ACTES DU COLLOQUE
Garantir le bon emploi des dons des citoyens
La Cour des comptes et la générosité publique :
30 ans de mise en œuvre de la loi du 7 août 1991
25 novembre 2021
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
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Introduction par Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Madame et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les directeurs et responsables
publics, Mesdames et Messieurs les dirigeants et représentants d’organismes philanthropiques,
Mesdames et Messieurs, chers collègues, chers amis, bonjour à toutes et tous. Je vous remercie de
votre présence à ce colloque organisé par la Cour des comptes. Je suis très heureux d’être parmi
vous pour le lancement de cette manifestation qui marque le trentième anniversaire de la loi du
7 août 1991. Nous ne sommes pas tout à fait en août, mais nous sommes tout de même en 2021.
Cette loi a confié à la Cour des comptes le contrôle du bon usage des dons collectés par les
organismes qui font appel à la générosité publique. C’est un très beau sujet de colloque et
d’échanges. Comme le disait le poète Éluard, il n’y a pas de sagesse sans générosité ! Je me réjouis
en mon nom personnel et au nom de l’ensemble des juridictions financières d’accueillir tout à
l’heure, pour la clôture de ce colloque, Mme la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de
l’engagement, Sarah El Haïry. Je sais que le sujet lui tient particulièrement à cœur, puisqu’elle est
l’auteure d’un rapport parlementaire, dans une vie antérieure pas si lointaine,
Pour une
philanthropie à la française
, remis au Premier ministre en février 2020.
Ce colloque fait l’objet d’un partenariat avec le journal
La Croix
qui, comme chacun le sait, est une
référence en matière de générosité publique. Je remercie donc toute l’équipe du journal pour son
implication et son intérêt.
Je voudrais également remercier pour leur présence et leur participation tous les intervenants et
intervenantes qui se succéderont aujourd’hui. Le haut niveau de représentation de ce colloque
illustre parfaitement l’importance des deux maîtres-mots de la générosité publique, à savoir la
transparence et la confiance. La transparence de l’utilisation des dons est indispensable pour
bénéficier dans la durée de la confiance des donateurs. Donc les deux notions sont étroitement
liées. La confiance prend du temps à s’installer. Nous savons qu’elle peut disparaître très vite. Cela
justifie votre présence dans les murs de la Cour, car la confiance n’exclut pas le contrôle. Cela ne se
voit pas, mais je viens de citer Lénine, ce qui, en ouverture d’un colloque de la Cour des comptes,
n’est pas courant ! Cependant, je n’ai pas résisté à la formule – cela fait longtemps que je n’ai pas
cité Lénine – tant elle est juste pour la générosité publique.
Le secteur de l’action caritative philanthropique bénéficie justement aujourd’hui d’une
exceptionnelle confiance de nos concitoyens. Un puissant élan de générosité en a encore attesté
pendant l’épidémie de Covid. Il est bien naturel, dans ces conditions, que nos concitoyens attendent
un respect scrupuleux des engagements pris pour l’utilisation de leurs dons. Cette confiance doit
se mériter, dans une exigence de clarté et de transparence. C’est un impératif éthique qui sera le
fil rouge de notre journée.
Ce colloque se tient à la fois dans la Grand’chambre de la Cour et en visioconférence afin d’être
accessible au plus grand nombre, aux organismes philanthropiques eux-mêmes, aux chercheurs,
aux universitaires, aux professionnels du droit et de la finance, aux donateurs et tout simplement
aux citoyens qui s’intéressent à ces causes. Nous sommes près de 350 inscrits pour cette journée
d’échanges.
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Vous me permettrez de saluer à distance, en particulier, nos collègues de la Cour des comptes du
Gabon et de Madagascar qui ont souhaité s’associer à notre réflexion. Je me réjouis du vif intérêt
qu’elle suscite au-delà des frontières. Et je vous remercie toutes et tous d’être avec nous
aujourd’hui.
Ce succès n’aurait pas été possible sans des équipes très impliquées. Je tiens à remercier la
présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, Catherine Démier, qui a organisé ce
colloque avec le concours d’un groupe de travail très énergique composé du président Antoine
Durrleman, de Michel Clément, de Georges Capdeboscq, de Robert de Nicolay, de Maia Rohner, de
Sylvie Hado et de Michel Anrijs. Je remercie également les services de la Cour qui ont permis la
tenue de cet événement.
Le colloque qui nous rassemble s’inscrit dans une double démarche, c’est un anniversaire, de bilan
et de réflexion pour l’avenir. Le bilan porte sur 30 années de contrôle par la Cour des comptes. La
compétence confiée à la Cour par la loi du 7 août 1991 pour contrôler les comptes d’emploi des
ressources des organismes faisant appel public à la générosité se situe, par définition, aux frontières
de l’intérêt général et de l’initiative privée. La Cour a, de par la loi, une mission inédite de contrôle
de l’argent du public qui est différente de sa mission plus traditionnelle de contrôle de l’argent
public même si, évidemment, un lien existe entre ces deux missions. Je rappelle bien sûr – et c’est
ce qui fait ce lien – que les dons du public bénéficient d’une déduction fiscale particulière qui
représente un coût pour le budget de l’État. Il y a donc une connexion directe entre l’argent du
public et l’argent public.
Le législateur répondait par cette loi à un double constat. D’une part, il faisait suite à un
développement très fort des appels à la générosité publique à la fin des années 1980. D’autre part,
il était lié au caractère délétère d’une situation dans laquelle les dons finançaient davantage les
frais de fonctionnement ou les coûts de collecte des organismes bénéficiaires plutôt que les
activités d’intérêt général pour lesquelles ils étaient versés. Les intérêts et les intentions mêmes
des donateurs n’étaient donc pas respectés totalement. Le secteur en avait pris conscience. Il
s’organisait déjà pour s’autoréguler, en quelque sorte, notamment avec l’adoption d’une
ambitieuse charte de déontologie signée en 1989. On ne partait donc pas de rien.
C’est pour conforter cette indispensable régulation, sans pour autant brider l’initiative ni
l’engagement des acteurs et des donateurs, que le législateur a souhaité l’intervention de la Cour
des comptes comme tiers de confiance aux côtés d’autres acteurs publics et privés, pour garantir
le bon emploi de ces fonds. Le premier contrôle de la Cour a d’ailleurs fait date. Il s’agissait du
contrôle de l’Association pour la recherche sur le cancer, l’ARC, conduit en 1994 et 1995, et publié
en 1996. Vous savez qu’il a abouti à une transmission au pénal, et,
in fine
, au prononcé d’une peine
d’emprisonnement pour le président de cette association.
La loi du 7 août 1991 a posé les fondations d’un dispositif qui s’est progressivement renforcé,
installé depuis 30 ans, en parallèle des contrôles de la Cour des comptes et, à partir de 1996, de
ceux de l’Inspection générale des affaires sociales pour son propre champ de compétences et des
initiatives propres au monde de la philanthropie. Cela continue de s’organiser.
Depuis 1991, je crois pouvoir dire que la Cour des comptes a pleinement investi cette nouvelle
mission. Dans les fonctions qui sont aujourd’hui les miennes, je continue d’y veiller. Dès l’origine,
la Cour a créé au sein de la cinquième chambre, alors présidée par Pierre Grandjeat, un secteur
spécifiquement consacré à la générosité publique chargé de mettre en œuvre cette compétence
particulière. Depuis 30 ans, 77 rapports ont été établis par la Cour des comptes sur des organismes
de statuts et de tailles divers, soutenant toutes sortes de causes, qui ont été sélectionnés selon une
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analyse multicritère – ce n’est bien sûr pas arbitraire – combinant une approche par les risques,
une appréciation des revenus financiers et la volonté de diversifier les champs d’activité.
Les choix de la Cour reflètent aussi son souci de donner un éclairage global sur une politique
publique. La Cour a ainsi souvent choisi de programmer l’examen du compte d’emploi des
ressources d’organismes en lien avec cette enquête en raison du rôle majeur des associations dans
le champ des politiques sociales. Il en est ainsi des enquêtes sur les personnes sans domicile en
2007 ou sur la protection de l’enfance en 2009, puis à nouveau en 2020.
Plus récemment, la Cour a mis en œuvre ses compétences dans le cadre de circonstances
exceptionnelles à la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019. La Cour
avait annoncé qu’elle s’engagerait, sans attendre la fin des travaux, dans un contrôle de la collecte,
de la gestion et de l’emploi des fonds collectés dans le cadre de la souscription nationale lancée
pour sa reconstruction. Ce contrôle a été fait sous l’égide d’Antoine Durrleman. Le rapport a eu, je
crois, une très forte audience, et a été très puissant. Le contrôle a vocation à durer jusqu’à la fin de
l’opération de reconstruction et doit donner lieu à la publication de rapports, non pas annuels, mais
réguliers. En septembre 2020, très peu de temps après la catastrophe, notre premier rapport a
permis d’analyser cet élan de générosité sans précédent, à la fois sur le plan national mais aussi
international. Cela a vraiment été un mouvement mondial. Cela a tout de même permis de collecter
quelques 824 M€. Le contrôle a permis de faire le point sur les premiers travaux engagés. La Cour
va prochainement reprendre son contrôle pour examiner l’utilisation des 165 M€ apportés pour
permettre la sauvegarde de l’édifice, phase qui, comme vous le savez, vient de se terminer. Nous
pouvons donc maintenant opérer.
De la même manière, les dépenses effectuées à partir des fonds collectés dans le cadre de ce
magnifique élan de générosité qui a été suscité par la crise sanitaire font pleinement partie du plan
de travail de la Cour dans les mois qui viennent. Nous allons explorer les conséquences de la crise
Covid sur la générosité publique et réciproquement.
Ma préoccupation première, c’est que le citoyen, donateur effectif ou potentiel, dispose d’une
information fiable, transparente, aussi rapide que possible sur l’usage qui est fait de ces dons. Le
rôle de la Cour est de faire la lumière sur des situations complexes. Elle établit l’ordre par la lumière,
dit notre devise latine,
dat ordinem lucendo
. C’est pourquoi, au-delà des transmissions
d’observations de la Cour prévues par la réglementation, nos rapports sur la générosité publique
sont systématiquement publiés. Il peut nous arriver d’avoir des débats pour savoir si cela doit être
le cas. Jusqu’à présent, cela l’a toujours été et je pense que cela est devenu un point de doctrine en
vérité assez solidement établie.
On retrouve ici l’ambition qui est présente dans le projet stratégique de la Cour
Juridictions
financières 2025
d’une publication intégrale des rapports des juridictions financières.
Nous ne sommes pas là – et j’y attache beaucoup d’importance – pour épingler, ni pour étriller. Je
dis cela parce que c’est en général le marronnier que l’on retrouve dans la presse à chaque rapport
de la Cour des comptes. Il peut arriver, bien sûr, que nous ayons à souligner des situations qui sont
plus que dommageables pour les finances publiques et qui peuvent avoir des conséquences y
compris de nature pénale. Nous sommes là aussi pour sanctionner. Cependant, de manière
générale, dire que la Cour « épingle » ou « étrille » est une expression malheureuse et fausse. En
effet, ce sont des termes un peu vengeurs, en quelque sorte, ou qui donnent l’impression que nous
sommes vindicatifs. Cela ne traduit pas notre action et ce qu’elle doit être. Le souhait de la Cour,
c’est d’abord d’accompagner, de soutenir de façon constructive celles et ceux qui concourent à
l’intérêt général. C’est de permettre que la décision publique soit meilleure et que la décision du
public soit respectée. C’est ce que la Cour des comptes doit faire aujourd’hui.
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La puissance publique n’a d’ailleurs pas le monopole de l’intérêt général. L’apport des organismes
philanthropiques est, comme vous le savez, majeur. Il n’y a pas un secteur de la vie sociale d’où les
associations et les fondations seraient absentes, que ce soit dans l’action sociale, dans l’insertion,
dans l’environnement, dans la consommation, dans la culture, dans le sport… Je pourrais allonger
la liste. Elles sont l’expression d’un lien social. C’est la manifestation d’une citoyenneté active qui
met au cœur du pacte républicain l’acte fondamental du don. Cela tisse les solidarités. Cela mobilise
les énergies, avec une capacité jamais démentie d’innovation et d’expérimentation dont les
politiques publiques s’inspirent ensuite souvent.
Ces organisations expriment également un idéal, qui est de faire participer chacun à un idéal ou à
un destin collectif pour y apporter sa contribution, car il faut, autant que l’on peut, obliger tout le
monde, comme disait La Fontaine. À cet égard, le rôle de la Cour n’est pas seulement d’être, comme
je le soulignais, un tiers de confiance qui atteste du bon usage des fonds versés. Il est aussi
d’accompagner – j’insiste – les associations, les organisations qui œuvrent au profit de l’intérêt
général, les fondations. En ce sens, nos publications ont vocation à diffuser de bonnes pratiques.
En lien avec les acteurs du secteur, la Cour, je crois pouvoir le dire, a construit au fil du temps un
véritable référentiel en matière de gestion des fondations, associations, organisé autour de
quelques grands principes qu’il faut respecter.
C’est d’abord le respect de la volonté du donateur, la vérification de l’action effective de
l’organisme, le niveau maximum acceptable des frais de collecte, la politique de placement des
fonds, la mise en concurrence des prestataires, la mise en place – c’est très important – de
mécanismes destinés à éviter les conflits d’intérêts, etc. Cette doctrine se met petit à petit en place.
Je crois qu’elle est utile. Nos rapports sont aussi accompagnés de recommandations à destination
des organismes contrôlés dans un objectif de meilleure gestion.
La question qui se pose toujours, et je veux la poser de manière transparente, est : l’impact de nos
rapports et de nos recommandations est-il significatif ? Je pense que nos travaux de contrôle
ultérieurs en témoignent souvent. Et nos interlocuteurs nous le disent. Il y a des réactions positives
qui sont très stimulantes pour nos équipes. Mon souhait est que la dynamique qui en découle,
portée en grande partie par des organismes représentant le secteur philanthropique, dont l’objectif
est de diffuser les bonnes pratiques de gestion, s’amplifie encore. J’y attache une importance
particulière, d’autant que les évolutions du secteur sont importantes et multiples. Je pense à la
forte augmentation du nombre d’organismes philanthropiques. Je pense à la diversité grandissante
de leurs formes juridiques, mais aussi à la hausse significative du volume des dons et, en
conséquence, des dépenses fiscales correspondantes, avec des modes de collecte de plus en plus
diversifiés. Je pense que vous serez d’accord avec moi sur le fait que les enjeux sont majeurs pour
les donateurs, pour les finances publiques, pour les bénéficiaires des actions conduites par ces
organismes, pour, en définitive, les causes qu’ils servent.
Comment l’illustrer ? Les dons représentaient, il y a 30 ans, l’équivalent de 1,7 Md€. En 2019, ils
atteignaient 8,5 Md€, avec plus de 4,9 millions de foyers fiscaux donateurs et quelque 104 000
entreprises mécènes. C’est donc maintenant très installé. C’est très substantiel. En 2020, les
dépenses fiscales liées aux dons représentaient un montant d’environ 2,9 Md€, que ce soit pour les
particuliers ou pour les entreprises. C’est donc une politique publique qui est significative. Les
fondations et les fonds de dotation sont passés d’un peu plus de 1 000 en 2001 à plus de 4 600 en
2020. Il y aurait plus d’1,3 million d’associations actives, dont environ 1 850 sont reconnues d’utilité
publique. Cette augmentation s’accompagne, je le disais, d’une forte diversification des statuts
juridiques.
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Tout ceci nous incite et nous invite à penser à demain. Comment conserver la confiance des
donateurs dans un contexte caractérisé à la fois par un formidable élan de générosité des
particuliers et des entreprises, et par une plus grande diversité des organes collecteurs et des
formes de collecte ? C’est ce dont je veux vous inviter à débattre maintenant pour tirer les
enseignements de notre action commune depuis 30 ans, partager nos réflexions sur les modalités
d’amélioration de la transparence dans l’utilisation des dons et de renforcement de la confiance
des donateurs. À sa place et dans le plein exercice de sa mission, la Cour a, j’en suis persuadé, un
rôle à jouer dans cette réflexion. Toutefois, je me tourne vers vous, responsables des organismes
faisant appel à la générosité publique et aux pouvoirs publics, pour que le débat soit le plus
productif.
Avant de conclure, je voudrais présenter rapidement le programme de cette journée dans ses
grandes lignes. La matinée sera d’abord consacrée aux évolutions depuis 30 ans, notamment à la
construction du dispositif de contrôle des organismes philanthropiques et à la professionnalisation
de ces organismes. J’ouvre une parenthèse pour dire que je pense que le meilleur impact que l’on
puisse reconnaître à nos contrôles est bien celui-là. Globalement, il y a une professionnalisation du
secteur et une amélioration des pratiques, même s’il faut être extrêmement vigilant bien sûr et
même s’il demeure des exceptions.
La première table ronde portera sur la genèse des missions de contrôle des organismes par la Cour
des comptes, sous l’animation de Robert de Nicolay, conseiller maître honoraire à la Cour. La
deuxième table ronde évoquera le développement des bonnes pratiques des fondations et
associations en matière de transparence, de gestion, de gouvernance. C’est notamment sous l’effet
des contrôles de la Cour, mais pas uniquement, compte tenu du véritable effort et de
l’investissement des acteurs eux-mêmes en faveur d’une plus grande transparence. Je pense
notamment au label Don en confiance, issu du Comité de la charte, créé en 1989, et à IDEAS, créé
en 2005. Anne Mondoloni, présidente de section à la Cour, animera cet échange, entourée de deux
grands témoins, Jean-Marc Sauvé, président de la fondation Apprentis d’Auteuil, que je salue très
chaleureusement, et Patrice Douret, président des Restos du Cœur.
La journée se poursuivra l’après-midi avec une troisième et dernière table ronde animée par
Antoine Durrleman autour des nouveaux défis de la philanthropie en termes de transparence et de
confiance dans un contexte qui, comme je vous le rappelais, change très vite. Il faut également
préparer les 30 prochaines années. L’importance des thèmes abordés comme la qualité des
intervenants sollicités m’assurent que cette journée d’échanges sera particulièrement riche et utile.
Je suis reconnaissant à la présidente Catherine Démier, qui a bien voulu en faire la synthèse, avant
que Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement, n’intervienne en
clôture de ce colloque. Je dirai aussi quelques mots à nouveau.
J’en arrive au terme de ce propos introductif. Je veux tout simplement vous souhaiter une bonne
et une très fructueuse journée de travail. Je laisse maintenant place à la parole citoyenne, que vous
savez essentielle pour moi, dans un bref film introductif que je vous propose de visionner sans plus
attendre.
Je vous souhaite à toutes et tous un excellent colloque sur la générosité publique.
(Applaudissements.)
(Projection d’un film.)
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TABLE RONDE : LA LOI DU 7 AOÛT 1991 : UNE GENÈSE DIFFICILE,
UNE DYNAMIQUE QUI S’EST AFFIRMÉE
Animateur
•
Robert de Nicolay, conseiller maître honoraire, Cour des comptes
Intervenants
•
Nathalie Blum, directrice générale du Don en confiance
•
Georges Capdeboscq, conseiller maître honoraire, Cour des comptes, co-rapporteur du contrôle
de l’ARC en 1994-1995
•
Francis Charhon, conseiller en philanthropie, membre du comité label IDEAS
•
Charles de Courson, vice-président de la commission des finances de l’Assemblée nationale
Emmanuel Kessler
- Bonjour à tous. Je suis Emmanuel Kessler. Je suis directeur de la
communication de la Cour des comptes.
Je vais m’efforcer de faciliter vos échanges et de faire le lien entre ceux qui sont dans cette salle et
ceux qui suivent ce colloque en visioconférence, car nous avons aujourd’hui choisi un mode mixte.
Je crois que c’était la bonne solution, compte tenu du contexte.
Tout cela vise à signaler à ceux qui nous suivent à distance qu’ils peuvent participer activement via
le tchat en posant leurs questions, en mentionnant leurs réflexions. Au cours et après chaque table
ronde, nous en ferons part au panel d’intervenants qui vont nous rejoindre dans un instant.
Vous pourrez également poser des questions dans cette salle avec des micros qui circuleront, pour
qu’il y ait une forme d’interactivité.
Je ne reviens pas sur le programme qui vous a été présenté il y a un instant par le Premier président.
Je vous propose d’accueillir les intervenants de cette première table ronde, qui vont donc rejoindre
le centre de cette estrade : Robert de Nicolay, qui va modérer les débats, Nathalie Blum, Georges
Capdeboscq, Francis Charhon et Charles de Courson.
Je vous présente ceux qui vont vous retracer à la fois la genèse de la loi du 7 août 1991, mais aussi
la manière, pour se projeter dans l’actualité, dont s’est affirmée cette loi. C’est l’objet de cette
première table ronde qui va durer une heure, une heure et quart.
Robert de Nicolay est conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, membre de la cinquième
chambre de 2003 à 2007, puis de 2015 à 2021. Il a été l’un des rapporteurs du contrôle de l’emploi
des dons du tsunami de 2004. Il est spécialisé, comme les autres animateurs de la Cour pour les
trois tables rondes, dans ce secteur de la générosité publique. L’équipe de la cinquième chambre,
sous la présidence de Catherine Démier, a travaillé d’arrache-pied, depuis des semaines et des mois,
pour donner la densité nécessaire et le fond de réflexion à ce colloque.
Nous accueillons également avec plaisir Nathalie Blum, qui est directrice générale du Don en
confiance depuis 2014. Le Comité de la charte – Don en confiance a été créé en 1989 par de grandes
fondations et associations et regroupe aujourd’hui une centaine d’organisations labellisées.
Nathalie Blum, vous avez été auparavant directrice administrative et financière de l’association
Petits frères des Pauvres de 2006 à 2014.
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Georges Capdeboscq, vous êtes conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. Vous avez suivi
de très près le secteur à la cinquième chambre. Vous avez été rapporteur ou contre-rapporteur de
différents contrôles dans le secteur de la générosité publique. Vous avez été président de section
pendant 11 ans, avec un regard tout particulier sur ce secteur. Vous avez suivi le contrôle de l’ARC
en 1994-1995, dont vous étiez l’un des deux rapporteurs.
Francis Charhon, vous êtes consultant en philanthropie, membre du comité label IDEAS créé en
2005 par les commissaires aux comptes, l’ordre des experts-comptables et la Caisse des dépôts.
C’est un label de certification pour les associations et fondations. Le Premier président y faisait
référence il y a quelques instants. Vous avez été l’un des fondateurs et directeur général de
Médecins sans frontières. Vous avez dirigé la Fondation de France pendant 25 ans et vous êtes
l’auteur d’un petit ouvrage dont tout le monde partagera la profession de foi que constitue son
titre :
Vive la philanthropie !
publié au Cherche Midi.
Charles de Courson, vous êtes député depuis 1993, vice-président de la Commission des finances
de l’Assemblée nationale, conseiller référendaire honoraire à la Cour des comptes.
Vous avez proposé et fait adopter un certain nombre d’amendements au fil des années qui ont
enrichi cette loi de 1991 sur les pouvoirs de la Cour et les obligations des organismes. C’est aussi un
domaine sur lequel vous intervenez très régulièrement.
Je vais vous passer la parole, Robert de Nicolay, pour quelques mots situant les ambitions de cette
première table ronde.
J’aurai le mauvais rôle d’être gardien du temps, mais nous allons nous efforcer de respecter les
horaires de cette matinée.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup.
Permettez-moi d’abord de saluer les intervenants, ainsi que les personnes présentes dans la
Grand’chambre.
Le Premier président a déjà introduit le sujet de cette table ronde. C’est une table ronde à vocation
véritablement historique, chronologique, pour rappeler comment dans les années 1980, est
apparue une prise de conscience commune, à la fois du monde associatif et de la puissance
publique (ministères, inspections, Cour des comptes, Parlement), qu’il y avait un développement
très important de nouveaux modes de collecte, qui pouvait engendrer des déviations. On n'en était
plus du tout aux quêtes traditionnelles sur la voie publique, comme nous l’avons tous longtemps
connu. Ont commencé à fleurir des moyens de collecte de masse. Nous recevons tous des courriers,
particulièrement à cette période de l’année, d’un grand nombre d’organismes faisant appel aux
dons. Ces nouveaux moyens sont apparus et se sont considérablement développés dans les années
1970-1980.
Parallèlement, des prestataires de services ont vu l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de ce
charity
business
. Un véritable business s’est monté. Des échos inquiétants ont commencé à circuler dans
le milieu associatif. Celui-ci, comme les pouvoirs publics, ont pris conscience qu’il y avait des choses
qui n’allaient pas. Il y avait finalement une prise de conscience que, face à cette situation, il fallait
réagir.
Je vous propose de scander cette table ronde en deux temps, avec dans un premier temps la genèse
de la loi. C’est un enfantement qui n’a pas été facile. Tout le monde s’y est mis, mais cela a été
compliqué. Comment en est-on arrivé à cette fameuse loi de 1991 ? Nous avons le privilège et
l’honneur d’avoir parmi nous l’auteur des amendements, Jean-Pierre Béquet, à l’époque député du
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Val-d’Oise. Dans un deuxième temps, nous verrons comment le dispositif mis en place avec la loi a
été appliqué et s’est progressivement enrichi.
Pour le premier temps, il faut revenir un peu sur le passé. Avant 1991, il y a cette conscience que
quelque chose de malsain se développe et qu’il faut donc agir. Ceci va passer à la fois par des
initiatives du monde associatif, et la rédaction de divers projets et propositions de loi, qui
débouchent sur la loi du 7 août 1991. Une fois celle-ci votée, s’ouvre une période de mise au point
des textes d’application, qui durera deux ans. Penchons-nous donc d’abord, si vous le voulez bien,
sur cette période de la mise en place du dispositif, avant de passer, dans un second temps, sur la
façon dont il a été mis en œuvre.
Je souhaiterais évidemment, en premier lieu, donner la parole à Georges Capdeboscq, qui est à
l’origine, si je puis dire, du premier contrôle, celui de l’ARC. L’Inspection générale des affaires
sociales avait également engagé un contrôle mais, à l’origine, il convient de rappeler que c’est à
l’occasion d’un contrôle du CNRS, effectué par Georges Capdeboscq en 1979 qu’il fut déjà question
de l’ARC. Puis il pourrait nous dire également comment, plus généralement, les choses se
présentaient à la Cour à la fin des années 1980.
Georges Capdeboscq
- Merci.
Je parlerai de deux épisodes. Le premier se situe effectivement à la fin de la décennie 1970. Il se
trouve que je contrôlais le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, et en particulier
les recettes du CNRS, recettes notamment tirées des contrats avec divers organismes. C’est là que
pour la première fois, j’ai rencontré l’ADRCV, l’Association pour le développement de la recherche
sur le cancer à Villejuif, qui avait été créée en 1962 par le professeur Maurice Tubiana et dont
Jacques Crozemarie avait très vite pris la présidence.
Nous constations que le CNRS et cette association, d’ailleurs présidée par un salarié du CNRS, se
disputaient les legs. Il y avait concurrence. Cela allait même parfois jusqu’au tribunal. D’ailleurs, le
CNRS perdait quand les legs étaient rédigés de manière générale « Je lègue pour le cancer », ou
« pour la recherche sur le cancer ». J’avais regardé cette association. On constatait assez vite, outre
cette concurrence avec le CNRS, qu’il y avait tout de même un problème. Dans ses comptes, alors
qu’elle s’appelait « Recherche sur le cancer », moins de 50 % des dépenses allaient au cancer. Il y
avait une autre affaire, qui était que l’une de ses salariées, aide-comptable, avait dénoncé à la
justice diverses doubles facturations. Une enquête interne avait également été diligentée.
Dans son rapport public annuel de 1979, la Cour des comptes a cité cette association comme le
genre d’associations qui se trouvent en concurrence avec les établissements publics pour gérer les
contrats. Et le Procureur général Pierre Doueil a écrit au ministre compétent, le ministre des
Universités, en indiquant :
« Un contrôle des comptes de l’association paraît s’imposer. La Cour, qui
ne peut l’exercer elle-même en l’état, souhaite connaître les conditions dans lesquelles s’exerce le
droit de surveillance reconnu aux ministres de l’Intérieur, des Universités, de la Santé, de la Sécurité
sociale, par les statuts de l’association ».
Le ministre de l’Intérieur a répondu que s’agissant d’un
organisme reconnu d’utilité publique (en 1966), il appartenait aux ministères techniques de
répondre.
Le ministre de la Santé a répondu qu’il y avait eu une enquête de l’IGAS sur cette association, qui
avait conclu à la nécessité d’une coordination de l’action des associations. Et un très haut
fonctionnaire, Roger Goetze, avait fait un rapport au Premier ministre en 1979 en proposant la
création d’un Haut comité français d’aide à la lutte contre le cancer. Il n’avait pas eu beaucoup de
suite.
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
Le deuxième épisode a eu lieu une décennie plus tard, à la fin des années 1980. Bien sûr, dans les
années 1980, les appels à la générosité se sont beaucoup développés. Rappelez-vous. Bernard
Kouchner avait écrit
Charity business
. Fabienne Messica avait écrit
Les bonnes affaires de la charité
.
Lorsque Michel Prat et moi-même avons fait, en 2009, une conférence sur le contrôle de l’ARC dans
le cadre du Comité d’Histoire de la Cour des comptes, le Premier président honoraire André
Chandernagor a rapporté, à la fin de la conférence, deux souvenirs de 1989.
« En 1989
, disait-il,
Jacques Crozemarie a demandé à me voir. Ce qui (l’) intéresse, c’est d’avoir la certitude que la Cour
n’a pas le pouvoir de contrôler (son) association ».
À peine Jacques Crozemarie était-il sorti du cabinet du Premier président, que celui-ci fit demander
un rendez-vous au Premier ministre.
« J’ai trouvé en Michel Rocard une oreille complaisante et il
convient de faire préparer un projet de loi ».
Le Premier président Chandernagor transmet en mai
1989 un projet de loi au ministre d’État, ministre de l’économie et des finances, Pierre Bérégovoy,
comportant un article unique :
« La Cour peut également exercer dans des conditions fixées par
décret un contrôle sur les associations, organisations et organismes qui, pour soutenir des causes
scientifiques, humanitaires ou sociales, font appel sur le plan national à la générosité publique, soit
sur la voie publique, soit par tout moyen de communication de masse. »
Je rends la parole, si je puis dire, à M. Chandernagor. Il poursuit :
« Nous sommes en régime plus ou
moins présidentiel… ».
Vous vous rappelez
Un Parlement, pour quoi faire ?
quelques décennies plus
tôt.
« Et l’Élysée a son mot à dire. À partir de là, les choses se compliquent. Il y a les pour, mais aussi
les contre, et notamment les associations amies auxquelles il faut laisser le temps de mettre leurs
comptes en ordre. Les choses ont donc traîné ».
Il ajoute qu’il était atteint par la limite d’âge en
septembre 1990, puisqu’il est né en 1921.
« Dans mon testament, j’ai confié ce dossier à mon
successeur, le Premier président Arpaillange ».
Le deuxième souvenir de M. Chandernagor, c’est que la même année, il reçoit François Bloch-Lainé,
qui lui parle de l’initiative qu’il a prise pour réunir des associations et fondations autour d’un code
de bonne conduite. M. Chandernagor disait :
« Je lui ai fait valoir que la menace d’un contrôle de la
Cour ne manquerait pas d’inciter les associations à adhérer à son code de bonne conduite et qu’ainsi,
nos deux démarches étaient complémentaires. »
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup, Georges Capdeboscq.
Je me tourne maintenant naturellement vers Francis Charhon et Nathalie Blum, pour leur
demander, en leur qualité de dirigeants d’organismes associatifs, de nous faire part de leur vision
et de leur analyse de la situation à cette époque.
Francis Charhon, d’abord, vous êtes l’un des fondateurs de Médecins sans frontières. Vous en avez
été président, puis directeur général. Pouvez-vous nous dire quel a été votre vécu de cette époque,
du côté du monde associatif ?
Francis Charhon
- Merci beaucoup.
Comme cela vient d’être dit, au début des années 1980, l’arrivée des techniques de marketing, la
croissance de la collecte ont fait penser à certains qu’il fallait s’organiser, car il pouvait y avoir des
déviances, surtout que « l’affaire Crozemarie », si j’ose dire, était déjà dans les tuyaux. D’ailleurs,
je précise que l’ARC de l’époque n’a rien à voir avec l’ARC d’aujourd’hui, qui est une fondation
extrêmement bien gérée, que vous avez d’ailleurs recontrôlée. On voyait apparaître quelques
pratiques abusives des collecteurs, aussi bien en France que pour des sociétés créées à l’étranger,
qui faisaient de la collecte en France avec des noms qui pouvaient prêter à confusion. Au lieu de
« Médecins du monde », c’était « Médecins avec le monde », ou des appellations de la sorte. Et
l’argent disparaissait.
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À ce moment-là, la Fonda, une association, un
think tank
, a créé un groupe de travail. En 1981, ils
ont commencé à réfléchir sur ces questions de bonnes pratiques et ont progressivement fait un
certain nombre de recommandations. À l’initiative de la Fonda, il y avait François Bloch-Lainé, qui
a été évoqué, et Frédéric Pascal, qui en sont tous les deux devenus présidents. Cela a abouti à la
création du Comité de la charte en 1989, dont je laisserai Nathalie Blum parler.
Il faut savoir que depuis le début, pour les responsables des grandes organisations – j’étais à
Médecins sans frontières avant de passer à la Fondation de France – la question de la transparence
a toujours été fondamentale, parce que c’est l’essence même de notre capacité d’intervention. S’il
n’y a pas de confiance, les donateurs ne sont pas là. C’est donc assez difficile.
L’affaire s’est engagée comme cela. Du côté des organisations, 18 organisations ont créé le Comité
de la charte. Ensuite, cela s’est développé.
J’invite ceux qui n’ont pas lu le petit livre de la Cour sur le contrôle de l’ARC, écrit par Georges
Capdeboscq et Michel Prat, à le faire, car c’est mieux qu’un polar ! C’est la bataille contre l’anguille
qu’était Crozemarie. C’est absolument formidable. Cela a été un travail extraordinaire. Je vous
reparlerai de cela tout à l’heure, parce que je trouve que la lecture de ce livre peut en même temps
donner aussi un biais sur un élément qui me préoccupe.
Robert de Nicolay
- Je vous remercie, Francis Charhon, d’être un très bon agent littéraire. Il faut
dire que, sur un excellent produit, c’est plus facile !
(Rires.)
Nathalie Blum, pourriez-vous nous en dire plus sur cette fameuse Charte de déontologie qui a été
signée en novembre 1989 ? Quels sont, au fond, les principes de cette charte et quels sont les
engagements que prennent, à l’époque, les signataires ?
Nathalie Blum
- Oui, merci.
Effectivement, je n’ai pas eu la chance d’être présente à cette époque. Je n’en suis pas un témoin
direct. Cependant, j’ai eu beaucoup d’échanges avec les témoins directs de cette époque du
Secours populaire, des Petits frères des Pauvres, de l’Association des paralysés de France (APF). Je
me suis également replongée dans les archives. Il est vrai que chacun raconte son histoire avec sa
vision, ses souvenirs. Néanmoins, cela fait ressortir ce socle commun, cette histoire telle que nous
la vivons aujourd’hui.
Pour revenir sur ce que disait Robert de Nicolay sur la période qui a précédé la loi, d’après tout ce
que j’ai pu lire dans ces documents, prédomine alors le sentiment qu’il faut agir. Je voudrais, avant
de reparler de la charte, citer l’excellent article préfigurateur de Daniel Bruneau publié en
janvier 1988. C’était l’un des acteurs majeurs de cette initiative. Il s’intitulait «
Pour un label des
associations collectant des fonds auprès des particuliers
». On y trouve déjà la dénonciation de la
dérive de certains, associations comme prestataires de collecte, l’impossibilité, en l’état de la
législation, d’exercer un contrôle sur l’utilisation des dons en 1988, le manque de transparence, le
renvoi de la responsabilité aux acteurs associatifs eux-mêmes et finalement la préfiguration d’un
comité du label.
C’est ainsi qu’une vingtaine de grandes associations et fondations humanitaires et sociales qui
faisaient appel à la générosité se sont rassemblées pour préserver leur bien le plus précieux, leur
bien collectif et fragile : la confiance. Ils ont travaillé de longs mois sur l’élaboration d’une charte
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sous l’égide de l’UNIOPSS
1
. François Bloch-Lainé en était à l’époque le président. L’acte constitutif
a eu lieu le 20 novembre 1989, avec l’adoption d’une «
Charte de déontologie
».
L’objectif de cette charte était d’informer exactement et clairement les donateurs sur les missions
que ces organisations accomplissaient et sur l’usage des fonds qu’elles recevaient. Pour cela, cette
charte va impliquer plusieurs choses : d’abord, bien sûr, la transparence financière, mais aussi la
qualité des actions et des messages et la rigueur des modes de recherche de fonds. En effet, l’enjeu
auprès des prestataires de collecte était très fort. Il y avait donc beaucoup de points à ce sujet.
Dans une première phase limitée à deux ans, les associations et fondations adhérentes devaient se
soumettre au contrôle d’une personnalité qualifiée indépendante pour examiner si les modes de
sollicitation et l’usage des fonds collectés étaient conformes aux prescriptions de la charte. Les
résultats étaient appréciés par une commission, à la suite de quoi un label pouvait être délivré.
C’est ainsi que le Comité de la charte du Don en confiance est né.
Pour dire un dernier mot, les associations et fondations qui avaient travaillé sur cette charte n’ont
pas toutes décidé d’adhérer à l’assemblée générale constitutive. Ensuite, celles qui étaient
présentes lors de cette assemblée n’ont pas toutes décidé de rester pendant la phase de deux ans.
Certaines se sont retirées avant l’attribution du label.
Je voudrais citer, pour finir sur ce premier point, quelques-unes des grandes organisations membres
fondatrices qui sont toujours présentes au Comité de la charte du Don en confiance : Action contre
la faim, l’Institut Pasteur, l’APF, l’Association Valentin Haüy, le CCFD, l’UNICEF, la Fondation pour la
recherche médicale, la Ligue nationale contre le cancer, Médecins du Monde, les Petits frères des
pauvres, le Secours Catholique, le Secours populaire, l’UNAPEI.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup, Nathalie Blum.
Merci à vous deux d’avoir donné cet éclairage sur ce qu’a fait le mouvement associatif pour cette
prise de conscience.
Charles de Courson, en 1988, vous revenez d’un cabinet ministériel et vous passez cinq années à la
Cour avant d’être élu député de la Marne. Pouvez-vous nous donner votre propre expérience quand
vous revenez à la Cour ? Comment êtes-vous sollicité par le secteur associatif et sur les initiatives
qui sont prises au Parlement pour essayer d’instituer un contrôle public des organismes faisant
appel à la générosité publique ?
Charles de Courson
- Jeune auditeur, on m’avait sollicité pour être trésorier du comité de Paris de
la Ligue contre le cancer alors que des soupçons de détournement des dons existaient. Le
mécanisme peut malheureusement être très simple : au siège du comité de Paris, avenue de la
Grande armée, des personnes arrivaient en disant quelque chose comme : «
Je viens de perdre mon
épouse du cancer et elle m’a demandé de vous apporter ses bijoux
», ou un lingot d’or. Rien n’était
enregistré. Certains se servaient donc. C’est ma petite expérience de l’intérieur d’un organisme
recevant des fonds venant de la générosité de nos concitoyens.
Quand je reviens à la Cour des comptes au mois de juin 1988, je suis affecté – pour mon plus grand
plaisir, d’ailleurs – à la chambre sociale. Le président de la chambre sociale est devenu un très grand
ami. Nous avions 40 ans d’écart d’âges. C’était le président Mosès, qui était très malin. Il nous
demandait toujours, chaque année, de lui donner des idées de contrôles. Ayant eu vent, par un ami
du côté de l’IGAS, de ce qu’a raconté notre collègue Capdeboscq, je lui ai dit : «
Pourquoi ne
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Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux.
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contrôle-t-on pas les dépenses fiscales, notamment celles liées aux dons, pour les associations qui
bénéficient d’exonérations des deux tiers ?
». Il me répond que c’est une excellente idée.
Quelques semaines plus tard, je comprends qu’il n’a pas retenu l’idée. Je lui demande pourquoi. Il
me répond : «
Je me suis rapproché du Procureur général qui m’a dit "Holà !"
». En fait, nous étions
aux débuts de « l’affaire Crozemarie ». «
M. Crozemarie a des moyens financiers considérables,
d’excellents avocats. Nous allons avoir un contentieux si nous déclenchons, à ce titre, un contrôle.
Comme ce sera jugé par le Conseil d’État, traditionnel défenseur de la liberté d’association, je ne
suis pas sûr que nous allons gagner
».
À l’époque, j’aidais le groupe centriste pour les problèmes budgétaires, Adrien Zeller, Pierre
Méhaignerie… Un jour, dans une réunion, Adrien arrive en colère, parce qu’il y avait eu un scandale
sur une petite association, du côté de Lyon, je crois, qui essayait aussi de lutter contre le cancer. On
avait découvert que la personne qui collectait les fonds les mettait dans sa poche. Adrien arrive,
toujours tout feu tout flamme, disant : «
C’est scandaleux ! Ce n’est pas normal !
», etc. Je lui dis :
«
Adrien, il faut amender la loi. Sinon, tu ne pourras jamais garantir cela
».
Les premiers amendements, je les ai faits avec Adrien Zeller. Je n’ai jamais renoncé à l’autre piste
sur la façon de pouvoir contrôler. Ce n’était pas pour le plaisir d’élargir le champ de compétence de
la Cour des comptes, qui était déjà immense, mais parce que je voyais que si l’on continuait comme
cela, il suffisait d’une ou deux brebis galeuses pour détruire la confiance envers les autres
associations : «
Est-on bien sûr que ce que l’on donne va là où on espère que cela va ? N’y a-t-il pas
des frais de gestion extravagants, des détournements ?...
». Je n’ai jamais renoncé à cette idée de
la dépense fiscale soumise au président Mosès. Il faudra attendre, nous le verrons tout à l’heure,
près de dix ans, pour la voir adoptée. J’ai toujours essayé d’utiliser les deux voies. Nous voyons aussi
comment notre collègue Georges Capdeboscq, en contrôlant le CNRS, s’est posé des questions.
Je voudrais dire à Nathalie Blum, qui n’était pas encore en fonctions à l’époque, que nous avions
eu le sentiment – et d’ailleurs, le président Chandernagor le dit à demi-mot dans les propos que
Georges Capdeboscq a rappelés – que la création de la charte de déontologie était un peu un
contre-feu. Soyons clairs, ses promoteurs en étaient conscients. Je pense que le président
Chandernagor a eu raison de dire : «
Notre action est tout à fait complémentaire
». À partir du
moment où la Cour des comptes, après avoir contrôlé un organisme, constate que globalement il
est bien géré – même si l’on peut toujours améliorer telle ou telle chose – cela sécurise les
donateurs.
Ce sont mes « souvenirs d’enfance », si je puis dire, dans ce domaine. Il y a donc les deux voies, à
travers la Cour des comptes et à travers les contacts sur le début de l’affaire de l’ARC, qui a amené
à se poser beaucoup de questions.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup, Charles de Courson.
Pour faire la transition, la proposition de loi d’Adrien Zeller, sur laquelle nous avons bien compris
que vous aviez joué un rôle, a été transformée en amendement au Parlement, finalement cosigné
par Adrien Zeller et Alain Richard. La disposition avait été votée par l’Assemblée, mais déclarée non
conforme par le Conseil constitutionnel fin décembre 1990, comme étant un cavalier budgétaire.
Trois mois plus tard – et je vais demander à Jean-Pierre Béquet de nous donner son témoignage –
un projet de loi a été déposé par le gouvernement sur le soutien au bénévolat dans les associations.
C’est à cette occasion qu’a été porté sur les fonts baptismaux, si vous me passez l’expression, ce
triptyque sur lequel nous vivons encore 30 ans après : déclaration de campagne auprès de la
préfecture, élaboration d’un compte d’emploi des ressources ; contrôle du compte d’emploi par la
Cour des comptes. La lecture des travaux parlementaires révèle que cela n’a pas été si simple de
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faire voter ces amendements. À ce sujet, Jean-Pierre Béquet, voulez-vous bien nous rappeler le
contexte du vote de la loi en allant jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel, pour nous
rapporter comment les choses se sont déroulées ?
Jean-Pierre Béquet
- Merci beaucoup.
Je vous remercie de m’avoir invité et de me donner la parole quelques minutes pour rappeler ce
moment de la vie parlementaire sur lequel j’ai été particulièrement actif.
Naturellement, vous venez de parler du contexte général. Nous arrivons en 1991, année où le
gouvernement propose un texte pour soutenir un peu plus le mouvement associatif. C’est
notamment avec un congé de représentation pour les bénévoles de haut niveau qui siègent dans
les instances, il y a énormément d’instances où l’on demande aux bénévoles de se déplacer, de
faire de l’expertise, etc. L’idée est de leur permettre de disposer de quelques journées de congés
pour exercer cette fonction et également d’améliorer la protection sociale en cas d’accident qui se
produirait sur le trajet en se rendant à ces instances. L’esprit est d’aider un peu plus le mouvement
associatif.
Le groupe majoritaire me propose d’en être le rapporteur. J’accepte car j’avais un fort intérêt pour
la vie associative. Je me mets donc au travail. En préparant le rapport, je rencontre les grands
acteurs de la vie associative. Plusieurs ont d’ailleurs été cités : le CNVA, l’UNIOPSS, etc. Je fais le
travail de tout rapporteur en préparant, travaillant, réfléchissant… Très vite, nous évoquons cette
question en nous disant que dans la loi, nous pourrions peut-être également parler de ce problème
avec un amendement - qui vient d’être rappelé par Charles de Courson - d’Adrien Zeller et Alain
Richard, qui était d’ailleurs un collègue du même département que moi, amendement déclaré non
conforme par le Conseil constitutionnel, comme cavalier budgétaire, cela a été rappelé. Cependant,
nous réfléchissons au moyen de pouvoir ajouter le dispositif Zeller-Richard à cette loi, car il y a là
un lien direct avec le soutien à la vie associative.
De plus, l’opinion bruissait. Vous avez évoqué l’affaire Crozemarie qui se mettait à tourner un peu
partout. Plusieurs journaux commençaient à en parler. Nous avions des retours. Les acteurs de la
vie associative, quand je les rencontrais, me disaient : « C’est bien, ce texte est intéressant mais au-
delà, il y a ce problème et il faudrait arriver à trouver un système pour sécuriser les dons car nous
sommes inquiets. Nous faisons un appel à la générosité, mais des gens nous disent qu’ils voudraient
être sûrs que cela va bien là où il faut ». Ces questions traversaient l’opinion. Nous essayions donc
de réfléchir à cela.
C’est à ce moment-là que j’ai proposé, par amendement, d’introduire un volet supplémentaire dans
la loi, afin de sécuriser les dons. Nous avons commencé à en discuter. Plusieurs personnes avaient
évoqué ces questions à différents moments. Nous avions en tête ces sujets. J’avais compris que le
secrétaire d’État, Tony Dreyfus à l’époque, qui était proche de Michel Rocard, avait aussi été
sensibilisé à cette question. On m’a donc fait comprendre très vite que c’était un point que l’on
pouvait introduire par amendement.
J’ai ainsi été amené à travailler sur cette question et à proposer non pas un amendement, mais une
série d’amendements, qui permettaient de tenter de sécuriser les dons sur trois points.
La première question était : il faudrait, quand on fait un appel à la générosité publique, déposer
une déclaration en préfecture.
Le deuxième point était de dire qu’il ne s’agissait pas de contrôler les comptes des associations…
D’ailleurs, beaucoup ne se sont pas privés de dire qu’on allait mettre sous tutelle les associations,
chercher à les contrôler dans leurs activités, etc. L’idée était donc de créer un compte particulier,
un compte d’emploi séparé, qui retracerait recettes et dépenses. Les recettes, c’étaient les dons.
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Pour les dépenses, il fallait s’assurer que l’essentiel des dons allait bien à la cause pour laquelle on
faisait appel et non pas à des frais de fonctionnement, pour acheter des voitures, des logements,
etc. En effet, à ce moment-là, nous avions quelques mauvais exemples qui circulaient.
La troisième partie, c’était de dire qu’il fallait un contrôle. À notre sens et à mon sens, le seul
contrôle possible était celui de la Cour des comptes. C’est pourquoi je l’ai introduit. Il s’agissait d’un
contrôle sur ces dispositifs et de la rédaction d’un avis qui pourrait être porté à la connaissance des
associations elles-mêmes et des donateurs.
C’étaient les trois piliers des amendements successifs qui ont été déposés.
Je ne vous dis pas que cela a été un long fleuve tranquille. Nous avons subi une série d’attaques
assez vives. Cela a commencé en commission, puis certaines associations elles-mêmes se sont
élevées contre le projet. J’ai le souvenir, par exemple, de la fondation Raoul Follereau, qui avait
beaucoup attaqué cette disposition, pensant que l’on voulait contrôler la vie associative, que l’on
voulait les mettre sous tutelle. C’est le terme qui circulait. Il y avait même une série d’organisations
qui avaient lancé des cartes postales. J’en recevais dans mon courrier, me disant : «
Arrêtez de
vouloir mettre sous tutelle les associations. Vous portez atteinte à la loi de 1901
». Étant moi-même
très attaché à l’indépendance et à la liberté de la vie associative, je trouvais que c’était un mauvais
procès qui nous était fait. En tout cas, cela existait.
J’ai relu les débats de l’époque dans la perspective du colloque. Je dois avouer que j’en avais oublié
le caractère aussi vif. Avec le temps, je me rappelais qu’il y avait eu quelques échauffourées, mais
je ne me souvenais pas que c’était aussi vif que cela. Quand je relis les interventions d’un certain
nombre de collègues à l’Assemblée, et surtout le débat qui a eu lieu au Sénat – auquel je n’ai pas
assisté, mais que j’ai pu lire – c’était franchement assez virulent. Néanmoins, je n’ai pas douté.
Nous sommes passés en première lecture. Nous sommes passés en deuxième lecture. Le Sénat a
voté contre. Nous sommes allés jusqu’à la troisième lecture. Il y a eu des allers-retours réguliers de
la sorte entre l’Assemblée et le Sénat. Toutefois, nous n’avons pas pu aboutir à un accord. Quand
nous sommes arrivés à la commission mixte parlementaire, qui consiste à essayer de trouver une
conciliation du point de vue des deux chambres, cela n’a pas été possible. J’ai dû maintenir le texte
initial, avec toutefois un amendement. J’avais aussi présenté un autre amendement pour changer
le titre afin de ne pas parler simplement du congé de représentation en faveur des associations et
des mutuelles. J’ai proposé un très long titre sur le congé de représentation et le contrôle des
comptes des organismes faisant appel à la générosité publique. Le titre de la loi était devenu assez
long, mais de ce fait, il y avait les deux fonctions : le congé de représentation et la partie
transparence et sécurité juridique des dons. C’était le fondement même du texte et donc du titre
de la loi. J’avais veillé à ce que le titre soit bien conforme à tout cela, parce que je me doutais qu’il
y aurait un recours au Conseil constitutionnel.
Le texte a été voté à une très faible majorité. Je crois qu’il y avait 18 ou 20 voix de majorité. Ce
n’était pas très important. Il faut se rappeler que dans cette neuvième législature, nous n’avions
que la majorité relative. Le vote à une très courte majorité a d’ailleurs permis aux sénateurs
d’introduire un recours au Conseil constitutionnel. Si ma mémoire est bonne, cela a dû être voté en
dernière lecture au début juillet 1991. Le Conseil constitutionnel a été saisi par les sénateurs et
début août – le 2 août, je crois – le Conseil constitutionnel a rendu son avis. Il nous a d’ailleurs
donné raison sur tous les points, apportant même quelques précisions. À chaque fois, cela renvoyait
à des décrets d’application pour faire en sorte que cette loi se traduise concrètement. Le Conseil a
validé tous les points de la loi, tous les articles, tous les anciens amendements qui étaient devenus
la loi. Nous avons encore amélioré son application future avec des conseils pour la rédaction des
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décrets d’application, etc. C’est ainsi que la loi est devenue définitive début août et est devenue la
loi du 7 août 1991, publiée au Journal officiel du 10 août.
Il y a donc eu trois mois de débats intenses, durant lesquels nous n’avons pas varié. En tant que
rapporteur, je n’ai pas varié. J’ai écouté tout le monde. D’ailleurs, au fil des rédactions, nous avons
chaque fois amélioré en tenant compte d’un certain nombre de choses. Mon collègue Jean-Luc
Reitzer, qui n’était pas favorable au dispositif, a quand même reconnu que nous avions amélioré le
texte et que nous avions tenu compte d’un certain nombre d’éléments. Mais cela n’a pas changé le
vote final.
En tout cas, pour conclure, je dirais que 30 ans après, cette loi a vécu, elle a encore été améliorée,
car il y a eu encore des améliorations grâce au collègue Charles de Courson, qui a permis d’affiner
encore au fil du temps son application. Mais elle a été très utile dès son adoption car elle a permis,
notamment dans le dossier de l’ARC, de pouvoir intervenir très vite. C’était la première vraie
application. Il y en a eu quelques autres après, mais je crois que cela a moralisé les choses. Cela a
permis de sécuriser les dons.
Par rapport au mouvement associatif, que je respecte bien sûr énormément et pour lequel l’appel
à la générosité publique est un levier important de financement, cela a permis aux donateurs d’être
sécurisés, de savoir que leurs dons allaient pour l’essentiel, au moins à 90 %, à la cause pour laquelle
le don était fait. Tout cela a été d’une certaine utilité.
Je me réjouis que 30 ans après, on l’évoque encore. Je ne m’attendais même pas à ce qu’un colloque
en parle comme cela. Je suis donc très heureux d’en témoigner et surtout heureux de voir que cela
a été utile au mouvement associatif et à la générosité publique. C’est le témoignage que je voulais
apporter aujourd’hui.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup, Monsieur le député. C’était passionnant.
Le triptyque (déclaration de campagne, compte d’emploi des ressources-CER, contrôle par la Cour
des comptes) que l’on pourrait appeler les « trois piliers de la confiance », si je puis dire, est très
solide.
Il est temps maintenant que nous parlions, malheureusement très rapidement pour respecter
l’horaire, de la mise au point des textes d’application (décret, arrêté) qui a été encadrée par les
considérants de la décision du Conseil constitutionnel.
Je voudrais d’abord demander à Georges Capdeboscq d’expliquer en quoi la Cour disposait du
savoir-faire, dans la mesure où elle avait déjà la compétence sur d’autres sujets de contrôles
d’associations. Ensuite, Nathalie Blum pourrait nous parler des préoccupations du Comité de la
charte.
Je vous solliciterai ensuite, Francis Charhon, puisque vous avez été membre de la commission
consultative de l’élaboration du compte d’emploi des ressources.
Comme vos interventions de la première sous-partie étaient absolument passionnantes, nous
avons pris du retard. Sur la mise au point des textes d’application, nous allons devoir aller plus vite,
avant de passer aux améliorations ultérieures du dispositif.
Georges Capdeboscq
- Il fallait en effet deux textes – un décret et un arrêté - et il a fallu deux ans
pour les mettre au point. La loi date du 7 août 1991. Il fallait un décret d’application qui n’est
intervenu qu’un an plus tard, le 17 septembre 1992. Il fallait ensuite un modèle de compte d’emploi
des ressources qui n’a été établi par arrêté que le 30 juillet 1993.
Pour la mise au point du décret d’application, la Cour a été associée, à savoir le Parquet général,
notamment Christian Descheemaeker, Premier avocat général. La problématique était celle qu’a
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indiquée Jean-Pierre Béquet. Le Conseil constitutionnel avait précisé : «
Cette mission de contrôle
s’exerce non pas suivant l’ensemble des prérogatives conférées à la Cour, mais suivant des règles
spécifiques édictées par décret en Conseil d’État, dans le respect de la liberté d’association
».
Il y a donc eu des réunions sous l’égide de la Cour. Les points qui bloquaient portaient sur les
pouvoirs des rapporteurs, notamment le pouvoir d’enquête sur place, le droit de communication
des services fiscaux et des banques. Le deuxième point qui bloquait, c’était la publication et les
effets « dévastateurs » qui pouvaient en résulter, de l’opinion de certains. C’est ce qui explique que
cela ait duré presque un an. Finalement, le décret du 17 septembre 1992 retranscrit des
dispositions de loi et permet de travailler.
Sur le deuxième point, le compte d’emploi, le Comité de la charte avait travaillé lui aussi. Il avait
d’ailleurs transmis à la Cour un modèle fin 1991. Pour faire un point historique, il n’y avait pas
d’encadrement comptable des associations à l’époque. En pratique, suivant les cas, les associations
étaient soumises au décret-loi de 1935 si elles recevaient des subventions et à un décret du 1
er
mars
1985 si elles avaient une activité économique dépassant un certain seuil. Le Conseil national de la
comptabilité avait recommandé un plan comptable en 1985, mais qui n’était pas obligatoire.
La mise au point du compte d’emploi a été faite en deux temps. Il y a d’abord eu un groupe de
travail informel, qui s’est réuni à partir de la fin 1991. Là encore, la Cour y était associée, avec
Christian Descheemaeker, votre serviteur et un collègue qui venait des finances. C’était, cette fois,
sous l’égide de la délégation générale à l’innovation sociale et à l’économie sociale. On était arrivé
à un modèle de compte d’emploi validé par le conseil national de la comptabilité. L’idée était de ne
pas trop compliquer les choses. C’était la demande des associations. Bien évidemment, nous avions
entendu le Comité de la charte, le CNVA, l’association française des trésoriers d’entreprise. Il
s’agissait d’avoir à la fois un compte qui signifie quelque chose, si je puis dire, et qui ne soit pas trop
compliqué.
Ensuite, il y a eu la commission consultative dont je faisais partie avec Bernard Zuber, qui était de
retour de l’Ordre national des experts-comptables, qui s’est réunie à partir de janvier 1993, toujours
sous l’égide la délégation générale à l’innovation sociale et à l’économie sociale. Il y avait des
représentants des ministères, des associations, notamment le président François Bloch-Lainé, un
représentant de la Fondation de France, en la personne de Francis Charhon.
De nouveau, la discussion portait sur la question de savoir jusqu’où nous pouvions aller dans le
caractère obligatoire. Mon mandat était simple : c’était d’obtenir qu’il y ait une liaison avec la
comptabilité générale de l’organisme, ni plus, ni moins. Il fallait que ce ne soit pas un compte hors-
sol. Il y a eu des discussions très longues. Nous sommes arrivés à un texte de compromis. Le Conseil
national de la comptabilité nous a renvoyé la copie en disant que c’était plutôt bien, mais que nous
pouvions mieux faire. Il a notamment demandé que nous indiquions bien la liaison avec la
comptabilité générale. C’est ce qui a été fait dans l’arrêté du 30 juillet 1993, pour lequel l’idée était
d’obtenir un consensus et en même temps, dans les annexes, de préciser que l’on devait expliquer
d’où venaient les chiffres.
En 1999, le comité de la réglementation comptable a, cette fois, rendu public un règlement. Nous
sortions de la période que j’ai décrite où il n’y avait pas de règles. En 1999, il y a eu un règlement,
avec notamment la notion de fonds dédiés. Nous n’allons pas faire ici un cours de comptabilité,
mais l’institution des fonds dédiés permettait de suivre les dons affectés par les donateurs. En 2005,
a été organisé un groupe de travail du conseil national de la comptabilité auquel ont participé des
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
collègues, Axel Urgin, Sylvie Toraille et Thierry Savy. Le livre de la Cour sur Philippe Séguin
2
qualifie
les débats « d’homériques ». Ce groupe de travail est arrivé à un règlement de mai 2008, que la
Cour a jugé perfectible en 2015. L’ouvrage a donc été remis sur le métier. Finalement, c’est en 2019
que l’arrêté du 30 juillet 1993 a été remplacé par un arrêté plus précis. Je constate simplement que
notre texte de compromis a malgré tout vécu 26 ans.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup.
Nathalie Blum, pourriez-vous nous faire part des préoccupations du Comité de la charte au moment
du décret ?
Nathalie Blum
- Le Comité de la charte du Don en confiance a réuni un groupe de travail pour
réfléchir aux mesures souhaitables. J’ai relu dernièrement le rapport d’activité de 1991 et on voit
bien comment ces travaux se sont déroulés, avec un groupe qui s’est réuni huit fois. Cela a permis
d’élaborer cette proposition écrite, adressée au ministre concerné, à la Cour des comptes, au
conseil national de la comptabilité. Dans les propositions du Comité de la charte du Don en
confiance, ce que j’ai finalement trouvé remarquable en relisant les travaux de l’époque, c’est que
l’on retrouve également aujourd’hui les préoccupations d’alors. Ce sont les mêmes propositions
qui ont été effectuées par le Don en confiance ces dernières années, lors des différentes évolutions
du CER, avec les différentes propositions portées depuis.
Le Comité de la charte du Don en confiance s’appuie sur deux considérations principales. Pour le
compte d’emploi des ressources, la première des préoccupations est de dire : ce compte d’emploi
des ressources doit être un outil d’information pour les donateurs. En effet, ils souhaitent être
informés d’une façon claire et simple, avec une information sincère et véritable. Tout le monde sait
que quand on parle de CER, les mots « clair » et « simple », ne coulent pas de source. La deuxième
considération qui était déjà formulée à l’époque, que j’ai retrouvée dans les écrits, et qui a été
travaillée année après année dans le même sens, c’est de dire que l’ensemble des ressources d’un
organisme, quelle que soit son origine, concourt à la réalisation de l’ensemble de ses actions.
Aussi, la première des propositions qui a été faite, tel que cela était formulé, était d’aller au-delà
des exigences de la loi – c’est ainsi que je l’ai retrouvé écrit dans les textes du Don en confiance –
et de présenter dans le compte d’emploi des ressources l’ensemble des ressources et de leurs
emplois. C’était l’idée, comme l’a rappelé Georges Capdeboscq, de faire correspondre les totaux de
la comptabilité analytique avec ceux de la comptabilité générale, pour le dire simplement, sans bien
sûr méconnaître les difficultés d’un tel exercice.
Il y a peut-être un deuxième point…
Robert de Nicolay
- De façon très rapide, si possible.
Nathalie Blum
- On trouve également une continuité dans les positions du Don en confiance à
travers le temps. Le Don en confiance retient une conception large de l’appel à la générosité du
public, en incluant notamment les legs, quand une recherche de fonds est organisée. Lorsqu’une
proposition écrite a été formulée en 2016 pour l’évolution du compte d’emploi des ressources, il y
avait également une proposition de comprendre la générosité du public de façon large en incluant
le mécénat de l’entreprise. On voit bien la continuité de ces observations.
2
Philippe Séguin à la Cour des comptes
, sous la coordination de Georges Capdeboscq, Comité
d’histoire de la Cour des comptes - La Documentation française – 2012.
19
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
Robert de Nicolay
- C’est tout à fait important, effectivement, notamment sur ce dernier point.
Francis Charhon, je vous donne une minute.
Francis Charhon
- C’est que l’on m’a volé quatre minutes !
(Rires.)
Francis Charhon
- Je voulais revenir en arrière. Deux organisations ont aussi été créées au moment
où toute cette transparence se mettait en place. Il y a eu France générosités. Si j’en parle, c’est
parce que cela a été à l’époque créé sous forme de syndicat. Pourquoi ? Parce que cela donnait la
possibilité d’ester en justice contre les organismes qui auraient été malfaisants, alors qu’une
association ne pouvait pas le faire. La deuxième organisation, ce sont les collecteurs professionnels
de fonds qui l’ont créé - l’Association française des fundraisers – avec également l’adoption d’une
charte de déontologie.
Je ne partage pas l’opinion de Charles de Courson sur le fait que ces initiatives étaient un contre-
feu contre la création d’un contrôle par la Cour des comptes. Nathalie Blum l’a bien expliqué. Je
crois que c’est inscrit génétiquement dans les organisations. C’est d’avoir elles-mêmes la capacité
de faire cela. Quels problèmes cela posait-il pour le monde associatif ? J’en ai retenu cinq : sur
l’arrivée de la Cour des comptes, comment une institution habituée à faire des contrôles
d’établissements publics allait contrôler des organisations privées ? Comment comprendrait-elle
les modes d’intervention qui n’entraient pas dans un cadre identique aux institutions publiques ?
En effet, il y a tout de même des appréhensions et des fonctionnements très différents. Les
contrôles ne seraient-ils pas créateurs de contraintes lourdes à gérer ? Est-ce que cela
n’interférerait pas avec la vie associative ? Cela a été évoqué plusieurs fois. Enfin, l’arrivée de la
Cour des comptes par le contrôle de l’ARC, qui s’est révélé être la plus grosse escroquerie du
moment, donnait un biais à nos yeux – et cela nous inquiétait – sur la façon de regarder les
associations. C’est-à-dire que vous entrez par la culpabilité, par le côté « vous êtes des bandits ».
C’était une interrogation qui n’est pas négligeable. Je crois savoir que la lecture du livre sur «
La
Cour des comptes et le contrôle de l’ARC
» est recommandée aux nouveaux rapporteurs en matière
de contrôle d’organismes faisant appel à la générosité publique. Je trouve dommage que l’on entre
par cet aspect.
Un certain nombre de nos craintes se sont révélées justifiées. Nous pourrons en parler. Il est vrai
que quand nous avons discuté du compte d’emploi des ressources, nous avons eu beaucoup de
difficultés, du moins beaucoup de discussions. Le CER, même relié à la comptabilité, était assez
compliqué. C’est pourquoi, avec le Comité de la charte, avait été créé le document
L’Essentiel
, pour
extraire des informations. En effet, le CER était plutôt destiné au contrôle et à l’examen de la
comptabilité, plutôt que pour l’information du donateur. Cela ne prenait pas en compte tout ce que
Nathalie Blum a évoqué, c’est-à-dire l’ensemble de la générosité du public. Il a donc fallu faire un
document pour l’information du public. C’est ce qui, à l’époque, nous a paru tout à fait important.
N’oubliez pas non plus que l’informatique était alors balbutiante. Il n’y en avait pratiquement pas.
Arriver à faire une vraie consolidation était quand même compliqué dans les grosses organisations.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup.
Je crois que Nathalie Blum reparlera de
L’Essentiel
.
Il était éventuellement prévu que je fasse une synthèse. À cet égard, je vais me limiter, en 30
secondes, à insister sur le côté incitatif du dispositif mis en place. Vous aurez noté qu’il n’y a aucune
sanction prévue : ni si un organisme omet de déposer une déclaration d’appel à la générosité
publique ; ni si l’organisme n’établit pas de compte d’emploi des ressources ; ni si les dirigeants de
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l’organisme ne communiquent pas les observations définitives de la Cour à l’assemblée générale
d’une association ou au conseil d’administration d’une fondation ; ni si un organisme voit l’emploi
des fonds jugé non conforme par la Cour des comptes. C’est un choix qui a été effectué. C’est
vraiment l’idée, en 1991. C’est incitatif, informatif, jouer la confiance.
Maintenant, dans une deuxième partie - mais nous serons obligés d’être très courts pour laisser le
temps à des questions-réponses – je vous propose d’examiner comment le dispositif de la loi et de
ses textes d’application a trouvé à s’appliquer.
Je me tourne à nouveau vers Georges Capdeboscq pour lui demander, de façon synthétique à cause
de l’horaire, de nous donner l’essentiel de son expérience sur l’un des deux premiers contrôles
engagés par la Cour sur le fondement de la loi de 1991, celui de l’ARC. Puis de nous faire part de la
façon dont, notamment en tant que président de section et membre éminent de la cinquième
chambre, il a mis en place la stratégie de contrôle de la Cour.
Ensuite, je demanderai à Charles de Courson, là aussi rapidement, d’évoquer les évolutions
législatives, les points saillants et ce qu’il en retourne, avant de donner la parole à Francis Charhon
et Nathalie Blum sur la façon dont les deux organismes qu’ils représentent aujourd’hui – IDEAS pour
Francis Charhon, le Don en confiance pour Nathalie Blum -, ont accompagné le secteur associatif
dans ses efforts vers davantage de transparence.
Georges Capdeboscq
- 1993 était le premier exercice sur lequel on pouvait travailler. Le Premier
président Arpaillange, magistrat judiciaire comme chacun le sait, avait arbitré en faveur d’une seule
chambre à la Cour, la cinquième, à l’époque, au moins dans un premier temps, pour assurer une
unité de doctrine et une jurisprudence. En janvier 1994, le président de la cinquième chambre,
Pierre Grandjeat a proposé au Premier président de contrôler deux associations, l’Association
française contre les myopathies, l’AFM, contrôle confié à Anne-Marie Boutin et Nicolas Revel, et
puis l’Association pour la recherche sur le cancer, l’ARC, qui a été confié à Michel Prat et moi-même.
Je dis juste un mot sur l’ARC. Effectivement, l’ARC défrayait la chronique depuis longtemps. Dans
les années qui précédaient, l’IGAS avait entrepris un contrôle qui avait été interrompu sur référé.
Je cite simplement un article du président Crozemarie, qui, après le vote de l’amendement Zeller-
Richard, avait écrit dans une tribune du
Monde
– car
Le Monde
parlait de l’ARC :
« Les associations
telles que l’ARC sont donc soumises au contrôle de la Cour des comptes. Je me réjouis de cette
décision ».
Le contrôle a été entrepris en 1993. Francis Charhon l’a déjà dit, je parle de l’ARC 1993-
1994. Quelques années plus tard, la Cour est venue à l’ARC et les conclusions ont été toutes
différentes.
Je souligne quatre points. Premièrement, le compte d’emploi permettait un contrôle de l’utilisation
des ressources de la générosité. Notre livre de chevet était la balance générale. Michel Prat et moi
cherchions à retrouver chaque élément du compte d’emploi dans la balance générale, dans le grand
livre. Cela nous a permis de comprendre, ou plutôt de constater que nous ne comprenions pas
comment le compte d’emploi était fabriqué. On mélangeait engagements véritables et annonces
d’engagements non suivies d’effets. Le résultat était que le pourcentage de don allant à la
recherche était non pas de 76 %, comme annoncé dans les documents publics, mais de 27,2 %.
Le contrôle parallèle de l’AFM avait fait ressortir une autre difficulté qui était que dans le texte de
1991, on contrôlait le compte d’emploi lui-même de l’organisme. Or l’AFM avait créé le Généthon,
pour entreprendre la cartographie du génome humain. Du fait d’une personnalité juridique
différente, avec une comptabilité différente, la Cour ne le contrôlait pas.
Deuxièmement, nous avons pleinement utilisé les pouvoirs spécifiques d’investigation des
rapporteurs. Nous nous sommes rendus auprès des commissaires aux comptes, dans les
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laboratoires aidés, dans les centres des impôts, et même dans des banques et auprès du principal
prestataire de services. C’est ainsi qu’en démontant la chaîne de fabrication d’un numéro de la
revue, nous avons constaté d’une part que des prestations du président de l’association étaient
rémunérées par un sous-traitant de ce prestataire, et d’autre part que des surfacturations
intervenaient à chaque stade de la traduction. Cela a nourri un dossier qui a été transmis au juge
pénal.
Troisièmement, au-delà des comptes, nous avons examiné les procédures d’aide. L’ARC n’a pas été
d’accord. Je cite l’ARC :
« Les commentaires sur les procédures de décisions d’attribution des aides
ne sont pas dans le champ de contrôle de la Cour en vertu des pouvoirs volontairement limités par
la législation ».
Nous avons tenu bon. La Cour a estimé qu’il était pleinement justifié de vérifier que
les procédures suivant lesquelles les aides étaient allouées garantissaient que les projets avaient
bien le caractère d’actions de recherche. Nous avons d’ailleurs constaté que moins de 60 % des
aides faisaient l’objet d’un examen par la commission scientifique.
Ce raisonnement a été repris par la suite. Dans d’autres rapports, la Cour a été amenée à regretter
que les organismes intervenants au nom de l’aide aux victimes du tsunami n’avaient pas mis en
place de dispositifs de contrôle interne. Elle a regretté qu’une association aidant la recherche n’ait
pas adapté ses procédures d’évaluation scientifique pour que l’évaluation externe soit au niveau
des pratiques internationales. Elle a constaté qu’une fondation reconnue d’utilité publique s’était
affranchie des obligations de son statut et l’a invitée à donner un cadre précis à sa gouvernance.
Quatrièmement, nous avons expérimenté les procédures contradictoires qui sont aujourd’hui
courantes. Cela va de soi maintenant mais, en 1994-1995, c’était assez nouveau. Nous avons fait –
ce qui est désormais tout à fait banal – un relevé de constatations contradictoires discuté avec
l’organisme. Le président de l’ARC n’a pas souhaité être entendu par la Cour, à la différence du
président de l’AFM.
En guise d’épilogue, en mars 1996, lors de la publication sur l’ARC, le Premier président, Pierre Joxe,
a lui-même présenté le rapport lors d’une conférence de presse. En 1999 puis 2000, sont intervenus
le jugement du tribunal de grande instance de Paris, puis de la cour d’appel. Je voudrais parler de
deux choses. Le Conseil d’État a validé nos mesures d’instruction dans un arrêt du 19 janvier 2000.
Nous avions pu légalement exercer notre droit de communication.
En réalité, le véritable épilogue était bien antérieur. C’était le 10 janvier 1996 :
Libération
, quelques
jours plus tôt, s’était procuré les extraits du rapport d’observations définitives. Le 10 janvier 1996,
à 17 heures 30, Michel Prat et moi, accompagnés de Josette Loubières, qui était la chargée de
communication du Premier président, nous sommes rendus à la faculté de médecine de la rue des
Saints Pères. Nous avons rencontré un comité de six administrateurs de l’ARC, sous la houlette du
professeur Maurice Tubiana. C’était, en quelque sorte, un nouveau passage en chambre. La
discussion a été assez longue, jusqu’au moment où le professeur Léon Schwartzenberg a dit : «
Ces
Messieurs nous ont convaincus
». D’une certaine façon, la nouvelle ARC était mise sur les rails.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup, Georges Capdeboscq, pour ce témoignage passionnant.
Charles de Courson, en ce qui concerne les évolutions législatives, quel est pour vous l’essentiel ?
Charles de Courson
- L’essentiel, c’est qu’en réalité, par la loi, on a progressivement étendu et
perfectionné le dispositif. Je pense que la vieille idée de 1988-1989, avec le président Mosès, de la
dépense fiscale, a fini par l’emporter quand j’ai réussi à faire voter ce qui était dans la loi relative
au mécénat du 1
er
août 2003. C’était un texte qui n’était pas excellent du point de vue légistique,
comme on dit, mais qui a permis d’élargir. En effet, jusqu’alors, on voit bien qu’à la fin des années
1980, on avait hésité sur la voie d’entrée. La voie d’entrée choisie, ce sont les organisations qui font
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un appel public à la générosité. On voit bien que l’affaire était délicate, mais cela a constitué la
porte d’entrée.
Cela a été tout le mérite de notre collègue Jean-Pierre Béquet que de réussir difficilement à créer
cette porte d’entrée. Puis, par la loi mécénat du 1
er
août 2003, on a élargi aux dons. La dépense
fiscale est dans la loi organique… On croit que la dépense fiscale est un concept journalistique. Cette
dépense fiscale est de la responsabilité du Parlement, mais aussi de la Cour, dans son rôle d’aide
au Parlement à contrôler la dépense publique et la dépense fiscale. Sur les autres textes, avec
Adrien Zeller, nous avions fait passer quelques amendements, justement pour boucher quelques
trous, pour améliorer, etc. Cependant, je pense que le plus important, c’est cela.
Ce qui est intéressant, comme la première fois, d’ailleurs, c’est le délai d’intervention des textes
d’application : il a fallu presque deux ans pour mettre au point les textes d’application des
« amendements Béquet » et pour les amendements dit « de Courson », il a fallu attendre 2010, soit
sept ans !
Pour justifier le retard, on a expliqué que le texte initial, voté en 2003, n’était pas très bon. Ceci est
vrai. On l’a amélioré…six ans plus tard, dans la loi de finances rectificative pour 2009.
Et il a encore
fallu neuf mois pour sortir le décret fixant le seuil de dons (153 000 €) fondant la compétence de la
Cour des comptes. On voit bien les réticences. Maintenant, c’est en route. C’est le plus important.
C’est l’approche par la dépense fiscale qui me semble peut-être la plus pertinente, à la fois du point
de vue des compétences de la Cour, et également des dons puisque, contrairement à ce que l’on
croit, tous les donateurs ne demandent pas à bénéficier de la réduction d’impôt attachée au don.
Tout le monde croit que chaque donateur demande à bénéficier des 66 ou 75 % de réduction
d’impôt. C’est faux. Je crois que l’estimation qui a été effectuée par les spécialistes de ces questions,
c’est que plus d’un tiers des donateurs ne demandent pas à bénéficier d’un avantage fiscal.
Robert de Nicolay
- C’est important.
Charles de Courson
- Il faut le rappeler.
Robert de Nicolay
- Merci, Charles de Courson.
Maintenant, j’aimerais demander à Francis Charhon de nous faire part de la façon dont il a vécu
tous les contrôles de la Cour dont il a « bénéficié », s’il me passe l’expression, à la Fondation de
France, et lui demander également de dire un mot d’IDEAS.
M. Charhon
- Je fais tout dans la foulée.
C’est peut-être la partie la moins consensuelle, puisque nous sommes ici dans un moment de
réflexion. Effectivement, quand j’étais à la Fondation de France, j’ai dû avoir six contrôles de la Cour
des comptes
3
. J’ai presque une maîtrise, ou en tout cas un diplôme, de contrôle de la Cour des
comptes ! Cela m’a permis de connaître des personnes et de lier quelques amitiés.
Vu de notre côté, il y a eu le contrôle général de la Fondation de France, puis les legs, le tsunami,
Haïti, … Il y en a eu à chaque occasion. D’ailleurs, aujourd’hui, vous avez fini un contrôle à la
3
Francis Charhon a été directeur général de la Fondation de France de 1992 à 2016. Sur cette période,
la Fondation de France a été contrôlée en 2002 (exercices 1994 à 1998). Par ailleurs, la Fondation de
France a été concernée par plusieurs enquêtes transversales : les contrôles sur l’aide française aux
victimes du tsunami du 26 décembre 2004 de 2007 (32 organismes) et de 2011 (29 organismes) ;
l’enquête sur l’aide française à Haïti après le séisme du 12 janvier 2010 de 2013 (7 organisations
humanitaires).
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Fondation de France et vous recommencez immédiatement derrière, dans le cadre d’une enquête
sur l’emploi des dons récoltés lors de la Covid. Cela ne s’arrête donc jamais ! De temps en temps,
on se dit qu’on pourrait peut-être s’intéresser à d’autres personnes que celles qui ont montré
l’efficacité de leur fonctionnement. C’est une première remarque, parce que beaucoup
d’organismes ne sont pas contrôlés et que les multiples contrôles n’apportent probablement pas
de compléments très intéressants.
De notre point de vue, c’est un processus long et complexe. Cela occupe beaucoup de
collaborateurs qui doivent poursuivre leurs activités. Cela représente un coût qui n’est pas
négligeable. On ne parle jamais du coût, mais c’est cher, car l’organisme contrôlé doit mettre des
éléments à disposition, fournir des documents, etc.
Il y a aussi un autre sujet. Ce ne sont pas des contrôles toujours plaisants, car on peut avoir des
approches conceptuelles sur le fonctionnement de l’organisation. On n’arrive pas à les réconcilier.
Cela rend donc les choses difficiles. Évidemment, comme c’est écrit dans le rapport, la réponse de
l’organisme est à la fin. Mais, en général, ce que regardent les journalistes, c’est le rapport lui-
même, plutôt que la réponse de l’organisme
Par ailleurs, nous nous sommes aperçus qu’un léger glissement arrivait de temps en temps, qui
passe de la gestion au contrôle d’opportunité. C’est une chose assez délicate. On va dire : « Non,
jamais l’opportunité ». Cependant, j’ai tout de même quelques exemples où l’on me disait :
« Pourquoi avez-vous fait cela ? Localement, vous n’aviez pas à le faire. Cela ne fonctionnera
jamais »… Je crois qu’il faut se méfier de cela, car on entre dans les appréhensions que l’on avait
sur le contrôle de l’opportunité. C’est délicat, parce qu’on peut dire que l’on ne contrôle pas
l’opportunité, mais la bonne réalisation. Cela fait partie de ces choses conceptuelles difficiles.
Une autre question a été un peu évoquée, c’est la sortie du rapport, avec les titres et les intertitres.
Quand une organisation ne pose pas de problème, cela mériterait parfois un peu plus de nuances,
car les journalistes adorent se jeter sur un titre, évidemment sans lire le rapport. Et à partir de cela,
ils en font parfois des tonnes, alors qu’il n’y a pas de situation préjudiciable derrière. C’est
dangereux. En effet, autant, quand vous contrôlez des organisations publiques, cela ne pose pas de
problème, car la Sécurité sociale continuera de vivre, autant les organisations comme les nôtres
sont fragiles. Les remarques sèment le doute. Si la remarque est fondée, comme lorsqu’il y a pu y
avoir des rapports récents qui montraient vraiment des dysfonctionnements, c’est recevable. On
dit : « Oui, cependant, on met toujours des choses plus nuancées ». La subtilité n’est pas toujours
comprise par les journalistes.
Voulez-vous un point sur IDEAS ?
Robert de Nicolay
- Oui.
Francis Charhon
- IDEAS, c’est une autre forme de contrôle que le Comité de la charte. C’est
davantage un accompagnement des associations et fondations, avec 90 points de bonnes pratiques
qui sont expliquées dans un document. Cela permet de couvrir en même temps la gouvernance des
finances, le pilotage et l’évaluation. 97 organisations sont contrôlées. Entre ce que fait le Don en
confiance et IDEAS, ce sont 180 organisations qui sont sous ces chapeaux. C’est donc un nombre
important. Elles sont à la fois grosses et petites. C’est vraiment une démarche du secteur qui est
très engageante et qui, on le voit, augmente de plus en plus. Les listes d’attente chez le Don en
confiance et chez IDEAS sont extrêmement conséquentes. Cela veut dire que les personnes y vont.
Georges Capdeboscq, tout à l’heure vous avez dit : « Quand l’ARC sortira, vous verrez le nombre de
personnes venir au Comité de la charte augmenter ». C’est effectivement ce qu’il s’est passé.
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Robert de Nicolay
- Merci Francis Charhon.
Nathalie Blum, très vite également, qu’est-ce que le Comité de la charte a fait sur la transparence
et pour l’emploi des fonds, depuis toutes ces années ?
Nathalie Blum
- Effectivement, je vais aller vite pour parler de l’évolution du Don en confiance.
Nous avons évoqué tout à l’heure la complémentarité avec la Cour des comptes et l’effet incitatif.
Il est exact qu’il y a un effet incitatif du contrôle de la Cour des comptes pour les organisations qui
souhaitent adhérer au Don en confiance. Après le scandale en 1996, « l’affaire Crozemarie », un
grand nombre d’organisations, comme l’a dit Francis Charhon, ont souhaité adhérer. C’est souvent
un facteur incitatif.
Je dis deux mots pour rappeler comment le Don en confiance a largement évolué en 32 ans
d’existence. Au début, c’étaient les organisations humanitaires et sociales. Aujourd’hui, c’est ouvert
à toutes les causes. La mission est bien de rassurer le donateur pour lui permettre de faire les dons.
Le donateur s’entend au nom des donateurs personnes physiques ou personnes morales. Avec tout
ce qui a été mis en place pour une indépendance et une équité de la décision de labellisation, les
règles ont été renforcées année après année. Notre charte repose sur le respect du donateur, la
transparence, la rigueur, l’efficacité et le désintéressement.
Comme je le dis à chaque fois, car je pense que cela est très important, la mission du Don en
confiance est de nourrir la confiance du donateur. Ce n’est pas de dire que ces 100 organisations
labellisées sont formidables et que l’on ne sait pas pour les autres. C’est vraiment un rayonnement
qui s’adresse à tout le secteur. C’est le progrès de l’ensemble du secteur. D’ailleurs, cette charte de
déontologie rayonne pour tout le secteur.
On est passé du Don en confiance à l’origine, où certains pouvaient parler d’un « club de
membres », comme j’ai pu l’entendre, à une organisation aujourd’hui ouverte à toutes les
organisations d’intérêt général qui respectent le niveau d’exigence. Aujourd’hui, cela représente
environ le contrôle d’un tiers de la générosité des particuliers. Nous exerçons un contrôle continu.
Le côté garde-fou des prestataires de collecte est aussi très important.
Pour terminer, je voulais parler de
L’Essentiel
, qui est cette règle sur la transparence, qui est une
donnée fondamentale pour le Don en confiance : l’information au donateur, la transparence. Cette
règle a été adoptée en 2010 suite au CER de 2008. Ceux qui se sont penchés sur ce CER modifié en
2008 peuvent tous être d’accord pour dire qu’il y avait une certaine complexité de lecture. Lorsque
ce nouveau CER a été adopté, le Don en confiance a dit : « Il faut un document d’information pour
le donateur ». On retrouve le postulat dont on avait parlé à l’origine en 1991, avec l’idée que cela
doit être clair pour le donateur et que l’on doit présenter l’ensemble du modèle socio-économique
et un certain nombre d’informations. C’est vraiment fondamental pour
L’Essentiel
.
Pour le dire en un mot,
L’Essentiel
est un document d’information aux donateurs qui est envoyé
annuellement pour présenter des informations synthétiques. C’est devenu une référence pour tout
le secteur, au-delà des organisations labellisées. L’objectif, c’est vraiment que tout le secteur
s’empare de cette règle. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons publié un guide pour expliquer à toute
organisation, labellisée ou pas, comment bâtir un
Essentiel
.
Pour conclure, car je vois bien que nous sommes pressés par le temps, au Don en confiance, la
transparence est essentielle. Cependant, la transparence, ce n’est pas tout montrer. En effet, tout
montrer, d’une certaine façon, c’est tout cacher. Qui comprend, quand on trouve tout ? L’open
source n’est pas la compréhension. Il s’agit vraiment de mettre en avant les informations
pertinentes, de faire preuve de clarté et de pédagogie, afin que le donateur soit pleinement éclairé,
qu’il puisse continuer de faire confiance et faire preuve de générosité.
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
Je terminerai en saluant la démarche d’exemplarité de la centaine d’organisations labellisées qui
œuvrent bien sûr pour elles-mêmes, mais aussi, au-delà, au bénéfice de tout le secteur.
Robert de Nicolay
- Merci beaucoup.
Charles de Courson, je sais que vous devez nous quitter. En deux mots, qu’est-ce qui vous parait
essentiel ?
Charles de Courson
- Je dirais : que de chemin parcouru, en 30 ans ! Contrairement à ce que
craignaient tous ceux qui ont combattu cette évolution, qui pensaient que cela allait faire
s’effondrer les dons, etc., c’est exactement l’inverse qu’il s’est passé. Je pense que l’objectif que
poursuivaient tous ceux qui ont combattu, notamment du côté parlementaire, mais aussi dans les
associations, pour une plus grande transparence, ont été récompensés par la forte augmentation
des dons. Même si cela a été difficile, je trouve que c’est un bel exemple de réussite, pour le bien
de tous.
Robert de Nicolay
- Je ne sais pas si nous avons le temps pour une ou deux questions. Il est
11 heures 10. Je m’en excuse auprès de la table ronde numéro deux.
Emmanuel Kessler
- Les deux premières questions que nous pouvons regrouper sont :
« Quelles ont
été les réactions des autres associations après le premier contrôle de l’ARC ? ».
Francis Charhon en
a un peu parlé.
« Les dons ont-ils diminué après l’affaire de l’ARC ? Y a-t-il eu une période de
rétractation avant que cela ne reprenne grâce à l’édifice qui a été construit ? ».
Ce sont des
questions Internet.
Francis Charhon
- Je peux répondre rapidement. J’y étais, à l’époque. Pour les dons, il a fallu des
années pour remonter la collecte. La crise de confiance a été massive. Aujourd’hui encore, des
personnes évoquent l’ARC, alors que nous sommes en 2021 et que c’était en 1996. Cela a été un
acte majeur. C’était notre « Crédit lyonnais » à nous.
Emmanuel Kessler
- Aujourd’hui, c’est remonté.
Nathalie Blum
- Oui, je rejoins ce qu’a dit Francis Charhon. Nous en entendons toujours parler.
Nous faisons un baromètre sur la confiance, année après année. Heureusement, il y a les nouvelles
générations qui arrivent et qui n’ont pas entendu parler de l’affaire de l’ARC. Cependant, pour les
générations d’avant, cela reste un facteur. On voit que lorsqu’on sonde la confiance des Français
envers les associations et fondations qui font appel aux dons, elle est de 55 %. Elle est stable année
après année. En même temps, les jeunes générations ont davantage confiance que leurs aînés. C’est
peut-être resté quelque chose qui a marqué. C’est un élément structurant.
Emmanuel Kessler
- Nous allons prendre une question dans la salle.
Je pose une autre question qui nous a été posée sur le tchat. Elle est assez amusante :
« Il a été dit
qu’un contrôle de la Cour coûtait cher
– c’était Francis Charhon –
à l’organisme, car il fallait y
consacrer du temps, mais est-ce que ce n’est pas une aide précieuse pour l’association de disposer
ainsi d’un audit gratuit ? »
.
(Rires.)
Francis Charhon
- Puisqu’il coûte de l’argent, il n’est pas gratuit…
Emmanuel Kessler
- Il est peut-être moins cher que de faire appel à un cabinet…
Francis Charhon
- Je ne sais pas s’il est moins cher. Évidemment, quand il y a un contrôle de la Cour
des comptes, on apprend toujours des choses. Cependant, il est vrai qu’on ne prend jamais en
compte le côté économique des contrôles, plus globalement, dans les organisations. Je les appelle
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
beaucoup à avoir une ligne « coût des contrôles ». En effet, vous avez les contrôles avec les comités
d’audit, avec les comités divers et variés, financiers, pour tout le contrôle de l’organisation.
Le contrôle de la Cour des comptes nécessite du temps, des personnes, etc., comme cela a été dit
tout à l’heure. De ce fait, cela augmente les frais de fonctionnement. Ce n’est pas une mauvaise
publicité pour la Cour, mais il est vrai que c’est très pointilleux. On entre beaucoup dans les détails.
C’est normal, puisqu’ils font leur contrôle comme ils doivent le faire. On ne peut pas le leur
reprocher. Globalement, il serait intéressant que les organisations précisent le coût du contrôle.
J’avais regardé. À un moment, c’était 1 M€ au total, dans les dispositions diverses. Cela montre
surtout qu’on les fait.
Emmanuel Kessler
- C’est un objet de débat.
François Dupré
- Bonjour. Je suis François Dupré, directeur général de la Fondation ARC pour la
recherche sur le cancer. Je voudrais dire trois choses. Premièrement, je souhaiterais rendre
hommage à Michel Lucas qui a été chef de l’inspection de l’IGAS entre 1982 et 1993 et qui a pris la
présidence de l’ARC après Jacques Crozemarie. Il a procédé à un travail de reconstruction
absolument exemplaire, en passant d’un corps de contrôle à la présidence de l’association la plus
attaquée de l’époque.
Deuxièmement, je voudrais également rendre hommage au deuxième rapport de la Cour des
comptes, qui a été publié en 2005, sur les comptes entre 1998 et 2002. Il a donné lieu de la part du
président Séguin, à l’époque, à la qualification d’« exemplaire » dans la gestion de l’association
depuis son changement de président. Il y a eu un changement de ratio complet, mentionné en
préface de ce rapport, puisqu’on passe de 27,2 % en 1993 dans l’analyse faite en 1996, à un taux
supérieur à 70 % pour le financement de la recherche en 2005.
Troisièmement, depuis 25 ans, l’association ARC est devenue la Fondation ARC pour la recherche
sur le cancer. D’ailleurs, à l’époque, elle s’est dotée d’un comité d’audit. Depuis 25 ans, sur un total
de compte d’emploi proche d’1 Md€, nous avons distribué 700 M€ directement pour le
financement de la recherche. C’est donc le résultat de l’ensemble de ce qui a été mené depuis cette
époque.
Merci.
Emmanuel Kessler
- Je vous remercie pour votre témoignage.
Y a-t-il une autre question ?
Il n’y en a pas pour l’instant.
Voulez-vous dire peut-être dire un mot de conclusion ?
Robert de Nicolay
- Non, je vais me passer de conclure puisqu’il est 11 heures 15, sauf pour
exprimer mes remerciements aux intervenants, leur dire que cela a été absolument passionnant de
les écouter. Je pense que l’historique a été bien brossé. Je laisse la parole aux intervenants de la
table ronde numéro deux.
Francis Charhon
- Je voudrais ajouter un mot. Comme il n’y avait pas de question, je fais la réponse !
C’est un point pour l’avenir qui a commencé. En vue de nouvelles dispositions, en vue de nouveaux
textes, etc., je pense que l’existence de commissions un peu mixtes, telle qu’elle s’est tenue une
fois – je ne sais pas si elles sont formelles ou informelles car le cadre est ici très rigoureux – permet
d’avoir des échanges en amont pour connaître un peu les marges de manœuvre des uns et des
autres.
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J’appelle beaucoup à ce que nous puissions discuter des éléments et même éventuellement
reprendre quelques conclusions de tel ou tel rapport pour se demander : «
Est-ce que là, vous
pensez qu’il y a une amélioration à apporter ?
». Je ne sais pas si cela va à l’encontre des pratiques
de la Cour des comptes, probablement pas parce que cela a beaucoup évolué avec le temps.
Maintenant, c’est très ouvert. C’est donc plus facile.
Robert de Nicolay
- Je me tourne vers Michel Anrijs, responsable du secteur « générosité publique »
à la cinquième chambre, qui entend la question et la réponse. En effet, le fait que nous puissions
échanger constitue toujours une démarche intéressante.
Charles de Courson
- Vous pouvez venir voir les parlementaires. Nous sommes également faits pour
cela !
Emmanuel Kessler
- Ce sera peut-être l’une des suggestions qui pourront être formulées lors de la
table ronde de prospective sur les évolutions législatives, l’avenir de ce secteur et la manière dont
il peut encore, au-delà de la professionnalisation dont nous allons parler dans un instant, essayer
d’avoir un cadre le plus efficace possible pour tenir compte des différents impératifs que vous avez
mentionnés.
Je vous remercie tous les cinq d’avoir participé à ce premier débat.
(Applaudissements.)
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TABLE RONDE : LE DÉVELOPPEMENT DES BONNES PRATIQUES DES
ORGANISMES BÉNÉFICIANT DE DONS
Animatrice
•
Anne Mondoloni, présidente de section, Cour des comptes
Intervenants
•
Béatrice Buguet-Degletagne, inspectrice générale des affaires sociales
•
Patrice Douret, président des Restos du Cœur
•
Joël Fusil, représentant de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes
•
Benoît Miribel, président du Centre français des fonds et fondations
•
Jean-Marc Sauvé, président de la fondation Apprentis d’Auteuil
Emmanuel Kessler
- Nous rejoignent maintenant Anne Mondoloni, Béatrice Buguet-Degletagne,
Patrice Douret, Joël Fusil, Benoît Miribel et Jean-Marc Sauvé, que je présenterai dans un instant.
Après ce temps historique, cette deuxième table ronde sera consacrée à la manière dont cette loi,
les premiers rapports, l’action des différents acteurs, ont permis de développer de bonnes
pratiques concrètes pour l’ensemble des organismes bénéficiant des dons, associations,
fondations.
Avant d’entrer dans le vif du sujet et de passer la parole à Anne Mondoloni, je vais vous présenter
les intervenants plus en détail. Je vous propose de regarder un témoignage en vidéo. C’est celui de
la professeure Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine et présidente de Sidaction, qui
revient justement sur la manière dont elle a perçu l’émergence et les développements de ces appels
à la générosité publique et la manière dont ils ont été décisifs pour Sidaction.
(Diffusion d’une vidéo.)
Emmanuel Kessler
- C’était un témoignage de Françoise Barré-Sinoussi.
C’est Anne Mondoloni qui sera l’animatrice de cette table ronde. Beaucoup d’entre vous la
connaissent, puisqu’elle a été en charge du secteur de la générosité publique pendant plusieurs
années à la cinquième chambre avant de devenir présidente de section à la 6
ème
chambre.
Anne, vous avez une longue expérience dans ce domaine, et c’est à ce titre que vous allez pouvoir
apporter à la table ronde votre regard sur tout ce qui s’est passé depuis l’adoption de cette loi en
termes de développement de bonnes pratiques.
Béatrice Buguet-Degletagne, inspectrice générale des affaires sociales, est également avec nous,
spécialiste des questions de générosité publique.
Vous avez en charge ce secteur à l’IGAS. Vous êtes auteure ou co-auteure de nombreuses
publications sur les contrôles effectués par l’IGAS, qui sont complémentaires au travail de la Cour
des comptes, contrôles sur le compte d’emploi des ressources d’associations et de fondations.
Joël Fusil est également avec nous, expert-comptable et commissaire aux comptes.
Vous êtes, au sein du cabinet EY, au départ Ernst & Young, spécialisé dans le domaine des
organismes à but non lucratif. Et vous êtes, au sein de la Compagnie nationale des commissaires
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
aux comptes, vice-président de la commission associations et fondations. Vous pilotez le groupe de
travail sur l’appel à la générosité publique. Vous faites d’ailleurs partie des experts qui ont
accompagné la refonte du règlement comptable des associations.
Benoît Miribel est président du Centre français des fonds et fondations. Il faut rappeler que celui-
ci regroupe quelque 350 membres. C’est l’association professionnelle des fondations. Vous êtes, de
ce point de vue, l’un des porte-parole du secteur auprès des pouvoirs publics.
Depuis juin 2015, vous êtes par ailleurs secrétaire général de la fondation Une santé durable pour
tous. Vous avez dirigé la fondation Mérieux pendant plus de dix ans. Vous êtes, enfin, président
d’honneur d’Action contre la faim.
Nous avons également parmi nous – mais faut-il le présenter ? – Jean-Marc Sauvé, ancien vice-
président du Conseil d’État. Vous avez récemment présidé la commission indépendante sur les abus
sexuels dans l’Église. Vous êtes vous-même un acteur important de ce secteur des fondations,
puisque depuis mai 2018, vous présidez la fondation Apprentis d’Auteuil.
Je laisse la parole à Anne Mondoloni pour entamer la discussion entre vous.
Je vous rappelle que vous pouvez préparer vos questions dans cette salle, mais aussi nous les
transmettre par tchat pour ceux qui nous suivent – et je les en remercie – par visioconférence.
Anne Mondoloni
- Je reviens un instant sur la vidéo que nous avons écoutée avec la professeure
Françoise Barré-Sinoussi. En quelques minutes, elle nous a fourni une entrée en matière
remarquable pour cette table ronde, puisqu’elle a abordé tous les sujets que nous voudrions
évoquer avec nos grands témoins pendant l’heure et demie qui nous est dévolue. Il y a la question
des procédures, les comités d’experts qui sélectionnent les projets de recherche qu’il faut financer,
les critères sur lesquels s’appuient ces comités pour choisir les projets financés ou pas, la façon
dont on évalue les projets, la communication financière avec les donateurs… Elle a très bien parlé
de tout cela en quelques minutes. Revenir sur ces différents points sera vraiment notre objectif.
Les questions qui se posent sont diverses. La question globale que nous avons envie d’aborder est
celle du mouvement de professionnalisation du monde des associations et fondations. Je pense
que ce mouvement de professionnalisation est évident. Il est vécu avec plus ou moins d’intensité
selon les organisations, grandes, petites. Nous aimerions vous entendre sur les forces qui ont peut-
être incité au changement. Qu’est-ce qui fait que les pratiques ont changé ? Qu’est-ce qui fait que
les procédures se sont davantage formalisées ? Quelles ont été les plus fortes incitations au
changement ? Et dans vos organisations – je pense en particulier à vous, Jean-Marc Sauvé et Patrice
Douret, pour les Apprentis d’Auteuil et les Restos du Cœur – pouvez-vous témoigner des grands
changements en termes de pratiques de gestion et de communication financière, pendant ces
dernières années ?
Je m’arrête là. Je propose de vous passer la parole, Patrice Douret, puisque les Restos du Cœur sont
à l’honneur cette semaine. Il y a deux jours, c’était le lancement de la 37
e
campagne d’appel à dons.
Je donne quelques chiffres. Les Restos du Cœur, ce sont 132 M€ de ressources de générosité
publique pour l’exercice 2020-2021. 60 % de vos ressources sont issues de la générosité publique.
Vous avez « seulement » 90 salariés permanents dans l’association nationale, avec en même temps
une base assez extraordinaire de 70 000 bénévoles occasionnels et de 14 000 bénévoles réguliers.
C’est une organisation dont vous allez nous parler. Nous vous écoutons avec grand intérêt.
Emmanuel Kessler
- Je vous présente mes excuses, car j’ai oublié de vous présenter, pardon de
cette omission. Nous avons la chance d’avoir avec nous le président des Restos du Cœur, Patrice
Douret. Les Restos du Cœur viennent d’ailleurs de commencer leur campagne…
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Patrice Douret
- C’est la 37
e
campagne.
Emmanuel Kessler
- Vous êtes beaucoup sur le terrain et avez pris un peu de temps pour être parmi
nous aujourd’hui.
Patrice Douret
- Merci à vous et à la Cour de nous inviter. C’est un honneur d’être ici, très
sincèrement.
Pour vous faire un bref rappel, les Restos du Cœur sont une association reconnue d’utilité publique
créée par Coluche en 1985. Effectivement, nous accompagnons et aidons 1,2 million de personnes
grâce à 70 000 bénévoles réguliers au grand cœur et plus de 23 000 qui nous rejoignent
occasionnellement tout au long de l’année. C’est un maillage important, avec près de 2 000 centres
d’activité en France. En plus, sur nos activités de rue, nous rencontrons plus de deux millions de
personnes.
Cette année était une année particulière, avec 142 millions de repas, comparé à l’année d’avant,
avec 136 millions, et une forte aggravation des situations de précarité que nous constatons. Les
Restos du Cœur sont connus pour l’aide alimentaire. Cependant, c’est également un panel
important d’activités d’aide à la personne qui sont tout aussi essentielles pour s’en sortir.
Il est certain que cette année est particulière. Pour autant, nous n’avons pas abandonné ce qui a
fait l’une des principales évolutions depuis cette loi, c’est-à-dire le renforcement du contrôle
interne et la prise de conscience par l’ensemble des acteurs, dont les Restos du Cœur, de
l’importance de cette rigueur de gestion. Ce n’est pas une contrainte, c’est bien ce qui fait
aujourd’hui le socle de nos missions sociales. Nous ne faisons que ce que nos donateurs veulent
que nous fassions de l’argent qu’ils nous confient.
Aux Restos du Cœur, nous avons connu – j’ai bien dit « connu », pas forcément ni suivi, ni subi –
deux contrôles de la Cour des comptes, en 2003 et en 2009. Ils se sont avérés positifs pour
l’évolution de notre association, même s’ils ont donné lieu, bien entendu, a beaucoup de travail,
nous le savons, mais également à un certain nombre de recommandations. À chaque fois, d’ailleurs,
nous avons mis en place une commission de suivi de ces recommandations. Dans son dernier
rapport, la Cour a salué l’existence de ce comité et de ces suivis.
L’une des principales évolutions a été très rapidement la création de ce que nous appelons le
« comité de contrôle interne », qui est présidé par une personnalité extérieure. Je salue d’ailleurs
Michel Prat, qui est ici, et qui en a assuré la présidence pendant plusieurs années jusqu’au début
de cette année. Ce comité est composé de membres qui sont également des personnalités
extérieures. Nous avons pris la décision très rapidement et très récemment, lors de la dernière
assemblée générale, de renforcer les missions de ce comité de contrôle interne et notamment de
sceller la composition en y intégrant des administrateurs et des personnalités extérieures. Je
préciserai, en présence et sous le contrôle de Michel, que bien évidemment, ce comité existe en
totale indépendance avec la présidence de l’association. Je n’en fais pas partie. Très régulièrement,
le comité de contrôle interne fait part de ses observations et surtout de ses conseils auprès du
conseil d’administration.
Nous avons l’habitude de dire qu’aux Restos du Cœur, nous avons trois niveaux de contrôle pour
garantir cette confiance. Le premier niveau est peut-être le plus important. C’est l’existence d’une
gouvernance bénévole collégiale forte. Aux Restos du Cœur, la primauté du bénévolat est
importante, avec notamment la réunion d’un bureau qui se réunit toutes les semaines et d’un
conseil d’administration tous les mois. Cela garantit une présence, une connaissance des sujets et
évidemment une réactivité en cas de besoin. Cela nous permet d’éviter toute dérive au sein de
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l’organisation. Grâce à cela, nous mettons régulièrement en place des audits internes, des
procédures. J’en citerai quelques-unes, sur l’hygiène alimentaire, mais également sur les finances,
sur la validation des projets à plusieurs niveaux et notamment sur les appels d’offres, l’existence
aussi d’un comité d’appels d’offres qui siège pour valider la totalité des achats ou des marchés
supérieurs à un montant de 50 000 €.
Notre réseau national est composé de 114 associations départementales qui sont reliées à
l’association nationale par un contrat d’agrément. Ce contrat est annuel. Il fait l’objet d’un panel
de formations qui sont obligatoires, extrêmement denses, avec une diffusion constante
d’informations de bonnes pratiques en direction des associations départementales. C’est une
articulation assez forte, bien évidemment, y compris avec les services financiers du siège, mais
également dans l’animation de l’ensemble des trésoriers départementaux, au nombre de 114, et
par la production de comptes combinés qui assurent aussi cette maîtrise.
Le deuxième niveau de contrôle sur les trois, c’est la présence très forte et permanente de deux
cabinets de commissariat aux comptes, avec lesquels nous échangeons très régulièrement tout au
long de l’année et pas uniquement lorsque c’est nécessaire. Il y a également le label par des
organismes certificateurs. Actuellement, c’est IDEAS qui labellise les Restos du Cœur.
Le troisième niveau de contrôle, qui est important, c’est le contrôle de la Cour des comptes. Nous
l’avons évoqué. Je voudrais rappeler, à ce moment de la discussion, que nous sommes très
sincèrement attachés à une instance de contrôle de très haut niveau, ce qui est le cas de la Cour
des comptes, et totalement indépendante. C’est précieux pour l’ensemble du secteur faisant appel
à la générosité du public. Je pense que cela a renforcé, comme vous l’avez dit tout à l’heure lors de
la précédente table ronde, la confiance des Français envers les associations. J’insiste réellement,
pour les Restos du Cœur, sur la nécessité de préserver ce mécanisme de contrôle public.
Il est important pour nous, pour les Restos du Cœur, qui avons une image assez forte auprès des
Français, de rappeler que toute crise de confiance – nous l’avons vécu, vous avez cité tout à l’heure
l’une des associations – qui frapperait l’un d’entre nous se répercuterait obligatoirement sur toutes
les autres associations. C’est important de le rappeler. Nous sommes des associations de solidarité,
mais nous devons être solidaires dans cette rigueur d’action entre nous. C’est une véritable
responsabilité collective pour l’ensemble du secteur de l’intérêt général.
D’ailleurs, je pourrais évoquer – même si nous n’allons pas non plus citer trop de chiffres ici – une
étude qui a été réalisée par Harris interactive et qui rappelle que 50 % des Français considèrent que
les associations constituent un progrès pour la France et qu’elles ont aujourd’hui un haut niveau de
confiance dans l’opinion.
C’est la raison pour laquelle nous sommes attachés, aux Restos du Cœur, avec toutes les équipes
qui travaillent sur ces sujets, à développer des process rigoureux. Nous militons réellement pour
des pratiques partagées entre nous, avec un haut niveau de degré d’exigence.
Cette confiance des donateurs pour les Restos du Cœur est aussi essentielle. Elle est importante,
car nous avons des valeurs fondamentales. L’une qui est notamment importante pour nous, c’est
la neutralité face aux politiques et c’est ce qui nous donne notre indépendance. Nous ne sommes
pas dépendants de financements publics. Vous l’avez évoqué, la générosité du public, aujourd’hui,
c’est plus de 60 % de nos ressources. Nous ne participons pas à des instances de coordination sans
conserver cette indépendance. Nous ne sommes pas une délégation de service public. Nous ne
dépendons pas des financements publics. Nous gardons cette liberté de dons, d’action, et nous
avons le droit d’alerter. C’est ce que nous faisons. Je crois que nous y reviendrons un peu plus tard.
Nous conservons ce devoir de faire. C’est cette primauté du bénévolat qui est guidée par le projet
associatif qui est voté en assemblée générale.
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Vous l’évoquiez à l’instant, pour conclure, le rôle de la Cour, pour nous, si nous pouvions nous
permettre une petite proposition, c’est effectivement que ce soit un accompagnement dans une
amélioration continue. Cela nous permettrait d’avoir un maintien permanent de nos relations,
permettant non plus de faire seulement du suivi de recommandations, mais bien d’être à votre
écoute dans le cadre des pratiques associatives et d’une amélioration continue.
Anne Mondoloni
- Merci pour ce propos. Nous notons les suggestions.
Toutes les suggestions qui seront énoncées aujourd’hui seront précieusement recueillies et
nourriront la réflexion dans les mois qui viennent.
Je note également cette idée que vous avez évoquée, qui est un peu décalée par rapport au mot
« solidarité ». On voit ce que recouvre la solidarité, mais vous avez parlé de solidarité à l’intérieur
du secteur associatif en termes de bonne gestion et de bonnes pratiques. Je trouve que c’est tout
à fait intéressant.
Patrice Douret
- Je crois qu’il est important et nous le rappelons. Une grande association qui aurait
des difficultés et perdrait la confiance des Français entraînerait les autres. Une association qui a la
confiance des Français entraîne également les autres. C’est cet élan de solidarité et de générosité
que nous avons constaté l’année dernière. Nous allons tous ensemble dans le même sens, que cela
aille en avant ou en arrière.
Anne Mondoloni
- Vous parlez d’associations qui recueillent toute la confiance du public.
