ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LA FORMATION
PROFESSIONNELLE
DES SALARIÉS
Après la réforme de 2018,
une stratégie nationale à définir
et un financement à stabiliser
Rapport public thématique
Synthèse
Juin 2023
2
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
g
AVERTISSEMENT
Cette synthèse est destinée à faciliter la lecture et l’utilisation du
rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations, des organismes et des collectivités
concernés figurent en annexe du rapport
.
3
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Sommaire
Introduction
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
La simplification et la mise en cohérence
du cadre de la formation professionnelle :
un objectif contrarié par la crise sanitaire
7
2
Le développement de l’accès à la formation
professionnelle : des avancées au prix de dérives
11
3
La qualité de l’offre de formation :
des exigences à renforcer
13
4
L’absence de soutenabilité financière :
un problème majeur non résolu
15
5
Le pilotage stratégique de la formation
professionnelle : les limites de la réforme de 2018
17
Conclusion et recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
5
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Introduction
Les dépenses de formation des salariés du secteur privé ont représenté 17,5 Md€
en 2020
1
en France métropolitaine . Cette-année-là, 40 % des salariés ont
eu accès à une formation (20 % seulement dans les entreprises de moins de
50 salariés) . Ces dépenses comprennent les dépenses directement exposées par
les entreprises (11,9 Md€) et les dépenses dites « intermédiées » (6,5 Md€), dont il
faut retrancher 0,9 Md€ de remboursements et aides perçues par les entreprises .
Les dépenses intermédiées correspondent à des dépenses financées par un
système de mutualisation des contributions légales et conventionnelles versées
par les entreprises au titre de la formation professionnelle des salariés et à des
versements volontaires complémentaires .
Ce système de mutualisation est historiquement géré en France par des
organismes à statut associatif administrés par les partenaires sociaux . Sa dernière
réforme résulte de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de
choisir son avenir professionnel, qui est intervenue quelques années seulement
après la loi n° 2014-588 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle,
à l’emploi et à la démocratie sociale . Cette dernière avait notamment créé le
compte personnel de formation (CPF) et le conseil en évolution professionnelle
(CEP), ainsi qu’une première labellisation qualité des actions de formation .
Dans le champ de la formation professionnelle des salariés, la réforme de
2018 a profondément modifié ces dispositifs et, au-delà, le paysage même
de la formation professionnelle (cf . schéma ci-après), avec la suppression des
organismes gestionnaires existants et la création d’un établissement public,
France compétences, de 11 opérateurs de compétences et de 18 commissions
paritaires interprofessionnelles régionales devenues depuis associations
Transitions Pro . Elle a aussi transféré le financement du CPF à la Caisse des
dépôts et consignations, et la collecte des contributions des entreprises rendues
légalement obligatoires aux Urssaf et à la mutualité sociale agricole (MSA) .
1 . Source : annexe au projet de loi de finances pour 2023 portant sur la formation professionnelle .
6
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Introduction
Les organismes gestionnaires et financeurs de la formation professionnelle des salariés
ENTREPRISES
ORGANISMES DE FORMATION
Contributions
conventionnelles
et versements
supplémentaires
Subventions
exceptionnelles
Abondement CPF
Contributions légales
OPÉRATEURS
DE COMPÉTENCES
(PDC, PRO-A,
FNE-Formation)
CAISSE DES DÉPOTS
ET CONSIGNATION
(CPF)
ASSOCIATIONS
TRANSITIONS PRO
(PTP)
FRANCE
COMPÉTENCES
ÉTAT
Urssaf et MSA
Edec,
PIA,
relance
FNE-
Formation
Dotations
Remboursement
congé PTP
Abondement
CPF Relance
Frais de
formation
Frais de
formation
Frais de
formation
Edec : engagement de développement des emplois et des compétences
PIA : programme d’investissement d’avenir
FNE : fonds national de l’emploi
PDC : plan de développement des compétences
Pro-A : reconversion ou promotion par alternance
PTP : projet de transition professionnelle
Source : Cour des comptes
Le présent rapport dresse un premier bilan de la réforme de la formation
professionnelle des salariés issue de la loi du 5 septembre 2018 . Il complète les
observations et recommandations que la Cour a déjà formulées sur la réforme de
l’apprentissage
2
, issue de la même loi, et sur France compétences
3
, publiées en
juin 2022 .
