de l’eau de mer
. Il
s’agit de
la seule source d’approvisionn
ement du réseau de distribution
publique d’eau
.
1
La présente enquête portera exclusivement sur la gestion quantitative de l’eau sur la
partie française de l’île.
2
Le nombre de départ consécutifs à l’ouragan IRMA est estimé à 7
000 personnes.
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Chapitre I
La situation de la ressource en eau
et l’importance des prélèvements
sur le territoire de Saint-Martin
I -
La disponibilité et la qualité
de la ressource en eau
Saint-Martin ne di
spose d’aucune ressource en eau douce suffisante
permettant d’assurer la satisfaction des besoins en eau de la population
. La
production d’eau est donc assurée par la voie du dessalement.
A -
Un territoire marqué par l’absence de ressource
en eau douce exploitée
Île volcanique au climat tropical, marquée par deux saisons,
l’une
humide dite hivernage s’étendant du mois de juin au mois de novembre
, et
l’autre sèche dite de «
carême » du mois de décembre au mois
d’avril
, Saint-
Martin ne dispose pas de cours d’eau
pérenne.
Qualifiée d’île sèche
,
l’alimentation en eau de la population n’y est
pas assurée par des prélèvements sur les cours d’eau
. A
ucune masse d’eau
«
cours d’eau
» au sens de la directive cadre sur l’eau (DCE) n’y est
répertoriée.
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10
S’agissant des masses d’eau souterraines
, le contexte géologique est
globalement peu favorable à la présence d’aquifères importants
. Seuls les
secteurs de la vallée du Colombier et de la ravine Loterie ainsi que la zone
Bellevue-Saint-Jean ont été définis par le bureau de recherche géologique
et minière (BRGM) comme plus favorables à la présence d’eau
douce. Toutefois,
l’analyse des 37 points d’eau de l’île révèle que ceux
-ci
sont impropres à la production d’eau potable en l’état
, notamment en raison
de teneurs trop élevées en chlorure de sodium vraisemblablement liées à
l’influence marine
. En outre la contamination bactérienne de ces eaux
souterraines est généralisée.
Si
le
potentiel
peut
apparaître
réel, des
investigations
complémentaires
doivent
être
conduites
afin
d’en
améliorer
la
connaissance.
L’état de cette masse d’eau n’a ainsi pas pu être déterminé
dans le cadre de l’état des lieux réalisé en 2019.
Des
ouvrages
de
prélèvements
non
autorisés
en
nappe
existent. Mais leur localisation, leur débit et leur usage sont mal connus.
B -
La satisfaction publique des besoins assurée
exclusivement par le dessalement
La satisfaction publique des besoins en eau de la population est
assurée par un procédé de désalinisation de l’eau de mer
.
Photo n° 1 :
vue
aérienne de l’usine de dessalement
Source : SAFEGE
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LA GESTION QUANTITATI
VE DE L’EAU EN PÉRIO
DE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
11
L’usine de dessalement de Saint
-Martin
En 1966,
la société internationale de dessalement de l’eau de mer
(SIDEM) construit et met en service une première usine de dessalement, de
faible capacité, et dont le procédé est la distillation.
Depuis 2006,
la potabilisation de l’eau est assurée par un procédé
d’osmose inverse au sein de l’usine située à
Galisbay
. La technique de
l’osmose inverse
,
équivalent d’une hyper filtration
, permet une quadruple
épuration : physique, chimique, organique et biologique.
Les membranes utilisées pour ce traitement ne disposent pas
d’attestation
de
conformité
sanitaire
en
France
. Si
une
demande
d’autorisation de prélèvement
,
de production et de distribution d’eau
destinée à la consommation humaine a été déposée en 2014 afin de
régulariser la situation administrative de l’installation existante
, cette
autorisation n’a pas encore été accordée.
Les prises d’eau sont situées en mer dans la circonscription de
l’établissement du Port de Saint
-Martin et elles permettent de produire un
volume théorique de 9 000 m
3
par jour grâce à trois files de production. En
réalité la production maximale est inférieure et s’établit quotidiennement en
2021 entre 7 500 et 8 000 m
3
.
Le ratio de production s’élève pour chaque m
3
d’eau de mer
pompé
à 0,42 m
3
d’eau traitée et à 0,58 m
3
de concentrat d’osmose inverse
. Ce
concentrat chargé en sel est rejeté directement en mer au niveau du rivage.
L’eau produite
,
contrôlée par l’Agence régionale de santé (ARS)
nécessite une reminéralisation à l’issue de son traitement afin d’en diminuer
le caractère agressif.
II -
La répartition de la consommation
entre les différentes activités
et les conflits d’usage
L’eau produite à Saint
-Martin est principalement destinée à un
usage domestique et touristique. Le manq
ue de confiance dans l’eau
distribuée,
son prix élevé et les fréquentes ruptures d’alimentation ont
conduit les usagers à rechercher des ressources alternatives.
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12
A -
Un usage de l’eau domestique et touristique
Le premier usage de l’eau à Saint
-Martin est domestique. Les
abonnés dont la consommation annuelle est inférieure à 100 m
3
représentent ainsi 75 % des abonnés et 60 % du volume consommé.
Le second usage est professionnel, notamment touristique. Il
représente moins de 1 % des abonnés et 13 % du volume consommé.
