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Le 9 février 2022
Le Premier président
à
Monsieur Olivier Véran
Ministre des solidarités et de la santé
Monsieur Bruno Le Maire
Ministre de l’économie, des finances et de la relance
Monsieur Olivier Dussopt
Ministre délégué
auprès du ministre de l’économie,
des finances et de la relance,
chargé des comptes publics
Réf. : S2022-0179
Objet
: lutte contre la
fraude à l’identité bancaire dans le domaine de la protection sociale
En application des dispositions des articles L. 111-3, L. 111-4 et L. 111-5 du code des
juridictions financières, la Cour a
souhaité s’assurer de la mise en œuvre d
e l
’une des
recommandations faites dans sa communication à la commission des affaires sociales du
Sénat de septembre 2020 relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales
1
.
Cette recommandation vise à prévenir le détournement, par des fraudeurs, des
versements que les organismes de protection sociale destinent aux assurés, allocataires,
professionnels de santé ou autres tiers (les bailleurs, par exemple, au titre des aides au
logement). À cet effet, la Cour a recommandé que les organismes de protection sociale
rapprochent les coordonnées bancaires
qu’ils utilisent
avec le fichier national des comptes
bancaires et assimilés (Ficoba)
, géré par l’administration fiscale,
de manière systématique et
par des procédures automatisées.
À l’issue de son
enquête
, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’article R.
143-11 du même code, d'appeler votre attention sur les observations et la
recommandation suivantes
2
.
1
«
La lutte contre les fraudes aux prestations sociales : des progrè
s trop lents, un changement d’échelle
indispensable
», septembre 2020, disponible sur
www.ccomptes.fr
.
2
Les administrations et organismes de protection sociale concernés par ces observations et recommandation,
notamment la direction générale des finances publiques, la direction de la sécurité sociale, les organismes
nationaux de sécurité sociale, Pôle emploi et Agirc-
Arrco, ont pour leur part été rendus destinataires d’un relevé
d’observations définitives qui les déta
ille.
Cour des comptes
Référé n°S2022-0179
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1. LES RISQUES DE DÉTOURNEMENT DE PRESTATIONS ONT AUGMENTÉ
DANS LA PÉRIODE RÉCENTE, CE QUI APPELLE UN RENFORCEMENT DES
MESURES VISANT À LES MAÎTRISER
Comme le montrent les statistiques de la Banque de France, la fraude par usurpation
d’identité ou falsification de
relevé d’identité bancaire
(RIB) progresse avec le développement
des activités des banques en ligne ou des néobanques. En 2020, les montants détectés de
détournements de virements ont atteint 157
M€, soit
une multiplication par dix par rapport à
2016.
Les organismes de protection sociale sont également soumis à des risques croissants
et importants, comparés
à l’ensemble
des secteurs économiques : les montants détectés de
détournement de virements dans la sphère sociale
(de l’ordre de 4
M€ en 2020)
représentent
2,5 % du total, tous secteurs confondus,
mesuré par la Banque de France. C’est
un peu plus
que la part en valeur des règlements par virements bancaires des organismes de protection
sociale dans le total des règlements par virements bancaires (2 %). Ces montants concernant
seulement les détournements détectés, il est probable que la fraude réelle
à l’identité bancaire
dans la sphère sociale porte sur des montants plus élevés.
Si les organismes de protection sociale ont pris, souvent en urgence, diverses mesures
destinées à prévenir les risques de détournement
, force est de constater qu’ils ne procèdent
pas suffisamment à la mesure simple consistant à rapprocher les coordonnées bancaires,
qu’ils utilisent pour opérer leurs règlements
, avec le fichier Ficoba, qui recense, sous certaines
limites, les coordonnées bancaires des résidents français déclarées par leurs banques.
Seule la caisse nationale des industries électriques et gazières (Cnieg) a effectué un
rapprochement avec le fichier Ficoba
de l’ensemble des coordonnées qu’elle utilise
, et
procède tous les mois au rapprochement des nouvelles coordonnées qui lui sont
communiquées par ses assurés.