Il prend en compte les évolutions postérieures, notamment celles consécutives à
la crise sanitaire . Cette circonstance exceptionnelle a conduit l’État à accroître ses
financements en faveur de la formation professionnelle des salariés et à instaurer
de nouveaux dispositifs .
2 . Cour des comptes,
La formation en alternance, une voie en plein essor,
rapport public
thématique, juin 2022 .
3 . Cour des comptes,
France compétences, une situation financière préoccupante,
référé du 5 avril
2022 et observations définitives jointes, rendus publics en juin 2022 .
7
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
1
La simplification et la mise en
cohérence du cadre de la formation
professionnelle : un objectif
contrarié par la crise sanitaire
Une transformation judicieuse
des acteurs
La réduction du nombre d’organismes
gestionnaires et la modification
profonde de leurs missions, qui
représentent un volet important de la
réforme, visait à la fois à accompagner
la priorité accordée à l’alternance, à
former un système unique d’alternance
et de formation professionnelle - par le
financement comme par la gestion - et
à simplifier ce dernier .
Le nouvel établissement public
France compétences a succédé le
1
er
janvier 2019 à quatre organismes
paritaires
4
sans en reprendre toutes
les attributions . Conçu comme le
régulateur et le financeur du nouveau
système d’alternance et de formation
professionnelle, il a pris en charge
très rapidement ses missions les plus
urgentes, en particulier le financement
de l’apprentissage, l’organisation
du CEP des actifs occupés (salariés
et travailleurs indépendants) et
l’enregistrement des certifications
professionnelles . Quelques missions
restent à développer en matière de
coordination des observatoires des
métiers et des qualifications, et,
surtout, de recommandations fondées
sur l’observation des coûts et de la
qualité de l’offre de formation .
L’établissement reste fragile sur
cer taines fonctions (juridique,
analyse des coûts de l’apprentissage
notamment) . Le déficit structurel
du financement de la formation
professionnelle depuis 2019 le prive
toutefois de toute marge de manœuvre
dans sa mission de financeur .
La transformation de vingt organismes
paritaires collecteurs agréés (Opca)
en onze opérateurs de compétences
(Opco) présente, elle aussi, un bilan
positif, même si le processus pour y
parvenir a été plus long que prévu
et n’est pas totalement achevé . Le
coût de la transformation n’a pas été
mesuré par l’État . La prise en compte
des nouvelles missions, notamment
le financement de l’apprentissage
et le développement du conseil et
du soutien aux TPE-PME, s’est faite
dans de bonnes conditions, de même
que la gestion du FNE-Formation,
dispositif créé par l’État en 2020 dans
le contexte de la crise sanitaire .
En revanche, la mutualisation
des actions et des moyens entre
les branches professionnelles
représentées au sein des Opco se
4 . Le conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop),
le comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation professionnelle
(Copanef), le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) et la
Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) .
8
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
trouve à un stade d’avancement très
variable, lié à la cohérence initiale
du périmètre de chaque opérateur
autour d’un secteur ou d’une filière
économique . Il convient d’aller plus
loin dans cette voie . Il importe aussi, à
l’occasion de la négociation à venir des
prochaines conventions pluriannuelles
d’objectifs et de moyens entre l’État
et les Opco, que les frais de gestion
des ceux-ci soient définis sur la base
d’objectifs plus exigeants concernant
l’exercice des missions, l’évolution des
moyens, notamment humains, et la
maîtrise des risques .
L’objec tif de simplif ication et
d’amélioration de l’efficience du
système a également conduit à
transférer des Opco aux Urssaf
et à la Mutualité sociale agricole la
collecte des contributions légalement
obligatoires versées par les entreprises
au 1
er
janvier 2022 . Sa mise en œuvre
récente ne permet pas encore d’en
mesurer avec exactitude les bénéfices ;
ceux-ci pourraient représenter un gain
de l’ordre de 5 % du total de la collecte,
soit environ 500 M€ .