L’industrie et l’agriculture
3
, peu développées à Saint-Martin
notamment en raison des difficultés d’accès à la ressource en eau
4
,
représentent ainsi une faible part de la consommation.
La consommation effective moyenne par habitant est de 111 litres par
jour en 2021. Elle recouvre une diversité importante de situations, les abonnés
domestiques ayant une consommation faible, estimée à 68 m
3
par an.
Cette situation résulte particulièrement du prix de l’eau qui est un des
plus élevés de France. La facture pour un abonné consommant 68 m
3
par an
s’élève ainsi à 647
€ au 1
er
janvier 2019, soit un prix au mètre cube de 9,50
€.
S’il n’existe pas de tarification sociale
, les 30 premiers mètres cubes
consommés par trimestre bénéficient d’un tarif deux fois
moins élevé que
les suivants. Les tarifs qui ont été révisés en 2018 actent une baisse de la
part fixe de l’abonnement et prévoient désormais deux tranches variables
.
Le manque de confiance des abonnés dans l’eau distribuée explique
également cette situation.
Si la qualité de l’eau est globalement conforme
aux normes
5
, les ménages se déclarent à 18 % « pas du tout satisfaits » par
cette qualité. Seuls 11
% d’entre eux l’utilisent comme eau de boisson
.
B -
Des ressources alternatives au service public
très présentes
Les ménages recourent de manière importante à la consommation
de ressources alternatives
: récupération d’eau de pluie
,
transports d’eau
,
systèmes de dessalement privés, eau en bouteille. Cette situation conduit
au développement d’une économie alternative de l’eau avec des
transporteurs qui assurent la distribution d’une eau
, non potable, prélevée
dans les eaux souterraines et de producteurs d’eau en bouteille qui
disposent de leur propre installation de dessalement.
3
L’agriculture représentait 0,3
% de l’emploi à Saint
-
Martin en 2016 selon l’Institut
national des statistiques et des études économiques (Insee).
4
45 exploitations ont été recensés en 2010 et 90
% d’entre elles sont dédiées à l’élevage.
5
En 2019, la présence de bromates a donné lieu à une interdiction de consommation de
l’eau entre juin et décembre.
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LA GESTION QUANTITATI
VE DE L’EAU EN PÉRIO
DE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
13
Les entreprises et notamment les hôteliers,
dont l’activité nécessite
un accès à l’eau fiable et continu
,
se sont également équipés d’installations
de dessalement. Ces volumes, estimés pour les installations hôtelières à
180 000 m
3
par an, échappent à la distribution publique. Mais ils sont
rejetés
dans le réseau d’assainissement collectif sans paiement du service.
L’économie totale de ressource (hors eau de pluie)
est estimée à
275 000 m
3
par an.
Tableau n° 1 :
estimation des ressources alternatives et des volumes
échappant au service public
Ressources alternatives
Volume annuel
en m
3
En % des
volumes vendus
par le service
public
Récupération d’eau de pluie
Inconnu
Inconnu
Transporteurs d’eau
50 à 60 000
5 à 6
Puits privés et système d’osmose
inverse privé
200 000
20
Eau en bouteille/bonbonnes
20 000
2
Total
270 à 280 000
27 à 28 %
Source : Espelia,
rapport pour la mise en œuvre d’une gestion durable des services
Les contrôles exercés sur ces installations privées n’apparaissent pas
suffisants. L
’agence
régionale de santé (ARS) dispose
d’un
unique agent à
temps plein pour réaliser l’ensemble des prélèvements d’eau potable
, de
piscine et de baignade en mer. Ainsi,
l’ARS pratique des contrôles limités
sur les systèmes d’osmose inverse privés
, les piscines et les producteurs
d’eau en bonbonne
, mais aucun sur les systèmes de récupération des eaux
de pluie et les transporteurs d’eau
.
III -
L’évaluation des risques liés au changement
climatique
Alors que Saint-Martin est un territoire insulaire tropical exposé au
risque cyclonique, Météo France projette deux impacts du changement
climatique
: d’une part
, les saisons pluvieuses considérées comme
extrêmes dans le climat actuel deviendraient plus fréquentes
et d’autre part
,
alors que les pluies augmenteraient notamment au cours de la saison des
pluies, la période de carême pourrait quant à elle être plus sèche. Cette
situation impacterait les niveaux des masses d’eau souterraines
.
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14
Si une augmentation du nombre d’évènements climatiques intenses
peut être envisagée, de nombreuses incertitudes subsistent toutefois quant
à la modélisation de ceux-ci en raison du manque de données de longue
durée sur l’archipel
. Le
schéma directeur d’aménagement et de gestion des
eaux (Sdage) 2022-2027 envisage quant à lui une diminution du nombre
de cyclones, mais une augmentatio
n de l’intensité de ces phénomènes.
Le changement climatique devrait induire une élévation du niveau
de la mer. M
ais l’incertitude des données au niveau régional est également
importante. Cela aurait des incidences sur les zones humides du littoral et
les eaux souterraines à travers une remontée du biseau salé, une
augmentation de la salinité,
de l’érosion du littoral et une submersion
temporaire ou permanente des milieux induisant des conséquences
multiples sur les espèces inféodées.
