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4
ème
CHAMBRE
S2023-0230
2
ème
SECTION
OBSERVATIONS DÉFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE,
ALLEMANDE ET
BRITANNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE
AU DEVELOPPEMENT »
Exercices 2015-2021
Le présent document
, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 19 janvier 2023.
En application de
l’article L
. 143-1 du code des juridictions financières, la communication de
ces observations est une prérogative de la Cour des comptes, qui a seule compétence pour
arrêter la liste des destinataires.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMAND
E ET BRITANNIQUE D’A
IDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
2
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
.....................................................................................................
8
1
DES EVOLUTIONS CONTRASTEES DU VOLUME DE
L’AIDE SELON
LES PAYS
............................................................................................................
13
1.1.1 Des pays bénéficiaires classés par catégories
..................................................
13
1.1.2 Deux méthodologies successives
....................................................................
14
1.1.2.1
Jusqu’en 2017, l’APD flux
...................................................................................
14
1.1.2.2
À partir de 2018, l’équivalent
-don
.......................................................................
15
1.2
Entre 2010
et 2021 : d’importants efforts en Allemagne, une progression en
France et une décrue au Royaume-Uni en fin de période
..............................
15
1.3
En 2020 et 2021 : une croissance forte en Allemagne et en France, un recul
au Royaume-Uni
............................................................................................
17
2
DES SIMILITUDES ENTRE LES STRATEGIES FRANÇAISE ET
ALLEMANDE, UNE SINGULARITE BRITANNIQUE
...................................
21
2.1
Des différences entre les trois pays dans l’orientation de l’aide
....................
21
2.1.1 Répartition par destinataire
.............................................................................
21
2.1.2 Répartition par groupe de revenu
....................................................................
22
2.1.3 Répartition par type de dépenses
.....................................................................
24
2.1.4 Répartition par thématiques
............................................................................
25
2.2
En Allemagne et en France, une volonté partagée de ciblage qui rencontre
des limites
.......................................................................................................
27
2.2.1 En France, une stratégie encadrée par une loi de programmation
...................
27
2.2.2 En Allemagne, une tentative de refondation par le ministère chargé de la
coopération
......................................................................................................
32
2.3
Une coopération étroite de l’Allemagne et de la France avec l’Union
européenne
.....................................................................................................
34
2.3.1
L’enjeu européen
.............................................................................................
35
2.3.2 Les difficultés de la programmation conjointe
................................................
36
2.3.3 La perspective ouverte par les « équipes Europe »
.........................................
38
2.4
Au Royaume-
Uni, une approche intégrée et sélective au service d’une
logique d’influence
.........................................................................................
41
2.4.1 Une coopération qui a changé de cap
..............................................................
41
2.4.2 Des choix qui imposent des redéploiements stratégiques
...............................
43
3
DES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS HETEROGENES
............................
46
3.1
Un ministère unique, une absence d’opérateur
public au Royaume-Uni
.......
48
3.1.1 La fusion des ministères chargés des affaires étrangères et de la coopération 48
3.1.2
Une absence d’agence publique de mise en œuvre
.........................................
49
3.2
Un ministère principalement responsable, deux agences de mise en œuvre en
Allemagne
......................................................................................................
50
3.2.1 Un ministère pivot
...........................................................................................
50
3.2.2
Deux agences d’exécution
...............................................................................
50
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQUE D
’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
3
3.3
Une agence de développement puissante en France : le groupe AFD
...........
52
3.3.1
Au sein de l’État, un partage des responsabilités entre deux ministères
.........
52
3.3.2 Un
e unique agence publique de mise en œuvre
..............................................
53
3.3.3 Une articulation encore imparfaite
..................................................................
54
3.3.4 Les enseignements de la comparaison avec les dispositifs allemand et
britannique
.......................................................................................................
56
4
DES DIFFERENCES DANS LE CHOIX DES INSTRUMENTS
......................
60
4.1
Les Britanniques et les Allemands plus enclins aux dons que les Français ...60
4.2
Un investissement massif e
t original de l’Allemagne dans l’assistance
technique
........................................................................................................
63
4.3
Une utilisation bilatérale du canal multilatéral par l’Allemagne et
le
Royaume-Uni, à laquelle la France se refuse
.................................................
65
4.3.1
Des différences dans l’orientation de l’aide vers le canal multilatéral
............
65
4.3.2
Une bilatéralisation d’une partie significative de l’aide multilatérale
allemande et britannique
.................................................................................
67
4.3.3
Une opposition de principe de la France au fléchage de l’aide multilatérale
.. 69
4.3.4 Le cas de la Banque mondiale
.........................................................................
70
4.3.5 Le cas des fonds verticaux
..............................................................................
72
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
4
SYNTHÈSE
Les politiques d’aide publique au développement (APD), inaugurées dans les années
1960, ont des racines économiques, morales, géopolitiques, territoriales. Moins unilatérales que
ce que les termes qui les désignent suggèrent, elles s’inscrivent dans des logiques de
coopération et de solidarité.
Après des progrès significatifs dans les années 1970 et 80, les volumes financiers qui
leur sont dévolus ont stagné dans l
es années 1990, avant d’être réorientés à la hausse dans les
années 2000 et 2010. En 2015, l’adoption des 17 objectifs de développement durable (ODD) et
l’accord de Paris ont consacré l’intégration des priorités climatiques et de la protection des biens
pu
blics mondiaux dans les politiques d’APD.
Des contrastes dans le volume de l’aide
Le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE définit la notion d’aide publique
au développement (APD) de manière rigoureuse, afin que la comptabilisation des contributions
des pays qui la fournissent soit homogène.
Les pays admissibles au bénéfice de l’AFD sont identifiés par leur niveau de revenu
national brut (RNB) par habitant, et classés en quatre catégories, selon leur pauvreté relative.
Jusqu’en 2018, l’APD était
calculée par différence entre les ressources apportées par les
bailleurs et les remboursements de prêts effectués par les bénéficiaires. Ce calcul aboutissait à
dégager ce que l’on appelait «
l’APD flux
». À partir de 2018 a été appliquée la méthode de
« l
’équivalent don
», seule étant comptabilisée la part des prêts accordée à des taux inférieurs à
ceux du marché.
Sur une longue période qui commence en 2010, l’Allemagne a fourni beaucoup
d’efforts, en particulier entre 2013 et 2016 et à partir de 2019. C’est aujourd’hui le deuxième
donateur mondial, après les Etats-
Unis. La part de son RNB affectée à l’APD a dépassé 0,7%.
La France a accru son aide à partir de 2016, et cette augmentation a été particulièrement
sensible en 2020. Bien que n’affectant encore
, en 2021, que 0,51
% de son RNB à l’APD
1
, elle
devance désormais, tant en pourcentage qu’en valeur absolue, le Royaume
-Uni.
Le volume de l’aide fournie par ce pays a en effet baissé dans des proportions
importantes en 2020 et surtout 2021, alors que sa contribution avait toujours été jusque-là de
0,7% de son RNB.
1
Donnée transmise par la DGT en attente de validation par l’OCDE
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
5
Une singularité britannique dans l’approche stratégique
L’examen des stratégies définies et mises en œuvre par les trois pays comparés fait
apparaître des similitudes entre les approches française
et allemands, ainsi qu’une singularité
britannique.
Des différences caractérisent la répartition de l’aide. Les dix premiers pays
bénéficiaires, d’un pays à l’autre, ne sont pas les mêmes. Le Royaume
-Uni soutient davantage
les pays les moins avancés (PMA)
et l’action humanitaire que la France et l’Allemagne. Cette
dernière se distingue par l’importance de l’aide qu’elle consacre à l’assistance de programme.
Mais la France et l’Allemagne ont en commun d’avoir redéfini récemment leurs
stratégies respectives, la première à travers une loi de programmation de 2021, préparée par un
travail interministériel, la seconde en confiant à son ministère de la coopération la conduite
d’une réforme managériale. Dans les deux cas, la volonté de cibler l’effort, sur les plan
s
géographique et sectoriel, rencontre des limites.
Ces deux pays collaborent étroitement avec l’Union européenne, par ailleurs, dans la
définition et la mise en œuvre d’une politique partagée d’APD. Depuis 2020, les «
initiatives
équipes Europe » fournissent un cadre de travail adapté, dont la modularité et le pragmatisme
facilitent l’affichage d’une plus grande cohésion entre Européens. Cette nouvelle dynamique se
substitue progressivement au processus plus ancien, lourd et contraignant, de la
« programmation conjointe ».
Les Britanniques, quant à eux, ont changé de cap. La conception sociale qu’ils avaient
de l’APD avait déjà été
affectée par la prise en compte, à partir de 2015, des enjeux climatiques
et de la protection des biens publics mondiaux. Elle a été profondément modifiée par la vision
globale promue par le Premier ministre Boris Johnson, qui rassemble défense, renseignement,
économie et coopération dans une même stratégie d’influence. La baisse considérable et rapide
des volumes de l’aide bilaté
rale, enfin, contribue à une modification des paradigmes
historiques.
Des dispositifs institutionnels hétérogènes
Si les stratégies d’action de la France et de l’Allemagne ont des traits communs, tandis
que la stratégie britannique est plus singulière, les dispositifs institutionnels des trois pays sont
fondamentalement hétérogènes.
Depuis qu’il a fusionné, en 2020, ses ministères chargés des affaires étrangères et de la
coopération, le Royaume-
Uni ne s’appuie plus que sur un seul département ministériel po
ur sa
politique d’APD. Ce département est d’autant plus puissant que les Britanniques ne disposent
pas d’une agence publique de mise en œuvre. À Londres comme dans les pays partenaires, ce
sont les organismes multilatéraux et le secteur privé, tantôt les entreprises, tantôt les ONG, qui
démultiplient l’aide britannique.
En Allemagne, le ministère de la coopération joue un rôle-pivot. Ses compétences,
distinctes de celles du ministère des affaires étrangères, lui donnent une grande latitude
d’action. Malgré l’importance des moyens dont elles disposent, les deux agences de mise en
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
6
œuvre que sont la KfW pour la coopération financière et la GiZ pour la coopération technique
sont placées sous son contrôle étroit.
Le dispositif français, quant à lui, se caractéris
e par la montée en puissance d’une agence
de développement, le groupe AFD, qui prend en charge une part essentielle de la conception de
la politique d’APD et la quasi
-
intégralité de sa mise en œuvre. L’autonomie dont dispose cette
agence est favorisée par le partage des compétences, au sein des administrations centrales, entre
le ministère chargé des affaires étrangères et celui chargé des finances. Des évolutions doivent
être envisagées, tant dans le pilotage de la politique que dans l’organisation des amb
assades,
pour que toutes les conséquences de ces choix soient tirées.
Des différences dans le choix des instruments
L’examen des instruments utilisés par les trois pays pour appliquer leurs politiques
d’APD fait apparaître la préférence du Royaume
-Uni pour le don, qui est partagée en partie par
l’Allemagne. Mais l’Allemagne, comme la France, continue de faire transiter un volume
important d’aide par des prêts.
Dans les pays partenaires, l’assistance technique déployée par la coopération allemande
est massi
ve. Entre la GiZ et Expertise France, le rapport des chiffres d’affaires est de un à dix
et
le rapport des effectifs de un à vingt. À la lumière de ce constat, un rééquilibrage, en France,
entre la coopération financière et la coopération technique, devrait être envisagé.
La comparaison franco-allemande est éclairante également quand on examine
l’orientation de l’aide multilatérale, qui, dans le cas de l’Allemagne, bénéficie davantage aux
organismes dépendant des Nations-Unies et de la Banque mondiale que dans le cas de la France,
qui se tourne plus volontiers vers les « fonds verticaux ».
Allemands et Britanniques se rejoignent par ailleurs pour pratiquer une forme de
« bilatéralisation » de leurs contributions volontaires aux organismes multilatéraux, en en pré-
affectant une proportion significative, au bénéfice des secteurs ou des pays qu’ils jugent
prioritaires. Les Français se refusent par principe à ce « fléchage
», considérant qu’il dénature
le multilatéralisme. Le précédent de «
l’Initiative
», dans le cadre du Fonds mondial, montre
néanmoins que cette position peut connaître des exceptions et suggère que d’autres
assouplissements puissent être envisagés.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQ
UE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
7
RECOMMANDATIONS
Recommandation n°
1
(MEAE, DGT, AFD)
: Lors du réexamen de la convention entre l’État
et l’AFD
prévue par son article 21, instaurer un rendez-vous biennal de revue par pays des
programmes et projets passés, en cours ou envisagés, en liaison avec le conseil local de
développement, et alléger en contrepartie les obligations de l’Agence en matière de c
ompte
rendu à court terme (six mois ou un an).
Recommandation n°
2
(MEAE, DGT) : Désigner les responsables
pays de l’AFD,
officiellement, comme les conseillers des ambassadeurs pour l’APD, au sein d’une équipe
France dans laquelle le
conseiller pour la coopération et l’acti
on culturelle (COCAC)
conserverait ses compétences en matière culturelle et linguistique et dans la coopération
éducative et scientifique.
Recommandation n°
3
(MEAE, DGT)
: Revoir au bénéfice de l’aide technique la répartition
de l’APD entre la coopération financière et la coopération technique, en amplifiant l’effort
visant à orienter davantage de moyens publics vers Expertise France.
Recommandation n°
4
(MEAE, DGT) : Au regard des pratiq
ues constatées de l’Allemagne et
du Royaume-
Uni, et de l’efficacité reconnue de «
l’Initiative
», assouplir chaque fois que
possible la doctrine traditionnelle française, opposée à la pré-affectation des contributions
volontaires versées aux organisations multilatérales.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
8
INTRODUCTION
Les politiques d’aide publique au développement (APD) ont commencé à se déployer
dans les années 1960, lorsque la notion de « Tiers-monde »a été popularisée. Selon les
historiens spécialisés, ces politiques se sont enracinées dans quatre terreaux
2
.
La première racine est
économique
, le diagnostic fondateur étant que les pays pauvres
souffriraient d’un déficit d’épargne. Pour combler ce déficit, le prix Nobel d’économie Jan
Tinbergen estimait, sur la base des chiffres de 1963,
que 0,62 % du PIB des pays de l’OCDE
devait être investi dans les pays en développement, sous la forme de dons ou de prêts. Cette
idée a été reprise en 1969 par la commission Pearson, nommée par Robert McNamara, président
de la Banque mondiale, qui a prop
osé que l’APD soit portée à 0,7
% du PNB. L’objectif a été
retenu par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1970. Il figure dans les objectifs du
Millénaire de 2000, comme dans les objectifs de développement durable (ODD) de 2015.
La deuxième racine est
morale
. À la fin des années 1950, le Conseil œcuménique des
églises (COE) a contribué à la construction d’un discours favorable à une répartition plus
égalitaire des richesses. Sa proposition, adressée à la communauté internationale en 1958, était
de transférer 1 % du revenu des pays riches aux pays en développement. Le
leitmotiv
était
d’étendre aux échanges entre pays la redistribution à l’œuvre, à l’intérieur des pays développés,
entre les riches et les pauvres. La logique est ici celle du « partage du fardeau »
(burden
sharing
).
La troisième racine est
géopolitique
, l’aide publique au développement étant analysée
comme un levier d’influence. Ainsi les États
-Unis, dans un contexte de guerre froide, ont vu
dans l’APD un levier pour contribuer à l’endiguem
ent du communisme. Pour la France, à
l’inverse, le soutien apporté à ses anciennes colonies était un moyen de maintenir son
rayonnement et de contrecarrer l’influence américaine.
Enfin la quatrième racine peut être qualifiée de «
territoriale
». Selon cette approche,
l’essor de l’aide publique au développement va de pair avec l’idée d’une mise en valeur
nécessaire des vastes territoires des pays en développement. Cette idée, pour partie
néocoloniale, s’est manifestée par exemple, en Afrique, dans des pr
ojets ambitieux comme les
grands périmètres irrigués ou le développement des chemins de fer.
La notion traditionnelle d’aide publique au développement, qui correspond à celle de
« Official Development Assistance » (ODA)
,
est concurrencée de longue date par des approches
qui insistent sur le caractère réciproque de la relation que l’on veut désigner. En France, le
ministère de la coopération
a été créé dès 1959, avant d’être absorbé par le ministère chargé
des affaires étrangères en 1998. L’OCDE, de son côté, utilise couramment l’expression
« Development
Cooperation »
,
que
l’on
peut
traduire
par
«
coopération
pour
le
développement
», tandis qu’en Allemagne, le ministère spécialisé est le
Bundesministerium für
wirtschaftliche Entwicklung und Zusammenarbeit
, dénomination qui allie le développement
2
Les développements qui suivent s’inspirent notamment des travaux d’Hubert de Milly, conseiller à la
direction de la stratégie de l’AFD.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
9
économique et la coopération. En France enfin, la notion de
« développement solidaire »
est
régulièrement mise en avant, jusqu’à figurer dans l’objet de la dernière loi de programmation,
celle du 4 août 2021. Le document de politique transversale (DPT), enfin, évoque
« la politique
française en faveur du développement »
, tandis que la mission qui en forme le cœur est
dénommée
« aide publique au développement ».
Dans le cadre de la présente enquête, l’expression
« aide publique au développement »
a été conservée, mais elle recouvre en réalité la diversité de ces approches.
Cette
enquête s’inscrit dans la continuité des travaux antérieurs de la Cour sur l’aide
publique au développement, qui intégraient des éléments de comparaisons internationales.
Ainsi :
-
Dans un paragraphe intitulé
«
l’exception française
»
, le rapport 58-
2 d’octobre 2010
sur
«
la place et le rôle de l’agence française de développement (AFD) dans l’aide
publique au développement »
met en évidence les diffé
rences de statut et d’insertion
institutionnelle des agences de développement française, britannique, nord-américaines
et allemande, soulignant
a contrario
les similitudes entre l’AFD et la
Japan
International Cooperation Agency (JIPA)
.
-
Le rapport public thématique de juin 2012 sur
«
la politique française d’aide au
développement
analyse les singularités françaises, au regard de l’observation des
modèles des États-
Unis, de l’Allemagne et du Royaume
-Uni. Il regrette notamment
«
l’organisation tripartite mal
articulée »
à laquelle aboutissent les contributions du
ministère chargé des affaires étrangères, du ministère de l’économie et de l’AFD.
-
Dans l’enquête
, conclue par un référé du 16 décembre 2022 à la Première ministre, sur
«
la contribution française à l’
aide publique au développement dans le domaine de la
santé »
, la stratégie et les efforts français sont situés par rapport à ceux des autres grands
pays, et en particulier l’Allemagne, qui cherche à s’imposer comme le chef de file des
contributeurs européens.
-
Les observations définitives sur le fonds d’investissement et de soutien aux entreprises
en Afrique (FISEA) de juillet 2020 prennent appui sur les points de repère que
fournissent les outils équivalents au FISEA aux Pays-Bas et en Allemagne.
Pour étudi
er la mise en œuvre concrète des politiques d’aide publique au
développement, la meilleure source, sur le plan international, est le comité d’aide au
développement (CAD) de l’OCDE. C’est celle qui est principalement utilisée dans le cadre de
la présente en
quête. Créé en 1960, un an avant l’OCDE, le CAD regroupe aujourd’hui, parmi
les 38 pays membres de l’Organisation, les 30 pays dont le montant d’aide, rapporté au revenu
intérieur brut, est le plus élevé. Tout en étant hébergé par l’OCDE, il dispose d’une
large
autonomie, n’ayant pas à rendre compte de son activité, par exemple, à la conférence des
ambassadeurs.
La référence aux chiffres du CAD permet de réaliser une comparaison sur le fondement
de données validées selon les critères homogènes, le travail du CAD permettant en effet, en
principe, de neutraliser les différences d’approches susceptibles d’exister entre la définition et
le périmètre des crédits consacrés à l’APD dans chacun des trois pays.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
10
La définition retenue par le CAD identifie l’APD à
«
l’
aide fournie par les États dans
le but exprès de promouvoir le développement économique et d’améliorer les conditions de vie
dans les pays en développement ».
Les prêts et crédits consentis à des fins militaires sont exclus.
Selon le CAD, l’APD intègre tou
s les apports de ressources
3
fournis aux pays et territoires
figurant sur une liste de pays bénéficiaires, ou à des institutions multilatérales, et qui répondent
aux critères cumulatifs suivants :
-
émaner d’organismes publics, y compris les États et les c
ollectivités locales, ou
d’organismes agissant pour le compte d’organismes publics ;
-
avoir pour but essentiel de favoriser le développement économique et l’amélioration
du niveau de vie des pays en développement et, en outre, être assortie de conditions favorables.
Tableau n° 1 :
Types d’aide pris en compte dans les statistiques de l’OCDE
A
Soutien budgétaire
A01
Soutien budgétaire général
A02
Soutien budgétaire sectoriel
B
Contributions aux budgets réguliers des organisations, programmes et
financements groupés
B01
Contributions aux budgets réguliers des ONG, autres organismes privés,
partenariats public-privé (PPP) et instituts de recherche
B02
Contributions aux budgets réguliers des institutions multilatérales
B03
Contributions à des programmes ou fonds à objectif spécifique gérés par des
partenaires d'exécution
B04
Fonds communs/financements groupés
C
Interventions de type projet
D
Experts et autres formes d’assistance technique
D01
Personnel du pays donneur
D02
Autres formes d’assistance technique
E
Bourses et autres frais d’étude dans les pays donneurs
E01
Bourses/formations dans le pays donneur
E02
Coûts imputés des étudiants
F
Allégement de la dette
G
Frais administratifs non inclus ailleurs
H
Autres dépenses dans le pays donneur
H01
Sensibilisation au développement
H02
Refugiés/demandeurs d’asile dans les pays donneurs
H03
Demandeurs d’asile
finalement acceptés
H04
Demandeurs d’asile finalement déboutés
3
La notion d’« apport de ressources » s’entend au sens d’un transfert financier, qui se matérialise par un
versement monétaire. Les prêts, les dons et les prises de participation publics remplissant les critères énoncés par
le CAD sont comptabilisables en APD, contrairement, par exemple, aux garanties publiques. En outre, certaines
dépenses en faveur de ressortissants de
pays éligibles à l’aide domiciliés dans le pays donneur sont
comptabilisables en APD, tels les frais de scolarité d’étudiants étrangers (écolages) ou d’aide aux réfugiés.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITA
NNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
11
H05
Personnes auxquelles le statut de réfugié a été accordé
Source : CAD - OCDE
L'APD peut emprunter la voie bilatérale, en étant dispensée directement par un donateur
à un bénéficiaire, ou transiter par un organisme multilatéral comme l’ONU, la Banque
mondiale, une banque régionale ou un fonds thématique
ad hoc
dit « vertical ». Elle prend la
forme de dons, de prêts assortis de conditions de faveur ou d'apports d'assistance technique.
Les évolutions du volume d’APD sur longue période sont contrastées.
Après une stagnation dans les années 1960, l’APD consentie par les pays membres du
c
omité d’aide au développement de l’OCDE progresse significativement dans les années 1970
et 1980, malgré les crises pétrolières et les crises de la dette. Dans les années 1990, le
ralentissement de la croissance du PIB mondial et l’atténuation de la concur
rence sur le plan
géopolitique, du fait de l’éclatement du bloc soviétique, conduisent en revanche à une
diminution sensible des volumes d’APD.
L’adoption par l’assemblée générale des Nations Unies, en 2000, des «
objectifs du
Millénaire », relance la dyna
mique de l’aide publique au développement. Ces objectifs portent
sur les thématiques traditionnelles de la lutte contre la pauvreté, de l’éducation et de la santé,
mais aussi sur l’égalité homme
-femme et le développement durable. Les engagements souscrits
au cours de différents sommets internationaux (Monterrey en 2002, Gleneagles en 2005)
permettent de faire de la décennie 2000-2010 la plus généreuse de toutes, marquée par une
croissance moyenne annuelle de l’APD de 5,7%, alors que celle du PIB des pays dé
veloppés
n’est que de 1,7 %.
L’effet décalé de la crise financière de 2008 explique le recul constaté en 2011 et 2012.
Dès 2013, l’APD rebondit, pour atteindre un sommet en 2016, en raison notamment de
l’accroissement du coût de la prise en charge des réf
ugiés dans les pays donateurs, qui est
comptabilisée dans le calcul de l’APD. Si les volumes d’APD ont légèrement diminué en 2017
et 2018, on observe une reprise en 2019 et 2020, malgré l’épreuve du Covid.
Dans la dernière période, l’année 2015, dominée par le programme d’action d’Addis
-
Abeba et l’accord de Paris sur le climat, marque un tournant. À Addis
-Abeba a été adopté
«
l’Agenda 2030
», définissant 17 objectifs pour le développement durable (ODD), qui se sont
substitués aux objectifs du Millénaire. Les thèmes des objectifs du Millénaire sont repris et mis
à jour, mais une insistance nouvelle apparaît sur le progrès social, la réduction des inégalités et
la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. L’accord de Paris, par ailleurs,
infl
uence les politiques d’aide publique au développement en faisant du climat une thématique
dominante.
Dans ce paysage général, les politiques française, allemande et britannique connaissent
des évolutions qui portent la marque de l’histoire de ces trois pay
s, ainsi que de leurs ambitions
respectives. Les données de politique intérieure expliquent aussi, pour partie, les différences
constatées dans la conception même de l’aide publique au développement et dans les stratégies
mises en œuvre. L’enjeu du présent
rapport, fondé sur trois études de cas, est d’identifier les
ressemblances et les différences entre les politiques de la France et de deux de ses grands
voisins, de manière à éclairer l’analyse des politiques d’aide publique au développement
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
12
conduites dans notre pays et à tirer des leçons des bonnes pratiques constatées au-delà de nos
frontières. L’accent est porté sur les éléments marquants de la décennie 2010 et du début de la
décennie 2020, et singulièrement sur le tournant de 2015 et ses effets.
Méthodologie de l’enquête
En dehors du travail d’exploitation des données du CAD de l’OCDE, des échanges ont eu lieu
avec la direction générale de la mondialisation (DGM), la direction générale du Trésor (DGT), l’agence
française de développement (AFD). Des contacts ont été noués avec le secrétariat général des affaires
européennes (SGAE), la direction de l’Union européenne du MEAE, la représentation permanente et les
services de la Commission à Bruxelles. Une coopération a été tentée avec la direction des Nations Unies
et des organ
isations internationales (NUOI) du Quai d’Orsay.
Des rendez-
vous ont été pris par ailleurs à l’OCDE. En Allemagne, des échanges ont eu lieu
avec le ministère de la coopération (BMZ) et la banque de développement (KfW), au Royaume-Uni
avec le ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et de la coopération (FCDO).
Enfin, un échantillon de pays a été constitué, après consultation de la direction générale de la
mondialisation, de la direction générale du Trésor et de l’Agence française de développement
, fondé
notamment sur des critères géographiques, de taille, de niveau de développement et de contraste entre
les influences respectives des trois bailleurs. Des missions sur place ont ainsi eu lieu au Kenya, en RDC
et en Indonésie. Des missions à distance ont été organisées à Madagascar et en Colombie.
Après une présentation des données essentielles à la compréhension du sujet (partie 1),
les choix effectués dans les trois pays stratégies sont étudiés, tant à propos de leurs stratégies
d’action (partie 2)
que des instruments qu’ils utilisent (partie 3). Les dispositifs institutionnels
mis à contribution, enfin, sont analysés et discutés (partie 4).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
13
1
DES EVOLUTIONS CONTRASTEES DU VOLUME DE
L’AIDE
SELON LES PAYS
La manière, définie par le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE dont
l’aide publique au développement est comptabilisée, a changé en 2018
: le principe n’est plus,
depuis cette date, de retracer les flux nets d’aide, mais de mesurer l’équivalent en dons de
l’ensemble des avantages consentis
par les pays bailleurs. Pour obtenir des séries longues
homogènes, il faut donc retraiter les chiffres récents.
Quoi
qu’il en soit, l’examen des statistiques de l’OCDE montre que, depuis 2010,
l’Allemagne a accompli des efforts importants, et qu’en fin de
période l’aide française a
augmenté, et l’aide britannique diminué. En 2020 et 2021, ces tendances se sont accentuées,
l’Allemagne et la France faisant beaucoup progresser leurs contributions, tandis que le
Royaume-Uni laissait décroître rapidement la sienne.
Pour procéder à une comparaison des efforts d’APD de la France et de ses deux voisins,
il convient de recourir à une méthodologie commune d’élaboration des statistiques. Cette
méthodologie commune est fournie par le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE.
Elle est fondée sur la notion de « pays bénéficiaires
», objectivée dans une liste. L’aide elle
-
même a été calculée sur la base des flux financiers jusqu’en 2017, avant de reposer, à partir de
2018, sur une évaluation de son équivalent-don.
1.1.1
Des pays bénéficiaires classés par catégories
La
liste des pays admissibles au bénéfice de l’APD établie par le CAD
s’a
ppuie sur le
revenu national brut (RNB) par habitant. Elle intègre tous les pays qui, selon ce critère, sont
considérés par la Banque mondiale comme disposant d’un revenu faible ou intermédiaire et
comprend, de ce fait, tous les pays les moins développés tels que définis par les Nations Unies.
La liste, révisée tous les trois ans, se caractérise par une grande diversité de situations. Elle
distingue quatre types de pays :
les pays les moins avancés (PMA) ;
les autres pays à faibles revenus (PFR) ;
les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (PRITI) ;
les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (PRITS).
Les PMA et les PFR ont en commun d’avoir disposé en 20
20
d’un RNB par habitant de
moins de 1 045 USD par an. Selon la définition de 2003 du conseil économique et social des
Nations Unies, les PMA se distinguent, de plus, par :
un retard dans le développement, mesuré par un indice combinant des indicateurs de
santé, de nutrition et de scolarisation ;
une vulnérabilité économique, mesurée par un indice plus complexe encore que le
précédent.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
14
En 2022 et 2023, 46 pays appartienn
ent au groupe des PMA. Sous l’effet de leur
croissance économique, six pays en sont sortis depuis 1994, et sept autres doivent en principe
le quitter d’ici 2026. Sur
les 46 pays recensés en 2022, 33 se situent sur le continent africain,
neuf en Asie, trois en Océanie et un aux Antilles.
Les pays bénéficiaires de l’APD dits «
autres pays à faibles revenus
» (PFR) n’étaient
que deux en 2020 : la République populaire démocratique de Corée (Corée du Nord) et le
Zimbabwe.
En 2022, les pays et territoires à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (PRITI)
étaient ceux dont le RNB par habitant était compris, en 2026, entre 1 046 et 4 095 USD. Ils
étaient au nombre de 36, répartis dans le monde entier.
Enfin, les pays et territoires à revenu intermédiaire de la tranche supérieure (PRITS)
étaient en 2022 ceux qui, en 2020
, disposaient d’un RNB par habitant compris entre
4 096 et
12 69
5 USD. C’est dans cette catégorie que la
liste des bénéficiaires était la plus longue,
puisqu’ils étaient au nombre de 56. S’y trouvaient des pays dont l’image est très éloignée de
celle des PMA, comme l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Iran, la Malaisie, le Mexique, la
Thaïlande, la Turquie.
Lors du réexamen triennal qui s’est tenu en 2020, le CAD a décidé un report
exceptionnel d’un an de la mise à jour qui devait s’appliquer en 2021, à quelques ajustements
près. La prochaine révision de la liste est prévue pour 2023.
1.1.2
Deux méthodologies successives
1.1.2.1
Jusqu’en 2017, l’APD flux
Jusqu’en 2017, les prêts étaient exprimés sur la base des flux financiers, selon la
méthodologie de l’APD flux (
ODA
4
Net
en anglais), selon la terminologie de l’OCDE
.
L’APD
était définie par le CAD comme l’ensemble des
« apports de ressources qui sont fournis aux
pays et territoires sur la liste des bénéficiaires d’APD, ou à des
institutions multilatérales
, et
qui répondent aux critères suivants :
émaner d'organismes publics, y compris les États et les collectivités locales, ou
d'organismes agissant pour le compte d'organismes publics ;
sachant que chaque opération doit en outre :
-
« avoir pour but essentiel de favoriser le développement économique et l'amélioration
du niveau de vie des pays en développement ;
4
ODA :
Official Development Assistance
, équivalent anglais d’aide publique au déve
loppement (APD)
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
15
-
être assortie de conditions favorables et comporter un élément de libéralité au moins
égal à 25 % (sur la base d'un taux d'actualisation de 10 %) ».
Les remboursements étaient soustraits de leur valeur nominale totale au fur et à mesure
de leur arrivée.
1.1.2.2
À partir de 2018, l’équivalent
-don
À partir de 2018, est appliquée la méthodologie de l’équivalent
-don
(Grant Equivalent
Measure)
.
Seule est comptabilisée la part des prêts accordée à des taux inférieurs à ceux du
marché. Les dons, prêts et autres apports entrant dans le calcul de la mesure de l’équivalent
-
don de l’APD sont désignés par l’expression
« apports
d’APD
».
En outre, pour qu’un prêt soit identifié comme relevant de l’APD, les
« conditions
favorables »
reposent désormais sur le constat que l’élément
-
don est d’au moins
:
45 % dans le cas de prêts bilatéraux au secteur public des PMA et autres PFR (sur la
base d’un taux d’actualisation de 9 %)
;
15 %
dans le cas des prêts bilatéraux au secteur public des PRITI (sur la base d’un taux
d’actualisation de 7 %)
;
10 % dans le cas d
es prêts bilatéraux au secteur public des PRITS (sur la base d’un taux
d’actualisation de 6 %)
;
10 % dans le cas des prêts aux institutions multilatérales
(sur la base d’un taux
d’actualisation de 5 % pour les institutions mondiales et les banques multila
térales de
développement et 6 % pour les autres organisations.
1.2
Entre 2010
et 2021 : d’importants efforts en Allemagne, une
progression en France et une décrue au Royaume-Uni en fin de
période
Pour comparer les évolutions de l’APD sur longue période, le CA
D a recours à la
méthode de l’APD
-flux, y compris au-delà de 2017, de manière à présenter des données
homogènes. Sur la période 2010-
2021, l’effort d’APD représente pour ces trois pays plus d’un
tiers (605,4 Md$
) du montant total de l’APD comptabilisée au titre du CAD de l’OCDE
(1 723,7 Md$) :
Tableau n° 2 :
Effort d’APD des trois pays
(APD flux)
En Md$*
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
**
Total
France
12,3
11,7
11,6
10,5
9,8
9,8
10,5
12
12,9
12,5
16
16
145,6
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET
BRITANNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
16
En Md$*
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
**
Total
Allemagne
13,2
13,5
13,2
13,8
15,8
20
27,4
26,7
25,7
25
29,3
29,5
253,1
Royaume-Uni
13,4
13,4
13,4
17,1
17,2
17,8
19,2
19,9
20,2
20,6
19,3
15,2
206,7
Total CAD
129,1
127,9
123,1
129,6
131,7
139,8
155,2
154,9
151,3
150,6
162,6
167,9
1 723,7
Source : OCDE données(data.oecd.org). * USD constants ** 2021 données provisoires
Depuis 2010, l’évolution générale dans les pays parties prenantes du CAD, est marquée
par :
un premier plateau statistique entre 2010 et 2014, années pendant lesquelles l’APD totale
oscille entre 125 et 130 Md$ ;
une progression nette entre 2014 et 2016, l’année 2015 apparaissant donc, sous l’angle
du volume d’aide, comme une année charnière
;
un second palier, situé autour du seuil de 150 Md$, entre 2016 et 2021 ;
enfin, à partir de 2020, alors que l’effort de la France et de l’Allemagne augmente pour
arriver à un niveau jamais atteint depuis 2010,
a contrario
celui du Royaume-Uni
diminue pour revenir à un montant inférieur à celui versé en 2011.
Graphique n° 1 :
Effort d’APD France, Allemagne et Royaume
-Uni 2010-2021
(APD flux)
Source : OCDE données(data.oecd.org). * 2021 données provisoires.
En Allemagne, la progression a commencé dès 2013. Elle a été très importante entre
2015 et 2021 (+ 47,5 %), malgré un léger tassement entre 2016 et 2019. C’est surtout la crise
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
17
des réf
ugiés de 2015 qui a fait bondir l’APD allemande, en augmentation de 38 % en 2016 par
rapport à 2015. Un saut se serait produit en 2020, l’augmentation atteignant 19,7 % cette année
-
là.
Une progression forte de l’APD apparaît aussi en France entre 2015 et
2021
(+ 63,3 %), Elle est moindre cependant que la hausse allemande, mais plus importante que la
baisse qui avait été constatée entre 2010 et 2015. Sous réserve de confirmation, lorsque les
données définitives seront disponibles, le volume de l’aide française aurait augmenté d’un tiers
en 2020.
Si un certain parallélisme peut être constaté entre les évolutions française et allemande,
le contraste est franc en revanche avec celle du Royaume-
Uni. L’APD britannique, qui avait
connu une hausse significative entre 2010 et 2015 (+ 28,4 %), a diminué entre 2015 et 2021
(+14,6 %). Il est vrai qu’entre 2013 et 2020, le Royaume
-Uni a consacré invariablement à
l’APD, chaque année, 0,70 % de son revenu national brut, alors que l’Allemagne n’a atteint
cette proportion
qu’en 2016 et à partir de 2020. La France, de son côté, se situe à des niveaux
inférieurs
: elle n’a franchi le seuil des 0,50 % qu’en 2020, pour la première fois depuis 2010.
1.3
En 2020 et 2021 : une croissance forte en Allemagne et en France, un
recul au Royaume-Uni
Les données publiées par l’OCDE montrent qu’en 2020, en équivalent
-
don, l’APD
consentie par les pays membres du CAD s’est établie à 162,2
Md$, en augmentation de 3,5 %
par rapport à 2019, atteignant le niveau le plus élevé jamais enregistré jusque-là. Selon les
chiffres provisoires diffusés par l’OCDE, ce record a été battu en 2021 (169,2
Md$), la
progression anticipée étant de 4,3 % cette année-là.
L’OCDE explique ce bon résultat par deux facteurs
:
le soutien apporté par les membres du CAD aux
activités de lutte contre l’épidémie de
Covid-19 et pour une reprise mondiale inclusive ; ainsi, hors coût des vaccins, la hausse
de l’APD en 2021 n’aurait été que de 0,6 %
;
l’augmentation des prêts souverains bilatéraux consentis par quelques membres
accordant des prêts.
En valeur absolue, la France est en 2021 le quatrième pays donateur, loin derrière les
États-
Unis et l’Allemagne, juste après le Japon et, pour la première fois, juste avant le
Royaume-Uni. Les donateurs du G7 ont fourni, en 2021, 76 % de
l’APD totale, l’Union
européenne 45 %.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
18
Graphique n° 2 :
APD équivalent-don des principaux pays donateurs (En Md$)
Source : OCDE données(data.oecd.org). * 2021 données provisoires
En proportion du revenu national brut (RNB), un progrès a été enregistré en 2020 par
rapport à 2019, le ratio passant de 0,30 à 0,33 % pour l’ensemble du CAD. Il a été facilité par
la baisse du PIB, qui a atteint 4,6 % dans la zone OCDE cette année-là. Mais alors que le
contexte de récession permettait à l’Allemagne et France d’améliorer s
ensiblement la part du
RNB consacrée à l’APD, l’Allemagne dépassant même l’objectif de 0,7 %, le Royaume
-Uni se
contentait de maintenir son ratio à 0,7 %. Le PIB britannique ayant chuté de 9,9 % en 2020
(contre 4,6 % en Allemagne et 8,2 % en France), ce ma
intien à 0,7 % du RNB signifie qu’en
2020, l’APD consentie par le Royaume
-Uni a chuté de près de 10 %.
Tableau n° 3 :
Effort d’APD entre 2018 et 2021, en valeur relative (équivalent
-don)
APD/RNB
en %
2018
2019
2020
2021
Turquie
5
1,10
1,15
1,14
0,95
Suède
1,07
0,96
1,14
0,92
Luxembourg
0,98
1,03
1,03
0,99
Norvège
0,94
1,03
1,11
0,93
5
Selon cette présentation, la Turquie se trouve dans la situation paradoxale de bénéficier de flux d’APD
substantiels (c’est le dixième pays bénéficiaire de l’APD française, par exemple) et d’apparaître comme le premier
pays pourvoyeur d’APD. Toutefois, la Turquie n’étant pas membre à part entière du CAD, mais seulement membre
observateur, les statistiques qui la concernent doivent être observées avec prudence.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
19
APD/RNB
en %
2018
2019
2020
2021
Allemagne
0,61
0,61
0,73
0,74
Royaume-Uni
0,70
0,70
0,70
0,50
France
0,43
0,44
0,53
0,52
Total OCDE
0,31
0,30
0,33
0,33
Source : OCDE données(data.oecd.org).
En 2021, l’Allemagne a maintenu son ratio au
-
dessus de 0,7 %, tandis qu’il diminuait
légèrement pour la France, passant à 0,52 %, et plus fortement pour le Royaume-Uni, à 0,5 %.
Cette évolution contrastée, inscrite dans un contexte de forte hausse du PIB pour les trois pays
(2,9 % pour l’Allemagne, 6,8 % pour la France et 7,4 % pour le Royaume
-Uni), a été et
caractérisée par une augmentation des montants d’APD pour l’Allemagne (6,3 %) et la France
(4,6 %) et
a contrario
une forte baisse pour le Royaume-Uni (- 21,5 %), confirmant, pour ce
pays, la rupture de tendance observée en 2020.
La baisse du volume de l’aide britannique, confirmée en 2021, répond à l’objectif
assumé par le cabinet Johnson de faire passer l’APD de 0,
7 à 0,5 % du revenu national brut,
compte tenu de l’impact économique de la pandémie. Selon le National Audit Office (NAO)
6
,
cette décision s’est traduite par une réduction de 30 % des dépenses, qui sont passées de 14,5 à
10,3 Mds£, ramenant le volume d’AP
D britannique à son niveau de 2012. Elle est présentée
comme susceptible d’être revue dans les années qui viennent, si une amélioration de la
conjoncture économique le permettait. Pour la mettre en œuvre, le FCDO, d’après la même
source, a appliqué des critères clairs. Il a consulté ses représentants dans les pays partenaires,
de manière à prendre en compte les performances respectives des programmes en cours. Mais
il n’a pas pu éviter, compte tenu de l’importance et de la soudaineté de l’effort demandé, de
rendre des arbitrages douloureux qui ont conduit, dans certains cas, à mettre un terme
prématurément à des projets ou à réduire des programmes performants.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE définit la notion d’
aide publique
au développement (APD), afin que la comptabilisation des contributions des pays qui la
fournissent soit homogène. Cette définition constitue, pour les pays donateurs, une référence
commune.
6
Rapport
Managing reductions in Official Development Assistance spending
, NAO, 31 mars 2022,
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMAND
E ET BRITANNIQUE D’A
IDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
20
Les pays admissibles au bénéfice de l’AFD sont ident
ifiés par leur niveau de revenu
national brut (RNB) par habitant, et classés en quatre catégories, selon leur pauvreté relative.
Jusqu’en 2018, l’APD était calculée par différence entre les ressources apportées par
les bailleurs et les remboursements de prêts effectués par les bénéficiaires. Ce calcul
aboutissait à dégager ce que l’on appelait «
l’APD flux
». À partir de 2018 a été appliquée la
méthode de «
l’équivalent
-don », seule étant comptabilisée la part des prêts accordée à des
taux inférieurs à ceux du marché.
Sur une longue période qui commence en 2010, l’Allemagne a fourni beaucoup
d’efforts, en particulier entre 2013 et 2016 et à partir de 2019. C’est aujourd’hui le deuxième
donateur mondial, après les Etats-Unis. La part de son RNB affectée à
l’APD a dépassé 0,7 %.
La France a accru son aide à partir de 2016, et cette augmentation a été
particulièrement sensible en 2020. Bien que n’affectant encore que 0,52 % de son RNB à l’APD,
elle devance désormais, tant en pourcentage qu’en valeur absolue,
le Royaume-Uni. Le volume
de l’aide fournie par ce pays a en effet baissé dans des proportions importantes en 2020 et
surtout 2021, alors que sa contribution avait toujours été jusque-là de 0,7 % de son RNB.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
21
2
DES SIMILITUDES ENTRE LES STRATEGIES FRANÇAISE
ET ALLEMANDE, UNE SINGULARITE BRITANNIQUE
L’examen comparé des politiques d’APD de la France, de l’Allemagne et du Royaume
-
Uni fait apparaître des différences dans les choix stratégiques opérés ces dernières années. Ces
différences affectent l’orientation de l’aide, mais aussi les principes mêmes de la politique
conduite. A cet égard, si les approches française et allemande présentent des analogies,
notamment dans le choix d’un certain ciblage et la volonté partagée de coopération avec l’Union
européenne
l’approche britannique, dominée par la recherche d’une influence globale mêlant
diplomatie, défense, économie et coopération, apparaît singulière.
2.1
Des différences entre les trois pays dans l’orientation de l’aide
Les variations constatées dans l’orientation de l’APD nationale affectent la répartition
géographique de l’aide, la segmentation de ses destinataires par niveau de développement et,
enfin, les thématiques d’action retenues.
2.1.1
Répartition par destinataire
Les trois listes des dix principaux pays b
énéficiaires d’aide bilatérale ont en commun de
faire coexister des pays en développement et des pays émergents, comme la Turquie, l’Inde ou
la Chine. Mais les différences entre les listes sont importantes.
On retrouve dans le cas de la France, les pays d’
Afrique du Nord et subsaharienne ainsi
que deux pays d’Asie du Sud
-est, avec lesquels les liens sont anciens. La liste des principaux
bénéficiaires de l’APD allemande commence par l’Inde et la Chine, et se poursuit avec des pays
dont la caractéristique com
mune est d’être des terres, avérées ou potentielles, d’émigration vers
l’Allemagne. Le Royaume
-Uni, enfin, donne également une priorité aux pays pourvoyeurs de
migrants, avec lesquels, pour certains d’entre eux au moins, les relations sont étroites
historiquement.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
22
Tableau n° 4 :
Ventilation de l’APD bilatérale (
APD flux) pour les dix premiers pays bénéficiaires en
2020
En
MUSD
France
Allemagne
Royaume-Uni
1
Maroc
587,9
Inde
1 189,8
Ethiopie
325,6
2
Somalie
448,3
Indonésie
997,1
Nigeria
309,4
3
Inde
422,6
Syrie
890,5
Somalie
298,3
4
Maurice
358,9
Chine
775
Afghanistan
291,4
5
Sénégal
327
Colombie
714,5
Yémen
283,6
6
Indonésie
326,4
Maroc
617,6
Pakistan
261,7
7
Côte
d’Ivoire
312,7
Turquie
534,9
Bangladesh
261
8
République
Dominicaine
311,5
Jordanie
449,7
Syrie
233,7
9
Mexique
306,1
Ethiopie
447,4
Soudan du
Sud
199,8
10
Turquie
299,8
Irak
407,3
Soudan
178,6
Total
3 701,2
7 023,8
2 643,1
En % de l’APD
bilatérale totale
28,5%
27%
21%
Source : Cour des comptes d’après
DGT et CAD
OCDE.
2.1.2
Répartition par groupe de revenu
7
En 2019, les PMA ont reçu 17 % de l’APD bilatérale brute française, soit 1,7
Md$. Pour
l’Allemagne, la proportion a été à peine supérieure à 13 %, mais son montant en revanche a
représenté 2,8 Md$
. L’aide aux PMA, n’a pas atteint, en
Allemagne et en France, les objectifs
7
PMA : pays les moins avancés ; PFR : pays à faible revenu ; PRITI : pays à revenu intermédiaire de la tranche
inférieure ; PRITS : pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ; PTDPA : pays et territoires en
développement plus avancés.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
23
que ces pays s’étaient fixés à eux
-mêmes
: elle n’a été que de 0,11 % du RNB dans chacun de
ses pays, qui visaient une proportion comprise entre 0,15 et 0,20 %.
Parallèlement, le taux calculé pour le Royaume-
Uni s’est établi à 26,5 % de l’APD
bilatérale, correspondant à un volume d’aide considérable de 3,6
Md$, en baisse néanmoins par
rapport à 2015, lorsqu’il était de 30 % de l’APD bilatérale. Mais le Royaume
-Uni se distingue
de ses deux voisins, puisque le volume qu’i
l a distribué aux PMA a été de
0,21 % du RNB.
Ce sont les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure qui, en 2019, ont reçu la
part la plus importante de l’APD bilatérale brute française et allemande, soit respectivement
35,5 % et 24,5 % du
volume totale de l’aide bilatérale. Le même taux n’a été que de 14,5 %
pour les Britanniques. S’agissant des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, la
proportion s’est établie à 18 % pour la France et l’Allemagne, tandis qu’elle était inféri
eure à
7 % pour le Royaume-Uni.
Graphique n° 3 :
Répartition de l’APD bilatérale brute par groupe de revenu en 2020
Source
: Cour des comptes d’après CAD –
OCDE : « Les Profils de coopération au
développement de l’OCDE synthétisent les statistiques officielles de l’aide
publique au
développement (APD) et d’autres financements du développement par bailleur
», Juin
2021. * 2019 dernières données disponibles.
Les données du CAD de l’OCDE doivent toutefois être analysées avec prudence, une
part très importante des crédits distribués
plus de 50 % dans le cas du Royaume-Uni - ne
faisant pas l’objet d’une ventilation. Il reste établi, d’après ces statistiques, que l’APD
britannique est bien davantage orientée vers les PMA que l’APD française et allemande.
L’analyse des montants d’APD bilatérale brute versée aux PMA le montre également, au moins
jusqu’en 2019.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQUE
D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
24
Tableau n° 5 :
Montant d’APD bilatérale brute versée au PMA par la France l’Allemagne et le
Royaume-Uni
2015
2016
2017
2018
2019
2020
En Mds USD
Total
APD
bilatérale
PMA
Total
APD
bilatérale
PMA
Total
APD
bilatérale
PMA
Total
APD
bilatérale
PMA
Total
APD
bilatérale
PMA
Total
APD
bilatérale
PMA
France
7,4
1,4
8
1,1
9,2
1,4
9,6
1,4
10
1,7
13
2,2
Allemagne
17,8
1,8
24
2,4
24,2
2,7
22,4
2,7
22
2,8
25,8
3,6
Royaume-Uni
11,4
3,7
12,4
3,5
12,6
3,7
13
3,4
14,2
3,7
12,4
2,9
Source : Cour des comptes d’après CAD –
OCDE : «
Les Profils de coopération au développement de l’OCDE synthétisent les
statistiques officielles de l’aide publique au développement (APD) et d’autres financements
du développement par bailleur », 13 juillet
2022.
2.1.3
Répartition par type de dépenses
L’analyse par types de dépenses fait notamment apparaître, pour l’année 2020, le poids
important de l’aide apportée aux réfugiés dans l’APD bilatérale en France (9,4%) et en
Allemagne (10,2%) en comparaison du Royaume-Uni (6,5%). La part des dépenses liées à
l’accueil des étudiants étrangers est comparable en France (6,6%) et en Allemagne (6,6%). Ces
dépenses sont nulles au Royaume-Uni, pays dont la langue suffit à attirer des étudiants
étrangers.
Graphique n° 4 :
Répartition par type de dépenses de l’APD bilatérale en 2020
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQ
UE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
25
Source : OCDE
Develoment Cooperation Profiles, 2022
2.1.4
Répartition par thématiques
C’est dans le choix des thématiques d’action que les différences sont les moins grandes.
Le montant d’APD fait l’objet d’une ventilation par le CAD de l’OCDE en sept principaux
secteurs, un dernier secteur rassemblant des crédits sous l’intitulé «
non spécifié » :
-
infrastructures sociales (éducation, santé, gouvernance) ;
-
infrastructures économiques (transport et stockage, communications, énergie,
services financiers et commerciaux) ;
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
26
-
production (agriculture, sylviculture, pêche, industries manufacturières, extractives,
construction, commerce et tourisme) ;
-
multi-secteurs,
dont la protection de l’environnement
;
-
assistance de programme ;
-
annulation de la dette ;
-
aide humanitaire
(aide d’urgence, reconstruction et réhabilitation, préparation à la
survenue des catastrophes) ;
Une analyse de la ventilation entre les différents secteurs thématiques de 80 % du
montant de l’APD bilatérale des trois pays permet de constater que plus du tiers de l’APD
concerne les infrastructures sociales, telles que définies par l’
OCDE, qui englobent des
interventions dans les secteurs de l’éducation et des politiques de la santé, mais également de
la distribution d’eau et de l’assainissement, de la gouvernance et de la société civile, ainsi que
des services sociaux, comme indiqué dans le graphique ci-dessous.
La répartition par grande thématique entre la France et l’Allemagne est assez proche,
cette dernière se distinguant essentiellement par un pourcentage d’aide humanitaire plus élevée
et une part plus grande consacrée à l’assista
nce de programme. La place occupée par la
thématique « multi-secteurs
» s’explique notamment par le fait qu’elle recouvre la protection
de l’environnement, qui constitue un enjeu majeur dans les politiques d’APD française et
allemande. Le Royaume-Uni, quant à lui, se caractérise par une ventilation plus hétérogène de
son APD, marquée par une place singulière accordée à sa politique en faveur de l’aide
humanitaire, dont la part atteint 14 % en 2020.
Graphique n° 5 :
Répartition par secteur de l’APD bilatérale des trois p
ays en 2020
Source : OCDE données(data.oecd.org).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
27
La ventilation de l’APD selon ces secteurs thématiques dans les cinq pays retenus
8
,
présentée dans le tableau ci-dessous, se distingue de celle retenue pour le graphique n°4, du fait
des spécificités propres à chacun de ces pays. Elle confirme pourtant les grandes priorités
thématiques définies et mises en œuvre par l’Allemagne, la France et le Royaume
-Uni
(Cf.
infra
).
Tableau n° 6 :
Ventilation de l’APD bilatérale par secteur dans les cinq pays de l’échantillon
(en 2020)
Source
: Cour des comptes, d’après OCDE données(data.oecd.org).
2.2
En Allemagne et en France, une volonté partagée de ciblage qui
rencontre des limites
L’Allemagne et la France ont entrepris l’une et l’autre, dans un passé récent, de redéfinir
leurs
politiques d’aide publique d’aide au développement. La France a choisi la voie d’une loi
de programmation, préparée par les décisions d’un comité interministériel. L’Allemagne a opté
pour une réforme à caractère managérial, impulsée par son ministère de la coopération. Dans
les deux cas, la volonté sous-jacente de mieux cibler les moyens se heurte à certaines limites.
2.2.1
En France, une stratégie encadrée par une loi de programmation
Le dernier texte en date qui énonce la politique de la France en matière d’aid
e publique
au développement est la loi de programmation n° 2021-1031 du 4 août 2021,
« relative au
développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales »
. Cette loi traduit et
8
Colombie, Indonésie, Kenya, Madagascar et RDC
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
28
précise les orientations arrêtées par le comité interministériel de la coopération internationale
et du développement (CICID) du 8 février 2018. Elle accompagne un réengagement budgétaire,
les crédits de la mission
Aide publique au développement
augmentant de 82 % entre la LFI 2018
et la LFI 2022
9
.
Le CICID du 8
février 2018 a défini cinq priorités d’action
:
la stabilité internationale et la lutte contre les fragilités
l’éducation, la formation et l’insertion professionnelle
la lutte contre le changement climatique
l’égalité hommes
-femmes
la santé
Il a identifié
par ailleurs comme des domaines importants d’intervention la sécurité
alimentaire, la nutrition et l’agriculture durable.
Les principaux engagements pris au cours du CICID ont été les suivants :
porter l’APD à 0,55 % du RNB en 2022 ;
augmenter la part bila
térale de l’aide au développement, en consacrant les deux tiers de
la hausse moyenne cumulée des autorisations d’engagement (AE) de la mission à la
composante bilatérale de l’APD ;
accroître la part en dons de l’aide française, via une hausse significative
des moyens de
l’AFD pour atteindre au moins un milliard d’euros d’AE à compter de 2019 ;
renforcer les contributions et les dons français en faveur des thématiques prioritaires,
dont le climat, la santé, l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que
le
renforcement du soutien humanitaire et en zone de crise.
augmenter l’aide bénéficiant à 19 pays considérés comme prioritaires pour l’aide
française. Ces pays doivent bénéficier de la moitié de l’effort en subvention de l’État et
de deux-tiers des subve
ntions mises en œuvre par l’AFD.
La loi du 4 août 2021, dès son article 1
er
, énonce les principaux objectifs poursuivis par
la France, qui se situent dans la continuité du CICID du 8 février 2018, et de ceux déjà contenus
dans la loi du 7 juillet 2014 d’or
ientation et de programmation relative à la politique de
développement et de solidarité internationale. Mais les lignes de force de la politique
apparaissent plus clairement, dans la mesure où ils sont regroupés en trois thématiques :
-
objectifs traditionne
ls de l’aide au développement
: éradication de la pauvreté, lutte
contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, action en matière d’éducation et de
santé ;
-
préoccupations liée
s aux droits humains, à l’État de droit et à la démocratie, auxquelles
est greffée la promotion de la francophonie ;
-
volonté de protection des biens publics mondiaux, et en particulier de la planète.
9
Cette mission est celle dont les crédits ont le plus augmenté au cours de la législature.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITA
NNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
29
La loi du 4 août 2021 fixe d’autre part une trajectoire budgétaire, qui doit conduire la
France à consacrer 0,55 % de son revenu na
tional brut (RNB) à l’APD en 2022, et si possible
à 0,7 % en 2025. Des priorités sont affirmées, en faveur des PMA, et parmi eux d’une liste de
pays que la France entend privilégier, ainsi qu’en faveur des organisations de la société civile.
La part des do
ns dans l’aide doit s’accroître, pour atteindre 70 % en moyenne pendant la période
2022-
2025. Il est prévu, par ailleurs, un doublement en 2022 du soutien apporté par l’État en
2017 à l’action extérieure des collectivités territoriales.
Le rapport annexé à la loi met en perspective les objectifs ainsi assignés. Il indique que
la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales
« contribue
à assurer la paix et la sécurité en complément de l’action diplomatique et militaire, da
ns une
approche intégrée »
. Elle concourt
«
à la politique étrangère de la France ainsi qu’à son
rayonnement et à son influence diplomatique, économique et culturel ».
Le rapport souligne l’engagement de la France de respecter et de promouvoir
« les
principes et les normes internationaux, notamment en matière de droits humains, de droits de
l’enfant, de protection sociale, de développement et d’environnement
».
Enfin est affirmé le
choix d’un pilotage par les résultats, plutôt que par les engagements financiers, et donc d’une
attention particulière portée à l’évaluation.
L’énoncé même de ces objectifs, au contenu exhaustif, le constat du non
-respect par la
France de la priorité qu’elle s’est fixée à l’égard des PMA (Cf. tableau n°5
supra
), les 19 pays
prioritaires en particulier
10
, mettent en évidence une difficulté récurrente à établir des choix
structurants
et à s’y tenir.
10
Tous les pays appartenant à la liste des 19 pays prioritaires sauf deux (Ghana et Sénégal) sont des PMA.
L’aide bilatérale de la France aux 19 pays prioritaires représentent en 2020 environ la moitié de son aide bilatérale
à l’ensemble des 46 PMA. La part
de l’APD bilatérale de la France qui est versée aux PMA est comprise entre 15
et 18% depuis 2015 (Cf. tableau 5
supra
). En dehors du Sénégal, qui n’est pas un PMA, aucun des 19 pays
prioritaires ne perçoit une aide bilatérale française supérieure à ce que
perçoit le dixième pays bénéficiaire de l’aide
française, qui est la Turquie (Cf. tableau 3
supra
).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
30
Tableau n° 7 :
Montant de l’APD bilatérale brute versée par la France aux 19 pays prioritaires du
CICID de 2018
Pays prioritaires
(en MUSD courants)
2018
2019
2020
Bénin
51,3
40,4
69
Burkina Faso
106,4
121,3
164,2
Burundi
6,9
7,6
8
Comores
19,8
21,3
27,1
Djibouti
47,9
43,2
41,4
Éthiopie
24,9
69,6
83,3
Gambie
6
3
1
Ghana
54,7
26,2
67,5
Guinée
65
64
59,5
Haïti
41,8
41
33,7
Libéria
6
0
5
Madagascar
73,9
79
84,8
Mali
94,1
113
127,8
Mauritanie
28,2
38,3
41,2
Niger
53,3
86,7
105,8
Rép. Centrafricaine
42,1
44,6
37
RDC
23
21,5
41,6
Sénégal
246,8
290,1
327
Tchad
103
103
74,6
Togo
32,4
24,4
32,4
Total
1 127,5
1 238,2
1 431,9
Source : Cour des comptes d’après stats.OCDE.org
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
31
L’absence de hiérarchisation claire, que l’on retrouve également dans le contrat
d’objectifs et de moyens de l’AFD, dont le suivi est assorti de 47 indicateurs
11
, est liée au souci
de décliner tous les « objectifs du développement durable » (ODD) de 2015, dont les ambitions
sont fortes et multiples, puisqu’ils entendent répondre aux défis lancés par six grandes
transitions jugées caractéristiques du monde contemporain : démographique et sociale ;
énergétique ; territoriale et écologique ; numérique et technologique ; politique et citoyenne ;
économique et financière. En dehors de cette volonté de conformité à un modèle international,
la difficulté constatée à hiérarchiser, dans le contexte français, s’explique
aussi par un
attachement à une forme d’universalisme, que l’État stratège peine à dépasser.
La direction générale du trésor partage ce constat avec la Cour. Elle est favorable à une
réduction du nombre des indicateurs dans les prochains COM. Une simplification est également
demandée par l’Agence, qui évoque
« un travail de suivi administratif de la performance de
l’AFD très lourd, faute de priorités politiques clairement assignées.
»
Dans l’action des services de l’État et de l’AFD, qui est son principal bras armé,
l’ampleur de l’ambition pluriannuelle affichée conduit à l’élaboration de documents cadres aux
horizons eux-mêmes très vastes, qui sont appliqués de façon de plus en plus pragmatique à
mesure que l’on s’approche du terrain, le foisonnement des lignes stratégiques laissant de fait
une grande marge de manœuvre aux responsables locaux.
La stratégie de l’AFD 2020
-
2024 en Afrique de l’Est et au Kenya
Sous l’intitulé
« Favoriser une prospérité inclusive et soutenable dans la région la plus peuplée
d’Afrique
»
, l’AFD s’est dotée d’un cadre stratégique pour son action au Soudan, au Soudan du Sud, en Érythrée,
à Djibouti, en Somalie, en Ouganda, au Kenya et en Tanzanie, pour les années 2020 à 2024. Trois priorités
stratégiques sont affirmées :
- promouvoir un développement équilibré et durable des territoires
-
accompagner la diversification et l’intégration des économies
- renforcer la cohésion sociale, protéger les populations et soutenir la jeunesse
Chaque priorité se traduit par des objectifs particulièrement larges. Pour la première priorité, par exemple,
les objectifs sont :
-
l’accès aux services essentiels
: énergie verte, eau, assainissement, transport, accès numérique
-
l’accompagnement à l’investissement dans les villes durables et inclusives
- la gestion des ressources naturelles et la protection de la biodiversité
Aucun chiffre n’est cité pour la période 2020
-2024, mais une annexe rappelle que sur la période 2015-
2019, le total des autorisations d’engagement dans la région prise en compte a été de 3,1 Mds€, le total des
versements de 1,2 Mds€, et le coût pour l’État
de 240 M€, soit 50 M€ par an environ.
Au Kenya, pays appartenant à l’Afrique de l’Est, une stratégie d’intervention de l’AFD 2017
-2021, qui
pour ses deux dernières années chevauche la stratégie régionale pour l’Afrique de l’Est, fixe une finalité unique,
mais très englobante : une croissance équilibrée et résiliente, qui doit être compatible avec les quatre orientations
11
La direction générale du trésor partage ce constat avec la Cour. Elle est favorable à une réduction du
nombre des indicateurs dans les prochains COM. Un
e simplification est également demandée par l’Agence, qui
évoque
«
un travail de suivi administratif de la performance de l’AFD très lourd, faute de priorités politiques
clairement assignées. »
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
32
fondamentales mises en avant par le président Kenyatta après sa réélection de 2017 : sécurité alimentaire,
couverture médicale, logement abordable, développement industriel.
Le cadre stratégique d’intervention de l’AFD pour 2017
-2021 prévoit huit « activités » :
-
développer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique
-
renforcer le réseau électrique et accélérer l’accès à l’éner
gie
-
sécuriser l’approvisionnement en eau et l’assainissement
- soutenir le développement des infrastructures
- appuyer la gouvernance financière
-
stimuler l’investissement privé dans les secteurs sociaux et productifs
-
accompagner les dynamiques d’inno
vation dont le numérique
- appuyer la gestion concertée de la biodiversité et des écosystèmes
En pratique, la direction pays de l’AFD au Kenya a fait état en octobre 2021 d’interventions
principalement dans les domaines suivants :
- énergie, eau et assainissement
- pistes rurales
- développement urbain
-
financement d’acteurs privés
-
financement d’hôpitaux et d’un campus universitaire
- protection des parcs naturels et préservation de la biodiversité
- réforme des finances publiques
La direction pay
s du Kenya prévoyait d’agir en 2021
-2022 notamment sur les enjeux suivants :
-
soutien à l’enseignement supérieur et technique
- transformation numérique dans le secteur de la formation professionnelle
- centrale solaire
- ligne de bus à Nairobi
2.2.2
En Allemagne, une tentative de refondation par le ministère chargé de la
coopération
Parallèlement à la redéfinition stratégique que traduisent, en France les décisions du
CICID du 8 février 2018 et la loi de programmation du 4 août 2021, l’Allemagne a engagé
en
décembre 2019 un processus de réforme qui a abouti à la publication, par le ministère du
développement et de la coopération économique
12
, en avril 2020, d’une nouvelle stratégie
fédérale pour le développement intitulée
« BMZ 2030 »
,
qui est
inspirée par une volonté de
recentrage et la promotion d’une culture du résultat.
La nouvelle stratégie BMZ 2030
13
consacre un virage vers une approche plus
géostratégique de la coopération. La crise des réfugiés de 2015, marquée par l’arrivée d’un
million de migrants en Allemagne, puis la présidence du G20 en 2017, au cours de laquelle un
«
plan Marshall pour l’Afrique
» a été adopté, ont favorisé dans l’opinion publique et parmi les
responsables politiques une prise de conscience des responsabilités mondiales du pays. BMZ
2030 vise une plus grande efficacité et une plus grande efficience de l’APD allemande,
12
Bundesministerium fur wirtschaftliche Zusammenarbeit (BMZ)
.
13
Cf.
Concept de la réforme « BMZ 2030
» Changer d’optique
-
Changer d’orientation
»
, www.bmz.de, avril
2020.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET B
RITANNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
33
recentrée sur un plus petit nombre de pays bénéficiaires, qui passe de 85 à 60, et sur un plus
petit nombre de domaines d’action, limité désormais à ci
nq, avec trois sous-domaines
seulement par domaine d’action.
Deux critères ont présidé au choix des 25 pays exclus du bénéfice de l’aide allemande
:
l’insuffisance des progrès réalisés en matière de gouvernance, droits humains et lutte
contre la corruption, par exemple au Burundi, au Guatemala, au Myanmar, au Salvador ;
le niveau satisfaisant de développement, invitant à passer à un accompagnement en vue
d’une prise d’autonomie, par exemple au Costa
-Rica ou en Mongolie
Les 60 pays ciblés sont classés en trois catégories.
La première catégorie regroupe les partenaires bilatéraux, avec qui la coopération se
poursuit sur le long terme, sur la base d’objectifs de développement communs. Elle inclut six
« partenaires réformateurs », particulièrement enclins aux réformes, au bénéfice desquels des
engagements financiers plus élevés sont pris, conditionnés par des réussites. Parmi les
« partenaires réformateurs », se trouvent quatre pays francophones
: la Côte d’Ivoire, le Maroc,
le Sénégal, la Tunisie, auxquels s’ajoutent l’Éthiopie et le Ghana. Le résultat de cette
priorisation est qu’en Tunisie, par exemple, le volume de l’APD allemande dépasse désormais
celui de l’APD française. La première catégorie englobe enfin les pays voisins de l’UE comme
ceux issus de l’ancienne Yougoslavie, l’Ukraine et la Géorgie.
La deuxième catégorie est composée « partenaires mondiaux », avec qui seront traitées
les questions d’avenir mondiales et la protection des biens mondiaux
: l’Afrique du Sud, le
Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonés
ie, le Mexique, le Pérou, le Vietnam.
Enfin, la troisième catégorie rassemble des pays qui connaissent des crises, des conflits,
des déplacements de population, considérés comme des « partenaires clés pour la paix »,
comme par exemple les pays du Moyen-Orient.
L’ambition de BMZ 2030 est aussi de rénover les partenariats avec tous ces pays, afin
qu’ils soient davantage fondés sur des intérêts partagés et l’inclusion de l’ensemble des acteurs
du développement, qu’il s’agisse des ONG, des organisations religie
uses ou du secteur privé.
L’évaluation est renforcée, afin de mieux apprécier les résultats et l’impact de l’aide.
Le document « BMZ 2030
» confirme que l’éradication de la faim et de la pauvreté
demeure l’objectif primordial et que les 17 objectifs de dév
eloppement durable (ODD)
continueront d’être mis en œuvre. Mais il réorganise les priorités d’action autour des «
thèmes
cruciaux » suivants :
maintien de la paix ;
sécurité alimentaire ;
formation et croissance durable ;
climat et énergie ;
environnement et ressources naturelles ;
santé.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
34
Par ailleurs, des « initiatives thématiques » sont annoncées, qui portent notamment sur
l’évolution démographique et le planning familial, les chaines d’approvisionnement durable et
la numérisation.
Au total, si la liste des pays bénéficiaires est resserrée, si certaines thématiques comme
les infrastructures ne sont pas mentionnées en tant que telles, la réforme BMZ 2030 marque
davantage une inflexion managériale qu’une refondation. Elle procède à une clarification qui
insc
rit les échanges entre le ministère de la coopération d’une part, les ambassades et les
opérateurs d’autre part (KfW et GiZ essentiellement), dans un cadre logique explicite et
cohérent. Mais, sauf dans les pays qui ont été écartés de la liste des bénéficiaires, ses effets
concrets sur la conduite de l’action demeurent marginaux.
Au Kenya, les priorités de la KfW ont été fixées dès 2017, dans le cadre du « plan
Marshall pour l’Afrique
». Elles portent sur l’agriculture, le développement économique
soutenabl
e et l’énergie renouvelable. Le secteur de la santé a été abandonné en 2018, en raison
de cas non réglés de corruption. En RDC, l’ambassade d’Allemagne s’applique à souligner la
continuité de sa politique de coopération depuis un accord germano-congolais de 1982, qui
identifiait trois grands axes de progrès : les ressources naturelles, le développement économique
et la cohésion sociétale. À Madagascar, où la coopération allemande se définit comme
« technique » et pas « politique », les priorités portent sur la biodiversité et la protection de
l’environnement, l’agriculture, l’énergie et le développement durable. Le seul impact de BMZ
2030 a été la perspective, ouverte au moment de la mise au point de la réforme, mais écartée
finalement, que Madagascar soit évincée de la liste des pays bénéficiaires. Les priorités sont
analogues de longue date en Colombie, où elles sont complétées par une participation active au
processus de paix, ainsi qu’en Indonésie, où s’ajoute un investissement dans la formation
professionnelle et continue
14
.
2.3
Une coopération étroite de l’Allemagne et de la France avec l’Union
européenne
A l’inverse de l’évolution britannique, les liens, dans les pays bénéficiaires de l’APD,
entre les représentants français et allemands d’une part, les repr
ésentants de la Commission
d’autre part, sont étroits et constants, au point que l’on peinerait à distinguer, dans ce domaine,
l’approche française de l’approche allemande. L’enjeu est considérable, en termes de visibilité
et de communication. La substitut
ion en cours d’une approche pragmatique, celle des
« initiatives équipes Europe », aux lourdeurs du processus plus ancien de la « programmation
conjointe », augmente à cet égard les chances de succès.
14
Notion désignée internationalement par l’expression
Training and Vocational Education and Training (TVET)
.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
35
2.3.1
L’enjeu européen
Deuxième bailleur parmi les pays
appartenant au comité d’aide au développement
(CAD) de l’OCDE, l’Allemagne représente 17 % de l’APD mondiale. Elle se situe loin devant
le Japon (10 %), la France (9 %) et la Grande-Bretagne (9 %). Rapporté à son revenu national
net, son effort a dépassé l
’objectif de 0,7%. Cependant les Etats
-Unis, pour lesquels le même
ratio est pourtant inférieur à 0,2 %, demeurent le premier bailleur, du fait de la dimension de
leur économie. La part qu’ils prennent à l’APD mondiale est de 22 %. Quant à la Chine, qui ne
communique aucun chiffre, l’OCDE estime qu’elle pourrait avoir fourni 4,4
Md$ en 2018. La
DGM, pour sa part, estime à 6,4 Md$ la contribution chinoise cette année-là, ce qui en ferait le
7
ème
bailleur mondial.
Toute autre apparaît la tête de classement si
l’on prend en compte, en plus des pays,
l’Union européenne. Les institutions de l’Union européennes, à elles seules, fournissent 17 %
de l’APD mondiale. Dans le palmarès de l’OCDE, elles occupent le troisième rang, après
l’Allemagne et avant le Japon. Et si l’on consolide les apports des institutions de l’Union
européenne et ceux de ses États-
membres, le total obtenu représente 46 % de l’APD mondiale,
soit plus du double de la contribution des Etats-Unis.
Ces constats statistiques, certes, doivent être re
lativisés. L’Union et ses États
-membres
ne constituent pas un bloc homogène. Chaque État membre a ses propres priorités, son propre
calendrier, sa propre programmation. Mais dans un univers où chacun s’accorde à admettre que
la géopolitique est de retour, la capacité des Européens à se coordonner pour peser ensemble
face aux Anglo-Saxons, aux Japonais et aux Chinois est devenue un enjeu de premier ordre, en
particulier dans les régions disputées comme l’Afrique ou l’Asie
-Pacifique. Les pays à revenus
interm
édiaires que sont le Kenya et l’Indonésie fournissent de bons exemples de cette
compétition entre bailleurs. Pour faire face à l’enjeu, les stratégies de l’Allemagne et de la
France sont similaires, sinon identiques, chacun des deux pays cherchant, au sein du Conseil
européen et dans la coopération avec la Commission, à Bruxelles et dans les pays partenaires,
à obtenir une cohérence maximale, grâce à un partage des approches et à une communication
commune.
Le défi chinois au Kenya
Depuis le lancement des Ro
utes de la Soie, la Chine porte à l’Afrique de l’Est et à l’Océan
indien (AEOI) une grande attention. Son ministre des affaires étrangères y fait des tournées. En 2022, il
a rendu visite au Kenya, à l’Érythrée et aux Comores. La stratégie d’aide chinoise e
st entièrement fondée
sur l’octroi de prêts, consentis à des taux principalement non
-concessionnels.
Dans les années 2010, le Kenya a été le deuxième destinataire de prêts chinois de l’AEOI,
derrière l’Éthiopie. En 2021, le pays est le premier pays en nombre d’Instituts Confucius en AEOI, et le
deuxième en Afrique, après l’Afrique du Sud.
