NOTES THÉMATIQUES
CONTRIBUTION À LA REVUE
DES DÉPENSES PUBLIQUES
JUILLET 2023
LES FORCES DE SÉCURITÉ
INTÉRIEURE : DES MOYENS
ACCRUS, UNE EFFICIENCE
À RENFORCER
2
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
3
AVERTISSEMENT
4
SYNTHÈSE
6
INTRODUCTION
8
1 - Une forte hausse des crédits et des effectifs
qui ne règle pas les difficultés structurelles
des forces de sécurité intérieure
8
A - Des crédits prévus en nette croissance
mais comportant de forts aléas
9
B - Des mesures catégorielles coûteuses
et peu efficaces
10
C - De fortes ambitions affichées
sur l’équipement et l’investissement qui
ne se traduisent pas dans la programmation
13
2 - Des leviers d’action à mobiliser pour accroître
l’efficience des forces de sécurité intérieure
13
A - Une articulation plus cohérente des forces
de sécurité intérieure
17
B - Des réformes structurelles à engager
en matière de ressources humaines
18
C - Une programmation nécessaire pour les projets
immobiliers et numériques
22
CONCLUSION
23
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX DE LA COUR DES COMPTES
SOMMAIRE
COUR DES COMPTES
3
La présente note fait partie d’un ensemble de travaux destinés à contribuer
à la revue des dépenses initiée par le Gouvernement dans la perspective des
projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Cet ensemble de notes thématiques vise à éclairer le débat et à capitaliser
sur les nombreux travaux récents réalisés par les chambres de la Cour des
comptes. Les neuf thèmes choisis correspondent à des politiques publiques
pour lesquelles les questions de l’efficacité et de l’efficience de l’action
publique se posent avec une acuité particulière. Il a semblé utile à la Cour de
contribuer à évaluer la qualité de la dépense publique, dans sa conception,
sa mise en œuvre et son suivi, et à formuler des leviers d’action pour la
renforcer.
La publication de ces notes intervient parallèlement à celle du rapport sur
la situation et les perspectives des finances publiques 2023, qui propose
une vision consolidée de la qualité de la dépense à tous les niveaux
d’administration publique et une grille d’analyse, susceptible de déboucher
sur des dispositifs plus économes, plus efficaces et plus équitables.
Comme pour les notes structurelles qu’elle a publiées au dernier trimestre
2021, conformément à sa mission constitutionnelle d’information des
citoyens, la Cour a souhaité développer une approche nouvelle, qui se
différencie de ses travaux habituels, pour apporter, par cette série de notes
volontairement très synthétiques et ciblées, sa contribution au débat
public tout en veillant à laisser ouvertes les différentes voies de réformes
envisageables.
La présente note a été délibérée par la quatrième chambre le 21 juin 2023
et approuvée par le comité du rapport public et des programmes de la Cour
des comptes le 27 juin 2023.
Les publications de la Cour des comptes sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes
www.ccomptes.fr.
AVERTISSEMENT
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LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
SYNTHÈSE
Les forces de sécurité intérieure emploient 253 000 policiers et gendarmes. Leur
budget, intégré au sein de la mission
Sécurités
(15,8 Md€ hors pensions en 2023),
représente 1 % du produit intérieur brut. À partir de 2023, les moyens qui leur sont
affectés s’inscrivent dans une loi de programmation et d’orientation du ministère de
l’intérieur (LOPMI) qui prévoit jusqu’en 2027 une hausse très importante des crédits
et des emplois (+ 5 Md€ de mesures nouvelles et 8 500 effectifs supplémentaires sur
cinq ans) pour répondre aux ambitions fixées dans le rapport annexé à la loi, dont une
majeure partie est consacrée à la «
révolution numérique
» du ministère de l’intérieur.
Pourtant, la trajectoire fixée par la LOPMI présente de fortes incertitudes, en
ce qui concerne tant la capacité des forces de sécurité intérieure à procéder
aux recrutements annoncés que la mise en œuvre effective des ambitions de
modernisation des équipements. La multiplication des mesures catégorielles et
des primes résultant des récents protocoles conclus avec les partenaires sociaux est
coûteuse et peu efficace au regard des objectifs de recrutement et de fidélisation.
Les besoins d’investissement, notamment dans les domaines de l’immobilier, des
équipements et du numérique, sont considérables et sont souvent une variable
d’ajustement budgétaire.
Aussi, afin de renforcer l’efficience des actions engagées grâce à l’important effort
budgétaire annoncé, la Cour recommande de rechercher une plus grande cohérence
entre les forces de sécurité, d’engager des réformes structurelles en matière de
ressources humaines et de programmer précisément la réalisation des grands
projets immobiliers et numériques.
À cette fin, elle propose trois leviers d’actions :
l
Mieux coordonner les forces de sécurité intérieure en relançant le chantier de
transfert des zones de compétence de la police et de la gendarmerie nationales,
en recherchant de nouvelles pistes de mutualisation et en prenant en compte le
déploiement des polices municipales.
l
Mettre en œuvre des réformes structurelles en matière de ressources humaines en
privilégiant des leviers non salariaux pour améliorer l’attractivité et la fidélisation
et en développant des approches innovantes notamment dans la gestion des
contrats et des parcours de carrière des personnels actifs contractuels (gendarmes
adjoints volontaires et policiers adjoints).
l
Préserver les budgets d’investissement des aléas de gestion et des risques de sous-
budgétisation pour réaliser les ambitions affichées par la LOPMI et publier une
programmation pluriannuelle pour les principaux projets immobiliers et numériques.
COUR DES COMPTES
5
Chiffres clés :
• Mission
Sécurités
2023 :
15,8 Md€
hors pensions,
dont 8,9 Md€
et
151 020 ETP
pour la police -
6,2 Md€ et 102 162 ETP
pour la gendarmerie ;
• Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur :
80 Md€
sur
5 ans pour la police et la gendarmerie nationales dont respectivement
4,8 Md€
et 3,3 Md€
de crédits supplémentaires par rapport à 2022 ;
•
7 412
postes de policiers et gendarmes créés entre 2023 et 2027 ;
• Un objectif de
doublement de la présence
des policiers et gendarmes
sur la voie publique d’ici 2030 ;
• La création de 200 brigades de gendarmerie.
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE :
DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
Renforcer l’attractivité en modernisant
la gestion des ressources humaines
de la police et de la gendarmerie nationales
Améliorer la cohérence
d’ensemble des forces
de sécurité intérieure
Établir une programmation
des équipements et des moyens
immobiliers et numériques
des forces de sécurité intérieure
6
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
INTRODUCTION
La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) a été
adoptée le 24 janvier 2023 après une succession d’exercices de réflexion au sein
du ministère de l’intérieur : assises territoriales de la sécurité intérieure en 2019,
livre blanc pour la sécurité intérieure publié en novembre 2020, avec plus de
200 propositions visant à orienter l’action du ministère dans tous les domaines de
la sécurité intérieure pour les prochaines années. Cette loi a repris l’ensemble des
mesures du Beauvau de la sécurité, les annonces du Président de la République dans
son discours de Nice du 10 janvier 2022 et d’autres projets, comme la création de
l’académie de police à Montpellier ou l’acquisition d’hélicoptères pour la gendarmerie
nationale.
L’augmentation des moyens des forces de sécurité intérieure depuis 2015 conduit
pratiquement à leur affecter 1 % du PIB. Bien que la LOPMI concerne l’ensemble
des missions du ministère de l’intérieur, la police et la gendarmerie nationales
bénéficient d’une part prépondérante avec 67 % des crédits de la loi. Les budgets
des deux entités devraient augmenter d’environ 17 % entre 2022 et 2027, soit une
augmentation cumulée de 3,3 Md€ pour la gendarmerie et de 4,8 Md€ pour la police.
Cet abondement de crédits vise à répondre aux grands objectifs que s’est fixé le
ministère dans son rapport annexé à la LOPMI :
l
mettre en œuvre un programme de transformation numérique ;
l
doubler la présence des forces de sécurité sur le terrain à l’horizon 2030 ;
l
mieux anticiper les menaces et les crises.
COUR DES COMPTES
7
Graphique n° 1 :
évolution prévue des crédits de la police et de la gendarmerie
en M€ (en crédits de paiement, hors CAS pensions)
8 449
8 925
9 208
9 538
9 563
9 824
Source : Cour des comptes, d’après le rapport annexé de la LOPMI
*Le budget 2022 servant de base à la construction budgétaire de la LOPMI
comprend les crédits votés en loi de finances initiale et l’annuité 2022 des crédits du
plan de relance.
La présente note constate que la trajectoire budgétaire ambitieuse prévue par
la LOPMI ne permet pas de régler les difficultés structurelles du ministère (I) et
qu’en conséquence, certains leviers d’actions doivent être mobilisés pour renforcer
l’efficience des forces de sécurité intérieure (II).
1 - UNE FORTE HAUSSE DES CRÉDITS ET DES EFFECTIFS
QUI NE RÈGLE PAS LES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES
DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE
A - Des crédits prévus en nette
croissance mais comportant
de forts aléas
1 - Les crédits de personnel
et des effectifs annoncés en hausse
Alors que la LOPMI visait initialement à rééquilibrer
les dépenses au profit de l’investissement et
de l’équipement, le texte voté accorde une
priorité aux dépenses de personnel. Il projette
la création entre 2023 et 2027 de 3 872 postes
dans la police nationale et de 3 540 postes dans
la gendarmerie nationale, qui feront suite au
recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur
le quinquennat précédent et viendront s’ajouter
aux 253 000 effectifs déjà rattachés à la mission
Sécurités
. Il prévoit également une revalorisation
des rémunérations de 1,473 Md€ en application
du « Beauvau de la sécurité ».
Graphique n° 2 :
évolution prévue des dépenses de personnel des forces de sécurité en M€
(hors CAS Pensions)
Source : Cour des comptes, d’après les RAP 2018 à 2022 et tableau annexé à la LOPMI
Plus de 80 % des dépenses de la police et la
gendarmerie nationales sont des dépenses
de personnel. Alors que l’objectif initial de la
LOPMI était de rehausser la part des crédits
de fonctionnement et d’investissement, les
nouveaux recrutements annoncés et le coût
des mesures catégorielles ont conduit à
consacrer la majorité des augmentations de
crédits aux dépenses de personnel. En cela,
la LOPMI s’inscrit dans la continuité de la
pratique budgétaire du ministère depuis 2015.
Les augmentations les plus importantes seront
réalisées dès 2023 et 2024 pour financer les
effectifs supplémentaires, soit 1 995 pour la
gendarmerie nationale et 3 046 pour la police
nationale.
8
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
9
2 - Une mise en œuvre marquée
par des incertitudes
Des incertitudes demeurent sur le respect de
la trajectoire des dépenses de personnel d’ici
2027. En effet, l’addition des mesures nouvelles
actées en 2022 et 2023 (réévaluation du point
d’indice, mise en œuvre des protocoles salariaux
du « Beauvau de la sécurité » et recrutement
de 8 500 personnels supplémentaires) pourrait
conduire, dans une hypothèse maximaliste, à
une insuffisance de crédits allant jusqu’à 430 M€
en 2017, soit 3 % des crédits de personnel.
Pour autant, la capacité de procéder à des
augmentations d’effectifs n’est pas assurée.
D’une part, les forces de sécurité intérieure
rencontrent des difficultés croissantes à recruter,
dans le contexte d’un marché du travail plus
tendu et de la concurrence d’autres employeurs
(polices municipales, armées, entreprises privées
de sécurité). D’autre part, à supposer que tous les
recrutements puissent avoir lieu, les écoles de la
police et de la gendarmerie nationales risquent
de rencontrer des difficultés à faire face à des
besoins de formation croissants. Elles devront
en effet couvrir à la fois les remplacements de
départs à la retraite, qui vont augmenter dans les
prochaines années (+10 % de départs à la retraite
au sein de la gendarmerie nationale en 2022 par
rapport à 2021) et les nouveaux recrutements.
B - Des mesures catégorielles
coûteuses et peu efficaces
1 - Des primes qui se superposent
sans cohérence, des mesures
statutaires qui se neutralisent
Depuis 2015, la forte croissance des dépenses
de personnel s’explique avant tout par des
mesures coûteuses de revalorisation salariale et
d’accélération des carrières. Elles se sont élevées
à 730 M€ hors pensions pour les protocoles de
2016 et 2018 et, sur la période 2023-2027, le
coût complet des protocoles du « Beauvau de
la sécurité » de septembre 2021 est estimé à
1,473 Md€ (773 M€ pour la police et 700 M€
pour la gendarmerie).
Ce protocole est symptomatique de la
multiplication des mesures catégorielles, liée
à un dialogue social dynamique au sein de la
police, transposé ensuite à la gendarmerie selon
le principe dit de « parité des forces ». Il ne
comprend pas moins de 47 mesures catégorielles
pour la seule police nationale, dont plusieurs
primes nouvelles. Or, la multiplication des primes
renforce un « mille-feuille » indemnitaire aux
objectifs peu lisibles et à l’efficacité rarement
mesurée. Le ministère de l’intérieur n’a jamais
soumis au « guichet unique », composé de la
direction du budget et de la direction générale
de l’administration et de la fonction publique,
une analyse de l’incidence des futures mesures
catégorielles du protocole du « Beauvau de la
sécurité », alors que leur coût budgétaire est très
significatif.