La
récurrence
des
phénomènes
extrêmes
accentués
par
l’anthropisation de l’île
, le tourisme et le changement climatique
conduisent déjà les gestionnaires à adopter une culture du risque et de la
résilience.
Saint-Martin, île sèche,
ne dispose d’aucune ressource en eau
pérenne suffisante. Elle assure la satisfaction des besoins des usagers par
un procédé de désalinisation d’eau de mer permettant de produire environ
7 500 m
3
par jour. Son prix est un des plus élevés de France. Les ménages
et les entreprises notamment hôtelières recourent de manière importante à
des ressources alternatives telles que les systèmes de dessalement privés
ou le transport d’eau.
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Chapitre II
La planification de la gestion des eaux
face au changement climatique
I -
La représentation des différentes parties
prenantes dans la gouvernance
La gouvernance territoriale de l’eau centrée sur l’établissement des
eaux et de l’assainissement de Saint
-Martin (EEASM) apparaît comme
inaboutie.
A -
Une gouvernance inaboutie
Saint-Martin
fait
partie
du
bassin
hydrographique
de
la
Guadeloupe, bien que séparée de celle-ci par la mer et éloignée de
260 km. L
’île fait l’objet
, avec son accord
6
,
d’un S
dage commun à ces
deux territoires.
Cette situation résulte d’un choix politique en l’absence de
justifications hydrographiques.
Par
une
délibération
de
son
conseil
exécutif
du
15 novembre 2016, la CSM a manifesté son souhait
d’
une instance de
gouvernance adaptée et propre à son territoire. Toutefois le décret du
2 mars 2017
7
instituant le
comité de l’eau et de la biodiversité (
CEB) pour
6
Courrier du président de la CSM du 25 octobre 2018.
7
Décret n° 2017-
401 relatif à la gouvernance de l’eau et de la biodiversité dans les
départements d’outre
-mer.
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16
le bassin de la Guadeloupe n’inclut aucune représentation de la CSM
. Le
CEB ne comporte ni élus, ni représentants des usagers ou des milieux
socioprofessionnels issus de ce territoire.
La CSM a ainsi été associée, pour ce qui la concerne, aux travaux
d’élaboration du S
dage à travers des ateliers territoriaux qui se sont
déroulés à Saint-Martin.
L’Office de l’eau de la Guadeloupe (ODE)
, établissement public
administratif à caractère départemental, est chargé, en lien avec le CEB, de
faciliter l
es diverses actions d’intérêt commun dans le domaine de la
gestion
de
l’eau
et
des
milieux
aquatiques
. Toutefois, la
CSM
n’appartenant pas au département de la Guadeloupe
,
l’ODE n’est pas
compétent sur son territoire. Il
n’y perçoit aucune redevance.
Alors
que l’ODE réalise notamment l’état des lieux des masses
d’eau nécessaire à l’élaboration du S
dage, une convention a dû être conclue
avec la CSM afin de lui permettre de le réaliser à Saint-Martin. La signature
d’un partenariat avec l’ODE constitue une mes
ure du Sdage 2022-2027.
L
a mission interservices de l’eau et de la nature de Guadeloupe
(MISEN) vise à assurer la coordination de l’action de l’État dans les
domaines de l’eau et de la nature
8
. Le préfet délégué à Saint-Martin est
membre de la MISEN.
C’est également la direction de l’environnement
,
de l’aménagement
et du logement (DEAL) de la Guadeloupe qui est compétente à
Saint-Martin.
Elle dispose à cet effet au sein d’une unité territoriale
9
de
deux agents assurant la mission relative à l’eau et à la b
iodiversité.
8
La MISEN est composée du directeur de la DEAL,
du directeur de l’agriculture,
de
l’alimentation et de la forêt (DAAF),
du directeur de l’
administration générale et de la
règlementation de la préfecture,
du directeur de l’Agence régionale de santé (ARS),
du
directeur de la mer,
d’un représentant du secteur mixte de la police de l’environnement
de Guadeloupe, du Parc national de la Guadeloupe,
de l’Office national des forêt
(ONF), du conservatoire du littoral et des rivages lacustres, du préfet délégué à
Saint-
Martin et du directeur de l’ODE.
9
L’unité territoriale,
placée sous l’autorité fonctionnelle du préfet délégué,
est
composée de huit équivalents temps plein (ETP) qui assurent les trois principales
missions
des
DEAL :
habitat, construction
et
urbanisme, risques
naturels
et
pollutions, eau et biodiversité.
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LA GESTION QUANTITATI
VE DE L’EAU EN PÉRIO
DE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
17
Enfin, le plan eau DOM
10
(PEDOM)
dont le territoire fait l’objet
, a
conduit à l’installation d’une conférence territoriale des acteurs
11
de l’eau
le 4 octobre 2016 et à la signature d’un contrat de progrès le
14 décembre 2021 pour une durée de 5 ans.
B -
Une gouvernance territoriale centrée sur l’EEASM
L’EEASM
, établissement public industriel et commercial de la
CSM créé en 2007
, est compétent pour la distribution d’eau,
de
l’
assainissement collectif et non collectif, des eaux pluviales ainsi que toute
mission relative au grand cycle de l’eau sur le territoire
. Une clarification
de ses statuts, actuellement en cours, est nécessaire quant à la gestion du
grand cycle de l’eau
et notamment aux compétences Gemapi et eaux
pluviales urbaines que l’EEASM et
le CSM se partagent. Il est prévu que
la collectivité exerce les compétences liées au grand cycle de l’eau avec
l’appui technique de l’établissement.
