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Le 24 mars 2023
Le Premier président
à
Madame Élisabeth Borne
Première ministre
Réf. : S2023-0271
Objet
: La gestion publique des risques
En application des dispositions de l'article L. 111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a procédé à une analyse en profondeur de la gestion publique des risques, de sa
gouvernance, des processus qu’elle met en
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uvre et de son adaptation à l’évolution des
risques auxquels fait face la société française. Le résultat détaillé de ces travaux donnera lieu,
parallèlement à la publication du présent référé, à celle d’un rapport public thématique.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R. 143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et
recommandations suivantes.
L’État est amené à gérer de nombreux risques – naturels, technologiques, sanitaires,
cyber, etc. – auxquels la Nation est confrontée. Il le fait dans le cadre de filières sectorielles
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spécialisées par nature de risques. Il existe pourtant des pratiques de bonne gestion
communes applicables à ces différentes filières, ainsi qu’une interdépendance croissante des
risques qu’elles prennent en charge.
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Parmi lesquelles ont fait l’objet d’une instruction approfondie de la Cour celles mises en
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uvre par
les ministères
de la transition écologique et de la cohésion des territoires (direction générale de la prévention des risques –
DGPR), de l’intérieur et des outre-mer (direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises –
DGSCGC), de la santé et de la prévention (direction générale de la santé – DGS), les préfectures de département,
et les organismes publics qui leur sont associés (agences régionales, services et directions départementaux).
Cour des comptes – Référé n°S2023-0271
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La Cour estime qu’une bonne mise en
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uvre des principes de la gestion des risques
suppose un pilotage interministériel effectif et efficace, seul à même d’assurer la cohérence
globale des actions de ces filières, dans une acception large du concept de sécurité nationale.
Parallèlement, sur le plan budgétaire, la lisibilité d’ensemble de l’action gouvernementale est
indispensable si l’on veut arbitrer en toute connaissance de cause, entre ces différentes
filières, en fonction de l’ampleur des risques qu’elles gèrent et de l’exposition des finances de
l’État à chacun d’eux.
Cette comparaison organisée des différents risques et des réponses qui leur sont
apportées sont, en outre, le meilleur moyen de diffuser, dans l’État, une culture véritablement
partagée de la gestion des risques. Or le pilotage interministériel est quasiment inexistant,
tandis que la diversité des dispositifs mis en
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uvre, et l’absence de mesure de l’exposition
des finances publiques à ces risques, ne permettent pas de disposer d’une vision d’ensemble
des risques pris en charge par la puissance publique.
1. L’ACTION DU SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DE LA DÉFENSE ET DE LA
SÉCURITÉ NATIONALE (SGDSN) EST EFFECTIVE POUR PLANIFIER LA
RÉPONSE AUX CRISES LES PLUS GRAVES, MAIS SON EFFICACITÉ EST
LIMITÉE PAR L’INTÉRÊT INSUFFISANT QU’Y PORTENT LES MINISTÈRES
CONCERNÉS
L’action du Gouvernement en matière de sécurité nationale
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relève du Premier
ministre, assisté à cet effet par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale
(SGDSN)
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.
Le SGDSN est chargé de la planification de niveau gouvernemental, national et
interministériel, en prévision de la survenance des crises les plus graves ; il élabore à cet effet
des plans relatifs à diverses catégories de risques. Des plans de défense complètent le
dispositif. Cette planification nationale est déclinée territorialement par les ministères
compétents, en particulier au travers du dispositif Organisation de la Réponse de Sécurité
Civile (ORSEC), dont la coordination méthodologique est assurée par la direction générale de
la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur (DGSCGC).
Le SGDSN organise chaque année des exercices majeurs
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afin de tester les différents
plans gouvernementaux et d’évaluer la capacité de l’État à faire face aux situations de crise
identifiées. Ils sont complétés, le cas échéant, par les exercices ORSEC programmés par la
DGSCGC. Toutefois, les travaux de la Cour ont mis en évidence des limites à l’efficacité de
ces exercices : en particulier, la participation des ministères à un niveau trop subordonné ne
permet pas aux futurs « décideurs » de la gestion de crise de s’exercer, ni de profiter
réellement du retour d’expérience dégagé de ces exercices.
2. FAUTE DE COORDINATION, LA CONNAISSANCE ET LA PRÉVENTION DES
RISQUES
RELÈVENT
PRESQUE
EXCLUSIVEMENT
DES
FILIÈRES
SECTORIELLES
En matière de connaissance des risques, le champ potentiel de la sécurité nationale
est vaste et l’ensemble des risques identifiés par le gouvernement est mentionné dans les
Livres blancs de la défense et de la sécurité nationales. Toutefois, il s’agit de documents de
niveau stratégique qui détaillent peu les objectifs et modalités du traitement des risques.