De plus, certaines mesures statutaires adoptées
apparaissent contradictoires entre elles. Ainsi,
en matière d’avancement, le classement de
certaines circonscriptions en zone « secteurs
et unités d’encadrement prioritaire » (SUEP)
accélère l’avancement des personnels agents
de police judiciaire (APJ) qui y sont affectés mais
contrecarre l’effet des mesures favorisant un
avancement accéléré pour ceux qui ont la qualité
d’officier de police judiciaire (OPJ). À chaque fois
qu’une mesure spécifique à une filière est prise
(par exemple, pour revaloriser l’investigation),
le protocole suivant conduit souvent à élargir
la mesure à d’autres catégories de personnel,
neutralisant dès lors les objectifs recherchés
initialement.
2 - Des primes qui ne résolvent pas
les difficultés de recrutement
et de fidélisation au sein des forces
de sécurité intérieure
Depuis la crise sanitaire, les forces de sécurité
intérieure rencontrent des difficultés croissantes
à recruter et fidéliser leurs effectifs. Les départs
au sein de la police et de la gendarmerie
nationales sont en nette augmentation : les
départs de policiers actifs (hors policiers adjoints
et départs à la retraite) sont passés de 2 358 en
2019 à 3 823 en 2022. Les démissions en école
ont également tendance à croître, au sein de
la police nationale comme de la gendarmerie
nationale. Pour cette dernière, elles sont passés
de 1 822 démissions en 2019 à 2 283 en 2022.
Bien que modérés au regard du volume total des
personnels – près de 250 000 – ces départs sont
une tendance durable mettant en lumière une
difficulté croissante à fidéliser les personnels.
De 2017 à 2022, les mesures catégorielles
en faveur des policiers et des gendarmes ont
représenté près de 589 M€ hors pensions, en
hausse de 6 % sur la période. L’augmentation
des rémunérations semble ainsi n’avoir qu’un
impact limité sur l’attractivité et la fidélisation
des personnels. D’ailleurs, des sondages réalisés
auprès des personnels quittant l’institution
tendent à démontrer que les principaux facteurs
de départ, hors retraite, sont la conjoncture
économique favorable, l’usure professionnelle
et les fortes contraintes du métier plutôt qu’un
niveau insuffisant de rémunération.
Ce constat est particulièrement marqué en
Île-de-France, miroir grossissant des difficultés
de la police nationale malgré des tentatives
de fidélisation des agents. Le coût global
de l’ensemble des indemnités spécifiques à
l’exercice de missions sur le territoire francilien
(indemnité de fidélisation et son complément,
indemnités compensatoires de sujétions
spécifiques et pour sujétions exceptionnelles
pour les officiers et commissaires, prime de
fidélisation instaurée en 2020 pour tous les
agents exerçant de façon permanente en Seine-
Saint-Denis) a doublé depuis 2017 (156,6 M€ en
2022), alors que persistent une forte rotation
d’effectifs de gardiens de la paix insuffisamment
formés et un déficit d’officiers de police judiciaire
(OPJ). Le pourcentage de policiers ayant la
qualification d’OPJ est de 41 % à la direction
de la sécurité publique de l’agglomération
parisienne, contre un taux de référence de 80 %
pour la sécurité publique.
C - De fortes ambitions affichées
sur l’équipement et l’investissement
qui ne se traduisent pas
dans la programmation
Par nature, la police et la gendarmerie sont des
forces de « main d’œuvre », ce qui se traduit par la
part prépondérante des crédits de personnel. Les
crédits de fonctionnement et d’investissement
de la police et de la gendarmerie nationales ont
connu pendant plusieurs années une légère
diminution, affectant la capacité opérationnelle
des forces de sécurité intérieure. Depuis 2020,
les crédits du plan de relance ont permis de
compenser cette baisse.
10
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
11
À partir de 2024, la LOPMI a prévu une
augmentation de ces moyens, afin de moderniser
et de renforcer l’efficience des forces. Pour autant,
de fortes incertitudes pèsent sur la mise en œuvre
de cette trajectoire.
1 - Des dépenses hors personnel financées
par des abondements exceptionnels
et notamment le plan de relance
Le financement des dépenses de fonctionnement
et d’investissement de la police nationale est
devenu dépendant de ressources exceptionnelles
qui constituent un palliatif en cours de gestion.
Depuis 2020, la police utilise les crédits de
personnel non consommés en raison de ses
difficultés de recrutement, pour financer des
équipements, à hauteur de 230 M€ entre 2020 et
2022. La gendarmerie y a également eu recours
pour la première fois en 2022 pour près de 25 M€.
Les fonds de concours liés au remboursement
des personnels et à l’amortissement des matériels
mis à disposition des organismes extérieurs et
les fonds européens abondent significativement
les crédits hors personnel. Les crédits du plan de
relance ont, quant à eux, permis aux deux forces de
mener leurs investissements entre 2020 et 2022.
Ainsi, la police nationale a bénéficié de plus
de 280 M€ pour financer des investissements
numériques, des acquisitions immobilières,
des opérations de construction et de
maintenance lourde et le renouvellement
de plus de 1 350 véhicules. De son côté, la
gendarmerie nationale a bénéficié de plus
de 350 M€ pour réaliser des opérations
immobilières d’amélioration, de maintenance
et de construction, le renouvellement de
près de 3 500 véhicules et l’acquisition de
nouveaux hélicoptères. Les crédits du plan
de relance ont également permis de financer
les terminaux
Neogend
de la gendarmerie
à hauteur de 3,7 M€, le développement de
moyens informatiques pour 17,4 M€ et pour
plus de 10 M€ de caméras-piétons.
La fin du plan de relance doit conduire la
police et la gendarmerie nationales à prévoir
en loi de finances un niveau de crédits hors
dépenses de personnel suffisant pour assurer
le renouvellement de leurs équipements,
l’équipement des personnels, la maintenance
immobilière ou le financement de leurs grands
projets numériques.
Graphique n° 3 :
évolution des crédits de fonctionnement et d’investissement
de la police et de la gendarmerie nationales (CP en M€)
1 904
1 838
1 596
1 528
1 555
1 555
1 400
1 399
1 344
1 386
Source : Cour des comptes, d’après le rapport annexé de la LOPMI
2 - Une inflation qui pèse
sur les dépenses de fonctionnement
et d’investissement
L’inflation a entraîné une forte augmentation
des dépenses de fonctionnement entre 2021
et 2022. La croissance des coûts des carburants
et de l’énergie a eu un impact significatif sur les
dépenses, en raison de l’activité et des besoins
de mobilité des forces de sécurité intérieure.
Pour la police nationale, ces deux postes ont
augmenté de 20 % entre 2021 et 2022, ce
qui représente un surcoût de près de 20 M€.
Les prévisions pour 2023 sont encore plus
défavorables en raison d’une augmentation
de l’activité et du renouvellement des contrats
d’énergie à des prix plus élevés.
Pour la gendarmerie, le surcoût des carburants
et de l’énergie a atteint 29 M€ entre 2021 et
2022, ce qui a nécessité l’ouverture de 21 M€
supplémentaires dans la loi de finances
rectificative de 2022 pour couvrir ces dépenses
supplémentaires. Par ailleurs, la gendarmerie
nationale est affectée par l’augmentation de
l’indice de référence des loyers en raison de
la taille de son parc immobilier locatif, ce qui
a entraîné un surcoût de plus de 40 M€ entre
2021 et 2022.
Le ministère de l’intérieur indique que la
hausse des prix devrait être à l’origine d’une
augmentation tendancielle des dépenses hors
masse salariale de plus de 300 M€ en 2023 et
de 200 M€ en 2024. Ces surcoûts pèsent sur les
dépenses de fonctionnement et d’équipement
et diminuent d’autant la capacité à financer
de nouveaux matériels, d’autant plus que les
enveloppes de la LOPMI sont un plafond.
3 - Un risque d’éviction des crédits
de fonctionnement et d’investissement
au profit des dépenses de personnel
Dans l’hypothèse où la trajectoire des crédits
de personnel de la LOPMI ne serait pas
suffisante pour financer toutes les promesses de
recrutements et de revalorisations, le risque est
élevé que le ministère de l’intérieur couvre les
dépenses de personnel par des prélèvements
sur les crédits en matière d’investissement et
de fonctionnement. Dès 2022, cette pratique
a été constatée. L’insuffisance du financement
supplémentaire mis en place pour couvrir les
dépenses de personnel nouvelles, notamment
l’augmentation du point d’indice de la fonction
publique (+3,5 %) a conduit le ministère à financer
les évolutions salariales nouvelles par les crédits
de fonctionnement et d’investissement.
Le recrutement d’effectifs supplémentaires
n’a de sens que s’il s’accompagne des crédits
nécessaires à leur équipement. Ainsi, alors que
la gendarmerie prévoit une augmentation de
ses effectifs de près de 2 000 personnels sur
les deux premières années de la LOPMI, les
crédits de fonctionnement et d’investissement
stagnent en 2023 et diminuent en 2024.
Cette incohérence entre l’augmentation des
effectifs et l’insuffisance de financement des
coûts qui y sont associés traduit les limites de
la programmation budgétaire et les effets d’une
accumulation de mesures dont les conséquences
à long terme ne sont pas suffisamment prises
en compte.
12
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
13
2 - DES LEVIERS D’ACTION À MOBILISER POUR ACCROÎTRE
L’EFFICIENCE DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE
A - Une articulation plus cohérente
des forces de sécurité intérieure
1 - Revoir la répartition des zones police
et gendarmerie
Historiquement, la police nationale est chargée
des zones urbaines tandis que la gendarmerie
nationale est présente dans les zones rurales et
périurbaines. Cela explique que la gendarmerie
couvre 96 % du territoire et 51 % de la
population.
Cette division des tâches se justifie par le mode
d’organisation des deux forces. Les brigades
de gendarmerie sont des petites unités, avec
des militaires polyvalents, dont la disponibilité
permet d’assurer une réponse opérationnelle
24 heures sur 24 (notamment
via
un régime
d’astreinte et de rotation des horaires) adaptée
à des circonscriptions étendues et à une
délinquance peu intense, la gendarmerie ne
traitant qu’un tiers des affaires judiciaires au
niveau national.
A contrario
, les commissariats de police se
caractérisent par une division des tâches,
chaque policier étant spécialisé sur une
fonction. Ce modèle est plus adapté pour le
traitement de zones avec des niveaux élevés de
délinquance. En effet, la police nationale (dont
la préfecture de police de Paris) concentre deux
tiers des affaires (70 % des atteintes volontaires
à l’intégrité physique et des atteintes aux biens,
80 % de la grande criminalité et 87 % des
infractions liées au trafic et à la revente sans
usage des produits stupéfiants) et 70 % des
mises en cause au niveau national. Plus de la
moitié des actes de délinquance sont commis
dans 1 % des communes de France.
Cependant, l’organisation territoriale des deux
forces de sécurité ne s’est que partiellement
adaptée aux évolutions des territoires. D’une
part, l’isolement géographique de certaines
circonscriptions de la police nationale et
leur effectif réduit ne leur permettent pas
de fonctionner sans l’appui des unités de
gendarmerie qui les entourent. D’autre part,
des brigades territoriales de la gendarmerie
ont des compétences sur des zones périurbaines
en forte croissance démographique avec des
phénomènes de délinquance analogues à ceux
des grandes agglomérations.
Depuis dix ans, les travaux de redécoupage des
zones police et gendarmerie ont été interrompus,
en raison notamment des réticences des
syndicats et des élus locaux mais aussi de leurs
conséquences sur la situation des personnels.
En 2015, les deux directions générales s’étaient
ainsi entendues pour proposer de nouveaux
redéploiements pour neuf circonscriptions de
sécurité publique police et huit communes en
zone gendarmerie, mais ce projet a été gelé.
Le livre blanc de la sécurité intérieure
de 2020
avait proposé de placer les communes de moins
de 30 000 habitants en zone gendarmerie et
celles de plus de 40 000 habitants en zone police
nationale, tandis que les communes comprises
entre les deux seraient arbitrées au cas par cas,
tout en assurant la cohérence des bassins de vie,
ce qui aurait pu conduire à confier de petites
communes, limitrophes d’une agglomération, à
la police nationale. Toutefois, cette proposition
n’a pas été retenue.
La Cour des comptes estime que ces travaux de
révision des zones d’intervention de la police
et gendarmerie nationales doivent reprendre.
Une méthode consisterait à supprimer les
commissariats des circonscriptions isolées,
qui n’ont pas une masse critique et dont la
part de personnels affectés au soutien et
à l’administration pèse sur le potentiel de
présence sur la voie publique. Ces commissariats
seraient remplacés par une brigade territoriale
de gendarmerie comprenant uniquement
des personnels opérationnels rattachés à la
compagnie chef-lieu déjà existante et dont le
soutien serait assuré par le groupement de
gendarmerie départemental. Ce mouvement
pourrait générer des économies sur les
personnels administratifs et de soutien et sur
les coûts de fonctionnement et de maintenance
liés à la baisse du besoin en infrastructures
immobilières. Sur la base du remplacement d’un
policier par 0,77 gendarme (ratio couramment
accepté par le ministère de l’intérieur, qui
s’explique essentiellement par les différences
d’organisation et de temps de travail) et de la
suppression de 80 % des postes administratifs,
un commissariat comportant 50 personnels
pourrait être remplacé par une brigade
territoriale comptant environ 30 gendarmes.
Sur la base du recensement de 2019 (hors
outre-mer), 89 commissariats couvrant moins
de 30 000 habitants pourraient être concernés,
dont 35 commissariats ont des circonscriptions
de moins de 20 000 habitants.
En sens inverse,les zones périurbaines connaissant
une forte évolution démographique et des
phénomènes de délinquance, traités jusqu’alors
par des brigades territoriales de gendarmerie,
pourraient être transférées à la police nationale
en renforçant les commissariats existants. Ce
renfort améliorerait la présence sur la voie
publique et donnerait aux circonscriptions de
police concernées des contours correspondant
davantage à ceux des bassins de délinquance et
une meilleure cohésion territoriale. Certaines
brigades absorbées dans les agglomérations
nantaise, bordelaise ou toulousaine pourraient
être concernées par ces redéploiements. Cela
pourrait être également le cas de brigades
enclavées en zone police, notamment dans les
Bouches-du-Rhône.
Ces redéploiements concerneraient les unités
assurant les missions de sécurité publique
générale, sans remettre en cause la présence
d’antennes spécialisées des deux forces (police
judiciaire, par exemple).
Le ministère de l’intérieur a indiqué à la Cour
que les évolutions démographiques, socio-
économiques ou encore celles de la délinquance
justifient une réflexion sur ce sujet mais que le
calendrier de travail doit toutefois tenir compte
de l’organisation des Jeux olympiques et
paralympiques de Paris 2024. Dans son rapport
de mai 2021 relatif au bilan du rattachement
de la gendarmerie nationale au ministère de
l’intérieur, la Cour avait recommandé de faire
évoluer à nouveau les limites des zones de
compétence territoriale des deux forces sur la
base de critères fixés dans chaque département
par les préfets, en concertation avec les élus, afin
de conduire à un maillage plus cohérent et plus
performant. Il semble aujourd’hui indispensable
de traiter ce sujet pour équilibrer les charges de
travail qui pèsent sur la police et la gendarmerie.
2 - Prendre en compte le rôle croissant
des polices municipales
Le chantier des réorganisations territoriales ne
peut se conduire sans prendre en compte le
sujet des polices municipales, dont la Cour avait
relevé la montée en puissance tant en effectifs
(plus de 35 000 agents) qu’en compétences,
14
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
15
amenant même certains services de police
municipale à assurer l’ensemble des aspects
de la mission de tranquillité publique. Ainsi,
sur 1 574 communes en zone police nationale,
1 056 ont un service de police municipale.
L’État n’a pas encore, à ce jour, défini une
véritable politique à l’égard des polices
municipales. Or, il est directement concerné par
leur évolution et ne peut plus se limiter à du prêt
de matériels et des aides financières. Certains
élus montrent leur volonté de positionner leur
police municipale sur l’ensemble du spectre des
missions allant de la prévention de la tranquillité
publique à l’intervention à des fins répressives.
Dans son rapport thématique de 2019 sur ce
sujet, la Cour appelait à définir une politique
plus active de soutien et de clarification des
missions vis-à-vis des polices municipales en
s’appuyant sur une contractualisation et, le cas
échéant, un financement adéquat permettant
de mieux assurer la complémentarité entre
polices nationale et municipale dans le cadre
du «
continuum de sécurité
». Dans un premier
temps, les conventions de coordination
entre les forces de sécurité intérieure et les
polices municipales pourraient être enrichies,
en clarifiant la répartition des rôles et la
coopération entre les forces sur les différents
types de faits.
La LOPMI reconnait que les forces de sécurité
ne peuvent couvrir seules efficacement
l’intégralité du spectre de la délinquance mais
elle ne propose que peu d’avancées concernant
les polices municipales. Le renforcement du
«
continuum de sécurité
» est censé être mis en
œuvre par la création annoncée d’une nouvelle
« direction des partenariats », qui devrait
permettre la coopération avec les polices
municipales et le secteur privé de la sécurité. Les
contrats de sécurité intégrés, qui constituent
un cadre de pilotage important des politiques
de sécurité pour les maires, les préfets et les
procureurs de la République, seront également
rendus plus lisibles pour l’ensemble des acteurs
de la sécurité.
À ce jour, une grande partie des polices
municipales disposent d’une convention de
coordination et d’intervention avec la force
de sécurité compétente sur le ressort de
leur commune (986 sur 1 056 services de
police municipale en zone police et près de
2 000 conventions pour 2 750 services de
police municipale en zone gendarmerie). Il
n’en demeure pas moins que la réflexion en
ce domaine reste inaboutie et qu’au regard de
l’ensemble des missions prioritaires qui pèsent
sur la police et la gendarmerie, l’association
des polices municipales à la mission de sécurité
intérieure doit être reconnue, permettant de
concentrer l’action des forces de police et de
gendarmerie sur les formes les plus graves de
criminalité et d’atteinte à l’ordre public.
3 - Des mutualisations à renforcer
A l’occasion de son rapport sur
le bilan du
rattachement de la gendarmerie nationale au
ministère de l’intérieur
, la Cour des comptes
avait estimé que ce regroupement aurait dû
permettre de rationaliser et mutualiser des
moyens et des missions entre les deux forces.
Des initiatives de mutualisation ont été mises
en œuvre avec succès dans certains domaines :
création de la direction de la coopération
internationale de sécurité (DCIS) et du service
de l’achat, de l’innovation et de la logistique du
ministère de l’intérieur (SAILMI), mutualisation
de fichiers de police (fichier des personnes
recherchées, fichier automatisé des empreintes
digitales etc.), ou encore conduite de projets
communs (smartphones professionnels NEO).
Pour autant, d’autres pistes doivent être
envisagées.
La complexité des projets de systèmes
d’information devrait naturellement conduire
à une recherche de mutualisation. Toutefois,
dans ce domaine comme dans d’autres, la police
et la gendarmerie nationales ont encore des
difficultés à développer des systèmes partagés.
Ainsi, le futur logiciel de rédaction des
procédures (LRP), dénommé
Scribe
, devait
constituer un outil commun censé remplacer
au premier semestre 2020 les logiciels de
rédaction des procédures de la police (LRP-PN
ou LRP3) et de la gendarmerie (LRP-GN). La
gendarmerie s’est retirée du projet dès 2016,
considérant la fusion des deux logiciels comme
«
risquée
» sans que cela n’entraîne de réflexion
sur la poursuite du projet au seul profit de la
police. Entre 2016 et 2022, plus de 13 M€ ont
été dépensés pour le développement de
Scribe
pour finalement aboutir à un arrêt du projet.
Un audit de la direction interministérielle du
numérique a estimé à 30 M€ le montant des
dépenses supplémentaires nécessaires pour en
finaliser le développement et le déploiement.
Dans le domaine de la police technique et
scientifique,
a priori
propice à des synergies,
chacune des forces a choisi en fait un
positionnement spécifique, correspondant à
ses besoins, et conduisant à développer des
politiques différentes : la police nationale
a spécialisé des services et traite de gros
volumes, tandis que la gendarmerie a opté
pour une approche s’appuyant principalement
sur la polyvalence de ses sous-officiers. Le
rapport de la Cour sur
le bilan du rattachement
de la gendarmerie au ministère de l’intérieur
recommandait de construire un dispositif
de pilotage unifié de l’ensemble de la police
technique et scientifique en s’appuyant sur la
mise en place du service national de la police
scientifique. Ce service n’ayant finalement pas
vu le jour, le sujet est resté en l’état.
Sur la méthode, les forces de sécurité intérieure
peinent à définir le bon modèle de mutualisation.
Les structures en cogestion, telles que le service
des technologies et des systèmes d’information
de la sécurité intérieure, ont des difficultés à
imposer une véritable démarche collaborative.
A l’inverse, les unités mixtes placées auprès
d’une des deux forces bénéficient rarement de
l’investissement de l’autre force, à l’image du
renseignement territorial, intégré au sein de la
police nationale et n’employant que 13 % de
gendarmes.
Parfois, la mutualisation est contestée comme
une perte de maîtrise et d’influence sur un
domaine. En matière de cybercriminalité,
le commandement de la gendarmerie dans
le cyberespace (ComCyberGend) et l’office
central de lutte contre la cybercriminalité
liée aux technologies de l’information et de la
communication (OCLCTIC), relevant de la police
nationale se font concurrence.
Le livre blanc de
la sécurité intérieure
avait préconisé la création
d’un service à compétence nationale, bi-force
mais rattaché à la DGGN. Depuis, les deux
forces se sont plus éloignées que rapprochées :
l’OCLCTIC ne compte plus aucun effectif de
gendarmes hormis sur la plateforme
Pharos
.
Les mutualisations doivent donc être relancées
pour permettre
in fine
une amélioration de
l’expertise et du service rendu. Au-delà de
ces mutualisations, un effort constant doit
être poursuivi pour éviter qu’apparaissent de
nouveaux doublons. Enfin, des spécialisations
pourraient utilement être étudiées en
complément des mutualisations, lorsque cela
est nécessaire.
16
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
17
B - Des réformes structurelles
à engager en matière
de ressources humaines
1 - De nouvelles mesures d’attractivité
à rechercher
Les revalorisations salariales n’ont qu’un effet
limité en matière d’attractivité et de fidélisation
des effectifs alors que leur coût est élevé. La
police et la gendarmerie nationales devraient
donc privilégier des mesures non salariales
d’attractivité, selon cinq axes :
• la définition de parcours de carrière, en
mettant en place la priorité d’affectation au
profit d’agents acceptant des postes dans des
services ou territoires prioritaires ;
• l’amélioration matérielle des conditions de
travail ;
• la formation continue ;
• l’action sociale (exemples récents : réservation
de places en crèches, accueil mutualisé en
horaires atypiques, stationnement) ;
• l’accès au logement.
Ce dernier point ne concerne pas les gendarmes,
hébergés en caserne par obligation mais il
constitue l’un des freins majeurs à la mobilité
et à la fidélisation des policiers. Des actions
sont déjà menées comme la réservation de
logements sociaux et le prêt à taux zéro.
L’Île-de-France présente la spécificité de
disposer d’un parc domanial du ministère
de l’intérieur comptant, au 31 décembre
2021, 14 387 logements, dont la qualité doit
encore être améliorée. La constitution d’un
parc domanial ou locatif au profit de la police
nationale pourrait être expérimentée dans
d’autres territoires en tension, que ce soit des
métropoles chères (Nice par exemple) ou des
territoires ultra-marins (Guyane, Mayotte). Les
collectivités territoriales constituent à ce titre
des partenaires voire des financeurs possibles.
Différentes solutions devraient être explorées
par le ministère de l’intérieur. Le bail réel solidaire
(BRS), permettant de dissocier le foncier du bâti
pour diminuer le prix des logements, pourrait
être développé. La formule accession/location
permet aux personnes disposant de revenus
modestes d’accéder à la propriété pour un prix
inférieur de 25 à 40 % à celui du marché. Le
ministère des armées a fait le choix de signer, en
2022, un contrat de concession sur 35 ans avec un
consortium d’entreprises du secteur privé pour
la gestion du parc de logements domaniaux. Il
prévoit d’augmenter le nombre de logements
du parc, de rénover les logements existants et
de revoir la répartition géographique du parc
pour l’adapter à la demande des agents.
Cette approche plus intégrée de l’environnement
de travail des policiers et gendarmes, sur le
modèle des armées, est susceptible de déboucher
sur des mesures plus efficaces sur le long terme
et moins coûteuses que les actuelles hausses
salariales. Elle pourrait être financée par une
réallocation des moyens ouverts par la LOPMI.
2 - Une réflexion à mener sur certains
personnels contractuels
Le mouvement d’accélération des carrières des
policiers et des gendarmes est concomitant
à une réduction du nombre de gendarmes
adjoints volontaires et de policiers adjoints,
remplacés progressivement depuis 2017 par
des personnels actifs de carrière (catégorie B)
ou des agents administratifs.
Pourtant, les policiers adjoints (ex-adjoints
de sécurité) et les gendarmes adjoints
volontaires (GAV) sont indispensables au
bon fonctionnement des forces de sécurité
intérieure. Ils réalisent des tâches en appui ou
à la place des personnels titulaires pour un coût
moyen inférieur de 30 % dans la police nationale
et divisé par deux pour la gendarmerie nationale.
Ils ont cependant pour les services employeurs
deux défauts : une durée moyenne de service
de trois ans environ et une durée réelle encore
plus courte pour les meilleurs éléments, dont
l’objectif est de rejoindre le corps des gardiens
de la paix ou celui des gendarmes par le
concours interne, ce qui rend leur temps de
formation initiale trop important au regard du
temps de service effectué.
Les directions générales pourraient donc
faire évoluer le parcours des policiers adjoints
et gendarmes adjoints volontaires vers des
contrats de plus longue durée, à l’image des
engagés volontaires de l’armée de terre.
Les avantages d’une telle évolution seraient
nombreux : un recrutement simplifié, une
meilleure adéquation entre les aspirations
géographiques des candidats et les besoins des
forces, l’organisation d’un tour extérieur d’accès
au statut de gardien de la paix ou de sous-officier
de gendarmerie sans soumettre l’occupation
des postes à l’aléa du concours interne. Les
avantages pour les candidats seraient tout aussi
intéressants : choix géographique, organisation
d’un parcours de carrière avec promotions et
grille indiciaire, possibilité d’accès au choix au
corps d’encadrement et d’application.
La plupart des grandes forces de police
européennes comptent un corps d’équivalent
catégorie C, que ce soit la
Guardia Civil
espagnole
ou les
Carabinieri
italiens. Un recours accru aux
contractuels dans les deux forces s’inscrirait
d’ailleurs dans les nouvelles évolutions de la
fonction publique.
C - Une programmation nécessaire
pour les projets immobiliers
et numériques
Les grands projets présentés dans le rapport
annexé à la LOPMI ont essentiellement un objet
d’illustration ou de communication sans que les
besoins nouveaux aient été pleinement pris en
compte dans l’élaboration de la programmation
budgétaire à venir. Ce point a été noté par le
Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi.
L’annonce de la réforme de la gouvernance des
investissements, avec la création d’un
comité
ministériel des investissements
présidé par le
ministre de l’intérieur chargé d’examiner chaque
projet majeur, pourrait permettre de renforcer
le pilotage et d’assurer la cohérence d’ensemble
des décisions.
1 - L’immobilier et les équipements
Le sous-investissement dans l’entretien
courant et la maintenance des infrastructures
immobilières de la police et de la gendarmerie
nationales est préoccupant. Il entraîne une
dégradation progressive des bâtiments, ce
qui engendre des surcoûts ultérieurs ou, dans
certains cas, conduit à l’abandon prématuré
de bâtiments dont la durée de vie aurait pu
être prolongée : évacuation de 400 familles de
la caserne de gendarmerie mobile de Melun
Lemaître, effondrement du sol des vestiaires
du commissariat d’Aulnoye-Aymeries.
La gendarmerie souffre d’un sous-investissement
chronique dans son parc domanial alors que
le logement par nécessité absolue de service
est au cœur de son organisation et de son
fonctionnement. Bien que des abondements
exceptionnels aient été alloués ces dernières
années (90 M€ du « Beauvau de la sécurité » et
44 M€ du plan de relance en 2022), ces montants
sont largement insuffisants pour couvrir les
besoins réels, évalués à environ 60 € par m
2
.
18
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
19
La police nationale a également bénéficié de
150 M€ au titre du « Beauvau de la sécurité »
et de 54 M€ du plan de relance en 2022,
pour maintenir l’état des infrastructures
conformément aux normes nécessaires.
En plus de l’entretien des infrastructures, la loi
d’orientation et de programmation du ministère
de l’intérieur prévoit des projets immobiliers
nombreux et d’envergure : réalisation de
nouveaux hôtels des polices à Nice (170 M€)
et Valenciennes, reconstruction des locaux du
groupement blindé de gendarmerie mobile et
extension de la caserne Pasquier du GIGN à
Versailles Satory (150 M€), création de 11 unités
de forces mobiles (260 M€) et de 200 brigades
de gendarmerie (non chiffré).
Bien que le rapport annexé à la LOPMI
comprenne une sous-partie intitulée
Une
politique immobilière à la hauteur des projets
et des besoins quotidiens du réseau
et
annonce la création d’une structure affectée
à la gestion et à l’entretien du patrimoine, il
n’indique aucun chiffrage précis des dépenses
d’investissement liées aux projets immobiliers
structurants. Seuls les montants annuels de
200 M€ pour la réhabilitation et la construction
de casernes et de 100 M€ pour la maintenance
sont annoncés en faveur de la gendarmerie,
ce qui apparaît en-deçà des besoins. Aucune
estimation financière n’est mentionnée pour la
police nationale, que ce soit pour les structures
de formation, les projets de construction,
ou la rénovation des commissariats et des
casernements, dont les besoins sont pourtant
considérables.
Ainsi,la création de sept escadrons de gendarmerie
mobile nécessitera des constructions estimées
à 35 M€ par unité mais la disponibilité des
crédits d’investissement ne permettra pas de
démarrer les travaux avant 2026. En attendant,
les gendarmes sont logés dans le parc locatif
privé, ce qui représente un coût de 1,5 M€ par
escadron et par an. La situation est similaire
au sein de la police nationale, où l’utilisation
de cantonnements existants pour loger les
quatre unités supplémentaires de compagnies
républicaines de sécurité (CRS) permet toutefois
de limiter le coût total des travaux d’amélioration
et de réhabilitation à 15 M€.
Les structures de formation seront également
fortement sollicitées en raison des recrutements
massifs de gendarmes et de policiers prévus
en 2023 et 2024, et de l’allongement de la
durée des formations à 12 mois, nécessitant
l’augmentation de la capacité des écoles. De
plus, dans son rapport de 2022 sur
la formation
des policiers
, la Cour avait souligné le mauvais
état général des écoles de la police.
La création de 200 nouvelles brigades de
gendarmerie est une mesure phare de la LOPMI.
Bien que certaines de ces unités, prenant
la forme de brigades mobiles, continueront
d’utiliser des bâtiments existants, la plupart
des brigades territoriales « traditionnelles »
exigeront la construction de bâtiments par les
collectivités territoriales, ce qui nécessitera un
soutien financier accru.
La situation est similaire pour les équipements.
La LOPMI met l’accent sur l’utilisation d’outils
numériques tels que les caméras piétons
et embarquées, les drones, les terminaux
numériques mobiles de dernière génération
et l’intelligence artificielle pour améliorer
l’efficience des forces de sécurité et notamment
atteindre l’objectif de doublement de la présence
des forces de sécurité sur la voie publique.
Cependant, aucune estimation budgétaire n’est
détaillée pour ces investissements.
Pourtant ces équipements sont essentiels
pour démultiplier la productivité des forces
de sécurité, à l’image des terminaux
Néopol
et
Néogend
, qui permettent aux policiers
et gendarmes de constater les infractions,
d’interroger les fichiers, d’accéder aux diverses
messageries, sans avoir à retourner au bureau,
ce qui leur offre davantage de liberté et
d’interaction avec la population. Dans certains
services, les difficultés ne viennent pas tant d’un
manque de personnel que d’un équipement
insuffisant en moyens technologiques, à l’image
de la surveillance des frontières nécessitant le
déploiement de vecteurs aériens et nautiques.
Cette absence de programmation budgétaire
pluriannuelle fragilise la montée en puissance de
la capacité opérationnelle des deux forces pour
faire face aux nouveaux défis de la délinquance.
La Cour préconise donc d’utiliser la flexibilité
de la LOPMI pour, à budget constant, accroître
la part des crédits d’investissement, afin
d’améliorer les conditions de travail des forces
de l’ordre, condition importante à la fois de leur
fidélisation et de leur productivité.
2 - Une numérisation indispensable
à mieux programmer
Le ministère a indiqué dans sa communication
officielle que près de la moitié du budget de la
loi est consacrée à la «
révolution numérique
»
et à la modernisation des moyens de lutte
contre la cybercriminalité.
Le livre blanc pour
la sécurité intérieure
avait mis en évidence
la nécessité d’investir massivement dans le
domaine technologique.
La prise de conscience des enjeux numériques
au sein du ministère de l’intérieur est à la hauteur
des enjeux qu’ils représentent. Le déploiement de
systèmes d’information doit permettre des gains
de temps et de productivité pour les agents, tandis
que l’amélioration des systèmes existants peut
réduire les irritants du quotidien pour les policiers
et gendarmes. D’autre part, le numérique est un
vecteur majeur d’amélioration de la qualité du
service rendu aux citoyens.Enfin,un effort réhaussé
en matière de numérisation doit permettre au
ministère de faire face aux innovations incessantes
de la délinquance en ligne.
En conséquence, de nombreux projets sont
annoncés : renforcement de l’accueil des
victimes qui pourront porter plainte et
être entendues en visioconférence grâce
à l’extension de l’application
Ma sécurité
;
déploiement du
réseau radio du futur
, réseau de
communications à très haut débit à l’usage de
l’ensemble des services chargés de la protection
des citoyens,
via
un équipement individuel
de communication unique, multifonctions,
interopérable, prioritaire, résilient et sécurisé ;
création du
17 Cyber
permettant de signaler
en direct une cyberattaque ou une escroquerie.
Cependant, les même observations et constats
formulés pour le domaine immobilier et les
équipements s’appliquent aux projets numériques.
Alors que la LOPMI se veut être une loi de
transformation numérique intégrant des projets
informatiques essentiels à l’atteinte de ses
objectifs, elle ne présente aucune programmation
budgétaire pluriannuelle ni d’évaluation des besoins
annuels en termes de crédits d’investissement.
Cette absence de programmation est d’autant plus
problématique que la gouvernance des projets
numériques a connu plusieurs réorganisations
successives ces dernières années. Après la
constitution de la direction du numérique du
ministère de l’intérieur en 2020, une
agence du
numérique des forces de sécurité intérieure
a vu le
jour au 1
er
janvier 2023, dans l’objectif de remédier
au manque de convergence des systèmes
d’information de la police et de la gendarmerie
nationales en étudiant systématiquement
chaque nouveau projet mené par une force ou
une autre, en vue d’en faire un projet commun.
20
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
21
Que ce soit pour l’immobilier, les équipements
ou les projets numériques, le ministère de
l’intérieur pourrait utilement publier, avant
la fin d’année 2023, une programmation de
ses investissements. Cela devrait permettre
d’évaluer et de stabiliser les besoins de
financement, d’ancrer ces projets dans la
durée et de rendre compte de l’usage des
moyens supplémentaires au Parlement qui les
a autorisés.
CONCLUSION
L’effort financier important en faveur des forces de sécurité intérieure manifeste
la volonté des pouvoirs publics de répondre aux besoins de sécurité et de
tranquillité publiques auquel aspirent nos concitoyens. Cette ambition légitime
intervient dans un contexte tendu pour les finances publiques : les moyens
importants, tant financiers qu’humains, attribués au ministère de l’intérieur
lui offrent l’occasion d’engager certaines réformes structurelles nécessaires à
l’amélioration de la qualité du service rendu au citoyen et de l’efficience de la
dépense publique. Le ministère doit aussi se mettre en situation de respecter
la trajectoire fixée, sans la dépasser.
Dans ce double objectif, la Cour propose trois leviers d’actions :
l
Mieux coordonner les forces de sécurité intérieure en relançant le chantier de
transfert des zones de compétence de la police et de la gendarmerie nationales,
en recherchant de nouvelles pistes de mutualisation et en prenant en compte
le déploiement des polices municipales.
l
Mettre en œuvre des réformes structurelles en matière de ressources
humaines en privilégiant des leviers non salariaux pour améliorer l’attractivité
et la fidélisation et en développant des approches innovantes notamment
dans la gestion des contrats et des parcours de carrière des personnels actifs
contractuels (gendarmes adjoints volontaires et policiers adjoints).
l
Préserver les budgets d’investissement des aléas de gestion et des risques de
sous-budgétisation pour réaliser les ambitions affichées par la LOPMI et publier
une programmation pluriannuelle pour les principaux projets immobiliers et
numériques.
22
LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE : DES MOYENS ACCRUS, UNE EFFICIENCE À RENFORCER
COUR DES COMPTES
23
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX
DE LA COUR DES COMPTES
La Cour a mené de nombreux travaux ces dernières années sur lesquels elle s’est
appuyée, en particulier les publications suivantes :
l
Les moyens affectés aux missions de police judiciaire
,
observations définitives,
mai 2023 ;
l
Analyse de l’exécution de la mission Sécurités en 2022,
note d’exécution
budgétaire
, avril 2023 ;
l
L’activité opérationnelle des forces de sécurité et ses indicateurs de résultat,
observations définitives, décembre 2022 ;
l
Audit flash relatif au programme Scribe,
juillet 2022 ;
l
La formation des policiers,
communication à la commission des finances de
l’Assemblée nationale, février 2022 ;
l
La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale
,
note structurelle, novembre 2021 ;
l
Le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur,
communication à la commission des finances du Sénat, mai 2021 ;
l
Les polices municipales,
rapport public thématique, octobre 2020 ;
l
L’organisation du temps de travail et des heures supplémentaires dans la police
nationale
,
référé, octobre 2020 ;
l
La préfecture de police de Paris
,
rapport public thématique, décembre 2019 ;
l
Les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales,
référé, juin 2018 ;
l
La gestion des carrières dans la police et la gendarmerie nationales
,
référé, février 2015.
Les publications de la Cour des comptes sont consultables sur le site Internet :
www. ccomptes.fr
La présente note
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes :
www.ccomptes.fr
CONTRIBUTION À LA REVUE
DES DÉPENSES PUBLIQUES
JUILLET 2023