Malgré un tarif de l’eau déjà élevé et qui peut difficilement faire
l’objet d’une revalorisation
, le principe de «
l’eau paie l’eau
» ne
s’applique pas à Saint
-Martin.
L’EEASM doit nécessairement recourir aux
subventions pour assurer le financement des investissements et ce alors que
le caractère insulaire de l’île conduit à des coûts de travaux estimés 30
%
p
lus élevés qu’en France métropolitaine par le délégataire de service
public.
J
usqu’au 1
er
décembre 2018, l
e service de production d’eau potable
était exploité séparément du service de distribution par deux prestataires
distincts. La situation conduisant à des difficultés importantes, ces deux
activités sont désormais rassemblées au sein d’un même contrat de
délégation de service public confié pour 10 ans à l’entreprise SAUR
.
10
Ce plan vise depuis le 30 mai 2016 à accompagner pour dix ans les collectivités
c
ompétentes dans l’amélioration du service rendu à leurs usagers en matière d’eau
potable et d’assainissement.
11
Cette conférence est présidée par le préfet délégué à Saint-Martin et associe les
partenaires cosignataires du contrat, le président du conseil territorial de la CSM, le
président de l’EEASM,
le représentant de l’Office français de la biodiversité (OFB),
la
directrice de l’Agence française de développement (AFD),
le directeur territorial de la
Caisse des dépôts et consignations (CDC) ainsi que des experts tels que le directeur de
la DEAL de la Guadeloupe ainsi que le chef de l’unité territoriale de Saint
-Martin, le
directeur de l’Agence régionale de santé (ARS),
l’expert de la mission interministérielle
« Eau ».
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18
II -
La couverture territoriale et la cohérence
des schémas de gestion des eaux
et de leur déclinaison opérationnelle
Le Sdage, approuvé par arrêté préfectoral du 30 novembre 2015, est
composé de cinq orientations fondamentales. Celles-ci se déclinent en 91
dispositions qui concernent tant le territoire de la Guadeloupe que celui de
Saint-Martin. Les orientations visent à améliorer la gouvernance et
replacer la gestion de l’eau dans l’aménagement du territoire
, à assurer la
satisfaction quantitative des usages en préservant la ressource en eau, à
garantir une meilleure qualité de la ressource vis-à-vis des pesticides et
autres polluants dans un souci de santé publique, à réduire les rejets et
améliorer
l’assainissement
et
enfin
à
préserver
et
restaurer
le
fonctionnement biologique des milieux aquatiques. 39 dispositions ne
concernent pas le territoire de Saint-Martin.
Le coût estimé des mesures pour Saint-
Martin s’élève à
66,4
M€
, soit 7 % des dépenses prévues
pour la mise en œuvre
du Sdage
du bassin de la Guadeloupe.
Si cette question a été évoquée,
notamment par l’autorité
environnementale dans son avis du 18 février 2021, le Sdage ne fait pas
l’objet d’une déclinaison en S
age sur le territoire de Saint-Martin.
En outre, alors que le territoire est couvert par le PEDOM, les
orientations stratégiques de celui-ci visent, pour le service public de
l’eau
, à renforcer la gouvernance des structures compétentes, à développer
les capacités techniques et financières du service, à redéfinir les priorités
techniques afin d’offrir un service public de qualité et durable et enfin
mieux intégrer les probléma
tiques d’eau potable dans les grands enjeux de
développement du territoire.
Ce contrat s’appuie sur un programme
prévisionnel d’investissement élaboré par l’EEASM pour une période de
10 ans,
soit jusqu’en 2030.
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DE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
19
III -
La cohérence entre les documents
de planifica
tion de la gestion de l’eau
et les autres documents
de planification territoriale
Saint-Martin relève
de l’article 74 de la Constitution
. Le schéma
d’aménagement régional (SAR)
, le schéma départemental des carrières
(SDC) et le plan de gestion du risque inondation (PGRI) de la Guadeloupe
n’y sont pas opposables.
Après s’être dotée d’un code de l’urbanisme en 2015
, la CSM, qui
dispose d’un plan d’occupation des sols
, travaille à l
’élaboration d’un plan
d’aménagement et de développement de Saint
-Martin.
Le territoire est également couvert par un contrat de développement
pour la période 2014-2020 qui comporte notamment des dispositions
relatives à l’amélioration de l’infrastructure d’adduction d’eau potable et
prévoit un investissement à hauteur de 23
M€ pour l
a période.
Enfin,
le territoire est couvert par un schéma directeur de l’eau
potable, réalisé en 2013 et mis plusieurs fois à jour notamment après
l’ouragan IRMA
,
ainsi que par des schémas directeurs d’assainissement et
des eaux pluviales.
La gouvernance, rattachée au bassin hydrographique de la
Guadeloupe, apparaît inaboutie.