Je me tourne vers vous, Monsieur le président Sauvé, pour évoquer votre expérience à la tête des
Apprentis d’Auteuil.
Là aussi, je ne peux pas m’empêcher de donner quelques chiffres. Les Apprentis d’Auteuil, ce sont
415 M€ de ressources, dont 125 M€ de ressources de générosité publique. C’est donc un modèle
un peu différent de celui des Restos du Cœur, avec environ un tiers de vos ressources qui viennent
de la générosité du public. Chaque année, environ 30 000 jeunes sont accompagnés par les
Apprentis d’Auteuil, 6 000 familles. Tout ce travail est porté par 6 400 collaborateurs. Nous en
avons parlé un peu en amont pour préparer cette table ronde, vous êtes très attentif à la question
des risques et des risques spécifiques à une organisation qui accompagne, comme le fait Apprentis
d’Auteuil, de nombreux jeunes. Voulez-vous témoigner sur cette question du risque en particulier,
et plus généralement sur la question des méthodes et de l’avancement des bonnes pratiques en
termes de contrôle interne, s’il vous plaît ?
Jean-Marc Sauvé
- Merci beaucoup.
Vous avez dit l’essentiel sur la fondation Apprentis d’Auteuil. Nous sommes au service de publics,
de jeunes, en grave difficulté, avec des problèmes d’insertion scolaire. Ce sont des décrocheurs
scolaires, des poly-exclus d’établissements. En réalité, nous avons toujours plus d’effectifs dans nos
établissements scolaires à la Toussaint qu’à la rentrée et plus d’effectifs à Noël qu’à la Toussaint.
C’est-à-dire que petit à petit, nous récupérons des jeunes qui ont été exclus d’autres
établissements. Nous accueillons également des mineurs qui bénéficient de mesures de protection
de l’enfance. Et nous avons toute une action d’insertion professionnelle, en particulier pour les
NEET, ceux qui sont sans travail, sans formation, sans diplôme, sans stage. Il y a maintenant un
travail très important de sourcing, c’est-à-dire qu’il faut aller chercher les jeunes là où ils sont : sur
leur canapé, devant leur téléviseur, ou devant leur smartphone.
Comme nous sommes une fondation reconnue d’utilité publique, nous avons un devoir particulier
de reddition des comptes, à la fois vis-à-vis de l’État, qui a constaté notre utilité publique vis-à-vis
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du public en général au service duquel nous sommes, et parce que nous mettons aussi en œuvre
des politiques publiques, et également vis-à-vis des donateurs.
Dans la deuxième partie de cette table ronde, je parlerai plus en détail de la garantie du bon emploi
des dons. Je voudrais maintenant parler de ce que représente pour nous l’aiguillon des contrôles.
D’abord, sur l’aiguillon du contrôle externe, nous avons connu trois contrôles de la Cour des
comptes en 2004, en 2009 et en 2021. Ils ont conduit à contrôler les comptes d’emploi des années
1998-2002, 2004-2006 et 2016-2019. Je pense que nous tirons de ces contrôles des conclusions qui
nous permettent d’améliorer la gestion de la fondation. Nous tirons aussi de ces contrôles des
balises pour les donateurs. Enfin, la Cour des comptes n’a pas le monopole de ces contrôles, mais
son travail de contrôle s’est inscrit dans le cadre de la professionnalisation de l’institution. Les
contrôles externes, en particulier de la Cour, constituent des leviers de professionnalisation.
Il y a le contrôle de la Cour des comptes, il y a également le contrôle tout à fait interne du
commissaire du gouvernement qui siège au sein du conseil d’administration et de la totalité des
conseils d’administration. Par conséquent, il peut s’exprimer à tout instant sur nos bonnes
pratiques et l’amélioration de nos pratiques.
Il y a également la labellisation de la fondation par un organe de contrôle indépendant, IDEAS,
puisque nous faisons appel à la générosité publique, comme vous l’avez rappelé. La générosité
publique contribue à hauteur de 125 M€ à notre financement. Et comme nous participons à des
missions de service public, nous avons également des contrôles externes qui sont ceux de l’aide
sociale à l’enfance, bien sûr, et puis de l’Éducation nationale.
Je dirais qu’au-delà du rôle propre du conseil d’administration, composé comme dans toutes les
fondations et les associations de personnes bénévoles, ce contexte des contrôles externes a été un
facteur de développement des contrôles internes. Nous avons d’abord développé les contrôles de
niveau deux dans les années 1990 et une direction de l’audit et du contrôle interne, qui est
rattachée au président du conseil d’administration, a été créée dès la deuxième partie des années
1990.
Nous avons ensuite mis en place, à partir de 2005, une cartographie des risques, qui nous permet
à ce stade d’identifier 32 risques. C’est une cartographie qui a été élaborée selon une méthodologie
très rigoureuse. Bien sûr, nous partons de l’exercice de l’année précédente. Nous tirons les
conséquences des rapports d’audits récents. Et chaque année, nous avons des ateliers
d’identification des risques qui se déroulent entre le mois de janvier et le mois de mars. Il y en a
cinq au niveau du comité de direction générale. Il y en a cinq au niveau des directeurs régionaux et
directeurs des filiales. Il y en a cinq également au niveau des directeurs régionaux adjoints. Nous en
avons aussi au niveau de nos filiales des zones DOM, et enfin avec les directeurs fonctionnels du
siège.
C’est un travail très lourd, un peu comme pour les contrôles externes, mais il est tout à fait
productif. Comme je l’ai dit, dans une fondation comme la nôtre qui prend en charge des jeunes,
des personnes, le principal risque n’est pas un problème de défaut de gouvernance, ni de mauvaise
gestion des ressources – ce qui représente un risque important, bien sûr. Le principal risque, c’est
en réalité de porter atteinte à la sécurité des personnes. C’est de porter atteinte à l’intégrité
physique et psychique des personnes. Pour nous, c’est le risque absolument majeur. Cette
dimension est tout à fait importante à côté des autres risques, par exemple des conflits d’intérêts,
de la corruption, de la mauvaise gestion des fonds et des ressources.
Il y a une cartographie des risques et aussi la création d’un comité de risques contrôle interne qui
est arrivé un peu plus tard. La cartographie remonte à 2005. Le comité risques contrôle interne date
de 2008. C’est un comité qui est évidemment composé de personnalités extérieures, des dirigeants
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d’entreprises de taille intermédiaire et de PME, de consultants du secteur privé, de membres en
activité ou honoraires de corps de contrôle de la sphère publique. Dans ce cadre, nous arrêtons un
plan d’audit annuel dont je pourrai dire quelques mots.
En 2021 – nous ne sommes pas encore arrivés tout à fait au terme de l’année – le premier point du
plan d’audit était le respect de la volonté des testateurs. Il y avait aussi la sécurité et la sûreté dans
les établissements de la fondation et l’association Apprentis d’Auteuil océan Indien. En effet, nous
sommes non seulement présents à la Réunion, mais aussi à Mayotte, dans le contexte social que
nous connaissons. Et il y avait d’autres sujets comme la facturation des bénéficiaires, les exclusions
des établissements – sujet d’une grande sensibilité avec justement des poly-exclus. Est-ce que les
exclusions ont une place chez nous, dans quelles conditions ? Il y avait enfin la gestion du parc de
véhicules.
Pour l’année 2022, le conseil d’administration délibérera dans quelques jours maintenant. Nous
avons comme première étude – cela vous montre notre philosophie – le parcours personnalisé du
jeune. C’est notre référence, notre philosophie. Il faut également l’auditer, s’assurer que les choses
sont cohérentes avec notre discours et se développent en cohérence avec notre discours.
Après le contrôle externe et le développement du contrôle interne, je voudrais dire un mot de
l’observatoire des incidents, des accidents et des infractions graves, sujet auquel la Cour des
comptes s’est d’ailleurs intéressée à l’occasion de son dernier contrôle. Il a vu le jour en 2001. C’est
un outil d’une extrême importance pour nous, justement dans le contexte de la meilleure prise en
charge éducative et sociale des jeunes et des familles que nous accompagnons.
Cet outil s’est progressivement affiné. Maintenant, nous avons un suivi extrêmement attentif de
tout ce qui peut se passer. Depuis 20 ans, ce dispositif se perfectionne, se sophistique. Nous avons
par exemple pris en compte, à partir de 2012, la typologie du harcèlement et des insultes à
caractère raciste, xénophobe, antisémite, sexiste, homophobe. Depuis 2013, nous prenons en
charge les problèmes de diffusion d’images agressives. C’est ce que l’on appelle le « happy
slapping », qui conduit à diffuser des images de violence entre jeunes.
Tout ce travail permet de suivre l’évolution des faits à caractère sexuel, les violences physiques, les
violences verbales, tous les phénomènes liés à l’utilisation des réseaux sociaux. Cela nous permet
de progresser vers une prise en charge plus pertinente des jeunes en fonction des menaces et des
risques qui se développent.
J’évoquerai très rapidement et en un seul mot l’évolution de la réglementation comptable qui nous
a, là aussi, aidés, qui a constitué un aiguillon depuis la certification des comptes jusqu’au nouveau
plan comptable applicable à compter du 1
er
janvier 2020.
Je terminerai cette première communication en soulignant le cercle vertueux qui s’est en réalité
déployé depuis 30 ans, avec la loi de 1991. Il y a eu ce contexte législatif qui a été rappelé,
notamment dans la première table ronde. Et ce contexte a été lié à un certain nombre de
développements internes, de mutations internes liées à des incidents et à des incidents graves
connus dans les années 1990. Il y a donc eu une professionnalisation de la gestion administrative
et financière, mais aussi des appels à la générosité publique avec toute la question de la traçabilité
des dons, leur utilisation, la reddition des comptes. Et il y a tout un volet très important qui a
vraiment beaucoup progressé depuis 25 ans – et nous travaillons sur trois décennies ce matin –
c’est une meilleure prise en charge, un meilleur accompagnement des mineurs. On en trouve la
trace à la fois en termes de prévention des risques, ce qui est le minimum, mais aussi de
développement d’un projet éducatif proactif. Cela permet à des jeunes de voir pris en compte leur
personne, leurs interactions, leur intégration dans une communauté et leur projection dans
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l’avenir, ce qui est tout de même la finalité de la fondation et le but pour lequel nous avons été
institués.
Merci.
Anne Mondoloni
- Merci beaucoup, Monsieur le président.
Je vous remercie tout particulièrement pour les exemples que vous avez choisi de citer. J’explique
pourquoi je vous adresse ces remerciements : on a très souvent l’habitude de manier beaucoup de
mots-concepts, comme « contrôle interne », « gouvernance », « procédures », qui sont des mots
un peu froids, désincarnés. En prenant le temps de nous citer quelques exemples de missions qui
sont prévues dans vos plans d’audits, ou en nous parlant de l’observatoire des incidents, vous
montrez à quel point derrière ces mots- concepts, il existe des réalités. Elles sont vite très concrètes
et sont au cœur de la façon dont les fondations et associations remplissent leur mission sociale.
Merci beaucoup de nous avoir donné ces exemples.
Je me tourne vers Benoît Miribel, président du Centre français des fonds et fondations. Vous êtes,
vous aussi, à un poste d’observation assez privilégié sur le champ des fondations et fonds de
dotation. Voudriez-vous nous parler de vos chantiers prioritaires sur les bonnes pratiques que vous
diffusez ?
Benoît Miribel
- Oui, merci. Je suis très heureux de cette invitation ici et de retrouver de
nombreuses personnes.
Effectivement, le Centre français des fonds et fondations a surgi dans le sillage de cette loi de 1991,
dans la mesure où il a notamment été lancé par la Fondation de France, mais également la
fondation que préside aujourd’hui Jean-Marc Sauvé. Il y avait à peu près sept fondations qui se sont
dits : «
Nous devons agir, aider aux bonnes pratiques dans notre secteur
». Cette dynamique a eu
lieu il y a environ 20 ans avec un grand engagement de Francis Charhon, qui était à l’époque le
directeur de la Fondation de France, et à qui j’ai succédé en 2015 en tant que président du Centre
français des fonds et fondations. On voit qu’il y a un sillage, avec cette évolution.
Je crois que vous le savez tous ici, les fonds et fondations sont dans le secteur de l’intérêt général,
un secteur bien sûr non lucratif, avec une affectation irrévocable d’actifs qui caractérise les fonds
et fondations. Une caractéristique qui a aussi surgi ces dernières décennies, ou un peu plus, sont
les fonds de dotation qui arrivent, en nombre, à être à peu près au niveau de la moitié du total des
entités juridiques. Je crois qu’on approche les 5 000 entités juridiques de cette nature.
Le président Sauvé et avant le président des Restos du Cœur ont évoqué les outils. Là, je m’exprime
au nom du Centre français des fonds et fondations où viennent spontanément les fonds et
fondations qui le souhaitent. Ils sont libres d’adhérer à cette association qui regroupe environ 350
entités juridiques très diverses, avec à peu près tous les statuts et sur des thèmes très différents. Il
y a une vocation à pouvoir partager les bonnes pratiques. Certaines ont été évoquées : les comités
de projet, les comités scientifiques. On peut d’ailleurs saluer, puisqu’il y a eu une introduction avec
la professeure Françoise Barré-Sinoussi, cette grande dame qui est aujourd’hui à la tête d’une
grande association, Sidaction, et qui siège dans beaucoup de conseils d’administration, qui conseille
beaucoup d’organisations. Il y a donc des fondations, des fonds de dotation, et des personnalités
qui aident, bien sûr parfois sur des aspects juridiques et financiers, mais aussi sur les projets.
Je me permettrai, dans un deuxième temps, de revenir sur un sujet qui est, je pense, très important.
En effet, à travers son intervention, le président Sauvé a bien indiqué le grand nombre de process,
de moyens internes qui sont là pour s’assurer de la bonne affectation des fonds. Cependant, le souci
permanent, c’est la pertinence des fonds engagés, des projets qui vont sur de la prévention. C’est
le cas de Sidaction. Il ne s’agit pas seulement de traiter les problèmes, mais de voir comment on les
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prévient. Ce qui anime aujourd’hui notre secteur face à l’ampleur des besoins généraux, c’est
comment des acteurs privés peuvent s’engager dans la philanthropie avec des bonnes pratiques
qui ont fait leur preuve. Ce sont les outils. Le Centre français des fonds et fondations n’a pas à
remplacer l’État, qui a tous les outils à disposition pour contrôler, à faire son travail. Nous sommes
là pour les aider, les accompagner dans les bonnes pratiques.
Le fond du sujet, de plus en plus, c’est l’affectation des fonds, leur bonne gestion, la pertinence. Je
prends un exemple lointain. On fait des puits dans tel pays. Qu’est-ce que l’on veut ? On a les
bonnes factures. Tout est bien communiqué. Cependant, est-ce que ces puits, dans le contexte,
sont appropriés ? C’est là où l’on se pose les questions. Est-ce que cette action envers des jeunes,
envers des personnes handicapées, est pertinente ? L’intérêt d’avoir un Centre français des fonds
et fondations est d’en parler, d’en discuter.
On voit une tendance qui s’affirme et qui est intéressante. C’est la collégialité. Les personnes qui
œuvrent pour les mêmes causes se parlent et se disent que des projets sont vertueux, que d’autres
le sont moins. Cela a un effet. Les partenaires associatifs ou autres en tiennent compte. Il y a un
intérêt à avoir cette approche collégiale. On dit que l’on est plus intelligent ensemble. On porte des
regards croisés. On trouve aussi de la transversalité. Samedi, je serai par exemple avec une grande
association qui travaille sur l’art et la santé. Depuis longtemps maintenant, on sait que des
personnes qui sont atteintes d’une grande opération du cerveau ont besoin de voir des tableaux,
de l’art, pour que les circuits se reformatent. Ce sont des choses qui se découvrent dans beaucoup
de domaines.
S’agissant des pratiques, cela a été rappelé. Si je reviens sur le premier point, avec le commissaire
du gouvernement, je pense que la nature des philanthropes, les personnes qui s’engagent,
notamment avec un fonds de dotation qui a démocratisé la philanthropie… En effet, avec 15 000 €,
vous pouvez agir. D’ailleurs, certains se mutualisent pour faire cela. Le souci premier de ces
personnes est : «
Comment vais-je être utile ? Comment mes actions auront-elles un sens ?
». À ce
titre, elles sont encadrées. On a cette vocation de transmettre ce qui fonctionne.
Nous avons parlé des comités de projet qui se développent de plus en plus. Les comités de projet
ont aussi un avantage. Nous avons conseillé à beaucoup de fondations d’avoir une stratégie. Quand
vous avez une stratégie et un comité de projet, cela protège aussi le président fondateur qui est
souvent harcelé de demandes, parce que les besoins sont considérables. Il y a les outils qui relèvent
de la gestion, mais aussi de la bonne pratique, pour ne pas parfois être sous l’influence et garder
une stratégie avec ces plans d’action.
Je vous donne un exemple de ce que nous avons concrètement incité à faire. Aujourd’hui, parmi
toutes les causes d’intérêt général, l’enjeu climatique en est une. On voit aussi ses incidences en
environnement santé, en 2015, à l’occasion de la COP21 où l’État s’est fortement mobilisé. En
France, nous avons la Déclaration de Paris. Nous réunissons les fonds et fondations. À l’époque, je
me souviens que beaucoup ont dit : «
Nous ne sommes pas concernés. L’environnement ne nous
concerne pas. Nous ne soutenons pas les projets dans ce domaine-là
». Cinq ans après, après tous
ces cheminements dans le secteur, nous avons une coalition française des fondations pour le climat
qui signe des manifestes de bonnes pratiques. Elle regarde par exemple si ses placements et
investissements financiers sont bien en cohérence avec les actions qu’elle soutient et quelles sont
les incidences. Ce sont des cheminements. J’ai cité quelques exemples qui se font à travers ce
Centre français des fonds et fondations et dont la mission traditionnelle était l’animation des
membres du secteur, avec tous les intérêts que l’on voit, le plaidoyer vis-à-vis du grand public.
Là où l’on constate un glissement intéressant et nécessaire, c’est que notre mission de plaidoyer,
nous la faisons de plus en plus en collégialité avec nos amis du Don en confiance, de France
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générosités, d’Admical, parce qu’une grande partie est commune autour du don. Nous avons un
certain nombre de points communs. Et nous récupérons du temps et de l’énergie pour être sur les
bonnes pratiques.
En rejoignant le Centre français des fonds et fondations en 2015, j’ai par exemple souhaité que les
membres, lors de leur adhésion, signent une charte. Nous ne sommes pas là pour contrôler.
Cependant, il y a des principes de transparence et d’engagement. Nous avons un certain nombre
de processus. Nous ne les faisons pas sous la contrainte, mais dans l’accompagnement vers
l’efficacité, la bonne gestion, comme le rappelait le président Sauvé, les bonnes pratiques.
Nous venons de faire un audit extérieur des risques du secteur des fonds et fondations. En effet,
nous le partageons avec les membres. C’est là que nous pouvons progresser ensemble et que nous
devons progresser ensemble : une fois que nous avons la garantie de la bonne affectation des
fonds, l’étape qui vient naturellement après est de savoir où mettre prioritairement nos moyens
financiers et humains, comment pouvons-nous faire travailler nos pratiques de projets…
Il y a aussi une intelligence collective à la croisée de l’engagement d’acteurs privés par les fonds et
fondations, de l’intérêt général, de la discussion avec les pouvoirs publics où nous avons besoin de
facilités. En effet, nous avons quand même des contrôles forts. Cela a été rappelé. C’est beaucoup
plus le cas qu’une entreprise. Aujourd’hui, il est plus simple de faire une société. Vous faites un
fonds ou une fondation, vous êtes forcément soumis à un contrôle. Pour les sociétés, c’est très
facile. Je pense qu’on pourrait regarder les contrôles, mais le ratio n’est pas le même.
L’intérêt général mérite d’être encouragé, avec si possible une simplification, mais qui
s’accompagne forcément d’une clarté. Je me méfie du mot « transparence ». En effet, on peut
donner des piles de documents comptables, mais ne pas être toujours très clair. Les personnes qui
accompagnent ont besoin de clarté sur la pertinence des projets et leurs évolutions. Ce sont
quelques mots en introduction.
Anne Mondoloni
- Merci beaucoup.
Je constate un point commun entre vos trois interventions. C’est déjà la notion de collégialité, qui
revient assez régulièrement. D’ailleurs, c’est un mot qui résonne tout particulièrement dans cette
Grand’chambre, car la Cour est très attachée, dans son fonctionnement, à la collégialité. Je
formulais juste ce petit commentaire en passant.
Dans cet écosystème des associations et fondations, il y a un autre acteur très important. Il a
d’ailleurs été cité. C’est le commissaire aux comptes.
Joël Fusil, vous représentez cet acteur. En plus, vous venez d’achever, en 2021, la première année
de certification des comptes nouvelle formule, après le règlement comptable de 2018. Vous avez
donc forcément de nombreuses et passionnantes choses à nous raconter sur la façon dont évolue
la gestion des associations et fondations.
Joël Fusil
- Merci.
Effectivement, le premier point qui me vient peut-être à l’esprit, ce sont les bonnes pratiques qui
ont été illustrées ici, notamment celles qui consistent à apprécier les risques, à les identifier. Depuis
30 ans, les acteurs de la générosité publique ont évolué sur bien des sujets, sur les modes de
collecte, sur les natures des ressources collectées, sur les modalités de mise en œuvre des actions
pour utiliser les dons. La technologie a beaucoup évolué. Des nouveaux métiers ont été créés au
sein de ces organismes. Il y a eu une professionnalisation à la fois des directions de ces organismes,
mais également des gouvernances bénévoles pour pouvoir assumer, assurer les missions de ces
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organismes qui se sont généralement beaucoup développés au regard des fonds qui ont été
collectés.
Toutes ces évolutions ont généré de nouveaux risques à prendre en considération, également au
regard de nouvelles réglementations en matière sociale, en matière fiscale, en matière comptable,
en matière de protection des données. Il y a eu un certain nombre de nouveaux textes qui
conduisent à avoir une réflexion profonde sur les risques et la maîtrise de ces risques.
Le commissaire aux comptes est au cœur de ce sujet dans la mesure où il doit apprécier ces risques
pour déterminer son approche d’audit de l’entité, d’audit des comptes et de ce qu’il y a dans les
comptes, mais également de ce qu’il n’y a peut-être pas encore dans les comptes, si des risques ne
sont pas couverts et le cas échéant pas provisionnés. Il doit donc avoir une très bonne maîtrise des
risques et partager sa qualification des risques avec la gouvernance et pas seulement avec les
directions de salariés. Il faut absolument – et cela a été évoqué – que la gouvernance bénévole
prenne pleinement part à cette appréciation des risques pour déterminer quels sont les outils qui
sont nécessaires pour les couvrir.
Ce sont des sujets qui sont très matures, comme les entités qui sont présentes autour de cette
table, mais ce sont des sujets qui sont peut-être beaucoup moins matures sur d’autres entités d’une
taille plus faible, ou pour des entités moyennes qui n’ont pas encore complètement mis en place
les outils nécessaires. L’une des bonnes pratiques, c’est effectivement de formaliser la cartographie
des risques au travers de différents outils, de méthodes qu’il est possible de prendre en
considération pour le faire.
C’est un sujet qui demande du temps. Parfois, l’exercice est réalisé, a demandé un gros
investissement, mais il est mis dans le tiroir et on oublie un peu de mettre à jour ces risques, alors
que l’organisation continue d’évoluer, les outils changent, la technologie continue de progresser et
génère de nouveaux risques et viennent peut-être supprimer d’autres risques qui avaient été
identifiés à l’instant T.
Parfois, cet exercice conduit à définir des risques très génériques, mais qui sont assez éloignés des
risques opérationnels. L’une des bonnes pratiques est sans doute de pouvoir rattacher ces risques
aux différents processus qui régissent les activités de l’association ou de la fondation. D’ailleurs,
l’une des bonnes pratiques est également, dans chaque procédure qui régit ces processus, de
pouvoir formaliser ces risques et les contrôles qui sont mis en œuvre pour les couvrir et vérifier que
ces contrôles sont réellement opérants.
Il y a encore beaucoup de marges de progrès. C’est sans doute moins le cas pour les acteurs
présents autour de cette table, qui ont déjà une grande maturité de plus de 15 ans, de 20 ans de
mise en place de ces outils. Cependant, encore beaucoup d’acteurs qui font appel à la générosité
publique ont besoin de progresser sur ces sujets.
Anne Mondoloni
- Merci beaucoup.
Ne serait-ce pas une bonne idée de prendre une question du tchat, pour montrer que nous sommes
attentifs à nos amis qui nous suivent sur Internet ? Je pense que tous les propos des uns et des
autres ont dû susciter des questions.
Emmanuel Kessler
- Absolument ! Un certain nombre de questions commencent à nous arriver.
« Comment distinguer les dons habituels de ceux relevant d’un appel à la générosité ? ».
Il y a deux
sous-questions
: « Comment sont traités "faites un don" sur un site Internet ? Les campagnes
d’appel à don pour un thème particulier sont-elles traitées différemment par les organismes et par
la Cour des comptes ? ».
C’est sur le traitement des typologies de dons que porte la question.
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Anne Mondoloni
- C’est une question sur le fléchage des dons.
Qui souhaite attraper ces questions au vol ?
Emmanuel Kessler
- Il y en a d’autres après.
Anne Mondoloni
- Sur la question du fléchage des dons, nous sommes dans le champ des comptes
et des process internes.
Joël Fusil
- D’autres personnes pourront m’aider à répondre à la question.
Les messages d’appel à la générosité sont très importants, puisque ce sont ces messages qui vont
guider le fléchage ou non des dons et donc le suivi de leur utilisation ultérieure. La qualité des
messages, le fait qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur le fait que sont bien des dons fléchés, a
contrario
des dons qui ne sont pas fléchés à un projet clairement défini, c’est important. Il faut y porter une
attention particulière. Nous encourageons souvent les directions financières à travailler avec les
services de développement des ressources, les services qui vont communiquer, qui vont préparer
les messages d’appel à générosité, pour anticiper comment le fléchage de ces dons va pouvoir être
suivi.
Les dons sont collectés par différentes sources qui, aujourd’hui, se multiplient. Dès lors qu’il y a un
message d’appel à la générosité sur un site Internet, alors, on considère qu’effectivement, dès lors
que l’on dépasse le seuil prévu par la loi, on doit respecter toutes les obligations prévues par la loi.
Je ne sais pas si j’ai répondu complètement à la question.
Anne Mondoloni
- Le seuil est de 153 000 €. La question s’est d’ailleurs posée pour la Cour. Je fais
le lien avec la table ronde précédente. En 1991, il n’y avait pas d’Internet. Il n’y avait donc pas de
bouton d’appel à don. La question s’est posée assez vite avec l’apparition d’Internet et des pages
d’appel à don. Est-ce qu’un simple bouton sur la page d’accueil d’une association ou d’une
fondation, du point de vue du contrôleur de la Cour des comptes, est un appel public à la
générosité ? Je vous donne tout de suite la réponse. La réponse a été : oui. À partir du moment où
une structure fait apparaître un bouton d’appel à don, on estime qu’il y a un appel public à la
générosité. La définition aurait pu être très restrictive, mais cela aurait été aussi dommage. C’est
une transition tout à fait trouvée.
Emmanuel Kessler
- Il y a une autre question intéressante, peut-être pour Patrice Douret et
également Jean-Marc Sauvé. C’est à la fois pour la Cour et dans son lien avec le citoyen et dans vos
liens avec le citoyen. « Les certificateurs commissaires du gouvernement, commissaires aux
comptes, ont été évoqués. Ne faudrait-il pas des donateurs au conseil d’administration ? ». Est-ce
que les donateurs sont présents ?
Patrice Douret
- Je pense que parmi le conseil d’administration, il y a probablement beaucoup de
donateurs, notamment de donateurs en termes de temps. C’est important de rappeler que le don
n’est pas seulement le don financier. C’est aussi un don de temps.
Emmanuel Kessler
- Bien sûr. Il y a beaucoup de bénévoles.
Patrice Douret
- Absolument ! Je crois que c’est un sujet que nous évoquons plus loin : c’est la
question de la maîtrise de nos appels aux dons. Nous avons un profond respect pour les donateurs.
Nous avons un service donateurs. Vous parliez tout à l’heure de professionnalisation. Bien
évidemment, c’est un service important, qui est à disposition, qui rend compte tous les jours à tout
appel téléphonique ou tout mail de ce que nous faisons.
Déjà, le principal message que nous adressons à nos donateurs, c’est le respect que nous avons en
ne les sur-sollicitant pas. Il faut rappeler que parmi nos donateurs, nous avons beaucoup de petits
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donateurs, pour lesquels c’est encore plus dur de faire ne serait-ce qu’un don avec un petit bouton
ou un SMS de quelques euros. La preuve essentielle de ce que nous faisons de cet argent, ce sont
nos actions. C’est ce que nous en faisons. Ce sont nos frais généraux que nous évoquerons plus
tard. Et c’est la possibilité de les questionner, ce que nous faisons régulièrement. Nous ne faisons
qu’un seul appel aux dons, ne serait-ce qu’en ce moment, vous l’avez rappelé, puisque nous
démarrons la 37
e
campagne, notamment pour cela.
Emmanuel Kessler
- Voulez-vous dire un mot, Monsieur Sauvé, sur le lien avec les donateurs ? Est-
ce que les donateurs doivent avoir des représentants dans les instances de décision, ou est-ce que
l’information simple suffit ?
Jean-Marc Sauvé
- J’ai le sentiment que tous les membres du conseil d’administration, ou en tout
cas presque tous, sont donateurs. C’est vrai qu’il n’y a pas une représentation spécifique des
donateurs.
Je pense qu’une grande question se pose au-delà du sujet d’interpellation. C’est la sélection des
membres du conseil d’administration des fondations et des associations reconnues d’utilité
publique. La responsabilité qui incombe à ces organes de gouvernance est une responsabilité
essentielle. Il faut à la fois des compétences, il faut du temps à consacrer. C’est du temps de
bénévolat. Il faut également une compréhension profonde des buts de l’organisation.
Je dois dire qu’un rôle de président de conseil d’administration, c’est bien évidemment de fixer la
stratégie, les orientations, les règles du contrôle de l’institution, mais c’est également de composer
le conseil, d’ouvrir un éventail de choix et de composer les comités du conseil d’administration.
J’ai parlé des comités risques contrôle interne. C’est très important à Apprentis d’Auteuil. C’est
d’ailleurs le seul comité que préside le président. L’histoire de la fondation fait que le président ne
préside pas le comité qui est chargé des jeunes, des familles et des anciens, c’est-à-dire de la
politique éducative de l’institution. Le président préside le comité risques contrôle interne. C’est ce
que je voulais dire, sur la question de la composition du conseil, au-delà même de la sélection des
donateurs.
Une grande question se pose. C’est l’association à la gouvernance de nos institutions des personnes
pour qui nous avons été institués. C’est un enjeu très important, y compris sur le plan social, car ce
que nous voulons, ce sont des acteurs sociaux qui soient autonomes. Il ne faut pas avoir des
démarches uniquement verticales, descendantes, paternalistes, mais il faut, d’une manière ou
d’une autre, associer aux projets, aux orientations. Et nous avons commencé à le faire.
Emmanuel Kessler
- Patrice Douret ?
Patrice Douret
- J’adhère totalement aux propos du président Sauvé. Sur la composition des
conseils d’administration, en l’occurrence, chez nous, le conseil d’administration national est
composé de 24 membres, dont la moitié proviennent du terrain, c’est-à-dire de nos associations
départementales. Et l’assemblée générale qui vote pour ce conseil d’administration est composée
elle-même des représentants des 114 associations départementales, conseils d’administration eux-
mêmes élus par des représentants de nos centres d’activité, qui eux-mêmes vont aller chercher la
parole des personnes accueillies pour que ce ne soit pas uniquement descendant, mais bien
évidemment et surtout ascendant.
Anne Mondoloni
- Merci.
Notre deuxième thème de table ronde, que nous avons en fait déjà largement abordé, est celui de
la communication financière, de la relation avec les donateurs. Je reviens un instant sur la question
du compte d’emploi des ressources ou des documents
Essentiels
. Ce que fait la Cour dans ces
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contrôles, c’est qu’elle vérifie le contenu, par exemple des pourcentages. Lorsqu’une structure dit
par exemple : « Nous consacrons 87 %, 90 %, 95 % de nos ressources à la mission sociale », notre
travail, qui est effectivement pointilleux, précis et exige de la rigueur, est d’aller vérifier le contenu
de ces pourcentages, de vérifier toutes les conventions comptables qui ont abouti à ce
pourcentage, pour le remettre en question, ou au contraire le certifier.
Pour aborder cette question de la communication financière, j’aimerais bien passer la parole à
Béatrice Buguet-Degletagne pour l’IGAS.
En effet, tu as une expérience considérable et une expertise reconnue sur le sujet.
Béatrice Buguet-Degletagne
- Merci.
Cette question de la communication financière est l’un des aspects très importants de la
professionnalisation qui constitue jusqu’ici le fil rouge des interventions. Nous avons aussi entendu
que cette professionnalisation doit être la plus homogène possible, ne serait-ce que parce qu’un
accident de parcours, un organisme moins sérieux que les autres, peut mettre en danger ce secteur
très important de la vie sociale. Cela peut altérer considérablement ce vecteur majeur de cohésion
sociale qu’est l’appel à la générosité du public et finalement la possibilité pour chacun de participer
à une vie collective ciblée vers telle ou telle action. C’est une possibilité portée par les organismes,
si tant est qu’ils soient fidèles à l’objet qu’ils annoncent à leurs propres donateurs..
Cette communication financière repose sur deux piliers : sur la publicité des comptes et sur la
qualité de ces comptes. En matière d’obligation normative, en France, nous sommes très modestes.
La seule obligation qui s’impose aux organismes, c’est de publier leurs comptes sur le site de la
Direction de l'information légale et administrative (DILA) sur un vecteur dédié auprès du
Journal
officiel
. C’est finalement assez ténu. Naturellement, nombre d’organismes publient leurs comptes
à l’attention de leurs donateurs sur leur propre site, mais ce n’est pas une norme obligatoire.
Sur ce sujet qui est seulement l’un des sujets, mais qui est important, nous partons tout de même
d’assez loin. Dans une période encore récente, en 2017, sur un échantillon d’un millier
d’associations et de fondations, nous avons constaté que ce respect de l’obligation unique de
publication sur le vecteur évoqué était minoritaire parmi les organismes. De plus, un certain
nombre de ceux qui publiaient leurs comptes correctement sur le site de la DILA les publiaient sans
le compte d’emploi des ressources, qui est pourtant depuis 2005 pleinement intégré aux annexes
comptables. C’est embêtant. Finalement, on arrivait, sur l’échantillon en question, à 27 % des
organismes qui avaient correctement publié leurs comptes, assortis du compte d’emploi des
ressources.
Il y a un véritable espoir que les choses s’améliorent. D’abord, parce que le contrôle peut constituer
un aiguillon, comme certains des grands témoins l’ont souligné. Étant donné que ces données ont
été rendues publiques, je pense que les organismes qui, pour certains, n’avaient peut-être pas
complètement intégré l’obligation en question, le font maintenant. Ensuite, fort heureusement,
une loi très récente adoptée cet été, accentue cette obligation et l’assortit d’une sanction, faible
d’ailleurs, à l’égard des dirigeants qui ne respecteraient pas cette obligation.
Quand on parle de publicité des comptes et de publication des comptes, il faut également tenir
compte des conditions dans lesquelles cette obligation s’impose. Il y a eu une fragilisation de
certains concepts en 2015. Les corps de contrôle s’expriment rarement pour dire qu’il y a des choses
positives Mais pour le coup, nous pouvons le faire, puisque des obligations tout à fait récentes ont
été reformulées, parfois d’ailleurs de manière proche de la formulation de la loi de 1991. On est
revenu, depuis juillet et août, avec deux textes différents, à un socle plus stable d’obligations.
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Je vais donner un seul exemple. Sans faire ici de comptabilité de façon détaillée : le seuil qui
commande un certain nombre d’obligations était, entre 2015 et 2021, calculé sur la base des seuls
dons. Or, la générosité publique va bien au-delà des dons ; on peut au moins citer les legs, mais il
y a beaucoup d’autres formes de contributions. Maintenant, nous avons de nouveau la prise en
compte, dans cette assiette, de l’ensemble des ressources collectées. C’est correct à la fois pour les
organismes et les donateurs.
Vous avez évoqué le rôle des commissaires aux comptes, qui ont été un peu oubliés jusqu’à présent,
parmi les intervenants mentionnés. C’est vrai, ce sont des intervenants très importants dans les
chaînes de professionnalisation, de contrôle et d’autocontrôle car ils sont aussi des interlocuteurs
des organismes. On a tendance à l’oublier un peu, au point que les commissaires aux comptes ne
sont pas chargés d’un certain nombre de vérifications, ou ne l’étaient pas jusqu’à une époque
récente. On a pu avoir des comptes non publiés sans que cela donne lieu à aucune réserve de la
part du commissaire aux comptes, parce que jusqu’à une époque très récente, le commissaire aux
comptes n’avait pas de diligence à consacrer à cette notion de publicité des comptes. Cela a changé.
C’est aussi un élément très important. Dans tous les organismes concernés qui dépassent le seuil
évoqué à l’instant par Anne Mondoloni de 153 000 € de collecte, il y a un commissaire aux comptes,
alors qu’il n’y a pas nécessairement un comité d’audit interne, un contrôle de la Cour ou de l’IGAS.
On est sur une démarche effectivement fonctionnelle, pour le coup, quand on commence à installer
un rôle du commissaire aux comptes dans la vérification de cette publicité.
Pour autant, la table ronde de cet après-midi fournira certainement des éclairages intéressants. Je
pense qu’il y a encore des améliorations à apporter sur un certain nombre de points. Ne serait-ce
que sur la publicité obligatoire des comptes, il n’est pas évident qu’il suffise de les publier au
Journal
officiel
. La plupart des organismes publics le font à l’intention de leurs donateurs sur d’autres
supports, mais n’y sont pas obligés. Là aussi, on pourrait envisager des modes de publicité qui soient
plus accessibles aux donateurs.
Quand on parle de professionnalisation, outre la publicité, il y a la qualité des comptes. Cela a été
un peu évoqué. Je pense que la qualité des comptes s’est fortement accrue – nous en ferons
l’expérience peu à peu, car c’est récent – grâce au dernier règlement comptable qui a donné lieu à
un an et demi de travaux. Nous ne pouvons pas être exhaustifs ici, bien sûr, mais il a par exemple
permis d’introduire une valorisation obligatoire des contributions volontaires en nature. Cela peut
être très important dans certains organismes. Je me tourne vers mon voisin de gauche,
Patrice Douret, par exemple. De manière générale, ce nouveau règlement comptable a clarifié le
précédent compte d’emploi des ressources dont le format était peu lisible. C’est un constat qui
avait été partagé très largement par tous les acteurs. Les corps de contrôle avaient la même
analyse.
Je formulerai tout de même une interrogation sur ce nouveau modèle de règlement comptable. En
l’occurrence, il admet, parmi ce que l’on appelle les « missions sociales », c’est-à-dire l’objet même
de l’action de l’organisme, les versements faits à d’autres organismes, que ce soit un organisme
central qui réunisse plusieurs organismes, ou un autre organisme sans lien particulier avec le
premier, auquel le donateur adresse sa contribution. C’est d’ailleurs le cas que l’organisme soit
situé en France ou à l’étranger. Il y a très peu de limites à cette liberté d’affectation. Cette liberté
d’affectation est vraiment, pour moi, une interrogation en matière de transparence et de
professionnalisme. En l’occurrence, si les rubriques correspondantes d’une part dans les comptes
et d’autre part dans la communication des organismes ne sont pas très clairement investies, on
peut tout de même s’interroger sur la notion de transparence et de fidélité par rapport à ce que
demande le donateur. En effet, le donateur s’adresse à l’organisme A et pas nécessairement à
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l’organisme B, C, ou D, qui font, le cas échéant, d’autres choses. Nous verrons ce qu’il en est dans
les années à venir. Je voudrais vraiment recommander une attention particulière sur ce point.
Anne Mondoloni
- Merci beaucoup. Je donne un exemple pour illustrer ce que tu viens d’indiquer
et qui est très juste. Si un organisme dit affecter 1 000 en mission sociale, mais que sur ces 1 000,
800 partent vers une autre association qui, elle aussi, a des frais de fonctionnement et qui elle-
même fait appel à une troisième association qui a de nouveau des frais de fonctionnement, on
arrive au bout du compte à une réalité de fléchage des dons vers une action concrète qui diminue
fortement par rapport au taux qui était affiché sur le premier organisme.
C’est tout à fait l’occasion, d’ailleurs, de se poser une question de principe sur ce qu’est cette
information financière, lorsqu’on est dans le champ des associations et fondations. Dans le secteur
privé, un fonds est une donnée nécessaire aux créanciers, aux actionnaires. Là, c’est une autre
logique.
Monsieur le président Sauvé, sur cette interrogation de principe, pourriez-vous partager quel est le
sens de l’information financière, lorsqu’on est dans une association ou une fondation ?
Jean-Marc Sauvé
- Merci.
Je pense que l’information financière est destinée à garantir le bon emploi des dons, le respect de
la volonté des donateurs. C’est un élément essentiel de la confiance qui doit être préservé.
Je voudrais, à cet égard, vraiment insister sur la dimension des contrôles internes. Nous devons
impérativement, notamment dans ce domaine-là des dons, de l’appel à la générosité publique,
avoir un dispositif de délégation pour pouvoir formaliser avec, en particulier, les personnes qui
seront chargées de la collecte, le directeur de la collecte qui est responsable du dispositif de
contrôle interne.
Au-delà même des informations financières, j’évoquais l’audit et le contrôle interne. Je constate les
travaux que nous avons menés depuis dix ans dans ce domaine, avec six contrôles par an, 60
contrôles opérés depuis dix ans. Depuis dix ans, nous en avons fait huit sur la gestion des dons, la
relation avec les donateurs, la conformité de l’affectation des dons, la gestion et le fonctionnement
des fondations abritées, la conformité de la communication sur l’usage de la générosité publique.
Il y a le discours que nous tenons publiquement et il y a ce que nous faisons. Il faut absolument
nous assurer de la cohérence entre notre langage et nos actions.
In fine
, je vous l’ai dit, il y a le
respect de la volonté des testateurs.
Avec le contrôle interne, il faut aussi que nous mettions en œuvre dans nos institutions, nos
fondations, nos associations, des outils qui assurent la traçabilité des dons et notamment des dons
qui sont affectés. Nous avons mis en place un outil qui s’appelle « l’attestation de don » qui permet
d’affecter des dons à des projets choisis par les donateurs via un système de code d’affectation qui
est dédié à chacun des établissements, des projets, ou des thématiques.
Dans cette logique, nous devons assurer le respect du budget et des charges. Je préside le bureau.
Il y a quelques jours, nous préparions le budget 2022. Nous avons à tout instant le réestimé du
budget 2021, le budget 2022, et toujours le ratio entre les charges liées à la collecte et le montant
de cette collecte. Nous suivrons cette affaire de chiffre après la virgule, du pourcentage. Il faut
également que nous ayons de la transparence vis-à-vis des donateurs et que nous rendions compte.
Il y a tout un travail très important à mener, y compris d’ailleurs dans l’évaluation de l’impact des
ressources que nous recevons des donateurs. Il faut analyser, rendre compte et avoir des dispositifs
de reporting qui nous permettent d’informer les donateurs qui le demandent, ou les philanthropes,
de ce que nous faisons.
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Je terminerai sur l’implication humaine des philanthropes et des membres des fondations abritées
dont le projet est financé. Il faut que les fondations abritées ne soient pas des auberges espagnoles.
Il doit y avoir une cohérence entre l’action des fondations abritées et l’action de la fondation qui
abrite. Il ne faut pas que ce soit juste un cadre : « Vous venez chez nous et puis voilà, vous faites
vos affaires ». Ici, pour le dernier conseil d’administration de l’année, nous allons dissoudre des
fondations abritées et pas seulement accueillir de nouvelles fondations abritées. En effet, nous ne
sommes pas là pour faire un petit business avec des personnes qui font des choses intéressantes,
mais qui ne sont pas en rapport avec notre cœur de métier.
Anne Mondoloni
- Merci beaucoup.
La malédiction des tables rondes et des colloques nous rattrape : nous manquons de temps ! Je suis
donc obligée de vous demander de nous dire brièvement quelques mots sur le sujet de la
transparence financière. Benoît Miribel : comment voyez-vous les choses, avec le Centre français
des fonds et fondations ?
Benoît Miribel
- Il a été évoqué beaucoup de points que je ne vais pas reprendre. L’évolution du
CER était indispensable pour aller dans un sens de clarté. La présence des commissaires aux
comptes est un plus. Avoir un commissaire aux comptes, c’est un dialogue, c’est une explication,
c’est une appréciation que l’on n’a pas avec les « comptables ». Nous l’encourageons donc.
Ce qui est important, c’est que si l’on revient globalement sur l’intérêt général, on connaît tous
aujourd’hui l’ampleur des besoins considérables auxquels nous devons faire face. Il y a des réserves.
Il y a des personnes qui ne savent pas comment agir. C’est aussi notre responsabilité de les inciter,
notamment dans les fonds et fondations, à agir avec tous les outils nécessaires adéquats pour ne
pas faire des coquilles vides. Le Président Sauvé à raison : si les fondations qui sont abritées
s’avèrent inutiles, elles n’ont pas de raison de l’être. Cette communication financière doit se faire
en cohérence avec les actions.
Dans le secteur des fonds et fondations, le donateur peut être une personne ou une entreprise,
lorsque c’est une fondation d’entreprise. Effectivement, elle a à cœur de communiquer sur ses
chiffres. Les chiffres sont des indicateurs. Cependant, c’est aussi la pertinence des actions, leur
originalité qui est en jeu. Nous sommes coresponsables de cela, acteurs publics et privés. Je ne parle
pas de fondations prestigieuses. Cependant, trop souvent, on peut avoir l’image de riches formant
une fondation pour se donner bonne conscience, mais qui sont des niches fiscales, etc. C’est contre-
productif par rapport à nos besoins d’aujourd’hui, nos enjeux et ce n’est pas ce que nous voyons.
Je ne dis pas que cela ne peut pas arriver, mais c’est à la marge. Ensemble, nous avons intérêt à
avoir une transparence financière sur les projets, sur le sens de ces projets qui sont là pour répondre
à nos besoins d’intérêt général.
C’est ce que nous devons faire en montrant aussi que les causes d’intérêt général ne s’annulent
pas. Elles se complètent. C’est vraiment une approche holistique de l’intérêt général qui doit nous
animer ensemble. Après avoir mis en place les outils, les formations, les bonnes pratiques, il y a une
question de pertinence, pour mobiliser les acteurs publics et privés – notamment tous ces acteurs
privés qui ont encore des capacités – pour les encourager, afin qu’ils puissent avoir leur place et
contribuer de façon professionnelle.
Anne Mondoloni
- J’en reviens aux Restos du Cœur. Comment rendre compte de toute cette
activité, notamment de l’immense base de bénévoles ? Comment voyez-vous les choses ?
Patrice Douret
- Cette transparence de base est évidente. En revanche, sur le volet comptable, il y
a un enjeu de simplification et de pédagogie. Ce n’est pas toujours très facile de s’approprier cela.
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Je voudrais associer à la transparence le mot de « maîtrise ». Il est important pour nous de maîtriser
notre communication et nos messages. Aux Restos du Cœur, nous avons pour principe de ne nous
positionner et de n’intervenir que sur ce que nous connaissons. Lorsque nous n’avons pas de
légitimité à intervenir sur un sujet, même s’il est très en lien avec certaines de nos actions, si nous
ne savons pas, si nous ne connaissons pas, en l’occurrence, si cela ne fait pas partie de ce que nous
constatons sur le terrain, nous ne nous dispersons pas, nous respectons la parole des Restos du
Cœur. C’est important pour nos donateurs. C’est l’image que nous donnons de nous prononcer
uniquement sur ce que nous connaissons.
Il y a quelques instants, nous avons évoqué la maîtrise de nos appels aux dons. Quelque chose
d’important pour nous est de garantir et de communiquer à nos donateurs ce que nous faisons de
l’argent qu’ils nous confient. Il faut savoir que nos frais généraux sont assez bas, car avant le
changement de modalités de calcul, ils étaient inférieurs à 8 %. Ils sont aujourd’hui à un peu plus
de 5 %. C’est la garantie pour nos donateurs que nous sommes extrêmement rigoureux sur ce que
nous faisons.
J’apporte une précision : 100 % de nos missions sociales sont financées par la générosité du public.
Il n’y a pas d’euro confié par le public qui aille sur autre chose que nos missions sociales. Le reste
est financé par d’autres sources d’approvisionnement, sauf cette année, puisque le niveau de
générosité a été assez exceptionnel. L’excédent a été reporté sur les missions sociales de la
campagne qui débute.
Une maîtrise également importante est celle de nos risques. Vous évoquiez tout à l’heure la
cartographie des risques. Je crois que c’est important de le souligner. Aujourd’hui, on ne peut pas
ne pas chercher à anticiper une crise ultérieure. Le service qui gérait cette cartographie a changé
symboliquement de nom. Il s’appelle maintenant le service d’anticipation des crises, que ce soit sur
le volet financier, logistique, alimentaire. Un point important pour nous, c’est aussi sur le projet
humain, car près de 40 % de nos bénévoles ont plus de 65 ans. Pour nous, cela constitue forcément
un risque de continuité de nos missions.
Enfin, j’évoquerai un risque plus lointain. C’est d’anticiper avec un observatoire qui réalise des
études sur les publics que nous accueillons, mais également sur ce que serait l’évolution de la
précarité en France et par une étude prospective qui voit un peu plus loin. Nous nous disons que
les Restos du Cœur seront peut-être encore là lorsqu’ils auront 50 ans, c’est-à-dire en 2035. C’est
l’anticipation de ce qui pourrait nous « arriver », tout du moins les besoins que nous pourrions
avoir. Il s’agit notamment d’anticiper le soutien des donateurs et de leur expliquer ce que nous
ferons un peu plus tard de l’argent qu’ils nous confient.
Emmanuel Kessler
- Il y a un certain nombre de questions.
Anne Mondoloni
- Avant de passer la parole à Joël Fusil, à Béatrice Buguet-Degletagne et à la salle
pour prendre quelques questions, j’indique juste, puisque c’est un sujet qui a été abordé, que
systématiquement, dans ses contrôles, la Cour regarde le ratio frais de collecte sur la collecte.
Combien a-t-il fallu dépenser d’euros pour récupérer 100 € de dons ? La surprise, c’est que l’on
peut atteindre des ratios tout à fait déraisonnables. La collecte coûte, mais il ne faut pas qu’elle
coûte de manière excessive.
Joël Fusil ?
Joël Fusil
- Je n’ai pas complètement répondu à votre question de tout à l’heure sur les comptes
annuels, notamment sur les nouveaux formats applicables à compter du 1
er
janvier 2020. Cela a
été, pour les entités qui font appel à la générosité, une clôture douloureuse des comptes, il faut
bien le dire, notamment pour celles qui avaient le moins bien anticipé le passage à cette nouvelle
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réglementation. Un sujet qui a été assez impactant a été le traitement comptable des actifs qui a
complètement évolué. Cette modification permet de donner une image beaucoup plus fidèle des
actifs dont l’entité est propriétaire. Cela n’était pas le cas auparavant. Au sein du compte de
résultat, cela permet par exemple de donner des détails plus précis sur les différentes ressources
issues de la générosité, pour aller dans le sens de ce qu’a dit Béatrice Buguet-Degletagne tout à
l’heure.
Il est vrai que ces comptes annuels, dans des entités qui sont significatives comme celles qui sont
représentées ici, peuvent représenter 20, 30 ou 40 pages. C’est le socle de la communication
financière. Les comptes annuels font l’objet d’une certification d’un commissaire aux comptes. Cela
engage sa responsabilité, celle de son cabinet, en « certifiant » les comptes. C’est le socle.
Maintenant, si l’on veut assurer une transparence financière plus complète, il faut que ces comptes
puissent être compris, intelligibles par tout citoyen, qu’il soit donateur ou pas.
Là, on rejoint une bonne pratique qui est par exemple celle promue par le Don en confiance, avec
ce document,
L’Essentiel
. Ce que nous appelons un document de synthèse est sans doute
nécessaire pour rendre compte de qui on est, qu’est-ce que l’on fait, comment collecte-t-on, qu’est-
ce que l’on collecte, quelles sont les différentes natures de ressources que l’on utilise et pour faire
quoi. Dans le « faire quoi », il faut peut-être aller jusqu’à la mesure d’impact des actions qui sont
menées.
Ce document de synthèse pourrait également très certainement évoluer avec les attentes du public
en donnant des informations d’ordre social, d’ordre environnemental. C’est également attendu.
Certaines grandes associations ou fondations ont par exemple une empreinte écologique. À terme,
dans ce document de synthèse, il y aurait peut-être également des données extra-financières.
Aujourd’hui, la profession des commissaires aux comptes travaille beaucoup sur ce sujet dans le
monde des entreprises. Elle sera bien sûr en mesure d’apporter tout son sceau sur la sincérité des
informations, y compris, à terme, sur les données extra-financières. C’est certainement une
évolution. Aujourd’hui, dans le dispositif de communication financière, sur le fait de produire et de
publier, là aussi on peut s’interroger sur la façon de publier un document de référence, un
document de synthèse de type
L’Essentiel
. Il faut que cela reste une bonne pratique pour que l’on
puisse se mettre à la portée de toutes les personnes qui ne sont pas aguerries au sujet comptable,
à la comptabilité, aux comptes annuels et que chaque citoyen comprenne.
Anne Mondoloni
- Béatrice, peux-tu dire quelques mots sur ce sujet, puisqu’il faut absolument que
nous puissions donner la parole à la salle et au tchat ?
Emmanuel Kessler
- Le temps passe.
Béatrice Buguet-Degletagne
- Il y a deux micro-sujets, qui sont en réalité macros. Le citoyen évoqué
à l’instant est concerné au moins à deux titres, s’il est donateur, mais aussi s’il est contribuable. Le
Premier président de la Cour des comptes mentionnait tout à l’heure le lien entre argent du public
et argent public. Je compléterai sur un aspect : dans tous les domaines qui concernent d’ailleurs les
domaines de compétences de l’IGAS, beaucoup d’organismes interviennent dans des champs
fréquemment couverts, par ailleurs ou concomitamment, par des politiques publiques. Ainsi, des
organismes sont cofinancés par des fonds publics alloués par telle ou telle collectivité publique et
par la générosité du public. Ce double prisme légitimise plus encore la nécessaire
professionnalisation et toutes les étapes que nous avons mentionnées ce matin pour atteindre et
continuer d’améliorer cette professionnalisation.
Aujourd’hui, nous sommes devant un nouveau défi en matière de professionnalisation, parce que
le champ des organismes est en voie de démultiplication, avec notamment la multiplication
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extrêmement rapide des fonds de dotation évoqués tout à l’heure. Des organismes créent eux-
mêmes d’autres organismes, notamment des fonds de dotation. Je ne sais pas si cela correspond à
une démocratisation. En tout état de cause, cela repose la question évoquée tout à l’heure de la
transparence dans ce champ non pas ciblé sur un organisme donné, mais sur le champ auquel, en
réalité, le donateur s’adresse quand il pense, lui, s’adresser à un organisme précis.
Anne Mondoloni
- Merci.
Emmanuel Kessler
- Y a-t-il des questions dans la salle ?
Je vous remercie d’être assez brefs. Nous allons essayer d’avoir un échange rapide. Il nous reste dix
minutes au maximum.
Isabelle Gougenheim
- Je vous remercie pour cette excellente matinée. Je suis Isabelle
Gougenheim, la présidente d’IDEAS, qui a été évoqué à plusieurs reprises. Je voudrais citer une
petite phrase du président Sauvé que j’ai trouvé extrêmement forte, émouvante.
Je crois qu’Anne, tu y as également réagi.
Vous avez dit : «
placer l’humain au cœur des métiers
». On peut débattre longuement de ce point.
Je voudrais faire deux petits focus dans tout ce qui a été dit. Pratiquement tout le temps, y compris
d’ailleurs avec le Président à l’ouverture, il a été question de l’effort collectif d’amélioration des
bonnes pratiques. Tous les acteurs s’y retrouvent, comme vous l’avez très bien dit pour les Restos
du Cœur ou pour les Apprentis d’Auteuil, dans le contrôle de l’accompagnement. Un travail a
récemment été mené sur la mise à disposition d’outils numériques. Il peut peut-être se poursuivre
au-delà de ces murs.
Le deuxième point qui me paraît très important, c’est l’indépendance. Quand on est tiers de
confiance, il faut vraiment avoir ce souci de l’indépendance. Pour ce qui est d’IDEAS, associations,
fondations et fonds de dotation avec lesquels nous travaillons, nous n’avons aucun lien juridique.
Le comité label est autonome. C’est le jury qui délivre le label, avec des personnalités qualifiées :
Francis Charhon, le président d’Admical qui n’est pas là, Pierre Marcenac puisqu’il y a toujours des
commissaires aux comptes et experts-comptables.
Ma question correspond à un point de vigilance. J’aimerais bien avoir vos réactions. Comment le
résumer très rapidement ? Francis Charhon l’a dit tout à l’heure : le contrôle a un coût. Je simplifie
beaucoup, mais le passage de la subvention à des appels à projets, au financement par fondations
ou d’autres processus, a également un coût. Comment peut-on résoudre cette contradiction ? Je
pense maintenant qu’il faut donc aller assez loin sur l’exigence, qui est bien légitime, que vous avez
tous décrite, de ratio entre la mission et le fonctionnement. Cependant, il ne faut pas se cacher que
les charges sont aujourd’hui très importantes. Nous avons parlé tout à l’heure du règlement
comptable. Il y a de nouvelles exigences qui sont complexes, pour évaluer le bénévolat par exemple.
Je crois qu’il faut vraiment bien creuser ce ratio, pour savoir où est-ce qu’on met le curseur. J’espère
ne pas avoir été trop longue à l’heure où tourne l’horloge.
Anne Mondoloni
- C’est finalement le coût de la gouvernance.
Patrice Douret
- En toute modestie, je crois que le coût du contrôle aujourd’hui n’a rien d’égal au
coût humain de la perte d’une association dans ses missions sociales. Aujourd’hui, il est beaucoup
plus important pour nous d’avoir à mettre en place des niveaux de contrôle. Il y en a plusieurs
comme je l’ai évoqué. Certains sont coûteux en temps, en investissement et en charges. Cependant,
aux Restos du Cœur, au regard de la confiance que nous apportent nos partenaires, les donateurs,
l’État, l’Europe – puisque l’Europe fournit, par le biais du FEAD, un repas sur quatre aux Restos du
Cœur – cela n’a pas d’égal. La nécessité de ce contrôle, pour moi, est primordiale, quels que soient
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les niveaux de contrôles, internes ou externes, pour garantir la continuité de nos missions. En effet,
une fois de plus, comme le disait le président Sauvé, au bout de la ligne, il y a d’abord et avant tout
1,2 million de personnes qui comptent sur nous.
Emmanuel Kessler
- Je vais regrouper quelques questions…
Il y a peut-être encore une question dans la salle ?
(Il n’y en a pas.)
Emmanuel Kessler
- Des questions nous sont arrivées sur Internet :
« Dans la continuité de l’analyse
de la pertinence des projets, existe-t-il des bonnes pratiques de l’efficacité opérationnelle de ces
projets ? Quelles sont les techniques de communication utilisées pour stimuler les dons ? »
Anne Mondoloni
- C’est une question sur l’évaluation de l’impact.
Emmanuel Kessler
- Si quelqu’un veut répondre rapidement, il en restera deux dernières.
Patrice Douret
- Au-delà de toutes ces valorisations comptables, depuis quelques années, nous
avons mis en place plusieurs projets de mesure de l’empreinte, de l’efficacité, de l’utilité sociale de
nos actions. L’une a particulièrement été réalisée sur une centaine de chantiers d’insertion. Elle a
permis de mettre en avant au moins trois sujets : la dignité qui a été retrouvée ; le chemin du retour
à l’emploi qui est parfois difficile à parcourir ; Et l’utilité sociale de ces chantiers d’insertion qui
réside notamment dans la production de fruits et légumes qui rentre complètement dans un
process d’amélioration de la qualité alimentaire.
Je citerai une étude en cours, avec un partenariat inter-associatif, sur la mesure de cette empreinte
sociale qui est indispensable, notamment avec la Croix-Rouge, les Petits frères des pauvres et
Emmaüs. C’est une étude en cours sur laquelle nous communiquerons en priorité en direction de
nos donateurs. C’est essentiel.
Jean-Marc Sauvé
- Je pense que l’évaluation de l’impact social des projets qui sont financés par
l’appel à générosité publique est un impératif face auquel on ne peut pas aujourd’hui se dérober.
Au-delà même de la communication financière, il y a là vraiment une exigence que nous devons
prendre en compte. C’est une exigence éthique. Et c’est une attente de la part de nos donateurs. Il
faut vraiment développer cette mesure de l’impact social pour nos projets, nos grands projets.
Benoît Miribel
- Nous avons vu naître IDEAS. Ces outils sont indispensables. Comme nous
l’évoquions au départ, je pense qu’ils nous permettent de récupérer de la liberté, de la marge de
manœuvre. Plus des outils sont installés, plus ils permettent une fluidité sur le projet et donc sur la
finalité de ce qui est fait, de ce que j’appelle la « pertinence ». Cela se mesure avec de l’impact.
C’est un sujet.
Je mentionnais rapidement l’exemple de puits. Vous faites des puits. Vous avez des factures et de
la communication. Cependant, sont-ils utilisés par les personnes ? Ce n’est pas le cas si vous avez
juste décidé de faire des puits. À chaque fois, quelle est la pertinence ? Quelle est la finalité ? Avec
la notion d’impact, il y a une certaine liberté d’entreprendre, une marge positive, mais on peut se
poser des questions.
C’est là où dans tous les domaines, nous avons un travail à faire, avec le souci de la prévention. Je
pense que les Restos du Cœur ne se satisfont pas de voir le nombre de personnes augmenter
chaque année. Cela n’a pas été créé pour cela. C’est donc la prévention. C’est pareil pour Sidaction.
C’est pareil pour les jeunes qui ont besoin d’accompagnement. Finalement, au-delà de l’aspect
financier, nous sommes donc dans un travail avec les pouvoirs publics, avec les collectivités locales,
dans ce dialogue autour des projets, de ce qui est mis en œuvre.
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Encore une fois, nous avons besoin d’une fluidité, d’une simplification dans la façon d’agir par des
principes de confiance qui sont présents. En effet, s’il y a des outils, nous pouvons être en confiance
pour gagner en suivi et surtout en impact projet, pour l’affectation de moyens, avec des finalités
dont nous pouvons ouvertement parler. Aujourd’hui, en tant qu’acteurs publics, nous pouvons
ouvertement parler de certaines pratiques, par exemple pour des jeunes sur les territoires.
Je trouverais très intéressant que sur différentes thématiques, nous soyons à la croisée des
chemins, sur les projets qui nécessitent un appel encore plus important de personnes, notamment
d’acteurs privés, qui, pour certains d’entre eux, ont les moyens, ne sont pas au courant, sont
éloignés de tout cela. Je pense qu’ensemble, nous avons la responsabilité de les attirer.
Bien sûr, on défiscalise un don, mais il y a au départ l’engagement d’une personne, d’une entreprise,
qui fait cet effort malgré tout, qui est un contribuable par ailleurs. Il faut continuer à encourager,
en confiance, avec une bonne communication, pour l’impact, puisque tous ces outils sont là pour
ces accompagnements.
Je dirais donc que c’est un message positif et dynamique que nous devons faire passer à travers le
don, pour qu’il soit encore plus utilisé. C’est notre responsabilité commune. En tout cas, je pense
que nous avons cette capacité-là, ensemble.
Emmanuel Kessler
- Je vous livre deux dernières questions, parce qu’il faut vraiment terminer. Cela
rejoint des sujets déjà évoqués :
« Bonjour. La collecte en mode prospection coûte très cher. Pour
une structure qui se crée, quel ratio estimez-vous correct pendant les trois premières années ? ».
L’autre question est peut-être plus technique :
« Que comptent faire les corps de contrôle - Cour des
comptes, IGAS - par rapport aux organismes publics qui sont de plus en plus nombreux,
établissements publics, collectivités publiques, à collecter des fonds auprès du public et des
entreprises, et qui se dispensent des obligations des lois de 1987 et de 1991 ? À quelques exceptions,
ils ne font pas de compte d’emploi des ressources. Et quand rarement, on retrouve leurs comptes,
ceux-ci ne mentionnent pas spécifiquement les dons et les legs reçus ».
Nous n’allons pas nous lancer dans un trop grand débat.
Anne Mondoloni
- Je vais dire un mot sur la deuxième question, sur laquelle je me permets de
prendre la parole. Elle a l’air très précise et correspondre à une situation bien particulière que la
personne qui pose la question a en tête. C’est un peu délicat d’y répondre. Je donne une indication
qui me vient à l’esprit : les organisations publiques rendent compte d’une autre manière. Je ne sais
pas à quoi pense cette personne. Il existe d’autres régimes de reddition de comptes pour les
organismes qui ne relèvent pas de la comptabilité privée. Dans cette table ronde, nous sommes
plutôt dans le champ de la comptabilité privée.
Béatrice Buguet-Degletagne
- J’apporte quand même un élément complémentaire. Il est vrai que
la loi de 1991 a ceci de remarquable, y compris dans sa rédaction, qu’elle s’adresse aux
« organismes », notion qui n’est pas juridique. Toute entité – terme encore moins juridique – qui
fait appel à la générosité du public est soumise aux dispositions de la loi de 1991. Il y a un côté
exhaustif qui, du point de vue du donateur et du point de vue des corps de contrôle, est très
satisfaisant. En revanche – et cela fera une transition avec la table ronde de cet après-midi – certains
des textes intervenus ultérieurement à la loi de 1991 visent spécifiquement telle ou telle catégorie
d’organismes ; c’est perturbant, parce que lorsqu’on regarde la totalité des obligations, il n’y a pas
d’homogénéité.
Mon voisin pourra peut-être le préciser. Je vous donne un exemple un peu pointu. Il y en a d’autres.
Les fonds de dotation, jusqu’à une époque récente – je ne sais pas si cela a changé – avaient
l’obligation d’établir un compte d’emploi de ressources. Et le cas échéant, s’ils le publiaient, ils
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n’avaient pas d’obligation de publier en même temps le rapport du commissaire aux comptes. Cala
a peut-être changé très récemment mais c’est un peu curieux.
Nous pourrions être plus techniques et entrer dans le champ d’application de différentes mesures
pour constater qu’effectivement, elles ne sont pas homogènes. Or il y a parmi les organismes faisant
appel à la générosité du public des associations, des fonds de dotation, mais aussi des mutuelles,
des structures hospitalières, des groupements non identifiés. C’est extrêmement large et c’était un
grand mérite de cette loi de 1991, précisément, de ne pas s’arrêter à tel ou tel type juridique
d’organismes.
Joël Fusil
- Effectivement, sur un certain nombre de sujets, il y a un problème d’alignement des
textes entre les différentes entités juridiques. Nous y travaillons à la Compagnie nationale des
commissaires aux comptes pour essayer de communiquer avec les ministères concernés, mais aussi
avec les corps de contrôle, pour pouvoir y voir clair. Parfois, nous pouvons nous perdre dans des
rédactions qui datent et qui ne nous permettent pas d’aligner toutes les entités sur le même sujet,
que ce soit au niveau des seuils ou bien des obligations elles-mêmes.
Le sujet des ratios est sensible, mais il convient de rappeler qu’il est peu opportun, voire peu
pertinent, de comparer deux entités entre elles sur la base des seuls ratios. Je trouve que c’est ce
que font parfois un peu trop rapidement des journalistes. Chaque entité a son histoire, a son
organisation, a son mode opératoire. On ne peut pas comparer une fondation qui finance de la
recherche avec une association, une fédération, qui a une centaine de délégations départementales
pour peut-être, quelque part, faire la même chose. Les organisations ne sont pas les mêmes.
Comparer entre deux entités sur la base des ratios est très franchement peu pertinent.
Maintenant, les ratios permettent tout de même de fixer des objectifs, parce qu’effectivement, le
don versé par le donateur est censé être utilisé au maximum pour la cause pour laquelle a été reçu
un message d’appel à générosité. Cependant, il y a des situations qui font qu’à un moment donné,
une association, une fondation, a besoin d’investir, a des coûts supplémentaires. Elle peut devoir
investir soit dans des nouveaux donateurs pour maintenir et pérenniser son activité, soit dans des
outils informatiques. Il faut accompagner cela dans le cadre de la communication financière. Il faut
expliquer pourquoi le ratio évolue d’une année sur l’autre. Bien sûr, il faut essayer de consacrer le
maximum à l’intérêt général. Toutefois, aujourd’hui, les associations et fondations qui permettent
d’assurer cet intérêt général sont, pour une partie d’entre elles, de grandes structures avec des
organisations assez complexes pour mener à bien leur projet. Il ne faut pas l’oublier et il faut
l’expliquer dans les éléments de communication financière.
Benoît Miribel
- Pour appuyer ce que vous dites, on ne peut pas additionner des ratios. Les projets
sont différents. Il y en a qui font beaucoup de formations. Pour d’autres, ce sont plus de produits.
En revanche, il faut expliquer et nous avons une responsabilité. Nous le faisons pour les donateurs,
mais aussi avec les bénéficiaires. Nous n’avons pas parlé des bénéficiaires. De plus en plus,
s’instaure ce dialogue entre des bénéficiaires et des donateurs. Il ne faut pas non plus être sous un
diktat des donateurs. Il faut un dialogue et un cheminement ensemble. Nous voyons bien ce besoin
d’accompagnement et tout l’intérêt de cette table ronde aujourd’hui.
Emmanuel Kessler
- Nous allons nous arrêter là.
Anne Mondoloni
- Merci infiniment à chacun d’entre vous pour cette table ronde.
Merci à ceux qui nous ont suivis.
Je vais appliquer la méthode de Robert de Nicolay : je ne vais pas conclure. Beaucoup d’éléments
ont été apportés en réponse au thème de notre table ronde.
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
(Applaudissements.)
Emmanuel Kessler
- Merci à tous les six.
Je vous propose de nous retrouver dans cette salle pour la suite de ce colloque, que vous pouvez
bien sûr toujours suivre en visioconférence de là où vous êtes, à 14 heures 30.
Merci.
(Le colloque, suspendu à 13 heures 05,
est repris à 14 heures 35.
)
Emmanuel Kessler
- Bienvenue à tous ceux qui nous rejoignent. Nous sommes ravis de poursuivre
cette journée avec ceux qui sont là depuis ce matin, y compris ceux qui nous suivent en
visioconférence. Le thème de la réflexion de ce jour est : « Garantir le bon emploi des dons des
citoyens ».
Nous avons eu deux tables rondes, notamment consacrées à l’origine de la loi de 1991 dont nous
marquons les 30 ans aujourd’hui par ce colloque qui a institué le regard de la Cour des comptes ou
contrôle sur l’ensemble des structures, fondations, associations appelant à la générosité du public.
La première séquence de ce matin portait sur la genèse de cette loi, ses difficultés et la manière
dont elle s’est mise en place, notamment à partir de ce que l’on avait appelé à l’époque le scandale
de l’ARC. Il a été souligné à quel point l’ARC tel que nous le connaissons aujourd’hui ne ressemble
plus à ce qui a été au départ un traumatisme et qui a permis à ce secteur de se structurer.
Dans un deuxième temps, nous avons pu échanger avec les actrices et les acteurs de ce secteur sur
les bonnes pratiques, la façon dont les choses avaient progressé, la transparence, la relation aux
donateurs, l’articulation entre les différentes instances de contrôle et la gouvernance de ces
structures.
Cet après-midi, nous allons davantage nous projeter vers l’avenir et voir comment ce cadre législatif
ainsi que les prérogatives des uns et des autres, en particulier celles de la Cour des comptes dans
le regard qu’elle porte sur le secteur, peuvent évoluer dans les années à venir face à cet impératif
de continuer à maintenir, les Français y sont attachés car de plus en plus nombreux à donner, un
secteur de générosité publique vivace et performant.
Avant de vous présenter ceux qui nous ont rejoints cet après-midi, je vous propose de regarder une
courte vidéo, puisque nous avons pu interroger les Françaises et les Français, certains d’entre eux,
sur la manière dont ils perçoivent aujourd’hui ces appels à la générosité publique, ce rôle des
associations et des fondations.
(Diffusion d’une vidéo.)
Ces témoignages intéressants, qui montrent que les rapports de la Cour sont lus, ont été recueillis
par Laure Michelet et Émile Lombard.
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
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TABLE RONDE : QUELLES EXIGENCES AUJOURD’HUI POUR LE
DÉVELOPPEMENT DE LA GÉNÉROSITÉ PUBLIQUE ?
Animateur
•
Antoine Durrleman, président de chambre honoraire à la Cour des comptes
Intervenants
•
Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques
•
Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques
•
Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de section honoraire au Conseil d’État
•
Pierre Sellal, président de la Fondation de France
•
Pierre Siquier, président de France générosités
Emmanuel Kessler
- Nous a rejoint autour de cette table, pour modérer les discussions, Antoine
Durrleman, président de chambre honoraire à la Cour des comptes. Vous avez présidé les travaux
de la formation inter-chambres « Mécénat » qui a rendu son rapport en novembre 2018. Vous avez
également présidé les travaux de la formation inter-chambres sur Notre-Dame qui a fait l’objet d’un
rapport en septembre 2020. Vous avez piloté de nombreux contrôles, sur la fondation Agir contre
l’exclusion - FACE, sur la fondation d’entreprise Louis Vuitton ou la fondation du Patrimoine, avec
une connaissance très exhaustive de ces sujets, à la fois lorsque les choses se sont bien passées et
lorsque les choses ont été plus difficiles. Votre expérience sera importante pour nous guider vers
les exigences d’aujourd’hui et de demain pour le développement de la générosité publique.
À vos côtés, se trouve Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques. La direction
générale des finances publiques est le lieu d’analyse de la dépense fiscale liée aux dons, que nous
évoquions ce matin, avec un élément d’actualité sur lequel vous reviendrez probablement, à savoir
les dispositions qui concernent ce secteur dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des
principes de la République, et les prérogatives qui vont revenir à la DGFIP.
Pascale Léglise est avec nous, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère
de l’Intérieur. Vous avez sous votre autorité le bureau des associations et des fondations, vous
suivez donc pour l’Intérieur le secteur de la générosité publique souvent en lien avec les
préfectures. Votre regard porte en particulier sur les fondations reconnues d’utilité publique.
Nous accueillons Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de section honoraire au Conseil d’État
qui joue un rôle de régulateur du secteur à travers les textes qu’il met en place. Votre expertise du
secteur des associations et fondations est particulièrement reconnue. Vous avez écrit de nombreux
articles à ce sujet, et vous avez mis au point le statut type des fondations. Vous avez créé la
fondation du Patrimoine et avez été directrice du patrimoine au ministère de la Culture.
Pierre Siquier, président de France générosités qui réunit les grandes associations et les grandes
fondations sur leurs préoccupations d’intérêts communs, est un interlocuteur reconnu et très
important pour l’ensemble des pouvoirs publics. Vous avez présidé la fondation Nicolas Hulot.
Pierre Sellal, ambassadeur de France, président de la Fondation de France depuis 2017, vous avez
une longue carrière diplomatique à votre actif : secrétaire général du quai d’Orsay, représentant de
la France auprès de l’Union Européenne. Rappelons que la Fondation de France est la première des
fondations créées en France en 1967 à l’initiative d’André Malraux. C’est une fondation qui vient
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
de faire l’objet d’un contrôle et d’un rapport de la Cour des comptes, publié récemment, et qui
compte aussi près de 900 fondations abritées.
J’excuse la députée Naïma Moutchou et le sénateur Albéric de Montgolfier qui n’ont pu, pour des
raisons totalement indépendantes de leur volonté, au dernier moment, rejoindre notre assemblée
aujourd’hui et participer à ce débat.
Monsieur Durrleman, je vous passe la parole pour situer en quelques mots les enjeux du débat de
cet après-midi, qui va nous conduire jusqu’à 16 heures 30, puisque nous accueillerons avec le
Premier président la ministre Sarah El Haïry vers 16 heures 45, après la conclusion de Catherine
Démier, présidente de la cinquième chambre.
Antoine Durrleman
-
La table ronde de cet après-midi s’inscrit dans le droit fil des deux tables
rondes de la matinée.
La première table ronde, celle qui a fait un retour sur la situation à la fin des années 1980 et au
début des années 1990, a mis en lumière combien le paysage de la générosité publique était, à ce
moment-là, à la fois proche et lointain pour nous déjà, compliqué. Il y avait à la fois une forte
montée de la générosité publique, une diversification des modes de collecte, une multiplication des
organismes collecteurs et en même temps une difficulté de régulation qui avait donné lieu -
l’expression a été utilisée ce matin - à des « accidents de parcours ». Beaucoup ont fait ce matin
référence à l’ARC, plus exactement l’ancienne ARC. Nous avons vu dans le micro-trottoir réalisé à
la Cour des comptes au moment des journées du patrimoine et qui a été diffusé tout à l’heure,
combien la mémoire des difficultés alors mises en évidence reste forte. Elles ont fait apparaître une
nécessité de régulation, traduite par la loi du 7 août 1991.
La
deuxième
table
ronde
a
montré
toute
la
dynamique
de
responsabilisation,
de
professionnalisation en termes à la fois de bonnes pratiques, de procédures de contrôle interne et
de contrôle externe qui s’est développée depuis cette période. Pourtant, malgré l’intervention des
textes et le développement des bonnes pratiques, peut-on dire que nous sommes aujourd’hui
complètement en l’état de l’art ? Peut-on dire que nous sommes en situation d’éviter un risque
industriel qui entraînerait de nouveau pour l’ensemble du secteur de la générosité publique, un
recul des dons par perte de confiance ? Il était rappelé ce matin qu’il a fallu après l’ARC des années
pour que la générosité publique retrouve une dynamique.
C’est là le sujet de notre table ronde : vérifier si nous sommes en état de l’art. Si nous ne sommes
pas à même de faire face à la montée de nouveaux risques, comment imaginer des pistes
d’évolution pour nous mettre mieux en situation d’éviter des « accidents industriels » qui
pourraient apparaître ? C’est d’autant plus important que, c’était rappelé également ce matin, la
générosité publique a connu pendant l’épidémie de Covid un élan très net et très sensible qui
témoigne de la confiance de nos concitoyens dans l’action concrète des organismes collecteurs.
Deux mots d’abord sur le paysage et les nouveaux risques évoqués ce matin. Nous voyons bien que
le paysage est devenu de plus en plus complexe, parce qu’il existe à la fois une multiplication des
organismes faisant appel à la générosité publique, non seulement sur un plan numérique mais aussi
au regard d’une diversité croissante de leurs statuts. Il y a de plus une porosité grandissante dans
les différentes formes d’organismes collecteurs. Elle résulte d’une forme de scissiparité ; nous
l’avons aussi évoquée en fin de table ronde tout à l’heure. Une fondation reconnue d’utilité
publique peut être en lien privilégié avec une association, pas nécessairement reconnue d’utilité
publique. Cette fondation peut également créer à côté d’elle un fonds de dotation. Là où
auparavant nous avions une forme d’unicité de l’organisme qui se présentait au donateur, nous
pouvons voir apparaître aujourd’hui, et c’est parfois affirmé comme un objectif, une organisation
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en groupe. Un groupe aux relations internes mal connues, avec la question de savoir vers où, vers
quoi, vers quelle structure va véritablement l’argent issu de la générosité du public.
Un deuxième facteur dont il convient de prendre toute la mesure réside dans le changement qui
est intervenu ces dernières années dans l’origine des dons, en particulier à la suite de la loi Aillagon
qui a considérablement renforcé les incitations au mécénat des entreprises. Très longtemps, dans
notre pays, les dons ont été essentiellement ceux des particuliers. L’encouragement fiscal a été
avant tout à l’origine conçu pour faciliter le don du particulier. Nous avons vu se développer, en
particulier depuis 2003, l’essor du mécénat des entreprises avec de puissantes incitations fiscales.
Il est important aujourd’hui, à la fois en termes de nombre d’entreprises mécènes mais également
en termes de fonds apportés à des causes d’intérêt général, mais mal connu et peu contrôlé.
Troisième caractéristique du paysage actuel : on peut avoir un sentiment de dissymétrie dans les
exigences de transparence qui sont assignées aux différents acteurs du système. Certaines
institutions ou organismes sont très règlementés dans leur création et très contrôlés dans leur
activité ; d’autres peuvent être créés de façon beaucoup plus simple, avec des exigences de
fonctionnement beaucoup plus souples, avec des montants financiers moins importants qui
rendent beaucoup plus facile la création de ces institutions. Il y a ainsi une dissymétrie de plus en
plus marquée dans le cadre de transparence qui est assigné aux unes en comparaison aux autres.
Enfin, dernier point, la distinction de l’intérêt général et de l’intérêt particulier est devenue moins
simple. L’intérêt général se définit par une cause désintéressée et d’ordre supérieur qui s’inscrit
dans le champ large de la philanthropie et qui peut être humanitaire, sociale, culturelle, visant au
développement du progrès de la connaissance et de la science. Toutefois, cette évidence se brouille
avec le développement de nouvelles formes d’interventions. On parle aujourd’hui de responsabilité
sociale des entreprises, d’entreprises sociales et solidaires, de sociétés à mission qui se
reconnaissent statutairement un objet social ou environnemental. Il en résulte une forme
d’indétermination des périmètres. En tout cas, la frontière qui était assez claire auparavant entre
l’intérêt particulier et l’intérêt général tend à s’estomper, pour le moins à se brouiller.
A ce paysage qui change s’associent de nouveaux risques, qui viennent se superposer aux anciens.
Nous avons évoqué ces derniers ce matin : le mésusage, qui peut aller jusqu’au détournement.
C’est la forme ultime que prend une escroquerie à la charité publique. Aujourd’hui, la question qui
se pose est, pour une partie aussi, celle du désintéressement. Ce n’est pas nécessairement un
danger d’accaparement par un particulier en tant que tel, mais plutôt le risque qu’une action ne
soit pas complètement désintéressée et soit mise au service, par exemple, d’un développement
d’activités de type commercial. Ou, sans même aller jusque-là, l’éventualité que, dans la
gouvernance même du monde associatif, la notion de conflit d’intérêts, qui devient si importante
dans beaucoup de domaines de l’action publique pour précisément garantir l’intérêt général, soit
parfois perdue de vue, en tout cas ne soit pas ou pas suffisamment identifiée en tant que telle pour
faire l’objet de dispositifs de prévention. Vous le savez, les nouveaux statuts-types des fondations
reconnues d’utilité publique, tels qu’issus des travaux du Conseil d’État de juin 2018, et des
associations reconnues d’utilité publique qui prévoient des dispositions à cet égard ne s’appliquent
qu’aux nouvelles créations et ne s’appliquent pas systématiquement, sauf modification, bien sûr,
de leurs statuts, aux fondations et associations préexistantes.
Au regard de ces nouvelles problématiques, de ces nouveaux risques, sommes-nous à la hauteur
des enjeux en termes de prévention, de contrôle et de sanction ?
Je souhaite en particulier dire un mot des questions de sanctions, car nous avons peu abordé ce
sujet ce matin. Il a simplement été rappelé que le dispositif de la loi de 1991 s’est voulu un dispositif
incitatif visant à promouvoir les bonnes pratiques, mais sans sanction. Faute de temps, nous
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n’avons pu évoquer le fait qu’à la suite d’un contrôle de la Cour des comptes sur la Société
protectrice des animaux, qui avait montré une situation qui était tout à fait anormale ou, pour
reprendre une expression de la Cour, très scandaleuse, un amendement parlementaire a doté la
Cour d’une nouvelle compétence de proposition de sanction. Elle ne peut pas directement
prononcer une sanction mais peut décider de proposer une sanction, en ayant la possibilité
d’assortir les déclarations de non-conformité dans l’usage des dons, d’une proposition au ministre
chargé du budget de suspension des avantages fiscaux pour les dons à venir au profit de cet
organisme pour une certaine durée.
La Cour a été extrêmement circonspecte dans le maniement de ces nouvelles compétences. Depuis
2009, elle n’a rendu que quatre déclarations de non-conformité, dont la dernière concernant la
fondation Agir contre l’exclusion en mars 2019
4
. Force est de constater que ce dispositif n’a jamais
fonctionné, en tout cas que le ministre chargé du budget n’a pas souhaité jusqu’à maintenant suivre
les propositions de suspension des avantages fiscaux qui lui ont été faites par la Cour. S’agissant de
la fondation Agir contre l’exclusion, le sujet reste toutefois toujours pendant, puisqu’il n’y a pas eu
de réponse du ministre à la proposition qui avait été adressée par la Cour.
Peut-on continuer à avoir un dispositif de contrôle qui ne soit assorti d’aucune sanction ? Comment
imaginer des sanctions adéquates ? Qui doit prononcer une sanction ? C’est évidemment une
question qui se pose. Il a été rappelé ce matin que la Cour des comptes avait été retenue comme
une institution indépendante pour précisément examiner le bon usage des fonds publics. Si ce n’est
pas elle, alors qui ?
Voilà l’introduction que je souhaitais faire pour lancer cette table ronde. Nous allons l’organiser en
deux séquences, avec d’abord le point de vue des acteurs associatifs. La parole sera en premier à
Pierre Siquier, en tant que président de France générosités, puis à Pierre Sellal, en tant que
président de la Fondation de France. Interviendront ensuite Pascale Léglise, en tant que régulatrice
d’ensemble du système des associations et fondations, puis Jérôme Fournel sous l’angle du contrôle
de la dépense fiscale et de sa régularité, avant que la parole ne soit à Maryvonne de Saint
Pulgent pour un propos en forme tout à la fois de conclusion, d’analyse et de proposition car il n’est
pas nécessaire de rappeler toute l’importance de son apport à l’évolution des dispositifs rappelés
ce matin.
Entre chacune de ces séquences, il y aura place pour des échanges.
Emmanuel Kessler
- Vous pouvez continuer à nous adresser vos questions sur le tchat qui
accompagne la diffusion sur les réseaux sociaux et les différents canaux numériques, notamment
le site de la Cour des comptes.
Antoine Durrleman
- Je donne la parole à Pierre Siquier, en tant que représentant de France
générosités, qui regroupe, vous me corrigerez si je me trompe, 120 des grandes institutions du
secteur.
Pierre Siquier
- Exact.
Antoine Durrleman
- Il a donc une vue à la fois précise, panoramique et transversale du paysage de
la générosité aujourd’hui.
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Précision : la dernière déclaration de non-conformité est celle de l’association SOS Éducation en
2020.
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Pierre Siquier
- Vous avez fait une synthèse quasiment parfaite des problématiques que nous
pouvons rencontrer dans le secteur. Ce sera dur d’être original dans mes analyses.
Le président Moscovici a donné tout à l’heure quelques chiffres sur la générosité depuis quelques
années et, en dehors du trou d’air en 2018 avec la fin de l’ISF, nous sommes en progression
constante. Le baromètre de France générosités de 2020 fait état d’une progression de la collecte
de +13 % avec Covid et + 8 % sans Covid. Les derniers chiffres de Bercy sont cohérents avec cela,
puisqu’ils font état de + 7 % sur les foyers bénéficiant de la défiscalisation.
Cela veut dire que nous sommes dans un trend plutôt favorable, avec une certaine vitalité, un
certain dynamisme, indiscutablement. Pourquoi les gens ont-ils donné malgré tout ce qu’il se passe
avec ce monde déstructuré et fragmenté, ainsi que la situation de crise sanitaire ? Parce qu’ils ont
confiance. Le mot « confiance » pour nous est totalement lié au don. On ne peut pas donner si l’on
n’a pas confiance et réciproquement. La confiance dans les associations est d’ailleurs confirmée par
un certain nombre d’études que font les instituts d’opinion. Ces instituts d’opinion montrent dans
leurs dernières études que 50 et quelques pourcents des Français font confiance à leurs
associations. C’est très loin du compte par rapport aux hommes politiques ; nous sommes donc
plutôt bien placés.
Pourquoi ont-ils confiance ? Je vais rebondir sur une de vos réflexions : nous sommes
définitivement des organisations à gestion désintéressée, à gestion non lucrative, et nous en
sommes les défenseurs acharnés. C’est pourquoi cela nous agace profondément quand nous
commençons à voir un certain nombre de structures qui voudraient bien bénéficier des mêmes
avantages que nous, qui voudraient se glisser en termes d’image dans la non-lucrativité. Ils vont
nous rencontrer, parce que le secteur, et je ne parle pas que de France générosités, sera très vigilant
sur la non-lucrativité et sur la gestion désintéressée. Nous n’avons pas de dividende, nous n’en
distribuons pas, nous n’avons pas de valeur patrimoniale. Nous sommes absolument convaincus du
schéma de la gestion désintéressée aujourd’hui. Il faut être très clair. Nous avons entendu parler
récemment d’une initiative de la Commission européenne qui discuterait d’une certaine lucrativité
limitée. J’étais dans l’entreprise, et je peux vous dire que vous êtes lucratif ou vous ne l’êtes pas.
Vous faites ce que vous voulez de vos dividendes, et vous en distribuez beaucoup ou non, mais si
vous le faites, vous êtes dans la lucrativité. Je voulais répondre à cela car c’est un des points d’entrée
de notre secteur. La zone grise est là et il ne faut pas que nous la laissions arriver.
Deuxièmement, nous avons beaucoup abordé ce matin les contrôles qui sont issus de notre secteur,
par les deux organismes de contrôle que sont IDEAS et le Don en confiance, et cela implique des
administrateurs compétents et des commissaires aux comptes. Toute cette action à l’intérieur de
notre secteur fait que nous sommes très vigilants sur la manière dont nous nous comportons. Il
existe beaucoup de chartes éthiques sur un certain nombre de sujets : une sera par exemple
développée sur la collecte de rue et une autre, dans une collaboration entre le Don en confiance et
Admical, sur le mécénat. Nous sommes donc vigilants à l’intérieur de notre secteur sur ces
problématiques.
Évidemment, la Cour des comptes et ses contrôles sont des éléments-clés pour nous. Je réitère la
confiance totale que nous avons dans les contrôles de la Cour, d’autant plus qu’elle se prononce,
ce qui est très intéressant, en débat contradictoire et en collégialité.
Même si cela ne plaît pas, que
les contrôles sont un peu durs et un peu longs, nous sommes contents d’avoir un contrôle
contradictoire et collégial. Ce qui nous inquiète un peu plus, à dire vrai, c’est la loi sur le respect des
principes républicains qui n’a pas l’air de donner beaucoup de place au contradictoire dans les
interventions de Bercy sur le sujet ; nous en reparlerons peut-être.
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Voilà donc notre état d’esprit. Les contrôles sont contraignants et longs, mais ils sont
indispensables. Nous pourrions proposer, cela a justement été un peu évoqué, de créer un groupe
de contact, comme on dit dans la diplomatie, entre la Cour des comptes et nos organisations, pas
seulement France générosités mais l’ensemble des organisations, qui discuteraient et
accultureraient les contrôleurs. C’est valable pour les autres parties de l’administration. Je pense
d’ailleurs à Bercy, avec qui nous avons des discussions en bilatéral assez profondes sur un certain
nombre de choses. Nous pourrions imaginer une espèce de groupe de contact, à moins de trouver
un terme plus sympathique, entre notre secteur et les différentes administrations, en particulier la
Cour des comptes.
Cela rejoint une préoccupation que nous avons tous dans le secteur : l’éducation à la philanthropie.
Nous sommes très différents du monde anglo-saxon : il n’y a pas d’éducation à la philanthropie à
l’école, il n’y en a pas non plus dans l’enseignement supérieur. Nous proposerons, dans le plaidoyer
que nous ferons pour la présidence future, d’intégrer des modules de formation, par exemple, à la
nouvelle école d’administration
5
qui sera installée bientôt. Il ne serait pas stupide de mettre les
modules de philanthropie dans cette école, et nous le faisons d’ailleurs déjà avec l’Institut de
formation des notaires, et cela fonctionne très bien. Du coup, il y a une acculturation au secteur
particulièrement intéressante.
Enfin, vous l’avez souligné, Monsieur le président, il y a une espèce de multiplication des structures
aujourd’hui. Pour donner un chiffre, il y a environ 600 FRUP aujourd’hui. Entre 2011 et 2020, les
fonds de dotation sont passés de 852 à 2 572. Or, la Cour ne contrôle pratiquement que les FRUP
et les grosses organisations, mais pas du tout ces 2 500 fonds de dotation qui, aujourd’hui, sont
plus faciles à créer, sont moins coûteux et n’ont pas une gouvernance aussi précise que la nôtre. Je
sollicite la Cour pour le contrôle de ces fonds de dotation. Je crois savoir que vous vous préoccupez
un peu de ce sujet, mais je pense que nous avons tout de même des progrès à faire. Nous n’avons
aucun intérêt à ce que les contrôles ne s’arrêtent que sur une partie de notre spectre de statuts
car, comme cela a été dit ce matin, le moindre incident dans nos fondations ou dans nos
associations rejaillit sur tout le secteur. Nous ne pouvons donc pas nous permettre cela, et il nous
faut une vision du contrôle assez globale. Cela implique peut-être que le mode de contrôle des
structures plus petites soit différent de cela aujourd’hui, car elles n’ont sûrement pas les moyens,
comme le disait Francis Charhon, de payer un contrôle à la Fondation de France.
Antoine Durrleman
- Merci beaucoup.
Vous avez dessiné un éléphant dans la pièce, si je comprends bien et, à la dimension de la
Grand’chambre, ce n’est pas rien. Vous avez insisté sur un besoin d’accompagnement et de
formation, même au sein de cet Institut national du service public qui va succéder à l’école que j’ai
eu l’honneur de diriger. Mais vous paraît-il suffisant de conserver un dispositif d’encouragement et
incitatif aux bonnes pratiques, ou considérez-vous qu’il faille imaginer une forme de sanction dans
les cas particulièrement graves et douloureux ? En effet, soyons clairs, quand il y a des écarts graves
au regard des problématiques de gestion désintéressée, c’est évidemment toujours douloureux.
Vous avez peut-être un peu esquivé ce point…
Pierre Siquier
- Non, je ne vais pas l’esquiver.
Oui, nous sommes favorables à des sanctions. Si on sort de l’intérêt général et de la gestion
désintéressée, il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas de sanction. Nous sommes d’accord à ce sujet,
car cela correspond exactement à la dose de confiance qu’il faut ou qu’il ne faut pas. Si les décisions
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L’Institut national du service public (INSP).
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sont à mi-chemin, avec le verre à moitié plein, la confiance va partir progressivement. Oui, nous
sommes pour les sanctions. Évidemment, il faut discuter car les remarques que vous faites à la Cour
ne sont pas toujours aussi graves. Toutefois, quand il y a un cas grave, il faut sanctionner, oui.
Antoine Durrleman
- Je vous remercie de la clarté de cette réponse qui aide à la clarté du débat.
Je vais ensuite donner la parole à Pierre Sellal en sa qualité de président de Fondation de France,
mais aussi au regard de l’importance que la Fondation de France a toujours accordée à son rôle
particulier d’observatoire des générosités publiques.
Pierre Sellal
- Merci, Monsieur le président. Merci, Mesdames et Messieurs, de m’accueillir à cette
table ronde.
J’ai écouté avec attention ce que vient de dire le président Pierre Siquier, qui a fait frétiller mes
souvenirs de diplomate quand il évoquait les groupes de contact entre le monde de la fondation et
la Cour des comptes. Le dernier groupe de contact auquel j’ai participé, c’était pour des guerres ex-
yougoslaves, et nous n’en sommes pas tout à fait à ce point dans nos relations réciproques,
néanmoins l’idée est intéressante. (Sourires.)
J’ai également regardé avec beaucoup d’intérêt la vidéo qui introduisait cette séance. Ce qui m’a
frappé, c’est que les deux termes qui revenaient régulièrement étaient « information » et
« confiance », y compris sur leurs liens réciproques. Il ne peut pas y avoir de confiance s’il n’y a pas
d’information suffisante. L’existence d’audits et de contrôles apporte à la fois de l’information et
de la confiance.
Tout l’enjeu, c’est un des thèmes sur lesquels nous devons revenir, c’est de faire en sorte que la
mise en évidence et la publicité autour de ce contrôle qui est nécessaire ne se traduisent pas par
un effet de suspicion généralisé vis-à-vis du secteur. Ce risque est toujours présent, et nous devons
y être attentifs.
Une autre chose m’a frappé dans le propos du président tout à l’heure sur la vulnérabilité du
secteur de la philanthropie. Il y a un point en commun avec l’industrie nucléaire. Un accident a,
quelque part, des effets systémiques sur l’ensemble du secteur. Cela a été le cas des accidents que
chacun a gardé en mémoire s’agissant de l’industrie nucléaire. Cela peut être le cas d’un désastre,
une faute caractérisée d’une organisation appelant la générosité du public, et il est clair que tout le
secteur en subirait les conséquences.
Je vais dire quelques mots sur la Fondation de France, vous me le permettez, car je suis là avant
tout en cette qualité. Cela a été rappelé tout à l’heure dans l’introduction, elle a été créée à
l’initiative du général de Gaulle, en 1969, avec deux objectifs : développer la philanthropie en
France et promouvoir ce que l’on appelait à l’époque un modèle français de philanthropie.
S’agissant du premier objectif, je crois qu’elle a effectivement contribué au développement de la
philanthropie dans notre pays en comparaison à ce qu’elle était dans les années 1960. Le président
Pierre Siquier évoquait les chiffres de cette évolution il y a un instant, et je reviendrai sur le modèle
particulier qu’elle incarne.
En quelques mots, la Fondation de France aujourd’hui, puisque la Cour des comptes a bien voulu
souligner le caractère exceptionnel de son rôle dans le paysage philanthropique français dans le
rapport qu’elle a publié au mois de septembre 2021, c’est 240 à 250 M€ de soutien à des projets
d’intérêt général chaque année ; c’est un bilan que la Cour a bien voulu qualifier de très solide de
2 milliards d’actifs ; ce sont un peu moins de 600 000 donateurs et ce sont surtout, au-delà de ses
salariés et de ses centaines de bénévoles, 940 fondations.
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Si quelque chose représente bien ce modèle spécifique de philanthropie à la française qu’incarne
la Fondation de France, c’est cette articulation entre les programmes propres qui sont ceux que la
Fondation de France conçoit et conduit et qui correspondent à un tiers de son activité aujourd’hui,
et cet écosystème constitué par les centaines de fondations sous son égide.
Cela me conduit à trois observations principales, dont la première pour insister sur la valeur de ce
modèle et la manière dont il doit être appréhendé. Ensuite, j’évoquerai certains aspects liés à la
porosité qu’évoquait le président Antoine Durrleman et les concurrences plus ou moins déloyales
liées aux asymétries qu’il a soulignées plus tôt. Enfin, je ferai une observation à propos des
fondations créées par les entreprises.
S’agissant encore une fois de ce modèle des fondations sous égide, combiné aux programmes gérés
en propre par la Fondation de France, vous connaissez les principes juridiques qui sous-tendent
cette architecture : les fonds individualisés auquel la loi a reconnu l’appellation de « fondation »
n’ont pas de personnalité juridique et la responsabilité juridique et financière de leurs activités est
assumée par la fondation abritante elle-même, en l’occurrence la Fondation de France. Son
président est particulièrement attentif à la réalité de cette responsabilité juridique et financière,
qui implique que des contrôles soient effectués sur l’action de ces fondations, à la fois pour veiller
à ce qu’elles respectent leur objet, veiller naturellement à ce que leurs actions soient désintéressés,
veiller, dans le cadre de la nouvelle loi sur le respect des principes républicains, à ce que leurs
interventions et l’origine de leurs ressources ne soient pas critiquables de ce point de vue, etc.
La limite de ce contrôle, c’est la démarche philanthropique elle-même. Dans nos discussions avec
l’équipe de la Cour qui a audité la Fondation de France pour la dernière fois ces deux dernières
années sur les six exercices précédents, nous avons essayé d’appréhender la manière de combiner
la nécessité du contrôle et l’exigence qui nous semble importante dans la gestion quotidienne de
ces fondations sous égide du respect de l’autonomie de la démarche du fondateur. Nous ne devons
jamais perdre de vue le fait que le geste philanthropique est une décision individuelle et volontaire
d’aliénation d’une partie de son patrimoine de manière définitive au nom d’une cause d’intérêt
général et avec le désintéressement qui doit l’accompagner. Cela signifie, de notre point de vue,
que le contrôle est nécessaire, mais que ses modalités doivent tenir compte de cette réalité très
spécifique de la philanthropie. Le fondateur n’est pas un contribuable.
Il accomplit un geste
volontaire, et la manière dont nous nous efforçons à la Fondation de France d’exercer le contrôle
essaie d’introduire des éléments de respect et d’accompagnement. Cela fixe, au moins dans
l’attitude et les modalités, une limite à ce que l’on peut lui imposer.
De ce point de vue, une observation de la Cour nous avait perturbés : c’est lorsqu’elle estimait
implicitement que les règles de gouvernance caractérisant les fondations d’utilité publique
devaient s’appliquer aux fondations sous égide. Il me semble qu’il n’y aurait pas grand sens à
imposer des gouvernances aussi précises, aussi lourdes que celles qui s’imposent aux FRUP à des
fonds individualisés qui n’ont pas de personnalité juridique, et je crois me souvenir que lorsque
Mme de Saint Pulgent avait présenté il y a trois ans les nouveaux statuts types du Conseil d’État,
elle avait bien insisté sur le fait qu’ils s’appliquent aux FRUP, à savoir à la fondation abritante elle-
même, mais pas aux fondations qui sont sous son égide.
Cette exigence de tenir compte de cette situation est d’autant plus importante, encore une fois,
dans le contexte des concurrences qui peuvent s’exercer aujourd’hui entre diverses manières de
mettre en œuvre un projet de philanthropie, une ambition philanthropique. Aujourd’hui, un
individu, une famille ou une entreprise a le choix entre diverses formes de concrétisation de son
geste philanthropique. De ce point de vue, les facilités offertes par les fonds de dotation sont
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évidemment présentes à son esprit. Comme vous le savez, il existe à Paris plusieurs cabinets
d’avocats spécialisés dans le conseil aux candidats à la philanthropie ou aux entreprises.
Je crois que nous devons nous arrêter un instant sur une situation dans laquelle il y a, encore une
fois pour des raisons parfaitement légitimes, nécessaires et compréhensibles, un appel à
renforcement des contrôles et de l’autre côté une volonté du législateur qui, explicitement, lorsqu’il
a conçu en particulier l’architecture des fonds de dotation, a insisté sur la nécessité de la souplesse,
du pragmatisme et de l’absence de contraintes et de formalisme dans la constitution de ces fonds
de dotation. Cela mérite une réflexion, compte tenu du fait que l’alternative entre la fondation sous
égide et le fonds de dotation est d’autant plus pertinente pour le candidat à la fondation que,
comme nous le savons, il y a eu une tendance à la convergence des incitations fiscales applicables
à chacune des deux formes.
Je me permettrai d’évoquer un autre risque de distorsion lié à la présence, depuis quelques années,
sur ce que nous devons qualifier de marché de la philanthropie en France de fondations
européennes. Je ne suis pas suspect par mon parcours d’être réticent à l’idée d’européaniser nos
pratiques et nos politiques et enclin à développer des réflexes protectionnistes. Cependant, le droit
européen et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne depuis plusieurs années
nous ont conduits à accorder à des fondations européennes équivalentes à nos FRUP la possibilité
de développer des projets en France et la possibilité d’émettre des reçus fiscaux conformément,
encore une fois, aux principes dégagés par la jurisprudence de la Cour, malgré le fait, comme vous
le savez tous, qu’il n’existe pas de droit européen des fondations. C’est un domaine qui s’est révélé
depuis 40 ans totalement rebelle à toute tentative d’harmonisation du droit, dont les traditions
nationales dans ce domaine sont profondément divergentes.
Ce qui m’a un peu surpris ces derniers temps, Monsieur le directeur général des finances publiques,
c’est le fait qu’ait été reconnue à des FRUP européennes non seulement la capacité d’agir en France,
mais aussi de devenir des fondations abritantes. Sur ce point, il s’agit d’une décision purement
nationale. Il n’existe aucune règle de droit européen qui nous obligerait à reconnaître à une
fondation belge ou luxembourgeoise la capacité d’être fondation abritante, mais il faut bien voir
quelles en sont les conséquences.
D’un côté, la Cour a résumé le rapport qu’elle a bien voulu consacrer à la Fondation de France, et
je me réjouis encore une fois qu’il ait été globalement très favorable, en disant que la Fondation de
France doit renforcer son contrôle sur les fondations sous son égide, alors que, de l’autre côté, ces
fondations européennes, de notoriété publique, s’efforcent de séduire les candidats à la création
d’une fondation en disant qu’une fondation sous égide dans cette fondation européenne est par
définition soustraite à toute capacité de contrôle de la Cour des comptes. Je me permets de vous
inviter à une réflexion sur ce sujet.
Le troisième thème porte sur les fondations d’entreprise. Le président Antoine Durrleman a
parfaitement présenté le sujet. Nous avons vécu dans un monde où la répartition des rôles était
assez claire : l’intérêt général, l’intérêt de l’État, les entreprises avaient des activités lucratives et,
s’agissant de la philanthropie, les individus et les entreprises pouvaient contribuer à l’intérêt
général dans des conditions limitées. Aujourd’hui, comme vous l’avez rappelé, il y a une attente du
public et une volonté du législateur de faire en sorte que l’entreprise elle-même, au-delà ou à côté
de son activité propre, lucrative, développe des missions d’intérêt général. C’est la loi PACTE, c’est
la loi sur le devoir de vigilance, et ce sont encore une fois toutes ces attentes sociales qui
s’expriment vis-à-vis des entreprises afin qu’elles développent un rôle sociétal, environnemental,
etc.
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Comme vous l’avez rappelé également, tout le droit français des fondations et la fiscalité qui y est
associée reposent sur cette distinction entre le lucratif et le non-lucratif, et vous avez évoqué le
flou des frontières et des séparations qui s’est ainsi progressivement introduit. La Fondation de
France est parfaitement consciente qu’il faut continuer à être sur la ligne de crête et à séparer
autant que faire se peut ce qui relève de l’intérêt social de l’entreprise au sens traditionnel du terme
et les actions qu’elle peut mettre en œuvre au titre de sa nouvelle mission sociale. Toutefois, il y a
très clairement des limites à cette possibilité de patrouiller à la frontière. Il serait déraisonnable de
demander à l’entreprise, dans le cadre de son activité de mécénat ou de philanthropie, de veiller à
ce que celle-ci soit dépourvue de tout lien et de tout rapport avec son cœur de métier. Ce n’est pas
ainsi qu’une entreprise raisonne, ni le législateur. Il lui demande au contraire de prolonger son
activité dans son domaine propre de compétence à des fins sociétales, générales ou
environnementales. Il serait paradoxal de demander à une entreprise, qui, lorsqu’elle crée une
fondation, cherche à mobiliser ses personnels et ses salariés, de faire en sorte que cette activité
soit dépourvue de tout lien avec le cœur de métier de l’entreprise. Dans le monde réel, ce ne serait
tout simplement pas compris.
Ma dernière observation sera pour dire, dans ce contexte, qu’il nous semble que, pour gérer cette
frontière et veiller au respect des principes auxquels nous sommes attachés, la fondation sous
égide, avec les éléments d’extériorité, de transparence et d’information qu’elle implique, présente
des avantages en comparaison avec la fondation d’entreprise stricto sensu, qui est presque toujours
internalisée. J’ai été surpris, à cet égard, que le rapport de la Cour semble donner une préférence
à la formule de la fondation d’entreprise en comparaison à celle d’une fondation créée par
l’entreprise sous l’égide d’une fondation abritante, à savoir la Fondation de France. Je vous
remercie.
Antoine Durrleman
- Je vous remercie, Monsieur le président, de la richesse des réflexions que
vous nous apportez. Elles appellent de ma part une question.
Nous voyons bien que la fondation individualisée peut être la meilleure ou la pire des choses. C’est
la meilleure des choses si précisément il y a une cohérence entre l’objet de la fondation
individualisée et la mission de la fondation abritante. Toutefois, cela peut être la pire des choses
quand cette cohérence, le cas échéant, n’est pas vérifiée et quand, en réalité, on se trouve dans
une situation, qui a pu apparaître, où il y a une forme d’autonomisation de la gestion de la fondation
individualisée qui amène à faire prévaloir non pas la philanthropie du fondateur mais les projets du
fondateur sans autre forme de contrepoids. Autrement dit, pour reprendre l’expression que le
président Jean-Marc Sauvé a utilisé ce matin quand il évoquait la fondation Apprentis d’Auteuil qu’il
préside, il peut parfois y avoir dans des fondations individualisées, dans des fondations abritées, le
sentiment d’une auberge espagnole. Il nous expliquait ce matin que pour prévenir ce risque, il avait
décidé de passer en revue les fondations abritées par la fondation Apprentis d’Auteuil pour
procéder à la dissolution d’un certain nombre d’entre elles. Cette notion d’auberge espagnole vous
paraît-elle adéquate, inadéquate ou purement circonstancielle ?
Du point de vue de la Cour et au regard du contrôle des fondations qu’elle a récemment contrôlées,
je ne parle pas ici de la Fondation de France, ni de ce qu’elle a pu faire, la notion d’auberge
espagnole s’appliquait de façon très pertinente à la fondation Agir contre l’exclusion.
Par ailleurs, à propos ce que vous nous disiez sur le risque que vous voyez à appliquer à une
fondation abritée des principes qui s’appliquent à la fondation abritante, une réflexion est peut-
être à avoir sur le fait que les statuts d’une fondation reconnue d’utilité publique sont conçus,
depuis toujours, par le ministère de l’Intérieur et par le Conseil d’État, de façon à ce que les
fondateurs y soient minoritaires ; c’est un principe absolument structurant. Les fondateurs d’une
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FRUP, qu’elle soit abritante ou non abritante, sont dans une situation de minorité. Ils ont fait aussi
un geste volontaire d’abandon de patrimoine, avec un avantage fiscal ou non ; la question n’est pas
là.
Cependant, les comités de suivi des fondations individualisées, qui sont très souvent des comités
de suivi dans la main des fondateurs à l’origine des fondations abritées, ne devraient-ils pas
respecter un tant soit peu ce même principe ? Au fond, on est toujours plus intelligent à plusieurs.
Bien sûr, l’intelligence et le discernement, c’est dans le dialogue entre la fondation individualisée
et le siège, la fondation abritante, mais c’est déjà peut-être un premier niveau au sein du comité de
suivi de la fondation abritée.
Maryvonne de Saint Pulgent
- Je souhaite préciser la jurisprudence du Conseil d’État, parce que
cela a été jugé en contentieux assez récemment. Le principe qualifié d’essentiel par la jurisprudence
du droit des fondations reconnues d’utilité publique, ce n’est pas vraiment la minorisation des
fondateurs, car c’est un moyen, mais il va au-delà, c’est le principe d’indépendance de la fondation
vis-à-vis de son fondateur. Une des manières d’assurer l’indépendance est que la gouvernance ne
dépende pas du fondateur, tout en incluant sa représentation, mais ce n’est pas la seule
conséquence du principe d’indépendance. Il faut également, par exemple, que l’objet et la mission,
les actions, soient séparés du fondateur. Cela va donc au-delà de la minorisation.
C’est un principe des fondations reconnues d’utilité publique, affirmé assez récemment par la
jurisprudence en contentieux et très tôt par les avis consultatifs du Conseil d’État. C’est
effectivement lié à la nature même du don : si vous donnez pour ensuite conserver le contrôle de
ce qui est fait de votre don, c’est que vous n’avez pas donné. C’est un peu le principe. Cela pose
une question : ce principe reconnu pour les FRUP et qui n’est pas applicable juridiquement, par
aucun principe ni aucun texte, aux fondations abritées sous égide a-t-il lieu d’être rendu applicable,
tout en sachant que le principe d’indépendance a été érigé en principe essentiel par une décision
prétorienne, comme d’ailleurs le droit des fondations lui-même, car avant la loi de 1987, tout
résultait de la jurisprudence ou des avis consultatifs du Conseil d’État ?
Antoine Durrleman
- Je vous remercie de ces précisions qui renforcent l’intensité de ma question.
Pierre Sellal
- S’agissant du premier aspect « d’auberge espagnole », la Fondation de France
échappe à ce risque puisqu’elle a été conçue comme la fondation multi-cause, ce qui est moins
l’auberge espagnole que la Samaritaine de jadis. On trouve toutes les causes d’intérêt général à la
Fondation de France et, dès lors, il s’agit de nous assurer que l’objet social proposé par le fondateur
constitue bien un motif d’intérêt général, dans le champ qui a été un peu élargi depuis 50 ans.
Toutefois, par définition, toutes causes et toutes missions d’intérêt général rentrent dans le champ
de la Fondation de France, compte tenu des missions qui lui ont été imparties depuis 50 ans et
auxquelles elle n’a pas renoncé.
Sur votre deuxième sujet, c’est une question de degré et de modalité, et pas de principe. Mme de
Saint Pulgent a rappelé la force du principe d’indépendance et le fait que le geste philanthropique,
encore une fois, repose sur l’aliénation définitive et irrévocable d’une part de patrimoine. Lorsque
la Fondation de France discute avec un fondateur de la gouvernance mise en place, elle s’efforce
dans quasiment toutes les situations de prévoir ou d’imposer, le cas échéant, des structures qui
associent des personnalités indépendantes et qui ne se résument pas au fondateur initial.
Il y a quelques cas dans lesquels la fondation est créée par un fondateur unique ou une famille
unique. Tout en ayant à l’esprit le principe d’indépendance, il peut être difficile de convaincre cette
personne de ne pas avoir de rôle dirigeant dans la définition des orientations ou des priorités de
l’activité de la fondation qu’elle crée et qui constituent en général quelque chose auquel le
fondateur est profondément attaché. Nous avons eu quelques cas de discussions avec l’équipe
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d’auditeurs de la Cour pour essayer de faire comprendre que, dans ce type de situation, nous
essayons de mettre en place le maximum de dialogue, d’environnement et d’accompagnement
pour rendre les choses compatibles avec le principe d’indépendance rappelé, mais qu’il est parfois
très difficile d’imposer à une personne comme celle-là, qui apporte l’exclusivité des moyens d’une
fondation sous égide, de ne pas avoir un rôle particulièrement directeur dans les orientations de
son activité. Cela n’enlève rien à l’exigence d’indépendance, de désintéressement et de non-
bénéfice direct dans les activités de la fondation.
Antoine Durrleman
- Ma question ne visait pas du tout la pratique de la Fondation de France mais
un risque générique. Nous voyons bien dans un certain nombre de cas qu’il peut y avoir une vraie
difficulté dans le dialogue, surtout dans le climat concurrentiel que vous rappeliez, entre une
fondation abritante approchée pour un projet de fondation individualisée et le porteur du projet
de cette fondation individualisée. Ne faudrait-il pas, sans paralyser l’initiative et la souplesse de
fonctionnement, que le droit vienne conforter l’équilibre du dialogue ? C’est la question qui peut
se poser.
Maryvonne de Saint Pulgent
- Là aussi, les fondations sous égide ne sont pas les seules où le
principe d’indépendance ne s’applique pas. Il n’est pas appliqué aux fonds de dotation. Aucun
principe n’est affirmé pour les fonds de dotation ou plutôt, ce qui est encore plus original, la loi qui
a créé le fonds de dotation, avec un avis plus que réservé du Conseil d’État il faut le reconnaître, a
prévu tout un dispositif législatif qui comporte quelques contraintes par exemple la non-
consommation de fonds, qui peuvent être entièrement contredites par les statuts adoptés par le
fonds de dotation. La loi énonce toute une série de principes, tout en décidant que les statuts
pourront y déroger, et sans limitation ; c’est un dispositif très original. Les fondations sous égide ne
sont donc pas seules dans ce cas, et il a par ailleurs été rappelé que les fondations d’entreprise sont
complètement à la main de l’entreprise. Le principe d’indépendance est finalement une exception
dans le domaine de la philanthropie et ne s’applique qu’aux FRUP.
Pour citer un autre cas de principe essentiel qui ne s’applique qu’à une partie minoritaire d’un
immense ensemble, puisque nous ne parlons pas que des fondations mais il y a aussi les
associations reconnues d’utilité publique, les ARUP, il y a le principe démocratique, applicable aux
associations reconnues d’utilité publique. C’est un principe essentiel qui fait que, dans les statuts-
types, on veille à ce que tous les membres de l’association qui sont des sociétaires participent aux
décisions. Ce principe ne s’applique qu’aux ARUP.
Il n’y a pas de principe démocratique dans l’ensemble des autres associations qui ne sont pas
reconnues d’utilité publique. Elles sont administrées librement, si bien d’ailleurs qu’un certain
nombre d’associations préfèrent renoncer à la reconnaissance du statut d’utilité publique, qu’elles
trouvent trop contraignant car, contrairement aux fondations, une association qui n’est pas
reconnue d’utilité publique ne perd pas de personnalité morale ; elles y renoncent purement et
simplement. Cela pose la question de l’équilibre entre le régime des contraintes, juridiques et
autres, et les avantages. J’interviens trop dans une partie qui n’est pas la mienne, même si je suis
moi-même présidente d’une fondation. (Sourires.)
Antoine Durrleman
- Vous nous aidez à progresser et c’est extrêmement précieux. Nous sommes
sur un point évidemment nodal, qui est la question de la concurrence des formes statutaires, qui
s’exacerbe. Nous voyons de nouveaux outils qui apparaissent, dont on s’empare et parfois pour la
bonne cause, mais cela met du coup sous pression d’autres organismes beaucoup plus contraints.
Par conséquent, le paysage se brouille, devient beaucoup moins clair, beaucoup plus opaque, et la
transparence d’ensemble est difficile à dessiner.
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C’est ce que je rappelais tout à l’heure. Nous avions en 1991 un texte qui couvrait tous types
d’organismes, indépendamment de leur statut juridique, et nous sommes maintenant avec toute
une efflorescence de textes qui prévoient des règles spécifiques pour des institutions spécifiques
avec des avantages spécifiques.
Pierre Sellal
- Pour répondre à votre question et aux propos de Mme de Saint Pulgent, rien ne serait
pire qu’une nouvelle législation qui ne s’appliquerait qu’aux fondations sous égide, d’autant que
l’expérience a montré que le législateur réagit quelques années plus tard en créant un dispositif
destiné à échapper aux contraintes prévues précédemment. C’est l’histoire de la création des fonds
de dotation et des fondations d’entreprise. Il reste aujourd’hui un assez grand nombre de
fondations créées par les entreprises sous égide de la Fondation de France à l’époque où la
fondation d’entreprise n’existait pas. Actuellement, dans un contexte d’alignement des avantages,
notamment sur le plan fiscal, entre les diverses formes, il y a moins d’entreprises candidates à créer
une fondation sous égide si cela doit se traduire par un surcroît de contrôles et d’obligations.
Antoine Durrleman
- Jérôme Fournel souhaite intervenir.
Jérôme Fournel
- Je souhaite revenir sur le sujet des structures de niveau européen. Depuis une
jurisprudence établie en 2009 par la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État a repris
dans des jugements récents ces éléments et nous sommes dans une situation qui ne permet pas de
dire qu’il faut fermer sur le territoire les organismes qui bénéficient d’avantages fiscaux pour le
mécénat. Cette situation particulière, d’une certaine manière, accroît encore la diversité des
organismes, de la typologie des contrôles, du rôle des différents acteurs, parce qu’il n’y a pas
d’harmonisation en termes de reconnaissance d’utilité publique au niveau européen ; c’est un objet
très français. Au regard des critères de la jurisprudence, nous devons faire en sorte de regarder s’il
y a une similarité. C’est cette notion que nous trouvons dans d’autres circonstances fiscales où nous
devons nous demander s’il y a un objet, des critères ou des conditions, mais nous ne pouvons pas
dire, et je m’en excuse auprès du président, que le contrôle effectif par la Cour des comptes soit un
critère essentialiste, si je puis dire, que nous pouvons internaliser dans la similarité et dans l’octroi
des avantages fiscaux. Nous regardons cela de près, et nous essayons naturellement d’éviter de
faire n’importe quoi et de donner des avantages fiscaux à des organismes européens qui ne
présenteraient pas un minimum de garanties. Cela fait partie de cet éventail de diversifications
d’organismes. La diversification que nous avons sur le territoire national, nous l’avons aussi quand
nous regardons au niveau européen. C’est une concurrence, et je ne suis pas contre la concurrence.
Je ne sais donc pas si c’est mal d’avoir cette ouverture.
Antoine Durrleman
- Monsieur le président Sellal, rapidement.
Pierre Sellal
- Pour que vous puissiez circonscrire la question, il ne s’agit pas d’interdire des
fondations européennes qui ressembleraient aux FRUP françaises, qui ont des activités en France,
et d’émettre des reçus fiscaux sur des profils de donateurs français. La question est de reconnaître
en supplément une capacité de fondation abritante. C’est mon seul objet. Là, il n’y a aucune
obligation de droit européen. Dès lors que vous attendez et que nous attendons tous d’une
fondation abritante un surcroît de transparence, de modalités, et que des contrôles spécifiques
sont mis en place, il ne va pas de soi d’accorder à des fondations européennes la capacité de
fondation abritante.
Maryvonne de Saint Pulgent
- Excusez-moi d’intervenir, mais il y a une autre exception française :
le trust n’est pas permis en France. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a développé la
formule de la fondation à la française. Les fondations à la française perdront leur utilité quand le
ministère des finances laissera les trusts s’installer sur le territoire français. C’est une petite
taquinerie du Conseil d’État, du juge fiscal aussi, au directeur général des finances publiques.
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Antoine Durrleman
- Il y a des chances que nous l’évoquions ensemble pour l’anniversaire de la loi
de 1991.
Je donne la parole à Pascale Léglise, qui en tant que directrice des libertés publiques et des affaires
juridiques, est la tour de contrôle du dispositif et a une vision à la fois de son évolution et de sa
régulation. Je reprendrais volontiers la question de la prévention avec le rôle majeur qui est celui
du ministère de l’Intérieur, en particulier pour les FRUP, avec le rôle des commissaires du
gouvernement qui a été évoqué ce matin. Nous parlions du nombre d’erreurs, pour le dire
pudiquement, qui ont pu être évitées par la présence des commissaires du gouvernement, mais
comment rendre leur rôle encore plus efficient ? Il y a, outre la question des modalités de contrôle,
celle des sanctions, qui est évidemment large, mais avec un sujet assez particulier, lié au contrôle
récent de la Cour sur la fondation Agir contre l’exclusion, qui porte sur la reconnaissance d’utilité
publique. On sait comment la créer, mais sait-on comment la supprimer ?
Pascale Léglise
- Merci, Monsieur le président.
Le ministère de l’Intérieur est, comme vous l’avez dit, la tour de contrôle. En vous écoutant, une
première réflexion me vient à l’esprit : comment concilier le contrôle des associations et des
fondations avec ce principe qui est celui de la liberté d’association, qui est un principe fondateur et
constitutionnel, bien sûr, et qui répute que les associés qui constituent une association sont libres
de le faire. Évidemment, toutes les associations ne sont pas situées sur le même plan, ne bénéficient
pas des mêmes avantages. On pourrait se demander si la contrepartie du contrôle plus ou moins
accru en fonction des types d’associations est seulement la contrepartie d’avantages fiscaux. Cela
pourrait être une première question : s’il y a des avantages fiscaux, il y a des contrôles, mais s’il n’y
a pas d’avantage fiscal, il n’y a pas de contrôle. Ce contrôle, c’est la contrepartie d’avantages fiscaux,
c’est la contrepartie de ce que donne l’État d’une certaine façon. Toutefois, ce n’est pas aussi
simple, et deux autres composantes me paraissent essentielles. D’une part, le contrôle est la
contrepartie de la confiance que doivent avoir les donateurs dans un système, et l’État doit réguler,
quand bien même les associations ne bénéficieraient pas de dons. C’est l’exemple des associations
déclarées en préfecture qui, elles, ne donnent pas de contrepartie. Pour autant, il y a bien une
obligation de transparence, qui est imposée par la publication des comptes, que ce soit sur les
dépenses ou les recettes. Un premier objectif du contrôle est de restaurer ou d’assurer la confiance
des donateurs ; c’est un premier objet de la régulation.
Le deuxième objet, on pourrait se le dire et c’est la vérité, c’est la contrepartie des reçus qui sont
délivrés et la déduction fiscale ; c’est un autre contrôle. Toutefois, ce n’est pas la seule chose. Si
nous regardons le système, nous avons parlé tout à l’heure de la fondation d’utilité publique et du
principe qui s’oppose frontalement au principe de liberté de fonctionnement, qui est de dire
finalement que l’on apporte des fonds et, une fois qu’on les a apportés, on ne peut pas les
reprendre : son apport échappe au fondateur, et cela
tellement que non seulement il ne peut pas
consommer les fonds qu’il a apportés, mais il ne peut pas diriger la fondation -
il y a le principe
d’indépendance et il est en minorité -, et ne peut même pas la dissoudre ; l’objet doit être perpétué
au-delà de sa propre volonté. Cela m’a interpellée : au nom de quoi assure-t-on ce contrôle ? C’est
le contrôle de l’utilité publique. Cette utilité publique, qui est érigée en objet, indépendamment de
la volonté du législateur, justifie et rend légitime ce contrôle, qui est très dérogatoire au principe
de liberté constitutionnelle d’association.
Quand on a dit cela, on comprend que le contrôle sur les fondations reconnues d’utilité publique,
et vous l’avez dit sur les ARUP, Madame la présidente de Saint Pulgent, peut être d’une autre nature
que celui sur les fondations d’entreprise ou sur d’autres types de fonds de dotation qui, certes, ont
une contrepartie fiscale mais n’incarnent pas cette utilité publique qui va au-delà des impôts.
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Nous voyons bien que la graduation des contrôles qui a été organisée par la loi varie en fonction à
la fois des avantages, mais aussi de la contrepartie de ces avantages, qui est l’utilité publique, avec
un contrôle plutôt simple sur les associations déclarées en préfecture, un contrôle plus important
sur l’association reconnue d’utilité publique, un contrôle encore plus important sur les fondations
reconnues d’utilité publique, avec des règles très précises de non-aliénation, d’incapacité d’aliéner
les fonds et de ne plus pouvoir disposer du sort de cette fondation que l’on a créée. C’est ce qui
fonde la différence. Il y a différents types d’organismes, mais ils ne sont pas tous assis sur la même
philosophie. Il ne faut pas perdre de vue le principe cardinal, qui est la liberté d’association. C’est
pourquoi autant l’État est légitime à contrôler un certain type d’associations de manière plus
poussée et plus détaillée au nom de cette utilité publique, au nom de ce fonctionnement qui doit
perdurer, autant, dans d’autres cas, la liberté d’association reprend toute sa place.
Une fois que j’ai dit cela, ce n’est pas pour autant que nous ne contrôlons rien et que nous
n’essayons pas de faire ce travail tout au long de la vie de l’association, que ce soit au moment de
sa naissance par le contrôle de l’objet de l’association, au moment de la publication de ses comptes
pour une association simplement déclarée, ou au moment de la constitution des statuts pour ce
qui concerne les FRUP. En effet, il y a tout un travail d’adéquation des statuts de la fondation aux
statuts-types élaborés par le Conseil d’État qui font référence et pour cela il faut si j’ose dire ajuster
les manettes pour que ce soit le plus conforme aux statuts-types.
Le contrôle qui nous incombe, nous le faisons de manière très appuyée, à la fois par le contrôle des
comptes, le contrôle des statuts ou la présence au sein des conseils d’administration. Il est évident
que c’est cette présence qui permet d’assurer ce contrôle. On peut mettre tous les outils de
contrôle dans la loi, si la personne qui représente l’État et qui est censée contrôler ne s’investit pas
assez ou n’a pas les capacités techniques pour contrôler le fonctionnement de l’association, cela ne
fonctionnera pas. Encore faut-il savoir lire un bilan et comprendre ce qu’il se passe pour pouvoir
dire : « Attention, on est en train de manger la part de fonds non consomptibles. » La simple
intégration de dispositions juridiques dans les textes, tels qu’ils existent aujourd’hui ou dans la
façon dont ils seraient renforcés, ne suffit pas de mon point de vue à garantir un contrôle efficace
de la nature de celui qui devrait être. Je pense véritablement que le principal outil qu’il faut
développer et que nous sommes en train de développer, c’est la professionnalisation des
commissaires du gouvernement ou des représentants d’État. Les deux sont possibles dans une
fondation, les deux sont légitimes, à condition que les représentants d’État soient aussi à même de
faire des contrôles de qualité. Ce n’est pas donné à tout le monde, car chacun son métier. Nous
pouvons avoir des hauts fonctionnaires brillants, mais qui ne savent pas lire un bilan ; cela
s’apprend. La loi confortant le respect des principes républicains a renforcé le rôle et la présence
des commissaires du gouvernement, mais l’axe de travail fondamental est de créer un réseau des
commissaires du gouvernement ou des représentants de l’État dans les fondations, de les former
et de constituer des supports. Nous en avons déjà fait, et il y a déjà des guides du représentant de
l’État dans les fondations, de même que des guides du contrôle, mais ce n’est pas suffisant. Il faut
vraiment avoir des personnes rompues à ce type de contrôles et qui puissent à la fois orienter le
fonctionnement des fondations mais aussi vérifier que ce dernier est conforme à l’objet, aux statuts
et aux règles de gouvernance, sans quoi nous courons à la catastrophe. Il y a des personnes très
volontaires mais, quand on ne sait pas, on ne sait pas.
Un des objectifs de la DLPAJ est de créer un réseau de commissaires du gouvernement, de les
former et d’assurer une animation pour qu’ils puissent avoir une discussion collégiale sur des sujets
complexes et de ne pas les laisser tout seuls aller dans des conseils d’administration, en revenir,
etc. C’est une première chose.
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La nouvelle loi nous donne des outils pour accroître ce contrôle, puisqu’au travers des dispositions
qu’elle a intégrées, l’État est encore plus légitime à regarder le fonctionnement des associations et
des fondations. Si je prends l’exemple du contrat d’engagement républicain qui devra être signé
par toutes les associations qui souhaiteront bénéficier d’une subvention publique, son premier
objet est de garantir un fonctionnement conforme aux principes républicains, mais cela permettra
aussi à l’État de vérifier ce fonctionnement et tout le reste. Cela permettra d’augmenter le contrôle
et de sanctionner, par le retrait des subventions, les associations qui ne respectent pas ce contrôle.
Il y aura aussi un contrôle sur la transparence des financements, puisque la loi impose une
télédéclaration des financements en matière de financements étrangers. Cela permettra une
meilleure visibilité et une meilleure transparence du fonctionnement d’une association. Certaines
associations bénéficient de fonds étrangers, et il faut que les gens qui donnent le sachent et sachent
ce qu’ils financent. J’ai des exemples en tête d’associations que nous avons dissoutes récemment,
pour lesquelles je ne suis pas persuadée que tout le monde savait d’où venaient les financements.
Je précise qu’il ne s’agissait pas de FRUP.
Maryvonne de Saint Pulgent
- Il ne s’agissait même pas d’ARUP.
Pascale Léglise
- Pour autant, beaucoup de gens croyaient faire de bonne foi des dons à des
associations qui faisaient de la coopération internationale mais, en réalité, non. C’est très précieux
pour restaurer la confiance que de savoir où va l’argent.
À côté de ces obligations qui sont dans la nouvelle loi, il y a le contrôle des fonds de dotation avec
des outils plus spécifiques qui permettent de les suspendre ou de les dissoudre. La DLPAJ est en
train de travailler en lien avec la DGFIP sur les décrets d’application et les dispositions qui seront
mises en œuvre pour se les approprier, mais cela suppose aussi que les préfectures acquièrent cette
compétence. La formation du réseau des commissaires du gouvernement, c’est aussi la formation
des agents des préfectures à repérer les pratiques dissidentes et il faut vraiment professionnaliser
ce type de contrôles.
Je pense que la professionnalisation de ce contrôle est l’axe principal, car on peut être présent dans
des conseils d’administration mais si l’on n’est pas capable, sauf à certaines exceptions, de dire que
cela ne va pas… Il ne faut pas pour autant minorer le rôle des commissaires du gouvernement qui
sont compétents dans l’ensemble, déminent un certain nombre de choses en amont et ont un rôle
d’accompagnement et de conseil des associations. Il y a ensuite toute la partie dans l’ombre, que
l’on ne voit pas, puisque l’on voit ce qui dysfonctionne mais on ne voit pas tout ce qui aurait pu
dysfonctionner et qui n’a pas dysfonctionné. Il y a un travail énorme qui est fait, mais je mets le
focus sur le delta qui manque. Il ne faut pas considérer que tout dysfonctionne et que les
commissaires du gouvernement ne sont pas capables. Simplement, il y a une spécificité et une
technicité du contrôle des comptes, et vous le savez, Monsieur le président puisque c’est votre
métier, c’est quelque chose d’aride et d’exigeant qui n’est pas donné à tout le monde. Il faut donc
l’apprendre.
Antoine Durrleman
- Cela s’acquiert en effet.
Comment s’articule votre rôle par rapport celui de la direction générale des finances publiques au
regard du nouveau cadre de contrôle que dessine précisément la loi confortant les principes de la
République ?
Je poserais la question d’une manière différente, peut-être plus brutale : l’avenir du contrôle est-il
le contrôle par les services de la DGFIP ? On peut avoir ce sentiment qu’il y a finalement eu des
tentatives un peu trébuchantes de contrôle :
la Cour, le contrôle interne, les commissaires aux
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comptes, les commissaires du gouvernement, les labels… et puis que la nouvelle loi consacre une
sorte d’épiphanie du contrôle fiscal. L’avenir du contrôle est-il au sein de la DGFIP ?
Jérôme Fournel
- Merci. C’est amusant parce que l’on prête en général un rôle excessif à la direction
générale des finances publiques, et vous venez de le faire Monsieur le président. (Rires.)
Parfois, d’une certaine manière, on nie le rôle là où il est assez évident. Pour revenir en effet sur
l’ensemble des dispositifs fiscaux, favorables ou non, qui sont très importants, on a rappelé les
chiffres de 8,5 Md€ de dons, déclarés ou non, et les 2 Md€ de dépenses fiscales derrière, entre
l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Nous sommes sur des volumétries d’aides fiscales
favorisantes, encourageantes et « solvabilisantes » d’une certaine manière, qui sont colossales. De
ce point de vue, comme n’importe quel dispositif fiscal, il y a besoin de quelqu’un qui fasse du fiscal,
et c’est le rôle de la DGFIP de l’assurer.
Reste que si j’en reviens à votre question, il ne faut pas oublier sur le sujet de la confiance qui est
le point de départ de la générosité publique et qui est nécessaire, intrinsèque à la générosité
publique, qu’il n’y a pas seulement la régularité fiscale, mais aussi le bon emploi des fonds, et la
pertinence des actions sociales, éducatives ou culturelles qui sont menées à partir de ces fonds. Le
donateur se détermine bien quant à l’ensemble de ces facteurs, et pas simplement par rapport à
un sujet - je vais me rendre peut-être plus modeste que je ne le suis - étroit de régularité stricte sur
le plan fiscal.
La DGFIP a aussi un rôle, qui est plus modeste que celui de la Cour des comptes, voire de l’Inspection
générale des affaires sociales dans ce domaine, sur le sujet de la transparence. De fait, les auditeurs
au sein de la direction générale des finances publiques peuvent aller contrôler des associations qui
bénéficient de subventions publiques et jouer un rôle parallèle à celui de la Cour des comptes ou
d’autres organismes de contrôle. C’est un rôle plutôt modeste dans ce registre de la transparence
par rapport au sujet de la régularité.
Pourquoi est-ce que je me fais un peu modeste ? Avant la loi du 24 août 2021, notre capacité de
contrôle était extrêmement limitée. La réalité, c’est que je pouvais éventuellement envoyer
quelqu’un pour aller voir si le donateur avait conservé les reçus fiscaux de ses donations et vérifier
que ce qu’il mettait sur sa déclaration de revenus correspondait aux attestations de dons qui lui
avaient été délivrées par les organismes et je pouvais éventuellement aller dans les organismes
vérifier que les reçus fiscaux délivrés correspondaient, c’était une vérification des justificatifs, mais
je ne pouvais rien faire d’autre. La seule autre chose que nous faisions était de délivrer des rescrits.
Nous en délivrons 7 000 par an, c’est colossal, et nous sommes vraiment là dans une logique de
sécurisation juridique. À dire vrai, nous délivrons beaucoup de rescrits conformes : environ 70 à
75 % des demandes de sécurisation juridique pour savoir si une personne est dans le cadre
aboutissent à un avis favorable.
Ces rescrits, de même que ce que nous pourrons vérifier demain dans le cadre de la nouvelle loi,
visent en réalité à vérifier que les conditions et critères mis en place par la loi à l’obtention des
avantages fiscaux liés aux mécénats ou dons, sont respectés, à savoir un organisme d’intérêt
général œuvrant dans un certain nombre de domaines et, par ailleurs, la non-lucrativité et une
gestion désintéressée. Le cercle désintéressé, ce n’est pas un club, mais bien un cercle, qui n’est
pas restreint mais ouvert. Nous vérifions dans les rescrits ces critères qui sont ceux de la loi, avant
de les délivrer. C’est ce que nous serons capables de faire avec la loi adoptée cet été, parce que
nous pourrons, et il ne faut pas craindre ce contrôle, aller dans les organismes et vérifier que ces
conditions sont remplies. D’une certaine manière, c’est un peu le b.a.-ba d’un contrôle fiscal que
de vérifier que les conditions de bénéfice de la dépense fiscale peuvent être remplies. Ce sera le
cœur du sujet.
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Le deuxième élément important est que la loi d’août 2021 nous ouvre une connaissance que nous
n’avons pas. Cette connaissance, aujourd’hui, est très faible puisque, y compris dans une logique
de simplification, mais j’y reviendrai car c’est un point important, nous demandons en réalité un
minimum d’informations au déclarant quant à l’objet de son don. Le fait que les associations vont
devoir chaque année faire une déclaration des montants perçus et du nombre de reçus fiscaux
délivrés nous aidera à faire du contrôle et du ciblage. C’est un élément important d’une activité de
contrôle. Je vois Pierre Siquier se dire que cela commence mal mais, non, cela va bien se passer, et
je vais vous expliquer pourquoi.
Le troisième élément extrêmement important, et je n’insiste pas car c’est un peu hors du champ
de la DGFIP, est le contrôle sur les financements étrangers, qui a été évoqué par Pascale Léglise,
grâce à Tracfin et à son rôle de visualisation. Cela peut aussi intéresser la DGFIP, et c’est un domaine
complémentaire.
Il y a ensuite tout le sujet des sanctions. De même que nous allons intervenir sur le champ de la
régularité et moins sur des sujets de transparence, c’est un peu la même chose sur le sujet des
sanctions. Les dispositifs de sanctions, pas ceux sur déclaration de non-conformité de la Cour mais
ceux automatiques, consistaient, en réalité jusqu’à présent à dire que s’il y a eu un jugement
définitif d’abus de confiance ou d’escroquerie, alors on suspend l’avantage fiscal. Demain, nous
nous aventurerons sur des champs qui sont davantage des champs de finalité, d’incitation, etc., et
nous ne sommes plus tout à fait sur le même registre. Nous ne sommes plus sur le registre de la
peur de la rupture de confiance du fait d’une fraude, de non-transparence ou d’une escroquerie de
la part de l’organisme, mais sur quelque chose qui touche plus aux finalités.
C’est un dispositif effectivement complet qui va nous permettre d’aller regarder, mais je ne vais pas
m’arrêter là, parce que cela restreindrait en réalité le rôle de la direction générale des finances
publiques et, à mon avis, les points d’attention et ceux que nous devons regarder.
S’agissant du premier, nous sommes partis sur le sujet de la confiance, du contrôle, éventuellement
des sanctions, mais il y a tout un domaine où je crois que la direction générale des finances
publiques peut apporter beaucoup, et nous avons des contacts bilatéraux avec France générosités
et d’autres, c’est comment nous pouvons aider à encore plus simplifier l’acte de don. Nous essayons
d’éviter la bureaucratie en rajoutant de nombreuses cases sur la déclaration de revenus, mais peut-
être pouvons-nous aller vers du pré-remplissage, comme nous le faisons pour d’autres activités,
pour simplifier, car nous savons que de nombreuses personnes oublient aussi de déclarer. Si nous
faisons du pré-remplissage, il y a des discussions, c’est compliqué, et il faut une logistique
particulière entre l’administration fiscale et les associations, mais c’est fondamentalement bon.
Demain, une fois que nous aurons fait cela, peut-être serons-nous capables de faire un pas
ultérieur,
et
c’est
un
pas
compliqué
car
il
coûte
beaucoup
d’argent,
du
type
« contemporanéisation », comme nous le faisons d’ailleurs sur le crédit d’impôt aujourd’hui sur les
services aux particuliers, pour diminuer le coût de trésorerie que représentent l’action du don et le
retour en termes de défiscalisation. Nous voyons bien qu’il y a des possibilités d’avancer sur une
logique où la fiscalité continue de soutenir comme elle le fait la générosité publique, puisque nous
sommes un pays avec une fiscalité extrêmement généreuse sur les dons ; il faut continuer à porter
cela.
Pour reprendre l’expression par laquelle le président Moscovici a commencé ce matin, je crois, la
confiance n’exclut pas le contrôle et l’aide non plus. De fait, nous avons sur ce sujet, c’est pourquoi
il est intéressant d’avoir des dispositifs qui nous aideront à cibler demain les problématiques, à
visualiser là où il y a des variations de reçus fiscaux, des multiplicités de reçus fiscaux, des
croisements entre les reçus fiscaux déclarés par une association et ce que nous retrouverons chez
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des particuliers ou des entreprises, puisque les entreprises devront recevoir des reçus fiscaux. Nous
allons nous retrouver dans une logique que nous connaissons bien en matière fiscale aujourd’hui,
qui est d’essayer de cibler au mieux nos contrôles. Ce n’est pas pour embêter les braves gens mais
pour essayer de tomber le plus possible sur des zones de risques, des situations, pour des
associations ou des fondations, où il y a un problème, où il risque d’y avoir un problème. Peut-être
que nous nous tromperons, et nous ne pouvons pas être à 100 % pertinents, mais nous aurons en
tout cas un peu plus de leviers pour cela, et donc pour éventuellement augmenter les contrôles
mais ce de façon pertinente.
Un troisième domaine de progrès qui me semble important et qui recroise à la fois les propos
initiaux du président Antoine Durrleman et ce que vient d’évoquer Pascale Léglise sur le
développement des fonds de dotation, est l’articulation entre les différents acteurs. Nous parlions
de groupes de contact tout à l’heure, et il y a probablement plus une logique de « commandos », si
je puis dire, sur la partie contrôle à faire entre nous.
Antoine Durrleman disait qu’il y a eu quatre déclarations de non-conformité transmises au ministre
du budget en 12 ans et, à votre grande déception, aucune n’a eu la moindre conséquence. Nous en
sommes bien conscients, mais ce n’est pas une obligation pour nous d’agir. Il y a derrière une
procédure contradictoire, de discussion et d’échange. J’ai moi-même reçu le président de la
fondation Agir contre l’exclusion à la suite d’une déclaration de non-conformité ; nous sommes
dans un échange et une discussion. Ce qui est vrai, c’est que nous sommes un peu dans le tout ou
rien, et, y compris pour nous, même avec notre esprit un peu chiffré et attentif, nous manions le
rien avec beaucoup d’angoisse sur ces sujets. Nous nous demandons toujours si nous ne sommes
pas en train de faire plus de mal que de bien. Par conséquent, il est vrai que nous hésitons avant
d’agir. Il y a probablement des réponses graduées à imaginer, y compris pour éventuellement
remettre les organismes sur la voie et faire repasser la Cour des comptes derrière, ce qui serait
peut-être favorable.
Antoine Durrleman
- Je vais donner la parole à la salle via Emmanuel Kessler, car vos propos ont
déjà suscité beaucoup de questions, avant de laisser la parole à Maryvonne de Saint Pulgent.
Emmanuel Kessler
- Nous avons eu beaucoup de questions sur le tchat, et je commence par la
dernière, parce qu’elle rejoint ce que vient de dire le directeur général des finances publiques :
«
Vous avez évoqué, M. Antoine Durrleman, des déclarations de non-conformité établies par la Cour
des comptes, auxquelles il n’a donc pas été donné suite, pour quelle raison ?
» Il ne s’agit pas d’un
constat, vous l’avez déjà fait, mais d’une explication.
Jérôme Fournel
- D’abord, la loi qui a prévu ce dispositif n’implique pas d’obligation. Encore une
fois, c’est une décision souveraine du ministre du budget à la suite de la déclaration de non-
conformité, après un processus contradictoire avec l’organisme, et cela n’oblige pas à prendre une
décision. Ce que nous essayons et ce que nous avons essayé de faire dans les cas où cela s’est
produit, c’est de trouver les moyens de remise sur le droit chemin de l’organisme, et de voir
comment nous étions capables de reconstruire quelque chose qui le remette sur la voie de la
régularité, quitte, et les choses ne sont pas écrites ainsi dans la loi aujourd’hui, à ce que la Cour des
comptes revienne un an plus tard et constate qu’ils se sont bien remis. Nous ne sommes pas allés
jusqu’au bout, y compris d’ailleurs parce que nous voyons l’effet assez violent de la déclaration de
non-conformité dès qu’elle est connue et l’effet de quasi-paralysie du recueil des dons que cela
provoque. Des décisions de justice sont attendues sur ces sujets. Nous ne sommes pas allés jusqu’au
bout, et c’est peut-être dommage, c’est pourquoi je dis qu’il y aurait à créer un dispositif où nous
soyons plus en interaction directe plutôt qu’en procédure. C’est trop procédural, d’une certaine
manière.
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Antoine Durrleman
- La présidente de Saint Pulgent a une réponse complémentaire sur ce sujet,
qui est peut-être que le texte qui fonde ce type de sanction n’a pas été assez bien conçu.
Maryvonne de Saint Pulgent
- Oui. C’est le même problème que la sanction de la consommation
des fonds de la dotation pour les FRUP. La sanction correspond à un retrait de l’appellation d’utilité
publique, c’est-à-dire la destruction de la fondation ; c’est un peu trop massif. Il n’y en a pas eu
beaucoup, mais cela arrive tout de même. Ce sont des dissolutions dites disciplinaires, mais la
riposte graduée manque. On peut construire une réponse graduée, Monsieur le directeur général,
par exemple en ne disposant pas pour l’avenir mais pour le passé. S’il y a eu un avantage fiscal, un
dû accordé, on peut établir une sanction financière non pas rétrospective mais immédiate en disant
que, par exemple, l’avantage fiscal indûment accordé, que l’on connaît puisque l’on a le reçu, peut
faire l’objet d’un reversement partiel, proportionnel à la gravité des atteintes. Cela ne dispose pas
pour l’avenir. De plus, cela ne sanctionne pas les donateurs, mais l’institution bénéficiaire de
l’avantage indu. Mais il ne faut pas que ce soit automatique non plus. Cela reste une sanction. On
peut écrire un texte en ce sens.
Le problème est plus difficile pour les FRUP, mais nous ne sommes pas ici pour gérer les problèmes
de consommation de dotation, qui nous écartent beaucoup du problème de la philanthropie.
Simplement, je pense que le fondement du contrôle et de la sanction, c’est le fait d’avoir un régime
fiscal privilégié. Je n’aime pas beaucoup la notion de dépenses fiscales, aussi respectable soit-elle
aux yeux du législateur. Le régime fiscal privilégié, je connais, et je sais aussi qu’il faut justifier de
ce régime fiscal privilégié. Si l’on n’en remplit plus les conditions, cela entraîne des conséquences
inévitables.
Par ailleurs, un contrevenant qui n’est pas sanctionné, c’est presque aussi grave que l’absence de
confiance. Cela contribue à la confiance que les contraventions les plus graves fassent l’objet d’une
sanction, et il faut également que cette sanction soit connue. L’exemplarité de la sanction, j’y crois
aussi. Je trouve fâcheux qu’un dispositif prévu par la loi de sanction possible ne soit jamais
appliqué
6
, car cela veut dire que l’on encourage l’impunité. Toute sanction qui n’est pas applicable
doit être modifiée, et il doit y avoir quelques sanctions, mais efficaces et proportionnées.
Antoine Durrleman
- Merci beaucoup. Il y a donc des pistes de réflexion concrètes pour sortir de
notre aporie ; il est important de le noter lors de cette table ronde. Y a-t-il d’autres questions ?
Emmanuel Kessler
- Sur le sujet des sanctions, une remarque est faite sur le tchat :
« Il est dommage
que vous omettiez les révélations au procureur de la République que font les commissaires aux
comptes, environ 400 à 600 révélations par an sur l’ensemble du secteur des associations et
fondations, au-delà de celles faisant appel à la générosité. Est-il envisageable que vous puissiez vous
rapprocher de ces contrôleurs externes ? Si une sanction pénale est envisageable, est-il utile de
prévoir une autre forme de sanction venant de la Cour
? »
Antoine Durrleman
- La Cour elle-même peut signaler au procureur de la République, et elle le fait
lors de ses contrôles, un certain nombre de manquements. Chacun est dans son rôle dans des
formes de contrôles différents. Nous avons déjà beaucoup parlé d’institutions de contrôle sur le
secteur de la générosité publique, et il y en a une encore dont l’action reste à venir et à se déployer,
c’est la possibilité du contrôle des FRUP et des associations reconnues d’utilité publique par
l’Agence française anti-corruption, car la loi lui donne également la possibilité de ce contrôle.
6
Dans le cas de l’association SOS Éducation, en 2020, le ministre en charge du budget n’a pas
suspendu l’avantage fiscal en application de l’article L. 143-2 CJF et de l’article 1378 octies CGI mais a
considéré que les actions de l’association n’ouvraient pas droit à avantage fiscal.
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La question de la multiplicité, l’effectivité et l’articulation des contrôles devient de plus en plus
importante. Il y a beaucoup d’institutions de contrôle, beaucoup de formes de contrôle, mais peut-
on dire qu’il soit suffisamment efficient pour garantir la montée des risques actuels ? Cela reste une
question.
Emmanuelle Kessler
- Il y a une question dans la salle.
Intervenante
- J’aurais souhaité demander une précision sur le caractère public du contrôle qui sera
exercé par l’administration fiscale quant à la mesure de ces résultats, puisque ce type de contrôle
concerne, au moins en partie, les donateurs de l’organisme contrôlé.
Jérôme Fournel
- Malheureusement, je vais décevoir le désir de publicité, que je comprends, mais
nous sommes bien dans un domaine où le secret fiscal reste totalement protégé. Cela vaut pour les
entités personnes morales, qu’elles soient des entreprises ou associatives, et cela vaut également
pour les particuliers. Il n’y aura pas de publicité, si ce n’est une publicité éventuelle s’il y a un
contentieux ensuite et qu’un jugement est apporté.
De même que les rescrits que nous délivrons le sont… Il y en a quelques-uns que nous affichons,
que nous publions. Nous avons d’ailleurs de plus en plus, même en anonymisant, une tendance à
publier des rescrits pour que la règle fiscale, la compréhension de celle-ci et éventuellement les
critères que nous adoptons soient connus. Il n’y a pas forcément toujours de raison à ce que cela
reste… En revanche, dès que nous sommes dans le cadre d’un contrôle, nous sommes sur quelque
chose qui reste caché, y compris des donateurs. Si je remets en cause le don de quelqu’un qui a
déduit 1 000 € sur ses impôts et alors qu’il n’a en réalité que 400 € de reçus fiscaux d’associations,
il y a un redressement mais personne d’autre que lui et moi ne le sait.
Emmanuel Kessler
- Il y a encore un décalage entre la déclaration de don et l’avantage fiscal que
l’on en tire. Je crois qu’il était prévu d’avoir là aussi une contemporanéité, où en êtes-vous à ce
sujet ?
Jérôme Fournel
- J’ai évoqué ce point. En réalité, nous sommes aujourd’hui en train de basculer sur
la contemporanéité. Nous en avons l’expérimentation cette année sur le crédit d’impôt pour le
service à la personne. C’est un sujet plus complexe en matière de dons, ce qui est lié au sujet de la
récurrence qui facilite les avances sur crédits d’impôts que nous faisons : mais les dons, ce n’est pas
forcément très récurrent. Ensuite, pour « contemporanéiser » la réduction d’impôt, puisque nous
ne sommes pas sur un crédit d’impôt mais une réduction, il faut avoir de l’information. Tous les
sujets de discussion que nous avons avec France générosités sont de savoir comment faire pour
amener de la contemporanéité. Est-ce au moment de l’acte de don que l’information est transmise
à la fois à l’association et à l’administration fiscale ? C’est compliqué, il y a de nombreux moyens de
paiement qui ne vont pas pouvoir être pris en compte, et ce sera probablement lourd. Est-ce
régulièrement, à certaines dates fixes, à la fin de l’année ou trimestriellement, que nous pouvons
avoir un reporting effectué par l’association pour que nous ayons l’information la plus à jour ? Il
faut alors savoir que les petites associations ou les petits organismes en général qui recourent à la
générosité publique auront probablement du mal parce que c’est plus compliqué, et nous allons
sans doute créer un régime à deux vitesses entre les gros et les petits. Nous tournons autour de
cela, il y a eu beaucoup de discussions, et nous les avons relancées. Nous nous sommes vus à
certains moments et nous continuerons à travailler. C’est un sujet intéressant.
Pierre Siquier
- Oui, c’est un sujet qui n’est pas simple. Vis-à-vis des associations, c’est compliqué,
et c’est encore plus de travail pour elles. Il faut bien regarder. Psychologiquement, c’est aussi
quelque chose qu’il faut regarder de près. Si vous faites un don et que vous avez une réduction
après, vous donnez 100, alors que si vous faites la réduction fiscale tout de suite, vous donnez 30.
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La Cour des comptes - Colloque « Garantir le bon emploi des dons des citoyens - 25 novembre 2021
Psychologiquement, ce n’est pas pareil et, le don, c’est une affaire psychologique forte. Il faut que
nous fassions attention, et cela fait l’objet de discussions. C’est compliqué.
Antoine Durrleman
- Y a-t-il d’autres questions ?
Emmanuel Kessler
- «
Une date est-elle prévue pour les précisions pratiques des nouvelles
déclarations relatives aux financements étrangers et aux reçus fiscaux ?
»
Pascale Léglise
- Nous sommes en train de mettre en place le téléservice pour pouvoir le faire, pour
que les usagers puissent le faire directement, mais je n’ai pas de date. Ce sera dans le courant du
premier semestre.
Nous sommes également en train de refondre le répertoire national des associations, parce que
c’est un outil de contrôle, pour pouvoir automatiser un peu plus. Pour le moment, le RNA est une
collection de documents qui y sont placés. Nous sommes en train de mettre en œuvre un gros
projet de refonte du RNA, auquel seront interconnectées les télédéclarations, ce qui permettra de
faire des tris, des relances, des alertes quand nous en avons à certaines dates sur les comptes, et
d’avoir un contrôle un peu plus actif que celui qui est aujourd’hui fait à la main et qui est
évidemment plus lourd et plus long. Tout cela va se mettre en place.
Emmanuel Kessler
- Y a-t-il encore une question dans la salle ? (Non.)
Antoine Durrleman
- Je vais donner la parole pour un mot de conclusion à Maryvonne de Saint
Pulgent.
Maryvonne de Saint Pulgent
- Si j’ai bien compris, la question est : faut-il de nouvelles évolutions
législatives ? C’est un peu la question qui est ici. Je vois tout de suite mon voisin (Pierre Sellal) qui
dit : «
Surtout pas.
» (Rires.)
En dépit de la plaidoirie de la directrice des libertés publiques sur la diversité des systèmes, je reste
convaincue que, par exemple, l’existence d’un régime fiscal privilégié justifie le même type de
contrôles sur tous les dons de même nature, et qu’il n’est pas normal d’avoir un dispositif
différencié en fonction des formes juridiques adoptées pour faire ces dons. Il y a des progrès à faire
dans l’unification des systèmes. Je sais bien qu’il ne faut pas décourager, et que le fonds de dotation
a été fait pour encourager une philanthropie plus importante. Ce qui me gêne, c’est que nous
n’avons pas du tout d’évaluation de cette nouvelle forme de philanthropie. C’est vrai que les
contrôles de la Cour sur les fonds de dotation sont balbutiants en comparaison avec les contrôles
sur les FRUP, par exemple, ou ceux sur les ARUP. Le contrôle fiscal non plus n’a pas été très efficace.
J’en parle parce que, pour avoir posé la question lorsque j’ai fait, avec le concours de la DGFIP,
l’instruction des nouveaux statuts-types, nous n’avons pas d’évaluation de ces nouvelles formes.
Nous n’avons pas non plus d’évaluation des apports à la recherche des autres types de fondations
de plein exercice qui sont les fondations de coopération scientifique et les fondations universitaires.
Les ministères de l’enseignement supérieur et de la recherche n’ont pas su répondre à la question :
quel est l’apport de ces nouvelles fondations à leur objet qui est la recherche ? Nous n’en avons pas
beaucoup parlé, mais ces fondations sont peu contrôlées, voire pas du tout ou font l’objet de
contrôles qui ne sont pas efficaces, et il n’y a pas d’évaluation de leur apport.
Il y a d’abord à mon avis une simplification du paysage qui s’impose absolument. Il y a trop de
formes de fondations. Je le dis parce que nous le pensons au Conseil d’État, mais pas uniquement ;
je sais que je ne suis pas la seule à penser cela. Il y a sans doute une simplification souhaitable du
paysage des fondations, qui ne comporte pas ni les fonds de dotation, ni les associations, etc. Et il
y a également une convergence des systèmes à rechercher, en tout cas avec un souci d’équilibre
entre le régime des contraintes et les avantages.
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Or, il convient de constater qu’ont été beaucoup relevés, notamment par la loi Hamon, les
avantages fiscaux pour l’économie sociale et solidaire et, par capillarité, nous avons réduit
l’avantage relatif des ARUP et des FRUP, c’est-à-dire les structures qui supportent la plus grande
contrainte, d’où le mouvement de fuite que nous constatons dans les ARUP - je pense que le
ministère de l’Intérieur est d’accord avec moi - qui ne peut pas se faire pour les FRUP, parce que,
comme je l’ai déjà dit, si nous retirons la reconnaissance d’utilité publique à une FRUP, la fondation
disparaît et son actif est dévolu à un autre organisme. Il faut déjà évoluer sur ce point, arrêter de
multiplier les systèmes, faire la comparaison des avantages des uns et des autres. Je suis moins
sévère que mon voisin sur les fonds de dotation ; je pense qu’ils sont utiles. En revanche, je suis
très sévère sur leurs règles de constitution qui sont manifestement insuffisantes. Même avec le
renforcement récent, cela reste un système non contrôlé, ni en amont ni en aval, puisque le
contrôle fiscal qui aurait dû se substituer au contrôle a posteriori n’a pas été mis en œuvre.
Nous avons parlé des problèmes d’adaptation. Nous avons introduit la prévention des conflits
d’intérêts avec d’autres systèmes, notamment le renforcement du rôle du commissaire du
gouvernement. Nous avions également préconisé leur formation professionnelle. Cela étant ces
nouvelles dispositions ne s’appliquent, cela a été dit, qu’aux nouveaux entrants et aux modifications
à venir. Le sujet mériterait peut-être que la loi de 1987 oblige tout le stock des fondations et des
associations reconnues d’utilité publique à adopter des systèmes de prévention des conflits
d’intérêts, en sachant que la façon dont est géré ce problème est laissé à la liberté des structures.
La loi ne dit pas comment, mais elles le peuvent.
Enfin, il y a la question évoquée de la sanction effective des contrôles faits par la Cour. Dans le cadre
du contrôle des conditions de l’appel à la générosité du public, je persiste à dire qu’il faut trouver
un système de sanction efficace et proportionnée. Je comprends très bien les objections du ministre
des finances au système en vigueur, mais je pense que nous pouvons améliorer le dispositif, même
si cela concerne très peu de cas. Ce sont des cas emblématiques et qui méritent une sanction
exemplaire, puisque cela a été un débordement exemplaire également.
Antoine Durrleman
- Je remercie tous les intervenants pour la richesse de ces échanges et la
présidente Maryvonne de Saint Pulgent pour sa conclusion en forme de synthèse, et chacune et
chacun d’entre vous pour les pistes de réflexion qu’ils ont souhaité ouvrir pendant cette table
ronde. Ce sont de beaux chantiers dont l’enjeu mérite d’approfondir et sans doute de mettre en
œuvre un certain nombre des idées avancées aujourd’hui.
(Applaudissements.)
Emmanuel Kessler
. Merci à vous. Je vais passer la parole à Catherine Démier, présidente de la
cinquième chambre pour la première conclusion de cette journée de travail. Ensuite, le Premier
président et la ministre en charge de la jeunesse et de l’engagement nous rejoindront.
Je voudrais aussi vous indiquer que les vidéos de ce colloque seront disponibles prochainement sur
la chaîne YouTube de la Cour des comptes.
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Synthèse des débats par Catherine Démier, présidente de la cinquième
chambre de la Cour des comptes
Madame la Ministre, Monsieur le Premier président, Mesdames et Messieurs, d’abord merci
beaucoup à toutes et tous pour votre participation active à ce colloque de la Cour des comptes.
Cette journée d’échanges, par la qualité des thèmes abordés et des interventions aux tables rondes,
nous a permis d’atteindre notre double objectif : d’abord dresser un bilan de 30 ans de progrès en
gestion et en transparence, et partager nos réflexions sur les exigences renouvelées qu’impose le
développement de la générosité publique. Je tiens à remercier vivement nos intervenants aux
tables rondes, les services de la Cour et notre groupe de travail, qui a œuvré à la préparation de ce
colloque avec beaucoup d’énergie et beaucoup de talent.
Vous me permettrez d’en profiter pour saluer tout particulièrement un grand serviteur du secteur
de la générosité publique à la Cour des comptes en la personne de Robert de Nicolay, conseiller
maître honoraire depuis peu, qui, aux côtés de ses collègues Georges Capdeboscq et Antoine
Durrleman, s’est beaucoup investi dans l’organisation de ce colloque à quelques jours de son départ
à la retraite. Je souhaite l’en remercier publiquement très chaleureusement. Merci, Robert.
(Applaudissements.)
Chercher le chemin le plus efficace d’une rigueur de gestion et d’une transparence dans l’emploi
des dons est le point commun de tous les intervenants à cette journée, parce que sans
transparence, il n’y a pas de confiance des donateurs, sans confiance des donateurs, il n’y a pas de
don, et sans la mobilisation de ces donateurs, c’est tout un pan de l’action sociale, médicale,
scientifique, culturelle et environnementale de notre pays qui n’est pas mis en œuvre.
Je retiens de cette journée trois idées fortes. La première est l’émergence à la fin des années 80
d’une forte volonté conjointe du monde associatif et des pouvoirs publics de moraliser et de
professionnaliser le secteur de la philanthropie. De cette volonté sont nées des initiatives parmi
lesquelles figure la loi de 1991, qui a confié une mission de contrôle à la Cour.
La spécificité du dispositif de régulation du secteur philanthropique est qu’il s’est progressivement
constitué à partir d’initiatives essentiellement parlementaires. Ce fut le cas en 1991 avec
l’amendement du député Jean-Pierre Béquet qui, ce matin, nous a rappelé la vigueur des débats
parlementaires de l’époque. Ce fut le cas également en 2009 de la proposition du sénateur Adrien
Gouteyron qui a prévu la possibilité d’une suspension de l’avantage fiscal d’un organisme contrôlé
en cas de dérive constatée par la Cour. Cet amendement avait notamment été motivé, comme l’a
rappelé Antoine Durrleman tout à l’heure, par la publication en septembre 2009 d’un rapport de la
Cour des comptes très critique sur la SPA, rapport que Philippe Séguin avait présenté à la presse
avec des mots particulièrement sévères pour caractériser la gestion de l’association.
Quand nous faisons le bilan depuis 2009, comme nous l’avons vu, la Cour a été amenée à prononcer
quatre déclarations de non-conformité, et aucun retrait d’agrément fiscal n’en a résulté. Je souhaite
remercier Maryvonne de Saint Pulgent d’avoir particulièrement insisté sur ce point en disant que,
effectivement, si nous n’appliquons pas un régime de sanction, il n’existe pas.
Parallèlement, comme l’ont rappelé Nathalie Blum et Francis Charhon, le secteur associatif a
développé ses propres outils pour assurer une plus grande transparence dans l’emploi des dons et,
parmi ces outils, nous pouvons citer les labels mis au point par Don en confiance, puis par IDEAS,
représenté par Isabelle Gougenheim ici encore présente, ou grâce aux recours à des commissaires
aux comptes pour certifier les comptes.
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La deuxième idée forte des débats de la journée est qu’il est incontestable qu’un mouvement de
professionnalisation est engagé, et qu’il est naturellement imparfait mais se poursuit. Comme toute
organisation, les associations et fondations doivent réfléchir à leur façon de travailler et aux risques
spécifiques les concernant, d’où l’importance de la mise en place d’un contrôle interne efficace, au
moins dans les plus grandes associations. Le contrôle, qu’il soit interne ou externe, a certes un coût,
nous l’avons bien vu, mais la perte de confiance des donateurs a un coût encore supérieur, ainsi
que le rappelait ce matin Patrice Douret, président des Restos du Cœur.
La professionnalisation de la gouvernance, c’est-à-dire veiller à ce que les administrateurs, au sein
des conseils d’administration, exercent pleinement leurs missions de veille, d’orientation et de
supervision, me semble aussi être un enjeu très important, comme l’a souligné avec une certaine
solennité Jean-Marc Sauvé ce matin.
Enfin, je comprends que les nouveaux règlements comptables devraient améliorer la qualité des
informations financières aux donateurs et au grand public. La confiance est au cœur de la
philanthropie.
La troisième et dernière idée est que nous sommes dans une nouvelle phase de la philanthropie,
avec de nouveaux risques, de nouveaux enjeux et de nouvelles exigences qui appellent des
avancées. En effet, nous l’avons vu cet après-midi, le paysage se complexifie avec une diversité de
plus en plus grande des organismes susceptibles de faire appel aux dons, comme les fondations
abritées ou encore les fonds de dotation. Se pose également la question des dépenses à l’étranger
réalisées sur la base de dons collectés en France. Sur ce point d’ailleurs, s’agissant des fonds de
dotation, je voudrais confirmer à Pierre Siquier que nous nous sommes bien mis à contrôler les
fonds de dotation.
Cette complexité peut générer un manque de clarté, source de risque, des glissements possibles
dans la définition de l’intérêt général, l’apparition de potentiels conflits d’intérêts et des zones
grises, comme l’a dit encore une fois Pierre Siquier tout à l’heure. Face à ces risques, les avancées
pour maintenir la transparence constituent un défi pour la philanthropie. Dans cette perspective, a
été évoquée la loi du 24 août 2021 qui a donné de nouveaux pouvoirs de contrôle aux services
fiscaux et préfectoraux. Si elle répond à une partie de ces enjeux, les moyens consacrés à sa mise
en œuvre méritent d’être identifiés plus précisément.
Je retiendrai plus particulièrement, pour aller plus loin, deux avancées auxquelles la Cour pourrait
prendre part : d’abord, l’institution d’un mécanisme de sanctions graduées, une sorte de système
de riposte graduée, si je reprends l’expression de Maryvonne de Saint Pulgent. C’est l’institution
d’un système de mécanisme de sanctions graduées dès lors que des manquements dans l’usage
des dons sont constatés, par exemple si les dons sont utilisés majoritairement, voire excessivement
en frais de collecte ou en frais de fonctionnement, où nous sommes aujourd’hui relativement
impuissants. La deuxième piste est le renforcement de l’information des citoyens et du Parlement
par un rapport général sur la générosité publique que la Cour pourrait publier, par exemple, tous
les deux ans.
Pour conclure, nous avons une responsabilité commune : celle de nous assurer, chacun à notre
place, d’une gestion rigoureuse et transparente des dons. La confiance ne se décrète pas, elle se
construit, comme l’a rappelé Pierre Moscovici ce matin.
Au regard des enjeux soulevés pour le secteur philanthropique, pour le donateur, pour le
bénéficiaire de l’action des fondations et associations, pour l’État dans sa volonté de favoriser la
cohésion sociale et territoriale, nous devons continuer à toujours progresser dans cette voie.
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Après cette très rapide synthèse des débats, je remercie une fois encore très chaleureusement les
intervenants pour la qualité de leurs interventions, et je cède la parole à Pierre Moscovici, Premier
président de la Cour des comptes, et à Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargé de la jeunesse et de
l’engagement.
(Applaudissements.)
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Clôture par Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, et
Sarah El Haïry, Secrétaire d’État auprès du ministre de l'Éducation nationale,
de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l'engagement
Pierre Moscovici
- Madame la ministre, chère Sarah, Madame la présidente, chère Catherine,
Madame, Messieurs, chers amis, merci pour ce propos conclusif synthétique, juste et tout à fait
éclairant, chère Catherine. Avant de céder la parole à Madame la ministre dans quelques secondes,
qui a accepté de clore cette journée d’étude, ce colloque, je souhaiterais très rapidement vous dire
quelques mots, d’abord pour me féliciter à mon tour de la qualité des discussions et de celle des
intervenants dans ce colloque, dont le sujet suscite un engagement très puissant, à la hauteur de
la générosité des donateurs et de cet élan qui touche les Français.
Je veux aussi adresser une fois de plus mes chaleureux remerciements à l’ensemble de tous ceux
qui ont participé à cette journée. Vous avez partagé vos expériences, vos réflexions, avec beaucoup
de clarté, beaucoup de profondeur, sur le bon emploi de la générosité publique. Le succès de cet
événement, car c’est un succès, avec quelques 350 participants et une très bonne tenue des
échanges, tient à l’investissement et à la mobilisation des personnels de la Cour.
Je voudrais remercier Catherine Démier et, à travers elle, toute l’équipe qu’elle a constituée au sein
de la cinquième chambre, je les ai nommés ce matin, sans qui ce projet n’aurait assurément pas pu
voir le jour. Je remercie également les services de la Cour, qui se sont mis en ordre de bataille pour
faire de ce colloque un succès dans cette formule hybride à laquelle nous avons eu recours et qui
fonctionne bien. L’engagement de tous n’aurait toutefois pas eu le même impact si ce colloque
s’était déroulé en vase clos. Le numérique permet de décupler la portée de notre voix. Je me réjouis
qu’il ait trouvé un large public issu de la Cour des comptes, des chambres régionales des comptes,
mais aussi, je le sais, du monde universitaire, du monde associatif, de la société civile en général.
Je vais dire un dernier mot pour vous remercier, Madame la ministre, chère Sarah El Haïry, pour
votre venue à la Cour des comptes aujourd’hui. Nous y sommes très sensibles parce que nous
savons que vous avez, c’est vrai, un emploi du temps très pris et, dans votre secteur, ce n’est pas
un vain mot. Il requiert une très forte présence sur le terrain auprès des acteurs engagés, la société
civile. Toutefois, si vous êtes venue ici, c’est parce que, je le sais, cet événement est consacré à une
thématique que vous affectionnez particulièrement. Vous me disiez que c’était pour vous une
passion qui remontait à longtemps, avant même votre engagement politique et parlementaire, et
vous l’avez illustrée dans votre engagement politique et parlementaire avec un rapport qui a
compté. Je suis impatient d’entendre vos réflexions en la matière, tissées à l’aune de vos
expériences, à la fois comme militante engagée, comme députée auteur d’un rapport sur la
philanthropie à la française, chargée d’une mission sur l’évolution du cadre de la philanthropie et,
aujourd’hui, comme secrétaire d’État au cœur de la conception de la politique publique cruciale
pour la jeunesse et pour l’engagement. Sans plus tarder, je vous cède la parole.
(Applaudissements.)
Sarah El Haïry
- Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, très cher Pierre Moscovici,
vos mots me vont droit au cœur parce qu’ils sont justes et vrais. Ma présence ici marque mon
engagement, ma reconnaissance pour la Cour et tous ses travaux, mais également un vrai petit
moment de plaisir très personnel, pour être tout à fait honnête.
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Madame la présidente de la cinquième chambre, très chère Catherine Démier, par mes salutations,
ce sont également des salutations à toute l’équipe de la cinquième chambre, que j’ai appris à
connaître et à apprécier, et je me suis même prise d’affection pour un certain nombre d’entre eux.
Plus largement, c’est un vrai plaisir, comme je le disais dans mes propos liminaires, d’être avec vous
aujourd’hui pour célébrer une date anniversaire, celle de la loi du 7 août 1991.
Je reconnais un certain nombre de visages dans les présents, des visages amicaux pour un certain
nombre d’entre eux et surtout des visages du monde de l’engagement et de la générosité qui
montrent la diversité des acteurs, bien sûr. Je sais trouver à chaque fois votre mobilisation, votre
esprit parfois joueur, en tout cas engagé pour relever les défis qui sont les nôtres aujourd’hui, pour
créer du lien, mais toujours dans les combats justes que nous portons, et j’espère que vous trouvez
chaque fois dans mon engagement la même énergie. J’imagine que cette journée a été
extrêmement riche, intense ; j’ai vu le programme. Je me suis même permis le luxe de regarder un
certain nombre de travaux sur mon smartphone, quelques petits moments volés dans une journée
bien riche.
Cela fait maintenant 30 ans que la Cour des comptes contrôle le bon usage des dons collectés grâce
à la générosité publique. Par essence, la Cour des comptes, au-delà du mécanisme de contrôle et
de transparence, c’est ce pilier nécessaire, en tout cas à mes yeux, vis-à-vis de nos donateurs, et
bien sûr du bon usage des dons, mais cette mission fait de la Cour des comptes un organe central,
un organe de la confiance des Français dans le secteur très large de la philanthropie. Nous savons
tous combien, et vous l’avez rappelé, Madame la présidente de la cinquième chambre, à quel point
la confiance est une pierre angulaire. Cette pierre angulaire est absolument cruciale dans le
mécanisme du don, dans la décision du don. La Cour est ainsi aux côtés des acteurs publics et privés
un vecteur de transparence dans l’ensemble de la famille de la générosité publique.
Malheureusement, cette transparence a manqué parfois, et elle a été le frein pour un certain
nombre de donateurs à leur générosité. La confiance dans les structures porteuses de l’intérêt
général est un élément majeur pour la pérennité et le développement du don. La notion de
transparence est une clé de voûte pour l’ensemble des acteurs engagés.
C’est un secteur qui est basé sur l’appel à la générosité publique et qui a parfois été fragilisé par
certains abus. Je pense et j’espère qu’ils resteront derrière nous. C’est pourquoi le secteur exige la
transparence, mais j’ai bien noté, Madame la présidente de la cinquième chambre, qu’il faut une
certaine sévérité, une capacité à engager des sanctions, et je suis très intéressée et curieuse de
réfléchir à ces sanctions graduées parce que, oui, l’effectivité d’une sanction conditionne
l’effectivité d’un pouvoir de contrôle.
C’est pourquoi, je sais que je l’ai déjà dit mais je le répète, c’est un énorme merci que je souhaite
exprimer pour l’action de la Cour et pour toute l’équipe en particulier de la cinquième chambre. La
Cour a toujours eu pour préoccupation première que le donateur ait d’abord et avant tout une
information fiable, accessible et sur l’usage des dons du public à l’ensemble des organismes,
d’abord des fondations, des fonds de dotation évidemment aujourd’hui, et des fondations abritées.
À travers ces contrôles et la publication des rapports, c’est évidemment la diffusion des bonnes
pratiques pour l’ensemble du secteur, en tout cas c’est ainsi que je le vois et que l’on me le raconte,
pour la bonne gestion des fondations et des associations au regard de certains grands principes, à
savoir le respect de la volonté du donateur, la vérification de l’action effective de l’organisme, le
niveau maximum acceptable des frais de collecte, mais également la politique de placement, la
mise en concurrence des prestataires, les mécanismes destinés à éviter les conflits d’intérêts, pour
ne citer qu’eux et ne pas être trop longue. Cette transparence est nécessaire à plusieurs titres.
D’abord, les donateurs sont en droit d’être informés de l’utilisation de leurs dons, et les dépenses
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fiscales consenties par l’État justifient pleinement cette obligation de traçabilité et de contrôle.
C’est d’une certaine manière du donnant-donnant.
Pour être totalement dans la confidence, les rapports de la Cour sont les quelques rapports que je
ramène et qui finissent sur ma table de chevet… Oui, je sais, cela vous étonne, Pierre, mais je vous
assure.
(Rires.)
Il y a quelques folies. C’est aussi cela, certaines gourmandises. Aujourd’hui, c’est une
gourmandise à laquelle j’ai développé une certaine addiction.
Aujourd’hui, nous travaillons à renforcer cette confiance, en tout cas dans les structures mécènes
et pour les bénéficiaires, pour simplifier le don, j’y crois, par toutes les voies possibles. La confiance
est fondamentale. Je crois foncièrement aussi en la capacité d’autorégulation et, aujourd’hui, le
secteur en fait preuve. Il est important de le saluer.
J’ai un exemple en tête, car il me tient à cœur et Pierre Siquier en a été un des bâtisseurs, c’est
l’exemple de la collecte en face-à-face. Il a été possible, avec la création de la Coordination
nationale du face-à-face, de développer une sorte de référentiel, une charte éthique des bonnes
pratiques et l’État est évidemment là pour apporter son soutien chaque fois qu’il y aura des
démarches de ce type et les encourager. Ce qui nous touche le plus, c’est que des motifs de défiance
sont pour plus de 50 % à l’origine des dons qui ne sont pas faits, au-delà même du manque parfois
de moyens. Cela dit aussi quelque chose de cette volonté de s’engager, de cette volonté de donner.
Dans notre pays, je crois que la Cour aujourd’hui, par la qualité, la persévérance et la pertinence de
ses travaux, nous pousse à nous réinventer. Je l’ai vu en tant que parlementaire, en tant que
députée, en étant à l’intérieur d’une structure fondative et aujourd’hui au sein du ministère, au
sein des services déconcentrés de l’administration. Nous lisons ses rapports, les travaillons, nous
essayons de nous les approprier. C’est d’une certaine manière, j’assume ce mot, un cap, un guide,
et parfois une boussole pour prioriser des actions.
En 2020, les Français ont fait preuve d’une générosité assez exceptionnelle, c’est bien de le dire,
avec une progression des dons de 13,7 %. Ces chiffres ont été rappelés, et je ne m’y attarderai pas.
Cela montre une volonté de s’engager encore plus fortement, et c’est à nous de l’accompagner
grâce à des mesures fiscales aussi particulièrement exceptionnelles. Il y a l’engagement du
président de la République à maintenir une philanthropie à la française, comme cette expression
est devenue un usage entre nous. Ce que nous souhaitons faire émerger, c’est une vraie société de
l’engagement. Ce sont deux lois qui ont été promulguées à l’occasion des 120 ans de la loi de 1901.
Ces lois, finalement, c’est un acte supplémentaire pour favoriser la philanthropie et, vous l’avez
rappelé, très chère Catherine, ce sont des travaux parlementaires qui ont souvent fait évoluer ce
secteur.
Je pense à la levée de certains freins, de certains obstacles, pour le mécénat des TPE/PME. Je pense
évidemment à la franchise pour une philanthropie de proximité. Je pense également aujourd’hui à
quelques freins à lever autour du mécénat de compétences. Il y a là un cadre à clarifier et à sécuriser
juridiquement au regard du droit du travail où, parfois, le mécénat de compétences par le prêt de
main d’œuvre à titre gratuit est encore beaucoup trop assimilé au prêt de main-d’œuvre lucratif et
a donc des incidences fiscales. Je pense à la volonté de permettre aux fondations de bénéficier de
l’épargne solidaire, en y incluant les titres fondatifs.
Un certain nombre de chantiers avancent. L’évolution des exonérations des droits de mutation a
été un joli combat. Ce sont des combats fructueux, que ce soit pour les dons ou les legs au bénéfice
de l’intérêt général, et d’autres arriveront. Je pense au sujet des biens mal acquis qui a avancé, et
le décret est pour moi une vraie chance pour le monde associatif. Au-delà des symboles, au-delà
des avancées, nous avons aujourd’hui encore de nombreux enjeux, avec les questions sur les dons,
peut-être les questions sur la réserve héréditaire, qui amène encore énormément de questions
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sans lancer plus de débats ou de polémiques. J’ai parlé d’addiction, et une addiction se nourrit.
Évidemment, mes travaux continuent. Aujourd’hui, les acteurs du mécénat travaillent énormément
à faire plus de collectif. C’est le sens également du rapport sur les alliances stratégiques de la
députée Cathy Racon-Bouzon et de Charles-Benoît Heidsieck sur les alliances territoriales.
Je suis trop longue par rapport à ce que je souhaitais, mais une meilleure reconnaissance de
l’ensemble du secteur, c’est aussi un certain nombre de pédagogies vis-à-vis des entreprises, mais
également comment nous accompagnons, génération après génération, le goût du don, le goût de
la générosité publique. Cela commence à l’école pour de grandes causes, mais cela commence aussi
par la reconnaissance de nouvelles formes de générosité. Je pense aux arrondis sur salaire, à de
nouvelles formes de dons, de micro-dons, et à de nouvelles pratiques qui m’ont étonnée et qui
disent finalement quelque chose de l’évolution de notre société. Le week-end du Z Event, des
adolescents ont réussi à lever 10 M€ en un week-end. Je crois qu’arrivera le temps où nous devrons
regarder les mécanismes qui permettent ces grandes levées, ainsi que les questions qui bousculent
le secteur. Je vois un certain nombre de levées de fonds en cryptomonnaie, en
blockchain
. Ce sont
des enjeux numériques, qui aujourd’hui nous questionnent dans un exercice traditionnel, et ils
seront peut-être les défis de demain. En tout cas, j’ai hâte de lire les rapports de la Cour sur ces
sujets pour éclairer ces travaux.
On ne peut pas parler de philanthropie, de monde associatif, sans saluer l’aide quotidienne du Haut
conseil à la vie associative, qui permet de clarifier certaines zones d’ombre, pour ne pas parler de
zones grises. Je pense à la définition de l’intérêt général, à la fiscalité des associations, à la
concurrence parfois entre les secteurs lucratif et non lucratif, ou encore au mécénat de
compétences.
Il me semble nécessaire de continuer à nous parler, de construire, de déployer encore plus
fortement cette capacité à transformer les habitudes des Français pour définir et poser cette
philanthropie à la française qui nous ressemble, qui conjugue l’engagement de tous, que ce soit
pour les enfants, les jeunes, les adolescents, les personnes âgées. Tout le monde a quelque chose
à donner. C’est ce qui fait vivre d’une certaine manière un des triptyques de notre devise, cette
belle fraternité qui parfois est un peu oubliée.
C’est un énorme merci de m’avoir offert le plaisir, cher Premier président, de m’exprimer dans cette
magnifique maison pour laquelle j’ai une affection et une estime très particulières. Merci à tous.
(Applaudissements.)
(La séance est levée à 17 heures 11.)