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PRÉSENTATION À LA PRESSE
DU RAPPORT SUR LES ENSEIGNEMENTS
DU PROGRAMME EXCEPTIONNEL D’INVESTISSEMENTS
EN FAVEUR DE LA CORSE
Jeudi 8 juin – 9h30
Salle des conférences
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie vivement de votre présence en Grand ’chambre, pour la présentation du
rapport d’évaluation portant sur le programme exceptionnel d’investissements (PEI) en
faveur de la Corse.
J’ai grand plaisir à vous présenter ce rapport important et inédit sur un
objet de politique publique unique.
Il s’agit en effet d’une évaluation de grande qualité, qui atteste la dynamique que j’ai
souhaité insuffler au sein des juridictions financières en faveur du développement des
travaux d’évaluation des politiques publiques.
Cette évaluation de politique publique est la
troisième que la Cour publie cette année et elle confirme l’élan que nous donnons à ce type
de contributions, avec l’objectif d’y consacrer 20 % de notre activité en 2025.
Ensuite, il s’agit de la première évaluation que la Cour consacre, avec la chambre régionale
des comptes (CRC) de Corse, au territoire corse.
Avec Philippe
Hayez
, président de cette
formation
inter-juridictions,
et
Philippe
Sire,
président
de
la
CRC,
je
remercie
chaleureusement l’ensemble des rapporteurs, dont la rapporteur générale, Perrine
Tournade
, conseillère référendaire, rapporteur général adjoint, Stéphane
Keïta
, conseiller
maître en service extraordinaire, Vincent
Launay
, conseiller référendaire en service
extraordinaire, Frédéric
Leglastin
, président de section à la CRC de Corse et Guy
Murati,
vérificateur à la CRC de Corse, ainsi que Philippe-Pierre
Cabourdin
, conseiller maître.
Tout entier tourné vers l’opérationnel, ce rapport apporte un éclairage sur un dispositif
aux enjeux majeurs pour la Corse
: le programme exceptionnel d’investissements (PEI) en
faveur de la Corse, à l’occasion de la fin de ce programme engagé il y a plus de 20 ans, et
alors même que l’État a décidé de poursuivre cette politique d’investissements
exceptionnels
dans
le
cadre
d’un
nouveau
plan,
le
plan
de
transformation
et
d’investissement pour la Corse (PTIC), qui s’est substitué au PEI depuis janvier 2021.
2
Comme vous le savez peut-être, l’évaluation de politique publique se distingue des
enquêtes menées par la Cour par plusieurs caractéristiques et en premier lieu par sa
démarche de nature partenariale
avec ce que nous appelons les « parties prenantes » de
l’action évaluée. Avec l’appui d’un comité d’accompagnement à la composition très riche,
avec
des
administrations
nationale
et
territoriale,
des
associations,
des
experts
universitaires, il s’est agi ici de conduire un questionnement sur les motivations, les
réalisations, l’exécution du programme et sur ses impacts pour en tirer des enseignements,
en relever les enjeux et les bonnes pratiques, afin d’éclairer les futurs projets
d’investissement de l’État, non seulement en Corse mais plus largement, dans les territoires
bénéficiant de tels partenariats entre l’État et les collectivités territoriales.
L’ambition était de pouvoir établir un constat partagé et un diagnostic de la situation qui
caractérise ce dispositif
, en apportant des réponses aux principales questions posées – que
nous appelons des « questions évaluatives » -, et en particulier aux trois questions
suivantes :
-
dans quelle mesure les conditions de conception et de mise en œuvre du PEI ont-
elles permis d’inscrire ce programme dans la durée ?
-
les objectifs du PEI en matière de réalisations ont-ils été atteints ?
-
les effets socio-économiques et environnementaux du PEI sont-ils significatifs ?
Pour répondre à ces questions, la Cour a travaillé sur 11
monographies sectorielles
, qui
accompagnent le rapport et permettent d’avoir une réponse détaillée.
Je vais donc, et avant de répondre à vos questions, vous présenter les idées fortes de ce
rapport qui :
-
souligne le caractère novateur et exceptionnel du PEI ;
-
rappelle le rôle qu’a joué le PEI dans la croissance corse depuis 2002 ;
-
ainsi que les limites que présente le plan et les recommandations qui peuvent être
formulées sur cette base.
1.
