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Le 24 mars 2023
Le Premier président
à
Monsieur Bruno Le Maire
Ministre de
l’économie, des finances et de la
souveraineté industrielle et numérique
Monsieur Olivier Dussopt
Ministre du
travail, du plein emploi et de l’insertion
Monsieur Éric Lombard
Directeur général de la Caisse des dépôts et consignations
Réf. : S2023-0299
Objet
: Mutualisation des
systèmes d’information
du service des retraites de l’État et de la
Caisse des dépôts et consignations
En application des dispositions de l’article
L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour des comptes a
contrôlé la gestion du service des retraites de l’État
pour les exercices
2015 à 2021.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
Les conclusions de ce contrôle ont fourni également la matière à des observations
définitives qui seront mises en ligne et consultables sur le site de la Cour après la publication
du présent référé.
Le service des retraites de l’État (SRE)
,
créé en 2009 sous la forme d’un service à
compétence nationale rattaché à la direction générale des finances publiques (DGFiP), assure
le calcul, la liquidation et le versement des pensions de retraite des fonctionnaires de l’État,
en relation avec les ministères employeurs dont il a repris une large partie des missions,
notamment en matière de suivi des comptes individuels retraite (CIR), d’information et de
préparation du départ des futurs retraités.
Pour sa part, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) assure la gestion d’un
certain nombre de régimes de retraite, notamment celui des fonctionnaires territoriaux et
hospitaliers affiliés à la Caisse nationale de retraite des collectivités locales (CNRACL).
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Dans le
contexte de la réforme des retraites de 2020 qui prévoyait la création d’un
régime universel de retraites et la transformation du SRE en une véritable caisse de retraite,
le SRE et la CDC ont engagé un partenariat en vue de développer ensemble, dans un cadre
mutualisé, certaines applications informatiques de la chaîne de traitement des pensions
destinées à remplacer leurs applications les plus anciennes. Au terme de son contrôle, la Cour
considère que ce projet, dénommé MutSI, présente des risques élevés.
1. UN PROJET DE SYSTÈME D
’INFORMATION (SI)
MUTUALISÉ QUI ACCUSE
D’IMPORTANTS RETARDS
Le projet de réforme des retraites présenté en janvier 2020, et abandonné depuis,
prévoyait la transformation du SRE en établissement public administratif dans le contexte de
création d’un
régime universel de retraite auquel auraient été affiliés les fonctionnaires de
l’État
. Un rapprochement institutionnel était alors envisagé avec la CDC, gestionnaire de
plusieurs régimes de retraite de fonctionnaires.
C’est dans ce contexte que le SRE et la CDC,
confrontés à la nécessité de remplacer certaines de leurs applications informatiques
vieillissantes, ont décidé de mutualiser leurs SI sur les deux processus critiques que sont la
liquidation et le paiement des pensions.
M
algré l’abandon
des perspectives de rapprochement institutionnel entre le SRE et la
CDC, les deux parties ont confirmé leur projet de modernisation conjointe de leurs SI, qui a
fait l’objet d’un accord de coopération conclu en décembre 2020.
Le programme MutSI prévoit le développement de trois solutions applicatives
communes portant sur le référentiel des usagers, la liquidation et le paiement des pensions.
Son champ couvre 4,5 millions de fonctionnaires actifs, 3,2 millions de pensionnés et plus de
40 000 employeurs publics, ce qui représente plus de 116
Md€ de pensions versées
chaque
année.
À l’occasion de son
contrôle, la Cour a observé que, bien que la réglementation
1
impose depuis 2019 une saisine pour avis conforme de la direction interministérielle du
numérique (Dinum) de tous les projets informatiques
de l’État d’un montant supérieur à 9
M€,
le
SRE n’a pas soumis
le projet MutSI à cet examen malgré sa complexité et son budget initial
de 33
M€.
Par ailleurs, la Cour a constaté que le projet, lancé fin 2020, accusait un retard
significatif. Le
premier jalon, c’est
-à-dire le déploiement du référentiel commun des usagers, a
été repoussé en raison
d’obstacles qui n’avaient pas été correctement anticipés, comme la
difficulté à interconnecter des
systèmes d’information
disposant d’un très haut ni
veau de
sécurité. Initialement prévue en mars 2022, la mise en production a été repoussée au début
de l’année
2023.
Le développement des deux autres applications du projet (liquidation et paiement des
pensions) se heurte à des différences dans les processus métiers du SRE et de la CDC, qui
nécessitent des arbitrages sur les choix informatiques que
l’actuelle
direction de projet,
bicéphale,
s’avère dans l’incapacité
de rendre rapidement.
1
Décret n°2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d'information et de communication de l'Etat et à la
direction interministérielle du numérique
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Le déploiement de l’application de paiement devait commence
r le 1
er
janvier 2023 sur
un périmètre restreint,
comprenant les traitements attachés à la Légion d’honneur et à la
Médaille militaire ainsi que la retraite du combattant, soit environ 850 000 pensionnés. Cette
première étape, dont les conclusions sont déterminantes pour la suite du projet, a été
repoussée au printemps 2023.
Si l’application de paiement retenue est déjà utilisée par des
services de la CDC, la Cour observe que les centres de gestion des retraites de la DGFiP, en
charge du paiement des pensio
ns des fonctionnaires de l’État
,
n’ont pas été associés au
-delà
de
la phase de conception de l’application
,
ce qui ne permet pas de s’assurer de la bonne
prise en compte de tous leurs besoins
alors qu’ils en seront les premiers utilisateurs
.
Enfin, la signature
d’une convention d’exploitation régissant les relations entre les deux
commanditaires après la mise en service du
système d’information
, qui aurait dû intervenir mi-
2022, achoppe toujours sur plusieurs points (répartition des charges, réversibilité, propriété
intellectuelle
…
), ce qui illustre les divergences entre les intérêts de chaque structure et les
limites de leur partenariat à moyen et long termes.
2. DES SURCOÛTS ET DES DIFFICULTÉS QUI TRADUISENT UN DÉFAUT DE
PILOTAGE
Selon les informations transmises à la Cour, les retards déjà accumulés
sont à l’origine
d’
une augmentation du budget du projet, révisé à 45
M€ en avril 2022, soit une hausse de
35 % seulement 16 mois après la première estimation. Les décalages de calendriers décidés
durant l’année
2022 devraient également avoir un impact à la hausse sur le coût du projet.
Pour évaluer l’intérêt économique de l’opération, l
es études préalables
s’étaient
appuyées sur une comparaison entre les coûts de développement
et d’exploitation
d
’un SI
mutualisé
et ceux d’une modernisation simultanée des deux SI pris séparément
. Bien que
l
’investissement nécessaire à une solution mutualisée
soit supérieur à celui requis pour des
outils séparés, les économies réalisées
lors de la phase d’
exploitation devaient permettre un
retour sur investissement au bout d’un an et demi
.
L’augmentation du coût de construction du SI remet en question cet équilibre
économique et le projet pourrait se traduire par un net surcoût pour les deux entités,
in fine
supérieur à ce qu’aurait été le coût de deux projets conduits séparément
. Ce dépassement
budgétaire tient à plusieurs facteurs, à commencer par
l’abandon du projet initial de
rapprochement institutionnel entre le SRE et la CDC, qui, en pratique, a réduit les synergies
envisagées.
De plus, la complexité technique et organisationnelle du projet a été sous-estimée lors
des études préalables, comme l’illustrent les nombreux obstacles rencontrés par les équipes
dans la fiabilisation des données, l’intégration d
es règles de gestion propres à chaque entité
et le raccordement des différentes applications métiers.
Enfin, certains choix se sont écartés des hypothèses de départ, comme la
mutualisation seulement partielle des référentiels et de la base carrière entre les deux entités
du fait de différences jugées trop profondes dans les processus métiers.
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L
es difficultés et les retards constatés aujourd’hui sont aussi la conséquence de
défaillances de pilotage. La direction de projet fait intervenir des acteurs nombreux : le projet
MutSI étant un partenariat égalitaire entre la CDC et la DGFiP, cette direction est partagée
entre la DGFiP, le SRE, la filiale informatique de la Caisse des dépôts (ICDC) et la direction
des politiques sociales de la CDC. Le programme implique par ailleurs plus de 150 agents
implantés sur quatre sites, en charge de trois projets conduits suivant deux méthodes
différentes (« cycle en V » et « agile »). La complexité de cette organisation a été soulignée
par des audits externes réalisés en 2022, qui ont identifié des risques concernant la longueur
des chaînes de décision, la relation de confiance entre le SRE et la CDC et la capacité à traiter
les sujets urgents et importants à travers une gestion des risques simplifiée.
3. LA NÉCESSITÉ
D’
UNE REPRISE EN MAIN URGENTE DU PROJET
Pour se prémunir contre tout risque de nouveau retard et de dérive du coût du projet,
une reprise en main urgente est nécessaire
, qui doit commencer par l’explicitation et la
validation par les commanditaires des objectifs stratégiques et opérationnels du programme
afin de s’assurer de la pertinence de sa poursuite.
Le pilotage technique et budgétaire du projet doit être renforcé sans attendre,
notamment par la désignation d’un chef de projet aux responsabilités clairement
identifiées,
habilité à prendre les décisions et arbitrages nécessaires au bon achèvement du projet et au
respect de ses objectifs fonctionnels, du budget arrêté et des délais.
Enfin, une fois ses modalités techniques, organisationnelles et financières actualisées
sur la base des travaux déjà réalisés, la Cour recommande de soumettre le projet à l’examen
de la Dinum.
Par conséquent, la Cour formule les recommandations suivantes :
Recommandation n °1 °
(direction générale des finances publiques, direction de la sécurité
sociale, Caisse des dépôts et consignations) :
S’assurer de la pertinence des objectifs
stratégiques et opérationnels du programme de mutualisation des SI et renforcer sa
gouvernance technique et budgétaire, notamment en désignant un chef de projet responsable
de sa bonne fin dans le respect des coûts et des délais ;
Recommandation n° 2
° (direction générale des finances publiques, direction de la sécurité
sociale, Caisse des dépôts et consignations) : Soumettre le projet à une évaluation technique,
organisationnelle et financière de la Dinum.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois,
prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
2
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
•
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
2
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
•
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
•
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport annuel de suivi des recommandations. Ce compte rendu
doit être adressé à la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné
convenue entre elle et votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici