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Le 12 mai 2022
Le Premier président
à
Madame Barbara Pompili
Ministre de la transition écologique
Monsieur Bruno Le Maire
Ministre l'économie, des finances et de la relance
Réf. : S2022-0931
Objet
:
La production et l’utilisation des données
utiles à la politique du logement
En application des dispositions de
l’article L.
111-3 du code des juridictions financières,
la Cour a réalisé une enquête relative à la production et à
l’utilisation des données
utiles à la
politique du logement depuis 2017.
La Cour des comptes a observé plusieurs dysfonctionnements et risques, qui ne sont
pas nouveaux
1
, et, à l
’issue de son enquête
, elle
m’a demandé, en application de l’article
R. 143-11 du même code
d’appeler votre attention sur les principales observations et
recommandations résultant de ses travaux.
La disposition
et l’utilisation
de données pertinentes sur les logements et leurs
occupants constituent en effet une condition essentielle pour
garantir l’efficience d’une
politique publique qui représente un coût annuel proche de 40
Md€ et dont
l
a mise en œuvre
requiert l’association de nombreux acteurs centraux et locaux
2
.
1
Cf
. Insee, CGEDD, Alain Chappert, Isabelle Kabla-Langlois, Jacques Friggit, Patrick Laporte,
L’organisation du
service statistique dans le domaine du logement,
juin 2014.
2
Cour des comptes,
Restaurer la cohérence de la politique du logement en l’adaptant aux nouveaux
défis
, « Les
enjeux structurels pour la France », novembre 2021,
coherence-de-la-politique-du-logement-en-ladaptant-aux-nouveaux-defis
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1. DES DONNÉES TROP FRAGILES AU REGARD DES ENJEUX POUR
PERMETTRE
UN
PILOTAGE
SATISFAISANT
DES
POLITIQUES
DU
LOGEMENT
La donnée (
data
) apparaît
aujourd’hui
comme un élément déterminant pour
l’élaboration d
e politiques publiques de qualité. Une politique éclairée par la donnée
3
requiert,
pour sa mise en œuvre
, des données fiables, exhaustives, récentes et accessibles.
En matière de politique du logement, cette exigence impose une connaissance
raisonnable des parcs de logement social et
privé afin d’établir
, à partir des réalités territoriales,
de l’
expression du besoin des demandeurs et des caractéristiques humaines et sociales de
ces derniers, les stratégies les plus appropriées en matière
d’offre de logement
neuf, de lutte
contre l’habitat indigne
, de rénovation énergétique. Elles doivent permettre le suivi des
bénéficiaires de ces politiques pour en vérifier la réussite.
Or,
la capacité de l’État
paraît insuffisante au regard des ambitions affichées.
De manière générale, les bases de données mobilisables sont
difficiles d’accès
et
faiblement interopérables.
L’absence d’une
architecture globale de ces applications, leur
actualisation à des rythmes trop peu fréquents et non coordonnés ainsi que la maille territoriale
souvent trop large des données collectées réduit leur intérêt pratique. La
direction de l’habitat,
de l’urbanisme et des paysages
(DHUP) et la direction générale des finances publiques
notamment (DGFiP) ainsi que les autres acteurs publics responsables de la production de ces
bases partagent encore trop peu ces données. Cette situation réduit inévitablement la
cohérence des actions menées et affaiblit la synergie des différents dispositifs
mis en œuvre
.
Dans le cadre de son enquête, la Cour a identifié 12 bases de données essentielles
pour la politique du logement, qui portent sur le
suivi de l’offre
et de la demande ainsi que sur
la situation des bénéficiaires des politiques sociales dans ce domaine
4
. S
’
y ajoutent des bases
plus spécifiques sur le suivi des vacances de logements
, le traitement de l’habitat indigne
ou
la gestion des situations éligibles au droit au logement opposable (Dalo). Sur ces 12 bases,
six ont fait l’objet d’une
analyse technique par la Cour.
Les observations de la Cour confirment la complexité des bases, leur défaut
d’
actualisation et, dans certains cas,
l’insuffisante
fiabilité ou exhaustivité des données
qu’elles
contiennent.
Elles rendent, en l’état,
particulièrement fragiles les objectifs affichés par le
Gouvernement en matière de logement. Ainsi, le besoin de construire 500 000 nouveaux
logements par an, régulièrement mis en avant publiquement
5
, ne repose pas sur les travaux
récemment conduits par la DHUP et le Cerema
6
, qui évaluent depuis 2014 ces besoins
annuels à 370 000 nouveaux logements.
Dans l
a perspective d’une relance de la
politique du logement pour répondre au
nouveau contexte économique et social national, il est donc prioritaire
pour l’État d’arrêter
au
plus vite la liste des bases de données essentielles à la conduite des actions correspondantes,
d’assurer leur complét
ude, leur actualisation et le croisement de leurs informations dans un
souci de suivi de gestion, d’analyse statistique et de
capacité prospective.
3
Selon les préceptes de
data-driven policy making
recommandés par l’OCDE. Cf.
government/the-path-to-becoming-a-data-driven-public-sector-059814a7-en.htm
.
4
Sit@del2, bases Insee/notaires, demande des valeurs foncières (DV3F), registre du parc locatif social (RPLS),
enquête nationale logement (ENL), recensement national, statistiques sur les ressources et conditions de vie
(SRCV), système national d’enregistrement (SNE), l’outil territorialisé pour la production de logement (Otelo), base
de la caisse nationale des allocations familiales, fichiers démographiques sur les logements et les individus (Fideli)
et fichier des logements à la commune (Filocom).
5
Pour exemple : rapport sur la relance du logement, dite commission Rebsamen, septembre et octobre 2021.
6
Etude destinée à paramétrer l’outil Otelo, de prévision des besoins de logem
ent.
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2. UN RISQUE
D’ACCROISSEMENT DE
LA DÉPENDANCE À LA DONNÉE
PRIVÉE
Cette exigence de données fiables
produites par l’État
prend une dimension nouvelle
en raison de la diversification de leurs producteurs et de leurs utilisateurs. Dans le respect des
précautions liées à la protection de la vie privée
7
, leur mutualisation doit permettre un pilotage
par la d
onnée plus efficient. Nombre de bases font déjà l’objet de partenariats et coopérations
entres services publics et aussi avec le secteur privé, qui prend une part croissante à la
production d’informations sur le logement, au risque d’une dépendance vis
-à-vis de
producteurs privés. Ces partenariats, indispensables, doivent être repensés pour être mieux
maîtrisés.
De nombreux sites internet privés facilitent désormais une connaissance géolocalisée
des loyers comme des transactions foncières ou immobilières. Ces informations gagnent en
précision et en
fiabilité à tel point qu’elles vie
nnent parfois nourrir ou étayer les bases
publiques. À l’inverse, et malgré un travail
rigoureux des associations départementales
d’information sur le logement (Adil),
financées par les partenaires publics, les 34 observatoires
des loyers qui ont été installés ne permettent pas de couvrir tout le territoire national en temps
réel.
Dans ce contexte, la perte des données liées à la perception de la taxe d’habitation
prive l’État
de données essentielles
puisqu’elle permettait d’associer
des informations
géolocalisées sur les logements avec la situation sociale de leurs occupants. À cet égard, il
est déterminant que le projet initié depuis mai 2021 par plusieurs acteurs publics
8
pour tenter
de pallier cette carence en créant un répertoire inter-administratif des locaux adossé aux bases
de la DGFiP, soit mené à bien sans retard.
Dans l’attente,
les données privées issues des actes notariés sont appelées à prendre
un rôle prépondérant. Financées par les droits perçus par les notaires sur les transactions,
elles sont censées être mises à la disposition du public à titre gratuit
9
. Or, leur degré de
précision géographique reste
restreint à l’échelle communale
et leur accès à titre gracieux est
limité
dans les faits. S’agissant de données
recueillies dans le cadre de la charge publique des
notaires, il est nécessaire
qu’un accès
exhaustif et gratuit de la puissance publique à ces
informations
d’origine
notariale soit garanti.
Dans ce contexte, la Cour propose des pistes pour faire face aux défis des données
de masse (
big data
), qui pourraient, sans réaction, supplanter la prééminence publique en
matière d
’information sur la
politique du logement.