Depuis qu’elle a systématisé ces rapprochements avant le
paiement des prestations, elle a pu déjouer toutes les tentatives de détournement.
À
l’inverse, a
ucun des autres organismes -
caisses d’allocations familiales, caisses
d’assurance maladie, caisses
et autres organismes de retraite, Pôle emploi -
n’a procédé au
rapprochement de son stock de coordonnées bancaires avec le fichier Ficoba et
n’effectue de
manière systématique celui des nouvelles coordonnées reçues
, comme l’illustre le tableau
ci-après pour les branches de prestations du régime général de sécurité sociale.
Rapport entre les consultations de Ficoba et les nouvelles identités bancaires
utilisées par les branches de prestations du régime général de sécurité sociale (2020)
Famille (CAF)
Maladie et accidents du travail
maladies professionnelles
(CPAM)
Vieillesse
(Cnav et Carsat)
17,9 %
30,6 %
6,1 %
Le taux indiqué dans c
e tableau est d’ailleurs un majorant
: historiquement, les
organismes de protection sociale consultent Ficoba, non pour vérifier les coordonnées
bancaires des assurés, mais pour sécuriser le calcul des prestations soumises à condition de
ressources et faciliter les opérations de recouvrement forcé des trop perçus de prestations.
I
l est vrai que, à l’heure actuelle et à l’
exception de la Cnieg, les organismes de
protection sociale
n’
accèdent à Ficoba
qu’à travers un portail internet,
pour de simples
consultations unitaires manuelles. Par ailleurs, la
finalité consistant à s’assurer du caractère
libératoire du paiement ne figure pas explicitement dans les motifs juridiques permettant la
consultation des données de Ficoba.
En pratique, ce n’est que par
la mise en œuvre d’échanges
automatisés et à large
échelle
entre les organismes de la sphère sociale et le système d’information de la direction
générale des finances publiques (DGFiP) que les rapprochements nécessaires des
coordonnées bancaires utilisés par les organismes de protection sociale pourront avoir un
caractère systématique.
Cour des comptes
Référé n°S2022-0179
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2 IL CONVIENT DE FAIRE ENFIN ABOUTIR EN 2022 UN PROJET DE
RAPPROCHEMENT AUTOMATISÉ AVEC FICOBA, EN COURS DEPUIS PLUS
DE DIX ANS
Il est prévu que les organismes de protection sociale puissent, de manière
automatisée, interroger
Ficoba et récupérer les données d’identité bancaire, pour
les
confronter à celles qui sont en leur possession.
Le principe de ce projet a été arrêté il y a plus de dix ans. Les travaux techniques de
spécification puis de développement ont débuté il y a sept ans. Cependant, dix reports
successifs de la date de mise en service des échanges sont intervenus entre 2018 et 2021.
Ils ont souvent été annoncés très tardivement par la DGFiP.
Alors que ce projet engage des ressources limitées
, la DGFiP doit s’attacher à résoudre
dans les meilleurs délais, les difficultés techniques qui empêchent la mise à disposition de
l’accès à Ficoba à l’ensembl
e des organismes de protection sociale.
Ces derniers
doivent se mettre en situation, dès 2022, d’exploiter au plus vite ces
données pour fiabiliser le flux comme le stock des coordonnées bancaires utilisés pour le
versement des prestations sociales.
La Cour formule donc la recommandation suivante :
Recommandation unique réitérée
(ministères chargés de la sécurité sociale, du travail et de
l’emploi et de l’économie, ensemble des organismes nationaux de protection sociale)
:
p
révenir les détournements de versement de prestations en mettant en œuvre
, un
rapprochement automatisé des coordonnées bancaires communiquées par les assurés,
allocataires, professionnels de santé et autres tiers (bailleurs) avec le fichier Ficoba des
comptes bancaires ouverts en France, y compris sur le stock d’identités bancair
es antérieures
à la mise en œuvre de ce rapprochement
.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
3
.
Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Pierre Moscovici
3
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(
cf
. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).