À côté de projets comme l’installation d’un terminal pétrolier dans le port de Mombasa, la
présence de la coopération chinoise au Kenya s’illustre par un partenariat publ
ic-privé (PPP) portant sur
la construction d’une autoroute urbaine (
Nairobi Expressway
) de 27 km, construite en surplomb de la
ville et devant relier le centre à l’aéroport, pour un montant de 600 M€. Sur ce trajet, les temps de
déplacement peuvent atteind
re deux heures aujourd’hui, en raison de la congestion du trafic. Le PPP a
été conclu entre la
Kenya National Highway Autority (KENHA)
et l’entreprise chinoise CRBC, pour une
durée de 30 ans : trois ans de construction (ramenés à deux dans les faits) et 27
ans d’exploitation.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
36
L’investissement est intégralement financé par une filiale de la CRBC, sur la base de 25 % de fonds
propres et de 75 % d’endettement. L’entreprise chinoise se rémunérera exclusivement sur le produit des
péages. Elle supportera donc elle-même le risque de trafic et de péage.
À l’approche de sa mise en service, le
Nairobi Expressway
est souvent comparé au projet
autoroutier porté par le consortium Vinci-
Meridiam, qui relierait Nairobi à Mau Summit, et qui n’avance
pas. Dans ce dernier projet, le risque trafic est supporté par un
toll fund
de l’État kenyan.
Un autre exemple d’investissement chinois au Kenya est fourni par la nouvelle ligne de chemin
de fer Mombasa-Nairobi-
Naivaisha. C’est le plus important projet d’infrastructure de l’histo
ire du
Kenya, financé par des prêts souverains chinois et construit par des entreprises chinoises. Les prêts
accordés par la Chine s’élèvent à près de 5
Md$.
2.3.2
Les difficultés de la programmation conjointe
Dès 2005, le
« Consensus européen pour le développement »
, cosigné par les présidents
de la Commission, du Parlement européen et du Conseil de l’Union,
présente une vision
partagée, alignée sur les objectifs du Millénaire et centrée sur les objectifs d’éradication de la
pauvreté et de développement durable. La déclaration comporte un engagement à renforcer les
procédures, instruments et mécanismes qui concourent à la cohérence de la politique de
coopération.
Fin 2011 sont définis les
« principes de programmation conjointe »
conduisant à une
identification de
s secteurs prioritaires d’intervention, une division du travail et une allocation
financière indicative des moyens par secteur et par bailleur. En 2012, le conseil de ministres
adopte un
« programme pour le changement »
, destiné à accroître l’impact de la
politique de
développement de l’Union européenne, et prévoyant notamment une coopération conjointe de
l’aide extérieure. À partir d’une analyse partagée de la situation d’un pays, les
« partenaires de
développement de l’Union européenne
»
sont chargés de mettre au point des réponses
conjointes
; La stratégie à déployer s’appuie sur le plan de développement national de l’État
bénéficiaire et doit en épouser son calendrier. Elle doit indiquer la répartition des secteurs dans
lesquels chaque partenaire interviendra. Le règlement 2015/322 du Conseil du 2 mars 2015
relatif à la mise en œuvre du 11
ème
FED invite l’UE et les États
-membres, une nouvelle fois, à
« améliorer la cohérence et la complémentarité de leurs politiques de coopération au
développement respectives »
, en mettant en place,
notamment,
« des analyses conjointes, des
mesures conjointes, une répartition du travail, des dotations financières indicatives et, le cas
échéant, un cadre de résultats commun. »
L’aboutissement envisagé de ce processus de rapprochement est une fusion des
programmations de l’Union et des États
-
membres. Dans ses conclusions, le conseil de l’Union
du 12 mai 2016 souligne ainsi que le processus
« doit permettre de remplacer des documents
concernant la programmation de l’UE et des États membres par des documents relatifs à la
programmation conjointe de l’UE. »
Le mécanisme de programmation conjointe étant supposé
simplifier et rendre plus cohérente l’action de l’Union européenne, en réd
uisant le nombre des
intervenants et les coûts de transactions, l’Allemagne et la France s’engagent avec volontarisme
dans cette dynamique nouvelle.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
37
Dès son enquête de 2017 sur
la contribution de la France au Fonds européen de
développement
, qui a débouché notamment sur un référé au Premier ministre du 18 janvier
2018, la Cour relève néanmoins un certain nombre de difficultés. En s’appuyant sur le cas du
Sénégal, elle constate la lenteur du processus dans les pays où la coopération bilatérale est
ancienne e
t importante, et où il conduit progressivement, comme elle l’écrit dans ses
observations définitives,
«
à une perte de souveraineté des États membres au profit de l’Union
européenne, qui tend de plus en plus à coordonner, diriger et contrôler la mise en œu
vre de
l’ensemble des programmes tant européens que bilatéraux, après en avoir arrêté les
orientations. »
L’enquête comparative de 2022 a permis de constater, dans un échantillon diversifié de
pays, que les freins identifiés en 2017 n’ont pas été levés. Au
contraire, la diversité maintenue
des calendriers de chaque État membre d’une part, la volonté qu’ils expriment de continuer à
identifier leurs propres actions de coopération d’autre part, rendent illusoire la perspective
d’une intégration généralisée des
programmations. Dans les ambassades de France et
d’Allemagne des pays de l’échantillon, de même que dans les services locaux des opérateurs
publics des deux pays, les résultats de l’exercice de programmation conjointe sont jugés
médiocres au regard de la
complexité technique et du temps de réunion qu’il impose.
Pourtant, même si beaucoup de protagonistes parlent de la programmation conjointe au
passé, la démarche n’a pas été officiellement abandonnée. Au Quai d’Orsay, la direction de
l’Union européenne per
siste à la considérer comme un horizon mobilisateur et à en assurer la
promotion. Une réponse à un questionnaire parlementaire transmis dans le cadre de la
préparation du PLF 2022 fait état de 42 pays impliqués dans ce processus dont 15 se seraient
dotés d
’un document de programmation conjointe.
Dans le cas du Kenya, qui fait partie de la liste des 15 pays cités, ce dont il s’agit relève
en réalité davantage d’une stratégie conjointe que d’une véritable programmation conjointe, qui
aurait supposé la constru
ction d’une matrice commune de financement sur plusieurs années
15
.
Certes, le
National Indicative Programme (NIP) 2014-2020
,
élaboré pour ce pays par l’Union
européenne dans le cadre de la préparation du 11
ème
FED, évoque une démarche de
Joint
Programming
, lancée en 2013, avec huit États-
membres, et l’affectation d’enveloppes
conséquentes à chacun des secteurs d’intervention envisagés dans ce cadre. Le budget total
présenté dans ce NIP, qui s’élève à 435 M€ pour la période, a créé un effet d’entrainement
fav
orable à la convergence de l’action des bailleurs parties prenantes. Mais ce budget ne retrace
que l’effort de l’Union, chaque bailleur restant par ailleurs maître de sa programmation.
Lorsque le conseil local de développement
16
a adopté, le 28 avril 2022 à Nairobi, un
projet de stratégie française, l’équipe animée par l’ambassadrice de France a accueilli les
15
En 2018, un document appelé
Joint Cooperation Strategy
a été signé par le Gouvernement du Kenya, l’Union
européenne, ses 19 Etats membres et la Banque européenne d’investissement.
16
Dans la sous-partie III-C du rapport annexé à la loi de programmation du 4 août 2021, il est prévu que :
« Au
niveau local, l'ambassadeur accrédité auprès du pays partenaire préside un conseil local du développement, qui
regroupe les services de l'État, les opérateurs du développement sous tutelle de l'État ainsi que les organisations
françaises et locales de la société civile, les acteurs de la coopération décentralisée, les conseillers des Français
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMAND
E ET BRITANNIQUE D’A
IDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
38
recommandations de la délégation de l’Union européenne (DUE). Pour autant, l’utilisation
future des instruments à sa disposition ne fait pas l’objet d’
une programmation pluriannuelle à
proprement parler, ni,
a fortiori
, d’une programmation conjointe avec l’Union.
2.3.3
La perspective ouverte par les « équipes Europe »
Les intentions respectives de l’Union européenne et de certains États membres comme
l’Allemagne et la France, figurent pour partie dans les travaux des «
équipes Europe » instituées
depuis 2020, qui tendent à se substituer à la démarche de programmation conjointe.
En avril 2020, pour répondre à la crise du Covid 19 et mieux soutenir les pays les plus
vulnérables, l’Union européenne met en place une réponse globale, conforme à ce que l’on
appelle à Bruxelles, depuis une réunion du Conseil du 19 mai 2017, le
« nexus »
humanitaire/développement, c’est
-à-
dire le lien à établir entre l’aide humanitaire et l’aide au
développement. Cette réponse globale repose sur une coordination accrue de la Commission
avec les États membres et leurs agences de développement, ainsi qu’avec la Banque européenne
d’investissement (BEI) et la Banque européenne pour
la reconstruction et le développement
(BERD), qui permet un dialogue plus efficace avec les instances internationales comme le G20
ou la Banque mondiale.
Sur un plan budgétaire, l’approche «
Équipe Europe » se traduit par la mobilisation de
40 Mds€, dont 1
5 financés par la Commission, 14 par les États membres (4 par la France), 7
par la BEI et 4 par la BERD. Le contexte est celui du lancement du cadre financier pluriannuel
(CPF) 2021-
2027 de l’Union européenne et de la mise en place de l’instrument de voisi
nage,
de développement et de coopération internationale de l’Union européenne (NDICI)
17
, qui se
substitue notamment au Fonds européen de développement (FED) (Cf. annexe 3).
Dès 2020, la Commission propose de capitaliser cette première expérience en
élargiss
ant la démarche à d’autres domaines d’action relevant de l’aide au développement et en
intégrant l’approche «
Équipe Europe » à la programmation 2021-2027. Cette nouvelle
modalité, initialement appelée
« Flagship Initiative »
, puis « Initiative Équipe Europe » (IEE)
permet de mobiliser les mêmes acteurs, autour de programmes d’envergure, concentrés sur un
secteur ou objectif donné, afin d’obtenir un impact plus fort dans le pays ou la région identifiée,
et d’apporter une plus grande visibilité à l’aide euro
péenne. Dans son rapport annuel au
Parlement et au Conseil sur l’action extérieure de l’Union en 2020, la Commission écrit
à
propos des « Équipes Europe » :
« En combinant ressources, méthodes de travail, savoir-faire
et outils, dans le respect des compéte
nces de l’UE et des procédures décisionnelles instituées
par les traités, cette approche forge une culture stratégique de coordination autour d'une action
de l'étranger, les parlementaires des Français établis hors de France et, en tant que de besoin, les présidents des
groupes d'amitié parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat concernés, au titre d'observateurs, et les
parties prenantes locales de la solidarité internationale. »
17
Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument : instrument de voisinage, de
développement et de coopération i
nternationale de l’UE
.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
39
transformatrice.
18
»
Le 3 avril 2021, le Conseil apporte son soutien à la dynamique engagée, et
décide
de la mettre au service d’un rétablissement vertueux des économies
19
ainsi que de
l’accomplissement des objectifs de développement durable (ODD) et des buts de l’accord de
Paris.
De l’ambition planificatrice intégrée de la programmation conjointe, on passe
à une
tentative pragmatique de mise en synergie des initiatives prises par les acteurs européens de
l’aide au développement. Le pilotage est confié aux délégations de l’Union européenne (DUE)
dans les pays partenaires et à la direction générale pour les partenariats internationaux (INTPA)
à Bruxelles, sous le contrôle du réseau informel des directeurs généraux chargés de la
coopération dans les États-
membres, à qui il revient notamment d’attribuer le label «
initiative
Équipe Europe ».
Concrètement, les IE
E peuvent s’organiser au niveau d’un pays, à raison de deux IEE
par pays au maximum, ou au niveau régional. Elles doivent porter sur des thématiques
conformes aux priorités définies dans les programmes indicatifs pluriannuels (PIP), eux-mêmes
liés aux prio
rités globales de l’Union européenne. Elles doivent rassembler au moins quatre
partenaires européens, par exemple trois États membres ou opérateurs, et une institution de
l’Union. Elles peuvent mettre en œuvre des instruments variés comme des subventions,
des
mixages prêts-dons, des garanties, ou une assistance technique. Le co-financement attendu des
États membres peut être constitué d’engagements nouveaux ou de la valorisation de
programmes existants.
Cinq lots d’IEE ont été adoptés par le réseau des dire
cteurs généraux, entre février 2021
et avril 2022, qui incluaient 124 IEE nationales et 28 IEE régionales. Sur les 152 IEE
approuvées, 80 se trouvaient dans les pays d’Afrique subsaharienne, 31 en Amérique latine et
23 en Asie-Pacifique ou au Moyen-Orient et 18 dans des pays situés dans le voisinage de
l’Union.
Dans quatre des cinq pays de l’échantillon, deux IEE ont été officialisées, pour
lesquelles des montants variant de 30 à 188 M€ ont été affectés pour la période 2021
-2024.
Dans le cinquième pays, l’Indonésie, deux projets d’IEE sont en préparation, mais la somme
allouée par l’Union européenne à l’ensemble du programme indicatif pluriannuel (PIP) 2021
-
2024 n’est que de 20
M€.
Dans les pays où les montants alloués sont importants, les IEE ont un impact intéressant
sur la cohésion intra-européenne et la relation avec les partenaires locaux. À Madagascar, où
les seules coopérations bilatérales significatives sont les coopérations française et allemande,
les IEE, parce qu’elles permettent d’atteindre des m
asses critiques, facilitent le dialogue
politique mené conjointement par l’UE, la France et l’Allemagne avec le président et le
gouvernement malgaches. En RDC, où la communauté des bailleurs est plus ouverte, la
dynamique des IEE paraît produire également
un effet d’entrainement sur la coordination
politique entre Européens.
18
Il s’agit, pour reprendre les mots choisis d’un ambassadeur délégué de l’Union européenne dans un pays africain,
«
d’élaborer un narratif sur la coopération d’origine européenne »
, en construisant
« un cadre logique commun »
.
19
Le
Conseil fait référence au mot d’ordre difficilement traduisible
« building back better and greener »
.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
40
Tableau n° 8 :
Financements de l’UE affectés aux programmes indicatifs pluriannuels (PIP) 2021
-
2024 et aux initiatives Équipe Europe (IEE) dans les pays de l’échantillon
PIP 2021-24
dont IEE
Montants IEE
Colombie
75
Égalité de genre
30
Environnement
30
Indonésie
20
Energie durable (projet)
inconnu
Huile de palme (projet)
inconnu
Kenya
324
Transition verte
188
Transformation numérique
137
Madagascar
325
Energie renouvelable et durable
39
Pacte vert
124
RDC
424
Paix et sécurité
30
Alliance pour le développement durable
159
Source
: Direction de l’Union européenne –
MEAE.
A l’inverse, en Colombie, même si les IEE amplifient les actions de développement et
donnent de la visibilité à
l’Union européenne, les volumes arbitrés dans le cadre du PIP pour la
période 2021-
2024 n’ouvrent pas les mêmes perspectives que celles que permettait le fonds
fiduciaire créé en 2016 pour favoriser le processus de paix, qui était doté de 130 M€ et qui a é
clôturé en décembre 2021. En Indonésie, les 20 M€ dont dispose la DUE, toutes actions
confondues, pour la période 2021-2024, en font un partenaire marginal, tant pour les Allemands
que pour les Français.
Au total, l’enjeu des IEE est principalement un enjeu de communication et d’affichage
politiques. La démarche étant décentralisée, le choix des thématiques est largement influencé
par le relevé auquel procèdent les DUE, dans les pays, des priorités mises en avant par les États
membres. À partir d’une car
tographie de leurs projets bilatéraux, des synthèses consensuelles
permettent de dégager des lignes de force communes, d’où l’on déduit les thématiques des IEE.
La leçon de la programmation conjointe a été tirée
: plutôt qu’une intégration des processus de
programmation, c’est une mise en cohérence qui est visée, et, lorsque les volumes financiers
mis à la disposition des DUE le permettent, des cofinancements qui permettent de changer
d’échelle.
L’enjeu que représente la visibilité politique de l’action eur
opéenne, en particulier
dans les pays à revenus intermédiaires où la compétition entre bailleurs est vive, suggère
d’encourager les démarches qu
i permettent à la Commission et aux États membres de
l’UE de regrouper leurs efforts d’APD et d’unifier la commu
nication qui les
accompagnent. À défaut d’une véritable programmation conjointe, trop ambitieuse, le
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
41
pragmatisme des « initiatives équipes Europe » ouvre une perspective stimulante, même
si elle demeure fragile.
2.4
Au Royaume-Uni, une approche intégrée et sél
ective au service d’une
logique d’influence
Pays traditionnellement généreux, tant par le volume de l’aide qu’il consentait que par
son orientation prioritaire vers les secteurs sociaux et les pays les moins favorisés, le Royaume-
Uni a modifié nettement son cap stratégique depuis 2020, ce qui lui impose de procéder à des
redéploiements significatifs de ses moyens et de ses lignes d’action. Ce changement de cap est
accentué par la sortie du pays de l’Union européenne, au sein de laquelle il accomplissait plu
s
de 20% de l’effort total d’APD.
2.4.1
Une coopération qui a changé de cap
Au Royaume-
Uni, la politique de coopération est restée dominée jusqu’au milieu des
années 2010 par une conception sociale, conforme aux objectifs du Millénaire arrêtés en 1999
par les
Nations Unies. La lutte contre la pauvreté, pour le développement de l’éducation et
l’amélioration de la santé était placée au centre des priorités. Les grands bénéficiaires de l’APD
britannique étaient les PMA, catégorie vis-à-vis de laquelle le Royaume-Uni continue de se
montrer plus généreux que ses voisins. La prise en compte, à partir de 2015, sous la pression
des objectifs de développement durable (ODD) et du sommet de Paris, de la lutte contre le
réchauffement climatique et de la protection des biens publics mondiaux, a créé une première
évolution stratégique de grande ampleur.
Dans son dernier contrôle organique du
Department for International Development
(DfiD)
, qui portait sur l’année 2018
-2019
20
, le NAO indiquait que son budget, légèrement
supérieur à 10 Mds£, était consacré à hauteur de 59 % à des programmes bilatéraux et 41 % au
canal multilatéral. Les programmes bilatéraux étaient ciblés sur un nombre restreint de pays,
situés pour l’essentiel
en Afrique centrale et orientale, en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est.
Les secteurs principaux d’intervention demeuraient l’action humanitaire (52 % d’une
enveloppe d’APD de 202 M£ en RDC, par exemple), la santé et l’éducation. Mais le
changement climatique occupait une place croissante dans ses programmes.
La politique promue par le Premier ministre Boris Johnson, après sa nomination en
juillet 2019, constitue une seconde transformation profonde, dont un rapport au Parlement de
mars 2021, intitulé «
Global Britain in a Competitive Age. The Integrated review of Security,
Defence, Development and ForeignPolicy»,
permet de comprendre la signification et la portée.
20
Department for International Development (DfiD)
,
Departmental Overview 2019, NAO
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQUE
D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
42
Le rapport
Global Britain
expose une approche intégrée des enjeux internationaux, dans
laquell
e le développement apparaît comme l’un des instruments du leadership britannique, au
même titre que la sécurité, la défense et les affaires étrangères, auxquelles est consacré
l’essentiel du document. Dans le débat qui oppose, à propos des politiques de co
opération,
l’influence à la solidarité, le document tranche clairement en faveur de l’influence. Cette
nouvelle conception, en rupture avec l’approche britannique traditionnelle, inspirait déjà la
fusion du
Department for International Development (DfiD)
et du
Foreign and Commonwealth
Office (FCO)
, annoncée le 16 juin 2020, et donnant naissance au
Foreign, Commonwealth and
Development Office (FCDO)
.
La stratégie britannique précédente, présentée en novembre 2015 dans un rapport au
Parlement appelé
« UK Aid : Tackling Global Challenges in the National Interest »
, s’efforçait
déjà de concilier la réponse à apporter à des défis globaux comme la paix, la sécurité et la
gouvernance globales ou la lutte contre la pauvreté et l’aide aux plus vulnérables avec le
nécessaire respect des intérêts nationaux.
Un pas supplémentaire est franchi en mars 2021, l’objectif affiché de la nouvelle
réforme étant le retour sur investissement
21
«
que le contribuable est en droit d’attendre
»
des
importantes dépenses d’APD. L’ambitio
n est notamment de combiner plus efficacement la
diplomatie et l’aide avec le commerce, en travaillant avec les partenaires à une adaptation de
l’offre. Une perspective est ouverte vers une réduction de la part des dons et une diversification
des instruments financiers.
La lutte contre la pauvreté n’est plus citée parmi les priorités stratégiques, qui sont au
nombre de sept :
-
le climat et la biodiversité ;
-
la sécurité sanitaire globale ;
-
les sociétés ouvertes et la résolution de conflits ;
-
l’éducation des f
illes ;
-
la prévention et l’intervention humanitaires, en particulier la sécurité alimentaire et la
prévention des famines ;
-
la science et la technologie ;
-
le commerce et le développement économique.
Sur le plan géographique, deux priorités sont affichées :
-
l’Afrique, avec une focalisation sur l’Afrique de l’Est
et le Nigeria ;
-
la région Indo-Pacifique.
En mai 2022, un nouveau rapport au Parlement, portant le titre :
The UK Government
Strategy for International Development
, confirme les deux originalités qui distinguent
aujourd’hui le dispositif britannique d’APD de celui commun à la France et à l’Allemagne
:
21
L’expression utilisée en anglais,
« value for money »
, fournissait
déjà le titre d’un chapitre dans le rapport de
2015.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
43
-
une approche intégrée, qui considère l’aide au développement comme un des
instruments de l’influence globale
;
-
le choix de privilégier des partenariats avec le secteur privé.
En effet, l’accent est à nouveau placé dans ce rapport sur la nécessaire convergence de
l’influence diplomatique, de la politique commerciale, de la politique du renseignement, des
partenariats entre entreprises et de l’expertise en matière de développement, dans l’intérêt bien
compris du Royaume-
Uni et du monde. Par ailleurs, l’importance à donner aux sociétés civiles,
aux entreprises, aux institutions d’enseignement et de recherche est soulignée, particulièrement
dans les pays aux
revenus faibles ou moyens, où le but à poursuivre est l’émancipation des
citoyens, pour qu’ils puissent prendre en main leur avenir et éviter la tentation de la migration
au-delà des frontières.
Quatre priorités sont détaillées :
-
offrir des investissement
s honnêtes et fiables, le don n’apparaissant plus comme le
vecteur d’aide à privilégier
;
-
fournir aux femmes et aux filles la liberté dont elles ont besoin pour réussir ;
-
fournir une assistance humanitaire capable de sauver des vies ;
-
porter plus loin le travail engagé sur le changement climatique, la nature et la santé
globale.
Les trois premiers thèmes sont cohérents avec la tradition de la coopération britannique,
favorable historiquement aux acteurs privés et aux sujets de société. Le quatrième signale une
appropriation, récente mais pleine et entière désormais, des agendas climat et biens publics
mondiaux.
2.4.2
Des choix qui imposent des redéploiements stratégiques
La deux premières conséquences pratiques de ce changement de cap ont été une
réorganisation des ambassades, pour tenir compte de la disparition du DFID, et une diminution
très importante de l’aide bilatérale, qui, compte tenu des rigidités du canal multilatéral, constitue
la variable privilégiée pour procéder aux ajustements budgétaires souhaités, dans un contexte
qui reste marqué par les conséquences de la pandémie dans les pays en développement et par
les besoins d’aide liés à la guerre en Ukraine.
Le cas du Kenya, qui fait partie pourtant des cibles géographiques prioritaires, est
illustratif à cet égard.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
44
Tableau n° 9 :
Aide bilatérale et programmes centraux de l’ex
-DFID au Kenya
En M£
2017-2018
2018-2019
2019-2020
2020-2021
2021-2022
Évolution
2017-2022
Dépenses
bilatérales
gérées sur place
130
98
96
68
50
- 61,5 %
Programmes
gérés de façon
centralisée
22
75
77
82
63
41
- 45,3 %
TOTAL
205
175
178
131
91
- 55,6 %
Source : Haut-Commissariat du Royaume-Uni au Kenya
En RDC, le volume d’APD britannique disponible, qui était de 120 M£ en 2018, est
passé en dessous de 60 M£ en 2021-2021. Les secteurs
d’intervention traditionnels (éducation,
santé, aide humanitaire, gouvernance) y sont concurrencés désormais par la thématique de la
« croissance verte », qui devrait donner lieu à un pilotage direct par le FCDO, depuis Londres,
A l’inverse, la directrice du développement de l’ambassade du Royaume
-Uni en Indonésie, sans
fournir de chiffres, affirme que le budget consacré à la coopération bilatérale sera maintenu,
dans ce pays prioritaire, pour les trois ans à venir.
Dans ce contexte de contraction des moyens, la singularité des principes directeurs de
la coopération britannique a été accentuée par la sortie du Royaume-
Uni de l’Union européenne,
qui a éloigné nos voisins d’Outre
-Manche des réunions de concertation, dans les pays
partenaires, entre représentants des États membres, qui sont fréquentes et régulières, au moins
dans les pays de l’échantillon choisi.
D’une manière générale, les ambassades françaises et allemandes, de même que les
délégations de l’Union européenne, constatent avec regret qu’elles ne
disposent que de peu
d’informations sur la politique de coopération du Royaume
-Uni, qui, le plus souvent, ne
s’appuie pas sur les mêmes partenaires locaux. Elles sont souvent tributaires, pour échanger
avec les Britanniques, des réunions de bailleurs qui associent la Banque mondiale, les banques
régionales de développement ou l’agence des Etats
-Unis pour la coopération internationale
(USAID). Pour ces réunions de bailleurs, la variation des formats permet au demeurant aux
Britanniques d’assurer eux
-mêmes ce
rtaines présidences, comme c’est le cas par exemple, à
Nairobi, pour le groupe qui s’intéresse à la démocratie et à la bonne gouvernance.
22
Central Managed Programs (CMP’s)
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
45
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’examen des stratégies définies et mises en œuvre par les trois pays comparés fait
apparaître des similitudes entre les approches françaises et allemandes, ainsi qu’une
singularité britannique.
Des différences caractérisent la répartition de l’aide. Les dix premiers pays
bénéficiaires, d’un pays à l’autre, ne sont pas les mêmes. Le Royau
me-Uni soutient davantage
les pays les moins avancés (PMA) et l’action humanitaire que la France et l’Allemagne. Cette
dernière se distingue par l’importance de l’aide qu’elle consacre à l’assistance de programme.
Mais la France et l’Allemagne ont en commun d’avoir redéfini récemment leurs
stratégies respectives, la première à travers une loi de programmation de 2021, préparée par
un travail interministériel, la seconde en confiant à son ministère de la coopération la conduite
d’une réforme managériale. Dans les deux cas, la volonté de cibler l’effort, sur les plans
géographique et sectoriel, rencontre des limites.
Les deux pays collaborent étroitement avec l’Union européenne, par ailleurs, dans la
définition et la mise en œuvre d’une politique partagée d’AP
D. Depuis 2020, les « initiatives
équipes Europe » fournissent un cadre de travail adapté, dont la modularité et le pragmatisme
facilitent l’affichage d’une plus grande cohésion entre Européens. Cette nouvelle dynamique
se substitue progressivement au processus plus ancien de la « programmation conjointe », dont
la lourdeur et le manque d’effet opérationnel, déjà identifiés par la Cour en 2017, se sont
confirmés.
Les Britanniques, quant à eux, ont changé de cap. La conception sociale qu’ils avaient
de l’APD
, avait déjà été atteinte par la prise en compte, à partir de 2015, des enjeux climatiques
et de la protection des biens publics mondiaux. Elle a été profondément modifiée par la vision
globale promue par le Premier ministre Boris Johnson, qui mêle défense, renseignement,
économie et coopération dans une même stratégie d’influence. La baisse considérable et rapide
des volumes de l’aide bilatérale, enfin, contribue à une modification des paradigmes
historiques.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
46
3
DES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS HETEROGENES
La France, l’Allemagne et le Royaume Uni se distinguent par la particularité des
institutions qui y sont chargées de l’aide publique au développement et des instruments
financiers qui leur sont confiés.
Le Royaume-Uni présente le schéma apparemment le plus simple
: il s’appuie sur un
ministère unique et n’éprouve pas le besoin d’un opérateur public. L’Allemagne, qui bénéficie
d’un ministère pivot, intègre dans son dispositif deux agences publiques de mise en œuvre. La
France, enfin, où deux ministères
prennent en charge l’APD, dispose d’une agence de
développement puissante : le groupe AFD.
Tableau n° 10 :
Les principaux acteurs institutionnels et leurs instruments de financement
FRANCE
ALLEMAGNE
ROYAUME-UNI
Acteurs
Financement
Acteurs
Financement
Acteurs
Financement
MEAE
(programmes
budgétaire
209 et 105)
- Contributions
bilatérales et
multilatérales (FED, don-
projet mis en œuvre par
l’AFD, organisations de
la société civile, aide
humanitaire).
- FSPI
23
BMZ
24
- Contributions
bilatérales et
multilatérales.
- Contributions fonds
concessionnels et
sectoriels.
DFID
25
puis
FCDO
26
(09/2020)
- Subventions.
- Contributions bilatérales et
multilatérales.
23
FSPI : fonds de solidarité pour les projets innovants
24
BMZ : ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (
Bundesministerium für
wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung
).
25
DFID : ministère du développement international (
Department for International Development
).
26
FCDO : ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement (
Foreign, Commonwealth
and Development Office
).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITA
NNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
47
FRANCE
ALLEMAGNE
ROYAUME-UNI
DGT
(programmes
budgétaires
110 et 365)
- Contributions fonds
concessionnels et
sectoriels.
- Bonifications des prêts
de l’AFD aux Etats
étrangers.
- Aides budgétaires
globales.
- Annulations de dettes.
- Dotation en capital de
l’AFD.
BMF
27
- Garanties des prêts de
la KFW.
CDC
28
Groupe
puis BII
29
(04/2022)
- Prêts.
Groupe AFD
(AFD-
Expertise
France-
Proparco
30
- Prêts
- Garanties financières.
- Subventions (actions,
ONG), financements de
projets via des facilités et
fonds de financement.
- Contrat de
désendettement et de
développement (C2D).
GIZ
31
- Subventions.
British
Council
- Subventions du FCDO
- Participations publiques et
privées.
KFW
32
DEG
33
- Prêts accordés dans le
cadre de la coopération
financière de
l’Allemagne aux pays
en développement.
- Subventions
provenant des fonds du
budget fédéral).
- Garanties financières.
Source : Cour des comptes.
27
BMF : ministère fédéral allemand des finances (Bundesministerium der Finanzen).
28
CDC : institution de financement du développement (
Commonwealth Development Corporation
).
29
BII :
British International Investment
.
30
Proparco : société de promotion et de participation pour la coopération économique.
31
GIZ : agence de coopération internationale allemande pour le développement (
Deutsche Gesellschaft für
internationale Zusammenarbeit
).
32
KFW : Établissement de crédit pour la reconstruction (
Kreditanstalt für Wiederaufbau
).
33
DEG : Etablissement de développement spécialisé dans le financement du secteur privé (
Deutsche Investitions-
und Entwicklungsgesellschaft).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
48
3.1
Un ministère unique, une absence d’opérateur public au Royaume
-Uni
Le dispositif institutionnel britannique se caractérise par la concentration de la
responsabilité dans un ministère unique, qui est dépourvu d’agence de mise en œuvre.
3.1.1
La fusion des ministères chargés des affaires étrangères et de la coopération
Jusqu’à sa disparition en 2020, le Département pour le développement international
(
Department For International Development
(DFID)) assumait une responsabilité centrale dans
la gestion de l’APD britannique. Mais la part des crédits qu’il gérait directement tendait à
diminuer. Entre 2013 et 2017, selon le
National Audit Office
(NAO), l’enveloppe annuelle de
10 M£ qui lui était confiée s’est maintenue en valeur absolue, mais son poids relatif es
t passé
de 89 à 72 % du total, les autres ministères prenant en charge une dépense complémentaire qui
est passée de 1,3 à 4 Mds£
34
.
Depuis la fusion du DFID avec le ministère des affaires étrangères, du Commonwealth
et du développement (
Foreign and Commonwealth Office
(FCO)), effective le 2 septembre
2020, un seul ministère est chargé au Royaume-Uni de toute la politique internationale : le
ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement (
Foreign,
Commonwealth and Development Office
(FCDO)).
L’évolution institutionnelle Outre
-Manche semble donc suivre, 25 ans après, celle
constatée en France
: le DFID avait été créée en 1997, soit un an avant l’absorption, en France,
du ministère de la coopération par le ministère des affaires étrangère
s. L’histoire plus longue,
en réalité, montre que les Britanniques ont oscillé depuis les années soixante entre la séparation
et l’intégration des deux entités, la séparation étant voulue davantage par les travaillistes, et
l’intégration par les conservate
urs. En 1964 a été institué un
Ministry of Overseas Development
,
qui a été fusionné avec le FCO dès 1970, avant d’en être à nouveau séparé en 1974. Une
réunification est opérée en 1979, qui produit ses effets jusqu’à la création, 20 ans plus tard, du
DFID.
L’apparition récente du FCDO s’est traduite, au sein de l’administration centrale comme
dans les ambassades, par une restructuration importante des services. À Londres,
l’organigramme du FCDO
35
se présente comme une juxtaposition de directions géographiques,
dans lesquelles les agents de l’ex
-
DFID ont été répartis, au risque d’une dilution de leur
expertise métier. Dans les ambassades, l’autorité de l’ambassadeur a été renforcée, l’ancien
responsable du bureau local du DFID intégrant son équipe rapprochée en tant que directeur du
développement. Combinée à la contraction rapide, en 2020 et 2021, des crédits dévolus à
l’APD, cette transformation continue en 2022 de représenter un défi managérial.
34
Source :
The effectiveness of Official Development Assistance expenditure
, NAO,
juin 2019.
35
Annual Report & Account : 2020-21, FCDO,
p. 12.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
49
3.1.2
U
ne absence d’agence publique de mise en œuvre
Si les structures ministérielles britanniques et françaises sont devenues similaires, en
revanche le Royaume-Uni se singularise, tant vis-à-
vis de la France que de l’Allemagne, par
une absence d’agence publique
de développement. Le seul organisme conséquent dont la
mission s’apparente à celle d’une agence de mise en œuvre est le British Council, mais il
n’intervient que dans le champ de la coopération culturelle et linguistique.
Deux raisons principales expliqu
ent cette particularité britannique. D’une part le
Royaume-
Uni n’a pas besoin de faire transiter son aide par une banque de développement telle
que l’AFD ou la KfW, dans la mesure où, comme les autres grands pays anglo
-saxons, il
distribue essentiellement
des aides à fonds perdus. D’autre part l’analyse pessimiste qu’il fait
de la gouvernance politique et administrative dans les pays à qui il destine son aide le conduit,
non pas à chercher à accompagner des réformes, ou à exiger, comme le fait la Banque mondiale,
l’application de règles de bonne gestion comme contrepartie de prêts avantageux, mais plutôt à
contourner les systèmes publics en faisant appel, quasi-exclusivement, au secteur privé.
Des «
partenaires de mise en œuvre
» remplacent ainsi les « agences de mise en
œuvre
»
36
dont le groupe AFD, la KfW et la GiZ constituent les références. Ces partenaires sont
souvent des organisations non-gouvernementales (ONG), comme Oxfam par exemple, qui sont
fédérées par le
British Overseas NGOs for Development
(BOND
). D’une manière générale, les
ONG du Royaume-
Uni sont plus puissantes que leurs voisines continentales et l’opinion
publique s’identifie davantage à leur l’action, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. La
coopération britannique a aussi recours, au
moyen d’appel d’offres, à des cabinets de conseil,
dont certains, tels le groupe Palladium, sont spécialisés dans l’aide au développement. Enfin les
agences et fonds des Nations Unies sont fréquemment sollicités pour conduire les projets
souhaités par le Royaume-Uni, qui sont alors financés par des contributions volontaires
préaffectées.
Le choix de principe de l’externalisation de la mise en œuvre de la politique de
coopération n’empêche pas les ambassades britanniques de disposer en interne de ressources
humaines étoffées, qui leur permettent de disposer d’un potentiel d’expertise qui, dans les
dispositifs français et allemand, se trouvent dans les agences publiques (AFD, KfW, GiZ).
Ainsi, hors personnels militaires et employés du British Council, l’ambass
ade britannique à
Nairobi emploie au total 230 personnes, dont 64 Britanniques et 166 personnels de droit local.
A Kinshasa, où la chancellerie occupe dix personnes, l’effectif du service chargé de la
coopération (ex-DFID) compte 35 employés.
36
Des
implementing
ou
delivery partners
plutôt que des
implementing agencies
.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
50
3.2
Un ministère principalement responsable, deux agences de mise en
œuvre en Allemagne
Comme le Royaume-
Uni, l’Allemagne s’appuie sur un ministère pivot. Mais il dispose,
pour exécuter sa politique, de deux agences publiques de mise en œuvre.
3.2.1
Un ministère pivot
À la différence de la France et désormais du Royaume-
Uni, l’Allemagne assume le
choix de distinguer sa politique de développement de sa politique étrangère, en les adossant à
deux ministères séparés, le ministère des affaires étrangères
(Auswärtiges Amt
(AA)
)
et le
ministère
de
la
coopération
économique
(Bundesministerium
fur
wirtschaftliche
Zusammenarbeit
(BMZ))
.
Le ministère des affaires étrangères exerce, de son côté, une pleine responsabilité sur
l’aide humanitaire. Le ministère des finances et de la protection
du climat
(Bundesministerium
für Wirtschaft und Klimaschutz
(BMWK)
)
, quant à lui, est directement compétent pour gérer
les financements alloués à l’Union européenne et les remises de dettes. Enfin, l’importance
accordée aux sujets climatiques, à la conversion énergétique et à la promotion de la biodiversité
explique que le ministère chargé de l’environnement
(Bundesministerium für Umwelt,
Naturschutz, nukleare Sicherheit und Verbraucherschutz
(BMU)
)
, s’implique également dans
la politique de coopération.
Mais le ministère pivot est bien le ministère de la coopération, qui se voit attribuer
chaque année un budget global par le ministère des finances, et le gère de manière autonome.
Le mécanisme des coalitions, qui attribue les ministères aux partis qui la composent, produit un
effet stabilisateur, dans la mesure où il limite les risques d’ingérence mutuelle entre les
départements ministériels.
3.2.2
Deux agences d’exécution
Pour mettre en œuvre sa politique, le ministère de la coopération dispose de ses propres
ag
ents qui, lorsqu’ils servent à l’étranger, sont détachés sur des emplois du ministère des
affaires étrangères, mais qui continuent de rendre compte, quelle que soit l’autorité que
l’ambassadeur peut exercer sur leur action, à leur employeur d’origine. Il f
ait aussi appel à des
agences d’exécution
37
, des ONG, et à des organismes multilatéraux. Les deux principales
agences qu’il met à contribution, et sur lesquelles il exerce une tutelle rapprochée, sont
:
37
Le terme allemand est
Durchfürungsorganisationen
, littéralement : « organisations qui exécutent », ce qui
souligne leur situation de subordination.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET B
RITANNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
51
pour la coopération financière,
l’Institut de
crédit pour la reconstruction
(Kreditanstalt
für Wiederaufbau
(KfW)) ;
pour la coopération technique, la Société pour la coopération internationale
(Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit
(GIZ)).
La KfW est un établissement de crédit qui a des traits communs avec la Caisse des
dépôts. Son activité principale est de procurer des financements aux entreprises et collectivités
publiques allemandes. Elle soutient également l’internationalisation de l’économie allemande,
à travers des prêts à l’exportation.
Son activité de promotion du développement a représenté en
2021 un peu moins de 10 % des financements qu’elle a accordés, soit 10,1 Mds€. Elle a mobilisé
deux canaux :
celui de prêts et dons aux gouvernements et organismes publics étrangers, pour 8,6 Md€,
effectués grâce à des emprunts sur le marché des capitaux, mais aussi grâce à des
dotations venant du budget fédéral allemand ;
celui des prises de participations et des prêts en faveur des entreprises privées, pour
1,5
Md€, qui sont gérés par
une filiale appelée
Deutsche Investitions- und
Entwicklungsgesellschaft
(DEG), qui pour l’essentiel se refinance sur les marchés.
La KfW déploie son activité dans 69 pays, où elle ne dispose au total que de 386
collaborateurs. Son mode de fonctionnement, comparativeme
nt à l’AFD, est beaucoup plus
centralisé, ce qui peut engendrer des lenteurs. Le représentant de la KfW dans un pays est chargé
d’instruire les dossiers et d’animer localement les relations de travail avec l’ensemble des
partenaires. Mais toutes les décisions significatives sont prises à Francfort par les services
centraux, qui eux-mêmes rendent compte au ministère de la coopération, dans un rapport de
dépendance étroite.
La puissance du groupe bancaire auquel l’activité «
aide au développement » de la KfW
est adossée apporte une garantie de robustesse financière sans égal. Son poids considérable sur
le marché des capitaux, combiné à la qualité de la signature allemande, lui permet d’offrir à ses
bénéficiaires des conditions de prêts plus avantageuses que celles de ses concurrents.
Agence publique chargée de la coopération technique, la GiZ est issue de la fusion en
2011 :
de
la
Société
pour
la
coopération
technique
(Gesellschaft
für
Technische
Zusammenarbeit
(GTZ)) ;
du Service allemand pour le développement
(Deutsche Entwickungsdienst
(DES)) ;
de l’organisation internationale pour la formation continue et le développement
(Internationale Weiterbildung end Entwicklung
(InWEnt)).
Elle employait 23
600 personnes en 2020 et réalisait un chiffre d’affaires de 3,7
Md€.
La dimension de la GiZ lui permet d’inscrire dans une pleine complémentarité son offre
de coopération technique, d’une part, la coopération financière proposée par la KfW, d’autre
part. La coopération allemande dispose avec cette agence d’un avantage
comparatif
considérable, qui est apprécié des pays partenaires
À l’inverse, la GiZ fait l’objet de critiques, la logique propre d’une institution aux
effectifs pléthoriques et aux charges lourdes pouvant la conduire à justifier certaines de ses
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
52
interventi
ons par des besoins dont la matérialité n’est pas démontrée. L’organisme est par
ailleurs coûteux pour l’État fédéral, puisque, s’il ne reçoit pas de subvention de fonctionnement,
il facture néanmoins des commissions destinées à couvrir ses coûts directs et indirects. Le
montant de ces commissions n’est pas rendu public, mais selon Expertise France, la norme
internationale pour ce type d’organisme est de l’ordre de 12 à 14 % du montant des projets, ce
qui, rapporté à un volume de commande publique de 3 191
M€ en 2020, représenterait une
dépense publique comprise entre 380 et 450 M€.
L’articulation entre le ministère de la coopération (BMZ), la KfW et la GiZ est facilitée
par le cycle biennal qui rythme leurs programmations respectives
38
. Tous les deux ans en effet,
pour chaque pays aidé, un document cadre est préparé et signé, d’une part, par un représentant
du BMZ, qui est un cadre dirigeant du siège, voire un membre du gouvernement allemand
,
et
une contrepartie locale, membre du gouvernement ou haut fonction
naire. L’élaboration du
document est l’occasion d’une revue des projets passés ou en cours, et d’une projection dans le
futur proche.
3.3
Une agence de développement puissante en France : le groupe AFD
Le dispositif adopté par la France pour piloter la politiq
ue d’aide publique au
développement est plus proche de celui de l’Allemagne que de celui du Royaume
-
Uni, puisqu’il
repose sur le principe d’une distinction entre une supervision politique, relevant de l’échelon
central de l’État, et une mise en œuvre opéra
tionnelle confiée à des organismes autonomes,
contrôlés par l’État. Des différences importantes séparent pourtant la France et l’Allemagne,
tant dans la conception de la répartition des responsabilités que dans sa traduction concrète.
3.3.1
Au sein de l’État, un
partage des responsabilités entre deux ministères
Au sein du gouvernement allemand, si quatre ministères au moins interviennent dans le
champ du développement, un seul, le ministère de la coopération, prend en charge l’animation
transversale de la politique et assure la tutelle des deux opérateurs que sont la KfW et la GiZ.
Cette unité dans le pilotage politique se vérifie aussi au Royaume-Uni, où le FCDO centralise
les compétences gouvernementales relatives à l’action extérieure et à la coopération.
En Fr
ance, la conception et l’application de la politique sont partagées par deux
ministères, chargés respectivement des affaires étrangères et de l’économie, qui assurent
conjointement :
le secrétariat du comité interministériel de la coopération internationale et du
développement (CICID), qui, depuis sa création par le décret n° 98-66 du 4 février 1998,
38
Les années paires sont consacrées à des
consultations
et les années impaires à des
négociations
, ou inversement.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
53
définit les orientations de la politique française et dont la loi de programmation du 4 août
2021 a renforcé les attributions ;
la tutelle de l’AFD, aux côtés
du ministère chargé des Outremers.
Chacun des deux ministères se voit confier la responsabilité d’un des deux programmes
budgétaires composant la mission
Aide publique au développement
:
le programme 110 : Aide économique et financière au développement, pour le ministère
de
chargé de l’économie
;
le programme 209 : Solidarité à l
’égard des pays en développement
, pour le ministère
chargé des affaires étrangères
39
.
A l’étranger, les ambassadeurs disposent de deux conseillers spécialisés
:
le conseiller de
coopération et d’action culturelle, qui relève directement du ministère
chargé des affaires étrangères, qu’il soit diplomate ou non
;
le chef du service économique, qui est un fonctionnaire de la direction générale du
Trésor.
3.3.2
Une unique agence publique de
mise en œuvre
Cette dualité fondamentale s’accompagne de l’existence d’une agence de mise en œuvre
unique, qui est d’autant plus puissante que sa tutelle n’est pas unifiée. Cette agence est en réalité
un groupe, qui a pour filiale Proparco, qui finance le secteur privé, et, depuis le 1
er
janvier 2022,
Expertise France, l’agence publique française de coopération. Axé sur la coopération bilatérale,
le groupe AFD a engagé 12,5 Mds€ et décaissé 8 Mds€ en 2021. Un tiers de ses engagements
ont bénéficié à des acteurs non souverains (société civiles, collectivités, acteurs privés).
Pour l’agence chargée de l’expertise technique, le choix d’une absorption par l’AFD a
été fait au CICID de février 2018. La France se différencie de l’Allemagne qui privilégie une
dualit
é d’opérateurs. Il se justifie notamment par le caractère récent d’Expertise France, créée
par la loi du 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité
internationale, par intégration de six opérateurs publics préexistants, et par la dimension encore
modeste de son activité
: son chiffre d’affaires, qui est de 330 M€ en 2021, est dix fois inférieur
à celui de la GiZ, et son effectif permanent n’est que de 500 personnes à Paris, 900 salariés à
plein temps étant déployés à l’étranger
pour des durées déterminées.
Le rapport public thématique de la Cour de juin 2012 sur
la politique française de
coopération
exprimait des réserves à l’égard du dispositif institutionnel français. Dans un
39
La mission
Aide publique au développement
ne représente toutefois que 44% de
l’effort d’APD, la partie
restante étant
gérée dans le cadre de missions dont l’objectif principal n’est pas le développement, ainsi que par
des fonds extrabudgétaires.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
54
chapitre intitulé
« une organisation tripartite mal articulée »
, il déplorait l’absence d’un
ministère pilote, la
nature financière de l’opérateur chargé d’appliquer la politique et l’absence
de séparation tranchée entre conception et mise en œuvre des programmes d’aide.
Depuis la publication de ce rapport, le partage des responsabilités entre les ministères
chargés des affaires étrangères et de l’économie a été confirmé, tandis que les missions et les
moyens de l’AFD augmentaient. Le réalisme et le souci de l’efficience suggèrent de faire porter
la réflexi
on, désormais, sur l’articulation du dispositif plutôt que sur le tripartisme lui
-même.
3.3.3
Une articulation encore imparfaite
L’action de l’AFD est soumise à de lourdes obligations de compte
-rendu. Elles sont
énumérées dans la convention-cadre qui la lie à l
’État, signée le 21 juillet 2021. Par ailleurs le
comité d’orientation stratégique, présidé par le ministre des affaires étrangères, qui prépare les
conseils d’administration, a été réactivé en 2017. Mais la double nature de l’AFD, qui est à la
fois une société de financement et un établissement public à caractère industriel et commercial,
ainsi que l’élargissement de ses compétences, font d’elle le point d’appui central et très
autonome de la politique française de développement. À Paris comme dans les pays partenaires,
sa liberté d’action contraste avec la subordination étroite de la KfW au gouvernement fédéral
et aux ambassades d’Allemagne.
Dans les faits, le fonctionnement
de l’AFD l’apparente davantage à une
Agency
à
l’américaine, qui participe à la conception d’une politique publique autant qu’à son application,
qu’à une agence de mise en œuvre à l’allemande
40
. Le contrôle rapproché auquel tentent de la
soumettre les deux ministères compétents, celui des affaires étrangères en particulier, apparaît
en décalage avec ce choix de principe. Il paraît en outre très difficile, au vu des moyens humains
disponibles. Comme le soulignait en effet la Cour dans un rapport
d’avril 2022
sur
La
contribution de la France à l’aide publique au développement dans le domaine
de la santé
,
« le
MEAE peine à coordonner la politique d’APD et à exercer la cotutelle sur l’AFD
»
. La Cour
rappelait à ce sujet que le
ministère de l’Europe et des affaires étrangères
avait perdu 30% de
ses effectifs en 30 ans. Elle regrette que le ministère, dans le cadre de la présente enquête, ne
lui ait pas communiqué, malgré sa demande,
l’état des effectifs affectés en son sein à la
conception, la mise en œuvre et au suivi de la politique d’aide publique au développement.
Une
occasion a été manquée d’objectiver davantage les termes du débat.
Les revues biennales de projets pratiquées par l’Allemagne, conclues par des accords de
haut niveau entre le ministère de la coopération et le pays partenaires, s’apparente à celui des
anciennes commissions mixtes. En évitant les écueils que ces dernières ont pu rencontrer, elles
40
Le RPT de la Cour de juin 2012 sur
La politique française d’aide au développement
relevait déjà que USAID
et de l’AFD avaient
en commun d’être des hybrides, à la fois agences d’exécution et organes chargés de formuler
des stratégies pays et des stratégies sectorielles.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE
ET BRITANNIQUE D’AID
E
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
55
pourraient inspirer un renouvellement des relations entre la DGM et la DGT d’une part, l’AFD
d’autre part
41
.
Il s’agirait de combattre deux tentations
:
le « micro-management
», dénoncé par l’AFD, qui consiste pour les tutelles à intervenir
dans la gestion quotidienne d’une agence que l’on a voulue pourtant pleinement
autonome ;
la « macro-stratégie », résultant de la multiplication des documents-cadres courant sur
trois, quatre ou cinq années, élaborés au niveau national, régional, ou d’un pays, qui
nécessitent des travaux chronophages de conception et de rédaction, et dont la vertu
opérationnelle n’est pas toujours vérifiée.
L’orientation suggérée est de tirer
une leçon de la comparaison avec les pratiques
allemandes et de prévoir un allègement des procédures de compte-rendu de court terme
imposée
s aujourd’hui à l’AFD, et d’accompagner cet allègement de la mise en place d’un
examen approfondi, tous les deux ans, des projets engagés. Cet examen régulier associerait les
équipes de l’AFD, de la DGM et de la DGT, ainsi que les ambassades et les autorités des pays
partenaires. Une telle évolution serait compatible avec le maintien d’un exercice stratégique à
horizon d
e quatre ou cinq ans, certes simplifié, mais assorti d’un rendez
-vous de suivi qui, une
fois sur deux, interviendrait à mi-parcours. Elle pourrait intervenir dans le cadre de la révision
de la convention État-AFD 20 juillet 2021 qui est dans prévue son article 21.
Au sein des ministères, cette proposition recueille des avis contrastés. Le MEAE indique
ne pas partager l’analyse de la Cour, considérant que
«
les procédures prévues par la
convention cadre, récemment et longuement négociée, sont indispensables à la cohérence
de la politique de développement, au pilotage de
l’opérateur et à la crédibilité de l’Etat
dans cet exercice. »
La direction générale du trésor, de son côté, précise que le rendez-vous
biennal proposé par la Cour existe déjà,
« au moins pour
l’activité prêts de l’AFD, suivie
avec une attention particulière par la DG Trésor »
et que ce rendez-vous biennal ne
l
’empêche pas de rester
«
très attentive à la prise de risque de l’AFD dans le cadre de sa
programmation annuelle »
. Elle estime que
« concernant le besoin de reporting de plus
long terme, la gestion des prêts souverains justifie le maintien de ce type d’exercice
».
La
direction générale de l’AFD
est très favorable au projet de recommandation,
considérant que
« l’instauration d’un rend
ez-vous biennal de revue des stratégies et des
portefeuilles par pays serait en effet bienvenue »
. Elle est favorable à un
« allègement, en
contrepartie, des obligations de l’Agence en matière de programmation annuelle et de
compte-rendu de trop court terme »
et plaide pour une adaptation au cas par cas de
l’exercice de revue, afin que
«
l’effort stratégique et les exigences du
reporting
soient
proportionnelles aux enjeux ».
41
Les développements qui suivent prolongent ceux du chapitre du rapport public annuel 2019 de la Cour, intitulé
« Le groupe Agence française de développement : mutations et nouvelles ambitions ».
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’A
IDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
56
Les réticences du MEAE, dont le bien-
fondé n’est pas
démontré, ne devraient pas
faire
obstacle à l’utilisation, le moment venu, de la clause de révision prévue par la
convention Etat-AFD du 20 juillet 2021, afin que, conformément à la méthode déjà
appliquée par la direction générale du trésor et au souhait légitime de l’AFD, les comptes
rendus demandés à l’Agence obéissent plus systématiquement à un rythme biennal.
Cette
évolution des modalités de compte-
rendu de l’AFD ne se traduira pas par une perte
d’information pour
ses tutelles, à qui seront évités les risques liés à une approche trop
analytique de l’activité quotidienne de l’Agence et offerte
, au contraire, la possibilité de
rendez-vous plus réguliers, pays par pays, sur ses résultats et sa programmation.
3.3.4
Les enseignements de la comparaison avec les dispositifs allemand et
britannique
La comparaison avec les dispositifs allemand et britannique suggère, d’autre part,
d’engager une réflexion sur les positionnements respectifs du service de coopération et d’action
culturelle (SCAC) et de la direction pays de l’AFD.
Sur ce sujet, la comparaison avec
l’Allemagne et le Royaume
-Uni fait apparaître un contraste fort.
D’un côté, l’Allemagne et le Royaume
-Uni disposent, dans leurs ambassades
respectives,
d’un
chef du service de coopération disposant
d’une autorité et de compétences
métier reconnues
, qui représente véritablement son pays auprès des autorités locales et dans
les réunions de bailleurs. De l’autre, l
es ambassades de France
s’appuient sur
des conseillers
de coopération et d’action culture
lle (COCAC) qui
apparaissent démunis face à la puissance
de l’AFD,
à la fois en termes budgétaires et d’expertise
42
. La France, à la différence de ses deux
voisins, intervient en ordre dispersé. Dans les réunions des chefs de coopération organisées par
les
délégations de l’Union européenne, par exemple, le COCAC peine à incarner les positions
françaises s’il n’est pas accompagné d’un représentant de l’AFD.
Les représentants allemands
et britanniques, clairement identifiés, maitrisent à l’inverse l’ensemble d
e leurs dossiers.
Le moment paraît venu de clarifier le dispositif français en tirant les conséquences du
transfert progressif du MEAE à l’AFD de l’essentiel des compétences en matière de
coopération. En Colombie, où l’AFD accorde 200 à 300 M€ de prêts cha
que année et où le total
de ses engagements depuis 2009 est de 3 Mds€, les crédits gérés par le SCAC n’ont été que de
1,3 M€ en 2021
43
. À Madagascar, pour l’année 2021, le SCAC fait état de dépenses de 6,1 M€
42
L’expérience en cours dans huit pays (Bénin, Djibouti, Jordanie, Liban, Mauritanie, Niger, RDC, Tchad),
encadrée par la convention DGM/AFD du 20 juillet 2021, qui permet au poste de donner un avis contraignant sur
les projets de l’AFD appelés à être financés sur le programme 209 et qui accorde au COCAC un «
droit
d’initiative
» pour proposer des projets à hauteur de 20% de l’enveloppe, n’est pas de nature à rééquilibrer
structurellement les relations de travail entre l’ambassade et la direction pays de l’AFD.
43
56
000€ sur le P209, 672
000€ sur le P185 et 622
000€ sur le fonds de solidarité pour les projets innovants
(FSPI).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
57
(3 M€
44
hors aide alimentaire), tandis que le tot
al des décaissements de l’AFD a été, la même
année, de 61,9 M€.
Il serait opportun, dans ce contexte, pour garantir l’unité d’action de la France, de
renforcer le lien entre le directeur pays de l’AFD et le chef de poste.
Afin de mettre le droit
en rappor
t avec le fait et d’être plus efficace, il conviendrait de de désigner le responsable pays
de l’AFD, officiellement, comme le conseiller de l’ambassadeur pour l’APD.
Par la voix de sa secrétaire générale, le MEAE se déclare
« très défavorable »
à une
telle évolution. Elle considère, sans produire de démonstration, que la désignation proposée
«
irait à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la loi du 4 août 2021 relative au
développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui fait une priorité
du pilotage de l’Agence sur le terrain
».
L’analyse de la loi du 4 août 2021 et de son rapport
annexé ne corrobore pas une telle affirmation. Dans sa sous-partie III-B, le rapport annexé
indique que l’AFD participe
«
à l’élaboration de la stratégie
-pays et de la programmation-
pays commune aux opérateurs »
et que
« cette dernière est soumise aux instances de
décision de l’AFD.
»
Il est ainsi prévu qu’une fois la stratégie
-pays arrêtée
, l’AFD
élabore
de manière autonome la programmation de ses projets. A cet égard, le rattachement du
responsable pays de l’AFD à l’ambassadeur renforcerait
à la fois
la cohésion de l’action de
la France et le pilotage de l’Agence sur le terrain.
Selon la secrétaire générale du MEAE, le co
nseiller de coopération et d’action
culturelle (COCAC) doit demeurer le
« conseiller chargé du développement »
,
indépendamment des responsabilités exercées par l’AFD.
Cette vision se heurte, dans les
faits, au déséquilibre des moyens en effectifs et en expertise dont disposent respectivement
équipes de l’AFD et du COCAC.
Contrairement à ce que soutient le MEAE, le maintien de
deux fonctions séparées, loin de faciliter la définition de priorités stratégiques pour
«
l’équipe France
», contribue de surcroît à fragmenter
l’approche stratégique
.
La réforme suggérée unifierait l’intervention des ambassades. En dehors de leur
action directe à travers le fonds de solidarité pour les projets innovants, une répartition des
rôles clarifiée augmenterait l’efficacité de
«
l’équipe France
», mentionnée explicitement
dans la recommandation de la Cour
. Le conseiller pour l’action culturelle et de coopération
(COCAC) conserverait ses missions dans les champs culturels et linguistiques, ainsi que
ses responsabilités actuelles en matière de coopération éducative et scientifique. Le
responsable pays de l’AFD, de son côté, serait pleinement compétent pour l’ensemble des
dossiers d’aide au développement, sous l’autorité renforcée de l’ambassadeur. COC
AC et
responsable pays de l’AFD serai
ent conduits
à coopérer plus efficacement qu’aujourd’hui
au sein de «
l’équipe France
», chacun dans son domaine de compétence, sans que l’un n’ait
à donner des avis formels sur les activités de l’autre. Ainsi l’approch
e politique dont
44
920
000€ sur le P185, 523
000€ sur le P209,
796
000€ sur le FSPI, 720
000€ d’assistance technique et 34
000
sur le P 151 (adoption internationale)
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
58
l’ambassadeur est le garant et sa mise en œuvre opérationnelle se complèteraient de manière
plus fluide et plus cohérente qu’aujourd’hui.
La direction générale du trésor
n’est pas favorable
non plus à la désignation des
responsables pays
de l’AFD comme les conseillers de l’ambassadeurs pour l’APD
. Elle
considère en effet que les ambassadeurs sont
«
les garants d’un regard extérieur et
indépendant au niveau local sur les projets de l’AFD
»
. Cet argument ne paraît pas
convaincant, dans la me
sure où l’ambassadeur continuerait
, si la mesure proposée était
adoptée, à bénéficier des éclairages extérieurs que lui apporterait notamment le chef du
service d’action économique.
Le
directeur général de l’AFD
indique qu’il avait déjà proposé, en 2018, u
ne
reconnaissance du
« lien direct et du rôle de conseiller développement confié de facto aux
directions d’agences de l’AFD par les ambassadeurs, de façon à clarifier le fonctionnement
des postes ».
Il rappelle que
« les ambassadeurs formulent déjà un avis pour la nomination
d’un nouveau directeur d’agence de l’AFD
».
Recommandation n° 1.
(MEAE, DGT, AFD) Lors du réexamen de la convention entre
l’État et l’AFD prévue par son article 21, instaurer un rendez
-vous biennal de revue
par pays des programmes et projets passés, en cours ou envisagés, en liaison avec le
conseil local de développement, et alléger en contrepartie les obligations de l’Agence en
matière de compte rendu à court terme (six mois ou un an).
Recommandation n° 2.
(MEAE, DGT
) Désigner les responsables pays de l’AFD,
officiellement, c
omme les conseillers des ambassadeurs pour l’APD, au sein d’une
équipe France dans laquelle le
conseiller pour la coopération et l’action culturelle
(COCAC) conserverait ses compétences en matière culturelle et linguistique et dans la
coopération éducative et scientifique.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
Si les stratégies d’action de la France et de l’Allemagne ont des traits communs, tandis
que la stratégie britannique est plus singulière, les dispositifs institutionnels des trois pays sont
fondamentalement hétérogènes.
Depuis qu’il a fusionné, en 2020, ses ministères chargés des affaires étrangères et de la
coopération, le Royaume-
Uni ne s’appuie plus que sur un seul département ministériel pour sa
politique d’APD. Ce département est d’autant plus puissant que les Britanniques ne disposent
pas d’une agence publique de mise en œuvre. À Londres comme dans les pays partenaires, ce
sont les organismes multilatéraux et le secteur privé, tantôt les entreprises, tantôt les ONG, qui
dém
ultiplient l’aide britannique.
En Allemagne, le ministère de la coopération joue un rôle-pivot. Ses compétences,
distinctes de celles du ministère des affaires étrangères, lui donnent une grande latitude
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
59
d’action. Malgré l’importance des moyens dont elles
disposent, les deux agences de mise en
œuvre que sont la KfW pour la coopération financière et la GiZ pour la coopération technique
sont placées sous son contrôle étroit.
Le dispositif français, quant à lui, se caractérise par la montée en puissance d’une
agence de développement, le groupe AFD, qui prend en charge une part essentielle de la
conception de la politique d’APD et la quasi
-
intégralité de sa mise en œuvre. L’autonomie dont
dispose cette agence est favorisée par le partage des compétences, au sein des administrations
centrales, entre le ministère chargé des affaires étrangères et celui chargé des finances. Des
évolutions doivent être envisagées, tant dans le pilotage de la politique que dans l’organisation
des ambassades, pour que toutes les conséquences de ces choix soient tirées.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQUE
D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
60
4
DES DIFFERENCES DANS LE CHOIX DES INSTRUMENTS
Lorsqu’on observe l’usage que font les trois pays des dons et des prêts, la France se
singularise par un recours massif aux prêts, alors que les Allemands, et plus encore les
Britanniques, sont davantage enclins à faire des dons. L’assistance technique est un domaine
où l’investissement allemand, massif, n’a pas d’équivalent. Enfin, la préaffectation des crédits
alloués aux agences, fonds et commissions des Nations Unies est une pratique très développée
en Allemagne et au Royaume Uni, au point de permettre une « bilatéralisation » partielle du
canal multilatéral, alors que la France, au contraire, pour des raisons de principe, manifeste de
grandes réticences à son égard.
4.1
Les Britanniques et les Allemands plus enclins aux dons que les
Français
L’analyse de l’APD bilatérale par nature d’aide, retracée dans le tableau ci
-dessous,
rapproche l’Allemagne et le Royaume
-Uni et les distingue de la France. Dans ces deux pays, la
part d
es dons dans l’aide bilatérale est de l’ordre de 90 %, alors qu’elle est inférieure à 60 % en
France. Au sein du trio, les prêts bilatéraux et les remises de dettes, inscrites notamment dans
les contrats de désendettement et de développement proposés par l
’AFD, apparaissent comme
une spécialité française.
La rubrique
« autre »
, quant à elle, recense les flux d’aide bilatérale orientés vers le
secteur privé. L’Allemagne y consacre une très faible fraction de son effort, alors que le
Royaume-
Uni et la France sont proportionnellement plus actifs. Tous canaux d’aide confondus,
le C
AD considère qu’en 2019, l’Allemagne n’aura consacré qu’un peu moins d’un milliard de
dollars au secteur privé, contre 1,4 Md$ pour le Royaume-Uni et 0,7 Md$ pour la France.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
61
Tableau n° 11 :
Ventilation de l’APD bilatérale (équivalent
-don) par nature 2018-2021*
En Md$
Nature
France
Allemagne
Royaume-Uni
2018
Dons
4,5
17
11,7
Prêts bilatéraux
1,5
1,4
-
Remise dette
-
-
-
Autres
0,7
0,4
1,1
Total
6,7
18,8
12,8
2019
Dons
5,4
17,3
12,5
Prêts bilatéraux
1,7
1,1
-
Remise dette
-
-
-
Autres
0,6
0,8
1,4
Total
7,7
19,2
13,9
2020
Dons
5,4
19,5
11
Prêts bilatéraux
2,7
1,8
-
Remise dette
0,4
-
0,2
Autres
0,7
0,8
1
Total
9,2
22,1
12,2
2021*
Dons
5,8
20,6
8,2
Prêts bilatéraux
2,1
1,2
-
Remise dette
-
-
-
Autres
1
0,3
0,8
Total
8,9
22,2
9
Source : OCDE données(data.oecd.org). Prix constants 2020. * 2021 données provisoires
Le Royaume-Uni considère de longue date le don comme devant être le principal
vecteur de l’aide publique au développement. Sa philosophie le rapproche sur ce point des
Etats-
Unis et de l’Australie. Il ne consacre qu’un peu moins de 10 % de son APD à des prêts,
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
62
qui transitent pour l’essentiel par une institution financière publique,
British International
Investment
(ex-
CDC
), et sont destinés tant au secteur public qu’au s
ecteur privé.
L’Allemagne est plus adepte du don que la France. Mais elle fait partie, avec la France,
le Japon et la Corée du Sud, du petit nombre de pays qui, comme la Banque mondiale et les
banques régionales de développement, continuent de faire transi
ter des volumes d’aide
importants par des prêts, qu’ils soient concessionnels ou offerts aux conditions de marché, liés
ou déliés. Toutefois, dans le contexte de remontée des taux, la DG Trésor partage les
interrogations de la Cour sur les places respectiv
es des prêts et des dons dans l’APD bilatérale.
Elle prévoit l’inscription d’une réflexion sur le sujet à l’ordre du jour du prochain CICID, ce
qui semble nécessaire et opportun.
Les prêts de la DGT et de l’AFD
Les prêts de la direction générale du Trésor sont de deux types : les prêts directs
45
, disponibles
dans des zones géographiques et pour des secteurs d’intervention étendus, et les prêts concessionnels,
accordés à des conditions tarifaires plus avantageuses.
Les prêts de la DGT financent principalemen
t de l’aide
-projet, plutôt que des aides accordées à
des pays. Ils constituent un outil de soutien à l’exportation, comme les crédits garantis, et sont donc
considérés comme une aide liée. En outre, les prêts concessionnels, accordés à des conditions tarifaires
avantageuses par la DGT, peuvent être comptabilisés au titre de l’APD de la France, à la différence des
prêts directs accordés à des pays. Pour ces deux raisons, les prêts de la DGT observent les exigences de
l’OCDE. Ils respectent les conditions de
«
l’Arrangement de l’OCDE
», qui encadre sur un plan
international l’usage des crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public. Les prêts concessionnels
sont également conformes aux normes fixées par l’OCDE pour l’APD, en termes de maturité, de pri
me
de risque ou de profil de remboursement. La prime de risque, applicable aux prêts directs, varie en
fonction de la catégorie de revenu par tête dans laquelle se trouve le pays. Le Trésor fait toutefois preuve
de flexibilité, toit en respectant les règle
s de l’OCDE, pour optimiser son soutien aux projets français,
s’agissant notamment du phasage des gros projets, des schémas de co
-financement, des prêts mixés, ou
du bonus climatique.
Depuis 2010, 25 pays ont bénéficié des prêts de la DGT. Près de 45% de ces prêts (en volume)
étaient destinés à l’Afrique, 30% à l’Asie et 15% à l’Amérique. Sur une période plus longue, l’Afrique
et l’Asie du Sud
-Est ont toujours fait partie des régions les plus bénéficiaires.
Au 31 décembre 2021, 775 prêts de la DGT sont en cours, en phase de décaissement ou en phase
de remboursement, dans 49 pays. L’encours de ces prêts représente un total de 3,7 Mds€. Si on recense
l’intégralité des prêts du Trésor, y compris ceux achevés, le nombre total de protocoles se situe autour
de 1500.
Le coût de bonification pour l’État, en 2021, s’est élevé à 547,5 M€, contre 690,6 M€ en 2020.
L’aide déliée de la France est, en revanche, principalement mise en œuvre par l’AFD (aide
bilatérale) et à travers les banques multilatérales de développement (aide multilatérale).
L’AFD intervient à travers une grande diversité d’outils financiers, dont les prêts, qui
représentent plus de 80 % des fonds qu’elle engage. En 2018, ces derniers représentaient 83 % des
45
Décret n° 2015-726 du 24 juin 2015
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
63
11,4
Mds € engagés. En 2021, la part des prêts
est estimée à presque 90 % des 12 Mds€ engagés par le
groupe.
L’aide financière allemande, et notamment les prêts consentis par la branche «
financement du
développement
» de la KfW, qui gère un portefeuille de 8,6 Mds€ dans 69 pays, sont essentiellemen
t
déliés.
L’aide financière du Royaume
-Uni est prise en charge par une institution publique de
financement du développement, la
British
International
Investment
(BII). Les prêts directs sont
fortement mobilisés : le portefeuille représente 46 transactions, pour un encours de 5 Mds£, accordés
notamment par l’agence crédit
-export
UK Export Finance
(UKEF). Ces prêts directs sont
majoritairement des crédits acheteurs, bénéficiant à de grands comptes, dans des pays et secteurs où les
liquidités sont rares. Ils interviennent en complément des prêts privés, pour allonger la durée de crédit
au-delà de la norme acceptée par les banques. Cette aide, distribuée par les
British Investment
Partnerships
, s’inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie impulsée par le Gouvernement Johnson
depuis 2020 (Cf. § 2.4.1
supra
).
Sources : DGT-AFD-KfW.
4.2
Un investissement massif et original de l’Allemagne dans l’assistance
technique
En
matière d’assistance technique, l’investissement allemand est massif alors que la
France arrive au terme d’un mouvement historique de déconstruction de son dispositif.
L’asymétrie entre les deux pays est spectaculaire
:
-
en 2021,
le chiffre d’affaire de la
GiZ , a été de 3 701
M€, celui d’Expertise France, de
339 M€
46
;
-
la GIZ emploie 23 600 personnes, dont 5000 au siège d’Eschborn, en Allemagne,
Expertise France 1400, dont 500 à Paris, dans les services centraux.
Le nombre des experts techniques internation
aux (ETI) mobilisés par la France n’a cessé
de décroître depuis le pic enregistré en 1978. Cette année-là, ils étaient 23 000 ; la coopération
technique française représentait 35 % du total de la coopération technique des États membres
du CAD de l’OCDE et environ 70 % de l’APD française totale. En 1998, lors de l’intégration
du ministère de la coopération au sein du ministère des affaires étrangères, la France ne
disposait plus que de 4 000 ETI. Déplorant une
«
crise de l’assistance technique
»
, le rapport
d’information de la commission des affaires étrangères du Sénat d’octobre 2001 sur la réforme
de la coopération demandait déjà que celle-ci redevienne prioritaire, dans la mesure où, selon
les rapporteurs, elle conditionne l’efficacité de la politique d’ai
de au développement Mais la
réduction des effectifs s’est poursuivie. En 2015, au moment de la création d’Expertise France,
46
Le chiffre d’affaires du
British Council
en 2020 est de 1160 M€, dont 80
% proviennent de ses activités
rémunératric
es et 15% d’une subvention de fonctionnement.
Source
:
Expertise France.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
64
leur nombre était passé à 500
47
. Il était de 138 seulement lorsque le conseil présidentiel pour le
développement, le 17 décembre 2020, a décidé de le porter à 290 en 2023.
Au Kenya, où le nombre des ETI français est inférieur à dix, la GiZ emploie 400
personnes, sur des contrats locaux essentiellement. En RDC, la GiZ peut compter sur 275
personnes, dont 35 expatriés et 240 collaborateurs congolais, parmi lesquels se trouvent 40 %
d’experts techniques, 30 % de personnels administratifs et 30% de personnels auxiliaires,
affectés à des missions logistiques. À Madagascar, où l’effectif de coopérants français est
squelettique, la GiZ occupe plus de 400 assistants techniques. En Colombie, la GiZ emploie
220 collaborateurs, en Indonésie 350.
Tous ces assistants techniques sont affectés à des projets, même lorsqu’ils apportent une
assistance aux administrations publiques. La thématique générale de leurs interventions,
comme dans le cas d’Expertise France, est le renforcement des compétences dans le pays
partenaire.
48
Au total, la GiZ est en mesure de consacrer un effectif de 21 000 personnes, sur les
23 600 qui figurent dans son effectif, vers ses projets et programmes :
2 600 expatriés ;
16 000 agents de droit local ;
2
400 agents travaillant depuis l’Allemagne.
Les 2
600 autres agents exercent des missions de soutien au siège de l’agence.
Expertise France, de son côté, peut affecter aux projets et programmes :
ses 900 agents en fonction à l’étranger, dont les 150 ETI
;
une partie des 500 personnes travaillant au siège
Le rapport entre la GiZ et Expertise France, dans ce domaine, est donc de 1 à 20 environ.
Indépendamment de ces écarts considérables dans les moyens financiers et humains
déployés, les schémas économiques d’Expertise France et de la GiZ sont différents.
Apportant 204 M€ en 2021, soit 51 % de ses ressources, l’Union européenne est le
premier financeur d’Expertise France. Le chiffre d’affaires venant de l’État, quant à lui, s’élève
à 129
M€, ce qui représente 40 % du chiffre d’affaires total.
Les commandes passées par l’État à Expertise France incluent un pourcentage destiné à
couvrir les coûts complets, pour l’agence, des prestations fournies. En revanche, quand c’est
l’Union européenne qui passe une commande, les frais de gestion sont calculés forfaitairement,
sur la base de 7% de la commande, ce qui est inférieur au prix de revient pour Expertise France.
Un fonds de soutien a donc été mis en place, cogéré par la DGM et la DGT, pour compenser la
différence, qui est mesurée projet par projet, sur la base d’une imputation fine des dépenses
47
Source pour les statistiques :
Histoire de la coopération technique
, François Pacquement, éditions Karthala,
2021.
48
Capacity building,
ou
Verstärkung der Kapazitäten..
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
65
incombant à l’agence. En 2021, le fonds de soutien a apporté 6
M€ à Expertise France, ajoutant
4 poin
ts aux 7% versés par l’Union européenne.
Le chiffre d’affaires de la GiZ repose à 87 % sur la commande publique nationale. Ainsi,
en 2020, l’État fédéral a consacré 3
191 M€ à des prestations d’assistance technique prises en
charge par la GiZ, ce qui repré
sente plus de 10 % des dépenses d’APD du pays. L’Union
européenne est le deuxième fournisseur de ressources, mais son apport ne représente que 12%
du chiffre d’affaires de l’agence.
Le taux forfaitaire de 7 % appliqué par l’Union européenne pour couvrir le
s frais de
fonctionnement de ses prestataires d’assistance technique vaut pour la GiZ comme pour
Expertise France. Mais la dépendance de la GiZ aux commandes européennes étant faible, le
mécanisme de compensation mis en place en France n’a pas d’équivalent
en Allemagne. Sans
qu’il soit possible de vérifier le détail des chiffres, il apparaît que les commandes massives de
l’État, dans le cas de la GiZ, permettent de couvrir non seulement les frais de gestion qu’elles
engendrent, mais également l’insuffisante
couverture des frais de gestion nés des commandes
européennes.
Quoi
qu’il en soit, la comparaison franco
-allemande suggère de revoir la répartition de
l’APD française entre l’aide financière et l’aide technique, afin que l’accompagnement des
projets soute
nus par l’AFD et, dans certains cas, par la DGT, comporte une part plus
conséquente d’expertise et de transfert de savoir
-faire, fût-
ce au prix d’une légère déflation des
prêts concessionnels et des dons accordés par ailleurs. L’impact de la contribution a
pportée par
la France aux pays partenaires en serait augmentée, en RDC par exemple, où davantage de petits
projets déployés sur des durées longues pourraient être accompagnés. Une telle réorientation
permettrait aussi de tirer davantage bénéfice de l’effet
de levier considérable qui permet
actuellement à une dépense budgétaire de 6
M€ d’apporter à Expertise France 150 M€ de
commande européenne, et qui pourrait s’appliquer à une assiette d’APD européenne plus
importante
.
4.3
Une utilisation bilatérale du canal
multilatéral par l’Allemagne et le
Royaume-Uni, à laquelle la France se refuse
4.3.1
Des différences dans l’orientation de l’aide vers le canal multilatéral
Les données agrégées du CAD montrent qu’entre 2018 et 2020, en France comme au
Royaume-
Uni, l’aide était
bilatérale pour les deux tiers et multilatérale pour un tiers.
L’Allemagne faisait appel de façon plus massive que ses deux voisins à l’aide bilatérale, qui
représentait 76 % de l’APD.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
66
Tableau n° 12 :
APD (équivalent don) bilatérale et multilatérale 2018- 2021
En Md$
2018
2019
2020
2021*
Total 2018-2021
APD
bilatérale
APD
multilatérale
APD
bilatérale
APD
multilatérale
APD
bilatérale
APD
multilatérale
APD
bilatérale
APD
multilatérale
APD
bilatérale
APD
multilatérale
France
6,7
(55 %)
5,47
(45 %)
7,74
(61 %)
5
(39 %)
9,15
(65 %)
4,98
(35 %)
8,92
(60 %)
5,85
(40 %)
32,52
(60 %)
21,3
(40 %)
Allemagne
18,79
(75 %)
6,22
(25 %)
19,22
(77 %)
5,81
(23 %)
22,12
(77 %)
6,59
(23 %)
22,16
(74 %)
7,98
(26 %)
82,29
(76 %)
26,6
(24 %)
Royaume-
Uni
12,8
(63 %)
7,36
(27 %)
13,91
(67 %)
6,71
(33 %)
12,23
(67 %)
6,02
(33 %)
9,02
(63 %)
5,35
(37 %)
47,96
(65 %)
25,44
(35 %)
Source : OCDE données(data.oecd.org). Prix constants 2020. * 2021 données provisoires
L’analyse des destinataires de l’aide multilatérale met en évidence des
différences
importantes entre la France, l’Allemagne et le Royaume
-Uni.
Tableau n° 13 :
Ventilation de l’APD multilatérale (APD flux) par destinataire entre 2019 et 2021
En MUSD
2019
2020
2021*
France
Allemagne
Royaume-
Uni
France
Allemagne
Royaume-
Uni
France
Allemagne
Royaume-
Uni
Nations
Unies
532,92
732,32
1 085,04
483,99
916,09
746,88
544,97
870,22
740,18
Union
européenne
2 680,03
3385,63
2 487,21
2 849,89
3 588,33
1 944,98
2 911,6
3 683,37
1 856,40
Système
Banque
mondiale
527,5
688,99
1305,5
502,29
736,04
1269,16
673,97
703,1
979,3
Banques et
fonds
régionaux
401,79
563,98
473,16
262,63
426,36
385,15
209,34
280,24
315,46
Autres
agences
596,59
437,49
1 376,97
1 242,85
924,42
2 705,51
-
-
-
Total
4 738,83
5 808,41
6 727,88
5 341,65
6 591,24
7 051,68
4 339,88
5 536,93
3 891,34
Source : OCDE données(data.oecd.org). Prix constants 2020. * 2021 données provisoires
Comme attendu, le
Brexit
, singularise le cas du Royaume-Uni
: alors que l’Union
européenne accueille plus de la moitié de l’APD française et allemande, la proportion n’est plus
que d’un quart s’agissant du Royaume
-Uni, et elle a vocation à disparaître. Enfin, une des
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
67
caractéristiques importantes est constituée par le montant substantiel consacré par ce pays au
système de la Banque mondiale.
La comparaison franco-
allemande, en revanche, est éclairante. Alors que l’engagement
des deux pays vis-à-
vis de l’Union européenne est du même
ordre, l’Allemagne oriente une part
deux fois supérieure de son aide multilatérale vers l’ONU et ses agences et fonds divers.
L’Allemagne est également davantage tournée que la France vers les institutions liées à la
Banque mondiale. En contrepartie, la F
rance est mieux représentée que l’Allemagne dans la
rubrique « autres
», dans laquelle se trouvent notamment les fonds verticaux et où l’on constate
une forte présence des Britanniques.
4.3.2
Une bilatéralisation d’une partie significative de l’aide
multilatérale
allemande et britannique
Cette différence s’explique notamment par l’usage bilatéral que l’Allemagne fait, pour
partie, de ses contributions aux organisations multilatérales traditionnelles, en préaffectant au
bénéfice de ses propres priorité
s d’action, qu’elles soient géographiques ou thématiques, une
part significative des crédits qu’elle leur alloue au
-delà de sa contribution obligatoire. Cette
pratique, communément désignée par le mot « fléchage », qui repose sur un accord entre le
bailleu
r et l’organisme bénéficiaire, conclu au moment de l’attribution, et matérialisé par un
dépôt sur un fonds fiduciaire d’une contribution volontaire additionnelle, est mise en œuvre
également par le Royaume-Uni, dans des proportions plus grandes encore que dans le cas de
l’Allemagne.
Dans les pays de l’échantillon étudié, par exemple, l’OCDE a pu mesurer ce que
représente le canal multilatéral dans la distribution de l’APD bilatérale. S’il est négligeable à
Madagascar, il est très significatif en revanche en
RDC, où il prend appui pour l’essentiel sur
la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Dans ce pays, 50 % de l’aide
britannique, qui a atteint 272 MUSD en 2018 et 242 MUSD en 2019, a été acheminée à travers
le canal multilatéral.
Tableau n° 14 :
Répartit
ion de l’APD bilatérale pour les cinq pays de l’échantillon (en MUSD)
2018
2019
2020
ALL
FR
RU
ALL
FR
RU
ALL
FR
RU
Colombie
dont canal
multilatéral
558
20
509
0
47
7
119
17
27
1
68
24
715
n.d.
270
n.d.
98
n.d.
Indonésie
dont canal
multilatéral
1 204
0
455
0
40
3
134
0
18
0
44
0
997
n.d.
326
n.d.
43
n.d.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
68
2018
2019
2020
Kenya
dont canal
multilatéral
97
13
115
0
157
31
95
21
134
0
176
68
104
n.d.
241
n.d.
118
n.d.
Madagascar
dont canal
multilatéral
52
1
74
2
3
0
36
1
82
1
4
0
36
n.d.
85
n.d.
2
n.d.
RDC
dont canal
multilatéral
143
30
23
2
272
140
209
77
22
1
242
124
177
n.d.
42
n.d.
174
n.d.
Source
: Profils de coopération au développement de l’OCDE,
CAD
OCDE, juin 2021 et
OCDE données 2020
(data.oecd.org).
Les agences, fonds et commissions dépendant des Nations Unies sont particulièrement
ouverts à de tels arrangements. Les statistiques de l’OCDE, retraitées par la direction générale
de la mondialisation du MEAE, montrent que, depuis 2015, plus de la moitié des contributions
du Royaume-Uni aux organismes appartenant au système des Nations Unies sont des
contributions « fléchées ». La part des crédits fléchés dans les contributions allemandes, de son
côté, dépasse le tiers depuis 2018. A l’inverse, selon la D
GM, la même proportion, calculée
pour la France, n’est que de 1 ou 2 % depuis 2015.
Tableau n° 15 :
Répartition au sein des organisations du système des Nations Unies des dix
principales contributions multilatérales (budget général et pré-affectées en 2019 en MUSD)
France
Allemagne
Royaume-Uni
Organisations
Budget
général
Contributions
pré-affectées
Organisations
Budget
général
Contributions
pré-affectées
Organisations
Budget
général
Contributions
pré-affectées
FIDA
188,8
2,4
PAM
32,4
890,8
PAM
52,3
637,5
Secrétariat de
l'ONU
59,7
0,3
UNICEF
69,5
448,4
UNICEF
62,7
564,9
UNDPKO
51,2
0
PNUD
57,9
361,9
CERF
392
0
HCR
40,3
0
HCR
30,1
379,2
ONU
non spécifié
0
291,2
OMS
25,8
5,5
OCHA
5,8
136,1
UNFPA
26,1
249,6
UNRWA
19,4
10,1
OMS
23,9
92,7
OMS
62,1
197
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET B
RITANNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
69
France
Allemagne
Royaume-Uni
FAO
21,9
4,2
CERF
110
0
OCHA
26,1
199
AIEA
25,4
0
UNRWA
20,8
85,1
UNDPA-SZA
0
201,8
OIT
20
2,5
Secrétariat de
l'ONU
80,6
13,8
PNUD
71,9
119,3
PNUD
16,1
6,1
PNUE
9
80,7
HCR
45,7
48,5
TOTAL
468,6
(94%)
31,1
(6%)
TOTAL
440
(15%)
2 488,7
(85%)
TOTAL
738,9
(23%)
2 508,8
(77%)
Source : CAD
OCDE : «
Les Profils de coopération au développement de l’OCDE synthétisent les statistiques officielles de
l’aide publique au développement (APD) et d’autres financements du développement par bailleur
», Juin 2021.
4.3.3
Une opposition de
principe de la France au fléchage de l’aide multilatérale
À la différence de ses deux voisins, la France applique une doctrine hostile au fléchage.
Dans un document établi sous le double timbre de la DGT et de la DGM et dont le titre est
«
Stratégie française pour l’aide multilatérale 2017
-2021 »,
il est indiqué que
« la France
privilégie en règle générale les contributions aux ressources générales des institutions
multilatérales, contribuant ainsi au fonctionnement et aux objectifs de l’
institution, par
opposition aux contributions fléchées ou pré-affectées, qui constituent une dérogation aux
règles collégiales des institutions multilatérales ».
Tableau n° 16 :
Part des contributions fléchées dans le total des contributions multilatérales aux
agences
fonds ou commissions des Nations Unies destinées à l’aide publique au développement
En MUSD
2015
2016
2017
2018
2019
2020
France
Total des contributions
multilatérales*
Contributions fléchées
% contributions fléchées
305,9
3,2
1 %
315,5
4,4
1 %
314,2
6
2 %
476,3
6
1 %
593,2
4,9
1 %
815,3
238,5
29 %
Allemagne
Total des contributions
multilatérales
Contributions fléchées
% contributions fléchées
453,8
105,3
12 %
2 415,2
545,1
23 %
2 989
433,8
15 %
3 043,5
1 133,3
37 %
3 288,4
1 196,1
36 %
4 829,5
1 632
34 %
Royaume-Uni
Total des contributions
multilatérales
Contributions fléchées
% contributions fléchées
2 568,3
1 429,4
56 %
2 503,8
1 390
56 %
2 536,2
1 472,8
58 %
2 935
1691,1
58 %
3 522,9
1 884,9
54 %
2 896,9
1 483,5
51 %
Source
: DGM à partir des données du CAD de l’OCDE
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
70
*Contributions aux budgets réguliers des institutions multilatérales et ensemble des fonds transitant par une Agence de
l'ONU (contributions volontaires, aide-projet, etc.).
Pour la période 2015-2020, le Royaume-
Uni et l’Allemagne ont fléché respectivement
55 % des 16,9 Md$ et 29 % des 17,5 Md$ de leurs contributions multilatérales aux agences,
fonds ou commissions des Nations Unies.
Selon la DGM, dans le même temps, la part des contributions fléchées françaises était
de 9 %, sur un total de 2,8 Md$. Mais le taux annuel a brusquement été réévalué par la France
dans sa déclaration au CAD de l’OCDE passant de 1 % au cours des exercices précédents (2 %
en 2017) à 29 % en 2020.
Le MEAE explique cette augmentation spectaculaire et surprenante en 2020 par :
- «
des contributions versées aux agences suivantes : UNCDF, FNUAP
SYRIE, Pacte
Mondial de l’environnement SYRIE, ONU –
Abus sexuels, Fonds de coopération
technique de l’AIEA
;
- le financement de nouvelles contributions fléchées par la France en 2020 (celles-ci
étant liées directement à des projets ou des programmes, elles sont par nature moins
linéaires que les autres contributions) ;
-
l’amélioration de la déclaration d’APD du MEAE (en particulie
r la prise en compte
systématique depuis 2020 des fonds fléchés, dans un contexte de refonte des types
d’aides par le CAD de l’OCDE qui a mis l’accent sur la déclaration spécifique des
fonds fléchés). Certaines contributions étaient déclarées en APD multilatérale les
années précédentes.
»
De façon plus convaincante, la DG Trésor justifie le bond constaté en 2020 par un seul
projet :
« une ligne de crédit au profit du FIDA (227
M€) ayant pour objectif de l’accompagner
dans la mise en œuvre de sa stratégie et plan d’action sur l’environnement et le changement
climatique 2019-
2025, et ce en vue de l’atteinte de l’engagement d’octroyer des prêts pour le
développement agricole comportant des co-bénéfices climat, pour au minimum 25% du
programme FIDA11 « période 2°19-2021) ».
Une dérogation a donc été faite, dans ce cas particulier et pour un montant important,
au principe général de non-fléchage affiché par la diplomatie française.
4.3.4
Le cas de la Banque mondiale
Le choix français s’illustre, par exemple, par le cas
des contributions à l’Association
internationale de développement (AID), qui est l’un des principaux canaux d’intervention de la
Banque mondiale.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
71
Tableau n° 17 :
Contributions de base
de la France, de l’Allemagne et du Royaume
-
Uni à l’AID
de 2015 à 2020
En MUSD
2015
2016
2017
2018
2019
2020
France
834,98
382,51
389,94
1353,17
387,93
394,91
Allemagne
nd
592,69
604,19
632,56
599,99
610,8
Royaume-Uni
1 704,01
1 431,48
1 597,99
2 450,31
866,51
993,97
Source : Direction générale du Trésor
S’il n’est pas possible de pré
-affecter des contributions
à l’AID, en revanche la Banque
mondiale héberge des fonds fiduciaires qui permettent aux contributeurs de spécifier l’usage
des fonds qu’ils y apportent. La France n’a recours à ces fonds fiduciaires que de manière
exceptionnelle
, à la différence de l’Allemagne et du Royaume
-Uni.
Tableau n° 18 :
Contributions pré-affectées au groupe Banque Mondiale de la France, de
l’Allemagne et du Royaume
-Uni, de 2015 à 2020
En MUSD
2015
2016
2017
2018
2019
2020
France
13,38
12,76
5,314
21,40
15,30
18,38
Allemagne
50,29
196,99
154,19
426,78
296,41
632,11
Royaume-Uni
697,24
651,94
385,02
613,65
646,62
470,39
Source : Direction générale du Trésor
Compte tenu de la modestie de sa contribution globale au groupe Banque mondiale, le
choix de limiter le plus possible les pré-affectations permet à notre pays de maintenir une
position de cinquième actionnaire de la Banque internationale pour la reconstruction et le
développement (BIRD), autre grande composante du groupe Banque mondiale, et de cinquième
donateur
de la Banque mondiale. Il dispose ainsi d’un siège au conseil d’administration, dont
seuls les cinq principaux actionnaires peuvent bénéficier.
Selon la direction générale du Trésor, la France exerce un effet de levier sur les priorités
générales de l’AID.
«
À titre d’exemple
, écrit-elle,
«
les ressources allouées par l’AID à
l’Afrique subsaharienne sont passées de 48% des montants engagés sur le FAD
-16 (2012-2014)
à près de 70 % sur l’AID
-
19, celles allouées au Sahel de 11 % à 40 % et celles à l’Afrique
fr
ancophone de 15 % à 28 % (alors que la part de l’Afrique anglophone restait stable),
illustrant la bonne prise en compte des priorités géographiques portées par la France. En
valeur absolue, l’AID a ainsi alloué près de 50 Md$ à l’Afrique subsaharienne au
cours du
19
ème
cycle (2020-
2022), à mettre en regard de notre contribution de l’ordre de 1,5 Md$ et
illustrant l’effet de levier exercé par la France via ce canal multilatéral.
»
« La France contribue néanmoins,
poursuit la direction générale du Trésor,
à certains
fonds fiduciaires bien ciblés, comme le fonds en faveur de la reconstruction du Liban (post
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
72
explosion du 4 août 2020) (…) ou le fonds de soutien aux territoires palestiniens, qui n’ont pas
accès aux ressources de la Banque mondiale. »
Si la France optimise ainsi son engagement, si elle est influente au sein de la Banque
mondiale, grâce à sa participation à sa gouvernance aux côtés des autres grands bailleurs, elle
ne fait appel qu’avec parcimonie le
levier supplémentaire que représentent les fonds fiduciaires,
dont ses voisins allemands et britanniques font un usage abondant.
4.3.5
Le cas des fonds verticaux
Les fonds verticaux, de leur côté, ont un mode de gouvernance différent de celui des
organes appartenant au système des Nations Unies. Ainsi, le Fonds vert pour le climat poursuit
exclusivement des objectifs fixés dans son plan stratégique 2020-2023, qui sont :
thématiques : parité, en équivalent-don, entre adaptation au changement climatique et
atténuation de ses effets ;
géographiques : atteindre une part au moins égale à celle de la période 2015-2019 pour
l’Afrique, les pays les moins avancés (PMA) et les petits Etats insulaires en
développement
PIED.
Le Fonds vert, comme les autres fonds environnementaux, et notamment le Fonds pour
l’environnement mondial et le Fonds d’adaptation au changement climatique, se caractérisent
par une absence de fléchage, l’affectation des ressources étant une prérogative du Conseil et
non des donateurs (Cf. annexe 4). Ainsi, au sein du conseil d’administration du Fo
nds vert, la
France dispose d’un siège et exerce la même influence que les 23 autres détenteurs de sièges
sur la décision d’affectation des financements du Fonds vert. La coprésidence du Fonds vert,
qui est assurée momentanément par la France aux côtés du Mexique, lui permet de superviser
le fonctionnement du secrétariat du Fonds, mais elle est distincte de la représentation de la
France au conseil, qui assurée par un autre fonctionnaire français.
A contrario
, la Cour a pu vérifier, dans le cas du Fonds mondial de lutte contre le VIH-
SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMSTP), l’avantage que peut procurer l’introduction,
quand elle est possible, d’un levier bilatéral au sein d’un financement multilatéral. Au sein du
Fonds mondial, un dispositif
ad hoc
a été en effet mis en place en 2011, appelé «
l’
Initiative
5% » devenue depuis 2020, «
l’Initiative
». Dans ses observations définitives d’avril 2022 sur
la contribution de la France à l’aide publique au développement dans le domaine de la santé, la
Cour écrit :
«
L’Initiative prend la forme d’une délégation de gestion de la part du MEAE à
l’opérateur Expertise France d’une partie de la contribution française au FMSTP (initialement
5%, puis 7% et aujourd’hui 9%), pour des missions d’expertise destinées à appuye
r les pays
éligibles dans l’élaboration des projets relatifs aux trois pandémies et dans leur mise en œuvre.
Elle vise à répondre aux demandes des pays récipiendaires, pour les aider à l’administration,
la conception, la mise en œuvre, le suivi et évaluation, et à la mesure de l’impact des
subventions allouées par le FM. »
En septembre 2022, l’annonce a été faite d’une augmentation
de 23% de la contribution française au Fonds mondial et d’une hausse concomitante de la part
consacrée à l’Initiative, qui sera
portée à 20%.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE
ET BRITANNIQUE D’AID
E
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
73
Dans ce contexte, le Premier président de la Cour a adressé un référé à la Première
ministre le 16 décembre 2022 sur l’aide publique au développement dans le domaine de la santé
et la présence de la France dans les organisations internationales en santé, dans lequel il souligne
la nécessité de questionner la prépondérance de l’aide multilatérale en faveur de l’APD santé.
Le référé comporte cette recommandation :
« Engager une réflexion sur un rééquilibrage
financier entre aides multilatérales
et bilatérales de l’APD santé.
»
La comparaison, dans ce
domaine, de l’approche française avec les approches allemande et britannique confirme
pleinement la pertinence de cette recommandation, qui peut être étendue au-delà du champ de
la santé.
Le précédent du Fonds mondial montre en effet que, même dans le cadre des fonds
verticaux, la France peut trouver bénéfice à instituer des mécanismes qui, parallèlement à sa
contribution aux activités et au fonctionnement général d’un organisme multilatéral, servent
plus directement ses intérêts propres. L’écart qui sépare la retenue française dans ce domaine
et les pratiques allemandes et britanniques invite à plus d’audace.
Sans chercher à atteindre les niveaux d’intervention de l’Allemagne, un
rehaussement du
volume de l’aide technique offerte par la France présenterait l’avantage
de mieux accompagner son aide financière, en la complétant de transferts de savoir-faire
plus substantiels, tant au moment de la préparation des projets que pendant leur mise en
œuvre
. De même, la comparaison avec les pratiques allemande et britannique suggère
d’assouplir la doctrine traditionnelle réservant aux services centraux des organisations
multilatérales les contributions françaises, afin de mieux poursuivre, à travers une pré-
affectation plus significative des fonds versés, les buts géographiques ou thématiques de
notre coopération.
Recommandation n° 3.
(DGM, DGT)
: Revoir au bénéfice de l’aide technique la
répartition de l’APD entre la coopération financière et la coopération technique, en
amplifi
ant l’effort visant à
orienter davantage de moyens publics vers Expertise France.
Recommandation n° 4.
(DGM, DGP, DGT) : Au regard des pratiques constatées de
l’Allemagne et du Royaume
-
Uni, et de l’efficacité reconnue de «
l’Initiative
», assouplir
chaque fois que possible la doctrine traditionnelle française, opposée à la pré-affectation
des contributions volontaires versées aux organisations multilatérales.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’examen des instruments utilisés par les trois pays pour appliquer leurs politiques
d’APD
fait apparaître la préférence pour le don du Royaume-Uni, qui est partagée en partie
par l’Allemagne, Mais l’Allemagne, comme la France, continue de faire transiter un volume
important d’aide par des prêts,
Dans les pays partenaires, l’assistance techniqu
e déployée par la coopération
allemande est massive, Entre la GiZ et Expertise France, le rapport des chiffres d’affaires est
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
74
de un à dix et le rapport des effectifs de un à vingt, A la lumière de ce constat, un rééquilibrage,
en France, entre la coopération financière et la coopération technique, devrait être envisagé,
La comparaison franco-allemande est éclairante également quand on examine
l’orientation de l’aide multilatérale, qui, dans le cas de l’Allemagne, bénéficie davantage aux
organismes dépendant des Nations-Unies et de la Banque mondiale que dans le cas de la
France, où l’on se tourne plus volontiers vers les «
fonds verticaux »,
Allemands et Britanniques se rejoignent par ailleurs pour pratiquer une forme de
bilatéralisation de leurs contributions volontaires aux organismes multilatéraux, en en
préaffectant une proportion significative, au bénéfice des secteurs ou des pays qu’ils jugent
prioritaires, Les Français se refusent par principe à ce « fléchage
», considérant qu’il dénature
le multilatéralisme, Le précédent de «
l’Initiative
», dans le cadre du Fonds mondial, montre
néanmoins que cette position peut connaître des exceptions et suggère que d’autres
assouplissements soient prévus.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
75
ANNEXES
Annexe n° 1. Liste des sigles
................................................................................................
76
Annexe n° 2. Les changements intervenus dans les financements euro
péens de l’aide
publique au développement
.............................................................................
78
Annexe n° 3. Le Fonds vert pour le climat : contribution au suivi des recommandations de
la Cour des comptes
........................................................................................
84
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
76
Annexe n° 1.
Liste des sigles
(1)
AFD : Agence française de développement
BID : Banque Interaméricaine de Développement
CAD
: comité d’aide au
développement (OCDE)
CICID : Comité interministériel de la coopération internationale et du développement
CIR : Cadre d’intervention régional (Groupe AFD)
DEG : Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft
DGM : Direction générale de la mondialisat
ion, de la culture, de l’enseignement et du
développement international
DGP : Direction générale des affaires politiques et de la sécurité, des Nations Unies, des
organisations internationales, des droits de l’homme et de la Francophonie
DR : Direction régionale
FAPS : Facilité d’amorçage, de préparation et de suivi
FASEP
: Fonds d’étude et d’aide au secteur privé
FEXTE : Fonds d’expertise technique et d'échanges d'expériences
FFEM : Fonds Français pour l'Environnement Mondial
FMSTP : Fonds mondial de lutte contre le VIH-SIDA, la tuberculose et le paludisme
GIZ : Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit
KfW : Kreditanstalt für Wiederaufbau
NAO : National Audit Office
NDICI : Nouvel instrument unique de voisinage, de développement et de coopération
internationale
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques
ODD : Objectifs de développement durable
PMA : Pays les moins avancés
PFR : Autres pays à faibles revenus
PRITI : Pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure
PRITS : Pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure
PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement
PROPARCO : Société de promotion et de participation pour la coopération économique
(Groupe AFD)
PPP : Partenariats public-privé
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQUE D
’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
77
SER : Service économique régional
UE : Union européenne
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANNIQUE
D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
78
Annexe n° 2.
Les changements intervenus dans les financements européens de
l’aide publique au développement
L’échéance du précédent cadre financier (2014
-
2020) de l’Union européenne, a donné
lieu, à une redéfinition à la fois du cad
re et des instruments d’aide publique au développement
de l’Union européenne tels que présenté dans le schéma ci
-
dessous, L’adoption et la mise en
œuvre de cette nouvelle politique européenne d’APD intervient après la sortie du Royaume
-
Uni de l’UE, Ainsi, le principal instrument d’aide publique au développement de l’UE
: le
Fonds européen de développement (FED) a été remplacé par un nouvel instrument : le NDICI
49
,
Photo n° 1 :
Formalisé par un accord interinstitutionnel, les 17 et 18 mars 2021, le règlement
établissant
le NDICI, ce nouveau cadre de l’APD de l’UE est doté de 79,5 Mds€ sur sept ans, durée
également du nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027.Evolution des instruments européens
d’APD
* Les PTOM bénéficiaient principalement de financements du FED avant 2020, Avec la budgétisation
du FED, les fonds à destination du PTOM ne sont pas intégrés au NDICI du fait de leur régime juridique
spécifique, mais sont regroupés avec le Groenland au sein d’un instrument dédié, Source
: MEAE,
49
Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument : instrument de voisinage, de
développement et de coopération internationale de l’UE
.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
79
Le FED et le cadre financier pluriannuel 2014-2020
Schéma n° 1 :
Les priorités d’APD et les instruments de financement (2014
-2020)
PRIORITES :
- Climat et
environnement
- Genre
- Développement
humain
- Démocratie et droits
de l’homme
- Migrations
50
2014 - 2020
FED (30,5 Md€)
51
ICD (19,6
Md€)
52
IEV (15,4 Md€)
Source : MEAE,
Schéma n° 2 :
Les clés de répartition entre les trois pays aux crédits du FED
Etat/FED (%)
11
ème
FED
(2014-2020)
Engagement
en M€
France
17,81
5 433
France % Budget
16,03
Allemagne
20,57
6 278
Allemagne % Budget
22
Royaume-Uni
14,68
4 477
Royaume-Uni %
Budget UE
55
8
50
Dont le Fonds fiduciaire d’urgence financé entre autres par le FED, l’ICD et l’IEV
.
51
Dans le cadre des 5 priorités d’APD de l’UE 90 % de ses financements au titre du FED devront être éligibles
aux critères d’APD définis par le CAD de l’OCDE.
52
Dans le cadre des 5 priorités d’APD de l’UE au titre de l’ICD les financements devront être conf
ormes aux
programmes géographiques de l’UE et 95 % des financements des programmes thématiques et 90 % des
financements du programme panafricain devront être éligibles aux critères d’APD du CAD de l’OCDE.
53
Part relative de la contribution nette française
dans le financement du budget de l’Union européenne, chaque
Etat membre contribuant pour une part spécifique à chacune des ressources propres de l’Union.
54
Part relative de la contribution nette Allemande dans le financement du budget de l’Union européenne
, chaque
Etat membre contribuant pour une part spécifique à chacune des ressources propres de l’Union.
55
Part relative de la contribution nette Britannique dans le financement du budget de l’Union européenne, chaque
Etat membre contribuant pour une part sp
écifique à chacune des ressources propres de l’Union.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
80
Source
: Accords internes relatifs au financement de l’aide de l’UE au titre du
cadre financier pluriannuel -
Jaunes budgétaires d’après les rapports annuels
de la Cour des comptes européenne,
Les engagements entre le 10
ème
et 11
ème
FED se sont traduits par une hausse des crédits
pour l’ensemble des pays les moins avancés en prenant en compte les priorités géographiques
des trois pays Cf, graphique ci-dessous,
Carte n° 1 :
Comparaison entre le montant total de la dotation du 11e FED et celui de la dotation du
10e FED (après approbation par les États membres en M€)
Source : Cour des comptes européenne, sur la base de la feuille de calcul des dotations de la DG DEVCO dans le cadre du 11e
FED, PMA : pays les moins avancés, PFR : pays à faible revenu, PRFM : pays à revenu faible ou moyen,
Le NDICI : un nouveau cadre financier pluriannuel pour 2021-2027
Le nouvel instrument unique de voisinage, de développement et de coopération
internationale
de l’UE est entré en vigueur rétroactivement au 1er janvier 2021, Il traduit le
souhait de l’UE de faire évoluer sa politique de développement dans un sens plus partenarial,
intégré et plus géopolitique,
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
81
A cet égard, il fusionne une dizaine d’instruments européens, dont l’instrument
européen pour le voisinage (IEV) et le Fonds européen de développement (FED), jusqu’alors
hors du budget de l’UE, Il est doté de près de 80 Mds € pour la période 2021
-2027,
Conditions posées par la France pour l’intégration du FED au budget de l’UE et
acceptation du nouvel instrument d’intervention le NDICI,
Résultat tous les instruments d’APD relèvent à partir de 2021 du budget de l’UE et les
décisions prises dans le cadre des institutions de l’UE,
Schéma n° 3 :
Les priorités d’APD de l’UE
et le nouvel instrument de financement (2021-2027)
PRIORITES
56
2021 - 2027
NDICI (79,5 Md€)
Climat et environnement
30% climat
Contribution à la cible biodiversité du
CFP (7,5% en 2024 et 10% à partir de
2026)
Principe du « do no harm »
57
Genre
85% objectif principal ou significatif
5% objectif principal
Part éligible aux critères
d’APD
93%
Développement humain
20% de l’APD dédiés à l’inclusion
sociale et au développement humain
Démocratie et droits de
l’homme
Exclusion des financements pouvant
entrainer des violations
Suspension en cas de dégradation
Ligne budgétaire (1,6 Md ≈ 2%)
Migrations
10% dédiés à la gestion et à la
gouvernance des migrations
Mécanisme coordonné
Source : MEAE,
56
Dans le cadre des 5 priorités d’APD de l’UE, 93 % de financements au titre du NDICI devront être éligibles aux
critères d’APD définis par le CAD de l’OCDE.
57
Do no Harm
(ne pas nuire) est, de la part
de l’aide humanitaire et de la coopération au développement, un essai
de monitorage de leurs activités ayant pour but d’éviter d’aggraver le climat d’instabilité et de violence.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
82
Ces priorités se sont traduites budgétairement par une ventilation des crédits dans
laquelle les programmes géographiques (notamment dans les zones géographiques prioritaires
de la France et de l’Allemagne) sont prépondérants par rapport aux programmes thématiques
comme indiqué dans le tableau ci-dessous,
Schéma n° 4 :
Ventilation des crédits du NDICI
Lignes budgétaires
Montants
(en Mds€ courant)
Proportion
Programmes
géographiques
,
dont :
60,4
75%
Voisinage
19,3
58
24%
Afrique subsaharienne
29,2
59
37%
Asie et Pacifique
8,5
60
11%
Amérique et Caraïbes
3,4
61
4%
Programmes thématiques
, dont :
7,4
9%
Droits
humains
et
démocratie
1,6
62
2%
Organisations
de
la
société civile
1,6
2%
Paix,
stabilité
et
prévention des conflits
0,9
1%
Défis mondiaux
3,3
4%
58
Dont 2/3 seront fléchés vers le voisinage sud et 1/3 vers le voisinage est,
en application de la règle d’un
« équilibre géographique adéquat ».
59
En excluant la contribution britannique pour le CFP 2014-2020, en incluant le FED et en euros constants, ce
montant est stable par rapport au CFP précédent.
60
Dont au moins 500 millions
€ pour le Pacifique (montant indicatif)
61
Dont au moins 800 millions d’euros pour les Caraïbes (montant indicatif)
62
Les missions d’observation électorale pourront constituer jusqu’à 25% du programme thématique dédié aux
droits humains et à la démocratie
.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
83
Opérations de réaction rapides
3,2
4%
Réserves pour les défis et priorités
émergents
8,5
11%
Total
79,5
100%
Source : MEAE,
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
84
Annexe n° 3.
Le Fonds vert pour le climat : contribution au suivi des
recommandations de la Cour des comptes
Figurent ci-dessous les réponses conjointes de la DGT et de la DGM à la question posée
des suites réservées aux OD n° S2019-1652 portant sur la contribution de la France au Fonds
vert pour le climat et au référé au Premier ministre, sur le même sujet du 19 juillet 2019.
Sont joints ensuite un certain nombre de faits et chiffres-clés sur le Fonds vert.
Recommandations contenues dans les observations définitives n° 62019-1652 de
juillet 2019 concluant le contrôle portant sur
« la contribution de la France au Fonds
Vert pour le climat »,
transmises le 26 juillet 2019 à la direction générale du trésor (DGT)
et à la direction générale de la mondialisation (DGM).
Eléments pour le suivi fournis par la DGT et la DGM.
Recommandation n° 1
(DGT, DGM, MTES) : Saisir l’occasion du premier appel à
reconstitution du Fonds vert courant 2019 pour demander une réforme de son processus
décisionnel, permettant de dépasser la règle du consensus en cas de blocage persistant.
Fin 2019, un processus de
décision en l’absence de consensus a été adopté afin de
supprimer les droits de véto de certains membres et dépasser la règle du consensus en cas de
blocage persistant. Avec cette réforme, l’épuisement de toutes les tentatives pour atteindre un
consensus entraine un vote passant les décisions à une majorité qualifiée de 80 %. Le périmètre
d’application du vote couvre désormais à la fois les politiques et les projets, ce qui était une
demande forte des pays développés, bien qu’elle ne puisse cependant pas co
ncerner les critères
d’éligibilité aux financements du Fonds
.
Recommandation n° 2
(DGT, DGM, MTES) : S’assurer dès 2019 que les évaluations
des financements de projets par le Fonds vert incluent une approche analytique, isolant les coûts
d’instruction, de gestion, d’accompagnement des bénéficiaires, de fonctionnement du Fonds et
d’évaluation, afin que soit calculée la part de la contribution des États parvenant effectivement
à la réalisation de l’action.
Les « propositions de financement » (funding proposals) comprennent une composante
de gestion de projet («project management component
») qui permet d’estimer la part des
financements qui reviendra à la gestion de projets.
Recommandation n° 3
(DGT, DGM, MTES) : Réitérer la demande faite par la France
au Co
nseil d’octobre 2018 de mettre fin à la délocalisation annuelle des réunions du Conseil en
dehors du siège du Fonds vert, pour des motifs d’efficience financière et stratégique du fonds.
La France, en tant que co-présidence pour la seconde année en 2022,
s’attache à
privilégier la tenue des Conseils à Songdo, au siège du Fonds Vert. Néanmoins, depuis le début
de la pandémie de covid en 2020, la plupart des Conseils s’est tenue en format virtuel et les
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
85
conditions sanitaires coréennes ont constitué un obstacle à la tenue de conseil en physique
jusqu’à ce jour. Le 32
ème
Conseil s’est tenu en présentiel à Antigua
-et-Barbuda, sur proposition
du gouvernement de ce pays, la réglementation en vigueur en Corée du Sud imposant au
moment de la prise de décision (mars 2022) une période de quarantaine stricte en cas de test
positif. Il est néanmoins prévu que les prochains conseils du Fonds Vert se tiennent à Songdo,
au siège du Fonds Vert.
Recommandation n° 4
(DGT, DGM, MTES, DB) : Renforcer la complémentarité des
contributions multilatérales françaises à la lutte contre le changement climatique. Veiller à ce
que chaque fonds poursuive des objectifs distincts et bien identifiés. Rationaliser les
contributions, en particulier lors de la reconstitution de chaque fonds.
Le
s contributions multilatérales font l’objet d’une stratégie d’ensemble pour l’ensemble
des fonds suivis
: fonds vert pour le climat, fonds pour l’environnement mondial, fonds
multilatéral pour le protocole de Montréal, fonds d’adaptation, climate investmen
t funds, fonds
pour les PMA. Il est veillé à la complémentarité de ces contributions. A cet effet, lors de la
dernière reconstitution du fonds pour l’environnement mondial, la France a appuyé pour une
place plus importante au financement de la biodiversité
, en raison de l’existence d’autres fonds
dédiés au financement climat, et à premier titre le fonds vert. De plus, l’UEAD effectue
actuellement une évaluation de la stratégie des contributions françaises aux fonds climat et
environnement auprès de la Direction générale du Trésor.
Recommandation n° 5
(DGT, DGM, MTES, DB) : Intégrer les financements
extrabudgétaires (FSD) dans le document de politique transversale (DPT) relatif à la lutte contre
le changement climatique et y insérer un indicateur permettant de mesurer la contribution de la
France à l’atténuation de ce changement dans les pays en développement et à leur adaptation à
ses effets (2020).
Vous trouverez ci-
dessous l’indicateur créé en 2019 au sein de la procédure budgétaire
afin de mesurer la contribution multilatérale de la France à la lutte contre le changement
climatique au sein du programme budgétaire 110 « Aide économique et financière au
développement » (suivi par la DG Trésor).
FICHE DE DOCUMENTATION
Indicateur
Indicateur 1.3
- Part des ressources subventionnées des fonds
multilatéraux qui sont affectées aux priorités thématiques du CICID.
Programme
Programme 110 « Aide économique et financière au développement »
Action
Action 1 - Aide économique et financière multilatérale
Objectif
Objectif 1
: Contribuer à la mise en œuvre des ODD, en concentrant l'aide
sur les pays prioritaires et les priorités stratégiques françaises
Catégorie
Efficacité socioéconomique / Qualité de service / Efficience de la gestion
Service
responsable
DG Trésor
MUTLIFIN 3 « Financement multilatéral du développement et
du climat » / MULTIFIN 5 « Aide publique au développement »
Description de l’indicateur
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRI
TANNIQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
86
Sous-indicateurs
Sous-indicateur 1.3.1 : Climat
Unité de mesure
%
Périodicité de la
mesure
Une fois par an
Dernier
résultat
connu
RAP
2021
(données de 2020)
Valeurs : 46 %
Élaboration de l’indicateur
Mode de calcul
Montant des ressources subventionnées des fonds multilatéraux affectés
au secteur du climat / Montant total des ressources subventionnées des fonds
multilatéraux.
Calcul de la part du secteur du climat dans l’activité des fonds multilatéraux
(AID, FAD, FasD, FIDA, Fonds vert et FEM). Ce ratio est ensuite rapporté aux
contributions.
Source
des
données
Les données de base proviennent des rapports d'activité des BMD
(Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, Banque africaine
de développement, Banque asiatique de développement) et de leur département
Finances. Pour les fonds spécialisés sur l’environnement et le c
limat : DG Trésor
MULTIFIN 3 « Financement multilatéral du développement et du climat » en
demandant les informations auprès des trésoriers ou des secrétariats des fonds.
Contact
DG Trésor
MULTIFIN 3 « Financement multilatéral du développement et
du climat »
Modalités d’interprétation de l’indicateur
Modalités
d’interprétation
L’objectif recherché est de s’assurer qu’une part importante des
ressources subventionnées soit effectivement affectée au sujet climat, pour tenir
compte des orientations du CICID.
Sens
d’évolution
souhaité
Le niveau à atteindre doit être suffisamment important pour illustrer une
priorité réelle.
Leviers d’action
Les principaux leviers sont :
-
le choix de la répartition des moyens entre les différents fonds, lors de leur
reconstitution, en fonction du ciblage stratégique ;
-
Plan de documentation de l'indicateur
Date de livraison
de l’indicateur
indicateur créé en 2019
Initiatives
pour
fiabiliser
Cet indicateur est considéré comme fiable, reposant sur des données
produites et publiées par des institutions financières internationales soumises à des
processus de contrôle et d’audit interne.
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
87
Recommandation n° 6
(DGT, DGM) : Assurer un suivi de la capacité des dix-neuf
pays pauvres prioritaires de l’aide publique française au développement à présenter des projets
et à obtenir des financements du Fonds vert.
Les pays les moins avancés sont éligibles au programme de préparation (Readiness
program) du FVC, qui vise à soutenir les pays en développement en renforçant leurs capacités
institutionnelles, leurs mécanismes de gouvernance et leurs cadres de planification et de
programmation climatique. Le FVC dédie au moins 50% des financements de ce programme
aux pays particulièrement vulnérables, notamment les pays les moins avancés (PMA), les petits
États insulaires en développement (PEID) et les États africains. Ci-dessous, le tableau récence
les financements obtenus par
les pays concernés ainsi que les financements dédiés à l’aide pour
la présentation des projets devant le FVC.
Pays
Financements obtenus
Financements obtenus via le programme de
préparation
Bénin
32,7 MUSD (5 projets)
2,4 MUSD
Burkina Faso
128,9 MUSD (10 projets)
3,1 MUSD
Burundi
15,6 MUSD (2 projets)
1,2 MUSD
Comores
66,7 MUSD (4 projets)
426 100 USD
Djibouti
14,0 MUSD (2 projets)
300 000 USD
Éthiopie
273,1 MUSD (7 projets)
3,3 MUSD
Gambie
32,4 MUSD (2 projets)
300 000 USD
Guinée
20,2 MUSD (4 projets)
2,5 MUSD
Haïti
13,9 MUSD (3 projets)
4,8 MUSD
Liberia
27,3 MUSD (2 projets)
3,5 MUSD
Madagascar
68,2 MUSD (6 projets)
1,8 MUSD
Mali
171,5 MUSD (10 projets)
1,3 MUSD
Mauritanie
46,3 MUSD (5 projets)
3 MUSD
Niger
101,7 MUSD (7 projets)
3,9 MUSD
République
centrafricaine
40 MUSD (1 projet)
1,1 MUSD
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
88
Pays
Financements obtenus
Financements obtenus via le programme de
préparation
République
démocratique
du Congo
65,8 MUSD (5 projets)
3 MUSD
Sénégal
156,3 MUSD (12 projets)
2 MUSD
Tchad
61,1 MUSD (4 projets)
2,2 MUSD
Togo
31,0 MUSD (4 projets)
4,2 MUSD
Recommandation n° 7
(DGT, DGM) : Améliorer la coordination des acteurs français
vis-à-vis du Fonds vert :
-
Tenir chaque année, en présence de l’ambassadrice pour le climat, une réunion
interministérielle pour arrêter les lignes directrices de l’action de
la France au Fonds vert,
inscrites dans une stratégie nationale pour le climat ;
Une réunion interministérielle de préparation est tenue avant chaque Conseil. Une note
d’enjeux est communiquée à l’ensemble des ministères et à l’AFD, et en premier lieu, à
l’Ambassadeur pour le climat. De même, un compte rendu est envoyé sur la même boucle. Les
enjeux du Fonds vert sont également abordés lors des réunions de l’équipe interministérielle
climat et lors des séminaires animés par l’Ambassadeur.
- Constituer un unique réseau de conseillers régionaux de coopération environnementale
et, dans cette attente, faire converger l’action et à terme unifier les réseaux des conseillers en
charge des questions environnementales et climatiques, sous l’autorité de l’ambassade
ur et dans
le cadre de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger ;
S’il n’existe pas de réseau constitué de conseillers de coopération environnementaux en
charge du suivi du Fonds vert pour le climat, l’ensemble des postes concernés sont mobilisés
en amont des Conseils pour analyser les projets présentés dans les pays ou zone géographique
concernée. Ces analyses sont partagées à l’ensemble de l’équipe interministérielle du Fonds
Vert.
-
Concevoir, avec le concours notamment des agences régionales de l’Agence française
de développement (AFD), un programme de formation des postes diplomatiques, à l’ingénierie
des financements multilatéraux, ainsi qu’un guide des procédures et des bonnes p
ratiques.
Un tel programme n’a pas été mis en place.
Recommandations contenues dans le référé adressé au Premier ministre le 19
juillet 2019, à la suite du contrôle portant sur
« la contribution de la France au Fonds
Vert pour le climat ».
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
89
Eléments pour le suivi fournis par la DGT et la DGM.
Recommandation n° 1
: renforcer la complémentarité des contributions multilatérales
françaises à la lutte contre le changement climatique, en particulier à l’occasion de la
reconstitution de chaque Fonds ;
Cf réponse recommandation 4 à la page précédente.
Recommandation n° 2
: appuyer, conformément aux décisions du Comité
interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février
2018, les pays pauvres prioritaires dans leurs relations avec le Fonds vert, au moyen notamment
d’une demande de révision de sa règlementation linguistique ;
La règlementation linguistique n’a pas été révisée à ce jour.
Recommandation n° 3
: tenir chaque année, en présence de l’ambassadrice pour le
climat, une
réunion interministérielle pour arrêter les lignes directrices de l’action de la France
au Fonds vert, qui seraient inscrites dans une stratégie nationale pluriannuelle pour le climat.
Cf réponse recommandation 7 à la page précédente.
Eléments documentaires sur le Fonds vert
Tableau n° 1 :
Montant des contributions au Fonds vert
En MUSD
2014-2019 (IRM)
2020-2023 (FVC-1)*
France
1035
1794**
Allemagne
1003
1690
Royaume Uni
1211
1851
Japon
1500
1521
Suède
581
852
États-Unis
1000***
0
TOTAL
8310
9998
Source : DGT
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE ET BRITANN
IQUE D’AIDE
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
90
*engagements confirmés au 31 octobre 2020, **1548 selon le PAP 2022 du P 110 (+ 300 pour le Fonds pour
l’environnement mondial (FEM), ***contre un engagement initial de 3
Md$.
Les 3 pays représentent, pour la période 2014-2019, plus de 39 % du total des
contributions du Fonds vert pour le climat : 14,6 % pour le Royaume-Uni, 12,5 % pour la France
et 12 % pour l’Allemagne. Sur la période 2020
-2023 cette part augmente pour passer à plus de
53 % du total des contributions avec respectivement 18,5 % pour le Royaume-Uni, 17,9 % pour
la France et 16,9 % pour l’Allemagne. Cette évolution se traduit également pour chacun des
pays par une hausse significative du montant de sa contribution : + 759 MUSD pour la France,
+ 687 MUSD pour l’Allemagne et + 64
0 MUSD pour les Britanniques par rapport à la période
précédente.
Sur les 10,01 Md$ de projets qui ont été engagés par le Fonds vert (site internet du Fonds
vert), plus de 70 % des investissements sont principalement concentrés sur deux zones
géographiques que sont l’Afrique et l’Asie
-Pacifique comme indiqué dans le graphique ci-
dessous. Les projets financés en Afrique concernent plus particulièrement 54 pays, en Afrique
de l'Est 18 pays (33 %), suivie par l'Afrique de l'Ouest avec 16 pays (30 %), puis l'Afrique
centrale avec 9 pays (17 %), l'Afrique du Nord avec 6 pays (11 %), et l'Afrique australe avec 5
pays (9 %)
63
.
Graphique n° 1 :
Montant du portefeuille de projets du Fonds vert par zone géographique
au 31 décembre 2021
Source : www.greenclimate.fund
63
Rapport indépendant d’évaluation de la pertinence et de l’efficacité des investissements du Fonds vert pour le
climat dans les États Africains (mai 2022).
« COMPARAISON DES POLITIQUES FRANCAISE, ALLEMANDE
ET BRITANNIQUE D’AID
E
PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT »
91
Par ailleurs, sur plus de 70 projets financés, en Afrique, par le Fonds vert pour un
montant de plus de 3,6 Md$
, c’est l’Afrique de l'Est qui reçoit le plus de financements avec
plus d'un tiers (38 %) des financements approuvés (1 375 MUSD), suivie de l'Afrique de l'Ouest
avec plus d'un quart (27 %) des financements approuvés (981 MUSD), l'Afrique centrale
représentant la part la plus faible avec 6 % (234 MUSD).
Carte n° 2 :
Nombre de projets engagés dans les pays prioritaires du Fonds vert au
Source : www.greenclimate.fund
Carte n° 3 :
Instruments de financement des projets par le Fonds verts
Source : www.greenclimate.fund