3. LA NÉCESSITÉ D
’UN
E APPROCHE MUTUALISÉE ET TERRITORIALE POUR
FONDER DES POLITIQUES DU LOGEMENT PERFORMANTES
Les politiques du logement reposent par ailleurs de manière croissante sur un
partenariat renforcé entre un État stratège et les collectivités territoriales, auxquelles
incombent
la mise en œuvre, l’adaptation et le renforcement de ces politiques en lien avec les
enjeux d’aménagement du territoire.
L’objectif de
mettre à disposition des logements accessibles, décents et, désormais,
énergétiquement performants nécessite une connaissance fine des parcs privé et social, des
évolutions en temps réel des loyers et des prix
de l’immobilier,
mais aussi la capacité
d’
apprécier et de corréler sur le plan
territorial l’offre et la demande à l’aune des évolutions
locales de la population.
7
En organisant une consultation des chercheurs et universitaires travaillant sur la politique du logement, la Cour a
constaté que l’application combinée des trois dispositifs organisant cette protection (loi du 7 juin 1951 sur le secret
statistique, loi du 6 janvier 1978 dite informatique et libertés et règlement général de la protection des données
(RGPD) du 27 avril 2016) rendant leur accès aux données utiles plus complexe et coûteux, notamment via le centre
d’accès sécurisé aux données (CASD).
8
Insee, DHUP, DGFiP, CGEDD et DGALN.
9
Décret du 3 septembre 2013 et arrêté du 30 septembre 2016.
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Dan
s ce cadre, l’État
doit substantiellement accroître sa capacité
d’information
territoriale. La réalisation de cet objectif impose que le décloisonnement des bases de
données,
déjà évoqué, s’opère
non seulement entre administrations et opérateurs centraux
ou déconcentrés de
l’
État, mais avec les collectivités territoriales concernées.
Plusieurs de ces dernières, au premier rang desquelles certaines métropoles, ont
d’ores et déjà développé des outils pour évaluer les besoins de leur territoire
ou assurer le
suivi de leurs politiques relatives
à l’habitat
.
Une coordination renforcée avec ces collectivités permettrait de mutualiser ces outils
d’observation
et de pilotage mutualisés et de contribuer à leur développement.
À terme, la
mise en place d’un lac de do
nnées publiques, respectueux des normes de
protection de la vie privée, devrait être envisagée dans le cadre
d’une gestion interministérielle
pour
ce qui concerne l’
État.
Ainsi, la qualité des données utiles à la politique du logement apparaît non seulement
comme un enjeu essentiel à l’efficience de la politique nationale du logement,
mais est aussi
un révélateur de la capacité de l’
État à se positionner face aux nouvelles technologies de
l’information portée par des acteurs privés et à asseoi
r un partenariat crédible avec les acteurs
publics de terrain.
Dans cette perspective,
et à l’appui de
ses constats et analyses, la Cour formule sept
recommandations ci-
dessous rappelées qu’elle détaille
dans son relevé
d’observations
définitives adressé aux administrations et opérateurs qui
œuvr
ent sous votre autorité.
Recommandation n° 1 :
(DHUP) fiabiliser et actualiser les principales bases de données
identifiées par la Cour utiles à la politique du logement ;
Recommandation n° 2
: (CASD) adapter aux différents publics concernés les conditions
d’accès aux données au travers du CASD afin de garantir la rapidité, l’efficacité e
t la fluidité
de leurs demandes ;
Recommandation n° 3
: (DHUP, Dinum, Insee, DGFiP) désigner la Dinum comme service
chargé de la mise à jour de la liste exploitable des bases de données disponibles dans le
domaine du logement et le charger de formaliser entre services producteurs la mise à
disposition annuelle de ces informations ;
Recommandation n° 4
: (Dinum) f
aciliter l’exploitation des données par tous les util
isateurs
en proposant un référencem
ent de l’information disponible
;
Recommandation n°
5
: (DHUP) prévoir lors de la création de toute base de donnée
relative à la politique du logement, la possibilité de son usage statistiq
ue en tant qu’outil de
pilotage ;
Recommandation n° 6
: (DGFiP, DHUP) p
roduire, par l’exploitation des données fiscales
et locales, des statistiques géolocalisées en temps réel sur l’ensem
ble des indicateurs du
logement ;
Recommandation n°
7
: (DHUP) d
ocumenter les études d’impact des pr
ojets de loi relatifs
au logement par la présentation de données fiables et actualisées.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
10
.
10
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
•
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
•
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
•
l’article
L. 143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici