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NOTES THÉMATIQUES
CONTRIBUTION À LA REVUE
DES DÉPENSES PUBLIQUES
JUILLET 2023
RECENTRER LE SOUTIEN
PUBLIC À LA FORMATION
PROFESSIONNELLE
ET À L’APPRENTISSAGE
2
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
SOMMAIRE
3
AVERTISSEMENT
4
SYNTHÈSE
9
1 - Les constats : un cadre rénové en 2018
sans stratégie nationale ni financement adapté
9
A - Deux priorités : l’apprentissage
et le compte personnel de formation
13
B - Une croissance des dépenses non maîtrisée
18
2 - Les leviers d’action : agir plus résolument
pour améliorer la qualité de la dépense
et adapter le financement aux enjeux
18
A - Un financement à orienter en priorité
au bénéfice des jeunes rencontrant des difficultés
d’accès à l’emploi et des actions permettant
aux actifs de monter en qualification
19
B - Le renforcement des exigences en matière
de qualité des actions de formation et de lutte
contre la fraude
22
C - La nécessité d’un pilotage stratégique
et de leviers de régulation permettant
d’assurer la soutenabilité financière du système
de formation professionnelle et d’alternance
26
CONCLUSION
27
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX DE LA COUR DES COMPTES
COUR DES COMPTES
3
La présente note fait partie d’un ensemble de travaux destinés à contribuer à
la revue des dépenses engagée par le Gouvernement dans la perspective des
projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Cet ensemble de notes thématiques vise à éclairer le débat et à capitaliser
sur les nombreux travaux récents réalisés par les chambres de la Cour des
comptes. Les neuf thèmes choisis correspondent à des politiques publiques
pour lesquelles les questions de l’efficacité et de l’efficience de l’action
publique se posent avec une acuité particulière. Il a semblé utile à la Cour de
contribuer à évaluer la qualité de la dépense publique, dans sa conception, sa
mise en œuvre et son suivi, et à formuler des leviers d’action pour la renforcer.
La publication de ces notes intervient parallèlement à celle du rapport sur la
situation et les perspectives des finances publiques 2023, qui propose une
vision consolidée de la qualité de la dépense à tous les niveaux d’administration
publique et une grille d’analyse susceptible de déboucher sur des dispositifs
plus économes, plus efficaces et plus équitables.
Comme pour les notes sur les enjeux structurels qu’elle a publiées au dernier
trimestre 2021, conformément à sa mission constitutionnelle d’information
des citoyens, la Cour a souhaité développer une approche nouvelle, qui se
différencie de ses travaux habituels, pour apporter, par cette série de notes
volontairement très synthétiques et ciblées, sa contribution au débat
public tout en veillant à laisser ouvertes les différentes voies de réformes
envisageables.
La présente note a été délibérée par la cinquième chambre le 9 juin 2023 et
approuvée par le comité du rapport public et des programmes de la Cour
des comptes le 20 juin 2023.
Les publications de la Cour des comptes sont accessibles en ligne sur le site
internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes :
www.ccomptes.fr
.
AVERTISSEMENT
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RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
SYNTHÈSE
Depuis 2021, divers travaux de la Cour des comptes ont porté sur l’alternance et sur
la formation professionnelle des salariés, qui ont mobilisé 21,8 Md€ de financements
publics en 2022. La présente note en constitue la synthèse.
La libéralisation du cadre de la formation professionnelle des salariés et de
l’alternance par la loi du 5 septembre 2018
pour la liberté de choisir son avenir
professionnel,
les incitations au recours à l’apprentissage et au compte personnel de
formation (CPF) et l’absence de limite posée au financement de ces deux dispositifs
sont à l’origine d’une très forte dynamique de la dépense. Cette dynamique n’est
pas prioritairement orientée vers la réponse aux besoins des populations les moins
qualifiées, qui sont pourtant celles qui en tireraient le plus grand bénéfice. Les
objectifs visés par la réforme de 2018 sont essentiellement d’ordre quantitatif (plus
de 837 000 nouveaux contrats d’apprentissage et plus de 2 050 000 utilisateurs
actifs du CPF en 2022) sans préoccupation suffisante quant à l’utilité de la dépense.
Le coût pour les finances publiques s’est élevé en 2022 à plus de 16,8 Md€ pour la
seule politique d’alternance (essentiellement le coût des contrats d’apprentissage,
mais aussi des contrats de professionnalisation et le dispositif de promotion ou
de reconversion par l’alternance des salariés, dit « Pro-A » pour 10 Md€ et le coût
des aides à l’embauche d’alternants pour 4,8 Md€) ; il est moindre pour le compte
personnel de formation (CPF), qui a cependant atteint 2,5 Md€.
Compte tenu de ces montants très élevés et de la dynamique de la dépense, se pose
aujourd’hui la question du dimensionnement du soutien public à ces dispositifs dans
un contexte économique favorable à l’emploi, caractérisé par un taux de chômage
qui a atteint 7,1 % au premier trimestre 2023. La question se pose particulièrement
pour l’apprentissage avec un objectif annoncé d’un million de nouveaux contrats
par an à horizon 2027 alors que son financement n’est pas pleinement assuré.
La dynamique de la dépense, combinée à des leviers de régulation à portée limitée
et des ressources insuffisantes, est à l’origine d’un déficit inédit du système de
formation professionnelle et d’apprentissage. En 2022, sans le secours de 4 Md€ de
dotations exceptionnelles de l’État complétant les concours bancaires négociés à
hauteur de 2,6 Md€,
France compétences
– l’opérateur créé en 2019 pour réguler et
financer le système de formation professionnelle et d’alternance – se serait trouvé
en situation de cessation de paiement dès le mois de septembre. Malgré la reprise
économique constatée dès le second semestre 2021, les mesures nécessaires à
l’équilibre financier du système n’ont pas été prises. Il importe, à court terme, de :
COUR DES COMPTES
5
• mieux cibler la dépense publique vers des publics prioritaires et pour des actions
vraiment utiles à la montée en qualification des actifs ;
• renforcer les exigences en matière de qualité des formations et de lutte contre
la fraude ;
• instaurer un pilotage stratégique des priorités intégrant l’enjeu de soutenabilité
financière du système de formation professionnelle des salariés et d’alternance.
La Cour des comptes rappelle en annexe les 12 principales recommandations
formulées dans ses publications récentes sur la formation professionnelle et
l’alternance pour améliorer la qualité de la dépense et le fonctionnement du système.
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RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
Les chiffres clés en 2022 :
21,8 Md€
de financements publics en faveur de la formation professionnelle
des salariés et de l’alternance :
- Ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion :
11,3 Md€
de dépenses
budgétaires et fiscales,
dont 4 Md€
de dotations exceptionnelles à
France
compétences
 ;
-
France compétences
:
14,5 Md€
de charges, principalement financées par
les entreprises (
10,3 Md€
) ;
• dont
16,8 Md€
en faveur de l’alternance :
- dont
4,8 Md€
d’aides à l’embauche d’alternants ;
- dont
10 Md€
pour le financement des contrats ;
837 000
nouveaux contrats d’apprentissage ;
• Plus de
2 050 000
titulaires de CPF formés pour un coût de
2,5 Md€
à la charge de France compétences.
Mettre en place un pilotage stratégique des priorités intégrant l’enjeu
de la soutenabilité financière
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION
PROFESSIONNELLE
ET À
L’ APPRENTISSAGE
Cibler la dépense vers
les publics prioritaires
et les actions permettant
de monter en qualification
Renforcer les exigences
en matière de qualité
des formations et de
lutte contre la fraude
INTRODUCTION
COUR DES COMPTES
7
La politique de formation professionnelle et d’alternance est depuis plusieurs années
une priorité gouvernementale dans le but de parvenir au plein emploi et d’adapter
les compétences des actifs aux besoins des entreprises.
L’enquête internationale PIAAC, menée en 2012 sous la coordination de l’OCDE
(cf.
Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2013
), avait montré que la France
présentait de mauvais résultats en comparaison des autres pays de l’OCDE s’agissant
des compétences des adultes à l’écrit et en calcul. S’appuyant sur ce constat - malgré
une hausse du niveau moyen de qualification -, qui explique pour partie la difficile
insertion sur le marché du travail d’une partie de la population active, dans un
contexte où les évolutions des métiers et du travail sont de plus en plus rapides,
France Stratégie recommandait en février 2017 d’
« élaborer une stratégie nationale
de compétences »
. En septembre 2017, le Gouvernement engageait deux chantiers
d’ampleur, représentant un investissement important dans la formation :
• d’une part, la construction d’un Plan d’investissement dans les compétences sur
la période 2018-2022, visant à former et accompagner vers l’emploi deux millions
de jeunes et de demandeurs d’emploi éloignés de l’emploi en raison de leur faible
niveau de qualification ;
• d’autre part, la préparation de la future loi du 5 septembre 2018 sur la liberté
de choisir son avenir professionnel, qui avait notamment pour objectif une
transformation profonde du système de formation professionnelle et d’alternance.
Deux facteurs ont rapidement et massivement accru les dépenses publiques en
matière de formation professionnelle des salariés et d’alternance, objet de la présente
note.
En premier lieu, le Gouvernement a fait le choix de développer surtout une politique
de l’offre et de ne pas fixer de limite globale aux dépenses liées aux deux priorités
que sont :
• le développement de l’alternance, et plus particulièrement de l’apprentissage, pour
permettre - grâce à une dérégulation du système - à un nombre très important de
jeunes d’entrer dans le monde de l’entreprise dès leurs études et faciliter ainsi leur
insertion professionnelle ; en effet, la France présente historiquement un taux de
chômage des jeunes bien plus élevé que la moyenne européenne ;
• la démocratisation du compte personnel de formation, permettant à chaque actif -
grâce à sa facilité d’utilisation - de se former tout au long de sa vie professionnelle.
8
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
En second lieu, le plan de relance de l’économie engagé en septembre 2020 pour faire
face aux conséquences de la crise sanitaire a apporté des ressources nouvelles et,
surtout, a fortement augmenté les incitations à recourir à l’alternance avec la mise en
place d’aides exceptionnelles à l’embauche dans un contexte de reprise économique.
Au final, notamment en raison de l’investissement dans la formation professionnelle
et l’alternance, les crédits budgétaires gérés par le ministère chargé du travail (24 Md€
de crédits de paiement exécutés en 2022) n’ont jamais atteint de montant aussi élevé
(sauf période de mobilisation massive de l’activité partielle pendant la crise sanitaire),
alors que le taux de chômage a atteint 7,1 % au premier trimestre 2023.
En 2021 et 2022, la Cour des comptes a examiné, à travers divers travaux, la
transformation du système de formation professionnelle des salariés et d’alternance
engagée en 2018 ainsi que ses enjeux financiers (cf. liste des publications en annexe),
avant de conduire en 2023 et 2024 une évaluation du plan d’investissement dans
les compétences en faveur des personnes en recherche d’emploi. Elle en a tiré
des recommandations pour améliorer la qualité de la dépense publique, enjeu
insuffisamment pris en compte dans ce champ malgré l’ampleur des moyens consacrés
à cette politique prioritaire.
COUR DES COMPTES
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1 - LES CONSTATS : UN CADRE RÉNOVÉ EN 2018
SANS STRATÉGIE NATIONALE NI FINANCEMENT ADAPTÉ
La transformation du cadre juridique,
organisationnel et financier de la formation
professionnelle et de l’alternance par la loi du
5 septembre 2018 ne s’est pas accompagnée
d’une attention suffisante portée à la qualité de
la dépense. L’encouragement au développement
de l’apprentissage et du compte personnel
de formation (CPF) a eu pour conséquences
une croissance très forte de la dépense, non
maîtrisée, et un déficit inédit du système de
formation professionnelle et d’alternance,
sans pour autant l’assurance de répondre aux
besoins des jeunes et des actifs peu qualifiés.
A - Deux priorités : l’apprentissage
et le compte personnel de formation
1. Un essor remarquable de l’apprentissage
sans préoccupation suffisante quant à la
satisfaction des besoins des jeunes, des
entreprises et des territoires
La réforme mise en place à compter du 1
er
 janvier
2019 visait à augmenter massivement le nombre
de jeunes entrant en apprentissage, objectif atteint
plus rapidement que prévu grâce à trois mesures
fortes : la libéralisation de l’offre de formation (qui
s’est rapidement étendue dans l’enseignement
supérieur), la refonte des aides à l’embauche
d’apprentis à l’occasion de la crise sanitaire et
l’absence de limite à la dépense. Les résultats ont
été spectaculaires avec un essor de l’apprentissage
inédit, pour atteindre 837 000 nouveaux contrats
en 2022 (pour 305 000 en 2018).
Graphique n° 1 : évolution du nombre de nouveaux contrats d’apprentissage de 2017 à 2022
193 000
198 000
205 000
233 000
298 000
315 000
112 000
123 000
162 000
299 000
438 000
522 000
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Nouveaux contrats d'apprentissage de niveau supérieur au baccalauréat
Nouveaux contrats d'apprentissage de niveau inférieur ou égal au baccalauréat
Source : d’après Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du
ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion), mars 2023
10
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
Une dynamique de l’apprentissage amplifiée par les aides exceptionnelles
à l’embauche
L’aide unique aux employeurs d’apprentis en vigueur à compter du 1
er
janvier 2019 - de 4 125 €
maximum la première année, de 2 000 € la deuxième année et de 1 000 € la troisième année
d’exécution du contrat - était attribuée aux entreprises de moins de 250 salariés et pour la
préparation de diplômes de niveau inférieur ou égal au baccalauréat (jusqu’au niveau bac
+ 2 dans les départements d’outre-mer). Elle visait donc à aider les petites et moyennes
entreprises à embaucher des jeunes qui accèdent moins facilement à l’emploi.
À compter de juillet 2020 (pour les contrats conclus depuis avril 2020), dans le contexte de la
crise sanitaire, l’aide unique a été remplacée, pour la première année d’exécution du contrat,
par une aide exceptionnelle de 5 000 € pour les apprentis mineurs et de 8 000 € pour les
apprentis majeurs, quels que soient la taille de l’entreprise et le niveau de diplôme préparé.
Initialement mise en place pour éviter une inscription massive de jeunes à Pôle emploi à la
rentrée de septembre 2020, cette aide exceptionnelle, conçue pour annuler le coût salarial
lié à l’embauche d’un apprenti, a été finalement maintenue jusqu’à fin 2022 pour soutenir
la toute nouvelle dynamique de l’apprentissage. Les aides à l’embauche d’apprentis ont
représenté un coût de plus de 4 Md€ en 2021 et 4,4 Md€ en 2022.
L’aide unique et l’aide exceptionnelle ont été remplacées en janvier 2023 - et, selon une annonce
du Gouvernement, jusqu’à la fin de l’année 2027 - par une aide de 6 000 € attribuée pour la
première année d’exécution du contrat, quel que soit l’âge de l’apprenti, pour des formations
de niveau inférieur ou égal à bac + 5. Comme pour l’aide exceptionnelle précédemment,
toutes les entreprises peuvent en bénéficier.
Le choix a donc été fait de pérenniser un montant élevé d’aide pour un champ d’application très
large, dans un contexte économique pourtant caractérisé par des tensions de recrutement :
au final, il s’agit davantage d’aides aux entreprises que d’aides à l’insertion professionnelle
des jeunes.
Pour autant, le nouveau système étant peu
régulé, la hausse générale du nombre d’apprentis
a eu des effets variables selon les niveaux de
qualification, les secteurs économiques et les
territoires :
• Il ne bénéfice pas en majorité aux jeunes
rencontrant le plus de difficultés pour
s’insérer sur le marché du travail.
Les jeunes sortant d’une formation par
apprentissage présentent de meilleurs taux
d’insertion dans l’emploi que les autres jeunes
sortant de formation initiale à tous les niveaux
de qualification. Mais la valeur ajoutée de
l’apprentissage est plus importante pour les
jeunes présentant les plus bas niveaux de
qualification, qui sont ceux qui rencontrent le
plus de difficultés pour accéder à l’emploi.
COUR DES COMPTES
11
Taux d’emploi comparés à la sortie des études
Selon le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, en 2022, un an après leur sortie
d’études, 70 % des apprentis étaient en emploi dans le secteur salarié privé pour les niveaux
allant du CAP au BTS (niveau bac + 2), contre 50 % seulement des lycéens professionnels.
S’agissant des étudiants sortant de l’université et des établissements assimilés, les écarts
sont bien moindres, de l’ordre de cinq points pour les taux d’emploi à 18 mois. Ceux-ci sont
bien plus élevés quelle que soit la voie de formation suivie : malgré le contexte sanitaire,
les taux d’emploi à 18 mois étaient de 93 % pour les titulaires d’une licence professionnelle
(niveau bac + 3) obtenue en 2019 par apprentissage et de 88 % pour les autres diplômés de
même niveau ; au niveau du master (bac + 5), ces taux atteignaient 90 % pour les anciens
apprentis et 85 % pour les autres (hors master enseignement). À ces niveaux de formation,
la valeur ajoutée de l’apprentissage porte surtout sur la possibilité offerte à certains jeunes
de financer ainsi leurs études supérieures et sur la qualité des emplois occupés à la sortie
des études (stabilité, quotité de travail, niveau de rémunération, adéquation à la formation
suivie). Il permet aussi aux universités de professionnaliser leurs cursus de formation en se
rapprochant du monde de l’entreprise.
Le ministère chargé du travail continue à
affirmer que
« l’apprentissage doit demeurer une
solution privilégiée de formation pour les plus
jeunes et les premiers niveaux de qualification,
car il constitue une voie pertinente et efficace
d’insertion dans l’emploi durable »
. Il considère
que le rééquilibrage du montant des aides
intervenu au 1
er
janvier 2023 va dans ce sens.
Pour autant, la très forte progression des
entrées en apprentissage est principalement
due à l’essor de cette voie de formation dans
l’enseignement supérieur. Entre 2017 et 2022,
l’augmentation du nombre de nouveaux
apprentis dans l’enseignement supérieur a
représenté plus de trois fois celle du nombre
de nouveaux apprentis au lycée. La majorité
du financement public de l’apprentissage
bénéficie aujourd’hui aux jeunes rencontrant
en moyenne le moins de difficultés d’accès à
l’emploi. Comme le montre le graphique n° 1,
en 2022, les apprentis visant l’obtention d’un
diplôme de niveau baccalauréat ou inférieur ne
représentaient plus que 37,6 % des nouveaux
contrats contre 63,2 % en 2017.
Sans méconnaître les avantages procurés par
l’apprentissage dans l’enseignement supérieur,
y compris en termes d’image de cette voie
de formation, il serait possible d’aller plus
loin dans la réallocation de l’ensemble des
moyens publics affectés au financement de
l’apprentissage au bénéfice des premiers
niveaux de qualification et, plus généralement,
des jeunes rencontrant des difficultés d’accès à
l’emploi (par exemple en consacrant davantage
de moyens aux dispositifs visant à améliorer
l’accès à l’apprentissage dans les quartiers
prioritaires de la politique de la ville ou les
zones de revitalisation rurale).
12
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
• Les modalités de financement des organismes
de formation favorisent le développement
de formations tertiaires dans l’enseignement
supérieur sans prise en compte des besoins
prioritaires de l’économie.
Le développement très rapide de l’apprentissage
dans les formations tertiaires de l’enseignement
supérieur, au détriment des secteurs traditionnels
que sont l’artisanat, la construction ou encore
l’industrie, résulte principalement de trois
facteurs : l’ouverture de nouvelles formations à
l’apprentissage peu tournées vers ces secteurs ;
une perception par les jeunes plus favorable des
métiers auxquels ces formations préparent ; un
financement de l’investissement dans les centres
de formation des apprentis (CFA) mal adapté à la
multiplication de plateaux techniques coûteux.
En Grand Est, les juridictions financières avaient
ainsi observé dans leurs travaux sur l’alternance
que,
« loin de la hausse globale de 29 % du
nombre d’apprentis entre la rentrée 2019 et la
rentrée 2020, les sept CFA de l’artisanat et les cinq
CFA du BTP ont enregistré une augmentation de
leurs effectifs limitée à 3,4 % et les trois CFA de
l’industrie une stagnation de leurs effectifs »
.
Il existe un risque que les formations nécessitant
le recours à des plateaux techniques coûteux
ne se développent pas à la hauteur des besoins
des entreprises si les régions, les branches
professionnelles et les entreprises n’apportent
pas de financements complémentaires. À titre
d’exemple, dans une étude publiée en mars
2023 sur l’analyse des tensions de recrutement
dans les métiers de la chaudronnerie, de la
maintenance et du soudage, l’Observatoire de
la métallurgie souligne l’insuffisance d’offre en
formation initiale pour former les futurs salariés
dont le secteur de l’industrie a besoin sur des
métiers en tension (chaudronnier, soudeur,
technicien de maintenance) et recommande
de soutenir et promouvoir les projets locaux de
création de CFA par les grandes entreprises.
Le ministère chargé du travail fait certes valoir
une augmentation de 76 % des entrées en
apprentissage dans une spécialité de formation
industrielle entre 2017 et 2022 (passant de
51 117 à 90 149) et une augmentation de 50 %
pour les entrées dans les spécialités de formation
artisanales (159 759 en 2022 contre 107 362 en
2017). Mais ces chiffres sont à comparer à une
augmentation de 172 % sur la période toutes
spécialités de formation confondues.
• La rémunération à l’activité conduit les
organismes de formation à développer
l’apprentissage dans les zones densément
peuplées, sans garantie d’un maillage
satisfaisant du territoire.
Dans le système de rémunération à l’activité mis
en place pour les CFA à compter du 1
er 
janvier
2020, l’équilibre du modèle économique dépend
beaucoup de la capacité des organismes de
formation à attirer des jeunes nombreux. Avec
la disparition de la régulation des ouvertures
et fermetures de places en apprentissage, les
organismes de formation ont tendance à ouvrir
des formations ou des places en apprentissage
dans les métropoles ou les villes où les viviers de
jeunes sont nombreux et les activités de services
très présentes, plutôt que dans les zones rurales.
Les régions disposent cependant chaque année
d’une enveloppe spécifique de 138 M€, dont
le montant a été fixé par la loi de finances
pour 2020, pour compléter le financement
du fonctionnement de certains CFA dans une
perspective d’aménagement du territoire.
COUR DES COMPTES
13
2. Peu de formations qualifiantes
financées par un compte personnel
de formation en plein essor
Le compte personnel de formation (CPF), mis en
place au 1
er
janvier 2015, a connu de profondes
évolutions qui ont favorisé son essor au cours
des dernières années. À compter de l’ouverture
de la plateforme
Mon compte formation
en
novembre 2019, le nombre de dossiers de
formation financés par le CPF a également
connu une progression remarquable, favorisée
par le changement de comptabilisation des
droits – désormais enregistrés en euros et
non plus en heures – et la possibilité d’acheter
des formations directement en ligne, sans
l’intermédiaire d’un conseiller, ni d’un DRH. Le
coût du dispositif pour
France compétences
a
ainsi augmenté de 1,2 Md€ en 2020 à 2,9 Md€
en 2021 avec plus de deux millions de dossiers
de formation enregistrés.
Mais ce succès quantitatif s’explique d’abord
par la nature des formations financées par
le CPF. Il s’agit pour l’essentiel de formations
courtes. L’obtention du permis de conduire de
catégorie B a représenté 15,8 % des formations
suivies en 2022 (bien qu’il existe la possibilité de
les faire financer par les collectivités territoriales
et les opérateurs du service public de l’emploi),
les formations dispensées aux créateurs et
repreneurs d’entreprise 14 % et les bilans de
compétences 4,7 %, les autres formations
achetées appartenant surtout au domaine des
langues et de la bureautique.
En 2022, seule une formation sur huit visait
un diplôme (comme un CAP), un titre reconnu
par l’État ou un certificat de qualification
professionnelle reconnue par une ou plusieurs
branches professionnelles. Les entreprises ayant
encore peu développé le cofinancement des
actions de formation achetées
via
le CPF, celui-ci
est peu utilisé par les salariés pour acheter des
formations plus coûteuses.
Le ministère chargé du travail souligne
l’amélioration de la qualité des certifications
professionnelles enregistrées par
France
compétences
, effectivement constatée par la
Cour des comptes lors de ses travaux récents, et
le fait que, dans la majorité des cas, les utilisateurs
du CPF achètent des formations dans un but
professionnel (cf. étude de France compétences
et de la Dares sur les usages du CPF publiée en
février 2023).
Il importe cependant, conformément aux
objectifs qui ont présidé à la création du
CPF, de développer désormais les achats de
formations permettant d’améliorer le niveau
de qualification des actifs et de faciliter les
transitions professionnelles.
B - Une croissance des dépenses
non maîtrisée
1. Une dynamique de la dépense portée
par l’apprentissage et, dans une moindre
mesure, par le CPF
• Des dépenses d’apprentissage insuffisam-
ment régulées
Sous les premiers effets des mesures de
régulation prises par
France compétences
et par
la Caisse des dépôts et consignations (cf. 
infra
),
le coût du CPF pour les finances publiques a
diminué, passant de 2,9 Md€ en 2021 à 2,5 Md€
en 2022 (hors abondements).
14
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
Tel n’est en revanche pas le cas pour l’alternance,
dont le coût pour les finances publiques
continue à croître. La Cour estime le coût de
l’alternance pour les finances publiques à plus de
16,8 Md€ en 2022 (cf. tableau n° 1), en prenant
en compte les contrats d’apprentissage, les
contrats de professionnalisation et le dispositif
de la promotion ou de la reconversion par
alternance (dit Pro-A). Il s’agit d’un coût brut
pour les finances publiques, dans la mesure où
il ne tient pas compte des éventuelles dépenses
évitées ou recettes supplémentaires procurées
à court ou moyen terme par l’apprentissage.
La dépense relève aussi bien du budget de
l’État (notamment les aides exceptionnelles
à l’embauche versées aux entreprises) que
des contributions obligatoires des entreprises
gérées par
France compétences
(principalement
sous forme de contribution au coût des
formations versée aux centres de formation
des apprentis).
Le coût annuel moyen par contrat
d’apprentissage s’élève à 19 200 € (le coût
annuel moyen d’un élève en lycée professionnel
étant évalué à 12 680 € et celui d’un étudiant
dans l’enseignement supérieur à 11 580 € par
les ministères chargés de l’éducation nationale
et de l’enseignement supérieur).
L’apprentissage est de loin le dispositif le plus
coûteux de la politique de l’emploi (hors activité
partielle de crise).
Tableau n° 1 : coût de l’alternance pour les finances publiques en 2022
Financeurs et dispositifs d’intervention
Montant (en M€)
État
(crédits de paiement et dépenses fiscales)
10 459
dont aides à l’embauche d’apprentis
4 360
dont subventions exceptionnelles à France compétences
4 000
dont compensation à la sécurité sociale des exonérations spécifiques
de charges sociales sur les contrats d’apprentissage
1 290
dont aide à l’embauche en contrat de professionnalisation
475
dont dépense fiscale en faveur des apprentis
322
dont aides diverses
12
France compétences
(hors subvention de l’État)
6 386
dont financement des contrats (pour l’essentiel via les Opco)
10 027 – 4 000 (subventions État) = 6 027
dont dotations aux régions (investissement et aménagement
du territoire)
318
dont dotation à l’Agence de services et de paiement
(permis de conduire des apprentis)
32
dont dotation au CNFPT (fonction publique territoriale)
9
Total
16 845
Nota bene : les subventions exceptionnelles de l’État à France compétences sont considérées comme finançant
exclusivement des dépenses relatives à l’apprentissage.
Calcul hors allègements généraux de charges sociales et dépenses éventuelles des régions sur ressources propres.
Source : Cour des comptes, d’après les données d’exécution du budget de l’État et les données d’exécution prévisionnelle du
budget 2022 de France compétences, actualisées au 6 avril 2023
COUR DES COMPTES
15
• Une progression des dépenses de guichet
qui limite les possibilités de financement
des autres dispositifs de formation
professionnelle
En l’absence de limite au financement de
l’apprentissage et du CPF, les moyens financiers
disponibles pour accompagner les entreprises
et les individus dans les mutations économiques
et les transitions professionnelles ont été
d’abord fortement réduits, à la suite de la
réforme de la formation professionnelle de
2018, puis complétés par un dispositif de crise
- le FNE -Formation -, réaménagé et conservé
en 2023.
Ainsi, le budget alloué aux projets de transition
professionnelle, dispositif qui permet à un
salarié de suivre une formation longue tout en
percevant un revenu pour changer de métier, a
été divisé par deux par rapport à celui alloué au
congé individuel de formation qui existait avant
2019 ; il ne représentait que 511 M€ en 2022.
Par ailleurs, les entreprises de plus de 50 salariés
n’ont plus accès au financement, mutualisé
par les opérateurs de compétences, de leur
plan de développement des compétences
(anciennement plans de formation), qui vise à
adapter les compétences de leurs salariés à leur
poste de travail ou pour se maintenir en emploi.
Le financement mutualisé a été réduit à 550 M€
et ne bénéficie plus qu’aux seules entreprises
de 50 salariés et moins (l’accès au financement
mutualisé du plan de formation était ouvert aux
entreprises de 300 salariés et moins avant la
réforme).
Une partie des difficultés liée à une moindre
allocation de financements publics à la
formation en entreprise a été – temporairement
– surmontée par la mise en place par l’État d’un
dispositif de crise en 2020 qu’il a fait évoluer et
prolongé jusqu’en 2023, sans visibilité sur son
avenir à moyen terme. L’État a ainsi délégué
aux opérateurs de compétences la gestion
d’enveloppes financières en-dehors du système
mis en place en 2018, pour un montant qui
atteignait près de 300 M€ en 2022. Le FNE-
Formation a été ouvert à toutes les entreprises,
quelle que soit leur taille, sous réserve
notamment qu’elles recourent au chômage
partiel en 2020, puis s’insèrent dans des
parcours structurés. Il a permis de financer des
entreprises de 50 à 299 salariés qui avaient été
écartées des financements sur fonds mutualisés
par la réforme de 2018. Ces entreprises ont
représenté 32 % des bénéficiaires en 2021 et
celles de 300 salariés et plus 29 %.
2. La soutenabilité du système
en question
Depuis le 1
er
janvier 2020, la formation
professionnelle des salariés et l’alternance
forment un système solidaire du point de vue du
financement. L’ensemble des recettes perçues
par
France compétences
dans ces deux domaines
(principalement les contributions des entreprises
et les subventions exceptionnelles de l’État)
concourt au financement de l’ensemble des
dépenses. Depuis 2020, la situation financière de
l’opérateur s’est rapidement dégradée pour des
raisons structurelles (essor de l’apprentissage et
du compte personnel de formation sans limite
de financement, prélèvement important pour
contribuer au financement de la formation des
demandeurs d’emploi) et conjoncturelles (forte
diminution de la masse salariale sur laquelle
sont assises les contributions des entreprises à
l’occasion de la crise sanitaire).
Bien que les difficultés de financement de
France compétences
aient été identifiées très
rapidement, les pouvoirs publics ont jusqu’à
16
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
présent compté sur des mesures de régulation
à la portée limitée et sur des expédients
(subventions exceptionnelles et emprunts à
court terme de montants élevés) pour éviter à
l’opérateur la cessation de paiement et reporter
la mise en place d’un financement stable des
priorités (cf. tableaux n° 2 et 3). Depuis 2020,
les budgets ont été votés chaque année avec
un déséquilibre conséquent, qui s’est accru en
cours de gestion.
Tableau n° 2 : évolution du déficit de
France compétences
En M€
2019
2020
2021
2022
2023
Déficit prévu au budget initial
de
France compétences
-
- 3 689*
- 1 128
- 3 754
- 2 131
Subventions exceptionnelles
de l’État
-
2 750
4 000
1 596 (LFI)
Résultat de fin de gestion
240
- 4 621
- 2 906
- 1 568
*
dont 3 600 M€ d’engagements afférents aux contrats d’apprentissage conclus avant la fin de l’année 2019.
Source : France compétences
Tableau n° 3 : recours de
France compétences
aux emprunts de court terme
En M€
2019
2020
2021
2022
Plafond de l’autorisation donnée par
le conseil d’administration de négocier
des concours bancaires (de septembre
à septembre)
1 000
1 500
2 000
5 000
Emprunt à court terme négocié
400
1 500
1 725
2 600
Concours bancaires effectivement mobilisés
369
876
1 350
1 050*
* montant utilisé de septembre 2022 à mars 2023.
Nota bene : le conseil d’administration a autorisé le directeur général de France compétences à négocier des concours
bancaires à hauteur de 3 Md€ pour la période courant de septembre 2023 à septembre 2024.
Source : France compétences
Privilégiant une montée en puissance rapide
et massive de l’apprentissage et du compte
personnel de formation, les pouvoirs publics ont
d’abord mis en place les mesures favorisant un
recours accru à ces deux dispositifs (libéralisation
de l’offre de formation, parcours d’achat direct
de formation avec la plateforme
Mon compte
formation
, aides incitatives à l’embauche
d’apprentis) avant que n’entrent en vigueur les
principales mesures visant à réguler le système
de formation professionnelle et d’alternance par
la qualité.
Comme l’illustre l’exécution 2022 du budget
de
France compétences
, les contributions
obligatoires des entreprises suffisent à peine
à financer l’alternance, alors que ce poste de
dépense ne représente qu’un peu moins des
deux tiers des emplois (cf. graphique suivant) ;
malgré 4 Md€ de subventions exceptionnelles
de l’État, l’opérateur était en déficit de 1,6 Md€
en 2022.
COUR DES COMPTES
17
Graphique n° 2 :
exécution du budget 2022 de
France compétences
Autres
Formation des demandeurs d'emploi (PIC)
Compte personnel de formation
Alternance
10 386
2 511
1 684
1 631
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
14 000
16 000
Emplois (16 212 M€)
Autres
Dotations exceptionnelles de l'État
Diverses contributions des entreprises
Ressources (14 644 M€)
10 262
4 000
382
0
5 000
10 000
15 000
Source : Cour des comptes, d’après données de France compétences
Le recours à ces expédients, qui n’a pour effet
que de retarder la mise en place de solutions
durables, n’est pas de bonne gestion et accroît
même les charges de l’opérateur. Le système
revient à demander à
France compétences
d’emprunter à court terme pour limiter le déficit
de l’État, alors que l’opérateur ne bénéficie pas
de conditions d’emprunt aussi avantageuses et
que les taux d’intérêt sont désormais orientés
à la hausse, renchérissant le coût de ces lignes
de trésorerie. En outre, sans visibilité sur les
subventions exceptionnelles que l’État est
susceptible de lui verser,
France compétences
négocie un montant de concours bancaires qui
s’avère supérieur à ses besoins effectifs en cours
d’année, les lignes de trésorerie négociées et
non mobilisées lui occasionnant des frais.
Ce choix fait par l’État pour son opérateur est
d’autant moins rationnel sur le plan des finances
publiques que les objectifs ambitieux fixés au
développement de l’apprentissage devraient
encore accroître l’écart entre les charges et les
produits de
France compétences
.
18
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
2 - LES LEVIERS D’ACTION : AGIR PLUS RÉSOLUMENT
POUR AMÉLIORER LA QUALITÉ DE LA DÉPENSE
ET ADAPTER LE FINANCEMENT AUX ENJEUX
Dans le domaine de la formation professionnelle
des salariés et de l’alternance, l’amélioration
indispensable de la qualité de la dépense
publique dépasse le seul enjeu – considérable
à lui seul – de la soutenabilité du financement
du système (21,8 Md€ de financements publics
en 2022). La Cour propose trois grands leviers
d’action à mobiliser pour y parvenir.
A - Un financement à orienter
en priorité au bénéfice des jeunes
rencontrant des difficultés d’accès
à l’emploi et des actions permettant
aux actifs de monter en qualification
Les financements publics devraient bénéficier
en priorité aux jeunes et aux actifs faiblement
qualifiés pour financer des formations
permettant d’élever leur niveau de qualification.
1. Prioriser les dépenses en faveur
des bas niveaux de qualification
L’apprentissage présente d’indéniables avantages
dans l’enseignement supérieur - en matière de
démocratisation, de professionnalisation et de
financement -, mais sa valeur ajoutée pour l’accès
des jeunes à l’emploi est bien plus importante
pour les niveaux de qualification allant du CAP
au BTS. Au regard de la situation dégradée des
finances publiques, la Cour invite donc à moduler
le soutien financier public à l’apprentissage
(et non le champ des formations ouvertes à
l’apprentissage) au bénéfice des jeunes qui
rencontrent le plus de difficultés pour s’insérer
durablement sur le marché du travail, y compris
en améliorant l’orientation vers cette voie de
formation et les périodes de préparation pour
les jeunes qui en auraient besoin, notamment
dans les quartiers prioritaires de la politique de
la ville.
Pour les étudiants de l’enseignement supérieur,
il pourrait être envisagé de recourir plutôt au
contrat de professionnalisation, moins coûteux
pour les finances publiques, et de revoir le niveau
de financement public des centres de formation
des apprentis (CFA) de manière à faire participer
les employeurs au financement de la formation
des apprentis qu’ils accueillent, ce qui peut être
plus facilement mis en place dans une période
de tensions sur les recrutements. Par ailleurs,
l’apprentissage, insuffisamment financé, ne
saurait porter seul l’objectif de démocratisation
de l’accès à l’enseignement supérieur, qui justifie
l’existence d’un système de bourses en faveur
des étudiants les moins favorisés.
S’agissant du compte personnel de formation, il
importe de prendre les dispositions réglementaires
précisant les critères de modulation du reste à
charge instauré par la loi de finances pour 2023
en veillant à ce qu’elle préserve les capacités
d’achat des salariés les moins qualifiés.
2. Orienter davantage les financements
vers les formations à visée qualifiante
Une partie importante des formations
aujourd’hui financées
via
le CPF n’a pas de visée
qualifiante. En effet, nombre de formations
achetées ne débouchent ni sur un diplôme, ni
sur un titre professionnel, comme les formations
bureautiques ou linguistiques, ou encore les
habilitations électriques inscrites au répertoire
COUR DES COMPTES
19
spécifique. Elles sont certes utiles pour exercer
une activité professionnelle, mais ne constituent
pas la reconnaissance des compétences
nécessaires à l’exercice d’un métier. En outre, la
loi a rendu éligible au financement par le CPF la
préparation du permis de conduire de catégorie
B, les formations destinées aux créateurs et
repreneurs d’entreprise, le bilan de compétences
et la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Une progression rapide de la part occupée par
les certifications inscrites au répertoire national
des certifications professionnelles, telles que
les diplômes et les titres professionnels, dans
les achats de formations au titre du CPF est
nécessaire pour redonner sa finalité première
à ce dispositif. Un resserrement du champ
des formations éligibles au CPF devrait être
envisagé à cette fin.
La montée en puissance du cofinancement par
les entreprises des formations achetées
via
le
CPF pourrait aider à recentrer celui-ci sur des
formations, plus coûteuses car de plus longue
durée, permettant aux salariés d’acquérir de
nouvelles qualifications. Pourraient également
y contribuer un recours plus important des
salariés au conseil en évolution professionnelle,
qui pâtit encore d’un défaut de notoriété, ainsi
qu’un reste à charge allégé pour les formations
qualifiantes et une organisation alternative du
financement du permis de conduire. Le conseil
en évolution professionnelle permettrait de
limiter les achats d’impulsion et de s’assurer
de la motivation des stagiaires. En effet, selon
une étude sur les usages du compte personnel
de formation conduite par
France compétences
et par la Dares et publiée en février 2023, 32 %
seulement des formations engagées débouchent
sur l’obtention effective d’une certification.
La réorientation des fonds vers des formations
plus qualifiantes devrait également bénéficier
aux projets de transition professionnelle.
B - Le renforcement des exigences
en matière de qualité des actions de
formation et de lutte contre la fraude
1. Poursuivre les efforts pour améliorer
la qualité et l’utilité des formations
La régulation de l’offre de formation repose
principalement sur deux leviers à renforcer :
- d’une part, dans le cadre du nouveau
processus d’enregistrement des certifications
professionnelles par
France compétences
,
par le non-renouvellement de certifications
concourant insuffisamment à l’élévation du
niveau de compétences ou de la capacité à
occuper un emploi ;
- d’autre part, par l’imposition aux organismes de
formation de conditions à remplir pour pouvoir
être financés par des fonds publics : l’obtention
du label Qualiopi depuis le 1
er
janvier 2022 et,
pour ceux qui souhaitent pouvoir être financés
par le CPF, l’acceptation des conditions
générales d’utilisation de la plateforme
Mon
compte formation,
que la Caisse des dépôts et
consignations a complétée depuis novembre
2022 d’un processus d’« accompagnement »
des nouveaux organismes souhaitant être
référencés sur la plateforme.
• Un resserrement des certifications
professionnelles enregistrées par France
compétences à poursuivre
La nouvelle procédure d’enregistrement des
certifications professionnelles mise en place
avec la réforme de 2018 est plus exigeante.
Elle a notamment permis à partir de la fin de
l’année 2021 de ne pas renouveler nombre de
certifications inscrites au répertoire spécifique
arrivées à échéance dont l’utilité n’était pas
démontrée. Ce resserrement des formations
éligibles au CPF a notamment porté sur les
20
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
langues, l’informatique, la bureautique et
l’accompagnement à la création ou la reprise
d’entreprise.
Entre 2019 et 2022, cette nouvelle exigence de
qualité a eu pour conséquence un taux de rejet
des dossiers de 49 % pour les certifications les
plus qualifiantes (celles inscrites au répertoire
national des certifications professionnelles)
et de 80 % pour celles inscrites au répertoire
spécifique, conduisant à une baisse significative
du nombre de certifications professionnelles
enregistrées, qui est passé de 2 200 au
1
er
  janvier  2019 (hors certifications des
ministères) à 1 800 fin 2022. Sous l’effet combiné
de la démarche Qualiopi et du resserrement des
formations éligibles, le nombre d’organismes
de formation inscrits sur la plateforme
Mon
compte formation
a également baissé, pour
se stabiliser vers 16 000.
Les certifications devant être réexaminées
au plus tard tous les cinq ans, il convient de
poursuivre l’examen de celles non encore
parvenues à échéance avec le même degré
d’exigence, y compris vis-à-vis des ministères
certificateurs dont les demandes sont examinées
selon une procédure distincte. En février
2023, la Première ministre a confié à
France
compétences
la mission de mieux harmoniser
et de rendre plus cohérents les processus de
construction des certifications professionnelles
enregistrées au répertoire national des
certifications professionnelles, délivrées par
l’État, par les branches professionnelles ou
par d’autres organismes certificateurs. Cette
initiative va dans le sens des préconisations de
la Cour, qui vont cependant plus loin : la mise
en cohérence des processus de construction
des certifications professionnelles et des
critères appliqués doit rendre possible à terme
l’unification des procédures d’enregistrement.
• Une démarche qualité imposée aux
organismes de formation pour bénéficier de
fonds publics qui souffre encore de lacunes
Le cadre est certes devenu plus exigeant en
2022, mais la démarche qualité présente encore
des lacunes importantes :
- le label Qualiopi atteste de la conformité
à un référentiel national qualité portant
principalement sur les processus et les
moyens mis en œuvre, mais pas sur la qualité
pédagogique des actions de formation ;
- les sous-traitants ne sont pas directement
soumis à la démarche qualité ;
- le contrôle de la qualité pédagogique des
actions de formation, prévu pour les seuls
centres de formation des apprentis, n’est
pas véritablement opérationnel, alors que de
nombreux organismes de formation privés
ont créé de nouvelles formations récemment
pour profiter des financements alloués à
l’apprentissage  ;
- il existe des équivalents au label Qualiopi
délivrés selon un processus différent ;
- la délivrance du label Qualiopi par des
organismes certificateurs, accrédités par
le Cofrac, a été adossée à un processus de
certification standard des produits et services
mal adapté aux spécificités du champ de la
formation professionnelle et de l’alternance ;
- le label Qualiopi est mal articulé avec la
lutte contre la fraude qui s’est développée
notamment avec le CPF.
Face à un nombre très élevé d’organismes
de formation de toute taille, une très grande
capacité d’adaptation de l’offre de formation
pour capter la manne financière et l’existence de
fraudes organisées, la déconnexion du contrôle
qualité et de la lutte contre la fraude est une
COUR DES COMPTES
21
faiblesse qui doit être corrigée en renforçant les
exigences, tant en ce qui concerne la délivrance
du label Qualiopi que la responsabilité des
organismes financeurs en matière de contrôle.
La première vague de certifications Qualiopi
a en effet montré que les failles du système
pouvaient faciliter la fraude.
À l’issue des travaux de la Cour, le ministère
chargé du travail considère désormais
« qu’il
est en effet nécessaire d’adapter les textes
règlementaires liés à la certification qualité des
organismes de formation […] dans une logique
d’amélioration continue de la qualité de l’offre
et de contribution à la lutte contre la fraude ».
La révision de deux arrêtés du 6 juin 2019 a été
engagée à cet effet : un arrêté du 31 mai 2023
sur la certification qualité des organismes
de formation a été publié le 8 juin dernier et
d’autres évolutions réglementaires sont encore
à venir. Le ministère rappelle également que la
loi du 19 décembre 2022 visant à lutter contre
la fraude au compte personnel de formation et à
interdire le démarchage de ses titulaires prévoit
désormais l’obligation pour les organismes
sous-traitants de détenir la certification
qualité lorsqu’ils interviennent dans le cadre
de formations financées par le CPF.
Le ministère estime enfin que
« l’ensemble
des certificateurs publics doivent travailler
de concert pour renforcer, mieux organiser et
coordonner le contrôle pédagogique, trop peu
utilisé et dont le périmètre est aujourd’hui trop
restreint ».
2. Mieux prendre en compte l’enjeu
de la lutte contre la fraude
Après l’ouverture de la plateforme
Mon Compte
Formation,
le CPF a non seulement fait l’objet
de démarchages abusifs, mais également
de fraudes, qui ont par exemple consisté à
démarcher des particuliers avec de fausses
propositions de formation pour obtenir leurs
identifiants et vider leur compte CPF. Selon le
rapport annuel du service de renseignement
financier Tracfin, les fraudes au CPF ont
beaucoup augmenté en 2021 : à partir de
l’analyse des seuls signalements, les enjeux
financiers liés à la fraude au CPF seraient passés
de 7,8 M€ en 2020 à 43,2 M€ en 2021.
La lutte contre la fraude a été renforcée
seulement fin 2022, notamment avec
l’intensification des contrôles de la Caisse
des dépôts et consignations, l’obligation de
se connecter à la plateforme
Mon Compte
Formation via France Connect
+ et la loi du
19 décembre 2022 visant à lutter contre la
fraude au compte personnel de formation et
à interdire le démarchage de ses titulaires.
Sous l’impulsion des ministères chargés du
travail et des comptes publics, un comité de
pilotage ministériel chargé de lutter contre
le démarchage abusif et la fraude au CPF a
tenu une première réunion en mars 2022, puis
une deuxième en février 2023, mais le suivi du
plan d’action n’est ni structuré, ni documenté.
Le ministère chargé du travail prépare avec
la Caisse des dépôts et consignations un
plan pluriannuel et partenarial de contrôle et
de lutte contre la fraude dans le cadre de la
renégociation de la convention d’objectifs et de
performance pour la période 2023-2025.
La lutte contre la fraude dans le champ de la
formation professionnelle souffre encore de
trois lacunes majeures : l’enchevêtrement des
responsabilités entre les différents organismes
financeurs et l’État, un défaut de pilotage et
de coordination des actions de lutte contre la
fraude par l’État, une inadaptation des moyens
et des processus au regard des enjeux.
22
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
Le ministère chargé du travail a indiqué
avoir engagé des travaux pour améliorer
l’efficacité des contrôles et mettre en place une
coordination des différents types de contrôles
que sont susceptibles de subir les organismes
de formation : audits de certification visant
à obtenir le label Qualiopi, contrôles opérés
par les financeurs institutionnels (comme les
opérateurs de compétences ou la Caisse des
dépôts et consignations) destinés à s’assurer
de la réalité de la prestation financée (dits
« contrôles de service fait ») ou de la qualité
des actions de formation dispensées par un
organisme de formation ou encore contrôles
administratifs et financiers conduits par les
services déconcentrés de l’État.
C - La nécessité d’un pilotage
stratégique et de leviers de régulation
permettant d’assurer la soutenabilité
financière du système de formation
professionnelle et d’alternance
En matière d’alternance comme de CPF, la
rénovation du cadre en 2018 semble tenir lieu
de stratégie, puisque les seuls objectifs affichés
sont d’ordre quantitatif. Ce cadre, complété par
les initiatives prises pour faire face à la crise
sanitaire, ne minimise pas les risques d’effets
d’aubaine ou de fraude. Il est conçu pour créer
et porter une dynamique, non pour dépenser à
bon escient. Faute de stratégie dégageant des
priorités et de cadre d’intervention cohérent,
il est loin de garantir que les besoins des
entreprises et des individus seront satisfaits.
Il ne garantit pas non plus que le soutien
financier public est investi en faveur de ceux
qui en tireront le plus grand bénéfice ou des
plus vulnérables.
La difficulté à définir une stratégie tient pour
partie à l’absence de cadre pour la concevoir.
La réforme de 2018 a laissé l’État, seul, assurer
la coordination et le pilotage de la formation
professionnelle, avec des résultats inégaux.
Associer les partenaires sociaux, dans un cadre
institutionnel rénové, au pilotage stratégique
de la formation professionnelle et rechercher
une cohérence d’ensemble des interventions
de l’État iraient dans le sens d’une allocation
plus efficace des moyens. Il s’agit aussi pour
l’État d’assumer le recours à des instruments de
régulation financière, les mesures prises jusqu’à
présent n’étant pas à la hauteur des enjeux
de soutenabilité du système de formation
professionnelle et d’alternance.
1. Rénover la gouvernance
pour un pilotage plus efficace
• Une capacité d’évaluation
in itinere
à développer.
Les acteurs économiques ont certes besoin
de visibilité, mais la bonne gestion des deniers
publics implique de pouvoir adapter les
dispositifs pour limiter autant que faire se peut
les effets d’aubaine et les dépenses sans valeur
ajoutée réelle. Malgré les incertitudes liées à la
crise sanitaire et à l’évolution de la conjoncture
économique, il aurait été possible de remettre
à plat plus tôt certains dispositifs ou modalités
de financement, en :
- prenant en compte les déséquilibres structurels
identifiés très tôt ;
- évitant de développer les incitations à la
dépense avant d’être en mesure de faire monter
en puissance les leviers de régulation par la
qualité et de renforcer la lutte contre la fraude ;
- tenant compte d’une conjoncture économique
plus favorable que prévu dès le second
semestre 2021. Il n’y avait ainsi pas lieu
de prolonger les aides exceptionnelles à
COUR DES COMPTES
23
l’embauche d’alternants, telles que mises en
place à l’été 2020, jusqu’à la fin de l’année 2022.
Pour pouvoir les adapter rapidement si
nécessaire, il importe de disposer de données
et d’évaluations
in itinere
et
ex post
sur l’impact
des dispositifs les plus coûteux. Or, la première
enquête sur le CPF n’a été publiée par le
ministère chargé du travail qu’en février 2023
et aucune analyse coûts-bénéfices des aides
à l’embauche d’apprentis n’a été publiée à ce
jour par le ministère, malgré leur coût pour les
finances publiques.
Les contrats en alternance ont représenté un
tiers des 1,2 million d’emplois supplémentaires
créés entre fin 2019 et fin 2022 et ont contribué
à la diminution du chômage des jeunes, mais
cette dernière a largement été portée par
la conjoncture économique et l’existence
de tensions de recrutement sur le marché
du travail. Cette tendance est d’ailleurs
générale en Europe, y compris dans les pays
qui subventionnent beaucoup moins l’accès
des jeunes à l’emploi. Un tel constat invite à
porter davantage d’attention à l’efficience de
la dépense.
Graphique n° 3 : évolution du taux de chômage des jeunes âgés de 15 à 24 ans
dans l’Union européenne entre 2017 et 2022
0,0 %
5,0 %
10,0 %
15,0 %
20,0 %
25,0 %
30,0 %
35,0 %
40,0 %
45,0 %
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Allemagne
Union européenne à 27
France
Italie
Espagne
Source : Eurostat
• Un cadre pérenne de concertation entre l’État
et les partenaires sociaux à mettre en place.
Il importe aussi de mettre en place un cadre
permettant à l’État et aux partenaires
sociaux de se concerter régulièrement sur les
grandes orientations du système de formation
professionnelle et d’alternance pour tenir
compte des besoins de l’économie et de la société
(sur la question de la transition professionnelle,
notamment), de l’évolution de la conjoncture
économique et de la soutenabilité financière du
système. Le conseil d’administration de
France
compétences
ne peut aujourd’hui en tenir lieu.
Il s’agit notamment de remédier aux points
faibles de la réforme de 2018 (réorientation des
financements vers les formations les plus utiles,
facilitation des transitions professionnelles,
lutte contre la fraude, soutenabilité financière,
notamment). La complète sortie de la période
de crise doit aussi être organisée en statuant, à
24
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
partir d’une analyse documentée, sur l’avenir du
FNE-Formation à moyen terme et sur celle des
aides à l’embauche d’apprentis qui, bien qu’elles
aient été revues au 1
er
janvier 2023, conservent
un caractère exceptionnellement favorable au
regard des aides en vigueur avant la crise.
L’État doit également mieux articuler les
financements qu’il gère directement avec le
système mis en place en 2018. Des objectifs
stratégiques tels que ceux définis dans le cadre
de France 2030 n’irriguent pas suffisamment
les politiques publiques dans le champ de la
formation professionnelle.
2. Assumer la mise en place de leviers
de régulation financière et adapter le
financement aux objectifs poursuivis
À l’heure actuelle,
France compétences
ne
dispose que de faibles leviers de régulation
financière pour maîtriser la progression des
dépenses : le processus d’enregistrement des
certifications professionnelles et la redéfinition
des niveaux de financement des contrats
d’apprentissage.
Des mesures pour assurer la soutenabilité
financière du système de formation
professionnelle et d’alternance devraient
à la fois jouer sur les dépenses (diminution
pérenne de la dotation de
France compétences
participant au financement de la formation des
demandeurs d’emploi, recentrage du compte
personnel de formation sur les formations les
plus qualifiantes et instauration de restes à
charge sur certains dispositifs, redéfinition des
aides à l’embauche en contrat d’apprentissage
et en contrat de professionnalisation) et sur
les recettes (essentiellement par le biais
d’une dotation annuelle pérenne à
France
compétences
pour contribuer au financement
de l’apprentissage).
• Un ajustement du niveau de financement
des contrats d’apprentissage à poursuivre
Avec un déséquilibre budgétaire de 1,6 Md€
malgré 4 Md€ de dotations exceptionnelles en
2022,
France compétences
a cherché à mobiliser
les leviers très limités dont il dispose pour
maîtriser l’évolution de sa principale dépense  :
le financement des centres de formation des
apprentis. L’augmentation considérable de son
coût au cours des dernières années résulte à la
fois d’un effet volume (évolution du nombre de
nouveaux contrats) et d’un effet prix (évolution
du coût moyen par contrat par rapport à la
situation prévalant avant la réforme).
Sur la base d’une méthodologie fruste et très
prudente,
France compétences
a tenté début
2019 d’encadrer la première fixation des niveaux
de prise en charge des contrats d’apprentissage
par les branches professionnelles sans viser à
fixer ceux-ci au plus près des coûts réels des
centres de formation des apprentis, faute de
les connaître. La Cour a estimé, qu’en moyenne,
les niveaux de prise en charge des contrats
étaient supérieurs d’au moins 17 % aux coûts
réels. La mise en place d’une rémunération
forfaitaire à l’activité au 1
er
janvier 2020 par les
opérateurs de compétences, en lieu et place
d’un financement au réel par les régions, a eu
un effet inflationniste sur la dépense en faveur
de l’apprentissage.
Il s’agit désormais de faire converger les niveaux
de financement vers les coûts réels, sur la base
de remontées de comptabilité analytique des
CFA fiabilisées. Ce processus, délicat, requiert
une mise en œuvre en plusieurs étapes pour
laisser le temps aux CFA d’adapter leurs modèles
économiques.
Fin juin 2022, le ministère du travail, du plein
emploi et de l’insertion a annoncé une baisse
des niveaux de prise en charge des contrats
COUR DES COMPTES
25
d’apprentissage en deux temps : - 5 % en
moyenne au 1
er
septembre 2022 et - 5 % au 1
er
avril 2023. Toutefois, la diminution prévue au
1
er
septembre a été en partie reportée au 1
er
novembre pour permettre à
France compétences
de revoir ses propositions dans un sens plus
acceptable pour les branches professionnelles
les plus affectées et l’entrée en vigueur de celle
prévue pour le printemps 2023 a été reportée
au 1
er
juillet, puis au 1
er
septembre. Au surplus,
selon le ministère, la baisse des niveaux de
prise en charge intervenue au 1
er
 septembre
et au 1
er
 novembre 2022 n’aurait pour effet
de faire baisser le coût total de ceux-ci que de
210 M€ au maximum, soit une baisse de 2,7 %
pour le budget de
France compétences
sur le
financement des contrats d’apprentissage.
L’impact de cette première étape est décevant
et souligne la nécessité d’agir à la fois sur les
dépenses et sur les recettes pour définir une
trajectoire financière soutenable de
France
compétences
.
Compte tenu de la moindre valeur ajoutée de
l’apprentissage dans l’enseignement supérieur
en matière d’insertion dans l’emploi, il serait
utile d’étudier la possibilité de faire contribuer
directement les employeurs d’apprentis
préparant des diplômes de niveau bac + 3 et
plus, au financement de la formation de leurs
apprentis.
• Un reste à charge sur les formations
financées par le CPF à mettre en place de
façon effective.
La loi de finances pour 2023 a instauré un
reste à charge pour les titulaires de formations
financées par le CPF. Le décret d’application de
cette disposition n’a cependant pas encore été
pris, la mesure, contestée, devant faire l’objet
d’une concertation préalable du ministère avec
les partenaires sociaux.
La Cour, favorable au principe du reste à charge
pour limiter les achats d’impulsion, préconise
cependant, comme vu précédemment, de
veiller, grâce à la modulation de celui-ci, à ne pas
dissuader les personnes en emploi peu qualifiées
d’utiliser leur CPF et de les inciter à choisir les
certifications ou les blocs de compétences les
plus à même d’améliorer leur qualification.
• Une adaptation des recettes de France
compétences inévitable si les objectifs
quantitatifs de développement de
l’apprentissage sont maintenus.
Quels que soient la portée des mesures de
régulation et l’ajustement des niveaux de
financement des contrats d’apprentissage à la
réalité des coûts des centres de formation des
apprentis, la poursuite de l’objectif d’un million
de nouveaux contrats d’apprentissage par an
à horizon 2027 ne permet pas d’équilibrer le
système sans un ajustement des recettes, même
avec une réduction de moitié de la contribution
de
France compétences
au financement de la
formation des demandeurs d’emploi (passée
de 1 684 M€ en 2022 à 800 M€ en 2023). Une
dotation annuelle de l’État à
France compétences
,
parmi d’autres mesures, serait justifiée pour
parvenir à une trajectoire financière soutenable,
considérant que l’apprentissage représente à
la fois une modalité de formation initiale et le
premier outil de la politique de l’emploi.
En réponse à la Cour, sur la question de l’équilibre
financier du système de formation professionnelle
et d’alternance, le ministère chargé du travail se
contente d’évoquer une mission d’inspection
- qui n’est pas encore engagée -, portant sur
l’évaluation de la convention d’objectifs et de
performance 2020-2022 de
France compétences
et sur la préparation de la suivante, ce qui laisse
penser que les mesures nécessaires risquent de
ne pas intervenir dès la loi de finances pour 2024.
26
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
La sortie de la période de crise liée à l’épidémie de covid-19 aurait dû conduire les
pouvoirs publics à se réinterroger sur les priorités à définir en matière de formation
professionnelle et d’alternance et les moyens de les financer dans le cadre d’une
trajectoire pluriannuelle soutenable, en recherchant un effet maximal de la dépense
publique sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail et en portant une
attention particulière aux populations peu qualifiées, jeunes et adultes. À cet égard,
il importe de redonner aux aides à l’embauche d’alternants leur finalité d’aides à
l’insertion professionnelle des jeunes - plutôt que d’aides aux entreprises - et de faire
davantage participer celles-ci au financement du développement de l’apprentissage
dans l’enseignement supérieur.
Il importe également de remédier aux insuffisances de la démarche qualité mise en
place et d’intensifier encore les efforts de lutte contre la fraude dans un domaine
où elle s’est rapidement développée. Au-delà, l’État devrait se donner les moyens
de pouvoir davantage anticiper, piloter et maîtriser la dépense, ce qui présente de
grandes difficultés dans le système actuel caractérisé par un financement sans
limite au service d’objectifs quantitatifs très ambitieux et non ciblés.
Il convient enfin de consolider la situation, encore fragile, de
France compétences
,
l’opérateur chargé de réguler et financer le système, et d’instaurer une gouvernance
du système associant mieux les parties prenantes à la définition d’orientations
stratégiques et appuyant davantage ses décisions sur l’analyse des impacts de la
dépense publique.
En effet, la combinaison atypique d’une libéralisation poussée du système et d’un
soutien financier public massif est difficilement soutenable, particulièrement dans un
contexte marqué par la nécessité de redresser les finances publiques. La conjoncture
économique actuelle, le taux de chômage et les tensions de recrutement sur le
marché du travail invitent à redimensionner le soutien de l’État à la baisse et à
mieux le cibler.
CONCLUSION
COUR DES COMPTES
27
RÉFÉRENCES AUX TRAVAUX
DE LA COUR DES COMPTES
Les publications
Pour la rédaction de la présente note de synthèse, la Cour s’est principalement
appuyée sur différents travaux qu’elle a conduits depuis 2021 :
La formation professionnelle des salariés : après la réforme de 2018, une stratégie
nationale à définir et un financement à stabiliser,
rapport public thématique,
juin 2023.
La formation en alternance : une voie en plein essor, un financement à définir,
rapport public thématique, juin 2022.
France compétences : une situation financière préoccupante,
référé accompagné
des observations définitives, juin 2022.
Le plan #1jeune1solution en faveur de l’emploi des jeunes,
chapitre du rapport
public annuel 2022, février 2022.
Notes d’analyse de l’exécution des crédits budgétaires :
-
de la mission
Travail et emploi
(programme 103) : exercices 2019, 2020, 2021
et 2022 ;
- de la mission
Plan de relance
(programme 364) : exercices 2021 et 2022.
Les recommandations
Les principales recommandations issues de ces travaux visant à améliorer la qualité
et la maîtrise de la dépense publique dans le champ de la formation professionnelle
et de l’alternance ont porté sur :
l’élaboration d’une stratégie avec des priorités pilotées, plutôt que la seule
fixation d’objectifs quantitatifs globaux :
-
« définir une stratégie nationale de l’alternance identifiant les objectifs prioritaires
de développement et en déduire la stratégie de financement correspondante »
(ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, ministère de l’éducation
nationale et de la jeunesse, ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche, ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, ministère
délégué chargé des comptes publics) ;
28
RECENTRER LE SOUTIEN PUBLIC À LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET À L’APPRENTISSAGE
-
« mieux associer les partenaires sociaux à la définition d’objectifs stratégiques
nationaux en matière de formation professionnelle »
(ministère du travail, du
plein emploi et de l’insertion) ;
-
« mettre en place au niveau national un pilotage stratégique de la transition
professionnelle et assurer sa déclinaison territoriale »
(ministère du travail, du
plein emploi et de l’insertion) ;
-
« recentrer les financements au titre du compte personnel de formation sur les
formations les plus qualifiantes pour répondre à l’objectif initial du dispositif »
(ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion) ;
le développement de mécanismes de régulation pour améliorer la qualité des
prestations de formation et lutter contre la fraude :
-
« mettre en place un plan d’action pour assurer le contrôle de la qualité
pédagogique des formations en apprentissage »
(ministère du travail, du plein
emploi et de l’insertion, ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse,
ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche) ;
-
« arrêter en 2023 un plan de lutte contre les fraudes à la formation professionnelle
ciblant particulièrement la certification Qualiopi et le compte personnel de
formation »
(ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion) ;
-
« mieux prendre en compte la lutte contre la fraude dans la certification et le
contrôle qualité en renforçant, de manière formalisée, les exigences vis-à-vis
du Cofrac, des organismes certificateurs et des financeurs institutionnels ; en
tirer un bilan d’ensemble en 2024 »
(ministère du travail, du plein emploi et de
l’insertion) ;
COUR DES COMPTES
29
Les publications de la Cour des comptes sont consultables sur le site Internet :
www. ccomptes.fr
les actions directes sur la maîtrise de la dépense :
-
« redéfinir […] les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage,
[notamment] en définissant les niveaux recommandés par France compétences
au plus près du coût de revient des diplômes […] »
(ministère du travail, du plein
emploi et de l’insertion,
France compétences
) ;
-
« mettre fin aux aides exceptionnelles versées aux employeurs d’alternants »
(ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, ministère délégué chargé
des comptes publics), pour revenir à un dispositif plus proche de celui en vigueur
avant la crise sanitaire ;
-
« instaurer une participation modulable des bénéficiaires des formations financées
dans le cadre du compte personnel de formation »
(ministère du travail, du plein
emploi et de l’insertion) ;
l’ajustement des recettes pour stabiliser le financement des priorités :
-
« instaurer une dotation pérenne de l’État à France compétences affectée au
financement de l’apprentissage afin de redonner des marges de manœuvre à
son conseil d’administration pour financer des priorités cohérentes avec la
transformation des métiers »
(ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion,
ministère délégué chargé des comptes publics).
la fixation d’une trajectoire financière pluriannuelle soutenable pour France
compétences :
-
« inscrire dans la prochaine convention d’objectifs et de performance (2023-
2025) une trajectoire financière pluriannuelle soutenable, assortie des principaux
leviers pour y parvenir en dépenses et en recettes »
(ministère du travail, du plein
emploi et de l’insertion,
France compétences
).
La présente note
est disponible sur le site internet
de la Cour des comptes :
www.ccomptes.fr
CONTRIBUTION À LA REVUE
DES DÉPENSES PUBLIQUES
JUILLET 2023