L’identification fine de chaque catégorie de risques relève, en général, de la compétence des
ministères concernés.
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Définie par l’article L. 1111-1 du code de la défense comme ayant pour objet «
d'identifier l'ensemble des menaces
et des risques susceptibles d'affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la
population, l'intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses
que les pouvoirs publics doivent y apporter
».
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Articles L. 1131-1 et R*. 1132-3 du code de la défense.
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Directive interministérielle relative à la politique nationale d’exercices de défense et de sécurité,
NOR PRMZ20049008C.
Cour des comptes – Référé n°S2023-0271
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Ceux-ci déclinent des types de risques identifiés, au niveau stratégique, et les adaptent
aux spécificités locales, ce qui occasionne la production d’un grand nombre de documents
territoriaux sans véritable cohérence. L’information qu’ils contiennent ne fait pas l’objet de
synthèses. De ce point de vue, le SGDSN – comme d’ailleurs les administrations centrales –
assure uniquement une coordination méthodologique.
Les activités du SGDSN en matière de gestion des risques relèvent du champ réduit
des risques vitaux (en ce qu’ils peuvent porter atteinte à la continuité de l’action de l’État) et
de la seule activité de la préparation de la réponse aux crises correspondantes (planification
et, pour le cas unique du terrorisme NRBC
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, gestion capacitaire).
En ce qui concerne la gestion des risques, la Cour a constaté que le SGDSN considère
que ne lui revient aucune mission de coordination, ni de mise en cohérence des différentes
politiques publiques conduites par les ministères. L’identification des moyens budgétaires et
des changements opérationnels nécessaires pour leur répondre relève par ailleurs, selon lui,
de la responsabilité de chaque ministère. De même, en-dehors des cas où il produit des plans
gouvernementaux, il n’assure aucune coordination des planifications sectorielles qui
incombent aux ministères compétents (dispositifs ORSEC, ORSAN, etc.) ; il ne prépare pas
les plans relatifs à la sécurité des opérateurs, dont la responsabilité incombe également aux
ministères concernés.
Il en résulte que l’articulation entre, d’une part, la gestion des risques majeurs, qui
relève d’orientations ministérielles et de plans locaux dans le périmètre de chaque filière et,
d’autre part, la prise en charge du risque courant au niveau local, relève de la compétence
exclusive des filières ministérielles, voire de l’action des collectivités territoriales. De même,
les activités d’indemnisation sont assurées directement par le secteur assurantiel privé (risque
courant), éventuellement encadré et complété, pour chacune des filières ministérielles
concernées, par des dispositifs publics (en cas de risque majeur).
En-dehors de quelques cas spécifiques, il n’existe donc au sein de l’État aucune
fonction générale de mise en cohérence des divers dispositifs de gestion publique des risques.
Il n’y a pas de « second regard » d’ensemble sur les choix sectoriels opérés par les ministères,
susceptible de fournir une vision synthétique des risques gérés par l’État et des réponses qu’il
leur apporte.
3.
AU-DEL
À
DE
LEUR
IMPACT
SUR
LES
RESSOURCES
PUBLIQUES,
L’
É
VOLUTION DES RISQUES APPELLE UNE VISION D’ENSEMBLE DE LA
« GESTION DES RISQUES » PAR LA PUISSANCE PUBLIQUE
Au-delà de l’évolution naturelle des risques « historiques », à laquelle les ministères
concernés tentent d’adapter leurs actions, chacun pour ce qui le concerne, de nouveaux
risques, diffus et transversaux, apparaissent ; cela invite les pouvoirs publics à penser leur
action de façon plus globale. En effet, un nombre croissant de risques relève conjointement
de plusieurs filières et leur gestion de modalités spécifiques, qui débordent le champ des
filières traditionnelles, pour faire appel à des organisations
ad hoc
.
Il devient de plus en plus nécessaire d’inscrire ces dispositifs ad hoc dans un cadre
méthodologique et organisationnel qui puisse faire converger réellement les réponses
spécialisées aux risques. Un cadre interministériel général, dans lequel les méthodes
sectorielles seraient utilisées sous l’égide d’une même autorité, permettrait enfin d’unifier et
de consolider les multiples interactions normatives et financières de l’État avec ses opérateurs
et ses partenaires privés en matière de gestion des risques.
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Ce qui constitue une régression importante depuis 2020 – Cour des comptes,
La mise à jour du contrat général
interministériel en matière de sécurité civile
, référé au Premier ministre, octobre 2019.
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De même, certains phénomènes globaux induisent une mutation profonde des risques,
dans leurs modalités d’occurrence comme dans leur interdépendance. C’est en particulier le
cas du changement climatique, dont les premières manifestations concernent les catastrophes
naturelles ainsi que bien d’autres catégories de risques, notamment sanitaires, dont l’impact
à long terme concernera l’ensemble de l’économie et, plus généralement, l’ensemble de
l’activité humaine. Appréhender globalement de tels phénomènes nécessite de dépasser les
dispositifs sectoriels – par exemple l’indemnisation, au titre de l’état de catastrophe naturelle,
des dommages liés au retrait-gonflement des argiles, ou encore la mise en place d’une
surveillance spécifique de certaines maladies tropicales, dans le sud du territoire
métropolitain – au profit d’une vision réellement interministérielle et globale.
Dans cette perspective, l’inventaire complet des risques, la priorisation des mesures à
prendre – ne serait-ce que concernant les ressources budgétaires allouées – et la bonne
harmonisation des actions entreprises par les différents acteurs sont indispensables à la
conception et à la mise en
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uvre d’une politique efficace de gestion des risques.
Cette démarche constitue un préalable à toute décision déterminant jusqu’où aller –
sur le plan financier et organisationnel – dans le développement de politiques publiques
destinées à répondre aux risques, en régime ordinaire comme en situation de catastrophe. Un
regard interministériel doit aussi permettre de s’assurer de la cohérence des choix opérés, en
assurant à la fois un niveau commun de compétence technique et de méthode, ainsi que la
bonne articulation de chaque décision sectorielle avec les autres politiques traitant des mêmes
risques.
La définition du rôle et des compétences de cet échelon interministériel de gestion des
risques pourrait faire l’objet d’un large débat public, y compris au niveau parlementaire, ainsi
que d’une validation politique en conseil de défense et de sécurité nationale pour ses éléments
les plus sensibles.
Ces considérations ont fait l’objet de nombreuses observations et recommandations
de la Cour
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comme du Conseil d’État, de l’Assemblée nationale et de missions relatives à
l’évaluation de la gestion particulière de certains risques ou crises, visant pour l’essentiel à
renforcer le rôle du SGDSN. L’intérêt d’une coordination plus forte de la gouvernance des
politiques publiques de gestion des risques découle de la notion stratégique de
sécurité
nationale
, prise dans son acception la plus large. Une autorité de gestion des risques de niveau
gouvernemental et chargée d’une coordination renforcée face aux risques majeurs gérés par
les filières ministérielles, placée auprès du Premier ministre, à l’instar des « centres de
Gouvernement » dont l’OCDE relève l’existence au sein de la plupart de ses membres
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,
répondrait à cet enjeu.
À défaut du SGDSN, qui ne semble pas prêt à jouer ce rôle, de nombreuses pistes sont
susceptibles d’être explorées pour définir l’autorité centrale d’évaluation indépendante qui
devrait remplir cette fonction. Cette autorité, disposant de capacités d’expertise et d’une
autorité propre, devrait être en mesure d’interagir avec le Parlement et les opérateurs externes
présentant des compétences particulières de gestion des risques. Elle devrait viser à
développer une approche globale, interministérielle, des enjeux sécuritaires et financiers liés
à la gestion des risques.
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Cour des comptes,
L’État face à la gestion des risques naturels
, rapport public annuel 2009
: «
accroître la
cohérence des politiques publiques en instituant, pour les risques naturels, un référent national doté de prérogatives
de coordination en matière de prévention ainsi qu’en matière de gestion des risques
».
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Cour des comptes,
L’organisation et les missions du secrétariat général du Gouvernement (SGG)
, référé au
Premier ministre, janvier 2022.
Cour des comptes – Référé n°S2023-0271
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La Cour formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1 :
définir, mettre à jour et publier tous les cinq ans une carte globale
des risques auxquels la Nation est exposée, le coût de leur gestion pour l’ensemble des
acteurs impliqués et le niveau des risques résiduels ;
Recommandation n° 2 :
créer un « responsable national de la gestion des risques » rattaché
à la Première ministre, chargé de coordonner et d’harmoniser les dispositifs sectoriels de
gestion des risques.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévus à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
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.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport annuel sur ce thème. Ce compte rendu doit être adressé à
la Cour selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre
elle et votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
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La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante :
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf.
arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).