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4
ème
CHAMBRE
S-2022-1439
4
ème
SECTION
OBSERVATIONS DEFINITIVES
(Article R. 143-11 du code des juridictions financières)
L’OPERATION SENTINELLE
Exercices 2015-2021
Le présent document, qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la Cour des comptes, le 14 juin 2022.
En application de l’article L. 143-1 du code des juridictions financières, la communication de
ces observations est une prérogative de la Cour des comptes, qui a seule compétence pour
arrêter la liste des destinataires.
L’OPERATION SENTINELLE
2
TABLE DES MATIÈRES
1
UN DISPOSITIF DEVENU PERENNE ET STABILISE DANS SON
AMPLEUR
.............................................................................................................
9
1.1
L’opération
Sentinelle
et ses évolutions de 2015 à 2021
.................................
9
1.1.1 Rappel du cadre général et des principes
..........................................................
9
1.1.2 La réquisition des armées reste la règle
...........................................................
11
1.1.3 La création d’une posture de protection terrestre (PPT) qui n’est pas
permanente
......................................................................................................
12
1.2
Le dialogue civilo-militaire s’est structuré
.....................................................
14
1.2.1 La cellule de coordination interministérielle de défense C2ID prolonge
l’action de la cellule interministérielle de crise CIC au niveau central
...........
14
1.2.2 Le véritable dialogue civilo-militaire s’effectue sur le terrain
........................
16
1.2.3 Réduction des effectifs et militarisation, effets du dialogue civilo-militaire .. 17
1.3
Les bénéfices pour les armées dans plusieurs domaines
................................
20
1.3.1 Le renforcement doctrinal de l’armée de Terre sur le « théâtre » national
.....
20
1.3.2 La subsidiarité éprouvée des petits échelons tactiques
...................................
21
1.3.3 Une adaptation logistique vertueuse
................................................................
22
2
«
UN EFFET MAJEUR SUR LE CHAMP DES PERCEPTIONS »
..................
23
2.1
Une contribution subjective à la lutte contre le terrorisme
............................
23
2.1.1 Les « indicateurs » du ministère des armées
...................................................
23
2.1.2 Agressions de nature terroriste / agressions de nature non terroriste
..............
25
2.1.3 « 25 % d’actions et 75 % de perceptions »
......................................................
27
2.2
Des effets sur les activités opérationnelles de l’armée de Terre
....................
27
2.2.1 Un bilan RH en demi-teinte
............................................................................
27
2.2.3 Un risque sur la préparation opérationnelle
....................................................
34
2.3
Un poids budgétaire prééminent au sein des MISSINT
.................................
36
2.3.1 Les surcoûts de
Sentinelle
...............................................................................
36
2.3.2 L’évaluation des dépenses de
Sentinelle
en coûts complets
............................
38
2.3.3 Le poids budgétaire de
Sentinelle
parmi les MISSINT
...................................
39
3
VERS UN DESENGAGEMENT ?
......................................................................
41
3.1
Une quête insatisfaite de complémentarité entre FSI et forces armées
..........
42
3.1.1 Evolution de la menace et asymétrie de la réponse de
Sentinelle
...................
42
3.1.2 Conséquences des prochaines sollicitations des forces de
Sentinelle
.............
43
3.1.3 Les trois vulnérabilités : addiction, banalisation, dilution
...............................
44
3.2
Sentinelle
aux frontières, « opération de trop » ou opportunité ?
..................
45
3.2.1 Les divergences de fond sur la participation de
Sentinelle
à la lutte contre
l’immigration illégale et clandestine
...............................................................
45
3.2.2 Le bilan négatif de l’expérimentation sur l’appui de
Sentinelle
à la lutte contre
l’immigration illégale et clandestine
...............................................................
47
3.2.3 La participation de
Sentinelle
à la lutte contre l’immigration illégale et
clandestine, étape vers le désengagement ?
.....................................................
48
3.3
Désengagement, subsidiarité et substitution
..................................................
49
3.3.1 Retrouver des intentions stratégiques au-delà des « 4 i »
................................
50
L’OPERATION SENTINELLE
3
3.3.2 Une posture de subsidiarité à rechercher dans les domaines relevant des
compétences particulières des armées
.............................................................
51
3.3.3 Le retour progressif aux forces de sécurité intérieure
.....................................
52
L’OPERATION SENTINELLE
4
SYNTHÈSE
De 2015 à 2021, l’opération
Sentinelle
a vu se succéder près de 225 000 militaires
français, appartenant pour 95 % d’entre eux à l’armée de Terre, afin d’aider les forces de
sécurité intérieure (FSI) à lutter contre le terrorisme islamique à la suite des attentats de 2015
sur notre territoire. Après sept années de mise en œuvre, l’opération
Sentinelle
présente des
caractéristiques qui peuvent être décrites sommairement en cinq points.
1.
Une menace toujours forte mais qui a changé de nature.
En 2014 et 2015, la menace, exogène, se caractérisait par la projection d’attaques depuis
le Levant. Mais depuis les revers de l’État islamique, la menace est devenue endogène, même
si elle est parfois incarnée par des ressortissants étrangers réfugiés ou résidents illégaux. Depuis
fin 2018, elle est portée par des individus inspirés par l’État islamique mais qui ne sont pas
nécessairement affiliés à une organisation terroriste. Ainsi les forces militaires françaises
déployées avec
Sentinelle
, depuis 2015, sur tout le territoire, mais qui ne disposent ni du
renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine,
peuvent ne pas paraître les mieux placées pour faire face à la nouvelle forme de menace. De
fait, dans le cadre d’un dialogue civilo-militaire parvenu à maturité, entre les armées et les
forces de sécurité intérieure, une réduction des effectifs militaires a eu lieu, portant sur la
proportion de personnel déployé et non sur le volume global désigné qui reste le même. Le
format a été adapté du fait d’une meilleure compréhension mutuelle de la logique d’effets et
des différences de modes d’actions entre FSI et armées.
2.
Une réponse délibérément militaire à la menace
En cas de crise majeure sur le sol national, une posture de protection du territoire
national, déclinée en contrat opérationnel de protection, avait été définie en 2016. Revue à la
baisse à partir de 2018, elle permet de déployer jusqu’à 10 000 militaires en trois échelons
(3 000 + 4 000 + 3 000), pendant un mois, apportant ainsi un complément aux forces de sécurité
intérieure lesquelles demeurent les intervenants de premier rang dans la lutte anti-terroriste
(LAT). Cette contribution des armées obéit à des réquisitions de l’autorité civile qui conserve
la maîtrise des mesures mises en œuvre alors que l’autorité militaire reste maître des moyens
nécessaires pour atteindre l’effet demandé. En principe, il ne devrait être recouru aux armées
que lorsque les moyens de l’autorité civile sont estimés
indisponibles, inadaptés, inexistants ou
insuffisants
. En réalité, le recours aux armées n’a pas été un choix par défaut mais un choix
délibéré. Les autorités politiques ont considéré que la réponse apportée aux attaques terroristes
sur notre sol devait être une réponse militaire et massive. Il ne s’agissait pas de renforcer des
forces de sécurité défaillantes mais de montrer qu’à des attaques aussi agressives, la France
répondait avec ses soldats. Le choix a été de mettre « plus de kaki que de bleu dans la rue » et
d’en mettre beaucoup. Si le résultat préventif est difficilement mesurable, l’effet recherché est
quantifiable puisqu’il est celui d’un engagement militaire massif. Le coût complet de ce
continuum
sécurité-défense est évalué à 2 milliards d’€ depuis sept ans et à plus de 3 milliards
d’€ si on l’augmente d’un ratio de 1,66 (365/220) pour tenir compte du fait que la solde des
militaires est calculée pour 220 jours par an environ.
3.
Un risque à lever dans l’hypothèse d’engagement majeur des armées
En même temps, les sollicitations des forces de
Sentinelle
se multiplient. En 2022, la
présidence française de l’Union européenne a donné lieu à la tenue d’environ 400 événements.
L’OPERATION SENTINELLE
5
En 2023, la France accueillera la Coupe du monde de rugby et en 2024 les Jeux olympiques.
Parallèlement, doivent être poursuivies des tâches - qui sont parfois reportées - telles que l’aide
civile et militaire due par la France aux forces alliées transitant ou stationnant sur son territoire.
Dans ce contexte, il apparaît que les forces de
Sentinelle
seront employées pour des missions
éloignées de leur cœur de métier. La doctrine d’emploi des forces terrestres a fait l’objet
d’intenses débats, lourds de conséquences pour l’outil de défense français. Le contrat
opérationnel de protection n’a pu être assuré qu’au prix de renoncements. Les conditions se
sont améliorées, mais la préparation opérationnelle a été touchée dans la durée. La situation
internationale actuelle conduit la France à intégrer le scénario d’un engagement majeur en
coalition dans une opération de coercition de haute intensité. Si l’engagement majeur était
déclenché, la montée en puissance de la force d’intervention nécessiterait une réduction
conséquente des engagements au titre de
Sentinelle
.
4.
Une posture de subsidiarité à rechercher dans les domaines relevant des compétences
particulières des armées
Dans l’optique d’un meilleur emploi des forces, le critère quantitatif des effectifs
militaires à mobiliser, n’est pas suffisant. Les compétences spécifiques de l’armée
professionnelle sont nombreuses, notamment en moyens spécialisés et en capacités de niche
comme celles des forces spéciales, de véhicules blindés et de moyens aéromobiles, de capacités
du génie, de moyens de protection et d’intervention contre les risques nucléaires, radiologiques,
biologiques et chimiques (NRBC), de lutte anti-drones, de mobilité 3D, de neutralisation,
enlèvement, destruction d’explosifs (NEDEX), d’intervention anti-terroriste et de libération
d’otages. Or, la plupart de ces moyens sont rarement sollicités dans un cadre où les armées
seraient les seules à pouvoir les mettre en œuvre, ce qui devrait constituer le véritable critère de
subsidiarité pour les réquisitionner. Le recours à
Sentinelle
, recentré sur des missions à forte
technicité, de détection, d’observation et de renseignement en milieu naturel hostile ou
inaccessible, peut être l’occasion valorisante de s’orienter vers une forme de désengagement
progressif
(Recommandation n°1)
.
5.
Le transfert progressif aux forces de sécurité intérieure
Alors que les armées se concentrent sur l’hypothèse d’un engagement majeur en
coalition dans une opération de coercition de haute intensité, la Cour estime qu’il n’est plus
pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un
« affichage de militaires dans les rues ».
Il appartient donc aux FSI de reprendre des secteurs d’activité qui leur reviennent en
priorité et pour lesquels elles sont mieux équipées qu’en 2015 dans la mesure où les moyens
humains et matériels ont été significativement renforcés pour leur permettre de faire face à la
menace terroriste.
Par ailleurs, une réflexion renouvelée sur le pilotage des différentes réserves
opérationnelles (des ministères de l’intérieur et des armées) serait de nature à simplifier la
mobilisation des différentes réserves pour des missions intérieures.
(Recommandation n°2)
.
L’OPERATION SENTINELLE
6
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Recommandation n°1 :
(SGDSN, SGMI, EMA) Privilégier une réquisition maitrisée des
armées pour des missions à haute valeur ajoutée militaire, combinant réactivité et
désengagement rapide.
Recommandation n°2 :
(SGDSN, SGMI, MINARM) Transférer la mission
Sentinelle
aux
forces de sécurité intérieure, ou justifier son maintien, dans un format réduit, sur la base d’une
analyse partagée de la menace.
L’OPERATION SENTINELLE
7
INTRODUCTION
Au lendemain des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, pour faire face à la menace
terroriste et protéger les points sensibles du territoire, le Président de la République a décidé
d’activer l’opération
Sentinelle
, permettant de déployer jusqu’à 10 000 militaires pendant un
mois sur le territoire national.
De 2015 à 2021, ce sont près de 225 000 militaires qui ont été requis pour mettre en
œuvre, sous commandement militaire, des mesures décidées par l’autorité civile, à la suite d’un
dialogue civilo-militaire qui associe ministère des armées et ministère de l’intérieur.
Au fil du temps, ce dialogue a permis de réduire les effectifs militaires et aujourd’hui
Sentinelle
repose sur un dispositif permanent de 3 000 hommes, un échelon de renforcement de
4 000 hommes et une réserve de 3 000 hommes.
Le ministère des armées n’enregistre, sur le BOP OPEX MISSINT, que les surcoûts de
cette opération qui, en 2015, s’élevaient à 182,5 M€. Avec la réduction des effectifs, les surcoûts
s’élèvent, en 2020, à 131,51 M€.
Dans un contexte de menace terroriste accru, le recours aux armées pour assurer des
missions de protection dans les situations de crise est devenu fréquent dans de nombreuses
démocraties occidentales. Une démarche comparative a fait l’objet d’un rapport au Parlement
en 2016
1
et d’un rapport d’information de la commission de la défense nationale et des forces
armées
2
. Certains États, notamment l’Allemagne, n’ont prévu d’employer leurs armées sur leur
territoire qu’en cas de danger extrême. La majorité des États déploient leurs armées en cas de
troubles importants, y compris pour la lutte contre le terrorisme, mais leur engagement sur le
territoire national n’est que ponctuel : tel est le cas du Royaume-Uni, des États-Unis, de
l’Espagne, des Pays-Bas. Il n’existe qu’une minorité d’États dans lesquels les armées appuient
régulièrement les forces de sécurité intérieure, comme la France et l’Italie.
En 2017, la Cour avait déjà établi un premier rapport sur la mise en œuvre de l’opération
Sentinelle
. En 2020, elle avait aussi examiné les moyens affectés à la lutte anti-terroriste.
Après sept années de reconduction, et une situation de la menace terroriste qui a évolué,
il est nécessaire
de vérifier si les recommandations associées aux deux rapports précités ont été
suivies, d’établir un bilan actualisé de l’opération
Sentinelle
et de réfléchir au bon emploi des
armées sur le territoire national.
Le présent rapport examine, dans une première partie intitulée «
Sentinelle
, un dispositif
parvenu à maturité », ce qu’est devenue cette organisation bicéphale mise en place en 2015 et
dont le fonctionnement s’est peu à peu structuré.
Dans une deuxième partie, le rapport évalue la contribution de
Sentinelle
à la lutte contre
le terrorisme, relève ses effets sur les activités opérationnelles de l’armée de Terre et mesure
l’impact budgétaire en coûts complets de l’opération. Le titre de cette deuxième partie est
1
Conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la
population, Rapport du Gouvernement au Parlement, 2016.
2
Rapport d’information en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la présence et
l’emploi des forces armées sur le territoire national, commission de la défense nationale et des forces armées, 2016.
L’OPERATION SENTINELLE
8
emprunté aux armées elles-mêmes qui résument ainsi leur point de vue : «
Sentinelle
, un effet
majeur sur le champ des perceptions ».
Enfin, la troisième partie pose clairement la question du « désengagement » de
Sentinelle
au vu d’une part, d’un constat de complémentarité insatisfaisante entre les forces de
sécurité intérieure et les armées et, d’autre part, d’une divergence de fond sur la question
nouvelle de la lutte contre l’immigration illégale et clandestine. Elle invite à tirer la
conséquence de l’hypothèse d’un engagement majeur de haute intensité et à réfléchir aux
alternatives à l’engagement des armées au titre de l’opération
Sentinelle
.
L’OPERATION SENTINELLE
9
1
UN DISPOSITIF DEVENU PERENNE ET STABILISE DANS
SON AMPLEUR
L’opération
Sentinelle
a vu se succéder près de 225 000 militaires français, appartenant
pour 95 % à l’armée de Terre, sur sept années (2015-2021). Pour la première fois depuis la fin
de la guerre froide, les effectifs terrestres déployés sur le territoire national – en métropole et
outre-mer - dépassent ceux mobilisés pour les opérations extérieures.
Le déploiement des militaires de l’opération
Sentinelle
sur le territoire national s’inscrit
dans une politique et des plans plus larges dont le SGDSN à la charge. Le plan gouvernemental
Vigipirate
de «
vigilance, de prévention et de protection face aux menaces d’actions
terroristes
», en particulier, assigne des missions à chaque ministère en fonction du niveau de
menace. Dans ce cadre, depuis 1995, des militaires (environ 1 000) pouvaient être déployés sur
le territoire national pour des tâches de surveillance de sites et de nœuds de transports (environ
20 sites), mais en pratique peu de mesures les ont concernés jusqu’aux attentats de 2015.
L’opération
Sentinelle
n’est pas directement liée au plan
Vigipirate
mais elle évolue
de facto
en
fonction du niveau de vigilance décrété par ce plan toujours en vigueur, à trois niveaux
(vigilance, sécurité renforcée/risque d’attentat, urgence attentat). Néanmoins, il subsiste un lien
indirect, car le dispositif
Vigipirate
fixe les recommandations prescrites à l’autorité civile, sur
laquelle cette dernière fonde tout ou partie de ses demandes de renforcement.
L’opération
Sentinelle
n’est pas une adaptation de
Vigipirate,
elle en est un complément
qui témoigne du
continuum
des enjeux de défense et de sécurité depuis les attentats de 2015.
Mais elle en diffère par son ampleur et sa durée qui tendent à modifier la nature d’une simple
contribution. En effet, elle ne relève plus du Premier ministre mais elle est déclenchée en conseil
de défense et de sécurité. De force d’appoint aux agents chargés de la sécurité intérieure,
Sentinelle
est devenue une opération qui rapproche les moyens civils et militaires de lutte contre
le terrorisme, parfois au point de décloisonner leurs finalités respectives.
1.1
L’opération
Sentinelle
et ses évolutions de 2015 à 2021
L’engagement des armées sur le territoire national ne peut s’envisager que dans un cadre
juridique précis dont la règle de droit commun est la réquisition. En même temps a été créée
une posture de protection terrestre, parallèle aux postures permanentes de sauvegarde maritime
et de sûreté aérienne.
1.1.1
Rappel du cadre général et des principes
Après les attentats terroristes de 2015, la question s’est posée de savoir si la France était
confrontée à un nouveau scénario stratégique. Lors des auditions devant la Commission de la
L’OPERATION SENTINELLE
10
défense nationale et des forces armées de juin 2016
3
, deux opinions différentes étaient exposées.
Le chef d’état-major des Armées de l’époque estimait que
Sentinelle
répondait à une situation
de «
rupture stratégique
» et que c’est elle qui justifiait le
« renfort substantiel et durable des
forces armées »
aux forces de sécurité intérieure. Pour sa part, le directeur général de la
Gendarmerie nationale, sans contester que le contexte stratégique avait évolué, jugeait
«
prématuré
» le scénario de la rupture dans la mesure où les groupes terroristes n’étaient pas
parvenus
« à prendre durablement le contrôle de certains espaces ou d’une partie de la
population »,
ce qui selon lui aurait été
« de nature à mettre en cause l’intégrité du territoire et
l’équilibre du pays ».
Le Parlement a choisi de tenir compte de cette évolution du contexte stratégique, sans
toutefois bouleverser la législation en vigueur. Ainsi, la modification du cadre d’intervention
des armées sur le territoire national après les attentats de 2015 s’est inscrite dans la ligne du
Livre blanc de 2008, reconduite dans le Livre blanc de 2013. Celui de 2008 avait innové en
introduisant le concept de sécurité nationale, sur la base d’un nécessaire
continuum
des enjeux
de défense et de sécurité, pour répondre aux nouveaux conflits tels que le terrorisme ou la
cybermenace. Avec la loi de programmation militaire 2009-2014, ce concept avait fait son
apparition dans le code de la défense
4
.
En conséquence, dans la mesure où la France n’était pas en situation d’appliquer le
régime juridique exceptionnel de l’état de siège après 2015, c’est l’état d’urgence qui a été
décrété et le recours aux armées sur le territoire national s’est appuyé sur la règle traditionnelle
du droit commun, à savoir le principe de la réquisition.
Le cadre juridique d’engagement des armées sur le territoire national
-
L’article 16 de la Constitution
donne au Président de la République des
pouvoirs
étendus
exigés par ces
circonstances exceptionnelles
, lorsque les institutions, l’indépendance
de la Nation, l’intégrité du territoire, les engagements de la France sont gravement menacés et
que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu,
-
L’article 36 de la Constitution
prévoit que
l’état de siège
peut être décrété en conseil
des ministres
« en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection
armée ».
Il se caractérise par l’attribution de pouvoirs de police exceptionnels aux autorités
militaires.
-
La loi du 3 avril 1955
permet la déclaration de
l’état d’urgence
, par décret en conseil
des ministres,
« soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit
en cas d’événements présentant par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité
publique ».
Il confère aux autorités civiles des pouvoirs de police exceptionnels.
L’état
d’urgence a été déclaré à la suite des attentats du 13 novembre 2015 et prorogé six fois
. Il
a pris fin le 1
er
novembre 2017 avec l’entrée en vigueur de la loi renforçant la sécurité intérieure
et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT.
-
Hors état de siège
, la participation des armées à la préservation de l’ordre public
s’opère dans le cadre de
réquisitions
en application des dispositions du code de la défense.
3
Commission de la défense nationale et des forces armées, rapport sur la présence et l’emploi des forces
armées sur le territoire national, rapport d’information n°3864, 22 juin 2016, p.102.
4
Article L. 1111-3 du code de la défense.
L’OPERATION SENTINELLE
11
Par ailleurs, pour tenir compte des nouvelles menaces, la doctrine d’emploi des armées
a été précisée avec la création d’une posture de protection terrestre (PPT) qui n’est pas tout à
fait le pendant de la posture permanente de sauvegarde maritime (PPSM) ni de la posture
permanente de sûreté aérienne (PPSA).
1.1.2
La réquisition des armées reste la règle
Ces menaces, parce qu’elles ne sont pas nécessairement militaires, ni directes, ni
permanentes, ne peuvent conduire à l’intervention des armées sur le territoire national que dans
un cadre interministériel et sous le régime de la réquisition sur le fondement de l’article L. 1321-
1 du code de la défense aux termes duquel
« aucune force armée (à l’exception de la
gendarmerie nationale) ne peut agir sur le territoire de la République pour les besoins de la
défense et de la sécurité civiles sans une réquisition légale ».
Cet impératif a été repris par l’instruction ministérielle n°10 100 du SGDSN du 3 mai
2010 (abrogée et remplacée par celle du 14 novembre 2017).
La réquisition ne s’applique aux armées qu’en tant que force de troisième catégorie,
c’est-à-dire après les formations de la gendarmerie départementale et de la garde républicaine
(première catégorie) et les formations de la gendarmerie mobile (deuxième catégorie).
L’efficacité de l’engagement des armées sur réquisition de l’autorité civile repose en
principe sur des conditions :
-
la connaissance des attributions des différents acteurs de terrain,
-
l’anticipation des situations susceptibles de nécessiter la réquisition,
-
une planification conjointe (principalement au niveau zonal) s’appuyant sur
l’évaluation partagée des menaces et des risques.
Mais surtout, les critères du recours aux armées sont réglementairement au nombre de
quatre, ne sont pas cumulatifs et doivent faire systématiquement l’objet d’un dialogue civilo-
militaire à l’échelon central, zonal et départemental. Il ne peut être recouru aux armées que
lorsque les moyens de l’autorité civile sont estimés
indisponibles
,
inadaptés
,
inexistants
ou
insuffisants
(règle dite des « 4 i »).
Il est précisé que l’autorité civile indique dans ses réquisitions l’effet à obtenir par les
armées en tenant le plus grand compte des avis qui lui sont donnés par l’autorité militaire.
L’instruction 10 100, en son article 32, prévoit la répartition subtile des responsabilités
entre deux chaînes hiérarchiques qui, tout en restant distinctes, doivent nécessairement
travailler ensemble :
« L’autorité civile conserve la maîtrise des mesures mises en œuvre sans s’immiscer
dans leur exécution par les armées. En fonction de l’évolution de la situation, elle peut soit
modifier soit suspendre ces mesures.
L’autorité militaire est responsable de l’exécution des réquisitions. A ce titre, et tant
que dure l’effet de la réquisition, elle est seule juge de la mise en œuvre des moyens nécessaires
pour atteindre l’effet à obtenir défini par l’autorité civile.
L’OPERATION SENTINELLE
12
Il n’existe pas de lien hiérarchique entre l’encadrement des forces de sécurité intérieure
et civile et les commandants des détachements militaires. Ces derniers continuent à recevoir
leurs ordres d’un commandement militaire unique. Ils se limitent strictement à la mission
confiée par la réquisition. Pour autant, ils s’intègrent dans le dispositif global de sécurité placé
sous l’autorité des responsables territoriaux de la sécurité intérieure et de la sécurité civile
avec lesquels ils se coordonnent systématiquement ».
Le Président de la République, sur le fondement de l’article 15 de la Constitution, décide
en conseil de défense et de sécurité nationale, du déploiement des armées sur le territoire
national dans le cadre d’une opération intérieure et, en conséquence, permet les réquisitions des
préfets de zone de défense et de sécurité.
La même procédure s’applique quand il s’agit de réduire le niveau d’engagement des
armées, c’est-à-dire quand les critères de fin de crise majeure sont réunis ou que les moyens à
disposition de l’autorité civile sont estimés à nouveau disponibles, suffisants et adaptés pour y
faire face.
L’ensemble des conditions légales et réglementaires de la réquisition ne sont pas
toujours réunies. En particulier, les armées regrettent que le niveau d’anticipation des situations
susceptibles de nécessiter la réquisition et l’exigence de planification conjointe sur la base d’une
évaluation partagée des menaces et des risques, ne soient pas toujours satisfaisants. Quant à la
règle des « 4 i », qui suggère que le recours aux armées doit être temporaire, elle n’est pas
appliquée. Les autorités civiles (SGDSN, ministère de l’intérieur), la récusent comme une
fiction car personne ne peut soutenir que les forces de sécurité intérieure seraient soit
indisponibles
,
inadaptées
,
inexistantes
ou
insuffisantes.
Les
autorités militaires, pour leur part,
préféreraient qu’elle soit appliquée pour limiter leur engagement. L’effet à obtenir par les
armées est donc essentiellement un effet quantitatif, même s’il n’est pas présenté comme tel.
Pourtant, la règle des « 4 i » suggère que les armées ne devraient pas être employées en première
intention, mais seulement comme
ultima ratio
.
Pour l’état-major des armées, la réponse militaire au terrorisme sur le territoire national
doit être ponctuelle, limitée dans le temps, destinée à surmonter une menace particulière, au
risque d’être banalisée et de perdre son intérêt. Les soldats, s’ils ne sont pas «
rares
»,
deviennent des acteurs du quotidien comme les autres et ne remplissent plus leur office de
dissuasion.
1.1.3
La création d’une posture de protection terrestre (PPT) qui n’est pas
permanente
Au mois de mars 2016, conformément à la loi d’actualisation de la LPM, le ministre de
la défense a remis au Parlement un rapport sur l’emploi des armées sur le territoire national qui
entérinait le tournant pris en 2015 du retour des forces terrestres à l’intérieur des frontières avec
la mise en œuvre d’une posture de protection terrestre (PPT) et l’augmentation de la force
d’opérations terrestres (FOT) de 11 000 hommes pour la porter à 77 000 (+16,7 %).
En 2017, la Cour notait déjà que
« le nouveau modèle de l’armée de Terre, dénommé
« au contact », renouait avec la défense opérationnelle du territoire (DOT) qui était tombée en
désuétude avec la professionnalisation des armées en 1996 et la priorité donnée aux forces
projetées en opérations extérieures ».
L’OPERATION SENTINELLE
13
La LPM 2019-2025, dans son rapport annexe, a décrit les cinq objectifs stratégiques que
sont la connaissance/anticipation, la prévention, la dissuasion, l’intervention et la protection.
S’agissant de la fonction protection, elle prévoit des postures de sûreté aérienne, de
sauvegarde maritime ainsi que de protection terrestre rédigée en ces termes :
« les armées
françaises devront être capables d’assurer en permanence la défense du territoire national et
de ses approches ».
La mention suivante est précisée : la fonction protection
« intègre la
posture de protection terrestre mise en place à l’issue des attentats de 2015 et de 2016 ».
Le
détail en est donné
: « la posture de protection du territoire national est pérennisée dans sa
nouvelle forme (jusqu’à 10 000 militaires en trois échelons et pendant un mois), organisant
ainsi les conditions d’une contribution durable des armées à la défense et à la sécurité de notre
territoire face à la menace terroriste d’inspiration djihadiste ».
La posture de protection terrestre est ensuite déclinée en un contrat opérationnel de
protection (COP) relevant du CEMA et qui, en cas de crise majeure sur le sol national, doit être
en mesure, sur demande de l’autorité civile et sous la responsabilité du ministre de l’intérieur,
d’apporter un complément aux forces de sécurité intérieure et aux forces de sécurité civile,
lesquelles demeurent référentes dans ce domaine et les intervenants de premier rang.
Les trois postures au sein des armées ne sont pas équivalentes.
Celles des armées comportent deux postures permanentes dites de milieu, celle de
sauvegarde maritime (PPSM) et celle de sûreté aérienne (PPSA). Ces deux postures sont des
missions permanentes respectivement mises en œuvre par la Marine nationale et l’armée de
l’Air et de l’Espace et placées directement sous l’autorité du Premier ministre.
Seule administration de l’État à disposer des moyens d’action en haute mer, la Marine
nationale s’inscrit dans un double
continuum
: un
continuum
sécurité/défense avec une
progressivité de la menace qui va du besoin des actions de police en mer aux menaces à
caractère étatique ; un
continuum
du littoral à la haute mer via des zones aux caractéristiques
juridiques différentes (eaux territoriales, zone économique exclusive, haute mer) et une
interface entre le milieu terrestre et aéro-maritime.
Quant à l’armée de l’Air, elle est aussi primo-intervenante dans son domaine pour mettre
en œuvre un dispositif destiné à faire face aux menaces dans la 3
ème
dimension, y compris le
terrorisme, et contribuer ainsi à la sécurité intérieure, dans le cadre de l’action aérospatiale de
l’État.
Avant les attentats de 2015, seules la Marine et l’armée de l’Air étaient dotées, dans
leurs milieux respectifs, de postures permanentes claires. En revanche, l’armée de Terre, au fil
du transfert de la défense opérationnelle du territoire (DOT) à la gendarmerie après la
disparition de toute menace imminente aux frontières, de la professionnalisation, des
restructurations, des dissolutions d’unités et des projections en opérations extérieures, avait
largement perdu son empreinte territoriale d’autant que le territoire national n’était pas encore
perçu comme un lieu de menaces majeures.
Ce n’est qu’à la suite des attentats de 2015 et dans le cadre de travaux menés par le
SGDSN, que l’armée de Terre s’est dotée d’une posture de protection terrestre (PPT) lui
permettant ainsi de «
réinvestir
» le territoire national.
Toutefois, cette posture est différente des deux autres de milieu. D’abord, en principe,
la PPT n’est pas permanente mais
« adaptable, c’est-à-dire continue dans le temps, mais
discontinue en volume et dans l’espace ».
Ensuite, l’armée de Terre n’est pas primo-
L’OPERATION SENTINELLE
14
intervenante mais n’intervient qu’à l’appui des forces de sécurité intérieure. En conséquence,
elle n’est pas placée sous l’autorité du Premier ministre mais au confluent interministériel des
deux chaînes de commandement des ministères de l’intérieur et des armées. Enfin,
contrairement aux missions dans le cadre de la PPSM et de la PPSA qui sont duales (les navires
et les avions poursuivent en même temps d’autres actions), les missions de sécurité intérieure
assignées à la PPT immobilisent l’armée de Terre pour les seules tâches de protection. Il faut
ajouter que si la PPSM mobilise quotidiennement environ 1 400 marins et la PPSA environ 900
aviateurs, soit 4 % des effectifs de la Marine et 2 % de ceux de l’armée de l’Air, la PPT occupait
(dans les premières années, avant la stabilisation du socle à 3 000 militaires) pas moins de 10
% de ses effectifs et 15 % de ses forces opérationnelles.
La création d’une posture de protection terrestre, même diminuée du principe de
permanence, installe la participation l’armée de Terre aux missions de sécurité intérieure dans
la durée, au-delà d’un dispositif exceptionnel et temporaire de réquisition.
1.2
Le dialogue civilo-militaire s’est structuré
La première recommandation du rapport de 2017 de la Cour sur l’opération
Sentinelle
prescrivait d’«
évaluer l’efficacité de la doctrine récente sur la coordination civilo-militaire en
cas de déploiement d’opération militaire de lutte contre le terrorisme sur le territoire national
et rédiger une instruction actualisant celle n°10 100 du 3 mai 2010
». Le rapport de 2020 sur
les moyens de la lutte anti-terroriste demandait de «
parfaire la coopération civilo-militaire
».
Ces recommandations ont été mises en œuvre avec une nouvelle instruction et l’instauration
d’un véritable dialogue civilo-militaire aboutissant à une adaptation des effectifs sur le terrain.
1.2.1
La cellule de coordination interministérielle de défense (C2ID) prolonge
l’action de la cellule interministérielle de crise (CIC) au niveau central
L’instruction n°10 100 du 14 novembre 2017, qui a remplacé celle du 3 mai 2010, donne
le cadre de l’organisation du dialogue civilo-militaire.
Les armées agissent sous le commandement opérationnel du chef d’état-major des
Armées (CEMA) par l’intermédiaire du centre de planification et de conduite des opérations
(CPCO). Le contrôle opérationnel est assuré par les officiers généraux de zone de défense et de
sécurité (OGZDS) en métropole, les commandants supérieurs des forces armées (COMSUP)
dans les Départements ou Régions français d’Outre-Mer et les Collectivités d’Outre-Mer
(DROM/COM), les commandants de zone maritime (CZM) et le commandant de la défense
aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) dans leurs milieux respectifs.
Au niveau zonal, les officiers généraux de zone de défense et de sécurité (OGZDS) sont
les conseillers militaires des préfets de zone mais ne leur sont pas subordonnés. Ils disposent
d’un état-major interarmées de zone de défense et de sécurité (EMIAZDS). Au niveau
départemental, les délégués militaires départementaux (DMD) sont dans la même situation vis-
à-vis des préfets de département qu’ils conseillent tout en étant sous l’autorité de l’OGZDS.
L’OPERATION SENTINELLE
15
Dans le milieu terrestre, le commandement militaire s’appuie sur l’Organisation
Territoriale Inter Armées de Défense (OTIAD) qui repose sur trois échelons : national, zonal et
départemental. L’OTIAD est la chaîne de commandement militaire interarmées dédiée aux
engagements sur le territoire national en métropole et outre-mer, dans le cadre de la défense
militaire comme dans celui de la défense civile, en complément, en renforcement, en appui ou
en soutien de l’action civile.
L’OTIAD assure la coordination avec les chaînes civiles de responsabilités zonale ou
départementale. Elle est l’interface entre l’autorité civile et l’autorité militaire qui garantit le
respect des fondements de l’action militaire. L’OTIAD est organisée en miroir de la chaîne de
responsabilité préfectorale mise en place par le ministère de l’Intérieur (MININT). Cette
structure miroir, aux niveaux national, zonal et départemental, améliore la connaissance
mutuelle des acteurs interministériels et la réactivité grâce à la mise en place de procédures
communes.
Organigramme n° 1 :
Organisation des relations civilo-militaires sur le territoire national
SGDSN : secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale
CIC : cellule interministérielle de crise
C2ID : cellule de coordination intérieur/défense
EMIZ : état-major interministériel de zone
COZ : centre opérationnel zonal
COD : centre opérationnel départemental
CEMA : chef d’état-major des armées
CPCO : centre de planification et de conduite des opérations
OGZDS : officier général de zone de défense et de sécurité
COMSUP : commandant supérieur
EMZD : état-major de zone de défense
COIAZDS : centre opérationnel interarmées de zone de défense et de sécurité
DMD : délégué militaire départemental
L’OPERATION SENTINELLE
16
L’opération
Sentinelle
, en 2015, avait commencé par se développer dans le cadre d’une
autonomie relative des deux ministères de l’intérieur et des armées puisqu’elle ne s’effectuait
pas sous un commandement commun.
Le rapport de la Cour de 2017 avait relevé la coexistence de deux chaînes de
commandement intervenant sur le même espace et avec des missions identiques de lutte contre
le terrorisme. Il avait caractérisé l’anomalie en ces termes :
« on ne peut que constater que le
dispositif ainsi activé est une construction sui generis ne reposant que partiellement sur des
textes préexistants »
. La preuve en était apportée par le fait que la cellule interministérielle de
crise (CIC), qui aurait dû être activée, ne l’avait pas été en permanence et que sa tenue avait été
remplacée par une simple réunion de coordination entre les cabinets des deux ministères. Cette
réunion dont le nom était « cellule de coordination intérieur-défense » ou C2ID n’était définie
que par une note du 30 juin 2016 du ministère de l’intérieur qui officialisait sa création. Elle est
coprésidée par le préfet Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), adjoint du
Secrétaire général du ministère de l’intérieur et l’officier Chargé d’anticipation et de synthèse
(CAS) sur le théâtre national du CPCO au ministère des armées.
Lors des attentats de janvier (Charlie Hebdo, Hyper Cacher) et novembre 2015
(Bataclan), la CIC avait été activée pendant plusieurs semaines. Puis, elle avait été activée
ponctuellement lors des attentats près des anciens locaux de Charlie Hebdo le 25 septembre
2020 rue Nicolas-Appert à Paris, puis de Nice le 29 octobre 2020 et de Conflans-Sainte-
Honorine (assassinat de Samuel Paty) le 16 novembre 2020. La dernière activation de la CIC
liée au terrorisme remonte à l’attentat de Rambouillet le 23 avril 2021.
L’instruction n°10 100 du 14 novembre 2017 dispose dorénavant qu’en situation de
crise majeure, la cellule interministérielle de crise (CIC) répond, dans la durée de son activation,
aux besoins de coordination civilo-militaire mais qu’en dehors des périodes d’activation de la
CIC, le dialogue stratégique régulier est entretenu au niveau central par la C2ID et au niveau
zonal par les préfets de ZDS et les OGZDS, puis au niveau local par le DMD et le préfet de
département.
1.2.2
Le véritable dialogue civilo-militaire s’effectue sur le terrain
La nouvelle instruction définit la C2ID comme une instance commune regroupant, au
niveau central, les principaux acteurs des ministères de la défense et de l’intérieur concernés
par l’engagement des armées sur le territoire national. La C2ID assure la coordination des deux
chaînes de commandement civile et militaire.
Au départ, les réunions se sont déroulées sur une base bimensuelle. Puis, cette fréquence
est devenue variable en fonction de l’actualité, en moyenne une fois toutes les six semaines. Si
nécessaire des C2ID « thématiques » sont organisées. Pendant le premier confinement, les C2ID
étaient hebdomadaires pour ajuster la réponse sécuritaire à une situation inédite. Son rôle s’est
accru en devenant un organe d’orientation des renforcements planifiés et, en dernier recours,
d’arbitrage entre les demandes des préfets de zones
Mais le véritable dialogue civilo-militaire est conduit aux niveau zonal et départemental.
Pour les armées, il se fonde sur les directives du CPCO diffusées régulièrement. Ces directives
définissent notamment les lignes directrices et la conduite à tenir en vue de garantir la cohérence
L’OPERATION SENTINELLE
17
de la posture des armées et la préservation de leur rôle spécifique dans le dispositif
interministériel.
Ces directives sont adaptées aux circonstances et reposent sur les principes pérennes
suivants :
-
le dialogue civilo-militaire doit prendre en compte les contraintes spécifiques à l’emploi
des armées (capacités rares, anticipation, normes d’engagement, soutien, etc.) ;
-
le dialogue civilo-militaire doit permettre de bénéficier d’une appréciation fine des actions
et de l’effort produit ou demandé aux armées sur le territoire national, en anticipation
comme en conduite ;
-
l’OGZDS détermine les moyens nécessaires à la réalisation des effets fixés par la
réquisition.
C’est donc sur la base de propositions du niveau zonal résultant du dialogue entre
OGZDS et préfets de zone de défense, transmises avec le plus de préavis possible (un mois
minimum), que l’engagement de l’échelon de renforcement est planifié en C2ID.
Le rapport de l’inspecteur des armées du 2 juillet 2021 relatif à l’opération Sentinelle
fait ressortir un paradoxe dans le dialogue civilo-militaire entre
« une apparente stabilité
globale au niveau central, de permanence et de continuité »
et
« un dynamisme local entretenu
aux échelons subordonnés, la subsidiarité et la réflexion tactique de chaque niveau ».
En
d’autres termes, si apparemment rien ne bouge au niveau interministériel, tout a changé au
niveau d’exécution. La formulation n’est pas indifférente en ce qu’elle a traduit un mouvement
de fond - volontariste de la part des armées - qui caractérise la période 2015-2021 : la baisse
continue des effectifs militaires de 10 000 à 3 000 hommes.
1.2.3
Réduction des effectifs et militarisation, effets du dialogue civilo-militaire
La situation opérationnelle de référence demandait qu’environ 7 000 hommes puissent
être répartis en 15 groupements terrestres
Proterre
, chaque groupement comprenant six unités
élémentaires à deux sections.
Cette posture pouvait être renforcée jusqu’à 10 000 hommes pendant un mois en cas de
crise majeure. Les circonstances de crises visées sont par exemple les attaques terroristes
majeures sur le territoire, la déstabilisation de certains territoires d’outre-mer, une menace
balistique contre le territoire, une pandémie massive à forte létalité, une catastrophe naturelle
ou technologique de grande ampleur, une crise majeure de l’ordre public, une situation de crise
face à des flux migratoires massifs, des menaces et chantages ou une tentative de rupture des
approvisionnements stratégiques.
Le contrat opérationnel de protection a été activé pour la première fois le 12 janvier
2015 avec la création de l’opération
Sentinelle
. L’opération a été déployée (montée à 10 000
hommes) au lendemain des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, pour faire face à la menace
terroriste sur le territoire national et protéger les points sensibles du territoire.
En mars 2015, le Président de la République a pris alors la décision de stopper les
déflations d’effectifs puis d’actualiser la LPM en augmentant la FOT de 11 000 hommes pour
la porter à un total de 77 000.
L’OPERATION SENTINELLE
18
Après l’attentat du 13 novembre 2015, plutôt que d’ajuster à nouveau la LPM, il a appelé
à
« mieux tirer parti des possibilités des réserves de la défense […] qui peuvent demain former
une Garde nationale encadrée et disponible ».
Un commandement du territoire national (COM-
TN), qui n’est pas dans la chaîne opérationnelle, a été créé pour rénover les réserves et
coordonner le service militaire volontaire.
L’emploi de la force a été précisé dans le cadre du code pénal et non dans celui du droit
des conflits armés. En effet, la France n’étant pas en guerre, c’est le droit commun qui
s’applique, en l’occurrence la légitime défense, l’état de nécessité ou l’ordre de la loi. Un
militaire de
Sentinelle
demeure un citoyen ordinaire autorisé à porter une arme de guerre. La
loi du 23 février 2017 relative à la sécurité intérieure a cependant modifié les conditions de
l’ouverture du feu pour les militaires opérant sur le territoire national en les alignant sur celles
des forces de sécurité civile dans le cas « des cavales meurtrières » terroristes. Il s’agit d’une
exonération de responsabilité, ou excuse pénale, fondée sur l’état de nécessité, qui permet aux
militaires d’agir même en l’absence de la condition d’immédiateté requise par la légitime
défense. Cette évolution du mode opératoire de l’ouverture du feu qui se rapproche des
conditions pratiquées en OPEX est parfois présentée comme une forme de « militarisation » du
territoire national.
Le cadre juridique d’emploi de la force par les armées sur le territoire national
- Des exonérations pénales accordées à tout citoyen
o
Article 122-4 du code pénal - l’ordre de la loi et de l’autorité légitime :
« n’est
pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité
légitime sauf si cet acte est manifestement illégal »
o
Article 122-5 du code pénal - la légitime défense de soi ou d’autrui et des biens,
à condition que la réaction respecte les trois critères de nécessité, de proportionnalité et de
simultanéité.
o
Article 122-7 du code pénal - l’état de nécessité : est une cause d’exonération
« pour la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou
un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a
disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace » .
- Une nouvelle excuse pénale, étend aux armées l’état de nécessité applicable aux FSI et leur
permet, en cas de « périples meurtriers », de faire usage de leurs armes, même en l’absence de
la condition d’immédiateté (art. L. 2338-3 du code de la défense).
Le 13 juillet 2017, le Président de la République a annoncé une refonte du dispositif :
« Nous proposerons une nouvelle doctrine d’intervention qui permettra de revenir en
profondeur sur l’organisation de Sentinelle afin d’avoir une plus grande efficacité
opérationnelle et de prendre en compte l’évolution de la menace ».
L’OPERATION SENTINELLE
19
L’attaque du mercredi 9 août 2017, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) contre des
soldats de
Sentinelle
, la sixième du genre, a relancé le débat sur l’opération, qui mobilisait
quelque 7 000 soldats en permanence en France depuis les attentats terroristes de janvier 2015.
La décision du conseil de défense du 17 août a confirmé la généralisation de la posture
de surveillance dynamique de préférence aux gardes statiques.
Une organisation rénovée a été mise en œuvre depuis 2018. Elle repose sur un dispositif
opérationnel permanent (DOP) et un échelon de renforcement programmé (ERP), pour un
volume maximal de 7 000 hommes. Le DOP est régulièrement réévalué dans le cadre du
dialogue civilo-militaire zonal (préfet de zone et OGZDS), puis validé au niveau national. Par
ailleurs, l’échelon de renforcement a été adapté pour offrir une meilleure réactivité : depuis
2021, une partie des forces (1 000 hommes) a ainsi été placée en alerte à 12 heures (Réserve
Opérative RO12), le reste demeurant en alerte à 72 heures (Réserve Opérative RO72). Les
hommes qui ne sont pas déployés sur le terrain sont dans leurs unités respectives et continuent
à s’entraîner. L’engagement de l’échelon de renforcement est validé chaque mois dans le cadre
du dialogue civilo-militaire central. Une réserve stratégique de 3 000 hommes complète le
dispositif en cas de nécessité.
Tableau n° 1 :
Dispositif
Sentinelle
en 2021
Dispositif
Sentinelle
Effectif au 1
er
juin 2021
Dispositif opérationnel permanent (DOP)
3 000
Echelon de renforcement programmé (ERP, dont Réserve Opérative 12 et 72 h)
4 000
Réserve stratégique
3 000
Total
10 000
Source : EMA
Ce rempart de 3 000 à 5 000 hommes en moyenne, dans cette version stabilisée du
dispositif, a permis, grâce au dialogue civilo-militaire, la concentration des efforts et
l’engagement de l’échelon de renforcement au juste besoin, de manière réactive et efficace.
Parallèlement, les réquisitions ont diminué des trois-quarts à Paris et de moitié en
province, même si leur nombre est à relativiser, ainsi que la répartition entre Paris et la province.
En effet, certains préfets de zone présentent une réquisition sur quelques sites pour une durée
de deux mois quand d'autres, en particulier le préfet d'Ile de France, réalisent une réquisition
générale sur 6 mois pour plusieurs centaines de sites et d'évènements.
Tableau n° 2 :
Nombre de réquisitions et répartition Paris/province
Lieu/Année
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Paris
46
27
2
10
28
10
L’OPERATION SENTINELLE
20
Province
135
192
145
125
93
68
Paris/Total
25,4 %
12,3 %
1,4 %
7,4 %
23,1 %
12,8 %
Total réquisitions
181
219
147
135
121
78
Source : EMA
En 2018/2019, l’augmentation du nombre de réquisitions sur Paris a été en grande partie
due à la crise des « gilets jaunes », période pendant laquelle
Sentinelle
a relevé des unités
statiques des forces de sécurité intérieure de garde d’ambassades dans la capitale.
A force d’influence et de persuasion, de
« tractations patientes, vertueuses,
argumentées
5
»,
ce sont les OGZDS qui ont obtenu des acteurs clés que sont les préfets, le
désengagement progressif mais systématique des renforts après les attentats successifs (le pic
de 7 000 hommes en novembre 2020 étant le plus récent après les attentats de la basilique de
Nice et de Conflans Sainte Honorine). Même si les armées déplorent que la tentation
quantitative soit encore prégnante dans la chaîne civile,
« à force de pédagogie, les autorités
préfectorales ont notamment mieux intégré la volonté des armées de dépasser la logique
comptable des effectifs déployés pour, progressivement, promouvoir l’expression d’effets à
obtenir qui, seule, permet aux armées d’être force de proposition
6
».
Cet « apprivoisement » des deux parties, qui résulte d’une meilleure connaissance
réciproque mais aussi d’une
« stricte vigilance des armées quant aux attendus des sollicitations
des autorités civiles et des modalités d’exécution associées
7
»,
est perçu comme un point positif,
particulièrement par et pour les armées qui n’admettent qu’à titre de concession que l’effet
politique et médiatique recherché par l’échelon préfectoral soit le volume déployé.
1.3
Les bénéfices pour les armées dans plusieurs domaines
Dans le rapport de l’inspection des Armées sur
Sentinelle
, les armées insistent moins
sur les effets de leur lutte contre le terrorisme que sur les bénéfices qu’elles ont tiré pour elles-
mêmes de leur participation à l’appui des forces de sécurité intérieure, notamment en termes de
renforcement doctrinal, de subsidiarité et de logistique.
1.3.1
Le renforcement doctrinal de l’armée de Terre sur le « théâtre » national
Dans le rapport de l’inspecteur des Armées, le territoire national devient parfois un
« théâtre national » qui consacre, voire justifie, le nouvel engagement massif des armées. Le
terme n’est pas neutre qui renforce l’idée de militarisation de la lutte anti-terroriste. Le gain
d’une « posture » à l’instar des deux autres Armées est perçu comme une sorte de rattrapage
qui était souhaité par l’armée de Terre après la réforme culturelle de la professionnalisation. Il
témoigne de son intégration et de sa nouvelle place dans le paysage opérationnel national. Il
5
Rapport sur
Sentinelle
de l’inspecteur des Armées du 2 juillet 2021.
6
id
7
id
L’OPERATION SENTINELLE
21
constitue
« un réel sujet de réflexion et d’interactions, dépassant le strict volet de la défense
opérationnelle du territoire ».
En effet, la refonte du modèle de force de l’armée de Terre était en préparation bien
avant les attentats de 2015. Dès 2005, l’idée a émergé d’une reterritorialisation pour répondre
à la crainte de voir se développer une armée coupée de son lien avec la nation et lui rendre sa
fonction perdue de maillage territorial. Avec l’opération
Sentinelle
, la participation aux
missions de sécurité intérieure est devenue un axe structurant du nouveau modèle qui s’imposait
à elle. La création le 1
er
juin 2016 d’un « commandement du territoire national », aux côtés des
forces spéciales, de l’aérocombat, de la force interarmes
Scorpion
et des commandements
spécialisés, mais qui n’est cependant pas inséré dans la chaîne opérationnelle, a été présenté
comme l’un des cinq piliers du nouveau modèle.
Ce commandement, du niveau divisionnaire, créé dans le cadre du plan de
réorganisation de l'armée de Terre nommé « Au contact » a été placé sous l'autorité du major
général de l'armée de Terre. Sa mission est de préparer l'engagement opérationnel des forces de
l'armée de Terre sur l'ensemble du territoire national français. Il assure la coordination, sans
lien de subordination, avec les formations relevant d’un employeur autre que l’armée de Terre :
bataillon des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), service militaire adapté (SMA), service
militaire volontaire (SMV), délégation aux réserves de l’armée de Terre, 25
ème
régiment du
génie de l’Air, unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile. Il est l'autorité
fonctionnelle de milieu pour 19 000 personnels de l'armée de Terre. Il est le référent Terre et
expert milieu pour les engagements terrestres sur le territoire national en appui de l’action
interministérielle de l’Etat. S’il n’a aucun lien direct avec
Sentinelle
, ce qui peut paraître
étonnant, il est né dans le sillage du réinvestissement de l’armée de Terre sur le territoire
national après 2015.
1.3.2
La subsidiarité éprouvée des petits échelons tactiques
Le commandement de l’armée de Terre se félicite de trouver l’occasion avec
Sentinelle
de valoriser un dispositif qui
« laisse sa juste place à l’agilité et à la subsidiarité au travers
d’une intention claire et comprise »
. Il apprécie
« la solidité des petits échelons tactiques soudés
et œuvrant avec cohésion et identité »
parce qu’il retrouve dans ce mode opératoire ce qui
constitue l’ADN de l’armée de Terre.
« Cette posture militaire tranche véritablement avec les
habitudes et les aptitudes de leurs homologues de niveau correspondant au sein des FSI
8
».
Toutefois, cette appréciation est parfois contredite au sein des armées dans la mesure où les
unités élémentaires de
Sentinelle
à huit hommes ne se prêtent à aucune manœuvre militaire.
Pour certains, c’est une déstructuration des conditions de préparation opérationnelle.
Le commandement de l’armée de Terre considère également avec satisfaction que
« la
clarté des règles d’engagement qui ont évolué, la discipline d’emploi des armes, les postures
adaptées et l’absence d’incident, individuel ou collectif, témoignent de cette maturité
sédimentée « ici et là-bas » ».
De fait, les événements auxquels ont été confrontés le 1
er
RCP
au Louvre lors de l’attaque du 3 février 2017 ou le 1
er
REG à Marseille le 1
er
octobre 2017, ainsi
que d’autres exemples à Valence, à Strasbourg, etc. en témoignent.
8
Rapport de l’inspecteur des Armées, déjà cité.
L’OPERATION SENTINELLE
22
Il insiste sur la fiabilité de toutes les unités qui repose sur une mise en condition finale
robuste avant la projection sur le terrain, tout en demandant que soient organisés davantage de
séances d’information sur le cadre juridique de l’action, de scénarios de mise en condition
partagés, de retour sur les bonnes pratiques observées lors des mandats précédents, de séances
de techniques d’intervention opérationnelle rapprochées (TIOR).
En outre, selon l’inspecteur des Armées,
« avec la pandémie, les contraintes de vie
imposées ont redoré l’importance de la cohésion et du rôle des chefs de proximité pour mieux
connaître, former et encourager leurs subordonnés dans un épanouissement collectif reconnu
de tous ».
Le «
caractère opérationnel retrouvé de cette mission TN
» est placé par les Armées
à l’actif du bilan de
Sentinelle
.
1.3.3
Une adaptation logistique vertueuse
Un tel volume de forces jamais engagé depuis des décennies sur le territoire national a
eu besoin d’une chaîne de soutiens qui n’a cessé de se transformer pour être efficace.
Ainsi, les conditions d’hébergement, d’alimentation et de renforcement de la condition
du personnel, après avoir constitué des difficultés handicapantes, ont été progressivement
améliorées. Par exemple, l’utilisation d’une carte d’alimentation
Sodexo
permet aux militaires
de
Sentinelle
de recourir à des restaurants présélectionnés sur le trajet de la patrouille et non
plus d’être soutenus en régie avec des contraintes sur la souplesse du dispositif.
De même, des équipements individuels et collectifs, non spécifiquement militaires,
comme les véhicules ou les moyens de communication, ont été adaptés aux caractéristiques de
la mission.
La création à Brétigny-sur-Orge d’une zone de transit mise en œuvre par le service du
commissariat des Armées atteste d’une adaptation à haut niveau du soutien opérationnel pour
les rotations d’unités dans la zone de défense et de sécurité Ile-de-France.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’opération Sentinelle a vu se succéder près de 225 000 militaires français, appartenant
pour 95 % d’entre eux à l’armée de Terre, au cours de sept années pleines (2015-2021). Pour
la première fois, depuis la fin de la guerre froide, les effectifs terrestres déployés sur le territoire
national dépassent ceux mobilisés pour les opérations extérieures.
Après les attentats de 2015, la modification du cadre d’intervention des armées sur le
territoire national s’est inscrite dans la ligne du Livre blanc de 2008 qui avait introduit le
concept du continuum des enjeux de défense et de sécurité pour répondre aux nouveaux conflits
tels que le terrorisme. L’état de siège n’ayant pas été décrété, le recours aux armées sur le
territoire national s’est appuyé sur la règle de la réquisition, en principe d’usage limité dans
le temps. Toutefois, la doctrine d’emploi des armées s’est dotée d’une posture de protection
terrestre (PPT) qui installe la participation de l’armée de Terre dans la durée.
L’opération Sentinelle, en 2015, avait commencé par se développer dans le cadre d’une
autonomie relative des ministères de l’intérieur et des armées en l’absence d’une autorité
commune. Tel est toujours le cas puisque l’autorité civile conserve la maîtrise des mesures
L’OPERATION SENTINELLE
23
mises en œuvre et que l’autorité militaire est seule juge de la mise en œuvre des moyens
nécessaires pour atteindre l’effet demandé. Mais, la nouvelle instruction 10 100 du SGDSN de
2017 a défini la C2ID comme une instance commune regroupant, au niveau central, les
principaux acteurs des deux ministères concernés et assure la coordination des deux chaînes
de commandement. Un véritable dialogue civilo-militaire s’est établi
entre OGZDS et préfets
de zone de défense. Il a permis d’aboutir à des propositions qui, au fil du temps, ont conduit à
réduire les effectifs militaires de 10 000 à 3 000 hommes.
Aujourd’hui, Sentinelle repose sur
un dispositif opérationnel permanent de 3 000 hommes, un échelon de renforcement
programmé de 4 000 hommes et une réserve stratégique de 3 000 hommes.
Globalement,
les armées insistent plus sur les bénéfices qu’elles ont tirés à leur profit
de leur participation à l’appui des forces de sécurité intérieure qu’aux effets obtenus en termes
de lutte contre le terrorisme.
____________
_______________________________________________________________
2
«
UN EFFET MAJEUR SUR LE CHAMP DES PERCEPTIONS »
Quantifier l’effet de la prévention est difficile. Cependant, on peut tenter de mesurer
l’impact de l’opération
Sentinelle
en termes de contribution à la lutte contre le terrorisme,
d’effet sur les activités opérationnelles de l’armée de Terre, de coût humain et de dépenses
budgétaires pour les finances publiques.
2.1
Une contribution subjective à la lutte contre le terrorisme
L’EMA a retenu un classement des différents évènements que la force
Sentinelle
a dû
gérer et qui s’élèvent de 7 335 en 2017 à 2 372 en 2020.
Si l’on s’efforce de ne considérer que les agressions proprement dites, les chiffres se
limitent à 69 pour les agressions non terroristes et à 6 pour celles qui ont été qualifiées de
terroristes.
Le rapport de l’inspecteur des armées a choisi de qualifier l’effet de
Sentinelle
en termes
de perception subjective
2.1.1
Les « indicateurs » du ministère des armées
Les « indicateurs » du service rendu par
Sentinelle
présentés par l’EMA n’ont pas
fait l’objet d’un suivi pour les années 2015 et 2016. Pour les années 2017 et 2018, 6
« indicateurs » ont été suivis :
périmètre de sécurité sur un colis ou un véhicule suspect ;
signalement d’étrangers en situation irrégulière (ESI) ou d’activités suspectes ;
L’OPERATION SENTINELLE
24
altercations sur la voie publique ;
aide à la personne ;
appui aux forces de sécurité intérieure (FSI) ;
divers.
Dans cette première liste d’« indicateurs », la lutte anti-terroriste (LAT) est absente.
À partir de 2019, le nombre des « indicateurs » est passé à 8 et mentionne explicitement le
terrorisme :
périmètre de sécurité sur un colis ou un véhicule suspect ;
signalement d’étrangers en situation irrégulière (ESI) ou d’activités suspectes ;
altercations sur la voie publique ;
aide à la personne ;
appui aux forces de sécurité intérieure (FSI) ;
action sur évènement terroriste ;
prêts de main-forte non liée terrorisme ;
dégradation de biens, inscriptions etc.
En réalité, il s’agit davantage d’une classification d’événements par catégories que de
véritables indicateurs. Bien qu’il soit difficile d’interpréter l’évolution de ces évènements
(baisse constante sur la période considérée 2017 à 2020), il faut néanmoins remarquer qu’elle
suit la même courbe à la baisse que les forces déployées sur le territoire et que le changement
de nature de la menace terroriste et donc de l’appui apporté aux FSI. Le passage d’une posture
statique à une posture dynamique renforce aussi ce phénomène de baisse. L’ajout de catégories
supplémentaires à partir de 2019 (dont celui de la LAT) ne modifie pas la trajectoire.
Tableau n° 3 :
Les « catégories d’événements » de l’opération
Sentinelle
Année
Périmètre de
sécu sur
colis/vhl
suspect
Signalement
ESI ou activité
suspecte
Altercations
sur la voie
publique
Aide à la
personne
Appui
au FSI
Action sur
évènement
terroriste
prêts de main-
forte non liée
terrorisme
Divers
Dégradation
de biens,
inscriptions
etc
Total
2015
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
2016
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
NC
2017
2029
1195
158
437
2528
NC
NC
988
NC
7335
2018
1509
373
195
428
1903
NC
NC
1003
NC
5411
2019
1105
155
144
294
1496
2
77
NC
13
3286
2020
763
333
91
144
892
4
126
NC
19
2372
NC : non comptabilisé
Source : EMA
L’action de dissuasion ou de prévention des actions terroristes n’est pas mesurable. Pour
l’EMA,
« les chiffres ainsi recensés montrent que la vocation initiale de Sentinelle de lutte
contre le terrorisme militarisé est dévoyée ».
En effet, pour lui :
- les actions conduites ne touchent que marginalement le domaine de la lutte anti-
terroriste. Elles contribuent en revanche à la tranquillité publique par l’intervention
d’opportunité ou l’appui aux FSI pour des incidents de l’insécurité quotidienne ;
L’OPERATION SENTINELLE
25
- les actions conduites dans le domaine de la lutte contre l’immigration clandestine sont
prégnantes, alors que les armées n’ont pas pour mission de contribuer à cette politique (cf. 3
ème
partie).
La formulation est à nuancer. En effet, s’il est possible de soutenir que la vocation
initiale de
Sentinelle
à la lutte contre le terrorisme militarisé est dévoyée, notamment parce
qu’elle dure dans le temps, en revanche les interventions sur colis, véhicules activités suspects
ou étrangers en situation irrégulière, ne sont pas dénuées de tout lien avec la lutte contre le
terrorisme.
Depuis l’été 2021, le CPCO a adopté un nouveau classement qui distingue les actions
de
Sentinelle
en contribution à l’ordre public hors champ et dans le champ de la lutte anti-
terroriste.
Curieusement, alors que les demandes de surveillance des édifices religieux ont toujours
été abondantes, le nombre de sites surveillés n’est suivi que depuis 2021. Le tableau ci-dessous
présente le nombre moyen de sites sous surveillance chaque jour. Depuis fin 2017, l’action de
Sentinelle
s’exerce uniquement sur un mode dynamique. La seule surveillance statique est celle
du tunnel sous la Manche, en zone Nord.
Tableau n° 4 :
Nombre moyen de sites sous surveillance par jour
2021
Sites
religieux
Gares
Aéroports
Ports
Bâtiments
publics
Zones
publiques
Frontières
IDF
323
40
9
2
372
21
0
Nord
21
8
1
1
41
26
2
Est
65
7
2
1
75
3
8
Ouest
58
11
2
1
70
15
1
Sud
85
3
3
2
19
11
2
Sud Est
33
6
1
0
7
0
Sud Ouest
66
11
4
1
86
0
10
Total
651
86
22
8
670
76
23
Source : EMA
Le classement du ministère des armées repose sur un décompte, telle une main courante,
de tous les événements auxquels les militaires de
Sentinelle
ont été confrontés. Pour tenter
d’affiner l’appréciation de la contribution de
Sentinelle
à la lutte contre le terrorisme, la Cour
a demandé au ministère des armées de ne retenir que les agressions proprement dites et de
distinguer les agressions de nature terroriste de celles qui ne l’étaient pas.
2.1.2
Agressions de nature terroriste / agressions de nature non terroriste
Le procureur de la République décide du classement terroriste ou non d’un acte, s'il y a
une plainte associée. La répartition des agressions dans la typologie est pour le reste réalisée
par le CPCO, sur remontée d'information des états-majors de zone de défense.
L’OPERATION SENTINELLE
26
Sur la période 2015-2018, 9 militaires de la force
Sentinelle
ont été blessés et aucun
décès n’est à déplorer. De plus, aucun attentat sur un militaire n’a été relevé pour l’année 2019
et l’année 2020 qui a été marquée par la période de confinement liée au COVID.
Les deux principaux modes d’actions employés sont des armes blanches (couteau ou
machette) et des armes par destination (véhicule). Un seul attentat contre les militaires a fait
l’objet de l’utilisation d’une arme à feu, à Strasbourg. Par ailleurs, la région Ile-de-France, qui
concentre presque 50% de l’effectif concentre aussi 50% des attentats (3 sur 6).
Tableau n° 5 :
Les agressions de nature terroriste sur la force
Sentinelle
Détail/Année
2015
2016
2017
2018
Date
3 février
1er janvier
3 février
18 mars
9 aout
11 déc
Lieu
Nice
Valence
Paris
Orly-Sud
Levallois-Perret
Strasbourg
Nb de militaires blessés
2
0
0
0
6
1
Nombre d’agresseurs
1
1
1
1
1
1
Arme utilisée
Couteau
Véhicule
machette
/
Véhicule
arme à feu
Source : EMA
Les agressions de nature non terroriste n’ont pas fait l’objet d’un suivi pour l'année
2015. Du 1
er
janvier 2016 à fin mars 2019, les agressions ont été comptabilisées de manière
globale (sans détail sur le type d'agression).
A partir d'avril 2019 jusqu'à ce jour, quatre catégories d'agression de type non
terroriste ont été suivies :
Verbale
Entrave à l'accomplissement de mission
Physique avec armes (hors arme à feu)
Physique avec arme à feu
Tableau n° 6 :
Les agressions de nature non terroriste de la force
Sentinelle
Agression/Année
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Verbale
NC
ND
ND
ND
ND
41
61
Entrave à la mission
NC
ND
ND
ND
ND
2
7
Physique avec arme
NC
ND
ND
ND
ND
4
1
Physique avec arme
à feu
NC
ND
ND
ND
ND
0
0
Sous total
NC
61
38
30
16
47
69
Total agression
NC
61
38
30
63
69
NC : non comptabilisé - ND : non détaillé
Source : EMA
Les agressions non terroristes sont peu nombreuses et de nature presqu’exclusivement
verbale.
L’OPERATION SENTINELLE
27
2.1.3
« 25 % d’actions et 75 % de perceptions »
Le rapport de l’inspecteur des Armées du 2 juillet 2021 a choisi de qualifier par ces mots
l’impact de l’opération
Sentinelle
: « Dans sa manifestation quotidienne, l’opération Sentinelle
peut aujourd’hui se traduire par la formule « 25 % d’actions et de livrables concrets » et « 75%
de perceptions et d’effets immatériels au profit de la sécurité nationale ». Si les 25 % de
contributions finalisées valorisent le professionnalisme de nos soldats, un travail d’éducation
au profit des 75 autres % devrait faire gagner aux armées l’influence nécessaire, l’habitude de
changements de posture et une adéquation anticipée aux besoins réels, en lien avec la chaîne
civile ».
Un peu plus loin le rapport ajoute :
« Les autorités préfectorales comme les états-majors
zonaux reconnaissent que l’opération Sentinelle est caractérisée par un rapport pouvant être
considéré à 75 % de perceptions et 25 % d’actions. Si personne aujourd’hui ne remet en cause
la plus-value des armées dans les 25 %, elles doivent investir et structurer les 75 % restants en
jouant sur la palette pédagogique offerte ».
Il précise par ailleurs
: « Six années après le déclenchement de l’opération Sentinelle,
l’engagement et l’investissement des armées sont clairement plébiscités par les autorités
civiles, préfets de département et de région, mais aussi par les élus locaux. Au quotidien, dans
un contexte sécuritaire national tendu, les citoyens ainsi protégés montrent également leur
attachement sincère à leurs soldats par des gestes de sympathie et de soutien manifeste qui, au-
delà d’un livrable de sécurité particulier, comportent en creux un rôle immatériel rassurant et
une posture de protection appréciée ».
Ces trois extraits montrent qu’en dépit du faible nombre d’interventions anti-terroristes
stricto sensu
, les armées semblent satisfaites de leur propre contribution aux FSI, en termes de
professionnalisme militaire et de valorisation aux yeux de l’extérieur.
2.2
Des effets sur les activités opérationnelles de l’armée de Terre
L’opération
Sentinelle
a été très consommatrice de personnel et a demandé une
préparation opérationnelle spécifique. Le nombre élevé en jours d’absence a eu un impact sur
le moral et la fidélisation des militaires.
Sentinelle
fait peser un risque sur la préparation
opérationnelle.
2.2.1
Un bilan RH en demi-teinte
2.2.1.1
La variation et la répartition des effectifs
L’opération
Sentinelle
est armée par du personnel de l’armée de Terre à hauteur de 97%
et de l’armée de l’air et de l’espace pour le reste. Toutes les unités de l’armée de Terre sont
mobilisées par roulement. L’effectif moyen maximal déployé sur les cinq dernières années est
L’OPERATION SENTINELLE
28
de 7 488 hommes/jour en 2015 (attentat contre Charlie Hebdo). Ce chiffre respecte le contrat
opérationnel de protection qui mentionne un effectif pouvant aller à 10 000 hommes/jour.
Le tableau ci-dessous présente les moyennes annuelles des effectifs
Sentinelle
déployés
de 2015 à 2020. Les chiffres de 2021 sont estimatifs. Les moyennes annuelles les plus élevées
sont en 2015 (Charlie Hebdo, Hyper Cacher et Bataclan) et 2016 (Nice).
Tableau n° 7 :
Effectifs
Sentinelle
déployés et en alerte
Année
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
(prévisionnel)
Effectif moyen
(hommes/jour)
7
488
7
606
7
001
4
649
4
260
3
881
3
125
Effectif moyen en
alerte (hommes/jour)
2 512
2 394
2 999
5 351
5 740
6 119
6 875
Source : EMA
Alors que l’effectif moyen déployé en 2015 représentait 75 % de l’effectif total (10 000),
en 2021 il n’en représentait plus que 31 %. La proportion s’est inversée et c’est l’effectif d’alerte
qui représente dorénavant les trois quarts de
Sentinelle
. La diminution constante des effectifs
est conforme à la volonté politique et le fruit du dialogue civilo-militaire permanent tant au
niveau zonal (préfets de ZDS et OGZDS) que national en C2ID. L’évolution de ces chiffres est
en cohérence avec l’évolution de la menace terroriste, les armées étant moins sollicitées pour
faire face à une menace endogène solitaire.
La ressource nécessaire pour être en mesure de déployer en permanence l’effectif
théorique
Sentinelle
de 7 000 hommes, soit 3 000 pour le dispositif opérationnel permanent
(DOP) et 4 000 pour l’échelon de renforcement programmé (ERP), doit être trois fois
supérieure, soit 21 000 hommes disponibles, de manière à assurer les rotations sur une durée de
6 mois (3 mandats de 2 mois).
Le cycle de préparation opérationnelle des régiments de la force opérationnelle terrestre
est conçu en six phases s’étalant sur deux ans, période au cours de laquelle l’unité doit pouvoir
participer à une opération extérieure et à deux missions de type
Sentinelle
. Ce sont donc les
mêmes soldats qui effectuent les opérations extérieures dans le cadre de la gestion de crises de
la fonction intervention et les missions de type Sentinelle dans le cadre de la fonction protection.
Ainsi les OPEX se prolongent en MISSINT dans un
continuum
militaire qui est aisément
compréhensible en termes de communication.
Le tableau ci-dessous présente, à partir de 2018, le nombre de mandats
Sentinelle
moyen
pour chaque unité d’une arme. Pour la période 2015 à 2017, les données ne sont pas disponibles.
Tableau n° 8 :
Moyenne des mandats
Sentinelle
par an et par arme
Arme
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Infanterie
NC
NC
NC
1,3
1,3
1,3
L’OPERATION SENTINELLE
29
Arme Blindée Cavalerie
NC
NC
NC
0,5
0,5
0,5
Artillerie
NC
NC
NC
0,3
0,4
0,3
Génie
NC
NC
NC
0,3
0,4
0,3
Train
NC
NC
NC
0,3
0,2
0,3
Transmissions
NC
NC
NC
0,3
0,3
0,3
Matériel
NC
NC
NC
0,1
0,1
0,1
Source : EMA
L’Infanterie participe à hauteur d’1,3 mandat par unité et par année. Ce chiffre est à
comparer à celui des autres armes qui réalisent 0,1 à 0,5 mandat par unité et par année.
L’Infanterie assumant plus d’une mission
Sentinelle
par an est soumise à la plus forte pression,
ce qui n’est pas anormal compte tenu de ses effectifs.
Selon le plan de charge des unités du commandement de la force terrestre déployées
pendant les années 2016 à 2018, l’effort se concentre sur certaines brigades. Les trois brigades
les plus sollicitées, parmi les douze commandements et brigades concernés, ont fourni 80 % de
l’effectif total en 2016, puis 69 % en 2017 et 63 % en 2018. L’effort serait mieux réparti
dorénavant.
2.2.1.2
Une préparation opérationnelle spécifique
Les militaires de chaque armée sont soumis à une préparation opérationnelle spécifique.
La marine nationale ne fournissant pas d’effectif en permanence pour l’opération
Sentinelle
,
seules les formations des personnels de l’armée de Terre et l’armée de l’Air et de l’Espace sont
décrites ci-dessous.
Armée de Terre
Selon la définition de l’armée de Terre l’entraînement est l’une des deux composantes
de la préparation opérationnelle (PO) avec la formation et qui vient en complément de celle-ci.
L’entraînement distingue trois niveaux : le niveau métier (ou préparation opérationnelle métier
– POM), le niveau interarmes (ou préparation opérationnelle interarmes – POIA) et la mise en
condition finale (MCF) qui est spécifique au théâtre d’opération concerné.
L’engagement des unités de l’armée de Terre est soumis à des conditions de préparation
opérationnelle ayant pour but l’obtention d’un niveau de qualification minimale.
La formation est réalisée sous la forme d’une mise en condition finale (MCF) qui se
déroule sur une semaine. Elle intègre plusieurs formations individuelles et collectives. A titre
d’exemples, la MCF comprend :
-
une formation à des techniques d’auto-défense appelée TIOR (techniques d’intervention
opérationnelle rapprochée) ;
-
des séances de tir avec l’arme de dotation (fusil d’assaut et/ou arme de poing) ;
-
un rappel des techniques de secourisme ;
-
une instruction juridique portant, en particulier, sur les conditions d’ouverture du feu
(cadre de la légitime défense) ;
-
une formation à l’utilisation des moyens de communication ;
L’OPERATION SENTINELLE
30
-
une sensibilisation au stress opérationnel et au suivi d’un évènement grave.
Cette MCF est suivie par un rallye de synthèse faisant l’objet d’un procès-verbal
définissant le niveau atteint par l’élément engagé. L’objectif de cette activité est l’évaluation et
le contrôle des savoir-faire acquis afin de valider les unités engagées. L’acquisition des
prérequis obligatoires ainsi que la phase de contrôle portent sur deux semaines.
Par ailleurs, chaque militaire désigné dans le cadre de l’opération
Sentinelle
doit, avant
sa participation à la MCF, avoir effectué :
-
l’instruction sur le tir de combat (ISTC)
de l’arme de dotation détenue lors de la mission
(fusil d’assaut et/ou arme de poing) modules Alpha, Bravo et Delta avec protection
balistique ;
-
la formation premiers secours civiques de niveau 1 (PSC1) et sauvetage au combat de
niveau 1 (SC1).
Dans l’armée de Terre, les journées d’instructions et d’entrainements dédiées à
Sentinelle
sont comprises dans une phase de mise en condition finale (MCF) propre à
l’opération. La durée de la MCF est déterminée par le chef de corps au regard du niveau initial
de préparation, de l’historique des activités passées et de l’expérience de l’unité au début de la
préparation spécifique (généralement comprise entre une et trois semaines)
L’armée de Terre suit depuis 2015 trois indicateurs (qui ne se cumulent pas) :
- les journées de formation et d’entrainement (JFE), qui sont un outil de pilotage interne
permettant de fixer un plafond de 120 jours d’activité tant en garnison que hors garnison ;
- les journées de préparation opérationnelle (JPO), qui sont un indicateur associé à la
LPM de programmation et dont la cible est de 90 jours ;
- les journées hors domicile (JHD), qui regroupent les journées de formation et
d’entraînement hors garnison et les activités opérationnelles, sont un outil de pilotage interne
permettant de mesurer la charge de sujétion militaire assurée par le militaire.
Tableau n° 9 :
Indicateurs d’activités
Année
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Journées de formation et
d’entrainement
103
110
114
119
120
118
Journées de préparation
opérationnelle
64
72
81
81
82
79
Journées hors domicile
134
140
141
136
135
136
Source : EMA
Dans les brigades les plus sollicitées par
Sentinelle
et les opérations extérieures, la
plupart des militaires ont été absents de leur domicile 140 jours ou plus jusqu’en 2017, pour
l’entraînement ou les opérations, un chiffre qui a été ramené à 135 jours depuis 2018.
L’OPERATION SENTINELLE
31
Tableau n° 10 :
Part de
Sentinelle
dans les journées hors domicile
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
J/H
SENTINELLE (déployé)
33
35
30
21
20
17
15
Total MISSINT
(déployé)
34
35
29
22
21
21
18
ALERTE SENTINELLE
35
37
31
31
31
29
28
Source : EMA
La part de
Sentinelle
dans l’ensemble des journées hors domicile, qui cumule les
effectifs déployés et ceux en alerte, en entraînement et en opération, tend à se réduire. De 68
jours en 2015 (51 %), elle est passée à 46 jours en 2020 (33 %). L’impact demeure cependant
élevé sur l’ensemble des jours d’absence.
Armée de l’Air et de l’Espace :
Chaque personnel de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) devant effectuer la mission
Sentinelle
est engagé sur un stage de formation nommé «
Griffon
». Celui-ci est réalisé au centre
de préparation opérationnelle du combattant de l’armée de l’air et de l’espace (CPOCAAE) à
Orange. Ce stage a évolué à cause de la crise sanitaire. Il a été réduit temporairement à 5 jours
du fait de problèmes de logement mais devrait rapidement revenir à sa durée initiale de 11 jours.
Cette réduction de la durée du stage a été en partie compensée par les prérequis de formation
imposés aux stagiaires ce qui a eu pour effet de diminuer légèrement le vivier des recrues, sans
conséquence notable : le volume des détachements air a été légèrement réduit en cohérence
avec la baisse d’activité dans les aéroports dont la surveillance incombe traditionnellement aux
unités mises sur pied par l’AAE.
Sur la période de 2015-2020, l’AEE a dispensé une moyenne de 330 journées
d’instruction à environ une centaine de personnels par an.
2.2.2
Le moral des armées affecté et la fidélisation fragilisée
Le moral des armées constitue un indicateur qui est régulièrement mesuré avec soin.
Armée de Terre
Huit indicateurs ont été initialement validés par le chef d'état-major de l'armée de Terre
fin 2016 et regroupés en cinq thématiques. Ils sont suivis tous les six mois par le bureau
condition du personnel - environnement humain.
Un sondage a été réalisé en septembre-octobre 2019 auprès de 1 686 militaires servant
dans l’armée de Terre (249 officiers, 566 sous-officiers et 871 militaires du rang) ayant participé
à
Sentinelle
au moins une fois depuis janvier 2019
9
.
9
Les enseignements de ce sondage confirment ceux tirés d’une mission de l’inspection de l’armée de
terre, en décembre 2017, qui avait analysé l’influence de l’opération
Sentinelle
sur le moral des militaires
participants..
L’OPERATION SENTINELLE
32
Fin 2019, la satisfaction globale liée à l’opération
Sentinelle
se maintenait à un niveau
élevé (70%), au-dessus du niveau observé fin 2018 (67%) malgré une légère baisse sur le
dernier semestre (-3%).
Toutefois, le manque d’attractivité est souligné par près d’un militaire sur trois (31%
d’insatisfaits), principalement les officiers (38%). Le nombre de mandats
Sentinelle
effectués
est jugé trop élevé par un militaire sur quatre (quelle que soit la catégorie).
Les trois principales insatisfactions, à niveau quasi égal, restent :
-
l’aspect répétitif et usant de la mission, toujours déploré par plus du quart des
participants à l’opération ;
-
l’éloignement de la famille, contrainte forte pour un militaire sur quatre (29% des
officiers, 27% des sous-officiers et 25% des MDR) ;
-
le sentiment d’inutilité, surtout exprimé par les MDR (les cadres regrettant plutôt les
conséquences sur la préparation opérationnelle, le manque d’intérêt de la mission ou
encore le choix des zones d’action).
L’attractivité de la mission est différemment appréciée selon les armes. Elle est jugée
faible dans l’infanterie et le train (>44% de jugements négatifs) et, dans une moindre mesure,
dans l’Arme blindée et cavalerie, le génie et l’artillerie (>25%). Elle est jugée plus forte dans
les transmissions et le matériel, surtout par les MDR. A noter que l’aviation légère de l’armée
de terre n’a pas été sondée lors de cette étude réalisée en 2019.
Armée de l’Air et de l’Espace
Les remontées qui sont faites par les chefs de détachement de l’AAE auprès du CDAOA
par le biais de compte rendu de fin de mission mais aussi par le biais de visites du CDAOA
auprès des unités déployées sur les différents sites démontrent que le moral des aviateurs
engagés est bon. La coopération avec l’armée de Terre se déroule très bien et les aviateurs sont
satisfaits de participer à la protection du territoire dans le cadre de cette opération.
Pour sa part, l’inspecteur des Armées, dans son rapport du 2 juillet 2021, concède que
« néanmoins, bien que cette mission soit désormais clairement comprise par le personnel
militaire et appréciée par sa finalité, les perceptions demeurent variables selon les catégories
de personnel, les unités et les zones de déploiement. Il apparaît ainsi plus aisé d’adhérer à cet
engagement pour un jeune engagé que pour un cadre expérimenté, ayant multiplié les
déploiements successifs et répétitifs durant six années (jusqu’à 20 missions Sentinelle depuis
2015 pour un cadre rencontré) ».
Par ailleurs, la fidélisation constitue un point de fragilité.
Armée de terre
Plusieurs données retracent le taux de fidélisation des militaires du rang (85% des
effectifs de l’armée de terre) :
-
le taux de recrutement semi-direct (promotion de militaire du rang à sous-officier)
passe de 9,4% fin 2011 à 6,6% fin 2020 et 3,3 % fin 2021 ;
L’OPERATION SENTINELLE
33
-
le taux de renouvellement de contrat supérieur à 5 ans passe de 26,7% en 2011 à
38,7% en 2020 mais baisse à 36,1 % fin 2021 avec des projections mauvaises les
années suivantes ;
-
parallèlement, le taux de dénonciation du fait de l’intéressé ou de l’institution tend
à augmenter ;
-
le taux d’érosion connaît un pic à 21,2 % fin 2021.
Tableau n° 11 :
Suivi des cohortes de militaires du rang de l’armée de Terre à 5 ans
Source : EMA
Toutefois le lien entre cette inflexion du taux de fidélisation à 5 ans des militaires du
rang de l’armée de Terre, et le manque d’attractivité de l’opération
Sentinelle
, ressenti par un
tiers des militaires concernés, ne semble pas facile à démontrer.
Armée de l’Air et de l’Espace
La mission
Sentinelle
- Air dans les volumes actuels (environ 600 militaires/an) ne
pénaliserait pas la fidélisation au sein de l’AAE mais demeurerait un point d’attention au bon
fonctionnement des unités. Il est souvent délicat pour les unités de se séparer de compétences
rares durant 2 mois par semestre, notamment en temps de crise COVID avec le renforcement
des normes sanitaires nécessaires à l’engagement de la mission (mise en septaine).
L’OPERATION SENTINELLE
34
2.2.3
Un risque sur la préparation opérationnelle
La recommandation n° 2 du rapport de la Cour de 2017 demandait à l’EMA, à échéance
immédiate, de «
privilégier le retour à un niveau adéquat de la préparation opérationnelle des
armées
».
2.2.3.1
Un alourdissement de la charge en programmation
L’inspecteur des armées dans son rapport du 2 juillet 2021 notait que
« cet engagement
volumineux et constant d’environ 6 500 hommes en moyenne – soit l’équivalent d’une brigade
– constitue donc une charge en programmation qui doit prendre en parallèle les objectifs
ambitieux de préparation opérationnelle à haute intensité fixés par le CEMAT ».
Armée de Terre
L’impact de
Sentinelle
sur les activités de la préparation opérationnelle métier (POM),
interarmes (POIA) et mise en condition finale (MCF) dépend du volume de troupes consacré à
l’opération et de sa durée de déploiement.
Avec le retour à un niveau d’engagement moindre de l’opération
Sentinelle
, l’EMA
considère que les créneaux de préparation opérationnelle interarmes sont de nouveau assurés à
100%. La recommandation n° 2 ne serait donc suivie d’effet que lorsque l’engagement de
Sentinelle
serait au niveau le plus bas.
S’agissant des mises en condition finale avant OPEX, elles sont par principe préservées
car elles conditionnent l’efficacité des troupes en opération extérieure. Les remises en condition
opérationnelle au retour des OPEX ne sont pas en théorie impactées par le contrat opérationnel
TN
10
7 000, sauf indirectement par effet de domino. Ces phases-là (mise en condition finale et
remise en condition opérationnelle) sont « incompressibles » et ne se chevauchent pas avec le
contrat TN.
La situation opérationnelle de référence prévoit un engagement permanent de l’armée
de Terre dans l’opération
Sentinelle
permettant de préserver les POIA et POM (volume de
troupes inférieur ou égal à 3 000 h déployés + 1 000 h en alerte).
Mais les POIA puis les POM sont ensuite touchées par l’effet produit par le volume et
la durée d’une montée en puissance (égale ou supérieure à 7 000 h).
L’expérience de l’armée de Terre montre qu’un sursaut quantitatif (
surge
) de
Sentinelle
pendant
un mois est possible sans impact lourd sur la programmation de la préparation opérationnelle,
mais au-delà, le besoin de préparation des relèves de
Sentinelle
obère la disponibilité des unités
en POM-POIA et engendre des annulations non compensées.
Le phénomène se reproduit aux rotations suivantes, avec des effets cumulatifs non
maitrisables.
10
TN = théâtre national
L’OPERATION SENTINELLE
35
Ce sont alors les arbitrages entre POM, POIA et formation, effectués par les échelons
de commandement, qui amortissent ces renoncements.
Au total, après 1 mois et 15 jours de déploiement à 7 000 hommes, l’armée de Terre
perdrait virtuellement son capital de rotations en centre d’entrainement spécialisé, ce qui a été
le cas dans les premières années de
Sentinelle
. Après 3 mois, elle aurait épuisé son capital de
POIA et entamé son capital de POM. Après 9 mois, elle aurait épuisé POM et POIA et entamé
son capital de formation (initiale, complémentaire et de spécialité).
Armée de l’air et de l’espace
La performance des activités opérationnelles de l’AAE ne serait pas entamée par
Sentinelle
. Toutefois, l’opération induit une charge supplémentaire pour les unités qui n’a pas
été compensée par une augmentation des effectifs, d’où les difficultés que peuvent rencontrer
certaines unités à se séparer de leurs spécialistes. L’engagement opérationnel de l’AAE sur le
théâtre national ou en OPEX demeure élevé et la ressource RH dans certaines spécialités peut
s’avérer tendue. Pour l’AAE, il n’existe en effet pas de phase de régénération ni de phase de
préparation opérationnelle, l’engagement est permanent.
2.2.3.2
Des capacités d’entraînement grevées par la mobilisation des véhicules
Chaque année plus de 1 200 véhicules sont déployés dans le cadre de
Sentinelle
. Ils sont
fournis soit par le Service du commissariat des armées (SCA) ou la structure intégrée du
maintien en condition opérationnelle des matériels Terrestres (SIMMT). En 2015, dans
l’urgence le SCA avait eu recours à des véhicules de location.
Tableau n° 12 :
Véhicules mobilisés pour l’opération Sentinelle
Type véhicule/année
2015
2016
2017
2018
2019
2020
2021
au 25 mai
SCA : véhicules de locations
272
0
0
0
0
0
0
SCA : véhicule patrimoniaux
800
800
800
700
680
700
682
SIMMT : véhicules tactiques
400
520
520
520
480
520
482
Total véhicules déployés
1
472
1
320
1
320
1
220
1
160
1
220
1
164
Source : EMA
L’inspecteur des armées dans son rapport du 2 juillet 2021 relevait que
« de même, les
exigences des OGZDS en termes de véhicules grèvent les parcs de service permanent des
régiments, contraignant leurs capacités d’entraînement en garnison. A titre d’exemple, un
EMT
11
régimentaire rencontré rendait compte du déploiement de 50 % de son parc VLTT
12
pour trois UP1
13
engagées. 100 % du parc serait engagé en cas de déclenchement des effectifs
11
EMT : état-major tactique.
12
VLTT : véhicule de liaison tout terrain.
13
UP1 : Unité Proterre, composée de 27 militaires.
L’OPERATION SENTINELLE
36
en réserve à 72 heures (disponibilité opérationnelle ou DO), touchant alors l’intégralité des
activités du régiment ».
La diminution de moitié des effectifs déployés sur le terrain, au bout de six ans, ne se
retrouve pas dans le niveau de mobilisation des véhicules qui reste à un niveau élevé.
2.3
Un poids budgétaire prééminent au sein des MISSINT
Si les Armées ne mesurent que les surcoûts de
Sentinelle
, la Cour a évalué les coûts
complets de cette opération dont le poids budgétaire est le plus important des MISSINT.
2.3.1
Les surcoûts de
Sentinelle
Lors de son précédent contrôle, la Cour avait formulé les recommandations suivantes :
« Recommandation N°3 (EMA – EMAT - SGA) : avant de prendre toute décision relative
à l’éventuelle implantation d’unités isolées de réserves, mesurer les coûts complets qu’elles
représenteraient et en évaluer le ratio coût-efficacité ».
« Recommandation N°4 (DAF – EMA) : inscrire en loi de finances initiale les surcoûts
liés à Sentinelle sur la base de critères partagés entre le ministère de la défense et la direction
du budget. (PLF 2018) ».
Le BOP OPEX MISSINT finance uniquement les surcoûts de la mission intérieure
Sentinelle
.
Pour les armées, le coût financier de cette mission n’est suivi et n’a de sens qu’à travers
ce prisme, rien ne permettant d’indiquer que l’absence de cette mission annulerait la différence
entre coûts complets et surcoûts. La recommandation n° 3 n’a donc pas été suivie.
Les surcoûts sont détaillés dans le tableau ci-dessous :
Tableau n° 13 :
Surcoûts
Sentinelle
financés par le BOP OPEX MISSINT
En Euros
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Coûts HT2
106 995 203
75 454 000
80 656 977
57 091 505
62 248 000
54 663 302
Coûts T2
75 505 375
106 314 833
117 091 489
95 889 382
85 374 000
76 848 000
TOTAUX
182 500 578
181 768 833
197 748 466
152 980 887
147 622 000
131 511 302
Source : EMA
Les surcoûts MISSINT /
Sentinelle
éligibles ont été les suivants :
- Titre 2 : le surcoût des personnels militaires déployés dans l’opération
Sentinelle
est
composé de deux indemnités opérationnelles spécifiques versées au titre de la participation aux
missions intérieures et qui ne sont pas imposables. L’indemnité de service en campagne (ISC/S)
L’OPERATION SENTINELLE
37
est versée mensuellement et son montant varie en fonction de divers critères d’éligibilité comme
le grade, la situation familiale, le nombre de jours ouvrant droit. L’indemnité pour sujétion
d’alerte opérationnelle (AOPER/S) d’un montant de 10 € par jour est versée mensuellement
aux militaires du grade de soldat jusqu’à celui de capitaine (ou équivalent) inclus qui ont
participé à
Sentinelle
. Ces dépenses spécifiques sont imputées directement sur le BOP OPEX-
MISSINT. Dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), au
1
er
janvier 2022, ces deux indemnités seront remplacées par l’indemnité unique dénommée
« indemnité de sujétion d’absence » (ISAO) qui sera d’environ 10 % supérieure aux
précédentes, soit un surcoût de 5 à 8 M€.
- Hors Titre 2 : fonctionnement courant (alimentation, hébergement…), entretien
programmé du matériel (coût horaire ou au km), carburant, équipement et protection,
habillement, télécommunication et frais de déplacement. Le périmètre d’imputation budgétaire
a évolué depuis la création de l’opération
Sentinelle
notamment avec un transfert de certaines
dépenses initialement supportées – préfinancées en quelques sorte - par les armées (entre 2015
et 2019) vers une imputation directe sur le BOP OPEX-MISSINT depuis 2020. À ce jour, les
dépenses HT2 prises en charge directement sont les dépenses d’alimentation, de
télécommunications et de déplacement des personnels.
Le financement interministériel globalisé pour les surcoûts MISSINT (
Sentinelle
et
autres MISSINT éligibles sur le BOP OPEX-MISSINT) a été le suivant :
Tableau n° 14 :
Financement interministériel globalisé surcoûts MISSINT
En Euros
2015
2016
2017
2018
2019
2020
TOTAUX
SENTINELLE
182 500 578
181 768 833
197 748 467
152 980 888
147 622 000
131 511 183
TOTAUX
AUTRES
MISSINT
4 089 833
7 582 955
13 020 236
4 664 304
8 353 000
33 024 144
Provision
MISSINT (LFI)
11 000 000
26 000 000
41 000 000
100 000 000
100 000 000
100 000 000
Décret d’avance
(financement
interministériel)
176 100 000
163 100 000
0
0
0
0
Source : EMA
Ce tableau permet de constater que la recommandation n°4 a été suivie puisque, depuis
2018, la loi de finances initiale a inscrit une dotation de 100 M€ à titre de provision pour
financer les surcoûts des MISSINT.
Dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire 2019 de la mission Défense, la Cour
constatait
« les avancées réalisées en matière de budgétisation de la dotation OPEX-MISSINT
ainsi que les bénéfices de son augmentation pour l’exécution de la mission Défense ».
Mais la
programmation des surcoûts devait encore être améliorée avec l’identification en LFI des
surcoûts hors titre 2 des missions intérieures, qui ne faisaient jusqu’à présent l’objet d’aucune
attribution de ressources.
L’OPERATION SENTINELLE
38
La note d’analyse de l’exécution budgétaire 2020 de la mission Défense relève un
progrès car
« le PAP Défense 2021 affecte 30 M€ de dépenses de fonctionnement à l’action 7 -
Surcoûts liés aux missions intérieures du P178 ».
La provision prévue à l’article 4 de la LPM
n’intègre, cependant, toujours pas le titre 2 dédié aux missions intérieures, qui font l’objet d’une
ouverture de crédits hors dotation, ce qui a justifié que la Cour reconduise sa recommandation
d’inclure le titre 2 MISSINT à la provision prévue à l’article 4 de la LPM.
La note d’exécution budgétaire ajoutait que
« l’aboutissement de la trajectoire de la
dotation a mis un terme aux sous-budgétisations chroniques des surcoûts OPEX-MISSINT
dénoncées par la Cour. La recommandation visant à réduire les sous-programmations des
surcoûts peut donc être considérée comme mise en œuvre ».
La sincérité de cette budgétisation
sera donc complète quand la dotation initiale inclura le titre 2 MISSINT dans la LPM.
Au sein des dépenses Hors Titre 2, les dépenses d’infrastructure pour l’opération
Sentinelle
(aménagement et rénovation) ont été les suivantes :
Tableau n° 15 :
Dépenses d’infrastructure pour
Sentinelle
En Euros
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Coûts d'Infrastructure /
hébergement
-
6 664 000
14 463 000
8 311 000
-
-
Source : EMA
En pleine crise COVID, la conjonction d’un haut niveau de déploiement (de mars à mai
2020 puis de novembre 2020 à février 2021) a compliqué le sujet de l’hébergement, qui a amené
à parfois disposer d’infrastructures temporaires de catégories inférieures, pour tenir compte à
la fois des forts volumes à héberger et du respect de conditions sanitaires strictes.
Actuellement, avec un dispositif déployé d’environ 3 000 hommes, y compris en
contexte COVID, 100% de la force
Sentinelle
est hébergée sur des sites de première catégorie,
ce qui n’était pas le cas au début de l’opération.
Deux points d’attention sont à signaler pour la ZDS-Paris : la perte programmée en 2024
du Val-de-Grâce (673 places en plein cœur de Paris) et celle du Fort neuf de Vincennes en 2025
(900 places aux portes de Paris) qui nécessiteront de récréer cette capacité au Nord de la Seine.
2.3.2
L’évaluation des dépenses de
Sentinelle
en coûts complets
L’État-major des armées considère que seuls les surcoûts de cette mission sont
pertinents et n’a pas souhaité répondre à la demande de la Cour sur l’évaluation des dépenses
de
Sentinelle
en coûts complets.
L’exercice a donc été réalisé par la Cour à partir des coûts fournis dans les projets
annuels de performance du programme 212 (soutien de la politique de défense) pour obtenir
une estimation du coût d’opportunité de l’opération
Sentinelle
qui s’élève donc à plus de 2
milliards d’€ cumulés de 2015 à 2020.
L’OPERATION SENTINELLE
39
Tableau n° 16 :
Evaluation des coûts complets de
Sentinelle
En M€
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Coûts HT2
106,99
75,45
80,65
57,09
62,48
54,66
Coûts T2
75,50
106,31
117,09
95,88
85,37
76,84
TOTAUX
Surcoûts
182,50
181,76
197,74
152,98
147,62
131,51
RCS (HCAS)
232,13
235,79
217,03
144,12
132,06
120,31
Coûts
complets
414,63
417,55
414,77
297,10
279,68
251,82
Source : EMA, Cour des comptes
Les coûts de RCS sont fondés sur une projection moyenne estimée, comme au tableau
n°7, à 7 488 hommes en 2015, 7 606 en 2016, 7 001 en 2017, 4 649 en 2018, 4 260 en 2019 et
3 881 en 2020. Le coût moyen retenu est d’environ 31 000 € (hors CAS) par homme et par an
14
.
Si l’on tenait compte des jours pendant lesquels les militaires ne patrouillent pas, en
décomptant les neuf semaines de permissions et les week-ends, il resterait environ 220 jours. Il
conviendrait donc d’augmenter les coûts complets d’un ratio de 1,66 (365/220), soit un total de
3,3 Mds€ pour la période 2015-2020.
Cette évaluation doit être considérée avec précaution et relativisée puisque, même si le
format de
Sentinelle
a sensiblement été réduit depuis 2018, le nombre de militaires déployés a
été variable au cours des années en fonction des réquisitions.
2.3.3
Le poids budgétaire de
Sentinelle
parmi les MISSINT
Qu’il s’agisse du Titre 2 ou Hors Titre 2, les dépenses de
Sentinelle
représentent la plus
grande part des dépenses des MISSSINT.
Tableau n° 17 :
Poids de
Sentinelle
Vs MISSINT - Titre 2
Poids Sentinelle Vs MISSINT - Titre 2
2015
2016
2017
2018
2019
2020
SENTINELLE
75 505 375
106 314 833
117 091 489
95 889 382
85 374 000
76 848 000
HARPIE
15
2 995 018
6 179 872
5 274 907
3 472 338
4 640 000
4 551 161
TITAN
16
482 052
1 008 959
711 694
630 061
440 000
474 366
HEPHAISTOS
17
88 812
157 650
153 503
80 008
33 000
70 182
14
Un sergent-chef est à 35 k€, un caporal à 32 k€ et un militaire du rang est à 27 k€.
15
HARPIE : lutte contre l’orpaillage illégal et les trafics illicites en Guyane.
16
TITAN : sécurisation et protection du centre spatial guyanais.
17
HEPHAISTOS : lutte contre les feux de forêt.
L’OPERATION SENTINELLE
40
Résilience
18
-
-
-
-
-
6 248 628
Gds évènements
523 951
236 475
348 870
77 368
3 240 000
657 267
IRMA
19
-
-
104 252
404 529
-
-
TOTAUX
79 595 208
113 897 788
123 684 714
100 553 686
93 727 000
88 849 605
% STL Vs MISSINT
95%
93%
95%
95%
91%
86%
Source : EMA
S’agissant des dépenses Hors Titre 2, les informations relatives aux dépenses des autres
MISSINT n’ont pas été fournies par le ministère. En 2020, il faut souligner le poids de
Résilience
et des « grands événements ». A compter de 2022, il conviendra d’ajouter ceux
impliqués par la présidence française de l’Union européenne, la Coupe du monde de rugby en
2023 et les Jeux olympiques en 2024.
Tableau n° 18 :
Poids de Sentinelle Vs MISSINT – Hors Titre 2
Source : EMA
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’impact de l’opération Sentinelle peut être mesuré en termes de contribution à la lutte
contre le terrorisme, d’effets sur les activités opérationnelles de l’armée de terre ou de coût
budgétaire pour les finances publiques.
L’EMA a retenu huit indicateurs qui permettent de classer les différents évènements que
la force Sentinelle a dû gérer et qui s’élèvent à 7 335 en 2017 mais à 2 372 en 2020. L’un
d’entre eux porte sur les agressions de nature terroriste qui se limitent à 6. Les agressions non
terroristes s’élèvent à 69. Tous les autres événements concernent des aides à la personne, des
18
Résilience : lutte contre la propagation du Covid-19.
19
IRMA : secours à la population de l'Ile de Saint-Martin, aux Antilles.
Poids Sentinelle Vs MISSINT – Hors Titre 2
2015
2016
2017
2018
2019
2020
SENTINELLE
106 995 203
75 454 000
80 656 977
57 091 505
62 248 000
54 663 302
Harpie
-
-
-
-
-
-
TITAN
-
-
-
-
-
-
HEPHAISTOS
-
-
-
-
-
-
Résilience
-
-
-
-
-
20 222 237
Gds évènements
-
-
-
-
-
730 000
IRMA
-
-
6 427 011
-
-
-
TOTAUX
106 995 203
75 454 000
87 083 988
57 091 505
62 248 000
75 615 539
% STL Vs MISSINT
100%
100%
93%
100%
100%
72%
L’OPERATION SENTINELLE
41
incivilités, des altercations, des signalements de colis, de véhicules ou d’activités suspectes et
plus généralement des prêts de main forte aux forces de sécurité intérieures FSI. Le rapport de
l’inspecteur des armées du 2 juillet 2021 a choisi de qualifier l’impact de Sentinelle par ces
mots : « 25 % d’actions et 75 % de perceptions ».
Le bilan RH est en demi-teinte. Chaque régiment concerné doit pouvoir participer à une
opération extérieure et à deux opérations de type Sentinelle. L’opération est principalement
armée par l’Infanterie à hauteur d’1,3 mandat par unité et par année, contre 0,1 à 0,5 mandat
pour les autres armes, ce qui n’est pas anormal, mais certaines brigades tournent plus que
d’autres. Pour assurer en permanence la rotation de l’effectif théorique de 7 000 hommes, la
ressource nécessaire doit être trois fois supérieure, soit 21 000 hommes. L’effectif moyen
maximal déployé a été de 7 488 hommes/jour en 2015 et de 3 881 en 2020. Avec les journées
de formation et d’entraînement qui s’ajoutent aux déploiements sur le terrain, les militaires
passent de 135 à 140 jours hors domicile, dont environ un tiers pour Sentinelle. Le moral des
armées, régulièrement scruté, est affecté. La mission est comprise par tous mais elle suscite
peu d’attractivité pour les militaires qui ont multiplié des déploiements répétitifs durant six
années et la fidélisation est en baisse, même si ce phénomène ne peut être relié directement à
Sentinelle.
Si les créneaux de préparations opérationnelles interarmées et de métiers sont de
nouveaux assurés, un sursaut quantitatif (surge) de Sentinelle au-delà d’un mois déstabilisera
ce fragile équilibre. La recommandation n° 2 du rapport de 2017, tendant à « privilégier le
retour à un niveau adéquat de la préparation opérationnelle des armées » ne serait donc suivie
d’effet qu’avec le niveau le plus bas de l’engagement de Sentinelle.
Le ministère des armées ne retrace le poids financier de Sentinelle qu’à travers le
prisme des surcoûts (Titre 2 et hors Titre 2) figurant au budget des OPEX MININT. Celui-ci
est passé de 182,50 M€ en 2015 à 131,51 M€ en 2020, suivant en cela la déflation des effectifs.
Une évaluation approximative des coûts complets, effectuée par la Cour, conduit à une
estimation globale du coût d’opportunité de l’opération Sentinelle qui s’élève de 414,63 M€ en
2015 à 251,82 M€ en 2020, et plus de 2 milliards d’€ cumulés de 2015 à 2020 (plus de 3
milliards d’€ si l’on tient compte des jours pendant lesquels les militaires ne patrouillent pas).
Qu’il s’agisse du Titre 2 ou Hors Titre 2, les dépenses de Sentinelle représentent la plus
grande part des dépenses de l’ensemble des MISSSINT.
___________________________________________________________________________
3
VERS UN DESENGAGEMENT ?
Depuis sept ans, un certain nombre de voix se font entendre sur l’opération
Sentinelle
.
La majorité d’entre elles ne sont pas critiques. Au ministère de l’intérieur elles sont positives,
celles exprimées par le ministère des armées sont ambivalentes et contestent moins le principe
L’OPERATION SENTINELLE
42
que les conditions de son application. Celles qui sont émises de l’extérieur sont quelquefois
plus sévères
20
.
Les interrogations de la Cour rejoignent celles de la
direction du budget
, « les évolutions
observées au cours des dernières années, qui ont notamment permis de renforcer les moyens
des FSI pour faire face aux menaces qui avaient justifié l’activation de l’opération Sentinelle
et d’accroître leur présence sur la voie publique de même que les ambitions exprimées à travers
le projet de LOPMI, plaident en faveur d’un réexamen en profondeur des modalités
d’engagement des armées sur le territoire national – venant conforter les orientations
formulées par la Cour – compte tenu également du coût de l’opération qui demeure élevé (plus
de 250 M€ en 2020 en coûts complets) ».
3.1
Une quête insatisfaite de complémentarité entre FSI et forces armées
Depuis 2015, la menace a évolué, les forces de
Sentinelle
sont de plus en plus sollicitées
pour des événements variés et le risque d’accoutumance à une présence militaire permanente
est élevé.
3.1.1
Evolution de la menace et asymétrie de la réponse de
Sentinelle
Nombreux sont les documents qui expliquent que la menace a évolué. Une annexe à la
note du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) en date du 25 mars 2021, rendant
compte de la réunion du C2ID du 23 mars, atteste que le risque terroriste d’origine sunnite
demeure la principale menace «
d’un niveau élevé
» qui pèse sur le territoire national. Au plus
fort de l’Etat islamique en 2014 et 2015, la menace se caractérisait par la projection d’attaques
depuis le Levant et l’infiltration dans les flux migratoires afin de viser l’Europe. La menace
était donc exogène. Mais depuis les revers de l’Etat islamique, la menace est devenue endogène,
même si elle est parfois incarnée par des ressortissants étrangers réfugiés ou résidents illégaux.
Depuis la fin 2018, elle est portée par des individus « simplement » inspirés par l’EI qui ne sont
pas nécessairement affiliés à une organisation terroriste
21
. La note insiste en particulier sur
« la
menace portée par les détenus [dans les prisons françaises] qui est d’autant plus préoccupante
qu’un nombre conséquent d’individus condamnés pour terrorisme ou connus pour leur
radicalisation sont ou seront prochainement élargis (177 sont sortis depuis juin 2018 et un pic
est attendu en 2021) ».
L’évolution de la menace a entraîné une évolution de la réponse correspondante
apportée par
Sentinelle
dont les effectifs sont passés de 10 000 à 3 000 hommes. Ce changement
de format progressif est une adaptation intervenue grâce au dialogue civilo-militaire – vertueux
et salué comme tel - pratiqué sur le terrain par les principaux acteurs que sont les préfets et
officiers généraux de zone de défense et de sécurité et qui vise, du point de vue des armées, à
ne pas installer un « effet cliquet ».
20
Elie Tenenbaum,
La sentinelle égarée, l’armée de Terre face au terrorisme
, IFRI, juin 2016.
21
Cf. le djihadisme d’atmosphère décrit par Gilles Kepel.
L’OPERATION SENTINELLE
43
À cet égard, l’État-major des armées précise que l’effort nécessaire des armées après les
attentats de 2015 avait pour but de s’opposer à une menace terroriste, militarisée. Ces trois
termes ne se retrouvent pas cumulativement dans la situation d’aujourd’hui. La menace n’est
plus le fait de groupes organisés mais le plus souvent d’individus inspirés, le terrorisme est
multiple et la militarisation des modes d’action ne caractérise plus les derniers attentats
terroristes
22
.
Parce que la menace a évolué, la réponse purement quantitative paraît insuffisante et
une autre réponse est nécessaire. A menace endogène, réponse endogène, c’est-à-dire fondée
sur l’exploitation du renseignement venant de l’intérieur et la mise en œuvre de pouvoirs de
police. Tandis que la menace exogène faisait pencher vers le choix des armées, la menace
endogène sollicite désormais davantage les FSI.
Sauf à sous-entendre que les FSI seraient restées
insuffisantes
ou
inadaptées
depuis sept
années pleines dans la lutte anti-terroriste, ce qui serait inexact, il apparait que les forces
militaires, en ne disposant ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des
armements appropriés, ne paraissent pas les mieux placées pour faire face à la nouvelle forme
de menace. L’accroissement de la puissance de feu et de l’équipement des FSI – sa
« militarisation » égale à celle des armées - relativise en pratique les moyens de ces dernières
23
.
Quant aux actes terroristes d’individus isolés, qui semblent être le nouveau mode opératoire,
mais sont imprévisibles, ils ne rendent pas évidente la mobilisation massive des armées.
L’évolution de la menace pose avec plus d’acuité la question de la répartition des tâches entre
les forces terrestres et les FSI. Les armées, telles qu’utilisées aujourd’hui, ne semblent être
complémentaires des FSI qu’en termes essentiellement quantitatifs.
3.1.2
Conséquences des prochaines sollicitations des forces de
Sentinelle
La France exerce la présidence du Conseil de l’Union européenne du 1
er
janvier au 30
juin 2022 (PFUE). Au cours de cette période, environ 400 événements ont été planifiés et
labellisés par le secrétariat général de la PFUE, comportant notamment :
-
deux sommets présidentiels, deux conseils des ministres en présence des chefs de
gouvernements et un séminaire gouvernemental avec la Commission,
-
19 réunions ministérielles informelles à 28 (27 ministres et un commissaire), 76
conférences ministérielles (dont 17 en présence de ministres européens), 271 séminaires,
colloques et événements variés,
qui ne sont pas de la responsabilité de l’Etat mais ont induit des contraintes
supplémentaires en termes de sécurité, selon la C2ID, dans la mesure où un grand nombre de
manifestations étaient concentrées en France métropolitaine et outre-mer (369 dans la société
civile et les collectivités territoriales) durant le premier trimestre 2022.
Dans le même temps, la C2ID a souhaité qu’aucune opération de grande envergure ne
soit planifiée sur la période de la PFUE. Parmi ces événements de grande envergure, figurait
22
Entretien avec le général commandant le CPCO.
23
Pour le préfet de police de Paris, en cas de prises d’otages massives, comme celles que la France a
connues, il ne ferait pas appel à
Sentinelle
mais aux FSI, pour éviter l’emploi d’armes de guerre en milieu urbain.
L’OPERATION SENTINELLE
44
notamment l’aide civile et militaire qu’un Etat doit à des forces alliées transitant ou stationnant
sur son territoire, ce qui se traduit, pour la France par :
-
le transit d’une brigade d’aérocombat américaine (hélicoptères, véhicules roulants et
conteneurs) dans le cadre de l’opération baptisée
Mousquetaire
,
-
les transferts (transbordements et transits) de conteneurs de munitions.
Ces événements ont été décalés au-delà de la PFUE.
Pour les années suivantes, la C2ID indique que de telles opérations seront contraintes
par l’organisation en France de la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques
en 2024.
La première vague épidémique avait d’ailleurs été l’occasion d’utiliser aussi le dispositif
Sentinelle
comme un premier vivier de force disponible et déployé pour apporter une réponse
immédiate aux besoins exprimés par l’autorité civile dans le cadre de la crise sanitaire. Des
forces militaires avaient ainsi été orientées temporairement vers des missions
Résilience
, le
temps de générer la force spécifique et complémentaire de l’opération. Le chef d’état-major, à
l’époque, s’était élevé contre cet usage des armées.
Dans ce contexte, il apparaît que les forces de
Sentinelle,
imbriquées dans le
continuum
sécurité/défense, risquent en permanence d’être largement employées pour des missions qui
peuvent paraître très éloignées de leur cœur de métier.
Ce risque est confirmé lorsque l’inspecteur des Armées évoque
« la question des
capacités d’hébergement en région Ile-de-France [qui] se pose désormais de manière
particulière avec la perte annoncée des emprises du Val-de-Grâce et du Fort-Neuf de
Vincennes. Au-delà de montées en puissance envisageables selon l’évolution de la conjoncture,
l’organisation de grands événements dans la région parisienne requiert, dès aujourd’hui,
d’imaginer des solutions opérationnelles soutenables et acceptables ».
Afin de trouver une solution, les Armées ont commencé à imaginer de
« scénariser la
réquisition anticipée de tout ou partie du soutien à leur profit. Dans le cadre d’un déploiement
inopiné de grande ampleur, cette réquisition pourrait couvrir les besoins urgents dont elles ne
disposent pas ou qu’elles ne peuvent pas avoir en propre à court terme, comme un prêt
important de véhicules de la gamme commerciale, ou encore de l’hébergement en nombre
24
».
Prérogative de puissance publique, la réquisition trouve certes son origine historique
dans les besoins de l’armée en temps de guerre. Elle n’en constitue pas pour autant un procédé
habituel d’action. L’Etat n’est fondé à y recourir que de manière exceptionnelle et lorsque la
satisfaction de l’intérêt général l’exige.
3.1.3
Les trois vulnérabilités : addiction, banalisation, dilution
Au constat précédent s’ajoutent trois écueils que le rapport de l’inspecteur des Armées
a identifiés :
« L’addiction des autorités et forces de sécurité intérieure à la force Sentinelle constitue
une évidence. Malgré les échanges sur la nécessité d’exprimer une logique d’effets à obtenir,
24
Rapport de l’inspecteur des Armées du 2 juillet 2021.
L’OPERATION SENTINELLE
45
les attentes préfectorales demeurent encore focalisées sur une logique de volume garanti de
forces militaires déployées et de réassurance des FSI. De manière caricaturale, en période
tendue (post-attentat, fêtes religieuses…), tout préfet et tout élu veut son détachement
Sentinelle.
Déjà évoqué, le risque de banalisation et d’amalgame des détachements Sentinelle avec
les FSI est renforcé par la durée de l’engagement. Cette lecture est alimentée par la mise en
œuvre de procédés de déploiements combinés, notamment dans le cadre de la LIIC, réalisés
sans définition d’intention, d’effet à obtenir et de condition d’exécution consolidée. La mise en
avant de la singularité militaire et de l’autonomie de commandement constitue dans ce cadre
un levier essentiel vis-à-vis des autorités civiles. Le risque d’amalgame constitue un piège
stratégique en termes de perception dans une période difficile pour l’image des FSI
25
.
Enfin, le logiciel comptable et le besoin de réassurance des FSI entraîne un risque de
dilution des unités militaires engagées dans une logique de couverture du terrain à des fins
d’image ou de satisfaction des attentes des autorités civiles, plus que par une réelle recherche
d’efficacité militaire.
L’exigence de sortir de ces trois vulnérabilités impose aux armées de raisonner à des
fins d’efficacité opérationnelle en revenant aux principes de la guerre : liberté d’action (vs
addiction), concentration des efforts (vs banalisation) et économie des moyens (vs dilution) ».
Ces critiques peuvent paraître sévères au vu des bénéfices que les armées affirment avoir
tirés de
Sentinelle
. En réalité, elles ne sont pas contradictoires. Concomitantes de leur
participation à la lutte contre l’immigration illégale et clandestine LIIC, elles démontrent que
si les armées se sont accommodées de
Sentinelle
, à un moment où l’analyse de la menace était
partagée, elles commencent à souhaiter résister à des sollicitations de plus en plus utilitaristes.
3.2
Sentinelle
aux frontières, « opération de trop » ou opportunité ?
Le renforcement de
Sentinelle
aux frontières est un élément nouveau qui fait débat entre
les FSI et les Armées. Une expérimentation de l’appui des Armées à la lutte contre
l’immigration illégale et clandestine (LIIC) s’est conclue par un bilan négatif. Toutefois la
participation de Sentinelle à la LIIC n’est pas remise en cause.
3.2.1
Les divergences de fond sur la participation de
Sentinelle
à la lutte contre
l’immigration illégale et clandestine
Après les attentats de Conflans-Sainte-Honorine puis de Nice, le 29 octobre 2020, le
Président de la République avait décrété le passage au niveau « vigilance attentat » partout en
France et l’augmentation de l’effectif global de l’opération
Sentinelle
de 3 000 à 7 000 soldats.
La menace terroriste de nouveaux attentats et la reprise des flux migratoires pouvant être mises
25
On pourrait aller plus loin et dire que
« cette opération renforce la méconnaissance des Français sur
le monde militaire »
comme l’a soutenu Bénédicte Chéron, historienne et spécialiste des relations armées-société,
dans un article du Monde, le 9 février 2021.
L’OPERATION SENTINELLE
46
à profit par la mouvance djihadiste avaient conduit le Gouvernement à renforcer les contrôles
aux frontières françaises de novembre 2020 à avril 2021 en doublant les forces déployées. Cette
mesure représentait un passage de 2 à 9 UP1
26
, soit à plus d’un quadruplement des effectifs des
armées engagés exclusivement aux frontières.
Mais, un rapport de février 2021 du collège des inspecteurs généraux des Armées et de
l’inspection générale de l’administration avait relevé que le renforcement de «
Sentinelle
aux
frontières » en novembre 2020 s’était effectué sans véritable dialogue civilo-militaire
préparatoire comme le recommande le principe de subsidiarité. Mis en œuvre dans de brefs
délais, il avait eu pour effet de décliner le déploiement d’effectifs uniquement selon des critères
de volumes et dans des départements prédéfinis par le niveau central. Il avait été constaté que
tous les renforts des armées s’étaient déployés en permanence dans les départements frontaliers,
que le dispositif avait été complété ponctuellement par des unités
Sentinelle
du « socle », mais
qu’en revanche l’emploi des FSI avait été plus contingent (engagement de réservistes sur une
courte durée limitée, réallocation de renforts PAF, réemplois réguliers d’UFM dans des
missions d’ordre public…)
27
.
Devant un certain sentiment d’incompréhension dans les armées, le rapport s’était
efforcé de montrer que la lutte contre la LIIC, qui comprenait les deux objectifs liés du contrôle
migratoire et du contrôle de police générale, participait, au même titre que l’ensemble des
missions de police, à la lutte anti-terroriste. Néanmoins, il n’avait pas dissimulé que le bilan des
mesures prises dans le cadre du contrôle aux frontières ne valorisait que les données relatives à
la LIIC du fait d’une absence d’éléments statistiques relatifs à l’identification de personnes
entrant dans le cadre de la lutte anti-terroriste. De même, il avait reconnu que le cadre global
de la LIIC – et non pas de la LAT - était systématiquement évoqué au sein des instances de
coordination locales de telle sorte que s’était développé le sentiment d’un emploi des militaires
uniquement au profit de la LIIC.
Il était donc apparu nécessaire aux auteurs du rapport d’essayer de gommer l’opposition
entre ce qui relève de la LIIC et de la LAT, tout en restant très vigilants sur le contexte de
l’engagement des militaires en zone frontalière, différent de celui qui prévaut en zone urbaine.
Le principe d’une absence de contact des militaires avec les personnes à signaler devait être
strictement respecté. Des images de militaires au contact de migrants pourraient être exploitées
négativement, des marques d’hostilité à la présence militaire ayant déjà été relevées dans
certains secteurs. Pour cette raison, les patrouilles mixtes ne devaient pas être envisagées. Elles
avaient
été
remplacées
par
des
dispositifs
combinés,
constitués
d’un
échelon
d’observation/détection de
Sentinelle
et d’un échelon d’interpellation des FSI, agissant en
même temps mais séparément.
Les auteurs du rapport avaient aussi insisté sur le fait que la C2ID disposait des
compétences lui permettant de veiller à la cohérence et à l’évaluation du dispositif mis en place,
ce qu’elle a fait tout en laissant apparaître de solides divergences de vues entre les deux
ministères concernés.
Une expérimentation de la participation de
Sentinelle
à la LIIC ayant été menée de mars
à mai 2021, la C2ID du 2 mai faisait un point d’étape d’où il ressortait que, pour le ministère
des armées,
« sans ignorer la complexité et la subjectivité de l’analyse d’indicateurs, toujours
26
Unité
Proterre
1, composée de 27 militaires.
27
Le rapport cite l’exemple d’un département où les renforts FSI engagés n’avaient été déployés qu’à
hauteur de 45 % des effectifs initiaux, alors que les unités
Sentinelle
de renfort l’avaient été de façon complète.
L’OPERATION SENTINELLE
47
sujets à discussion, l’efficacité du dispositif mis en place est jugée très faible, tous les
indicateurs liés aux interceptions et au lien avec la lutte anti-terroriste étant proches de zéro ».
Il ajoutait que « les unités Sentinelle n’ayant pas de pouvoir de police, l’action n’étant pas
orientée par un renseignement précis et la frontière étant très étendue, le déploiement d’unités
entièrement dédiées à cette mission n’est clairement pas souhaitable pour le MINARM ».
Pour
le CPCO, le recours à des moyens techniques et/ou des polices municipales, des réservistes de
FSI ou des assistants de sécurité serait préférable et au final moins coûteux pour remplir une
partie des missions dévolues à
Sentinelle
dans cette expérimentation. De son côté, le HFDS
rapportait que
« la perception du MININT de l’utilité de l’appui de Sentinelle à cette mission
est contraire à ces observations »
et préconisait qu’un rapport commun sur les résultats de
l’expérimentation soit rédigé par les deux ministères.
3.2.2
Le bilan négatif de l’expérimentation sur l’appui de
Sentinelle
à la lutte contre
l’immigration illégale et clandestine
Le rapport préconisé par la C2ID a pris la forme d’une note conjointe, très brève, signée
du préfet, HFDS, et du général, chef du CPCO en date du 16 juin 2021.
Pour les signataires, le principal enseignement réside dans le gain en visibilité, avec un
volume de forces sur différents points de contrôle, mais l’accroissement de la dissuasion est
plus difficile à prouver. Néanmoins, il est aussi reconnu que l’occupation de la frontière a été
plutôt faible en temps et en points contrôlés. Sur 350 points de passages routiers, seuls 70 ont
été « très ponctuellement occupés ». Au total, la note relevait que l’investissement des parties
(civils et militaires), l’augmentation de l’empreinte territoriale, du taux de couverture temporel
et géographique s’étaient traduits par un accroissement de la visibilité étatique de l’ordre de 20
% pour une augmentation des effectifs de plus de 60 %.
L’analyse a retenu que l’expérimentation était perfectible, les ressources étant comptées
et les missions multiples, et a conclu sur l’orientation vers un dispositif plus agile, souple et
déployé au juste besoin. De plus, la note reconnaissait que les armées ne disposant pas de
pouvoirs de police,
« leur apport pour cette mission ne constitue une plus-value en termes
d’impact vis-à-vis de la population que si les militaires bénéficient en permanence de l’appui
des FSI et de renseignements (précis et non aléatoires) pour agir efficacement ».
S’agissant des perspectives, chaque ministère a repris sa position de principe,
radicalement divergente. Le HFDS a confirmé l’intérêt d’une démarche de renforcement des
contrôles frontaliers avec l’appui de la force
Sentinelle
, affirmant que
« cet apport et
l’augmentation induite des taux de couverture spatiale et temporelle sur la frontière produisent
l’effet dissuasif escompté »
et, en conséquence, a préconisé
« la poursuite de ce renfort de
manière permanente ».
A l’opposé, le CPCO a rappelé que le cadre d’emploi des unités militaires devait les
préserver de toute potentielle imbrication avec la population, voire avec de potentiels migrants,
rejoignant en cela la question du lien armée-nation qui ne souhaite pas
utiliser pour la
répression une force qui se veut le symbole de l’unité nationale. En soulignant que l’unique
effet atteint d’étendre la zone couverte par le dispositif conjoint ne demandait aucune
qualification militaire particulière, il a préconisé d’intégrer cette mission conjoncturelle d’appui
au contrôle aux frontières dans le dispositif général de
Sentinelle
(présence aléatoire sans unités
dédiées) et de la conditionner à l’obtention de renseignements en lien avec une menace
L’OPERATION SENTINELLE
48
terroriste, favorisant ainsi la mise en place de contrôles pouvant être planifiés ou déclenchés en
urgence.
Dans son rapport du 2 juillet 2021, l’inspecteur des Armées revient lui aussi sur les
missions combinées avec les FSI aux frontières, en ces termes :
« Réalisées dans le cadre de la LIIC, ces opérations placent les détachements Sentinelle
dans des postures interministérielles inconfortables, souvent mal anticipées, proches d’un rôle
de supplétifs. Elles les exposent (y compris au risque réputationnel) et surtout dévalorisent le
niveau d’exigence professionnelle requis pour l’exécution des missions militaires. Au-delà de
l’impact politique, une réflexion de fond doit être menée avec les autorités FSI sur les
conditions d’engagement et les modalités d’exécution de ces patrouilles spécifiques aux
frontières (menaces, interopérabilité, spécificités). Ces conditions d’engagement spécifiques
devraient couvrir a minima une analyse partagée de la menace, une intention commune (et des
missions qui en découlent) et des éléments de coordination fins et partagés (notamment pour
l’établissement et le maintien des liaisons) ».
Et l’inspecteur des armées de conclure sur
« des
tâtonnements observés et le caractère très artisanal de certaines situations à, proscrire ».
3.2.3
La participation de
Sentinelle
à la lutte contre l’immigration illégale et
clandestine, étape vers le désengagement ?
Le 10 novembre 2021, dans un contexte européen faisant craindre une pression
migratoire grandissante (augmentation des interceptions des étrangers en situation illégale, le
Premier Ministre a demandé à renforcer le dispositif de contrôle aux frontières intérieures,
préalablement décidé par le Président de la République, en conseil de défense, le 5 novembre
2020. Parallèlement à l'action des FSI dans la LAT, il a donc été demandé au MINARM de
contribuer à la LIIC, malgré une expérimentation récente et peu convaincante. Toutefois, entre
les armées et l’intérieur, il a été convenu de formuler la mission comme une participation à la
LAT, les dispositifs devant être combinés avec les FSI pour permettre d’interpeler les individus
détectés et toute imbrication de
Sentinelle
avec les populations migrantes comme avec les
associations revendicatrices devant être exclue.
Il est cependant rappelé par le ministère de l’intérieur que l’appui des forces
Sentinelle
au contrôle aux frontières est prévu dans la doctrine
Vigipirate,
et que le SGDSN, par l'IIM
10100 de 2017, autorise ce genre d'intervention.
Un dialogue zonal, puis central a été mené entre les deux ministères pour permettre
d'identifier les besoins les plus pertinents dans le cadre de ce que savent apporter les armées
pour la lutte contre le terrorisme.
Ainsi, l'opération
Sentinelle
doublera les unités dédiées à l'appui au contrôle aux
frontières où se fait sentir la pression migratoire, c’est-à-dire particulièrement dans les
Pyrénées-Orientales, les Alpes-Maritimes et les Hautes-Alpes.
Pour faire le lien avec la règle des « 4i », il a été considéré que les armées allaient
procurer leur appui pour compenser des moyens
inadaptés
ou
insuffisants
en nombre, puisque
les zones choisies pour le déploiement sont les frontières montagneuses dans lesquelles les
intervenants du MINARM ont réellement une plus-value à apporter (certaines zones réclament
spécifiquement des troupes de montagnes). Le ministère de l’intérieur confirme que les unités
Sentinelle
sont déployées soit en milieux accessibles aux seuls moyens spécialisés des armées,
L’OPERATION SENTINELLE
49
soit pour répondre à des besoins validés au niveau départemental entre les autorités civiles et
militaires et que les capacités d’observation et de surveillance des militaires sont mises en avant
au sein de dispositifs combinés. Il précise que la DGPN déploie des réservistes aux frontières,
à hauteur de 245 policiers de réserve, répartis en cinq détachements (Dunkerque, Calais,
Menton, Hendaye et Perpignan).
Le contexte a donc changé. Le ministère des armées qui invoquait le fait que la LIIC ne
demandait aucune qualification militaire particulière, voit cet argument en partie neutralisé par
la perspective de recourir aux troupes de montagne dans le cadre d’une mission raccrochée à la
LAT. Pour autant, les armées font valoir que l’administration est censée s’adapter à la nouvelle
situation pour pouvoir y faire face. Selon elles, il n’est pas dans l’esprit de la règle des « 4i »
que
l’inadaptation
,
l’insuffisance
,
l’inexistence
ou
l’indisponibilité
constatées ponctuellement
perdurent. En conséquence, elles estiment que si le besoin de spécificité « montagne » est
recevable, il ne peut devenir une nécessité durant des années, les services de l’Etat ayant alors
le devoir de s’adapter à la situation et d’acquérir ou de retrouver les compétences nécessaires
Le rapport de la Cour de mai 2020 sur les moyens de la lutte contre le terrorisme
28
recommandait de «
veiller à circonscrire l’emploi de la force Sentinelle à la lutte
antiterroriste
». Les deux ministères concernés s’y emploient - chacun à leur manière - dans le
cadre du dialogue civilo-militaire. Le SGDSN souligne que l’opération Sentinelle n’a pas été
employée pour des missions de LIIC et qu’elle est bien circonscrite à des opérations de LAT.
Il ajoute qu’il ne convient d’engager les armées qu’en ultime recours ou de façon très ponctuelle
pour maintenir une capacité de coordination civilo-militaire sur le terrain.
3.3
Désengagement, subsidiarité et substitution
L’évolution de la menace ainsi que l’expérience négative de la participation de
Sentinelle
à la LIIC font resurgir la crainte que les armées ne soient qu’une force supplétive des
FSI. De fait, la tentative d’associer
Sentinelle
à la LIIC ou à la sécurisation des Jeux Olympiques
ainsi qu’à d’autres manifestations, pour des raisons différentes, peut s’analyser comme un
« droit de tirage » du ministère de l’intérieur sur les effectifs militaires dont la justification n’est
pas toujours acquise.
Malgré un effort d’adaptation au contexte qui a changé, l’appui des armées aux FSI reste
marqué par une interrogation persistante sur la répartition des missions entre les deux ministères
concernés. Le critère des « 4 I » est devenu inopérant. L’autorité civile continue à utiliser les
armées soit à contre-emploi, soit dans des tâches qui ne requièrent aucune qualité militaire
spécifique.
Le recours à un principe de subsidiarité bien compris pourrait être la clé d’un meilleur
usage des militaires et permettrait d’envisager leur désengagement progressif, au profit des FSI,
à condition d’avoir préalablement réaffirmé les intentions stratégiques des armées. La
faisabilité d’un tel report de charge se heurte à plusieurs difficultés qui doivent être appréciées.
28
Les moyens de la lutte contre le terrorisme - Exercices 2015 à 2019. [article 58-2° de la loi organique
du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)]
L’OPERATION SENTINELLE
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3.3.1
Retrouver des intentions stratégiques au-delà des « 4 i »
Deux logiques ont soutenu la réquisition des armées depuis sept ans, une logique
d’effets et une logique de moyens. La logique d’effets a été mise en avant en 2015 et la logique
de moyens s’est imposée dans toute la période qui a suivi. L’opération
Sentinelle
, en reposant
sur un régime de réquisitions continues des armées, tempéré par des négociations quantitatives
en amont, a pérennisé une situation qui n’est pas satisfaisante en termes de bon emploi des
forces.
Il convient de revenir à l’échange de 2016 entre le CEMA et le DGGN devant la
Commission de la défense nationale et des armées et de poser à nouveau la question : sommes-
nous dans un scénario de rupture stratégique où les groupes terroristes seraient parvenus à
prendre durablement le contrôle de certains espaces ou d’une partie de la population, ce qui
serait de nature à remettre en cause l’intégrité du territoire et l’équilibre du pays ?
Dans ce cas de péril imminent pour la sécurité intérieure, l’état de siège prévoit que les
pouvoirs de maintien de l’ordre détenus par l’autorité civile passent à l’autorité militaire.
Déclencher l’état d’exception aurait constitué la reconnaissance d’une situation de guerre ou
l’existence d’une insurrection armée qui sont les deux conditions de l’état de siège. Or, ce n’est
pas l’état de siège qui a été décrété mais l'état d'urgence
29
, dans la nuit du 13 au 14 novembre
2015, après les attentats de Paris et de Saint-Denis.
Prorogé à six reprises, l'état d'urgence a pris fin le 1
er
novembre 2017 quand est entrée
en vigueur la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT.
« Finalement, pour sortir de l’état d’urgence alors que la menace persiste, la solution la plus
réaliste est de conférer aux autorités exécutives, par l’adoption d’une loi applicable hors du
cadre de l’état d’urgence, l’usage de certaines prérogatives exceptionnelles qui demeurent
nécessaires. […] La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre
le terrorisme, dite loi « SILT », a renforcé un droit déjà fortement dérogatoire mais l’a inscrit
dans un cadre ordinaire ».
Le Conseil d’Etat décrit ainsi que
« la législation permettant de
lutter contre le terrorisme n’est pas une législation d’exception tout en étant à bien des égards,
dérogatoire au droit commun
30
».
Cette observation du Conseil d’État souligne que le recours permanent à la réquisition
des armées s’apparente lui aussi à la pérennisation d’une procédure destinée à ne pas durer.
Pour ne pas inscrire dans un cadre ordinaire le droit à temporalité limitée de la réquisition, qui
crée nécessairement un effet d’éviction sur la mission proprement militaire des armées, il s’agit
de trouver une voie de désengagement permettant de remettre à leurs justes places les « forces
du dehors » et « les forces du dedans ».
La doctrine d’emploi des forces terrestres a fait l’objet d’intenses débats, lourds de
conséquences pour l’outil de défense français. Le contrat opérationnel de protection n’a pu être
assuré qu’au prix de renoncements en termes de remise en condition, de préparation
opérationnelle et de déploiement outre-mer. Dans les premiers mois de 2015, l’échelon national
d’urgence (ENU), puis les forces de souveraineté, ont même servi de variables d’ajustement. Si
29
Créé par une loi de 1955, l’état d’urgence permet d’étendre les pouvoirs de police (perquisitions
administratives, assignations à résidence, couvre-feu et censure) sans recourir à l’état de siège.
30
Conseil d’Etat, Etude annuelle 2021, Les états d’urgence : la démocratie sous contraintes, La
documentation française.
L’OPERATION SENTINELLE
51
les conditions se sont améliorées, la POIA a été touchée dans la durée, comme en témoignent
les mentions récurrentes des autorités militaires dans les auditions à l’Assemblée nationale.
Dans la situation actuelle, la fonction intervention sollicite les armées à la fois dans la
gestion de crises, dans la durée, sur trois théâtres : la mise en alerte d’un échelon national
d’urgence (ENU) ; l’hypothèse d’un engagement majeur en coalition ; dans une opération de
coercition de haute intensité.
Si l’engagement majeur était déclenché, la montée en puissance de la force
d’intervention nécessiterait la mobilisation de la plus grande partie des moyens de l’échelon
national d’urgence et une réduction conséquente, voire complète, des engagements au titre des
opérations extérieures et intérieures, notamment de
Sentinelle
. La logique voudrait que cette
réduction puisse être anticipée. Le SGDSN suggère qu’une réflexion soit conduite, d’une part
pour inscrire durablement ce dispositif qui a fait ses preuves et qui offre une très grande
flexibilité, et d’autre part afin de prendre pleinement en considération l’hypothèse d’un
engagement majeur dans un conflit de haute intensité et impliquerait, par exemple, l’évolution
du dialogue civilo-militaire dans le cadre d’une reprise partielle des missions de défense
opérationnelle du territoire (DOT) par les FSI.
3.3.2
Une posture de subsidiarité à rechercher dans les domaines relevant des
compétences particulières des armées
Les armées ne peuvent programmer une manœuvre militaire sans, préalablement, avoir
consolidé et partagé une analyse de la cartographie de la menace et de l’environnement, ce qui
n’est pas le cas actuellement. La question du renseignement reste un problème dans la mesure
où la notion n’est pas la même entre les deux ministères et où le partage de l’information n’est
pas une habitude acquise.
Ensuite, sur un plan qualitatif, les compétences spécifiques de l’armée professionnelle
sont nombreuses : capacités de planification, d’intégration et de réaction rapide, de dissuasion
et de combat avec des armes de guerre ; mobilisation de moyens plus spécialisés et de capacités
de niche comme celles des forces spéciales, de véhicules blindés et de moyens aéromobiles, de
capacités du génie, de moyens de protection et d’intervention contre les risques nucléaires,
radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), de lutte anti-drones, de mobilité 3D, de
neutralisation, enlèvement, destruction d’explosifs (NEDEX), d’intervention anti-terroriste et
de libération d’otages.
Or la plupart de ces moyens sont rarement sollicités alors qu’ils devraient constituer le
véritable critère de subsidiarité pour une réquisition. Il est même probable que les autorités
civiles, quand les FSI disposent des mêmes compétences, ce qui est de plus en plus fréquent en
raison de leur militarisation, préféreront faire intervenir ces dernières plutôt que les armées.
D’où l’importance de limiter la réquisition des armées sur des missions à haute valeur ajoutée
militaire et en cas d’urgente nécessité.
Ainsi, malgré l’opinion réservée qu’il a exprimée après l’expérimentation, le ministère
des armées fournit à la LIIC une participation subsidiaire en phase avec son savoir-faire.
La direction du budget partage d’ailleurs ce point de vue : «
si l’opération Sentinelle
devait être prolongée, il semblerait opportun de poursuivre la réduction des effectifs militaires
mobilisés et
, comme le suggère la Cour,
de privilégier la réquisition des armées pour des
L’OPERATION SENTINELLE
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missions à haute valeur ajoutée militaire
». De la même manière, la participation de certaines
unités des forces spéciales, formées et entraînées en permanence aux missions de contre-
terrorisme et de libération d’otages, peut être requise en cas d’urgence absolue et d’absence
locale de moyens des FSI.
L’EMA précise, à cet égard, que «
pour ce qui est de l’emploi des forces spéciales sur
le territoire national, la Force des fusiliers-marins et commandos (FORFUSCO) peut déjà agir
en appui des FSI pour le contre-terrorisme maritime (donc en dehors des limites d’un port). Il
serait envisageable d’employer les forces spéciales sous réquisitions pour d’autres missions
sur le territoire national (contre-terrorisme ou libération d’otages) si un besoin apparaissait,
mais à ce jour il n’en a pas été question
».
Recommandation n°1 : (SGDSN, SGMI, EMA) Privilégier une réquisition maitrisée
des armées pour des missions à haute valeur ajoutée militaire, combinant réactivité
et désengagement rapide.
3.3.3
Le transfert progressif aux forces de sécurité intérieure
La Cour observe que la justification de fond de l’opération
Sentinelle
ne semble plus
s’imposer aujourd’hui dans les mêmes termes qu’en 2015. Le terrorisme n’étant plus de nature
militarisée mais plutôt le fait d’agissements individuels, la réponse apportée par les armées n’a
plus la même signification.
Sentinelle
offre aux FSI une réassurance, ainsi qu’à l’opinion une
perception sécuritaire, proportionnelles au volume d’unités militaires déployées, mais au risque
d’une confusion sur le rôle des armées. Ce n’est qu’à titre exceptionnel et dans des conditions
bien définies que les armées peuvent être appelées à intervenir sur le territoire national en appui
des FSI, comme l’indique le recours au procédé de la réquisition qui, par définition, ne saurait
être que temporaire. Il n’est plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution
à la tranquillité publique par un « affichage de militaires dans les rues » alors même que les
armées sont appelées à se concentrer sur leur préparation à une hypothèse d’engagement
majeur. Il appartient donc aux FSI de reprendre des secteurs d’activité qui leur reviennent en
priorité et pour lesquels elles sont mieux équipées qu’en 2015.
En effet, les moyens humains et matériels des FSI ont été significativement renforcés
depuis 2015 pour leur permettre de faire face à la menace terroriste. Dans son rapport publié en
juillet 2020, la Cour relevait pour la période 2016-2019 que, s’agissant du ministère de
l’intérieur, les crédits exécutés au titre des différents plans de lutte antiterroriste avaient
représenté «
un effort budgétaire de près de 800 M€ hors titre 2 […] permettant de financer
notamment le rééquipement des FSI ainsi que la modernisation des systèmes d’information et
de communication
» auxquels venaient s’ajouter les dépenses résultant de la rémunération des
personnels recrutés dans le cadre desdits plans. La direction du budget ajoute que le réarmement
des FSI s’est poursuivi au-delà des crédits supplémentaires octroyés au titre des dépenses du
titre 2 (plus de 900 M€, soit + 35% depuis 2017). En application du « plan 10 000 », 10 051
créations de postes sont prévues au sein du corps d’encadrement et d’application de la police
nationale et des sous-officiers de la gendarmerie. Le projet de loi de programmation et
d’orientation du ministère de l’intérieur (LOPMI), déposé sur le bureau de l’Assemblée
nationale le 16 mars 2022, prévoit de poursuivre ces tendances qui conduiront à doubler la
présence des policiers et des gendarmes sur le terrain à l’horizon 2030.
L’OPERATION SENTINELLE
53
Cependant, le ministère de l’intérieur, au cours de la contradiction, a fait savoir que
«
dans les conditions actuelles, ni la police nationale ni la gendarmerie nationale ne sauraient
compenser l’appui apporté par Sentinelle sans éviction sur leurs autres missions de sécurité
publique, même en faisant appel aux réserves, déjà fort sollicitées
». Mais l’effet d’éviction est
invoqué aussi par les armées. «
Un engagement trop long des armées dans des missions ne
correspondant pas à leur cœur de métier conduit à les fragiliser
», relève l’EMA.
Dans le passé, des tentatives de coordination interministérielle ont été menées après le
rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur, avec la création d’une
réserve de la police nationale et le souci de mieux gérer les réserves de défense et de sécurité.
Mais, comme le notait la Cour dans son rapport d’avril 2019 sur les réserves opérationnelles
dans la gendarmerie et la police nationales
31
,
« ce dispositif n’a pas été réellement organisé ».
Il s’est heurté à un niveau de préparation variable des réserves, au coût d’une mise à niveau de
cette préparation constitué des frais de déplacements et indemnités journalières et à
l’imbrication des réserves et des services d’active de certains réservistes appartenant aux deux
corps.
À la suite des attentats de 2015, le Président de la République avait évoqué l’idée d’une
Garde nationale. Sous l’égide du secrétariat général de défense et de sécurité nationale
(SGDSN), il avait été décidé en 2016 que les réserves en armes, seules à même de faire face à
une menace armée, constitueraient la Garde nationale qui s’appuierait sur un pilier « forces de
sécurité intérieures (police et gendarmerie) » et un pilier « armées ». Finalement créée en
octobre 2016, la Garde nationale a eu pour vocation de regrouper l’ensemble des réserves
d’engagement sous le même vocable et de renforcer l’attractivité des réserves. Cette structure
a été placée sous la double autorité du ministère de l’Intérieur et du ministère des Armées alors
que la Cour suggérait plutôt de la rattacher au SGDSN. Il semble que la Garde nationale ne soit
restée jusqu’à présent qu’une structure légère de coordination et de communication, mais sans
pouvoir de commandement ni d’élaboration d’une politique commune d’animation des
réserves. Le contenu de son rapport annuel transmis au Parlement serait, selon ce dernier,
décevant. La Cour, dans son rapport précité, avait aussi proposé de fusionner le conseil
supérieur des réserves militaires (CSRM) et le conseil consultatif de la Garde nationale, ce qui
revenait à élargir le champ du CSRM aux réserves de la police nationale. Mais cette proposition
n’a pas été mise en œuvre et la Garde nationale présente un caractère inabouti.
Par ailleurs le contexte budgétaire a évolué et la direction du budget rappelle la volonté
de renforcer les réserves, en particulier dans le cadre du projet de LOPMI qui prévoit de faire
passer la réserve de la gendarmerie de 30 000 à 50 000 réservistes en cinq années et celle de la
police de 6 000 à 30 000 réservistes.
Pour
le
SGDSN
, « il s’agit de favoriser l’émergence d’une masse de manœuvre dans la
perspective d’une crise majeure. S’appuyant sur un dispositif de type Garde nationale, elle
offrirait une capacité de réaction duale que ce soit dans un cadre sécuritaire ou en réponse à
des catastrophes naturelles ou industrielles ».
Une réflexion renouvelée sur le pilotage des différentes réserves opérationnelles (des
ministères de l’intérieur et des armées) sous commandement unifié d’une Garde nationale
31
Les réserves opérationnelles dans la police et la gendarmerie nationales. [article 58-2° de la loi
organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)]
L’OPERATION SENTINELLE
54
rénovée serait de nature à simplifier la mobilisation des différentes réserves pour des missions
intérieures.
De telles évolutions de répartition des missions entre forces du ministère de l’intérieur,
avec le renforcement des réserves, et celui des armées, sont rendues indispensables tant par le
changement de nature de la menace terroriste sur le territoire national que par «
la période
d’incertitudes actuelles résultant de la guerre en Ukraine [qui] n’est pas propice à un
détournement trop long des moyens militaires
(CEMA) ».
Recommandation n°2 : (SGDSN, SGMI, MINARM) Transférer la mission
Sentinelle
aux forces de sécurité intérieure, ou justifier son maintien, dans un format
réduit, sur la base d’une analyse partagée de la menace.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE ______________________
L’évolution de la menace a conduit à réduire les effectifs de Sentinelle de 10 000 à 3 000
hommes.
En 2014 et 2015, la menace, exogène, se caractérisait par la projection d’attaques
depuis le Levant. Mais depuis les revers de l’État islamique, la menace est devenue endogène,
même si elle est parfois incarnée par certains ressortissants étrangers réfugiés ou résidents
illégaux. Depuis la fin 2018, elle est portée par des individus inspirés par l’État islamique mais
qui ne sont pas nécessairement affiliés à une organisation terroriste. Il en résulte que les forces
militaires qui ne disposent ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des
armements appropriés en zone urbaine, ne paraissent pas les mieux placées pour faire face à
la nouvelle forme de menace.
En même temps, les sollicitations des forces de Sentinelle se multiplient. La présidence
française du Conseil de l’Union européenne en 2022 a donné lieu à la tenue d’un grand nombre
d’évènements en France métropolitaine et outre-mer, qui ont entraîné des contraintes
supplémentaires en termes de sécurité. En 2023, la France accueillera la Coupe du monde de
rugby et en 2024 les Jeux olympiques. Parallèlement, devraient être poursuivies des tâches -
qui sont parfois reportées
- telles que l’aide civile et militaire due par la France aux forces
alliées transitant ou stationnant sur son territoire. Dans ce contexte, il apparaît que les forces
de Sentinelle, imbriquées dans le continuum sécurité/défense, seront largement employées pour
des missions éloignées de leur cœur de métier.
Les armées sont conscientes de cette dérive quand elles résument les trois vulnérabilités
que représentent l’addiction des autorités et forces de sécurité intérieure à la force Sentinelle,
la banalisation et l’amalgame des détachements avec les FSI, la dilution des unités militaires
engagées dans une logique de couverture du terrain à des fins d’image ou de satisfaction des
autorités civiles, plus que par une réelle recherche d’efficacité militaire.
La demande du gouvernement à la force Sentinelle de participer à la lutte contre
l’immigration illégale et clandestine (LIIC) complexifie la situation. Le ministère de l’intérieur
et celui des armées partagent à cet égard des visions divergentes, voire opposées. Sur les
frontières montagneuses où elles peuvent apporter une plus-value, les armées participent
cependant à la lutte antiterroriste.
Alors que les armées se concentrent sur l’hypothèse d’un engagement majeur en
coalition dans une opération de coercition de haute intensité, la Cour estime qu’il n’est plus
L’OPERATION SENTINELLE
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pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un
« affichage de militaires dans les rues ».
Il appartient donc aux FSI de reprendre des secteurs d’activité qui leur reviennent en
priorité et pour lesquels elles sont mieux équipées qu’en 2015
dans la mesure où les moyens
humains et matériels ont été significativement renforcés pour leur permettre de faire face à la
menace terroriste.
Par ailleurs, une réflexion renouvelée sur le pilotage des différentes réserves
opérationnelles (des ministères de l’intérieur et des armées) sous commandement unifié d’une
Garde nationale rénovée serait de nature à simplifier la mobilisation des différentes réserves
pour des missions intérieures.
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