L’exercice de la compétence est à
Saint-
Martin centrée autour de l’EEASM,
établissement public de la CTM,
créé en 2007. Ce dernier doit nécessairement recourir à des subventions
pour financer les investissements nécessaires. Le principe de «
l’eau paie
l’eau
» ne s’applique
pas sur le territoire. Depuis 2018, les activités de
production et de distribution d’eau ont été regroupées au sein d’une même
délégation de service public.
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Chapitre III
Les mesures visant à réduire
les prélèvements d’eau
et à mieux partager la ressource
I -
Les mesures de court terme : la délivrance
et le contrôle des autorisations de prélèvements
L
’unité territoriale de la DEAL est composée de deu
x agents. Seul
l’un d’entre eux
,
inspecteur de l’environnement
, est assermenté. Il assure à
ce titre la police de l’environnement avec l’appui de la DEAL Guadeloupe
et celui ponctuel de l’OFB
. Les agents assermentés de la réserve naturelle
de Saint-Martin
participent également à l’exercice de cette mission en
dressant entre un et 15 procès-verbaux par an.
Aucune statistique propre au territoire n’
était établie par la DEAL
avant l’année 2021
au sujet des contrôles réalisés sur place sur les
installations ouvrages travaux et activités (IOTA) ayant des impacts sur les
milieux aquatiques. En 2021, 24 contrôles ont été réalisés sur place,
débouchant sur 18 non conformités, et six sur pièces. Deux contrôles ont
donné lieu à mise en demeure, puis à sanctions administratives.
Il ressort de l’enquête que de nombreux prélèvements ont lieu dans
les masses d’eau souterraines sans déclaration ni autorisation
. Certains
donnent même lieu à une activité économique. U
n vaste parc d’installations
de dessalement a été aménagé. Toutefois aucun inventaire ni suivi de ces
forages et équipements n’est réalisé
. A
ucun contrôle n’est diligenté.
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22
II -
Les mesures d’urgence
: la réduction
de la consommation en période de crise
Saint-
Martin qui ne dépend ni des cours d’eau ni des masses d’eau
souterraines pour son approvisionnement par le réseau public
n’est pas
sujette à une tension sur la ressource en eau douce en période de
sécheresse. L
’île n’est pas incluse dans le périmètre de l’arrêté cadre du
préfet de Guadeloupe définissant les zones d
’alerte et les mesures de
limitation ou de restriction des usages de l’eau en vue de la préservation de
la ressource.
Le territoire peut toutefois faire l’objet de restrictions d’eau du
réseau public de distribution pour permettre la réalisation de travaux sur
l’usine de
Galisbay
. À cet égard,
la capacité de production de l’usine n’a
longtemps permis que la seule couverture des besoins de la population qui
s’élèvent à 6
000 m
3
par jour. Pour effectuer des travaux, les ruptures
d’alimentation étaient donc fréquentes et des tours d’eau pouvaient être mis
en œuvre selon un planning élaboré avec l’EEASM
.
Même si désormais la capacité de traitement est supérieure aux
besoins journaliers de la population, certains travaux importants
nécessitent toujours l’établissement de restrictions d’eau
.
Ces restrictions font l’objet de réunions préalables associant le
préfet délégué et ses services, la collectivité,
l’EEASM ainsi que son
délégataire et l’ARS
. Ces restrictions sont accompagnées de mesures
incitant l’ensemble
de la population à réduire sa consommation. Toutefois
ces dernières ne font pas l’objet de contrôles ni de suivis permettant d’en
mesurer l’efficacité.
III -
Les mesures de long terme visant
à sécuriser l’accès à la ressource en eau
Saint-
Martin n’est pas concernée par la mise en œuvre de mesures
de réduction des prélèvements en l’absence d’utilisation des cours d’eau et
des masses d’eau souterraines pour son alimentation
par le réseau
public. Toutefois,
afin de sécuriser l’accès à l’eau de la population
, les
cap
acités de production et de distribution de l’eau devront être
augmentées. La
maîtrise
des
emprises
foncières
des
installations
nécessaires au service devra être assurée et la coopération avec
Sint-Maarten
renforcée.
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DE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
23
A -
Les capacités de production devront être
renforcées et sécurisées
L’usine de
Galisbay
nécessite une sécurisation de sa capacité de
production
afin
d’optimiser
sa
résilience
aux
ouragans
. À
titre
d’exemple
,
l’ouragan IRMA a endommagé fortement l’usine
, ce qui a
conduit à son arrêt total du 6 au 21 septembre 2017 auquel a succédé une
phase de remise en service jusqu’au 19
octobre 2017.
La capacité de production de l’usine devra également être
augmentée afin de pouvoir supporter une période d’arrêt plus longue d’une
file de production pour en assur
er la maintenance et l’entretien
, sans
impacter l’approvisionnement des usagers
. Une réflexion est engagée sur
une nouvelle prise d’eau en un autre lieu ou l’installation d’une unité de
dessalement mobile qui permettrait d’accroître la résilience de la
production.
En outre,
alors que l’environnement de l’usine de
Galisbay
a connu
un développement industriel important avec le port, la centrale EDF et
l’urbanisation du bassin versant
,
les prises d’eau de l’usine sont soumises
à un risque potentiel fort de pollution. Deux pollutions aux hydrocarbures
ont conduit à l’arrêt total de l’usine en 1996 et 2000 et ce jusqu’à
dissipation totale de la pollution.
Il est donc nécessaire d’établir les
périmètres de protection adéquats et de veiller à la fiabilisation de ceux-ci
dans le cadre du développement de l’île
,
notamment s’agissant du projet
d’extension du port de commerce de
Galisbay
ou de la construction d’un
terminal de croisière.
L’approvisionnement électrique de l’usine et de son coût devront
également être sécurisés.
Le coût de l’électricité à Saint
-Martin
La production d’eau par la technique de l’osmose inverse nécessite
une forte consommation électrique (3,6
KW pour la production d’1
m
3
d’eau) produite par deux centrales thermiques fonctionnant avec un mote
ur
diesel.
Or le coût de l’électricité produite à Saint
-Martin est très supérieur
(environ quatre fois) à celui de la France métropolitaine. La moyenne du
coût de production de l’électricité en outre
-mer, zones non interconnectées
(ZNI), est de 256
€/MWh.
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24
Le surcoût de production de cette énergie est pris en charge par la
solidarité nationale à travers un mécanisme de péréquation permettant aux
usagers de l’ensemble du pays de bénéficier d’un tarif identique.
Le statut particulier de la collectivité de Saint-Martin a conduit à la
signature en 2021 d’une convention avec l’État afin de garantir la poursuite
de ce dispositif de péréquation. La fin de celui-ci aurait nécessairement pour
conséquence une augmentation du coût de production de l’eau qui est déjà
très élevé.
Enfin, l
a recherche d’une diversification de la ressource nécessitera
de finaliser la connaissance des masses d’eau souterraines afin d’en établir
leur potentiel exploitable notamment pour ce qui est des usages agricoles.
B -
Le réseau de distribution nécessite un renforcement
et une sécurisation
Le réseau de distribution d’eau
, qui assure la desserte de
14 563 abonnés en 2021,
est d’une longueur de 143 km
. Il est composé
notamment
de
six
réservoirs
d’une
capacité
de
stockage
de
15 000 m
3
. Toutefois, seuls 5 000 m
3
d’eau stockée sont utilisables en cas
de coupure électrique, ce qui conduit dans ce cas à une autonomie
d’alimentation en eau inférieure à 24 heures.
Le réseau est vieillissant. Cette situation est aggravée par le contexte
environnemental de Saint-
Martin notamment par la chaleur de l’eau
, son
surtraitement au chlore et son positionnement dans une nappe saumâtre.
Le rendement du réseau tend à s’améliorer alors même que
l’ouragan IRMA
a occasionné de lourdes dégradations telles que la
destruction de 50 % des compteurs (1 300 nourrices et 8 000 compteurs). Il
était ainsi de 60,8 % en 2016, de 63,2 % en 2020 et de 70 % en 2021. Le
retard structurel de Saint-Martin est donc majoré par le risque cyclonique
auquel elle fait face.
Des investissements destinés à favoriser la résilience des
installations après le passage d’ouragans sont nécessaires
. Ils sont
envisagés dans le cadre du schéma directeur de l’eau mis à jour à la suite
d’IRMA
. L
’île a connu de précédents phénomènes cycloniques ayant
occasionné des dégâts importants.
Le renforcement de la protection des ouvrages par leur caractère
souterrain ou leur protection mécanique devra être engagé ainsi que la
surélévation des matériels les plus fragiles notamment électriques et
électroniques.
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CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
25
Une campagne de renouvellement des canalisations détruites,
fragilisées ou inadaptées aux conditions climatiques et chimiques devra
également être menée. Le renouvellement prioritaire des conduites
structurantes ou stratégiques est évalué à 3
M€.
Le maillage des différentes parties du réseau et leur rendement
devront être améliorés.
Enfin le développement de la sectorisation, des recherches de fuites,
de la télésurveillance et de la collecte de données à distance, ainsi que
l’installation de réducteurs de pression
permettront également de satisfaire
à l’objectif d’augmentation du rendement du réseau
.
C -
Les problématiques foncières et d’impayés
devront être soldées
Les autorités administratives ne dispose
nt pas d’une maîtrise des
emprises foncières. 98 % des parcelles du territoire sont des propriétés
privées. C
ela conduit à l’implantation d’ouvrages publics sur des propriétés
privées et génère des difficultés d’exploitation et des contentieux
.
La question de la propriété des réseaux des lotissements privés et de
leur entretien a donné lieu à un important contentieux notamment
concernant ceux de la Baie Orientale et des Terres Basses. En effet, les
associations syndicales ont contesté la propriété des canalisations pour
refuser leur entretien et le paiement des fac
tures d’eau induites par les fuites
importantes de ces réseaux défectueux. La perte sur les réseaux des
lotissements privés est ainsi estimée entre 10 et 12
% de l’eau distribuée
,
soit environ 200 000 m
3
annuels. Le recouvrement des sommes en cause
constitue donc un impératif pour le délégataire.
D -
Un taux d’impayé qui met en péril l’économie
des contrats de délégation de service public
Le taux d’impayés s’élève à
près de 30 % en 2016 et de 20 % en
2017. Il est largement supérieur à
l’objectif retenu de 2
% en France
métropolitaine. En outre, ceux-
ci ne sont le fait de particuliers qu’à
55 %. En 2020, la SAUR, délégataire de service public, estime le taux
d’impayés entre 12
% et 15 % hors lotissements privés. La société a ainsi
réalisé une provision à hauteur de 15
% et s’est fixé un objectif de 8
% à
une échéance de 10 ans.
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26
Une telle situation présente un risque majeur de mise en péril de
l’économie du contrat de délégation
.
Or le secteur de la production d’eau
par
dessalement
constituant
une
activité
spécifique, au
nombre
d’opérateurs limité et dont certains ne sont plus présents aux Antilles
, le
principe de délégation de l’exploitation du service pourrait être compromis.
E -
La coopération avec la partie néerlandaise
du territoire devra être renforcée
Compte tenu du nombre et de la répartition des usines de
dessalement à
Sint-Maarten
,
l’interconnexion du réseau entre les deux
parties de l’île
présente un intérêt pour sécuriser la distribution d’eau
. En
effet,
Sint-Maarten
dispose de trois usines réparties sur le territoire et dont
la capacité de production est supérieure aux besoins de la population.
Carte n° 2 :
implantation des usines de dessalement
sur l’île de Saint
-Martin (Saint-Martin et
Sint-Maarten
)
Source : EEASM
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CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
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Une interconnexion en deux points, à Belle Plaine et à Oyster
Pond, permettant une distribution dans les deux sens, existe déjà, même si
des équipements hydrauliques complémentaires doivent être mis en place
afin d’en garantir le caractère satisfaisant
. Toutefois cette interconnexion
n’est pas mise en service en raison des différences de normes applicables
en matière d’eau potable entre les deux territoires et de l’absence de
demande d’autorisation de
Sint-Maarten
.
Cette dernière n’étant pas
soumise à la directive européenne en la matière,
l’eau produite ne serait pas
déclarée comme propre à la consommation humaine sur le territoire
français par l’ARS
.
La rigidité de la règlementation française fait donc obstacle à la
sécurisation de la ressource par la commerciali
sation d’une eau
qui répond
pourtant à la norme définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
.
Enfin
la répartition des compétences entre l’État et la CSM
déterminée dans le cadre de la loi organique du 21 février 2007 modifiant
le code général des collectivités territoriales (CGCT)
12
rend également
complexe le renforcement de la coopération avec
Sint-Maarten
.
Si les capacités de production devront être renforcées notamment
par l’augmentation de la production et la sécurisation du périmètre de
l’usi
ne, les difficultés foncières et les impayés, qui mettent en péril
l’économie du contrat de délégation de service public,
devront également
être résolus. La coopération avec la partie néerlandaise du territoire
présente des avantages majeurs. Mais elle se heurte actuellement à la
rigidité de la règlementation.
12
Notamment ses articles LO 6351-11, LO 6351-14 et suivants du CGCT.
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Chapitre IV
La sécurisation de la couverture
des besoins en eau et la préservation
des milieux aquatiques
I -
L’encouragement à la modification
des modes de consommation
Compte tenu des dif
ficultés d’accès à l’eau sur le territoire
, les
usagers sont déjà sensibilisés à l’optimisation et à la rationalisation de
l’usage de l’eau comme le démontre le volume moyen de consommation
journalière par habitant. Les comportements peuvent toutefois être
améliorés, notamment pour ce qui concerne la rapidité de réparation des
fuites après compteurs. Une campagne de communication a ainsi été
engagée sur ce thème.
Il apparaît également important de regagner la confiance des usagers
dans le réseau de distribution publique.
L’EEASM a ainsi procédé au
recrutement d’un animateur territorial qui mène notamment des campagnes
d’intervention en milieu scolaire
. Le délégataire de service public participe
à ces actions de sensibilisation ainsi qu’à celles de communicat
ion
effectuées par voie numérique et de presse notamment dans le cadre des
restrictions d’eau.
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30
En outre, le développement des activités agricoles à Saint-Martin
nécessite un meilleur accès à la ressource. La collecte, le stockage des eaux
de pluie ainsi que la réutilisation des eaux usées traitées (RéUT) sont donc
envisagés dans le cadre du plan territorial de l’agriculture durable de
Saint-Martin.
13
.
Des partenariats pourraient également être développés dans le cadre
du réseau d’innovation et de transfert
agricole de Guadeloupe afin de
développer des expérimentations agroécologiques.
Enfin
la nécessité de produire de l’eau à travers un processus
fortement consommateur d’énergie pourrait conduire à reconsidérer le
modèle de développement démographique et é
conomique de l’île.
II -
L’augmentation de la capacité technique
des infrastructures et du stockage
Les capacités de stockage des réservoirs sont actuellement
suffisantes pour couvrir les besoins de la population.
Toutefois elles ne
permettent pas d’assurer l’
alimentation en cas de panne électrique. Le
volume de stockage doit ainsi être augmenté afin de renforcer et d’accroître
l’autonomie de distribution.
III -
Élargir la ressource utilisable
Le potentiel d’eau exploit
able au titre de la RéUT a été estimé à
685 000 m
3
. La RéUT serait essentiellement utilisée dans le cadre de
l’activité touristique notamment pour l’entretien des espaces verts
. La
RéUT suscite toutefois des interrogations quant à la nécessité d’opérer un
doublement des réseaux ainsi qu’un second trait
ement en sortie de
station,
l’eau conservant à ce stade un caractère saumâtre.
La DEAL souhaite conduire une réflexion et déterminer précisément
les besoins, établir les filières ainsi que les débouchés. Un groupe de travail
s’est réuni pour la première fo
is sur ce sujet en mars 2022. Un comité de
pilotage,
chargé de définir le cahier des charges d’une étude exhaustive
incluant la RéUT mais également les eaux souterraines, les retenues
collinaires et les sources marines secondaires, devrait être proposé avant la
fin de l’année 2022
.
13
Octobre 2021.
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LA GESTION QUANTITATI
VE DE L’EAU EN PÉRIO
DE DE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
CAHIER TERRITORIAL DE SAINT MARTIN
31
S’agissant des masses d’eau souterraines, des
investigations
complémentaires pourraient être conduites
afin d’en améliorer la
connaissance
et d’en établir le potentiel.
IV -
La préservation des milieux aquatiques
Saint-Martin dispose en outre de 17 étangs, propriétés du
conservatoire du littoral et de la CSM qui présentent un intérêt
environnemental, hydraulique et touristique.
La sauvegarde des récifs coraliens, des mangroves et des herbiers de
phanérogames marines doit être assurée. Ces trois écosystèmes sont
interdépendants et assurent un rôle protecteur de la côte et des milieux.
La réserve naturelle de Saint-Martin
Une réserve naturelle nationale de 3 060 ha a été créée en 1998. Elle
comporte une partie marine d’une surface de
2
900 ha ainsi qu’une partie
terrestre littorale et deux zones humides,
les salines d’Orient et l’étang aux
poissons.
La gestion de la réserve a été confiée à une association « Réserve
naturelle de Saint-Martin ». Cette dernière gère également des étangs
propriétés du conservatoire du littoral.
L’association dispose de trois grandes missions
: maintenir la
biodiversité et la fonctionnalité des sites en suivant l’état de santé des
écosystèmes et en entretenant les milieux, protéger les espaces naturels et
faire découvrir durablement la nature et son fonctionnement.
L’association dispose de sept salariés dont cinq sont commissionnés
et assermentés.
Les milieux aquatiques, notamment les 14 étangs, sont soumis à de
nombreuses pressions et menaces : dépôts de remblais, déversement de
déchets,
rejets d’effluents d’assainissement non traités ou défrichements
sauvages.
L’aménagement du territoire et la planification de l’urbanisme
doivent également intégrer ces problématiques s’agissant
en particulier de
l’accroissement de l’imperméabilisation des sols et de la gestion des eaux
pluviales.
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32
Enfin,
s’agissant de l’usine de dessalement
, aucun suivi particulier
des zones de rejet en mer du concentrat n’est réalisé
. Les conséquences
éventuelles du fonctionnement de l’usin
e sur le milieu naturel ne sont donc
pas connues.
V -
L’utilisation de solutions fondées
sur la nature
Historiquement,
l’alimentation en eau de la population était assurée
par des prélèvements dans les eaux souterraines, mais également à travers
l’eau de pluie
. 90
% de la population de l’île dépend des eaux pluviales
pour son alimentation.
Compte tenu des difficultés d’accès à l’eau sur le
territoire, cette pratique de réutilisation des eaux de pluie existe encore
aujourd’hui
. Elle constitue une alternative à l
a consommation d’eau du
réseau public.
Compte tenu des difficultés d’accès à l’eau sur le territoire,
la
population est déjà sensibilisée à l’optimisation et la rationalisation de
l’usage de l’eau.
Cette situation pourrait conduire, compte tenu de
l’insuf
fisance de ressources en eau et du coût du processus de dessalement
de l’eau,
à interroger le modèle de développement démographique et
économique de l’île
.
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Liste des abréviations
AFD
...............
Agence française de développement
ARS
...............
Agence régionale de santé
BRGM
...........
Bureau de recherches géologiques et minières
CDC
..............
Caisse des dépôts et consignations
CEB
...............
Comité de l’eau et de la biodiversité
CGCT
............
Code général des collectivités territoriales
COPIL
...........
Comité de pilotage
CSM
..............
Collectivité de Saint-Martin
DAAF
............
Direction de l’alimentation
,
de l’agriculture et de la forêt
DCE
...............
Directive cadre sur l’eau
DEAL
............
Direction de l’environnement
,
de l’aménagement et du logement
EEASM
.........
Établissement de l’eau et de l’assainissement de Saint
-Martin
EDF
...............
Électricité de France
GEMAPI
.......
Gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations
INSEE
...........
Institut national des statistiques et des études économiques
MISEN
..........
Mission interservices de l’eau et de la nature
ODE
..............
Office de l’eau
OFB
...............
Office français de la biodiversité
OMS
..............
Organisation mondiale de la santé
ONF
...............
Office national de la forêt
PEDOM
.........
Plan eau DOM
PGRI
.............
Plan de gestion des risques inondations
PLU
...............
Plan local d’urbanisme
PPI
.................
Plan pluriannuel d’intervention
REUT
............
Réutilisation des eaux usées traitées
RSA
...............
Revenu de solidarité active
RUP
...............
Région ultrapériphérique
SAR
...............
Schéma d’aménagement régional
SDAGE
.........
Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux
SDC
...............
Schéma départemental de carrières
ZNI
...............
Zones non interconnectées
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