Les limites de la démarche
de simplification
L’objectif de simplification n’a pas
toujours été poussé à son terme par
la réforme de 2018 . Beaucoup de
dispositifs ont été maintenus sous
des formes différentes, comme le
congé individuel de formation (CIF)
transformé en projet de transition
professionnelle (PTP) ou la période
de professionnalisation en dispositif
de reconversion ou promotion par
alternance (Pro-A), avec quelques
ajustements, mais des moyens en
diminution .
L’utilité de la transformation des
Fongecif, qui géraient le CIF, en
associations Transitions Pro avec des
missions fortement amoindries, en
raison de la perte de la gestion du
conseil en évolution professionnelle
des actifs occupés, n’apparaît pas . Si
le processus de transformation a pu
être réalisé rapidement, en dépit de
plans de sauvegarde de l’emploi au sein
des Fongecif, et si quelques progrès
peuvent être observés, notamment
avec la mise en œuvre d’un système
d’information commun, ces organismes
ont perdu en visibilité dans leur activité
principale de gestion des dossiers de
transition professionnelle des salariés .
La réforme de 2018 a conservé deux
grands réseaux d’acteurs paritaires :
celui des Opco qui travaillent
principalement avec les branches
professionnelles et les entreprises,
et celui des associations Transitions
Pro qui, elles, sont en relation avec
les salariés . Des coopérations entre
les deux réseaux se développent ;
à terme, la fusion du réseau des
associations Transitions Pro au sein
des Opco pourrait parachever la
réforme en réduisant le nombre
de réseaux chargés des transitions
professionnelles et en mettant mieux
en cohérence les projets individuels
avec les besoins en compétences des
entreprises . L’État doit, pour sa part,
renforcer le pilotage stratégique et
opérationnel de ce champ majeur de la
politique de formation professionnelle .
La crise sanitaire intervenue à compter
de mars 2020 a rendu le cadre de la
formation plus complexe . L’État a ainsi
abondé certains dispositifs financés
par les contributions légalement
obligatoires des entreprises, au risque
La simplification et la mise en cohérence
du cadre de la formation professionnelle :
un objectif contrarié par la crise sanitaire
9
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La simplification et la mise en cohérence
du cadre de la formation professionnelle :
un objectif contrarié par la crise sanitaire
d’une perte de lisibilité . Il a aussi
instauré de nouveaux dispositifs, hors
du cadre organisé en 2018, qui ont
parfois concurrencé ceux existants . Le
FNE-Formation, dispositif transformé au
début de la crise sanitaire, a engendré
des effets d’aubaine en finançant des
actions de formation qui auraient
pu l’être sur d’autres ressources,
par exemple les contributions
conventionnelles décidées par certaines
branches professionnelles, ou des
actions de formation d’entreprises (par
exemple, celles comptant entre 50 et
299 salariés) qui ne bénéficiaient plus
des financements publics au titre du
soutien aux plans de développement
des compétences . Il conviendra
progressivement de clarifier l’objet
des financements de l’État et celui des
financements réalisés à partir des fonds
issus des contributions des entreprises
prévues par la loi .
10
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
11
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La loi du 5 septembre 2018 poursuivait
aussi l’objectif d’accroître le recours
des salariés et des entreprises à la
formation professionnelle, ainsi qu’à
l’alternance, afin de répondre à une
critique récurrente adressée à ces
politiques .
Les résultats contrastés
du recours des salariés
à la formation professionnelle
La « démocratisation » du recours
au CPF constituait l’un des objectifs
majeurs de la réforme . Elle résulte à
la fois de la transformation de droits
annuels ouverts au profit des actifs
en un montant disponible en euros,
et, depuis novembre 2019, de la
possibilité d’acheter une formation sur
une plateforme en ligne inspirée des
sites d’achat sur internet . Le recours
au CPF s’est fortement accru, au-delà
des attentes, depuis septembre 2020,
le nombre annuel de dossiers passant
d’environ 500 000 à 600 000 avant la
réforme à plus de deux millions dès
2021 .
Ces résultats se sont accompagnés
d’effets indésirables et souvent non
anticipés . La facilité d’utilisation
du CPF et l’important marché qu’il
représente (plusieurs milliards d’euros
par an) ont conduit à des dérives
importantes, comme le démarchage
abusif et la fraude . La régulation de
l’offre de formation, l’intensification
des contrôles et la mobilisation de
l’ensemble des services de l’État
chargés de la lutte contre la fraude,
surtout fin 2021 et en 2022, ont
joué un rôle utile, mais n’ont pas
permis à ce jour d’endiguer toutes
ces dérives, même si quelques signes
d’améliorations sont apparus fin 2022 .
La définition d’objectifs quantifiés dans
la lutte contre la fraude, assortie d’un
pilotage plus stratégique, permettrait
de mieux suivre les résultats obtenus .
La démocratisation du CPF s’est aussi
éloignée de ses objectifs initiaux .
Alors qu’il devrait conduire à une
progression des compétences des
actifs et de leur capacité à occuper
un emploi, il a surtout servi à financer
des formations non certifiantes,
même si elles peuvent avoir une
utilité dans le parcours professionnel
des bénéficiaires, et assez peu
celles menant à des diplômes ou
des titres professionnels inscrits au
répertoire national des certifications
professionnelles (RNCP) .
P lu s i e u r s m e s u re s , co m m e l a
régulation de l’offre de formation
(non-renouvellement de certifications
co n co u ra nt i n s u f f i s a m m e nt à
l’élévation du niveau de compétences
ou de la capacité à occuper un emploi)
ou l’instauration d’un reste à charge
lors de l’achat de formations, devraient
contribuer à l’amélioration qualitative
Le développement de l’accès
à la formation professionnelle :
des avancées au prix de dérives
2
12
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
du CPF . Cette dernière mesure,
recommandée par la Cour sous
réserve d’un calibrage adéquat afin
de ne pas dissuader les personnes peu
qualifiées, devrait limiter les achats
« d’impulsion » et inciter les actifs à
choisir des formations plus à même de
sécuriser leur parcours professionnel . Il
reste à prendre les textes d’application
de la mesure prise en loi de finances
initiale pour 2023, après la phase de
concertation engagée par le ministère
chargé du travail .
Une évolution similaire était attendue
du transfert du CEP des actifs occupés
- dispositif d’accompagnement dans le
choix de formations - à des prestataires
privés choisis par France compétences
après appel d’offres . Les résultats sont
de moindre ampleur . Le recours au CEP
est certes plus important qu’avant la
réforme, mais ce dispositif est surtout
utilisé par les demandeurs d’emploi
et les salariés porteurs d’un projet
de transition professionnelle . Il reste
méconnu de nombreux actifs salariés .
Enfin, le recours aux dispositifs de
transition professionnelle, champ
peu traité par la réforme de 2018,
est, pour sa part, en baisse en raison
de ressources financières en nette
diminution (projets de transition
professionnelle) ou de la complexité
des dispositifs (Pro-A, transitions
collectives) .
Des progrès dans le recours
des petites entreprises à la
formation professionnelle
et l’apprentissage
La réforme visait aussi à renforcer le
recours des TPE-PME à la formation
professionnelle en réservant le soutien
sur fonds issus des contributions
l é g a l e m e n t o b l i g a t o i r e s a u x
entreprises de moins de 50 salariés
et en incitant les Opco à développer
l’activité de conseil à leur égard .
L’organisation par les Opco de services
de proximité plus développés et de
politiques massives d’information ainsi
que, le cas échéant, de conseil des
petites entreprises a eu un effet utile .
Mais c’est principalement grâce aux
moyens exceptionnels mobilisés par
l’État pendant la crise sanitaire, au
titre du FNE-Formation de crise et de
l’apprentissage, que cet objectif a pu
être réalisé .
La simplification et la mise en cohérence
du cadre de la formation professionnelle :
un objectif contrarié par la crise sanitaire
13
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Déjà engagée lors de la précédente
réforme, l’amélioration de la qualité
de l’offre de formation a constitué un
objectif de la loi du 5 septembre 2018,
qui s’est traduit par de nouvelles
obligations et des démarches
renforcées, poussant les acteurs à se
professionnaliser .
Un processus d’enregistrement
des certifications
professionnelles plus
performant, mais des
améliorations à envisager
France compétences a été chargé de
l’enregistrement des certifications
professionnelles dans les deux
répertoires nationaux . L’application
rigoureuse des critères sélectifs définis
dans le cadre de la réforme s’est
traduite par le rejet de nombreuses
demandes de premiers enregistrements
ou de renouvellement de certifications,
renforçant l’utilité de celles retenues
pour le parcours professionnel des
actifs et leur employabilité . Le nombre
élevé de dossiers a conduit à allonger
les délais de traitement des demandes,
ce à quoi il convient de remédier .
La réforme a néanmoins maintenu,
p o u r l ’ e n r e g i s t r e m e n t d e s
cer tifications professionnelles
é m a n a n t d e s m i n i s tè r e s , u n e
procédure spécifique (enregistrement
de droit) comportant l’avis d’une
commission paritaire interministérielle
et des vérifications très allégées par
France compétences . Ce dernier a été
chargé par le Gouvernement, en février
dernier, d’une mission visant à une
meilleure harmonisation et cohérence
des processus de construction des
cer tifications professionnelles
enregistrées au RNCP, délivrées par
l’État, par les branches ou par les
autres organismes certificateurs . Ce
travail préalable d’harmonisation
doit permettre d’ici 2030, de façon
progressive et concertée, d’aboutir
plus naturellement à une procédure
unique d’enregistrement sous
l’autorité de France compétences .
Pour améliorer l’employabilité des
salariés et adapter les formations
à leurs besoins, le découpage
systématique en blocs de compétence
des certifications enregistrées au
répertoire national des certifications
professionnelles constitue un progrès
apporté par la réforme de 2018 . Il
convient d’aller plus loin en s’efforçant
d’harmoniser le découpage en bloc de
compétences entre les certifications
professionnelles afin que l’acquisition
de l’un d’entre eux dans le cadre d’une
certification puisse servir au titre d’une
autre certification, facilitant ainsi les
transitions professionnelles . France
compétences comme les principaux
ministères certificateurs partagent
cet objectif tout en soulignant la
complexité du processus .
La qualité de l’offre
de formation : des exigences
à renforcer
3
14
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Les insuffisances actuelles de la
labellisation Qualiopi
La réforme de 2018 a aussi renforcé la
professionnalisation des organismes
de formation en instaurant un
nouveau label de qualité, Qualiopi,
condition
sine qua non
pour accéder
aux financements sur fonds publics
depuis le 1
er
janvier 2022 . Près de
40 000 organismes ont obtenu cette
certification à ce jour .
Le processus de certification a été
confié à l’instance nationale de
certification, le Cofrac, qui a accrédité
à ce jour 34 prestataires (organismes
certificateurs) chargés de délivrer
cette certification aux organismes
de formation qui la sollicitent, après
vérification des conditions définies
dans un référentiel national qualité
arrêté par le ministère chargé du
travail . Des failles sont apparues dans
ce processus et ont facilité des fraudes,
en particulier celle émanant d’un
organisme certificateur .
À ce stade, l’État n’a dressé aucun
bilan évaluatif de cette nouvelle
démarche de qualité, mais doit corriger
certaines lacunes dans le cadre de
textes à paraître prochainement .
Les exigences vis-à-vis du Cofrac en
matière de surveillance du secteur et
d’analyse des signaux faibles devraient
être renforcées, par exemple dans
la convention conclue en 2018 pour
la mise en œuvre de la certification
Qualiopi, et les informations devraient
être partagées avec les financeurs
institutionnels . Si, en dépit de ces
mesures, le Cofrac n’était pas à même
de préserver la confiance dans la
marque Qualiopi, un changement
d’organisation devrait être alors
envisagé .
Il convient dans le même temps
de réaffirmer le rôle des financeurs
i n st i t u t i o n n e l s e n m at i è re d e
contrôle et de clarifier l’articulation
entre contrôle du service fait et
contrôle de la qualité qui relèvent de
leurs attributions afin de renforcer
l’articulation entre la lutte contre la
fraude et la démarche qualité .
La qualité de l’offre de formation :
des exigences à renforcer
15
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
La loi du 5 septembre 2018 ne s’est
fondée sur aucune prévision sérieuse
de sa soutenabilité financière .
Les déséquilibres n’ont pas tardé à
apparaître dans les comptes de France
compétences, dès sa création . La crise
sanitaire a ajouté aux difficultés .
Les ressources, erratiques depuis
la crise, puisqu’assises sur la masse
salariale des entreprises, n’ont pas
connu la progression régulière
initialement anticipée, de l’ordre de 3 %
par an . Les deux principales dépenses,
le compte personnel de formation
et l’apprentissage, qui ne sont pas
limitées dans leur financement, se sont
fortement accrues à partir de 2020, du
fait d’un recours plus élevé que prévu
à ces dispositifs . Ce déséquilibre entre
recettes et dépenses se traduit par des
déficits dans les comptes de France
compétences . En 2022, les ressources
de ce dernier, issues des contributions
versées par les entreprises, ont
à peine suffi à couvrir les dépenses
liées aux contrats d’apprentissage et
de professionnalisation, privant les
autres postes de dépenses consacrés
à la formation professionnelle de
financement pérenne . Le coût du CPF
s’est en revanche situé en-deçà des
prévisions en raison d’une chute du
nombre de dossiers fin 2022 .
L’absence de soutenabilité
financière : un problème
majeur non résolu
4
Budget 2022 de France compétences révisé en avril 2023
Dotations exceptionnelles État :
4 000 M€
Autres ressources : 919 M€
Contributions légales collectées
par les Urssaf et la MSA :
9 725 M€
Divers : 499 M€
PTP, PDC, CEP : 1 143 M€
Compte personnel de formation (CPF) :
2 511 M€
Formation des demandeurs
d’emploi : 1 684 M€
Alternance
(apprentissage, contrat
de professionnalisation et Pro-A) :
10 377 M€
RESSOURCES : 14 644 M€
EMPLOIS : 16 214 M€
Déficit : 1 568 M€
Source : Cour des comptes, d’après données France compétences et lois de finances
16
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Les difficultés structurelles ont été
co m p e n s é e s p a r d e s m e s u re s
exceptionnelles, comme le recours à
l’emprunt par France compétences
p o u r c o m b l e r s e s d i f f i c u lté s
de trésorerie et des dotations
exceptionnelles de l’État à son
opérateur devenues récurrentes
(8,4 Md€ à ce jour pour la période 2021-
2023) . En dépit de mesures utiles de
régulation du coût de l’apprentissage
et du CPF, ces deux postes de dépenses
devraient continuer à progresser
dans une perspective de long terme,
quoiqu’à un rythme moins soutenu .
Il convient que l’État définisse avec
France compétences les conditions
d’un retour à l’équilibre financier . À
défaut d’une augmentation des
contributions des entreprises, qui
semble écartée par le Gouvernement,
l’introduction d’un soutien financier
pérenne de l’État en lieu et place des
dotations exceptionnelles s’imposera .
Il devra être affecté au financement
de l’apprentissage, devenu à la fois
le principal dispositif de la politique
de l’emploi conduite par l’État et le
principal facteur de déséquilibre pour
France compétences .
Un financement de l’État présenterait
de surcroît l’avantage de compenser
l e c a r a c tè r e p r o c y c l i q u e d e s
contributions obligatoires légales,
assises sur la masse salariale . Il a en
effet été observé à l’occasion de la
crise sanitaire que les ressources
de France compétences baissaient
lorsque la conjoncture économique
se dégradait, alors que les besoins de
formation professionnelle n’en sont
que plus grands, ce qui a nécessité
des financements exceptionnels de
l’État . Au-delà, le desserrement de la
contrainte financière qui pèse depuis
l’origine sur France compétences lui
procurerait des marges de manœuvre
nouvelles dans l’emploi des ressources .
L’absence de soutenabilité financière :
un problème majeur non résolu
17
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Le pilotage stratégique
de la formation professionnelle :
les limites de la réforme de 2018
L e c h a m p d e l a f o r m a t i o n
professionnelle fait l’objet de
bouleversements majeurs dont
certains ont été précédemment
décrits, qu’il s’agisse du marché de
la formation professionnelle, des
mutations qui touchent les secteurs
économiques et les métiers, ou de
l’évolution de la relation à l’emploi,
accentuée par la crise sanitaire .
La réforme de 2018 a accru la place
de l’État et des organismes publics
(France compétences, Caisse des
dépôts et consignations) dans le
champ de la formation, tendance
renforcée dans le contexte de la
crise sanitaire avec des financements
massifs . Dans cette circonstance
exceptionnelle, l’État a su agir
avec rapidité, par exemple avec
l’instauration du FNE-Formation
d e c r i s e o u e n a n i m a n t l e s
réseaux d’acteurs de la formation
professionnelle, notamment celui des
Opco .
Po u r a u t a nt , le s o r i e nt at i o n s
stratégiques définies à l’occasion de
la crise ou dans des plans de long
terme tels que France 2030, peinent à
irriguer les nombreux dispositifs de la
formation professionnelle . De même,
des enjeux majeurs tels que la lutte
contre le développement de la fraude,
les transitions professionnelles ou les
déséquilibres financiers récurrents
depuis la réforme ont donné lieu à
des décisions souvent tardives et
incomplètes, alors qu’ils appellent des
décisions plus stratégiques .
De fait, la réforme de 2018 n’a pas
apporté de solution satisfaisante à la
gouvernance . Il convient d’y remédier,
dans un cadre institutionnel renouvelé,
afin de mieux associer les partenaires
sociaux à la définition d’objectifs
stratégiques pour la conduite de
la politique publique de formation
professionnelle, mais aussi à la
définition d’orientations concernant
les dispositifs centraux gérés par la
Caisse des dépôts et consignations,
le compte personnel de formation, la
plateforme Agora , et les passeports
« compétences » et « prévention »
disponibles en 2023 .
5
5 . Cette plateforme centralise les données des financeurs de la formation professionnelle et
constitue un outil essentiel pour la réalisation d’évaluations sur les parcours de formation .
18
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
19
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Recommandations
Concernant la gestion des dispositifs
2 .
D é v e l o p p e r a u s e i n d e s
opérateurs de compétences les
actions communes à tout ou partie
des branches professionnelles
adhérentes ainsi que la mutualisation
d e s m o y e n s
( o p é r a t e u r s d e
compétences)
* .
9.
Organiser le rapprochement
opérationnel des réseaux territoriaux
des opérateurs de compétences
et des associations Transitions
professionnelles et prévoir, à terme,
le transfert des attributions de ces
dernières aux Opco en conservant
le principe de l’examen des projets
de transition professionnelle par
une commissions paritaire régionale
(ministère du travail, du plein emploi
et de l’insertion)
* .
10.
Unifier la gestion financière du
compte personnel de formation
(CPF) et du CPF de transition
professionnelle
(ministère du travail,
du plein emploi et de l’insertion,
Caisse des dépôts et consignations)
* .
Concernant la qualité de l’offre
de formation
3.
Faire converger les critères
à p r e n d r e e n c o m p t e p o u r
l’enregistrement des certifications
professionnelles aux répertoires
n a t i o n a u x , q u e l q u e s o i t l e
certificateur, et harmoniser d’ici 2030
les procédures d’enregistrement
elles-mêmes afin que toutes les
certifications, quel que soit le
certificateur, soient examinées par
la commission de la certification
p r o f e s s i o n n e l l e d e F r a n c e
compétences
(ministère du travail,
du plein emploi et de l’insertion
professionnelle)
** .
4.
Assurer la mise en cohérence
des blocs de compétences entre
certifications pour faciliter le passage
d’une certification à une autre
(ministère du travail, du plein emploi et
de l’insertion ; France compétences)
** .
5.
Mieux prendre en compte la lutte
contre la fraude dans la certification
et le contrôle qualité en renforçant,
de manière formalisée, les exigences
vis-à-vis du Cofrac, des organismes
certificateurs et des financeurs
institutionnels ; en tirer un bilan
d’ensemble en 2024
(ministère
du travail, du plein emploi et de
l’insertion)
** .
Concernant les moyens financiers
1.
Encadrer les frais de gestion des
opérateurs de compétences dans
les conventions d’objectifs et de
moyens pour la période 2023-2025
sur la base d’objectifs négociés plus
exigeants portant sur les moyens de
fonctionnement, l’exercice des missions
et la maîtrise des risques
(ministère du
travail, du plein emploi et de l’insertion,
opérateurs de compétences)
* .
7 .
P r é s e n t e r r é g u l i è r e m e n t
la dépense de formation des
entreprises, globalement et par
taille, en particulier celle de 50 à
299 salariés, dans l’annexe au projet
de loi de finances sur la formation
professionnelle
(ministère du travail,
du plein emploi et de l’insertion)
** .
11.
Instaurer une dotation pérenne de
l’État à France compétences affectée
au financement de l’apprentissage afin
20
Synthèse du Rapport public thématique de la Cour des comptes
Recommandations
de redonner des marges de manœuvre
à son conseil d’administration pour
financer des priorités cohérentes
avec la transformation des métiers
(ministère du travail, du plein emploi et
de l’insertion, ministère délégué chargé
des comptes publics)
** .
Concernant la gouvernance
6.
Arrêter en 2023 un plan de
lutte contre les fraudes à la
formation professionnelle ciblant
particulièrement la certification
Qualiopi et le compte personnel
de formation, et comportant des
indicateurs et des échéances
(ministère du travail, du plein emploi
et de l’insertion)
** .
8.
Mettre en place au niveau national
un pilotage stratégique de la
transition professionnelle et assurer
sa déclinaison territoriale
(ministère
du travail, du plein emploi et de
l’insertion)
** .
12.
Mieux associer les partenaires
sociaux à la définition d’objectifs
stratégiques nationaux en matière de
formation professionnelle et adapter
le cadre institutionnel à cet effet
(ministère du travail, du plein emploi
et de l’insertion)
** .
13.
Assurer la participation des
partenaires sociaux à la définition des
orientations concernant les dispositifs
gérés par la Caisse des dépôts et
consignations
(ministère du travail, du
plein emploi et de l’insertion, Caisse
des dépôts et consignations)
**
.
* recommandation de gestion
** recommandation de politique
publique
Ces recommandations viennent
compléter les recommandations déjà
émises par les juridictions financières
en 2022 à l’issue de l’enquête sur
la formation en alternance et du
contrôle de France compétences
pour contribuer à atteindre l’équilibre
financier du système d’alternance
et de formation . Les principales
recommandations formulées qui
n’ont pas été mises en œuvre et
restent d’actualité sont les suivantes :
- i n s c r i r e d a n s l a p r o c h a i n e
convention d’objectifs et de
performance (2023-2025) de
France compétences une trajectoire
financière pluriannuelle soutenable,
assortie des principaux leviers
pour y parvenir en dépenses et en
recettes (ministère du travail, du
plein emploi et de l’insertion) ;
- définir une stratégie nationale de
l’alternance identifiant les objectifs
prioritaires de développement et en
déduire la stratégie de financement
correspondante (ministères chargés
du travail, de l’éducation nationale,
de l’enseignement supérieur,
de l’agriculture et des comptes
publics) ;
- mettre fin aux aides exceptionnelles
versées aux employeurs d’alternants
(ministère du travail, du plein emploi
et de l’insertion) ;
- recentrer les financements au
titre du compte personnel de
formation sur les formations les
plus qualifiantes pour répondre
à l’objectif initial du dispositif
(ministère du travail, du plein emploi
et de l’insertion) .