Le programme exceptionnel d’investissements a constitué, à plusieurs égards, un
« programme-charnière » pour la Corse
Tout d’abord, le PEI a catalysé des évolutions majeures pour l’investissement public en
Corse, et pour les relations entre l’État et la collectivité de Corse.
En premier lieu, le lancement, en 2002, du PEI, a constitué une avancée considérable après
plusieurs années de blocages politiques, économiques et administratifs qui avaient retardé
les investissements indispensables au développement économique de la Corse.
À la fin des
années 1990, si le diagnostic posé sur les handicaps qui freinent le développement de la
Corse —dont, au premier chef, l’insularité et le relief— était établi depuis plusieurs
décennies, les mesures proposées pour y remédier, en termes d’infrastructures et
d’équipements, n’avaient pas été mises en œuvre, faute de consensus sur la finalité du
développement économique et sur la stratégie territoriale associée.
Le PEI a donc été, pour l’État, la preuve d’un engagement historique en faveur de la Corse.
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Le PEI a constitué une étape d’autant plus significative qu’il a accompagné l’élargissement
des compétences de la collectivité de Corse dans le cadre du « processus de Matignon »
des années 1999 et 2000
. Le programme a été instauré par l’article 53 de la loi du 22 janvier
2002 relative à la Corse, dans le cadre d’une nouvelle dévolution de compétences à la
collectivité et témoigne de la démarche de co-construction qui l’a caractérisé pour ses trois
grands axes - «
renforcer les infrastructures de base, améliorer les services collectifs et mettre
en valeur l’espace régional
».
Le PEI est ensuite exceptionnel à plusieurs titres, par rapport à d’autres actions de
développement cofinancées par l’État et les collectivités et témoigne d’une attention
soutenue de l’Etat :
-
son adoption
, d’abord, a été validée par le Parlement ;
-
son montant
, ensuite, est élevé et sa durée prolongée, avec 2 Md€ d’investissements se
déployant sur 20 ans, même si des paiements restent à réaliser jusqu’en 2026 ;
-
son taux de subvention par l’État
est également exceptionnel, atteignant 70 % ;
-
et
sa gouvernance
, enfin, est particulière. Elle a été partagée entre l’État et la CdC au
sein d’un comité régional de programmation des aides (Corepa), instance préexistante
de programmation des projets financés par les crédits du contrat de plan État-régions et
les fonds européens, qui a été chargée en l’espèce de la sélection et de la coordination
des aides. Les crédits d’une ligne budgétaire unique, puis du programme budgétaire 162
-
Interventions territoriales de l'État
, ont été gérés de manière déconcentrée par le
préfet.
Ce mode de gouvernance correspondait à la responsabilisation de la CdC voulue par la loi
de 1991. Cette gouvernance a été une des clés de réussite. Ce qui est assez remarquable
dans ce programme c’est que durant deux décennies, malgré les changements politiques
tant à Paris que dans l’île, ce partenariat n’a jamais été interrompu et a vu la réalisation
de près de 700 projets de développement.
2.
Appuyé sur ces caractéristiques exceptionnelles, le PEI a accompagné le
développement des infrastructures et la croissance économique en Corse
Au terme de deux décennies, ce programme a manifestement contribué à mieux équiper
la Corse et à mettre à niveau ses infrastructures.
La qualité du réseau routier principal s’est
significativement améliorée. Les chemins de fer ont de nouveau trouvé un public.
L’alimentation en eau potable est bien meilleure – même si d’importants besoins persistent
dans des communes rurales – et des efforts ont été réalisés pour mettre aux normes les
stations d’épuration. Au total, les axes de programmation visant le rattrapage peuvent
aujourd’hui être considérés comme globalement réalisés.
Le PEI a également accompagné la croissance économique du territoire.
Durant la période
de mise en œuvre du PEI, la population corse a cru de près d’un tiers, pour atteindre 340 000
habitants en 2019, pendant que l’activité économique de l’île, mesurée par son PIB,
augmentait de 56 % entre 2000 et 2018. Le PEI a contribué à ce dynamisme par
l’intermédiaire de deux mécanismes. En premier lieu, l’investissement public généré par les
740 M€ de subventions de l’État et de ses opérateurs mandatés a représenté environ 1 % du
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PIB de la Corse, soutenant notamment le secteur du BTP. Ces investissements ont également
conforté la qualité globale de l’offre touristique.
Subsidiairement, la mise en œuvre du PEI a amené les collectivités locales les plus
importantes, mais aussi les entreprises, à se moderniser et à développer leurs capacités de
conduite de projets.
Si la contribution du PEI à la croissance corse ne fait aucun doute, comme je viens de
l’exposer, l’évaluation précise de ses effets est rendue difficile par l’absence de dispositif
de mesure de l’impact du PEI.
La conception du programme en 2001 traduit en effet le
faible intérêt concret témoigné à l’époque à la mesure de la performance des programmes
opérationnels. Très peu d’indicateurs quantitatifs ou qualitatifs ont ainsi été mis en place
pour mesurer les effets du PEI. Dans les projets et rapports annuels de performance, le seul
indicateur retenu est le délai de réalisation des projets, qui permet de suivre l’avancement
du PEI mais n’apporte pas d’éléments sur son efficacité en matière de développement. La
comparaison avec d’autres territoires est par ailleurs rendue difficile du fait du caractère
insulaire et de la pression touristique qui nécessite de calibrer certaines infrastructures
publiques pour faire face aux pointes de fréquentation, notamment dans l’extrême sud de
l’île.
3.
Malgré ces réalisations, la mise en œuvre du PEI aurait pu être plus performante
Dans un contexte de croissance économique favorable, les investissements du PEI n’ont
pas représenté pour la Corse, le « choc » d’aménagement et de transformation attendu
. La
mise en valeur des atouts de l’île, tout comme la résorption de ses fragilités, demeurent un
sujet pendant du débat public.
Dans un certain nombre de domaines, la Corse ne dispose toujours pas des infrastructures
qui lui sont nécessaires, notamment parce que certains enjeux, comme ceux liés à
l’environnement, n’occupaient pas la même place dans les priorités des politiques publiques
d’alors ou parce que les acteurs locaux ne sont pas parvenus à s’accorder sur les décisions à
prendre. Le tri et l’élimination des déchets, la rationalisation des installations portuaires, la
desserte intérieure par les transports en commun, l’alimentation en électricité mais aussi la
formation professionnelle restent en attente d’une inscription dans la stratégie de
développement de l’île.
Je vais, si vous me le permettez, m’attarder quelques instants sur l’exemple de la gestion
des déchets, sur laquelle le bilan du PEI apparaît particulièrement lacunaire.
La mise aux
normes des décharges, partiellement financée par le PEI, n’a pas résolu de manière durable
les difficultés de traitement et de valorisation des déchets. La Corse connaissait au début des
années 2000 un retard manifeste quant aux installations dédiées au traitement des déchets
avec une seule décharge exploitée dans le respect des normes règlementaires alors
applicables. Depuis 2015, la Corse connaît une situation de tension permanente pour le
traitement ultime de ses déchets, ce qui a d’ailleurs conduit, en 2020, à l’envoi sur le
continent d’une partie de ceux-ci, faute d’autre solution !
5
Or, durant la deuxième partie de la décennie 2010, le PEI, pourtant mobilisé à compter de
2007 pour doter l’île d’équipements structurants en ce domaine, n’a pas été en mesure,
faute de projets aboutis, de financer les nouveaux équipements nécessaires.
Ce manque d’équipements structurants place la gestion des déchets en Corse sous très
fortes contraintes puisqu’en 2023, l’île ne dispose que de deux centres d’enfouissement
dont la capacité administrative annuelle maximale de stockage est insuffisante pour
répondre au volume de déchets à traiter. Leur exploitation intensive réduit leur durée de vie,
ce qui pose la question de la sécurisation des capacités de stockage disponibles en Corse
après 2025.
Ces lacunes trouvent à s’expliquer par des difficultés tenant à la fois au pilotage
stratégique et à la mise en œuvre du PEI.
D’une part, le pilotage du PEI s’est caractérisé par des difficultés d’ordre stratégique.
L’établissement des priorités a été lacunaire, ces dernières ayant souvent été dictées plus
par la maturité des projets que par leur importance stratégique, alors que d’autres
investissements, sélectionnés dès l’origine, ont mis plus de dix ans à être réalisés, voire ont
été dépriorisés. Le pilotage s’est concentré sur la programmation des subventions davantage
que sur le suivi de la réalisation des opérations ou sur leur performance. Les évaluations
prévues n’ont pas été réalisées et les bilans d’exécution attendus n’ont pas été présentés au
Parlement. Enfin, et de façon peut-être plus déterminante, les acteurs locaux ont eu des
difficultés à porter ensemble des stratégies partagées. Face aux investissements massifs du
PEI, la nécessité d’augmenter la capacité d’ingénierie publique locale avait pourtant bien été
identifiée dès les « Accords de Matignon » de 1999-2000. Or, malgré l’engagement financier
important de l’État, le volet « assistance à maîtrise d’ouvrage » du PEI n’a presque pas été
sollicité par les maîtres d’ouvrage. Les moyens proposés à cette fin par le PEI n’ont pas été
bien employés, souvent parce que des désaccords persistants ont empêché les projets
d’aboutir, comme l’illustrent les nombreuses études pour la mise à niveau du port de Bastia.
D’autre part, le PEI a souffert de plusieurs difficultés d’ordre opérationnel.
Les délais pour
concevoir, décider et réaliser les opérations ont été souvent trop longs. Les opérations ont
été réalisées dans un contexte de faible mise en concurrence.
Dans la logique d’évaluation qui est la sienne, le rapport s’est appuyé sur les
enseignements du PEI en faveur de la Corse pour émettre des recommandations valables
pour tout plan d’investissement de cette nature et de cette ampleur afin de garantir sa
bonne mise en œuvre.
Ces recommandations trouveront notamment à se décliner dans la fin du PEI qui, même si
sa programmation est close, conduira à des dépenses qui seront exécutées jusqu’en 2026
,
mais surtout dans le plan de transformation et d’investissement pour la Corse (PTIC), qui a
succédé au PEI à partir de 2021
. Ce dernier prévoit une nouvelle participation de l’État de
550 M€ pour une durée de cinq à sept ans. Trois ans après son lancement, le PTIC ne repose
cependant toujours pas sur un document commun bien que près de la moitié de son
enveloppe soit déjà engagée. La difficulté pour les acteurs de s’accorder sur sa mise en
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œuvre trouve notamment son origine dans la rupture avec l’esprit de compromis installé par
le PEI.
À ces égards, le rapport souligne notamment la nécessité de :
1. créer un référentiel commun correspondant à un plan accepté par l’ensemble des parties ;
2. mettre en œuvre une gouvernance partenariale permettant la cogestion de l’effort
financier ;
3. assurer une capacité de pilotage technique attentive à l’absorption des projets par les
maîtres d’ouvrage ;
4. prévoir une mesure de l’efficience des projets financés et pas seulement du respect de la
programmation ou de la consommation des crédits ;
5. concevoir une mesure de l’impact des projets en termes socio-économiques ;
6. garantir la transparence des décisions d’investissement tant au regard de la
représentation nationale que des citoyens.
***
Voici, Mesdames et Messieurs, les principaux constats et recommandations de ce rapport.
La Cour n’a pas vocation à être l’arbitre des relations entre l’État et les collectivités de la
République
. Le jugement des juridictions financières, assis sur une méthodologie rigoureuse,
se veut équilibré et je crois qu’il est véritablement objectif, étayé et équilibré. Et il porte
avant tout sur un partenariat entre l’État et la collectivité.
Ce rapport n’a en rien vocation à s’immiscer dans les négociations actuelles sur l’avenir de
la Corse.
Le PEI est la réponse apportée par l’État à un diagnostic partagé sur les retards
chroniques d’investissement en Corse, qui a donc bénéficié d’un accompagnement
exceptionnel pendant plus d’un quart de siècle. Cette démarche aura contribué à forger une
culture de projets et appris à l’État et la CdC à travailler ensemble. Il faut en retenir une
avancée de taille !
Au-delà même des enjeux du territoire corse, les enseignements du PEI devraient
bénéficier à l’ensemble des plans de soutien à un territoire identifié
, pour encourager l’État
à assortir ses programmes d’investissement, lorsqu’ils sont contractualisés avec les
collectivités territoriales, d’une démarche évaluative, tant en termes de méthode qu’en
termes de suivi. Outre les impacts environnementaux, techniques et sociaux de ces
programmes, il conviendrait d’intégrer la mesure de leurs effets auprès des bénéficiaires
directement et indirectement concernés, c’est-à-dire, les bénéficiaires, les contribuables, les
citoyens !
Je me tiens maintenant à votre disposition, avec l’équipe, pour répondre à vos questions.